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Entrepreneuriat et travail dans un commerce engagé : exploration du sens et panorama des pratiques des acteurs

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Academic year: 2021

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ENTREPRENEURIAT ET TRAVAIL DANS UN COMMERCE ENGAGÉ:

EXPLORATION DU SENS ET PANORAMA DES PRATIQUES DES ACTEURS

MÉMOIRE PRÉSENTÉ

COMME EXIGENCE PARTIELLE DE LA MAÎTRISE EN SOCIOLOGIE

PAR

CATHERINE JAUZION

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Avertissement

La diffusion de ce mémoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.ü1-2üü6). Cette autorisation stipule que «conformément à

l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à

l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.»

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Je tiens à remercier chaleureusement ma directrice, la professeure Anne Quéniart, qui m'a offert de travailler à ses côtés comme assistante de recherche et qui m'a soutenue dans la rédaction de mon mémoire. Je veux la remercier pour son support constant et ses remarques toujours justes et inspirantes. Je voudrais aussi souligner l'apport de Julie Jacques, ma fidèle collègue de travail du Groupe de recherche sur l'engagement contemporain, grâce à qui j'ai beaucoup appris. Un merci énorme à Carolyne Grimard pour m'avoir offert un espace idéal pour la rédaction de mon mémoire et pour s'être montrée fabuleusement disponible et généreuse à mon égard. Deux autres énormes mercis à Caroline Reeves, ma collègue, amie et relectrice de toujours et à Pascal Laplante pour son extraordinaire et très consciencieuse relecture finale.

J'aimerais également remercier ma famille et mon amoureux qui m'ont encouragée à poursuivre mes études et qui m'ont soutenue dans ma rédaction. Mes remerciements vont aussi à toute l'équipe du Café Touski : vous êtes tous et toutes des sources d'inspiration formidables.

Je remercie enfin tous ceux et celles qUi ont participé à ce mémoire en m'accordant de leur précieux temps lors des entrevues.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES vi

RÉSUMÉ vii

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1 6

.MISE EN CONTEXTE 6

1.1 La consommation responsable: une notion qui renvoie à plusieurs pratiques 6 1.2. Entrepreneurs responsables ou entrepreneurs sociaux? 10

1.2.1 L' entrepreneuriat social aux États-Unis Il

1.2.2 L' entrepreneuriat social au Québec 13

1.3 Responsabilité sociale des entreprises 18

CHAPITRE II 21

CADRE THÉORIQUE 21

2.1 Concept de l' engagement.. 21

2.1.1 Émergence de nouvelles formes d' engagement. 23

2.1.2 Le consumérisme politique 24

2.1.3 La résistance au quotidien 26

2.1.4 Un lieu d'expérimentation du politique 27

2.2 Le concept de nouveaux mouvements sociaux 29

2.2.1 L'émergence de nouveaux mouvements sociaux 29

2.2.2 Mouvements sociaux et nouveaux mouvements sociaux 31 2.2.3 L'émergence de nouveaux mouvements sociaux économiques 33

CHAPITRE III 37

ORIGINES ET PROCESSUS DE RECHERCHE 37

3.1 Le Café Touski; défendre des utopies par le biais d'expériences concrètes 37 3.1.1 Le Café Touski : présentation et genèse du projet 38

(5)

3.1.2 Focus groupe exploratoire 40 3.2 Recherche du Groupe de recherche sur l'engagement contemporain 44

3.2.1 Présentation de la recherche 45

3.2.2 Sentiment de responsabilité (conscience)'et de pouvoir (agir) 45 3.2.3 De soi vers l'autre. Sens de la consommation, des motivations égoïstes aux

motivations altruistes 47

3.2.4 Face à la complexité, mise en place d'une échelle de valeurs 49

3.2.5 Vers une mutation de l'engagement.. 51

CHAPITRE IV 53

MÉTHODOLOGIE 53

4.1 Choix de la méthode et processus d'échantillonnage 53

4.2 Confidentialité 55

4.3 Réalisation des entrevues 55

4.4 Les méthodes d'analyse 56

4.5 Présentation des commerces 57

4.5.1 Le Bistro In Vivo 57

4.5.2 Le Café Touski 58

4.5.3 La Coop La Maison Verte 59

4.5.4 Le Café Rico 60

4.5.5 Le Santropol 60

4.6 Présentation des répondants 61

CHAPITRE V 62

TRAJECTOIRES DES RÉPONDANTS 62

5.1 Motivations chez les entrepreneurs 62

5.2 Éléments déclencheurs pour entreprendre 67

(6)

CHAPITRE VI 73

COMMERCES, CONCILIATION ET PERTINENCE 73

6.1 Commerce 73

6.1.1 Présentation du commerce et représentations 74

6.1.2 Organisation du travail 78

6.1.3 Le commerce, les travailleurs, le quartier 80

6.2 Conciliation des missions et pertinence du commerce 85

6.2; 1 Concilier le social et l'économique 85

6.2.2 Pertinence du commerce engagé 90

CHAPITRE VII 95

ENGAGEMENT ET MOUVEMENTS SOCIAUX 95

7.1 Engagement. 95

7.1.1 Engagement et militantisme 96

7.1.2 Engagements plurifonnes 99

7.2 Mouvements 105

7.2.1 Identification à des mouvements 105

7.2.2 Mouvement de la consommation responsable 107

CONCLUSION 112 APPENDICE A 117 APPENDICE B 119 APPENDICE C 121 APPENDICE D 126 BIBLIOGRAPHIE 127

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ASC: Agriculture soutenue par la communauté CFC : Chlorofluocarbure

CREDOC : Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie FAO: Organisation des Nations Unies pour l'alime

(Food and Agriculture Organization of the U

ntation

nited Nations)

et l'agriculture

FFQ: Fédération des femmes du Québec

GREC: Groupe de recherche sur l'engagement contemporain INM : Institut du Nouveau Monde

MAPAQ : Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries Québec

et de l'Alimentation du

OBNL : Organisme à but non lucratif OGM : Organisme génétiquement modifié PME: Petites et moyennes entreprises RSE : Responsabilité sociale des entreprises

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Ce mémoire propose une incursion dans le monde des entrepreneurs et des travailleurs de commerces engagés montréalais. Nous nous sommes intéressée à ce groupe d'individus proposant la défense d'idéaux par le biais de commerces en explorant à la fois leurs pratiques, mais également le sens qu'ils donnent à ce qu'ils font. Il nous est apparu qu'en termes de consommation responsable, il est rarement question des acteurs de l'offre et nous avons trouvé intéressant d'aller à leur rencontre,

Nous avons ciblé cinq commerces qui offrent à leur clientèle des produits de consommation responsable et mettent également de l'avant des missions sociales, environnementales ou culturelles. Au sein de ces commerces que nous qualifierons d'engagés, nous avons réalisé dix entrevues semi-dirigées, rencontrant dans chacun d'eux un entrepreneur et un travailleur, en espérant ainsi pouvoir comparer leurs points de vue. Parmi les cinq commerces, deux sont incorporés, deux sont des coopératives de travail et un seul est une coopérative de solidarité. Dans un premier temps, nous nous sommes intéressée aux trajectoires des individus, le but étant de comprendre ce qui amène les entrepreneurs et les travailleurs à s'investir dans ce genre d'activité. Dans un deuxième temps, nous avons voulu mieux connaître ces commerces qui œuvrent à la fois au cœur du social et de l'économique, et ainsi explorer les pratiques quotidiennes des acteurs. Dans un troisième temps, nous nous sommes penchée sur les difficultés de la conciliation des deux missions (sociale et économique) des commerces engagés et nous nous sommes intéressée aux moyens mis en œuvre par les acteurs afin de pouvoir réaliser cette conciliation de manière satisfaisante. Dans un quatrième temps, nous avons voulu voir le sens qu'accordent les répondants à leurs pratiques, aux valeurs défendues, mais également savoir pourquoi il est pertinent, selon eux, de défendre des idéaux par le biais d'un commerce. Enfin, nous nous sommes également questionnée sur le rapport à l'engagement à travers le travail, l'entrepreneuriat et la consommation responsable en explorant les théories portant sur l'émergence de nouvelles formes d'engagement. En lien avec les questions que pose la redéfinition du concept d'engagement aujourd'hui, nous avons également voulu situer la consommation responsable et ses acteurs au sein des nouveaux mouvements sociaux.

