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Entre ouverture et fermeture : les rapports à autrui dans les tissus périurbains

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Submitted on 7 Mar 2007

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Entre ouverture et fermeture : les rapports à autrui dans

les tissus périurbains

Eric Charmes

To cite this version:

Eric Charmes. Entre ouverture et fermeture : les rapports à autrui dans les tissus périurbains. HAU-MONT, B., MOREL, A. La société des voisins. Partager un habitat collectif, Maison des sciences de l’Homme, pp.109-121, 2005. �halshs-00106931�

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Entre ouverture et fermeture : les rapports à autrui dans les

tissus périurbains

Eric CHARMES, Institut français d’urbanisme, Université de Paris 8, Champs-sur-Marne Extrait de B. HAUMONT & A. MOREL (dir.), 2005, La Société des voisins. Partager un

habitat collectif, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, p. 109-122

Version légèrement revue en mars 2007

Les rapports à autrui sont de plus en plus pensés sous le signe de la barrière et de la fermeture. C’est particulièrement le cas pour les tissus périurbains, où la menace des gated communities ne laisse pas d’inquiéter. Un nombre croissant d’articles de presse et de reportages télévisés sont consacrés à ces ensembles d’habitation dits “ sécurisés ” et posent la question de l’évolution du rapport à autrui dans les grandes villes. Les Etats-Unis, où ces ensembles résidentiels prolifèrent (Blakely & Snyder, 1997 ; Low, 2003), font figure de spectre dont la menace planerait sur le futur des villes européennes. La situation réelle de ces dernières reste toutefois mal connue, malgré les quelques enquêtes qui ont dernièrement été rendues publiques (Blandy, 2003 ; Jaillet, 2004).

Le premier constat qui frappe celui qui parcourt les périphéries des grandes agglomérations françaises est que les barrières sont très rares. Les rues des grandes banlieues sont dans leur quasi-totalité ouvertes au passant. Doit-on en déduire que les barrières ne sont qu’un épiphénomène, une mode du marché immobilier ? Les attaques lancées contre le périurbain ne seraient-elles qu’une nouvelle version du rejet viscéral des intellectuels pour le mode de vie des classes moyennes installées en grande banlieue ?

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Doit-on au contraire penser que, si les barrières frappent autant les esprits, c’est parce qu’elles manifestent de manière particulièrement choquante la tension du lien social et le creusement des inégalités ? Seraient-elles la surface émergée d’un iceberg ? De fait, le rejet de l’autre, la difficulté à coexister avec lui s’expriment depuis longtemps par de multiples autres biais. Dans les petites communes périurbaines, les cartes scolaires, les plans d’occupation des sols restrictifs sont moins visibles dans le paysage, mais sont tout aussi efficaces que des murs pour tenir à distance celui qui gêne.

L’objet des pages qui suivent est d’approfondir ces questions et d’éclairer les pratiques et les représentations actuellement dominantes dans les zones d’habitat individuel. Plutôt que de concentrer notre attention sur les quelques barrières dressées à l’entrée d’ensembles pavillonnaires, nous avons examiné les différents “ nous ” et les différents “ eux ” qui se constituent dans les tissus périurbains. L’attention a été portée sur la substance de ces groupes sociaux et sur les dispositifs mis en œuvre pour leur donner forme. Ceux que nous avons examinés ont été autant morphologiques qu’institutionnels ou juridiques.

Le présent article est basé sur les résultats d’une recherche menée dans trois communes périurbaines : Gressy et Coubron en Ile-de-France, Meyzieu dans l’agglomération lyonnaise. Les deux premières communes comptent respectivement 900 et 4 600 habitants et la dernière 28 000. Dans ce dernier cas, l’enquête a été centrée sur un quartier résidentiel d’environ 4 000 habitants, le Grand Large. Ces quartiers sont tous situés en limite d’agglomération et bénéficient d’un environnement relativement verdoyant. Ils sont en même temps soumis à une forte pression foncière et sont proches de quartiers ou de communes socialement moins favorisés. Coubron voisine ainsi avec Clichy-sous-Bois et Montfermeil.

