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De l’entrepreneur au groupe: Jalons pour une histoire de l’analyse économique de l’entreprise

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Alain Alcouffe. De l’entrepreneur au groupe: Jalons pour une histoire de l’analyse économique de l’entreprise. 1987. �hal-01684866�

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De l’entrepreneur au groupe

Jalons pour une histoire de l’analyse économique de l’entreprise

Par Alain ALCOUFFE

n° 171 * Juillet 1987 PLAN

I - Aux origines du concept d’entrepreneur

II - Les premiers développements de l’analyse de l’entrepreneur III - Rudolf Hilferding et l’analyse marxiste de la concentration * La 2ème et la 3ème partie de ce cahier doivent paraître dans le

Traité d’économie industrielle, éditions Economica, 1987. Le

chapitre I de ce Traité contiendra une bibliographie sur l’histoire de l’économie industrielle.

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I)

Aux origines du concept d’entrepreneur*

J. A. Schumpeter crédite R. Cantillon du premier usage du terme « entrepreneur ». Il écrit en effet : « Cantillon was, so far as I know, the first to use the term entrepreneur”1. Malgré la

compétence en la matière de cette autorité, il faut admettre qu’elle est ici prise en défaut et que l’usage du terme entrepreneur était beaucoup plus ancien comme on peut en juger en consultant des auteurs cités par Schumpeter lui-même. Mais avant de procéder à cet examen, nous relèverons tout d’abord que l’usage du terme au milieu du XVIIIe siècle n’est pas isolé, ce n’est en aucune façon un néologisme de Cantillon et pour s’en convaincre il suffit d’ouvrir l’Encyclopédie ou dictionnaire

raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et

d’Alembert. On y trouve un article ‘entrepreneur’ ainsi rédigé: “il se dit en général de celui qui se charge d’un ouvrage; on dit un entrepreneur de manufacture, un entrepreneur de bâtiment pour un manufacturier, un maçon.” Cet article se trouve dans le tome 5 paru en 1755 donc la même année que l’Essai de Cantillon, on ne peut pour autant attribuer à Cantillon une quelconque influence car la définition de l’Encyclopédie reprend tout simplement celle du Dictionnaire universel de commerce,

d’histoire naturelle, d’arts et de métier, “ouvrage posthume de

Jacques Savary des Bruslons, continué et donné au public par Philémon-Louis Savary’, dont la 1ère édition est de 17232. On y

* décembre 1986; Université des sciences sociales de Toulouse

1 J.A. Schumpeter, History of Economic Analysis, Londres, 1954, Allen and

Unwin, p. 555. Schumpeter cite, par ailleurs, des auteurs antérieurs utilisant le terme d’entrepreneur. Schumpeter connaissait admirablement bien les économistes français aussi nous voyons là simplement une imprécision de sa part, liée à l’inachèvement de son œuvre.

2 J. Savary des Bruslons, (1657-1716) et P.-L. Savary (1654-1727). Le

dictionnaire fut d’abord rédigé pour les besoins professionnels de J. Savary des Bruslons qui était inspecteur général de la Douane à Paris puis, il fut étendu à l’ensemble des matières commerciales. L’ouvrage a eu de

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lit en effet: ‘Entrepreneur: celui qui entreprend un ouvrage. On dit: un entrepreneur de manufactures; un entrepreneur de bâtiment; pour dire un manufacturier, un maitre-maçon.”

Mais on ne peut pas davantage créditer Jacques Savary des Bruslons dont l’ouvrage avait circulé quelques temps avant son impression de la paternité de ce terme dans son acception économique que R. Cantillon. En effet Boisguilbert l’utilisait déjà:

Tout le commerce de la terre, tant en gros qu’en détail, et même l’agriculture, ne se gouverne que par l’intérêt des entrepreneurs qui n’ont jamais songé ni à rendre service ni à obliger ceux avec qui iles contractent’3.

En outre, l’usage du terme était déjà assez répandu pour figurer dans les dictionnaires. Ainsi en consultant le Dictionnaire de

Furetière paru en 1690, on trouve:

“entrepreneur: celui qui entreprend, il se dit premièrement des architectes qui entreprennent les bâtiments à forfait. L’entrepreneur de la jonction des mers s’y est enrichi On le dit aussi des autres marchés à prix fait. On a traité avec un entrepreneur pour fournir l’armée de vivres, de munitions. “4

La difficulté pour dater un terme comme celui d’entrepreneur et plus encore pour les termes qui lui sont rattachés entreprise et entreprendre consiste à préciser l’acception économique, car leur usage est à la fois extrêmement ancien et multiple. C’est pourquoi s’il s’agissait simplement de repérer un usage on pourrait clore la discussion en renvoyant simplement aux articles entreprendre, entrepreneur et entreprise des dictionnaires d’ancien français ou étymologiques. La polysémie de ces termes

nombreuses rééditions tout au long du XVIII’ siècle; nous avons consulté; celle de 1743.