MOTS CLÉS: entrepreneuriat social, commerce engagé, consommation responsable, engagement, mouvements sociaux.

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La consommation responsable, communément associée au commerce équitablel

et à l'agriculture biologique\ est un phénomène relativement nouveau en Amérique du Nord. Bien qu'elle soit en marge de la consommation courante, elle gagne toutefois en popularité. Par exemple, au Canada, les ventes de produits certifiés équitables ont connu une croissance annuelle de 55 % depuis 2001 (Équiterre, 2007). La consommation de produits biologiques est également en hausse de 20 à 25 % par année; ces aliments sont désormais plus largement distribués, représentant environ 2 % du marché global de l'alimentation au Québec (MAPAQ, 2005). Les hausses de parts de marché de l'agriculture biologique et du commerce équitable dénotent un intérêt grandissant chez les consommateurs pour ce genre de produits. Derrière la c-onsommation responsable se trouvent également des entrepreneurs et des travailleurs, des gens agissant au sein de commerces plus ou moins spécial isés dans ce type d'offre. Les études sociologiques sur la consommation responsable sont encore peu nombreuses, particulièrement au Québec, Sïl existe quelques recherches sur les consommateurs (Micheletti, 2003; Poncelet, 2005; Quéniart, Jacques et Jauzion, 2007b), nous connaissons en revanche très peu les acteurs de I"offre, c'est-à­ dire les entrepreneurs et les travailleurs de la consommation responsable. Qui sont-ils et pourquoi font-ils ce qu'ils font? Pourquoi entreprendre tout en défendant une

1 Selon Transfair Canada. le seul organisme de cenificalion de produits au Canada. le commerce équitable vise quatre buts principaux: 1) offrir un prix juste aux producteurs; 2) encourager des pratiques environnementales favorisant un développement durable: 3) améliorer les services sociaux; 4) faire des investissements dans les infrastructures économiques locales. Source: Transfair Canada: hltp://www.transfair.ca/fr/commerceequila ble/

2 Selon I"Organisation des Nations Unies pour I"alimentation et l'agriculture (FAO). «L'agriculture biologique est un mode de gestion globale de la production qui exclut l'utilisation d'engrais et de pesticides de synthèse et d'organismes génétiquement modifiés, réduit au maximum la pollution de l'air, du sol el de J'eau, et optimise la santé et la productivité des communautés interdépendantes de végétaux, d'animaux, el d'êlres humains. » Source: FAO : http://www.fao.org/

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miSSIOn sociale et pourquoi vouloir travailler dans un commerce « engagé »? À

l'instar des études sur les consommateurs responsables, est-il possible de parler également de nouvelles formes d'engagement citoyen? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous avons voulu répondre dans ce mémoire, en nous penchant plus spécifiquement sur cinq commerces proposant des produits de consommation responsable. Ceux-ci offrent tous exclusivement du café équitable et deux d'entre eux sont également importateurs et torréfacteurs. Aucun ne propose exclusivement des produits biologiques, mais plusieurs d'entre eux en font la promotion et offrent leur espace gratuitement à la distribution des « paniers bio » du programme d'agriculture soutenue par la communauté' (ASC). Un des commerces fournit également, en alternative aux produits conventionnels d'entretien ménager ou d'hygiène personnelle, une vaste sélection de produits écologiques. Dans tous les cas, tout en proposant des produits plus « responsables », ils mettent également de l'avant une mission originale qui différente de celle des entrepJises conventionnelles et qui s'appuie sur la défense de divers idéaux. À cet égard, parce qu'ils maintiennent des missions sociales· tout en poursuivant des objectifs économiques, plusieurs d'entre eux s'affichent d'emblée comme étant des commerces « engagés », notamment dans leur dossier de presse ou sur leur site Internet.

Dans ce mémOire, nous nous intéresserons à deux types d'acteurs: premièrement, à des entrepreneurs ayant un commerce à Montréal qui offre des produits de consommation responsable tout en mettant de [' avant une ou des missions

, L'agriculture soutenue par la communauté (ASC), populairement appelée « paniers bio». est un programme coordonné par l'organisme Équiterre. II s'agit d'un partenariat mettant en relation des fermes maraîchères offrant des produits biologiques à des consommateurs. L' ASC permet d'encourager l'agriculture locale en offrant un soutien direct aux producteurs tout en permettant aux consommateurs d'avoir accès à des aliments frais et produits loca.iemenl. Source: Équiterre: b.UP.:I/w\Vw. egg iterre.9.lgLêgricu 1tu re/pan iersB ios/i ndex .RbQ

4 Nous utiliserons le terme « mission sociale» pour désigner les missions défendues par les commerces

que nous avons visités. Ces missions font réfërence à des préoccupations diverses: environnement, culture, justice sociale. égalité entre les individus. développement locaL etc. Nous avons choisi ce terme puisque. comme le rappel Brouard. « l"élément central distinguant l"enlrepreneuriat social (de l'entrepreneuriat conventionnel) est la mission sociale à accomplir» (Brouard. 2006 : 3).

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sociales. Nous désignerons ces derniers comme étant des « entrepreneurs sociaux ». Nous le verrons dans le premier chapitre, les notions « d'entrepreneuriat social» et de « consommation responsable» sont plurivoques. Ces notions à larges significations nous ont donné quelques difficultés à définir clairement quelles étaient les caractéristiques communes de ces entrepreneurs et nous avons dû bâtir nos propres critères de sélection. Le bassin de commerce montréalais pouvant se qualifier pour notre étude étant relativement restreint, nous avons choisi d'ajouter un second type d'acteurs, à la fois parce que ce dernier est complémentaire du premier, mais également parce qu'il risquait d'apporter un second regard, permettant d'affirmer ou d'infirmer certains éléments avancés par les entrepreneurs. Nous nous intéresserons donc également aux travailleurs de ces commerces « engagés ».

En résumé, dans le cadre de ce mémoire, nous nous pencherons principalement sur I"expélience d'entrepreneurs et de travailleurs de commerces « engagés» montréalais. Notre démarche s'inscrit à la suite des recherches de Jacques Ion (2001, 2003, 2005) portant sur les transformations des modes de l'engagement. Nous nous intéresserons de façon générale aux nouve]]es formes d'engagements citoyens et plus spécifïquement à I"entrepreneuriat et au travail comme formes d"engagement social dans le cadre de l'actuel mouvement de consommation responsable. Nous trouvons également intéressant d"explorer ('idée de « commerce engagé », puisqu'il s'agit certainement d"une manière non conventionnelle de faire des affaires. Nous verrons donc comment chacune de ces entreprises réussit à respecter les règles qu'impose notre système économique tout en renégociant certains aspects afin de respecter des valeurs ou des idéaux. On peut supposer que cette conjugaison de valeurs et d'impératifs économiques amène son lot de contradictions, ce qui force les individus à faire certains compromis et certaines concessions. C est pourquoi, après avoir traité des commerces en tant que tels, nous verrons comment les acteurs se débrouillent pour achever la conciliation ct la mise en œuvre des différentes missions (sociales, environnementales et culturelles) tout en

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permettant à j'entreprise de dégager une marge de profit. Enfin, nous comptons aussi nous attarder à la question que pose la notion de « mouvement social », qui ne s'applique pas de prime abord à la notion de « consommation responsable» puisqu'il s'agit le plus souvent de choix et de gestes d'individus isolés. En somme, nous verrons si les personnes rencontrées ont l'impression de faire partie d'un mouvement quelconque.

