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Le narcissisme dans l'explication des troubles des conduites alimentaires : une évaluation des processus explicites et implicites

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Academic year: 2021

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Le narcissisme dans l'explication des troubles des

conduites alimentaires: Une évaluation des processus

explicites et implicites

Thèse

Katrine Boucher

Doctorat en psychologie - recherche et intervention (orientation clinique)

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

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Le narcissisme dans l’explication des troubles des

conduites alimentaires :

Une évaluation des processus explicites et implicites

Thèse

Katrine Boucher

Sous la direction de:

Catherine Bégin, directrice de recherche

Carole Ratté, codirectrice de recherche

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Résumé

Depuis plusieurs années, un intérêt grandissant est porté aux deux dimensions du narcissisme pathologique. Le narcissisme grandiose se caractérise entre autres par l’arrogance, la vanité et une attitude dominante alors que le narcissisme vulnérable se caractérise davantage par l’expérience inconsciente d’impuissance, de vide, de mésestime de soi et de honte. La théorie du masque narcissique propose que les individus narcissiques possèdent une estime de soi élevée en surface qui cache une faible estime de soi intérieure. Ainsi, des chercheurs se sont intéressés aux deux facettes de l’estime de soi pour étudier le narcissisme. L’estime de soi explicite relèverait de processus plus conscients et réfléchis, alors que l’estime de soi implicite correspondrait à un mode plus inconscient et automatique. Puisque peu d’études cliniques se sont intéressées au lien entre le narcissisme pathologique et les deux facettes de l’estime de soi, les troubles des conduites alimentaires (TCA) semblent une population très appropriée pour explorer ce lien. En effet, il a été longuement démontré que l’estime de soi est un facteur de risque important chez les TCA et plusieurs études ont aussi démontré la présence de narcissisme chez les femmes souffrant d’anorexie mentale ou de boulimie. La présente thèse vise à approfondir les connaissances actuelles quant aux liens qui unissent le narcissisme pathologique et l’estime de soi chez les TCA. Pour ce faire, des participantes présentant un TCA (n = 69) seront comparées à des participantes souffrant d’un trouble anxieux (n = 51) et des participantes sans historique de trouble psychiatrique (n = 93) sur des mesures d’estime de soi explicite, d’estime de soi implicite et de narcissisme pathologique. L’estime de soi explicite et le narcissisme pathologique seront évalués à l’aide de mesures auto-rapportées alors que l’estime de soi implicite sera mesurée à l’aide de la tâche d’associations implicites (c.-à-d. Implicit Association Test – IAT). Le premier objectif spécifique de la thèse consiste à examiner les deux dimensions du narcissisme pathologique en lien avec l’estime de soi explicite et implicite auprès d’un échantillon clinique atteint de TCA, d’un groupe contrôle psychiatrique et d’un groupe contrôle sain. Les résultats montrent que les participantes avec un TCA ont démontré une plus faible estime de soi explicite et des niveaux plus élevés de narcissisme grandiose comparés aux participantes sans historique de troubles psychiatriques. Les résultats mettent aussi en évidence l’importance du narcissisme vulnérable chez les femmes atteintes de TCA puisque les niveaux étaient significativement plus élevés chez celles-ci comparativement au groupe contrôle psychiatrique et au groupe contrôle sain, ce qui suggère une

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contribution spécifique du narcissisme vulnérable à la problématique alimentaire. Plutôt que de démontrer une divergence des deux facettes de l’estime de soi, nos résultats ont plutôt suggéré une faible estime de soi explicite et implicite (convergence). Quant à la dimension vulnérable, elle était prédite par la contribution unique de la faible estime de soi explicite. Bien que ces résultats ne permettent pas de valider la théorie du masque narcissique, ils font néanmoins bien ressortir la contribution importante du narcissisme vulnérable et de l’estime de soi explicite chez les TCA. Le second objectif spécifique de la thèse a permis d’examiner les différentes facettes du narcissisme pathologique dans l’explication des attitudes et comportements alimentaires dysfonctionnels chez les femmes souffrant d’anorexie mentale (n = 27) et de boulimie (n = 23), et ce, tout en contrôlant pour le rôle de l’estime de soi explicite. Nos résultats suggèrent que l’anorexie mentale et la boulimie se distinguent quant aux associations entre les facettes du narcissisme pathologique et les attitudes et comportements alimentaires dysfonctionnels. Les résultats ont aussi mis en lumière la contribution indépendante d’une facette du narcissisme vulnérable, la dissimulation du soi, dans l’explication des préoccupations alimentaires et des crises de boulimie objective chez les femmes souffrant d’anorexie mentale. Cela a montré que cette facette du narcissisme vulnérable surpasse la contribution d’un facteur de risque stable et reconnu, l’estime de soi explicite. Les travaux de la présente thèse renforcent donc l’idée que la dimension vulnérable du narcissisme doit être davantage reconnue et que les efforts pour mieux comprendre ses impacts sur le traitement doivent se poursuivre.