3 Factum de la France, dans Pierre de Boisguilbert ou la naissance de l’économie politique, t.II, Paris, Ined, 1966, pp. 748 et 749. (Cette mention

est citée également par H. Vérin, cf. note 5). Le Factum a été écrit entre 1703 et 1705 et publié en 1707).

4 Furetière fait allusion au Canal de Toulouse à la Méditerranée qui, ouvrait,

grâce à la Garonne, une route de navigation entre l’Océan et la Méditerranée sans le détour par Gibraltar. C’est Pierre-Paul de Riquet, né à Béziers, mort à Toulouse (1604-1680) qui ‘entreprit” ce creusement.

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est telle que l’on ne peut se baser ainsi sur les seuls linguistes et étymologistes quoique leur aide soit considérable. Hélène Vérin a consacré h ces questions un beau livre sous le titre ‘Entrepreneurs, entreprise’ mais comme l’indique son sous-titre “histoire d’une idée”, son propos est peut-être un peu trop ambitieux pour l’économiste, et de fait, c’est par ce biais, l’esprit du capitalisme naissant qu’elle s’efforce de saisir. Pour notre part, nous avons essayé plus modestement de dater l’usage du terme dans la sphère économique en nous intéressant aux aspects institutionnels (la correspondance entre le terme et des agents économiques identifiables)5.

« Entreprendre qui vient du bas latin « imprehendere » est ainsi attesté dès la fin du XIII dans des acceptions qui pourraient ne pas être dénuées d’applications économiques. “entrepreneur” ou “empreneeur” est utilisé dans la Coutume de Beauvaisis, rédigé par Philippe de Beaumanoir (1283). Cet usage très ancien est néanmoins doublement ambigu parce que d’une part le contexte ne permet pas de bien préciser qui sont les “entrepreneurs” que vise de Beaumanoir et, d’autre part, parce que l’un des manuscrits de ce texte porte “emprunteur”6. Certes, il n’y a pas

lieu de douter qu’il y ait eu des personnes « entreprenantes » dans le passé y compris en matière de production et d’échanges, mais à notre avis, l’acception économique du terme ne se précise que plus tardivement. Nous la trouvons dans les dictionnaires

5 Hélène Vérin, Entrepreneurs. Entreprise; histoire d’une idée, Paris, PUF,

1982, 262 p. Nous avons consulté les dictionnaires suivant: Nicot,. Trésor de

la langue française, Paris, 1606; J. Thierry, Dictionnaire françois-latin, Paris,

1564, Trésor de la langue française (édition du CNRS, Paris, tome 7, 1979) et directement des dictionnaires étymologiques ou de français ancien. Albert Dauzat, Dictionnaire étymologique, Paris, Larousse, 10e éd. 1938

E. Huguet, Dictionnaire de la langue du XVI’ siècle, Paris, 1925 W. von Wartburg, Französiches etymologisches Wörterbuch, 1922

Wilhelm Meyer-Lübke, Romanisches etymologisches Wörterbuch, 3e éd., Heidelberg, 1930

Tobler-Lomatsch, Alt-französiche Wörterbuch, Berlin, 1915

A. Kuhn, Die französiche Handelssprache im l7en Jahrhundert, Leipzig, 1931.

Nous avons consulté également divers dictionnaires de langues romanes et, naturellement, l’Oxford English Dictionary.

6 Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, texte publié par À

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attestée aux XVe et XVIe siècles. Ainsi le Oxford English

Dictionary mentionne les dates de 1475 et 1485 sans qu’il soit

possible de préciser si la sphère économique est bien concernée. Par contre le Petit Dictionnaire latin-français et français-latin de Charles Estienne (1559) donne à entrepreneur “susceptor, redemptor”, des équivalences reprises dans le Trésor de la

langue française de Jean Nicot (1606). Or si l’on consulte

maintenant un dictionnaire moderne latin-français comme celui de F. Gaffiot, nous trouvons:

redemptor: entrepreneur de travaux publics, de fournitures; celui qui prend à ferme (des recettes publiques), adjudicataire, soumissionnaire.

susceptor: 1) qui se charge de, entrepreneur; 2) receveur, percepteur, 3) recéleur.

De même, là encore, relevons que Cotgrave Randie, A

dictionnarie cf the French and English tongues 1ère éd., 1611,

donne la définition suivante:

“entrepreneur: celui qui se charge et qui entreprend de faire quelque bâtiment ou autre”.

Ainsi dès le XVIe, le terme entrepreneur, dans son acception dominante, s’applique à la sphère économique. Il est intéressant de s’interroger sur le glissement qui fait passer le terme de la description des faits et qualités des guerriers et chevaliers dans la France féodale aux activités économiques. Nous pensons que ce passage s’opère essentiellement au XVIe en relation avec un desserrement des disciplines imposées par les corporations et, en particulier, avec la création des manufactures. Reprenons le

Dictionnaire de Jacques Savary des Bruslons, il définit ainsi la

manufacture

« Lieu où l’on assemble plusieurs ouvriers ou artisans pour travailler à une même espèce d’ouvrages ou à fabriquer de la marchandise de la même sorte. Le lieu se nomme aussi Lieu de Fabrique. On appelle maitre de manufacture ou entrepreneur de manufacture celui qui a fait l’assemblage de ces ouvriers qui a formé l’établissement de ce lieu pour y faire travailler pour soi compte ».