Nos pistes de recherche étaient au nombre de cinq. Elles émanaient à la fois d'une expérience personnellc au sein d'une coopérative de travail, dont nous ferons état au troisième chapitre, et d'une première analyse de cas réalisée dans le cadre d'une recherche exploratoire pOl1ant sur les entrepreneurs sociaux5

. Nous avions l'intuition que: J) le travail au sein d'une entreprise prônant une consommation plus responsable commande une conciliation entre les aspects sociaux et économiques; rengagement individuel et une volonté très forte sont par conséquent nécessaires de la part des entrepreneurs sociaux afin de maintenir la vocation sociale de

r

entreprise; 2) compte tenu de la spécificité de leur entreprise, ces entrepreneurs doivent développer des stratégies originales et des alliances à l'extérieur des réseaux conventionnels d'affaires afin de pouvoir assurer la pérennité de leur projet; 3) chez les entrepreneurs de la consommation responsable, le travail peut devenir le domaine non exclusif de leur engagement social; 4) la forme juridique de l'entreprise, soit le fait d'être une coopérative ou d'être incorporée, aurait nécessairement un impact sur l'organisation du travail et Je degré d'engagement des travailleurs; 5) à l'instar des entrepreneurs, pour les travailleurs de ces commerces, Je travail peut également devenir le domaine non exclusif de leur engagement social.

Cette recherche comporte certaines limites qui ont trait notamment à la taille de notre échantillon. En effet, celui-ci est restreint et basé sur une sélection par 5 Analyse de cas d'un entrepreneur boulanger participant activement au programme des paniers biologiques d'Équiterre. Travail effectué dans le cadre du cours d'analyse qualitative avancée.

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« choix raisonnés », variant principalement sur la base de la forme juridique de l'entreprise. Nous ne prétendons donc pas à une étude exhaustive ou même représentative des entrepreneurs et travailleurs des commerces «engagés ». Nous nous intéressons davantage à l'étude de cas précis, ce qui va nous permettre de dégager certains éléments communs, tout en abordant un sujet peu étudié. De plus, les travailleurs rencontrés n'ont pas été sélectionnés par nos soins, mais par les entrepreneurs qui désignaient le candidat de leur choix. 11 est fort probable que les travailleurs rencontrés soient, davantage que la moyenne, des individus favorables au commerce où ils travaillent.

Ce mémoire se divise en sept chapitres. Le premier chapitre est une mise en contexte et familiarisera principalement le lecteur sur les différentes notions que nous utiliserons pour circonscrire notre sujet. Le deuxième chapitre présente le cadre théorique. Les troisième et quatrième chapitres portent respectivement sur les origines et les aspects méthodologiques de notre recherche. Le cinquième chapitre marque le début des analyses et traite des trajectoires des répondants. Le sixième chapitre s'intéresse au commerce en SOI, son organisation interne et son rapport avec le quartier où il est installé. Nous traiterons également dans ce chapitre de la difficulté de conciliation des missions sociales et économiques des commerces, mais également <.le la pel1inence de leur démarche. Enfin, le septième et dernier chapitre traitera des questions touchant à l'engagement et aux mouvements sociaux.

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Notre premier chapitre pennettra une mise en contexte du sujet de ce mémoire et établira une recension des écrits. Puisqu'il n'existe pas de tenne précis pour définir les gens et le phénomène qui nous intéresse, nous proposons de construire notre propre définition à partir de concepts connexes puisés dans différentes disciplines et champs d'études, comme la sociologie économique et J'économie sociale. En effet, bien qu'ils n'en partagent pas la totalité des éléments, les entrepreneurs que nous avons rencontrés mettent en œuvre plusieurs idées renvoyant sur le plan sociologique aux concepts de « consommation responsable», d'« entrepreneur social» et de « responsabilité sociale des entreprises». Dans un premier temps, nous verrons la notion de consommation responsable, puisque notre recherche s'inscrit au cœur de ce phénomène. Dans un deuxième temps, nous expliquerons notre difficulté à nommer le premier type d'acteur de notre recherche, soit les entrepreneurs de commerces

« engagés» montréalais œuvrant au sein du mouvement de la consommation responsable, en explorant principalement la notion d'entrepreneuriat social. Enfin, nous verrons la notion de responsabilité sociale des entreprises, à l'intérieur de laquelle les commerces rencontrés semblent pouvoir s'inscrire. Nous présenterons chacune de ces notions en procédant à une coul1e introduction et à une recension des écrits pour chacune d·elles.

1.1 La consommation responsable: une notion qui renvoie à plusieurs pratiques La consommation responsable a fait son apparition dans le paysage médiatique québécois il ya quelques années seulement. Elle est plus particulièrement associée à l'agriculture biologique et au commerce équitable. Pourtant, comme le

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démontre une récente étude à laquelle nous avons participé0, ce type de consommation déborde largement de la sphère alimentaire et touche à de nombreuses dimensions de la vie du consommateur. L'idée d' « agir de manière responsable» est vaste et multifonne, s'adaptant et se transfonnant d'une personne à une autre. 11 en va de même de la consommation responsable qui peut être désignée comme telle lorsqu'il est question de choix de consommation impliquant la prise en compte de valeurs ou de positions militantes et politiques. Ainsi, basée sur les intérêts et les valeurs de chacun, la consommation se transformera tant au niveau des gestes posés que de la fréqucnce et du degré d'intensité de ceux-ci. Concrètement, certains consommateurs surveilleront leur consommation culturelle en prenant soin d"encourager des artistes d'ici ou des distributeurs indépendants. D"autres réfléchiront à leurs déplacements et choisiront des moyens de transport plus écologiques comme le vélo, le transport en commun ou le covoiturage. D'autres encore veilleront à diminuer leur consommation en eau potable et en électricité. Enfin, plusieurs porteront attention à la gestion des déchets, souvent en participant aux programmes de collectes sélectives et quelques fois en compostant. On identifie également le boycott (geste de non-achat) et le buycott (appui sous fonne d'achat) à

la consommation responsable. Certains consommateurs prôneront aussi la simplicité volontaire, soit l"action de ne pas consommer ce qui peut être réutilisé, réparé et ce dont on peut se passer (Jacques, Jauzion et Quéniart, 2006). Quelques-uns des plus convaincus s" établiront dans une communauté ou un éco-village qui prône le respect de la nature et où les résidents réduisent au maximum leurs contacts avec Je monde consumériste qui les entoure. Enfin, d'autres préféreront s'investir dans des réseaux de troc organisés, où ils pourront échanger certains produits ou services à rextérieur de la logique monétaire que nous connaissons (Leblanc, Noiseux et Sylvestro, 2005; Sylvestro et Fontan, 2005). Toutes ces pratiques, qu'elles soient marginales ou plus largement répandues, renvoient, en totalité ou en partie, à ce que l'on appelle la 6 Nous nous référons ici aux analyses sur les consommateurs responsables auxquelles nous avons participé, volet 2 de la recherche sur les mobilisations spontanées (QuéniarL CRSH 2004-2007).

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consommation responsable. En somme, on pourrait dire que la consommation responsable s'apparente à un refus de consommer de façon passive (Dietrich, 2004) par la prise en compte des impacts de nos gestes de consommation sur le monde qui nous entoure. Dans cette optique, lorsque l'on parle de consommation, « il s'agit certes, d'un acte personnel, de libre choix, mais qui concerne aussi notre environnement familial, communautaire, en relation avec le monde» (Mestin, 2003 : 152-153).