La recherche a principalement consisté en une campagne d’entretiens, dont une dizaine effectués avec des agents immobiliers et 42 réalisés avec des ménages. Ces derniers sont typiquement propriétaires d’un pavillon implanté sur une parcelle d’une superficie de 500 à 1 000 mètres carrés. Il s’agit, toujours typiquement, soit de retraités, soit de couples mariés avec deux enfants, composés d’un cadre moyen et d’une employée1. Il est à noter que cette situation professionnelle diffère de celle des ménages du lointain périurbain (Jaillet, 2004), ces derniers appartenant plutôt aux couches populaires et ayant une aisance matérielle beaucoup moins grande.

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Les nous du périurbain

Dans les tissus périurbains comme ailleurs, les groupes sociaux territoriaux sont d’abord constitués par le marché immobilier. Les prix des logements et les loyers sont les principaux déterminants des caractéristiques sociologiques des unités de voisinage. Ainsi, un quartier populaire est principalement un quartier où les loyers sont modérés, de même qu’un quartier bourgeois est surtout un quartier cher.

Au cours des dernières décennies, ce filtre du marché immobilier semble avoir conduit à une spécialisation socio-spatiale des tissus périurbains. D’après les analyses du recensement de 1999 menées par Martine Berger (2003), chaque commune présente un profil d’habitants de plus en plus spécifique. Ce constat corrobore les observations des acteurs du marché immobilier qui estiment que le marché de l’habitat périurbain a mûri. Selon eux, les gens ne se contentent plus d’acheter une maison individuelle en grande banlieue, ils achètent également un environnement. Cet environnement se définit de manière très variable suivant les ménages. Des traits structurants peuvent toutefois être identifiés : la présence de verdure, la qualité du paysage, l’accessibilité automobile et la proximité du centre ou des principaux pôles d’emplois. L’environnement est également évalué à partir des caractéristiques de la population environnante et de la réputation des écoles (les deux facteurs étant souvent étroitement associés).

Plus les capacités financières d’un ménage sont réduites, plus il est contraint de transiger sur l’une ou l’autre des qualités environnementales qu’il recherche. Ce faisant, chaque commune et, dans les grandes communes, chaque quartier se spécialise socialement en fonction de la valeur marchande du cocktail environnemental qu’il propose.

Il est pertinent de qualifier ces rassemblements socio-spatiaux de regroupements affinitaires, mais les éléments qui permettent de déterminer les affinités restent grossiers. En effet, les principaux critères de sélection sont la capacité financière et les goûts environnementaux. Par ailleurs, le peuplement des communes périurbaines s’effectue sur plusieurs décennies et ceux qui ont emménagé dans un ensemble pavillonnaire en 1970 ne sont pas ceux qui y emménagement trente ans plus tard. C’est pourquoi l’homogénéité de la population reste relative. Ainsi, dans les quartiers que nous avons étudiés, la diversité sociale demeure suffisante pour que des tensions apparaissent dans les relations de voisinage et les rapports politiques. L’une des principales lignes de division résulte de la pyramide des âges. Dans les communes étudiées en effet, les habitations ont pour l’essentiel été construites dans les années 1970, ce qui conduit aujourd’hui des jeunes couples avec enfants à voisiner avec des retraités. Cette cohabitation n’est pas sans susciter des tensions, que ce soit à propos de l’usage de la rue comme espace de jeux ou au sujet de la politique d’équipement de la commune.

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Les conseils municipaux sont d’autant moins unanimes que les opinions politiques sont très diverses. L’extrême droite occupe une place importante avec, dans les cas étudiés, entre un cinquième et un quart des suffrages exprimés en sa faveur au premier tour de l’élection présidentielle de 2002. En même temps, les partis de gauche ont totalisé plus du tiers des voix, avec jusque 10 % des suffrages en faveur de la seule extrême gauche.

Dans un groupe, les tensions et les oppositions peuvent être sources de liens forts. Ce n’est pas le cas ici. L’engagement vis-à-vis d’autrui reste faible et les rapports sociaux sont largement régulés par ce que Mary Baumgartner a appelé le “ minimalisme moral ” (Baumgartner, 1988). Le voisin compte peu car, pour les périurbains, la vie est ailleurs que dans leur environnement proche : ils n’y travaillent pas, n’y ont pas leurs amis les plus intimes, n’y font pas leurs courses… Par conséquent, face à une situation conflictuelle, la solution privilégiée est l’évitement plutôt que l’affrontement direct.