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Nous trouvons, par la même occasion, une définition de l’entrepreneur combinant les facteurs de production qui annonce de beaucoup plus près celle de J.B. Say que la définition de R. Cantillon; elle est, en effet axée sur l’organisation de la production plus que sur les différentiels di prix sur les marchés. Nous pensons que ce n’est pas par hasard que cette définition de l’entrepreneur se trouve h l’article manufacture, il nous semble en effet qu’institutionnellement on peut rattacher l’entrepreneur h la manufacture et à l’incapacité des corporations h occuper de façon satisfaisante la totalité de la sphère économique. Les manufactures”-e tant que cellules économiques bénéficiant de privilèges et dérogeant l’organisation des métiers- seraient apparus dans la fabrique de la soierie à Lyon en 1466 sous le règne de Louis XI mais le règne de Henri I (1589-1610) constitue un tournant en France dans le sens d’un organisation économique s’écartant des pratiques moyenâgeuses, en particulier, grâce aux efforts en ce sens de Laffémas7. Colbert

devait donner une nouvelle impulsion aux manufactures au XVIIe - J. Van Robais, marchand hollandais attiré en France par Colbert est désigné comme « entrepreneur » dans la lettre patente d’octobre 1665 qui permet la création de la manufacture d’Abbeville (Picardie)- et traduire les nouvelles relations économiques et commerciales dans son ordonnance de 1673 (précisément inspirées par Jacques Savary, le père de J. Savary des Bruslons, et connues sous le nom de Code Savary8. La

croissance du nombre des manufactures (toutes ne furent pas des succès) fut en tous les cas régulière jusqu’à la Révolution. F. Bouquerel estime qu’il y en avait 68 avant Colbert, qu’il en fut créé 113 sous Colbert, 243 jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et 158 entre 1758 et la Révolution, soit 582 en tout. Contrairement aux autres activités économiques, les nobles pouvaient être

7 Nous avons utilisé sur le développement des manufactures les informations

rassemblées dans F. Bouquerel, Vers une nouvelle économie de marché, Ouest-France, 1986; Barthélémy de Laffémas, (1545-1612), contrôleur, général du commerce en 1602, il a été un des artisans du relèvement économique de la France sous Henri IV il écrivit notamment Du commerce

de la vie du loyal marchand t du bien qu’il fait au peuple du royaume (1606). 8 Jacques Savary (négociant, 1622-1690) a écrit un traité Le parfait négociant

(1675), également cité par Schumpeter. A. Dauzat semble en faire la 1ère édition du Dictionnaire universel de commerce.

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entrepreneurs de manufactures sans déroger ce qui a du faciliter le glissement de sens évoqué ci-dessus.

Enfin, il n’est pas interdit de rapprocher notre hypothèse sur l’origine de l’usage du terme entrepreneur de l’une des acceptions du verbe entreprendre: ‘entreprendre sur’ signifiait (cf. Furetière) empiéter sur, càd un des conflits nés des corporations qui délimitaient les activités de chaque corps de métiers entrainant des problèmes de ‘frontières’ qui alimentaient un grand nombre de procès.

Pour terminer, on peut noter que l’archétype de l’entreprise ne semble pas non plus avoir été l’entreprise individuelle comme le laisse entendre Mrs J. Robinson dans The Accumulation of

Capital où elle écrit: « In the early days of capitalism, the typical

entrepreneur was the individual who had invested his own finance in a business which he managed himself and bequeathed to his heirs as a going concern9”. L’entrepreneur des

manufactures représentait souvent une association voire une compagnie et en 1699, quand Fénelon rédige les Nouvelles

Aventures de Télémaque destinées à parfaire la formation du

Dauphin, il prend soin d’indiquer parlant d’activités économiques conduites sagement : « Ils faisaient en société les entreprises qu’ils ne pouvaient pas faire seuls.10»

A. Alcouffe; décembre 1986

9 J. Robinson, snde éd., Londres, 1966; L’accumulation du capital, trad.

franç. Paris, Dunod, 1972, p.5.

10 Le Littré signale cet usage relatif à une forme institutionnelle d’activité

économique, fin XVIIe, du mot entreprise dans le XIIe livre de Fénelon. Dans l’édition A. Cahen, la citation figure au Xe livre, lignes 490-1. Le contexte montre que Fénelon s’inquiétait de la confusion du patrimoine de l’entrepreneur et de celui de l’entreprise. Il souhaitait qu’un entrepreneur ne puisse engager plus de la moitié de ses biens; plus généralement il était favorable une assurance pour les entrepreneurs et dans ce cadre il se prononçait pour des entreprises sociétaires dans cette ouvrage dont la première édition date de 1699.

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II)

Les premiers développements de l'analyse de l'entrepreneur:

Cantillon, Say, Saint-Simon.