La consommation responsable a fait J'objet d'un certain nombre d'études, bien que souvent sous d'autres termes tels que ceux de consumérisme politique (Michelleti, 2003), consommation éthique (Piraux, 2006; Mestin, 2003; Tallontire, 2001), consommation verte (Mintel, 1994; Robert, 1996), consommation citoyenne (Conseil de J'Europe, 2004), consommation solidaire (Mance, 2005), consommation durable (Baddache, 2006), consom'action (Rimsky-Korsakoff, 2003) ou encore consommation engagée (CREDOC, 2002; Chessel et Cochov, 2004). Toutefois, ces différentes terminologies renvoient toutes à la responsabilité sociale et politique des consommateurs dans l'économie, et plus particulièrement dans l'acte de consommation (Ferrando Y Puig et Giamporcaro-Saunière, 2005). En effet, ridée véhiculée dans ces études est que Je «consommateur, à travers les transactions économiques auxquelles il s'adonne, est aussi un citoyen qui peut simultanément faire valoir ses opinions et ses valeurs» (Gendron et al., 2004 :5).

Les pratiques actuelles de consommation responsable s'inscrivent dans la foulée des mouvements de consommateurs des années 1970 et 1980, bien que certains auteurs désignent des événements tels que le Bosto/1 Tea Party (1773) comme étant leurs précurseurs historiques (Glickman, 1999). Ce type de consommation s'est popularisé principalement grâce aux dénonciations faites par les groupes de la société

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civile à la suite des scandales ou des catastrophes7

. Au Québec, à la fin des années 90, OXFAM-Québec et J"organisme Équiterre débuteront leurs campagnes pour la promotion du café équitable, un des fers de lance de la consommation responsable. Également, 1" encéphalite spongiforme bovine, la grippe aviaire, les organismes génétiquement modifiés, l'usage des antibiotiques et des pesticides inquiètent une part grandissante de la population qui exige de plus en plus une offre différente dans la sphère alimentaire, poussant plusieurs acheteurs à se tourner vers l'agriculture biologique. Cest toutefois Équiterre, qui s'est donné comme mission « de contribuer

à bâtir un mouvement citoyen prônant des choix individuels et collectifs à la fois écologiques et socialement équitables8 » qui popularisera la pratique de la

consommation responsable. Sa cofondatrice, Laure WarideJ, défendra l'idée selon laquelle le geste d'achat est politique et synonyme d'un certain pouvoir à travers le slogan « acheter c'est voter» (Waridel, 2005). Par différents programmes comme l'agriculture soutenue par la communauté, le transport écologique et l'efficacité énergétique, J"organisme offrira la possibilité au « consom'acteur» d'y prendre part de façon très concrète. Loin d'être circonscrite au Québec, la pratique de la consommation responsable gagne aussi du terrain ailleurs au Canada, aux États-Unis et dans plusieurs pays de l'Union européenne. Beck (2001) a d'aiJleurs démontré que les citoyens manquaient de confiance en la capacité des gouvernements à défendre leurs intérêts face aux puissants lobbys d'entreprises. Ils préféraient donc s'octroyer une responsabilité dans Je devenir de la société plutôt que de seulement confier celui­ ci aux acteurs politiques.

7 Quelques exemples: 1974 : Des groupes de la société civile provoquent un important boycott et font pression sur les imailUlions financières afin qu'elles cessenl leurs prêls au gouvernement sud-africain pro-apartheid. 1975: Une campagne de sensibilisation de Greenpeace entraîne un moratoire de la pêche commerciale à la baleine. 1985: La découverte d'un trou dans la couche d'ozone entraîne la réduction de substances polluantes comme les CFe. 1987 : Burger King voit ses ventes chuter de 12 % à la suite d'tll1 boycott lié à la disparition des forêts tropicales. 1989: Le naufrage de l'Exxon Valdez provoque une mmée noire sans précédent sur les côtes de l'Alaska et des dizaines de miJ1iers de volontaires se mobilisent pour nettoyer Je littoral.

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Il est difficile d'évaluer avec exactitude la popularité de la consommation responsable puisque les gestes posés sont nombreux, variés et qu'ils sont surtout visibles à des niveaux local et individuel. Toutefois, certaines données récentes prouvent J'intérêt grandissant pour ce type de consommation. Par exemple, à l'échelle du Canada et proportionnellement au nombre total de fermes, c'est au Québec qu'il y a le plus de fermes biologiques. En 2004, on en comptait déjà près de 900 générant des revenus entre 45 et 65 millions de dollars, le double par rapport à 2001. Pour ce qui est du commerce équitable, 1300 commerces offrent ce type de produits et la proportion de consommateurs est en constante augmentation'> (Équitcrrc, 2007). De plus, certains gestes associés à la consommation responsable comme le fait d'utiliser des sacs réutilisables pour faire son épicerie se sont récemment popularisés, étant même adoptés par les grandes entreprises de distribution alimentaire québécoises.

1.2. Entrepreneurs responsables ou entrepreneurs sociaux?

Nous J'avons annoncé en introduction, nous nous sommes intéressée de prime abord aux entrepreneurs œuvrant dans le cadre du commerce responsable. Notre premier défi a été de trouver un terme pouvant les nommer adéquatement; nous avons hésité entre deux appellations possibles. Nous avons renoncé à les désigner comme étant les pendants des consommateurs responsables en les appelant entrepreneurs responsables, principalement en raison du caractère « limité» du terme. En effet, plusieurs entrepreneurs rencontrés ont allégué qu'ils n'étaient pas toujours tout à fait responsables dans leurs actions, et même qu'il est impossible de ]" être complètement. Également, à la suite de nos analyses, il nous est apparu que les entrepreneurs rencontrés ne tentent pas seulement de faire des affaires de manière responsable, mais qu'ils s'engagent effectivement il la défense de différentes causes. Nous avons choisi de les désigner par le terme « entrepreneurs sociaux », quoique la notion, encore mal

'> Selon Équiterre, « en 2005, 16 % des Canadiens en achetaient. comparativement à g % en 2003 et à 4 % en 200 J. » Source: Équiterre :

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définie, englobe les entrepreneurs pratiquant le mécénat d'entreprise à l'américaine, ainsi que les acteurs de l'économie sociale, incluant ceux œuvrant au sein d'organismes à but non lucratif (Mair et Marti, 2005). Il importe donc, pour débuter, de présenter la notion d'entrepreneur social puisqu'il existe diverses définitions d'un pays à l'autre et qu'aucune ne cOlTespond parfaitement à notre objet d'étude. À titre de référence, nous utiliserons ici les définitions proposées par Ashoka, une organisation basée aux États-Unis offrant financement et réseautage aux entrepreneurs sociaux de la planète, ainsi que celles du Québec, fortement ancrées dans le champ de l'économie sociale. Nous conclurons en identifiant en quoi les entrepreneurs rencontrés s'apparentent aux définitions données et en quoi ils en diffèrent.