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Abstract

For several years, there has been a growing interest for the two phenotypes of pathological narcissism. Narcissistic grandiosity is characterized by arrogance, vanity and a dominant attitude, while narcissistic vulnerability is characterized by the unconscious experience of helplessness, emptiness, low self-esteem and shame. The psychodynamic mask model of narcissism proposes that narcissistic individuals have a high self-esteem on the surface that hides low self-esteem deep down inside. Thus, researchers have been interested in the two facets of self-esteem in order to gain a better understanding of pathological narcissism. While explicit self-esteem is considered to be the result of conscious, deliberate and thoughtful processes, implicit self-esteem is seen as unconscious, automatic and affective reactions. Since, few clinical studies have investigated the link between pathological narcissism and the two facets of self-esteem. Eating disorders (ED) appear to be a very relevant population considering that it has been extensively demonstrated that self-esteem is an important risk factor and, several studies have also shown the presence of pathological narcissism in women with ED. The present thesis aims to deepen current knowledge of the links between pathological narcissism and self-esteem in ED. Participants with ED (n = 69) have been compared to participants with an anxiety disorder (n = 51) and participants without history of psychiatric disorder (n = 93) on measures of explicit self-esteem, implicit self-esteem and pathological narcissism. Explicit self-esteem and pathological narcissism have been assessed using self-reported measures, while implicit self-esteem has been measured using the implicit association task (i.e. IAT). The first specific objective of the thesis is to examine the two phenotypes of pathological narcissism in relation to explicit and implicit self-esteem in a clinical sample with ED, a psychiatric control group and a healthy control group. The results indicate that participants with an ED showed lower self-esteem and higher levels of narcissistic grandiosity compared to participants without a history of psychiatric disorders. The results also highlight the importance of narcissistic vulnerability in women with ED since their levels were significantly higher of the psychiatric control group and the healthy control group, suggesting a specific contribution of narcissistic vulnerability regarding eating pathology. Rather than demonstrating a divergence of the two facets of self-esteem, our results suggested low explicit and implicit self-esteem (convergence). Again, our results indicate that low explicit self-esteem better explained narcissistic vulnerability than divergence between both facets of self-esteem. Although these results do not validate psychodynamic mask model of narcissism, they nevertheless highlight the important contribution of narcissistic

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vulnerability and explicit self-esteem in ED. The second specific objective of the thesis was to examine the specific dimensions of pathological narcissism in explaining dysfunctional eating attitudes and behaviors in women with anorexia nervosa (n = 27) and bulimia nervosa (n = 23) while controlling for explicit self-esteem. Our results suggest that anorexia nervosa and bulimia differ significantly in regards to their associations between the facets of pathological narcissism and dysfunctional eating attitudes and behaviors. These findings also shed light on the independent contribution of a narcissistic vulnerability dimension, hiding the self, in explaining eating concerns and objective binge eating in women with anorexia nervosa. This has shown that hiding the self contributes over and above a longstanding risk factor, low explicit self-esteem. Thus, the present thesis reinforces the idea that the narcissistic vulnerability must be more widely recognized and that, efforts must continue to better understand its impact on treatment.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Liste des tableaux ... ix