C'est Cantillon qui distingua le premier, au milieu du XVIIIe siècle, nettement la fonction d'entrepreneur de celle de du capitaliste ou du manager. Cantillon remarquait que les écarts entre offre et demande sur les marchés créaient des occasions d'acheter bon marché et de vendre cher. Il appelait ceux qui tirent parti ce ces profits potentiels des "entrepreneurs", c'est à dire des individus qui sont disposés à acheter à "un prix certain" et à vendre à "un prix incertain" 1. Dans la présentation de

Cantillon, l'entrepreneur n'est tout d'abord qu'un synonyme de marchand ("l'entrepreneur ou marchand") mais il apparait vite que le rapprochement était surtout pédagogique: Cantillon souhaite faire comprendre la notion d'écart de prix sur lequel joue l'entrepreneur. Mais si la fonction d'entrepreneur ne comporte pas nécessairement de processus de production entendu comme une transformation de matière première en produit, elle peut inclure une telle transformation des produits achetés à prix certain et Cantillon cite de nombreux exemples à commencer par le fermier. Il faut noter également que cet "entrepreneur" n'emploie pas nécessairement de travail salarié: le travailleur indépendant qui assume cette incertitude du prix de vente (ou des quantités vendues de ses produits est un entrepreneur au sens de Cantillon. De même l'entrepreneur n'est pas nécessairement propriétaire des capitaux qu'il met en œuvre et Cantillon prend le cas d'un 'compagnon chapelier" qui "sans fonds peut entreprendre la même manufacture en empruntant de l'argent et des matériaux"2. Ainsi la fonction d'entrepreneur

d'après Cantillon est affaire de prévision et d'assomption des risques qui ne sont pas nécessairement liés à quelques processus

1 R. Cantillon, Essai sur la nature du commerce en général, Paris, 1755; nous

avons utilisé l'édition de l'Institut national d'études démographiques reproduisant en fac-simile l'édition originale; la définition de la fonction d'entrepreneur se trouve pp.29 à 33.

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productifs. Son rôle est particulièrement important pour mettre en communication des offres et des demandes éloignées les unes des autres dans le temps ou dans l'espace et c'est précisément ce type d'arbitrage qui conduit les marchés à l'équilibre: "en général, les prix actuels des marchés ne s'écartent pas beaucoup de la valeur intrinsèque"3.

Adam Smith lut Cantillon sans que son analyse de l'entrepreneur retint son attention et il revint à J.B. Say de développer les distinctions entrepreneur/capitaliste et entrepreneur/manager. J.B Say part de la définition de Cantillon: "l'entrepreneur est celui qui est chargé de tous les risques de la production"4. Mais

il précise que la fonction d'entrepreneur consiste à combiner les services productifs des différents facteurs de production et à introduire la rationalité dans la vie économique. Tout d'abord, il insiste sur ce rôle d'intermédiaire joué par les entrepreneurs, rôle de coordination consciente qui concrétise la coordination inconsciente du marché ou se substitue à lui5: "Les entrepreneurs

d'industrie ne sont pour ainsi dire que des intermédiaires qui réclament les services productifs nécessaire pour tel produit en proportion de la demande de ce produit"6. Mais pour J.B. Say

cette fonction est loin d'être secondaire et permet la rationalisation de la production: "(..) l'entrepreneur d'industrie est l'agent principal de la production. Les autres opérations sont bien indispensables pour la création des produits; mais c'est l'entrepreneur qui les met en œuvre, qui leur donne une impulsion utile, qui en tire les valeurs. C'est lui qui juge les besoins et surtout les moyens de les satisfaire et qui compare le but avec ces moyens; aussi sa principale qualité est-elle le

3 ibidem, p. 67.

4 J.B Say, Cours d'économie politique,, cité dans Jean-Baptiste Say (textes

choisis et préface par P.L. Reynaud), Paris, Dalloz, 1953.; p.134.

5 Sur ce point, cf R.H. Coase, Economica, 1937; la fonction de l'entrepreneur

dans le marché et comme substitut du marché est analysée dans A. Alcouffe,

Pouvoir et Entreprise, Toulouse, 1976.

6 J.B.Say, "Traité d'économie politique", 6e édition, 1841, p. 349. L'analyse

de l'entrepreneur par J.B. Say avait été remarquée par C. Gide et Rist dans leur Histoire des Doctrines Économiques, cf. par exemple 7e édition, pp.123-124

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jugement"7. Cette fonction et le type de risques encourus sont

différents de ceux du capitaliste comme de ceux de l'ouvrier et J.B. Say insiste longuement sur les tâches de l'entrepreneur ainsi que sur les qualités nécessaires. Elles sont si nombreuses et variées que l'offre des services d'entrepreneur est limitée; il faut, en effet (1) les "capacités morales" requises, (2) le capital suffisant, (3) supporter l'incertitude de la rentrée des profits8.

C'est cette rareté de l'offre de services d'entrepreneur qui justifie leurs revenus.