1.2.1 L'entrepreneuriat social aux États-Unis

Le terme « entrepreneur social» renvoie à diverses significations. Aux États­ Unis, il fait surtout référence au mécénat d'entreprise et aux dirigeants préoccupés par la responsabilité sociale des entreprises (RSE), concept qui, comme nous le verrons plus tard, « signifie essentiellement que celles-ci décident de leur propre initiative de contribuer à améliorer la société et rendre plus propre I"environnement» (Commission européenne, 2001 : 5). Plusieurs institutions américaines telles que la New York University, la Duke University ou la Colombia Business School ont d'ailleurs décidé de mettre sur pied des programmes de recherche et d'enseignement spécialisés sur cette question. L'organisme Ashoka est fréquemment désigné comme étant le premier à avoir fait référence aux entrepreneurs sociaux et serait même à l'origine de l'expression. Cette organisation a été mise sur pied vers le début des années 80 par Bill Drayton, qui s· est donné pour mission de « parcourir le monde pour dénicher des innovateurs SOCIaUX associant de solides compétences entrepreneuriales à un profond sens moral» (Bornstein, 2005: 19) et de soutenir leurs initiatives par le biais de bourses. L'organisation a entre autres subventionné

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une ligne d'urgence pour les enfants de la rue en Inde et un projet d'aide aux patients atteints du sida en Afrique du Sud. L'organisme soutient plutôt les projets à grande portée; au Québec, seulement deux personnes ont été admises comme Iello,-",s: le

pédiatre social Gilles Julien et le directeur d'Équiterre, Sydney Ribaux (Magazine À GOlO, 2007: 3). En 2005, l'organisation affirmait avoir soutenu plus de 1600 entrepreneurs sociaux dans 53 pays (Bomstein, 2005: 253). Reconnue comme pionnière dans le soutien à ce type d'entrepreneUliat, Ashoka partage aujourd'hui cette mission avec d'autres organisations comme Echoing Green, le centre Skoll et la fondation Schwab (Ibid: 263-264).

Selon M, Drayton, les membres de son réseau se caractérisent par le fait qu'ils marient à la fois « la passion et l'enthousiasme de créateurs d'entreprises et la conscience de militants engagés pour une cause» (Darnil et Le Roux, 2005 : 170). Il désigne J'entrepreneuriat social comme une façon concrète et originale de faire évoluer la société en contribuant à bâtir un monde meilleur. Pour Ashoka, les entrepreneurs sociaux jouent « un rôle catalyseur dans le changement social» ct ce sont « des individus qui résolvent des problèmes sociaux à grande échelle» (Bornstein, 2005: 7). À ce titre, leurs idées sont susceptibles d'engendrer des changements positifs, non seulement dans leur propre communauté, mais également dans leur pays ou même à l'échelle de la planète. Ce sont donc des agents de transformation, « des individus qui proposent des idées novatrices pour traiter des problèmes majeurs, qui s'obstinent à donner corps à leur vision, qui ne se laissent pas décourager par un refus, et qui n'auront de cesse d'avoir diffusé aussi largement que possible leurs idées» (Ibid,: 8). Pour Ashoka, il importe de dénicher les idées géniales ou révolutionnaires, les idées qui risquent d'avoir un réel impact social positif. Toutefois, aussi magnifique soit elle, l'idée ne sera pas soutenue si elle n'est pas adéquatement défendue par un entrepreneur social. À ce titre, les entrepreneurs

JO Le Magazine li Go a été édité par l'Institut du Nouveau Monde afin de faire mieux COl1JlaÎtre le

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sociaux adoptent souvent une façon de faire qui ressemble au marketing traditionnel dans la commercialisation des idées et innovations sociales (Ibid: 107).

Pour que les idées prennent racine et s'étendent, elles ont donc besoin de défenseurs, des personnes acharnées qui ont les talents, la motivation, l'énergie et la ténacité de faire ce qu'il faut pour les faire avancer: convaincre, inspirer, séduire, cajoler, éclairer, toucher les cœurs, dissiper les craintes, faire évoluer les mentalités, articuler les concepts et les introduire habilement dans les systèmes (Ibid, 103).

Bien que les entrepreneurs rencontrés dans le cadre de notre étude œuvrent généralement à une échelle plus locale, et par conséquent ne partagent pas la prétention de grandeur des boursiers d'Ashoka, on peut supposer qu'ils ont en commun quelques caractéristiques. Ils ont en effet choisi de mettre sur pied une entreprise défendant une mission sociale et ils doivent également conjuguer esprit d'entreprise et militantisme. Nous verrons s'ils cherchent eux aussi à agir concrètement afin de contribuer à changer les choses, dans leur communauté, mais à plus grande échelle également.

1.2.2 L'entrepreneuriat social au Québec

Au Québec, les entrepreneurs socIaux sont généralement associés a l'économie sociale. Bien que cette forme d'économie ait connu un regain de popularité dans les dix dernières années, elle est toutefois présente depuis bien plus longtemps dans le paysage économique québécois. Martine D'amours (J 997), retraçant l'histoire de l'économie sociale au Québec, établit une distinction entre ce qu"elle appelle l'ancienne économie sociale et une nouvelle économie sociale. Elle rappelle que les premières entreprises d" économie sociale prennent la forme de mutuelles mises sur pied en milieu ouvrier vers la fin du XIXc siècle. La notion d'économie sociale aurait été popularisée suivant les travaux de Frédéric Le Play et Charles Gide. Plus exactement en 1888, après que des Canadiens français aient créé

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une Société canadienne d'économie sociale ayant eu pour mission de vulgariser la pensée de Le Play. Parmi ses membres, la société comptait Alphonse Desjardins, le fondateur des Caisses du même nom. Au début du XXe siècle, alors que le système capitaliste menace la petite propriété marchande, une deuxième. génération d'entreprises d'économie sociale prend son essor afin de contrer ce phénomène. À partir de 1930, après la crise économique, le mouvement coopératif connaît un développement important. 11 plafonnera dans certains secteurs vers les années 50 et connaîtra une renaissance dans d'autres vers 1960, surtout pour les caisses d'économie ct le secteur d'habitation. La spécificité du développement de l'ancienne

économie sociale au Québec est, selon plusieurs auteurs, liée « à la question nationale et à la faiblesse du capitalisme francophone pendant toute la période antérieure à la Révolution tranquille» (D'Amour, ] 997 : 38). La nouvelle économie sociale émerge vers les années 1960-1970 et son histoire peut se diviser en trois sous périodes. La première période est caractérisée par la formation de comités de citoyens des quartiers défavorisés des grandes villes souhaitant voir émerger un contrôle populaire de certaines structures d'entraide ou encore du milieu rural afin de contrer la fermeture de villages menacés. La seconde péliode s'étend de 1976 à J982 et est SUl10ut portée par des groupes populaires. Ces groupes souhaitent alors répondre à

une double aspiration: « le désir de services collectifs moins bureaucratisés, "plus près des gens", que ceux offerts dans le réseau public et le désir de "travailler autrement", en ayant un contrôle tant sur la finalité du travail que sur son organisation» (Ibid. : 40), À partir de 1980, une troisième phase fait son apparition, caractérisée par des stratégies de concertation avec différents partenaires publics et privés. Les entreprises d'économie sociale fusionnent alors souvent de façon fOlmelle des objectifs à la fois sociaux et économiques. Toutefois, c'est à la suite de la Marche

desfemmes contre la pauvreté de 1995 11

que réconomie sociale est devenue un enjeu

Il Visant la hute contre la pauvreté el initiée par la Fédération des femmes du Québec, la Marche du

Pain el des Roses a rassemblé près de 20 000 personnes à Québec le 4 juin] 995. Source: FFQ : hltp:flwww.ffg.gc.cal

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central dans les débats publics (Vaillancourt et Lévesque, 1996). En 1996, le gouvernement Bouchard a initié le Chantier d'économie sociale, en nommant à sa tête Nancy Neamtan, une fervente militante du développement économique communautaire depuis longue date (Favreau et Lévesque, 1997). C'est cette année-là que l'économie sociale acquiert une reconnaissance officielle au Québec. Toujours selon D'Amour, qui reprend la nomenclature proposée par Marie-Claire Malo, l'économie sociale au Québec œuvre dorénavant dans les secteurs financiers, de l'immobilier, de l'alimentation, de la santé, des services sociaux et des services personnels, de J'éducation, de la culture, du tourisme et des loisirs, du transport, de l'énergie et des ressources naturelles, de la production manufacturière et du développement (D'Amour, 1997).