Remerciements ... x

Avant-propos ... xii

Chapitre 1. ... 1

Introduction générale ... 1

1.1 Troubles des conduites alimentaires ... 1

1. 1. 1 Définition de l’anorexie mentale et de la boulimie ... 1

1. 1. 2 Épidémiologie ... 2

1. 1. 3 Cours de la maladie ... 3

1. 1. 4 Comorbidité ... 4

1. 1. 5 Conséquences physiques, psychologiques, familiales et économiques ... 5

1. 1. 6 Facteurs de risque ... 7

1. 1. 7 Modèle conceptuel de l’anorexie mentale et de la boulimie ... 9

1.2 Estime de soi ... 9

1. 2. 1 Estime de soi explicite et implicite ...10

1. 2. 2 Estime de soi explicite et implicite chez les TCA ...12

1. 3 Narcissisme ...14

1. 3. 1 Définition du narcissisme ...14

1. 3. 2 Origine du narcissisme ...14

1. 3. 3 Narcissisme pathologique...16

1. 3. 4 Les dimensions grandioses et vulnérables ...17

1. 3. 5 Les mesures du narcissisme pathologique ...18

1. 3. 6 Narcissisme et TCA ...19

1. 4 Objectifs ...21

Chapitre 2. ... 22

The relationship between multidimensional narcissism, explicit and implicit self-esteem in eating disorders... 22

Résumé ...23

Abstract ...24

1. Introduction ...25

1.1. Narcissism and Self-Esteem in General Population ...25

1.2. Narcissism and Self-Esteem in Psychiatric Population ...26

1.3. Narcissism and Self-Esteem in EDs ...26

2. Methods ...28 2.1. Participants ...28 2.2. Procedure ...29 2.3. Measures ...30 2.4. Statistical Analysis ...32 3. Results ...33 3.1. Group’s Comparison ... 33

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3.2. Link between Pathological Narcissism and Self-Esteem ...34

4. Discussion ...35

4.1. Pathological Narcissism in ED Patients ...35

4.2. Self-Esteem in ED Patients ...36

4.3. Link between Self-Esteem and Pathological Narcissism ...37

4.4. Limitations and Implications for Future Studies ...37

Acknowledgements ...39

References ...40

Chapitre 3. ... 49

Eating pathology among patients with anorexia nervosa and bulimia nervosa: the role of narcissism and self-esteem ... 49

Résumé ...50

Differentiating Self-Esteem from Narcissism ...53

Procedure ...55

Statistical Analysis...56

Results ...57

Anorexia nervosa (AN; n = 27) ...57

Bulimia nervosa (BN; n = 23) ...58

Discussion ...59

Low self-esteem ...59

Hiding the self ...59

Differences between AN and BN patients ...61

Limitations and future directions...61

Implications ...61

Conclusions ...63

References ...64

Chapitre 4 ... 74

Conclusion ... 74

Implications scientifiques et cliniques...78

Limites de la thèse ...82

Directions futures ...83

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Liste des tableaux

Chapitre 2

Table 1.

Sociodemographic information about the three groups ... 46 Table 2.

Means (SD) of the explicit self-esteem, implicit self-esteem and grandiose and vulnerable narcissism subscales for the ED group, the ANX group and the HC group ... 47 Table 3.

Pearson correlations for self-esteem and narcissism in the ED group ... 48 Table 4.

Pearson correlations for self-esteem and narcissism in the ANX group ... 48 Table 5.

Pearson correlations for self-esteem and narcissism in the HC group ... 48

Chapitre 3

Table 1.

Description of PNI subscales (Pincus et al., 2009) ... 71 Table 2.

Intercorrelations among AN patients (n = 27). ... 72 Table 3.

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Remerciements

Un doctorat est un long processus composé de plusieurs étapes et pour lesquelles j’ai été entourée de personnes très généreuses. J’aimerais ainsi remercier toutes les personnes qui ont contribué au recrutement de ma thèse. Je pense entre autres aux membres de l’équipe du PITCA, notamment Olivier Pelletier, Audrey Brassard et Marie-Julie Cimon. Ce fut également un plaisir de côtoyer Dre Carole Ratté, ma codirectrice de thèse. J’ai rencontré une femme inspirante, dynamique et généreuse. Elle a été d’une grande aide par son support concernant le recrutement, mais également par sa grande expérience clinique qui a nettement enrichi ma thèse.