L'accent mis par J.B. Say sur le rôle de l'entrepreneur doit être rapproché de l'industrialisme de son contemporain Saint-Simon. D'ailleurs, la 4" édition du Traité date de 1841 et contient de nombreuses différences avec la première de 1803 dans lesquelles il n'est pas interdit de voir des réactions aux thèses saint-simoniennes9. Quoiqu'il en soit Saint-Simon profondément

marqué par J.B. Say va développer l'industrialisme latent de ce dernier et faire de l'entrepreneur la figure centrale de sa conception de la société. La terminologie de Saint Simon peut induire en erreur car il parle parfois de producteur ou d'industriel en englobant sous ces vocables tous ceux qui participent directement à la production (les "abeilles" par opposition aux "frelons") pourtant "l'industriel" de Saint Simon est le plus souvent "l'entrepreneur". Il est vrai que si Saint Simon insiste sur l'organisation de la production il ne croit pas à la différence de Say que cette capacité soit rare. Il pense en effet que l'administation de l'entreprise peut s'apprendre et il cite l'exemple des faillites intervenues au commencement de la

7 J.B. Say, Cours, op. cit., p. 118. 8 ibidem, p. 34 et suivantes

9 Si Saint Simon reconnait l'influence qu'il a reçue de J.B. Say, celui-ci ne cite

pas explicitement Saint-Simon dans la 4' édition du "Traité", pourtant il était parmi les souscripteurs de "L'industrie" et une note polémique de la page 85 le vise sans doute et affirme l'antériorité des analyses de Say: Plusieurs auteurs ont au lieu du mot industrieux adopté le mot industriel. Cette dernière terminaison semble dans notre langue réservée aux adjectifs; c'est ainsi qu'on dit: les arts industriels pour exprimer les arts qui dépendent de L'industrie (..) mais quant aux hommes qui ont de l'industrie, il me semble que l'on fait mieux de les appeler des industrieux (..) Tel est le sens dans lequel je les ai employés l'un et l'autre dans mon Traité, longtemps avant que l'on songeât à l'un ou à l'autre". (voir aussi Traité, p.586)

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Révolution et le remplacement des entrepreneurs par de simples ouvriers "qui se sont montrés plus intelligents et plus actifs que leurs prédécesseurs"10. Ce succès n'est pas le résultat d'une

connaissance empirique d'un domaine d'activité, en effet pour Saint Simon il y a une fonction particulière d'organisation: "C'est une erreur de croire que les chefs d travaux industriels ne possèdent que les connaissances relatives à la branche d'industrie qu'ils exploitent. Il y a une capacité qui leur est commune à tous: c'est la capacité administrative (..). Cette branche de nos connaissances est devenue aujourd'hui une science positive"11. Cette passion de l'organisation va conduire

Saint Simon à préconiser de confier le gouvernement directement aux entrepreneurs, en effet puisque ce sont les industriels qui ont acquis de par leur expérience les meilleures compétences en administration il est normal de leur confier l'administration des affaires publiques dans l'intérêt de tous: "par la nature des choses, les chefs des entreprises industrielles qui sont les véritable chef du peuple, puisque ce sont eux qui ont le commandement dans ses travaux journaliers) tendront toujours directement et pour leur propre intérêts , à donner le plus d'extension possible à leur entreprises et il résultera de leurs efforts à cet égard le plus grand accroissement possible de la masse des travaux qui sont exécutés par les hommes du peuple12." Finalement cette passion de l'organisation va séparer

Saint Simon et les Saint-simoniens du libéralisme, en effet, la concurrence n'est fondée sur aucun principe d'organisation. Certes, ils reconnaissent l'aspiration au bien des chefs d'entreprises de sorte que "l'ordre puisse jaillir spontanément du désordre, l'union de l'anarchie, l'association de l'égoïsme". Mais l'employeur individuel peut se méprendre sur son intérêt comme sur celui de la société et abuser de son pouvoir de marchandage pour peser sur les salaires. Enfantin qui théorisa les théories saint simoniennes distingue l'effet de la concurrence sur les

10 C.H. de Saint Simon, La physiologie sociale, (œuvres choisies), Paris, Puf

1965.p.148. Le passage cité est de 1825. X. Freixas a étudié "L'esprit d'entreprise dans l'héritage de Saint Simon", in Mélanges offerts, à Max

Cluseau, Presses de l'IEP, Toulouse, 1985 11 ibidem, pp.125.6

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salaires et sur la technique de production ou selon ses termes, la concurrence sur les personnes et sur les choses. La première lui parait contraire à l'intérêt général tandis que la seconde le sert. En outre, l'anarchie de la concurrence peut conduire à une mauvaises répartition des ressources économiques. En effet les fonds susceptibles d'être investis ne sont pas sous le contrôle des industriels mais des propriétaires qui n'ont que peu de relations avec l'administration des entreprises.

Pour remédier à ces inconvénients de la concurrence, Enfantin préconise une solide organisation des entreprises par branches dominée par une banque spécialisée dans le financement des activités du secteur, véritable germe du groupe financier.. Mais l'organisation des entreprises à l'intérieur de leur secteur d'activité n'est qu'une partie de la rationalisation. Les exigences concurrentes des différents, secteurs pour le contrôle des ressources productives de la société demandent une institution capable d'évaluer la validité de ces exigences. Au sommet de la société des producteurs se trouve placé la banque centrale"13.