L'économie sociale d'aujourd'hui est souvent qualifiée « d'économie des pauvres» puisqu"elle s'occupe d'offrir certains services délaissés par l'État et boudés par le secteur privé. Toutefois, elle ne s"occupe pas seulement de donner réponse à des situations d"urgence comme c'est le cas, par exemple, pour les banques alimentaires ou les entreprises d'insertion. L'économie sociale est également portée par de nouveaux mouvements sociaux qui proposent différentes façons de vivre en société (Doyon, 2006). C'est une forme d'économie qui reconnaît la dimension sociale, notamment par la défense de certaines valeurs, et qui donne priorité aux personnes sur les capitaux.

À la différence des entreprises capitalistes qui donnent le pouvoir et les profits en exclusivité aux actionnaires, les entreprises d'économie sociale reposent sur

r

association de personnes et sur la capacité à mobiliser une grande diversité de ressources allant du bénévolat à la redistribution de J'État en passant dans bien des cas par Je marché (Lévesque, 2002 : 3).

Lévesque note que les entrepreneurs SOCIaUX ont souvent besoin d"un fort réseau et d'une capacité particulière à mobiliser des ressources autour de leur projet

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car ils sont parfois boudés par le milieu communautaire et rencontrent des barrières importantes à l'accès aux capitaux nonnalement accessibles aux gens d'affaires. Enfin, notons que généralement, les entrepreneurs sociaux ont, en plus de leurs objectifs économiques, des visées positives pour une communauté en paJiiculier ou pour, de façon plus large, la société. Ces visées font que « leurs retombées socio­ économiques couvrent un spectre qui dépasse la seule viabilité financière de sorte que leur rentabilité sociale s'impose en raison même de leur mission» (Lévesque, 2002 : 23). Selon Benoît Lévesque, les entrepreneurs sociaux sont des individus qui travaillent à l'amélioration de leur communauté d'une façon innovatrice tout en partageant plusieurs caractéristiques avec les entrepreneurs commerciaux (Thake et Zadek, 1996; Lévesque, 2002).

Les entrepreneurs sociaux ont le même désir de recherche d'opportunités que les entrepreneurs capitalistes, le même souci d'innovation, la même capacité de mobiliser des ressources pour transformer un rêve en réalité. Par ailleurs, ils se distingueraient clairement par leur souci pour la justice sociale. De plus, ils combineraient habituellement trois ensembles d'aptitudes qui sont souvent indépendantes: un activisme militant avec des compétences professionnelles; la capacité d'être visionnaire, tout en étant pragmatique; une fibre éthique (conviction) avec une confiance tactique (sens des responsabilités) (Lévesque, 2002 : ]4).

Au Québec, nous avons tendance à associer l'entrepreneuriat social au mouvement de l'économie sociale qu'on désigne généralement comme étant l'économie solidaire en France. Nous ne pouvons toutefois pas affirmer que notre sujet d'étude soit directement lié à l'économie sociale, et ce polir deux raisons. D'une pari, bien que les commerces rencontrés partagent tous une volonté de conjugaison de leurs missions sociales aux impératifs économiques, un défi généralement pmiagé par les entreprises d'économie sociale, ils ne s'inscrivent pas tous dans cette mouvance. D'autre part,

r

économie sociale reste, dix ans après le Chantier de l'économie sociale de 1996, le telTain de batailles épistémologiques. En effet, les différents auteurs ne s'entendent toujours pas sur la façon de circonscrire et de défïnir l'économie sociale,

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variant ainsi les degrés d'appartenance des différents commerces rencontrés à ce type d'économie. Parmi les théoriciens de l'économie sociale, certains choisiront de la définir selon les composantes (coopératives, mutuelles, OBNL, etc.), d'autres par les règles de fonctionnement (libre adhésion, gestion démocratique, répartition équitable des profits, etc.), d'autres encore par les valeurs caractéristiques (primauté des personnes et du travail dans la répal1ition des revenus, processus de décision démocratique, autonomie de gestion et finalité sociale plutôt qu'économique) (D'Amour, 1997). Cette diversité de points de vue, riche de prime abord, en complique néanmoins l'adhésion. Ainsi, bien qu'il scmble pertinent d'inscrire une partie de l'entrepreneuriat social au cœur de l'économie sociale, il nous semble être une erreur de limiter l'expérience des entrepreneurs sociaux à l'univers de l'économie sociale, car selon les définitions, plusieurs d'entre eux seraient incapables de s'y qualifier. De plus, bien que certains entrepreneurs aient choisi la voie de l'économie sociale, d'autres œuvrent au sein de l'économie traditionnelle, tout en poursuivant leurs objectifs sociaux.

Même si les entrepreneurs que nous analyserons plus tard ne s'inscrivent pas tous dans la mouvance de l'économie sociale, ils en partagent plusieurs caractéristiques. Par exemple, ces entrepreneurs travaillent, en accord avec différents groupes de pression de la société civile, à rendre accessibles des produits plus éthiques ou plus écologiquement responsables; ils visent généralement des retombées positives pour leur communauté ou leur société. De plus, nous supposons qu'à l'instar des entreprises d"économie sociale, ils mettent également en œuvre un réseau de solidarité plus étendu que les entreprises d'économie traditionnelle.

Dans le cadre de cette recherche, nous utiliserons le terme entrepreneurs sociaux, même s'il n'est pas encore clairement défini (Dees, 1998; Mail' et Marti, 2004; Brouard, 2006) et même si, selon cel1ains, il ne s'applique peut-être pas dans le cas de tous les entrepreneurs que nous avons rencontrés. Nous croyons toutefois que

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ces derniers mettent suffisamment en œuvre les caractéristiques de la notion telle que nous venons de la présenter pour qu'il soit opportun de les désigner ainsi. Rappelons que les hommes et les femmes qui ont participé à notre étude œuvrent au sein d'entreprises à but lucratif et offrent à leurs clients la possibilité de consommer de manière plus responsable. Surtout, soulignons qu'ils ont mis sur pied un commerce dont la mission (sociale ou environnementale) demeure la raison d" être et, comme nous le rappelle Dees, «for social entrepreneurs, the social mission is explicit and central» (1998: 2).

1.3 Responsabilité sociale des entreprises

Les entreprises ont longtemps été perçues uniquement comme génératrices de richesses et créatrices d'emplois. Bien que certains économistes résistent au concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE) en maintenant que runique raison d'être d'une entreprise est de dégager une marge de profit, de récents scandales et la situation environnementale actuelle en portent plusieurs à nuancer leur discours (Bérard el al., 2004). Dorénavant, les entreprises doivent de plus en plus démontrer une bonne performance économique, mais également de bonnes performances sociales et environnementales. La RSE provoque des débats tant dans les milieux financiers qu'au sein des sciences sociales, à la fois par son apparente nécessité que par sa difficile mise en application (Salmon, 2005). Nous aborderons brièvement, dans ce qui suit, la définition du concept pour découvrir quels liens celui-ci partage avec les entreprises dont il est question dans ce mémoire.