Ainsi, les regroupements plus ou moins affinitaires qui se constituent dans les tissus périurbains ne conduisent pas à la formation de groupes sociaux dotés d’une structure interne forte, à la fois parce que l’homogénéité de ces groupes reste limitée et parce que les engagements dans les relations sociales locales ont peu de vigueur. On est loin ici du « communautaire ».

En même temps, l’engagement faible dans les relations sociales de voisinage n’implique pas des relations totalement vides. De fait, la convivialité est réelle. Elle l’est d’autant plus qu’il ne s’agit que d’une ambiance, qui s’accommode fort bien de relations sociales superficielles, faites de salutations cordiales et d’échanges de menus services (on peut ainsi parler de “ cordiale ignorance ”).

De la même manière, les désaccords politiques et les conflits de voisinage n’interdisent pas que, sur des sujets précis, un accord se fasse et qu’une action collective soit entreprise. Cela est fréquent lorsqu’un groupe de périurbains est confronté à un problème. Dans ce cas, des nous peuvent prendre forme. Des périurbains peu attachés les uns aux autres peuvent temporairement se mobiliser et faire front. Ils peuvent par exemple s’unir pour lutter contre l’implantation d’une infrastructure nuisante ou pour défendre l’école locale face à des velléités de fermeture manifestées par les services de l’Education nationale.

La configuration de ces “ nous ”, tout comme leurs rapports, varient en fonction des problèmes dominants du moment. Leur appréhension nécessite donc une approche pragmatique, centrée sur les problèmes que les habitants disent rencontrer et sur la manière dont ils les traitent. Les actions menées varient aussi en fonction des outils disponibles pour tracer des limites (que ce soit physiquement ou institutionnellement). Sur ce plan, les supports

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les plus fréquemment mobilisés sont les rues, les zones de recrutement des établissements scolaires et les communes.

La tranquillité plutôt que la sécurité

A l’échelle la plus locale, le premier souci des périurbains concerne l’usage des espaces collectifs qui entourent leurs habitations. Il s’agit généralement de rues ou de petits espaces verts réalisés en même temps que l’ensemble pavillonnaire. Il peut aussi s’agir d’un terrain de tennis ou d’une piscine.

La tendance dominante est à la restriction des accès à ces espaces. Peu sont clos, mais de nombreux ménages songent à ceindre de barrières le jardin d’enfants de leur lotissement ou à limiter le passage dans leur rue. La demande de sécurité est considérée par de nombreux observateurs comme la principale cause de ces mesures. Notre enquête montre toutefois que le sentiment d’insécurité (du moins compris comme l’impression d’être menacé par des vols et des agressions) n’est pas aussi prégnant qu’on le dit. Les gens justifient d’abord leurs projets de fermeture par leur volonté de préserver leur “ tranquillité ”. En termes plus académiques, les gens sont principalement préoccupés par la régulation des comportements dans les espaces collectifs proches de leur habitation.

Les deux sources de troubles les plus fréquemment mentionnées sont, d’une part les automobiles, d’autre part les adolescents et les jeunes adultes. Les rares barrières ou dispositifs de restriction d’accès que nous avons pu trouver lors de notre enquête trouvent quasiment tous leur origine dans l’un ou l’autre de ces problèmes.

Il est ainsi fréquent que les riverains d’une rue se constituent en “ nous ” défensifs face à des problèmes de circulation. Les rues pavillonnaires sont en règle générale à l’écart des flux circulatoires, mais il suffit de quelques chauffards pour que les riverains se sentent menacés. Certains se plaignent notamment de ne plus pouvoir laisser leurs enfants jouer dehors avec une totale tranquillité d’esprit. De là résultent des demandes de restriction du passage des “ extérieurs ”, pour reprendre un terme fréquemment employé.

La prolifération des impasses et des voies en boucle dans les zones pavillonnaires périurbaines trouve là sa principale origine. Là où la possibilité du trafic de transit est laissée ouverte, il arrive que des riverains se mobilisent pour bloquer l’un des points d’accès à leur rue. Ils peuvent ainsi transformer leur rue en impasse en posant une petite barrière automatique ou des plots. La présence d’un équipement voisin et donc des problèmes de stationnement peuvent renforcer leur détermination.