Ainsi dans l'organisation économique, le Saint Simonisme débouche sur une centralisation financière, l'apologie des entrepreneurs sur l'État entrepreneur. Si l'État est promis au dépérissement lorsque la politique parvient au rang de science positive, cela ne concerne que les instances de décisions politiques qui deviennent superflues, tandis que ses fonctions économiques s'accroissent. Celles-ci ne sont pas simplement d'administration mais l'État est un entrepreneur qui rationalise l'industrie et pour cela qui innove.

Certes, le succès des thèses saint simoniennes devait être assez limité mesuré à l'aune de leur projet de réforme sociale par contre les réalisations des saint simoniens dans l'industrialisation de la France du XIXe sont tout à fait impressionnantes.

13 E.S. Mason, "Saint Simonism and the rationalisation of industry", QJE,

1931, p.673. E.S. Mason, un des pères de l'économie industrielle américaine contemporaine a commencé son cursus par un séjour en France pour étudier Saint Simon.

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III)

R. Hilferding et le développement de l'analyse marxiste de la concentration.,

Rudolf Hilferding est né en 1877 dans une famille juive "de Vienne où son père était employé dans une compagnie d'assurances1. Après le lycée, il fit des études de médecine. Mais

dès l'âge de 15 ans il avait adhéré à l'Association des Étudiants Socialistes et son itinéraire intellectuel est étroitement lié à l'austro-marxisme florissant à Vienne au tournant du siècle. Hilferding devint rapidement un auteur réputé dans la IIe internationale et il renonça après quelques années à l'exercice de la médecine pour se consacrer à la recherche théorique en économie et à des activités militantes dans la social-démocratie d'abord en Autriche puis en Allemagne. Après la Ie guerre mondiale, il prit, d'ailleurs, la nationalité allemande et orienta ses activités vers la politique de sorte que le Capital Financier écrit entre 1902 et 1910, resta une œuvre isolée dont la réception souffrit, en outre, de l'orientation ultérieure de son auteur. En effet, les débats dans le mouvement socialiste avant 1914 portaient davantage sur l'attitude à adopter pour empêcher la guerre qui menaçait l'Europe que sur les analyses économiques des mécanismes concurrentiels du capitalisme et leur évolution de sorte que l'évaluation des apports de Hilferding se fit à travers le prisme déformant des alliances de courants politiques. Hilferding ne s'était pas résigné à la passivité de la social-démocratie face à la guerre, mais partisan de la voie parlementaire, il rejeta les vingt-unes conditions posées pour l'adhésion à la IIIe Internationale de sorte que Lénine qui voyait au printemps 1916 dans le Capitalisme Financier du "marxiste autrichien Rudolf Hilferding une "analyse théorique éminemment précieuse" prévenait les lecteurs français et

1 Nous tirons la présentation de la biographie de Hilferding de la remarquable

introduction que Yvon Bourdet a donnée à l'édition française du Capital Financier, Paris, éditions de Minuit, 1970. Schumpeter présente assez longuement l'austro-marxisme et dit du livre d'Hilferding qu'il en est "the most famous performance". (cf. History of Economic Analysis, Allen & Unwin, Londres, snde impression, 1955, p.881.)

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allemands en juillet 1920 que "l'ancien "marxiste", aujourd'hui compagnon d'armes de Kautsky (...) avait fait un pas en arrière par rapport à l'Anglais Hobson, pacifiste et réformiste déclaré'2

Dans la République de Weimar, son activité politique le conduisit par deux fois au Ministère des finances, mais son passage fut de trop courte durée pour qu'il ait la possibilité de mettre en œuvre la politique économique qu'il préconisait. Ces activités -outre un mandat de député, il dirigeait une revue du SPD- étaient suffisamment intenses pour l'empêcher de reprendre ses recherches théoriques comme il l'aurait souhaité. Avec l'arrivée de Hitler au pouvoir, il dut quitter l'Allemagne pour se réfugier, d'abord, en Suisse, puis, en France, mais livré par la police française à la Gestapo, R. Hilferding devait disparaitre en 1941.

Le Capital financier comprend cinq parties 1') l'argent et le crédit, 2') la mobilisation du capital; le capital fictif; 3') le capital financier et les limitations de la libre-concurrence; 4') le capital financier et les crises; 5') la politique économique du capital financier. C'est la cinquième partie qui devait retenir l'attention dans, le mouvement socialiste avant la l' guerre mondiale et être une des sources d'inspiration de la théorie léniniste de l'impérialisme. Hilferding y tirait rapidement quelques conclusions de son étude de l'évolution de la structure des grandes entreprises capitalistes et de leurs rapports avec les banques. Ces conclusions étaient très ambivalentes puisque, d'une part, il montrait la relation étroite entre l'impérialisme et l'évolution des formes de concentration et, d'autre part, les possibilités croissantes de prise de pouvoir par le prolétariat. En effet, "le capital financier met la disposition de la production sociale entre les mains d'un petit nombre de grandes associations du capital ; il sépare la direction de la production de la fonction de la propriété et socialise la production jusqu'à la limite qu'il est

2 V. Lénine, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916, repris dans

Oeuvres, Éditions sociales, Paris, Éditions du Progrès, Moscou, 1960, tome 22, p.209 et 212. J. Hobson, 1858-1940, était un auteur critique vis-à-vis de la théorie économique néo-classique, ses ouvrages retinrent l'attention de Lénine mais aussi de Keynes pour sa théorie de l'excès d'épargne.