Bien qu'il n'existe pas de définition universellement reconnue, l'organisation Alliance, qui œuvre à la promotion de la RSE et à l'accompagnement des entreprises, affirme que les organismes qui utilisent ou étudient la RSE la définissent généralement par les éléments suivants: premièrement, ils mettent de ravant l'idée d-engagement, soit «la responsabilité ou l'obligation des entreprises d'exercer leurs

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activités commerciales de manière à apporter une valeur ajoutée à la société'2 ». Deuxièmement, les compagnies doivent démontrer les avantages de leurs activités commerciales pour leurs employés et la société. Troisièmement, l'entreprise doit adopter un comportement éthique, c'est-à-dire juste, intègre et socialement acceptable. Finalement, le concept de RSE englobe aussi généralement les notions de gestion et de performance environnementales. Toutefois, soulignons aussi que la RSE fait l'objet de nombreuses critiques. En effet, plusieurs doutent fortement que des entreprises, et encore davantage des corporations, aient les capacités d-autodiscipline et d'autocontrôlc requises face aux questions sociales et environnementales (Cuming, 2002). Les autoproclamations d'entreprises responsables sont le plus souvent un leurre puisqu'« il n'existe, à l'heure actuelle, aucun système global de règles contraignant les activités et les méthodes de ces entreprises, en dépit des différents documents votés par les instances internationales» (Mestiri, 2003 : 75). Et, comme le rappelle Anne Salmon, «La situation est d'autant plus préoccupante qu'elle s'inscrit dans un contexte de fragilisation des instances traditionnelles de régulation lié aux processus de mondialisation de l'économie et aux nouvelles donnes en matière de coopération internationale. » (Salmon, 2005 : 433)

Les entrepreneurs que nous avons rencontrés ne sont pas à la tête de grandes entreprises et encore moins de corporations. Bien que la RSE puisse également s'appliquer dans le cas des petites et moyennes entreprises (PME), elles ne forment pas la première clientèle visée par ce concept popularisé dans les années 90. Pourtant, sans souscrire au concept lui-même, on peut avancer l'hypothèse que les entrepreneurs rencontrés partagent toutefois les éléments de la définition présentée précédemment. Grâce à la mission de leur entreprise qui conjugue des préoccupations sociales et environnementales à des objectifs financiers, les entrepreneurs sociaux semblent souscrire naturellement à la RSE. En effet, ces entrepreneurs envisagent la

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rentabilité sociale et environnementale au même titre que la rentabilité financière, puisqu'elles constituent la raison d'être de leur entreprise.

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CADRE THÉORIQUE

Nous présentons, dans ce chapitre, notre cadre théorique. Il s'appuie sur deux notions distinctes, bien que différents éléments soient partagés. À l'intérieur de ce qui suit, nous traiterons dans un premier temps du concept d'engagement, pour réfléchir, dans un deuxième temps, sur le concept de nouveaux mouvements sociaux. Dans les deux cas, nous aborderons les notions de la même manière. Nous procéderons à une brève introduction de chacune d'elles pour ensuite, nous attarder aux visions contemporaines qu'en ont divers auteurs. Enfin, nous conclurons en soulignant de quelle manière ces notions s'appliquent à notre objet d'étude.

2. J Concept de l'engagement

L'engagement est une notion plurivoque, traitée dans de nombreuses disciplines dont la politique, la philosophie, la psychologie et la sociologie. Nous ne présenterons pas les différentes perspectives disciplinaires pour plutôt nous concentrer sur la lecture qu'en fait la sociologie, en nous attardant sur les débats qui I·entourent. Toutefois, en guise de présentation générale, soulignons que selon Ladrière:

L'engagement peut être entendu au sens de « conduite» ou au sens d' « acte de décision », selon qu'il désigne un mode d'existence dans et par lequel 1ïndividu est impliqué activement dans le cours du monde, s'éprouve responsable de ce qui arrive, ouvre un avenir à raction, ou quïl désigne un acte par lequel l'individu se lie lui-même dans son être futur, à propos soit de certaines démarches à accomplir, soit d'une forme d'activité, soit même de sa propre vie (Ladrière, 2002 : 291).

Selon Ladrière, il existe plusieurs types d'engagement, chaque type ayant ses propres caractéristiques. Ainsi, rengagement prendra différentes formes, selon quïl

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soit question de s'engager à l'égard d'une organisation comme une armée, d'engagement au sein d'un parti politique ou qu'il s'agisse de s'engager envers une personne. Tel que nous le concevons à J'intérieur de ce mémoire, il s'agit ici d'engagement à l'égard de valeurs, comme J'environnement ou la justice sociale, en opposition à J'indifférence et à la non-participation aux différents enjeux de la société. L'engagement est d'abord un état d'esprit, mais ce dernier doit se traduire en actes pour être désigné comme tel. À ce titre, « il n'est réel que s'il se traduit par des démarches effectives, qui peuvent prendre une forme politique, mais d'autres formes aussi» (Ibid. . 292).

Toujours selon Ladrière,

r

engagement se distingue grâce à trois composantes particulières, et ce, peu importe sa forme. La première caractéristique, l'implication, se traduit par le fait que l'individu se sente concerné par une situation et qu'il décide d'en faire sa cause. En ces termes, elle s'apparente à une prise en charge, «par conséquent, l'implication signifie en réalité le recouvrement de plusieurs existences: celui qui s'engage accepte de faire passer dans son existence d'autres existences» (Ibid.: 291). La deuxième caractéristique, la responsabilité, est fortement liée à la première. Le sentiment de responsabilité se déclare le plus souvent suite à un événement déclencheur important où lïndividu se rend tout à coup compte qu'il a peut-être une responsabilité ou un rôle à jouer par rapport à une situation. C'est alors que «celui qui s'engage reprend à son compte un cours d'action qui s'était jusque-là déroulé sans lui et atteste quïl se considère responsable de ce qui se passe» (Ibid. : 291). La troisième caractéristique est le rapport à l'avenir. C'est cette possibilité de faire changer les choses, même confronté à JïnCet1itude, qui pousse l'individu à s'engager. En effet, « le futur est placé sous l'emprise du présent: c'est à partir des possibilités qui habitent le "maintenant" que se dessine la figure du futur, c'est dans ce qUi est effectivement vécu que s-annonce ce qui adviendra du présent» (Ibid .­ 293).

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2.1.1 Émergence de nouvelles formes d'engagement

Pendant le XXe siècle, plus particulièrement à l'époque des mouvements sociaux des années 60 et 70, être engagé voulait dire militer, que ce soit à l'intérieur de groupes ou de syndicats, et de défendre la « grande cause ». À ce titre, il y avait plusieurs « grandes causes» : la cause des femmes, l'échec à la guerre, la révolution, etc. Dans les dernières décennies toutefois, les désillusions de plusieurs face à la politique et l'inexistence de grandes causes rassembleuses ont contribué à alimenter les perceptions d'apolitisme et d'individualisme au sein de la population, particulièrement chez les plus jeunes (Evans et FurJong, 2000). Ce désintérêt et cette désillusion ont fait conclure plusieurs auteurs à une crise générale de l'engagement dans nos sociétés (Putnam, 200]). Alors que ropinion publique et les médias québécois font grands cas de ce désengagement social et politique caractéristique de notre époque, de nombreux chercheurs soulignent plutôt l'émergence de nouvelles formes d'engagement (Perrineau, 1994; Ion] 997; Quéniart et Jacques, 2004a).

En effet, pour ces auteurs de travaux récents, la notion d'engagement peut prendre des formes très variées (Ion, 200 J, 2005). Par exemple, l'engagement social et politique peut exister sans nécessairement référer au militantisme dans son sens traditionnel. En effet, il existerait selon Ion (200 J) une forme d'engagement « distanciée », qui fait plutôt référence au statut de

r

être comme « être engagé» et qui se traduirait par des formes non traditionnelles de participation à J'espace public. Ce besoin de se sentir engagé s'est vérifié dans une recherche récente portant sur l'engagement politique des jeunes au Québec (Quéniart, Bayard et Jacques, 2006). Les auteures ont alors souligné Je besoin de nombreux jeunes de poursuivre la « quête de la cohérence éthique» et ainsi de se sentir engagés dans les différentes sphères de Jeur existence (travail, pratiques de consommation, etc). Cette forme (rengagement semble toucher particulièrement, mais non exclusivement, les jeunes qui se distancient ainsi du mode d'engagement adopté par la génération de leurs parents. En

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effet, selon Damil et Leroux, «ils ont rarement la carte d'un parti politique, et pourtant sont engagés jusqu'au cou dans l'émergence d'une nouvelle vision du

,

monde. Ils dénoncent l'approche soixante-huitarde pour son inefficacité, et ne peuvent concevoir leur engagement autrement que comme contributif à la société, d'une façon concrète, efficace et mesurable» (Darnil et Leroux, 2005 : 16).