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Les adolescents et les jeunes adultes sont un autre souci majeur. Certains se rassemblent le soir pour discuter ou pour jouer au football au fond d’une rue ou dans un petit espace libre. L’été, ces rassemblements peuvent se prolonger jusque tard dans la nuit. Les éclats de voix gênent les voisins qui se plaignent de ne plus pouvoir dormir fenêtres ouvertes. D’autres habitants se lamentent devant les canettes de bière et les cartons à pizza vides qui traînent le lendemain. Le sentiment d’insécurité renforce l’impression négative ainsi laissée. Des comportements illégaux sont en effet facilement attribués à ces jeunes, notamment le trafic de drogue.

La réaction la plus courante est de solliciter l’intervention des forces de l’ordre. Cela peut parfois suffire à faire cesser le trouble, mais pas toujours. Les forces de l’ordre semblent avoir des tâches plus urgentes et n’interviennent pas volontiers face à des comportements qui, de toutes façons, sont difficiles à sanctionner et à contrôler. Des riverains peuvent alors décider d’imposer des restrictions physiques à l’usage des espaces collectifs. Cela peut consister en la pose de barrières, mais un résultat similaire peut être obtenu en supprimant un éclairage, en ôtant des bancs ou en hérissant de grosses pierres le lieu de rassemblement favori des jeunes.

Un portail installé à Meyzieu pour limiter les regroupements d’adolescents (plus fréquents qu’ailleurs en raison de la proximité d’un collège).

Il convient de souligner que ces problèmes ne sont pas nouveaux. Dans son enquête conduite à la fin des années 1970 aux Etats-Unis, Mary Baumgartner avait identifié le comportement des adolescents et des jeunes adultes comme le principal problème quotidien des périurbains (Baumgartner, 1988). Elle avait souligné avec justesse que les relations entre les jeunes et les adultes étaient d’autant plus complexes que les premiers ont les uns vis-à-vis des autres des

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l’adversité. Les adultes qui sont en face d’eux perçoivent mal cette réactivité car elle heurte le minimalisme moral ambiant. Les adultes refusent notamment l’idée de s’engager dans un conflit avec un jeune qui pourrait être l’enfant d’un voisin. D’où l’appel fréquent à des tiers jugés neutres, tels que les représentants des forces de l’ordre.

Il faut y insister : les jeunes qui causent les troubles sont fréquemment des enfants du voisinage. Et quand ils viennent de l’extérieur, ils sont souvent amenés par les liens qu’ils ont noués dans un établissement scolaire avec des jeunes du quartier. Bien sûr, certains habitants privilégient ces “ extérieurs ” dans leur désignation des fauteurs de trouble, mais beaucoup sont parfaitement conscients de l’implication de leur progéniture. Ainsi, les attitudes de fermeture dans la gestion des espaces collectifs résidentiels relèvent au moins autant de la mise en ordre interne que du repli sécuritaire.

Des espaces collectifs majoritairement publics

Une variable importante peut toutefois venir contrarier un projet de fermeture de rue : la plupart des voies de desserte périurbaines figurent dans le domaine public des communes et le droit du public à y circuler librement ne peut être facilement aliéné. La situation est en train d’évoluer sur le marché de l’immobilier résidentiel neuf, où il est de plus en plus fréquent que les rues soient fermées (Billard, Chevalier & Madoré, 2005), mais dans les espaces périurbains déjà constitués, les rues sont presque toutes publiques et ouvertes à la circulation. Dans de nombreux lotissements, il a été dès le départ prévu que le promoteur rétrocèderait les rues immédiatement après l’achèvement de l’opération immobilière. Quand cela n’a pas été le cas, la perspective de travaux de rénovation coûteux pousse au bout de quelques décennies les riverains à demander à leur municipalité de prendre leurs rues en charge2. La plupart du temps, celle-ci accède à cette demande. Cela peut paraître étonnant pour des rues qui sont des équivalents fonctionnels de cages d’escalier. Mais, dans l’esprit de la plupart des édiles comme dans celui de leurs administrés, la rue est d’abord définie comme un espace public. Ainsi, dans les quartiers étudiés, les associations de propriétaires privés ne jouent pas un rôle très significatif dans la gestion des espaces collectifs. Celle-ci est d’abord une affaire communale. Cette prééminence des instances publiques peut s’expliquer de diverses manières. Nous insisterons ici sur trois points.