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possible d'atteindre à l'intérieur du capitalisme" 3. Cette

concentration qui permet à une toute petite minorité de se servir de l'Etat pour ses propres intérêts devrait faciliter l'action politique prolétariat car "le capital financier rend la dictature des maitres du capital d'un pays déterminé de plus en plus incompatible avec les intérêts capitalistes des autres pays et la domination du capital à l'intérieur d'un pays de plus en plus incompatibles avec les intérêts des masses prolétaires exploitées par la capital financier mais appelées par lui à la lutte" 4.

Mais si Hilferding débouchait ainsi directement sur des problèmes de stratégie politique, son livre contient des analyses tout à fait remarquables d'économie industrielle intéressantes en elles-mêmes, malheureusement trop peu connues. Le propos de Hilferding était de prolonger l'analyse de Marx pour l'appliquer au capitalisme tel qu'il s'était développé depuis la rédaction du Capital. Dans cette entreprise, Hilferding se réclame d'une conception ouverte du marxisme comme l'indiquait la préface qu'il cosigna avec Max Adler pour le premier numéro des

Marx-Studien, il s'agissait de faire évoluer la doctrine de Marx "en

enchainant et en confrontant sans cesse ses acquis avec ceux des études philosophiques et scientifiques de leur époques"5. C'est

pourquoi si Hilferding utilise les analyses de Marx, surtout le Livre Il et le Livre III, c'est dans un esprit rien moins que fondamentaliste et non seulement il mettra en doute la pertinence des choix opérés par Engels pour publier les livres Il et III à partir des manuscrits laissés par Marx, mais il affirmera la nécessité de prolonger les analyses de Marx et le cas échéant de les réviser.

La première partie de l'ouvrage de Hilferding représente une tentative pour élaborer une théorie de la monnaie rompant le lien étroit de la monnaie et des métaux précieux que l'on trouve dans le Capital. C'est d'ailleurs "sur cette théorie de la monnaie de

3 Le Capital Financier, p.492 4 ibidem, p.496

5 Marx-Studien (= Etudes Marxistes, revue de l'austro-marxisme; le premier

numéro parut en 1904 et contenait une critique par Hilferding de Böhm-Bawerk. cf. Yvon Bourdet, Introduction au Capital Financier.

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Hilferding que se concentrèrent les critiques "marxiste" dans laquelle ils ne voulaient voir qu'une théorie autrichienne de la monnaie ou un retour à Ricardo"6. Il est exact que l'on ne peut

manquer de relever diverses analogies entre les thèses exposées (et la méthode d'exposition elle-même) par Hilferding et celles par exemple d'un Wicksell ou de von Wieser et cela illustre bien la liberté d'allure de la recherche de Hilferding. Mais cette question est, en réalité, secondaire, le but de Hilferding étant moins de construire une théorie de la monnaie que d'étudier les rapports entre les banques et les entreprises industrielles d'une part, entre l'intérêt et le profit d'autre part. Pour étudier ces rapports, il est amené à reprendre l'analyse de Marx du cycle du capital en l'adaptant à l'évolution de la structure juridique de la grande entreprise capitaliste (la société par action). Il va ainsi définir le "capital financier": "J'appelle le capital bancaire, -par conséquent capital sous forme d'argent, qui est (..) transformé en réalité en capital industriel- le capital financier. Par rapport aux propriétaires, il conserve toujours sa forme d'argent, capital portant intérêt et il peut toujours être retiré sous forme d'argent. En réalité la plus grande partie du capital ainsi placé par les banques est transformée en capital industriel productif (moyens de productions et force de travail) et fixée dans le processus de production. Une partie de plus en plus grande du capital employé dans l'industrie est du capital financier, capital à la disposition des banque et employé par les industriels."7 Le rôle

de la société par actions dans cette transformation du capitalisme est essentielle aux yeux de Hilferding qui en fait ressortir les principales conséquences:

1) la dissociation direction-propriété:

6 Yvon Bourdet, ibidem, p.42. S. De Brunhoff a étudié les théories

monétaires de Hilferding dans L'offre de monnaie,, Paris, Maspero, 1971; elle admet que "(sa) conception reflète certainement une étape de l'histoire du capitalisme allemand. Cependant elle a l'inconvénient de se présenter alors qu'elle correspond à un phénomène transitoire , comme une mise en cause des rapports structuraux constituant le capitalisme".(p.91). Malheureusement, elle ne nous donne aucun élément permettant d'apprécier ce qu'elle estime "transitoire" dans le mouvement décrit par Hilferding..