À l'opposé du militant classique ou du membre d'un parti politique, le nouvel engagé socialement ou politiquement peut œuvrer au sein de petits réseaux, formels ou informels, et de manière distanciée, sous différentes formes jusque-là non considérées comme telles. Pour plusieurs auteurs, la consommation responsable est justement un lieu d'expression de l'engagement contemporain. Nous nous attarderons davantage à cette perception puisqu' elle conjugue à la fois rengagement et la consommation responsable, deux des principaux sujets de notre recherche. Nous verrons dans ce qui suit trois visions d'auteurs considérant rengagement comme tel. Dans un premier temps, nous verrons la notion de consumérisme politique telle que définie par Stolle et Micheletti. Dans un deuxième temps, nous verrons l'idée de la résistance au quotidien telle que développée par Dobré. Dans un troisième temps, nous envisagerons la consommation comme un lieu d'expérimentation du politique tel que vue par Rose, Dubuisson-Quellier et Lamine.

2.1.2 Le consumérisme politique

Stolle et Micheletti (2003) définissent Je fait de faire certains achats responsables comme étant du consumérisme politique. Selon ces demières, le consumérisme politique se définit par rachat (buycott) ou le boycott de produits justifié par des valeurs politiques ou éthiques, ce qui exclut les aetes motivés par Je goût ou faits par hasard. Elles considèrent ces actes des «consom'acteurs» comme étant l'expression de leur engagement citoyen: «Boycotts and other kinds of consumer actions offers a prime example of such an emerglng area of a new and

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hitherto "unobserved" citizen involvement» (Stolle et Michelleti, 2003: 4). Les auteurs refusent les thèses du déclin de la participation citoyenne ou politique trop axées sur les mécanismes traditionnels qui négligent des formes de participation alternatives ou émergentes, comme le consumérisme politique par exemple:

Citizens today and especially women and younger generations prefer participation in loose, less hierarchical, informaI networks and various life style related sporadic mobilisation efforts. Participation in informal local groups, political consumerism and involvement in advocacy networks, the regular signing and fowarding of a e-mail petition, and the spontancous organisation of protests and rallies are just few examples of this phenomenon (Ibid: 4).

Les résultats de la recherche qu'elles ont menée au Canada, en Suède et en Belgique tendent à démontrer que le consumérisme politique séduit plus particulièrement les femmes. Selon les deux chercheurs, le consumérisme politique est devenu une paI1ie intégrante du répertoire d'action politique.

Political consumers choose particular producers or products because they want to change objectionable institutional or market practices. They make their choices on the basis of attitudes and values regarding issues of justice, fairness, or non-economic issues that concern personal and family well-being and ethical or political assessment of favourable and unfavourable business and government practice. Regardless of whether political consumers act individually or collectively, their market choices reflect an understanding of material products as embedded in a complex social and normative context witch may be called the politics behind products (Ibid· 4).

Plus concret, il laisse aussi la place à une multitude de façons de faire individualisées et permet ainsi l'implication de gens qui se trouvent souvent marginalisés dans le système politique traditionnel. Enfin, les auteures affirment que bien que les actions soient posées sur une base individuelle et qu"elles ne correspondent pas à des formes traditionnelles dïmplication citoyenne, elles n'en perdent pas pour autant leur potentiel politique.

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2.1.3 La résistance au quotidien

Michelle Dobré (2002) considère aussi le potentiel politique de la consommation responsable, mais préfère pour sa part parler de « résistance au quotidien ». Elle affirme que bien que certains soulignent l'apolitisme ambiant, il ne faut pas conclure à l'individualisme triomphant pour autant. Selon cette dernière,

Ce retrait de la politique attire plutôt l'attention vers de nouvelles formes civiles d'actions qui émergent parallèlement aux mutations des formes traditionnelles d'organisation politique, comme par exemple la multiplication des mouvements « autonomes» à côté des actions habituelles des grands syndicats de plus en plus « conservateurs », en perte d'adhérents. L'effet de ces formes d'action émergentes pourrait être politique, sans que les moyens mis en œuvre soient explicitement politiques, du moins au sens classique du terme. La résistance civile, en tant que ressource d'actions au quotidien, devrait alors compter parmi les refuges ambivalents de .l'action politique et civile en pleine mutation (Dobré, 2002 :28).

Dans nos sociétés mondialisées et, en Occident, fortement individualisées, le consumérisme politique ou la résistance au quotidien semblent être des méthodes de résistance taillées sur mesure. Le boycott et le buycott ont réussi à prouver qu'ils pouvaient être des méthodes de contre-pouvoir particulièrement efficaces et

« chacune est très largement inscrite dans le cadre d'un combat contre la mondialisation» (Dubuisson-Qucllier et Lamine, 2003 : 2). La 1iberté accordée aux individus semble leur plaire et, loin de décourager l'engagement citoyen, cela semble promouvoir l'engagement à sa mesure.

Ainsi, suivant sa propre sensibilité politique et citoyenne, chacun peut manifester aux côtés des mouvements antimondialisation, s'impliquer dans des mouvements politiques, associatifs, syndicaux, ou, tout simplement, consommer un bon café équitable entre amis ou au bureau (Lecompte, 2004 :

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Selon ces auteurs, il y aurait d'autres façons de s'engager que celles, passant par des collectifs (Ion, 2005) et elles se manifesteraient de manière plus individuelle, réalisant du même coup une « extension des bornes de l'engagement» (Ion, Franguiadakis et Viot, 2005).

2.104 Un lieu d'expérimentation du politique

L'Agriculture soutenue par la communauté (ASC), qui se caractérise par l'agriculture biologique, l'engagement financier, la production locale et la dimension sociale, est communément associée à la consommation responsable et, selon Rose (2003), serait un lieu d'expérimentation du politique. Ce nouveau type d'échange réunit effectivement trois types d'acteurs généralement distincts: les producteurs, les consommateurs et les écologistes militants. Selon Rose, les producteurs verraient l'ASC comme « la pointe d'un projet de société permettant de faire les choses différemment par l'affirmation de liens sociaux, d'un rapport différent aux autres, à la terre, au travail et à l'environnement» (Rose, 2003 : 65). Les consommateurs, quant à

eux, développeraient un nouveau rapport à l'alimentation qui se rapproche parfois même d'un rapport identitaire. Ces derniers scraicnt de plus en plus préoccupés par des questions de santé, inquiétudes engendrées notamment par le développement des industries agroalimentaires et certaines de ses méthodes contestées dans l'opinion publique, par exemple l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés (OGM). Le choix de s'approvisionner en produits équitables ou biologiques au sein de réseaux alternatifs signifierait aussi selon l'auteure « une critique politique de la production agroalimentaire» (Ibid: 66). En choisissant ces réseaux (buycott) ou en boudant les réseaux traditionnels (boycott), les consommateurs mettraient en œuvre de façon concrète cette critique adressée à

r

industrie.

Selon Dubuisson-Quellier et Lamine, les achats responsables peuvent être qualifiés d"achats politiques si ces derniers répondent à certaines conditions. En effet,

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