Le premier est que le semis des communes dessine un maillage très serré. Dans le périurbain, les populations communales sont fréquemment inférieur au millier d’habitants (en 1999, la population moyenne des communes « périurbaines » ou « multipolarisées » au sens de l’INSEE était égale à 820 habitants). Il en résulte une forte proximité entre les élus locaux et

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leurs concitoyens. Celle-ci permet notamment que la régulation des espaces collectifs résidentiels soit au cœur des préoccupations des élus.

En second lieu, les communes ont d’importantes prérogatives en matière d’urbanisme. Elles peuvent par exemple imposer des règles de construction et des contraintes d’entretien qui sont très proches de celles que l’on trouve dans les règlements de copropriétés des ensembles pavillonnaires privés étasuniens (McKenzie, 1994).

En troisième et dernier lieu, les instances publiques sont considérées comme plus à même de gérer les espaces collectifs que les instances privées. Pour les personnes rencontrées, une gestion privée d’un ensemble pavillonnaire est plus perçue comme un inconvénient que comme un avantage. L’opinion dominante est que, dans une municipalité, les décisions sont plus neutres et que les relations personnelles sont moins susceptibles d’interférer. Ainsi, pour l’application de règlements concernant l’harmonie des couleurs ou des haies, les gens font plus confiance à une administration municipale qu’à des copropriétaires. Cette préférence s’explique, non seulement par des expériences vécues souvent négatives (Lefeuvre, 1999), mais aussi par la culture politique française qui tend à dissocier très nettement la représentation des intérêts collectifs de l’agrégation des intérêts individuels (à la différence de la culture politique libérale qui domine aux Etats-Unis).

Pour toutes ces raisons, l’emménagement dans une copropriété pavillonnaire peut être jugé inutile, du moins lorsque celle-ci dépasse quelques dizaines de maisons. Au-delà en effet, les périurbains disposent avec la commune d’un outil tout à fait satisfaisant pour la régulation de leurs espaces et de leurs équipements collectifs. Et de fait, l’on constate que le marché actuel de la copropriété pavillonnaire se limite à des opérations de quelques dizaines de maisons (Billard, Chevalier & Madoré, 2005).

La commune : un rempart contre la privatisation et la fermeture des espaces résidentiels ?

Ce constat soulève une interrogation : est-ce que cette prééminence de la gestion publique préserve les tissus périurbains français de la menace de la privatisation des espaces résidentiels et, plus particulièrement, des gated communities ? Autrement dit, est-ce que le caractère public des espaces collectifs et des équipements locaux conduit à une gestion significativement différente de celle des espaces et des équipements privés ? Si l’on s’en tient à nos observations, la réponse est plutôt négative.

Le cas de Gressy est exemplaire. Dans cette petite commune de 900 habitants, dont la zone bâtie est entièrement entourée d’espaces naturels ou ruraux, les comportements sont très proches de ceux décrits dans la littérature sur les gated communities. Certains habitants

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“ résiste encore et toujours à l’envahisseur ” (dont le visage est ici celui des grandes infrastructures et des zones d’urbanisation). Un Gressiaque, qui connaît bien les Etats-Unis, a même défini sa commune comme une gated community sans barrière. Les champs environnants en font office.

Vue panoramique de Gressy

En réalité, une commune dispose de nombreux outils pour faire de son territoire un véritable club dont ses habitants ont la jouissance exclusive. La carte scolaire permet par exemple de réserver l’accès à l’école aux enfants de la commune. Le logement social fait de même partie des prérogatives municipales (surtout pour les communes qui sont situées au-delà de la zone bâtie continue). Mieux, une commune peut imposer une taille minimale aux parcelles constructibles et ainsi maintenir le prix des habitations à un niveau élevé3.