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Hilferding relève tout d'abord "l'importance de la séparation entre propriété du capital et sa fonction pour la direction de l'entreprise". En effet, à la différence du capitaliste individuel souvent chez qui sommeille toujours la tendance à l'exploitation forcée, chez les directeurs, plus de place est accordée aux intérêts à long terme de la société de sorte que pourra se manifester "une tendance plus énergique, plus hardie, plus rationnelle". Et également, "la société par actions est en cela supérieure à l'entreprise individuelle que chez elle les conditions et les besoins purement économiques s'imposent également contre les conditions de la propriété individuelle qui peuvent en certaines circonstances, entrer en conflit avec les nécessités technico-économiques." 8 Cette supériorité de la société par

actions ne parait pas à Hilferding amoindrie par des divergences d'intérêts éventuelles entre les dirigeants de la société par actions et les propriétaires, en effet, d'une part, les directeurs salariés reçoivent une part non négligeable de leur rémunération sous forme de tantièmes ou d'actions et, d'autre part, la société par actions n'élimine pas les actionnaires (et particulièrement les gros) de la direction mais opère plutôt une sélection parmi les propriétaires9.

2) la démultiplication de la propriété économique:

8 ibidem, pp.189-190. Hilferding affirme dans les premières pages de son

analyse de la société par actions que sa "conception de la société par actions va plus loin que celle développée par Marx". Mais il rappelle, à juste titre, l'esquisse que l'on trouve dans le livre III (Éditions Sociales, pp.100-107; sur les théories du pouvoir dans la société par action et la position de Marx, cf Alain Alcouffe, Pouvoir et Entreprise,, thèse Sc. Eco, Toulouse, 1976).

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En effet, Hilferding remarque que le placement stratégique des capitaux permet à leur propriétaire d'accroitre considérablement leur contrôle. C'est que "le pouvoir de disposition sur l'ensemble de l'entreprise est entre les mains des détenteurs de la majorité du capital-actions. Pour pouvoir disposer de la société par actions il ne faut posséder par conséquent que la moitié du capital (...). Cela double la puissance des gros capitalistes." Hilferding va plus loin et trente ans avant Berle et Means, il note l'existence de contrôle minoritaire " en fait le montant du capital qui suffit pour contrôler la société par actions est d'ordinaire encore plus faible, et va d'un tiers à un quart du capital et même moins". La conséquence logique de cette dichotomie de la propriété est la constitution de groupes que Hilferding a parfaitement perçue: "Un gros capital contrôlant une société par actions aura un poids beaucoup plus grand encore s'il ne s'agit plus d'une seule société mais de tout un réseau de société dépendant les unes des autres." Ainsi "se forme une technique financière particulière, dont la tache est d'assurer à un capital extrêmement faible le contrôle d'un capital étranger considérable"10.

3) la dialectique banque industrie

Ainsi pour la grande masse des actionnaires, leur action est réduite à une simple créance, de sorte que pour eux le dividende n'est guère qu'un intérêt. La société par action permet de réaliser une concentration des capitaux indépendante de la concentration de la propriété, mais, dans ce rôle, elle concurrence directement la banque et c'est pourquoi Hilferding s'attarde longuement sur les rapports entre banque et société par action. Tout d'abord, la concentration dans l'industrie provoque une concentration des banques parce que la mobilisation des capitaux que requiert la grande société par action exige un partenaire bancaire de taille suffisante et parce que les banques par fusion cherchent à acquérir la taille leur permettant d'échapper à la tutelle de ce nouveau capital industriel. Hilferding estime que les rapports entre la banque et l'industrie sont très complexes: "l'entreprise industrielle qui possède une supériorité technique ou

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économique s'efforce de conquérir le marché et d'obtenir, après avoir éliminé ses adversaires, un surprofit (...). Mais la victoire de cette entreprise est la défaite d'une ou plusieurs autres auxquelles banque est également intéressée". C'est un véritable dilemme pour la banque, par ailleurs, "intéressée à obtenir un profit le plus élevé possible" ce qui n'est possible que par "l'élimination complète de la concurrence dans une branche de l'industrie"11. Finalement, le capital bancaire est amené à

s'investir de plus en plus dans l'industrie. "Elle (=la banque) devient ainsi dans une mesure croissante capitaliste industriel". C'est cette interpénétration du capital bancaire et industriel qui donne naissance au "capital financier"12.

Conclusion: Le capital financier, livre prophétique.

En insistant sur la genèse du capital financier, nous n'avons que partiellement rendu justice au livre de R. Hilferding qui fourmille d'analyses d'économie industrielle (par exemple: la taille absolue, barrière à l'entrée, les rapports industrie-distribution, la multi nationalisation des entreprises), mais sans doute est-ce cette analyse des potentialités de la société par action qui constitue l'essentiel de son apport et c'est à juste titre que Herbert Marcuse écrivait que " das Finanzkapital est encore l'un des documents les plus importants et les plus "prophétiques" de la théorie marxienne"13.

11 ibidem, p.271. 12 ibidem, pp.314.319.

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