Les politiques de construction d’équipements locaux sont également un levier important dans le contrôle de la vie communale. Ne pas réaliser un équipement est un moyen de limiter la présence d’intrus : certaines communes périurbaines sont par exemple très réticentes devant l’idée d’implanter un collège sur leur territoire, car elles y voient la menace d’un envahissement par des adolescents aux comportements inévitablement perturbateurs. A l’inverse, des mesures peuvent être prises pour donner aux habitants de la commune l’exclusivité des équipements collectifs. Il est ainsi possible de réserver les créneaux horaires les plus intéressants, voire tous, aux associations municipales et aux écoles locales. Un parc communal peut également être fermé la nuit pour limiter les nuisances occasionnées par les regroupements d’adolescents.

Ces attitudes des communes, potentiellement très proches de celles attribuées aux ensembles pavillonnaires privés, montrent que la dichotomie entre public et privé avec laquelle l’usage des espaces collectifs est conceptualisé est inappropriée. Elle obscurcit plus souvent les débats qu’elle ne les éclaire. En réalité, entre le public et le privé, il convient d’introduire au même niveau de généralité la catégorie de collectif (Webster, 2002). Les propos qui précèdent montrent clairement que la problématique centrale n’est pas celle du caractère public ou privé

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des espaces périurbains, mais celle de leur appropriation collective et des volontés de jouissance exclusive. Ces projets peuvent se concrétiser tout autant par le biais d’une copropriété (et donc d’instances privées) que par le biais d’une commune (et donc d’instances dites publiques).

On peut certes opposer à cette subsomption partielle du public et du privé sous la catégorie du collectif qu’un conseil municipal n’est pas une assemblée de copropriété. Le premier paraît a

priori plus proche de l’idéal démocratique que la seconde, ne serait-ce qu’au regard du

traitement des locataires. Toutefois, si on considère la situation concrète de certaines communes périurbaines, la différence apparaît ténue. Le cas de Gressy est éloquent. Le conseil municipal y ressemble en effet beaucoup à une assemblée de propriétaires. D’après le recensement de 1999, effectué par l’INSEE, 86 % des logements sont occupés par leurs propriétaires. Les valeurs immobilières sont en outre assez homogènes.

Surtout, dans un groupe social aussi petit, les décisions sont avant tout prises par les individus qui ont décidé de s’engager dans la gestion de la collectivité. Même s’il conviendrait de mener des recherches précises sur ce sujet, il semble que le caractère public ou privé des instances décisionnelles influe peu sur les choix. La principale différence provient vraisemblablement du type d’arguments susceptibles de conduire à un consensus (Walzer, 1983). Dans une assemblée de propriétaires, les expressions des intérêts purement individuels et marchands seront plus légitimes que dans un conseil municipal. En conséquence, le consensus risque fort des’établir à partir de positions plus conformes à l’intérêt général. Cette remontée en généralité restera toutefois bloquée au niveau de la commune.

Sur l’interprétation des évolutions sociales en cours

L’interprétation des évolutions sociales en cours dans les tissus périurbains est particulièrement complexe. Elle l’est d’autant plus que la popularité du thème des gated

communities attire de nombreux intellectuels qui voient là un moyen de promouvoir leurs

idées. Les gated communities se retrouvent ainsi associées à des débats très divers. En outre, ces débats, tels que ceux sur les espaces publics, la ségrégation sociale, la privatisation ou la sécurité sont traditionnellement fortement empreints d’idéologie. La confusion est donc souvent grande. Nous espérons que les trois remarques qui suivent apporteront un peu de clarté.

En premier lieu, il convient d’être extrêmement prudent dans le maniement des notions de ségrégation spatiale et de repli sur soi. Leur usage est en effet fréquemment sous-tendu par la référence à la vieille opposition sociologique entre société et communauté. Les regroupements

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c’est-à-dire comme des groupes sociaux fermés. Pourtant, les “ villages ” périurbains n’ont plus grand-chose de commun avec la Gemeinschaft de Ferdinand Tönnies. La morale mise en œuvre dans ces groupes sociaux territorialisés est minimale et les appartenances qui s’y nouent sont à la fois faibles, labiles et ouvertes. Les individus sont par surcroît simultanément membres de plusieurs “ communautés ” (Bourdin, 2000 ; de Singly, 2003).

En second lieu, être sélectif et rejeter la présence de personnes différentes autour de son domicile n’implique pas un rejet systématique de ces personnes. Vouloir contrôler son voisinage et refuser la construction de logements sociaux à côté de son domicile n’entraînent pas que l’on refuse que ses impôts servent à financer le logement social. De fait, si les ménages que nous avons rencontrés sont dans leur écrasante majorité hostiles à la construction de logements sociaux près de chez eux, aucun n’a manifesté son opposition au principe de l’aide au logement des défavorisés. Il y a peut-être un effet d’entraînement de l’une à l’autre des deux positions, mais à notre connaissance ce lien reste à établir.

Mieux, le lien semble pouvoir fonctionner à l’inverse de ce que l’on suppose généralement. C’est ce que suggèrent divers travaux de socio-psychologie (Martucelli, 2002). L’idée s’affirme en effet que des appartenances stables et claires sont aujourd’hui moins des obstacles à l’expression de soi et à l’intégration sociale que des vecteurs d’individualisation et des bases d’intégration sociale. Autrement dit, il est loisible de penser que, plus l’expérience vécue avec des autres proches est rassurante et stabilisante, plus la capacité à avoir confiance en des inconnus, à interagir avec eux et à se sentir concernés par leurs difficultés est grande. En troisième et dernier lieu, les attentes et les comportements des habitants des tissus périurbains méritent d’être pris au sérieux. La position dominante des commentateurs est en effet celle d’observateurs extérieurs. Or cela conduit à l’attribution aux acteurs d’intentions qui ne sont pas les leurs. Le cas des barrières est exemplaire. Leur présence, interprétée de l’extérieur comme la manifestation d’un repli sécuritaire, est vécue d’une toute autre manière de l’intérieur. Mieux, de nombreux périurbains partagent l’avis de ceux qui, dans les médias, les critiquent. Ainsi, l’image négative que des barrières donnent à un ensemble pavillonnaire constitue un frein substantiel à leur pose.

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Ces remarques n’ont pas pour but de diminuer l’importance des propos de ceux qui s’alarment des conséquences possibles de la prolifération des gated communities sur la solidarité sociale et qui s’interrogent sur l’avenir du rôle civilisateur des villes (Esprit, 1999 ; Low, 2003). Le comportement actuel des collectivités locales pose incontestablement des problèmes de justice sociale et de redistribution. Les comportements de fuites des couches moyennes alimentent en outre la formation de ce qui s’apparente à des ghettos de démunis (Fitoussi, Laurent & Maurice, 2003).

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Au demeurant, cet article invite à la prudence et au pragmatisme. Les préoccupations majeures des périurbains concernent d’abord la gestion et l’usage des espaces collectifs locaux. Pour l’instant, aucun lien causal n’apparaît clairement entre l’exposition à ces problèmes et la solidarité sociale. Mais peut-être un tel lien pourrait-il s’établir si on persistait à ne pas prendre ces problèmes au sérieux et à pousser les classes moyennes à se représenter leurs pratiques en termes sécessionnistes.

Par ailleurs, l’attitude moralisatrice et condescendante qui domine vis-à-vis des couches moyennes périurbaines conduit à une forme d’autoritarisme étatique qui, à l’épreuve des faits, apparaît plutôt contreproductif. On a probablement mal mesuré les inquiétudes causées par les évolutions législatives récentes, telles que les incitations à l’intercommunalité et à la construction de logements sociaux. Le caractère très coercitif de ces mesures semble plutôt renforcer l’attitude défensive des communes périurbaines vis-à-vis de l’Etat et de l’intérêt dit général. Loin d’être jugulés, les égoïsmes communaux ont sans doute été renforcés. Pourtant, les possibilités de négociation par la concertation existent (même si ce qu’il est possible d’obtenir reste clairement en deçà des exigences légales actuelles).

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gemeinschaft ”, Environment and Planning B, 29(3), p. 397-412

1

L’emploi du féminin pour “ employée ” n’est pas un acte manqué. Dans la quasi-totalité des cas, le poste socialement considéré comme le plus important est occupé par l’homme.

2

Il est à noter qu’aux Etats-Unis, de nombreuses gated communities anciennes voient leurs barrières tomber pour des raisons similaires.

3

Cette possibilité avait été supprimée par la loi “ Solidarité et renouvellement urbain ” de décembre 2000 afin de limiter l’étalement urbain. Elle a été rétablie par la loi “ Urbanisme et habitat ” de juillet 2003.

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