Je tiens aussi à remercier Édith Gosselin qui a donné généreusement de son temps bénévolement pour m’aider dans différentes tâches tant pour le recrutement que pour la saisie de données. Ce fut un plaisir de travail avec toi et ta bonne humeur contagieuse.

Merci à Hélène Paradis, statisticienne, qui a été d’une grande aide pour mes analyses statistiques. Toujours disponible et professionnelle, tu as pris un grand soin de ma base de données et m’as partagé de précieux conseils.

J’aimerais remercier le laboratoire de psychologie cognitive dirigé par Mme Claudette Fortin pour l’aide apportée dans le prêt d’équipements pour mesurer l’estime de soi implicite et le temps donné à l’enseignement de la programmation de l’IAT. Un merci spécial à M. Charles Quesnel pour sa patience et sa générosité envers la novice en programmation que j’étais.

Je remercie chaleureusement mon comité de thèse, composé de M. Stéphane Sabourin et de M. Louis Diguer. Les séminaires qui me terrifiaient au début sont devenus de beaux moments d’échange et d’apprentissage grâce à votre écoute, vos conseils et vos encouragements.

Ma thèse ne serait pas ce qu’elle est sans l’aide de deux coordonnatrices incroyables. Un merci très spécial à Marie-Pierre Gagnon-Girouard et Marilou Côté pour votre grande générosité et vos encouragements. Vous m’avez servi de guide et d’inspiration. Vous avez cru en moi et n’avez pas cessé de le faire alors que je doutais de moi-même.

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J’ai aussi eu le plaisir immense de faire partie d’une grande famille, celle du Laboratoire de recherche et d’intervention sur les problématiques liées au poids et à l’alimentation. Je m’y suis tout de suite sentie à ma place et je ne pourrai jamais oublier tous les moments que j’y ai vécus. J’ai grandement cheminé tant sur le plan de la clinique que sur le plan de la recherche. Merci à toutes les filles et le garçon du laboratoire : Sarah de Grandpré, Catherine Gagnon, Marie-Pier Chenel Beaulieu, Mélodie Daoust, Isabelle Labrecque, Anne-Sophie Ouellet et Olivier Turcotte. Vous avez été bien plus que des collègues, mais des amis. Le support aussi des quatre mousquetonnes (vous vous reconnaitrez) a été primordial. J’ai pu avec vous ventiler, pleurer, paniquer et rire. Bref, vivre les montagnes russes qui viennent avec les études doctorales. Vous m’avez aussi apporté du support dans les moments personnels plus difficiles et je vous en suis éternellement reconnaissante.

J’ai rencontré aussi des amis fidèles et qui me sont très chers (alias la wonderteam). Notre amitié a débuté lorsque vous m’avez tendu une chaise, une carotte et des références cinématographiques. Je vous aime du plus profond de mon cœur. À mon « âme sœur », celle qui lit dans ma tête, qui termine mes phrases et qui m’encadre telle une maman, je te suis très reconnaissante. Merci de toujours m’accueillir chez toi et de toujours être là pour moi. Ta belle folie que je partage a fait de mon expérience, une que je n’oublierai jamais.

Je tiens aussi à remercier ma famille, dont mes nombreuses tantes et oncles qui m’ont toujours encouragée. Puis, mes parents qui m’ont soutenue et encouragée à poursuivre mes rêves. Bien que mon père ne soit plus parmi nous, je sais qu’il est très fier de sa petite fille. Merci à ma mère de m’avoir donné ce courage et cette force qui me viennent de toi. Mon amoureux, le futur papa de mon enfant, mon collègue et mon meilleur ami, merci de rendre la vie si belle. Je suis choyée de partager mon quotidien avec toi.

En terminant, j’aimerais remercier une personne très spéciale à mes yeux, celle qui m’a inspirée à me dépasser et à continuer jusqu’au bout, Catherine Bégin, ma directrice de thèse et ma superviseure clinique. Tu as fait de moi la personne que je suis actuellement. Tu m’as permis de me développer en tant que clinicienne et chercheuse. Tu m’as offert tellement d’opportunités que ses seuls mots ne pourront te rendre tout ce que tu as fait pour moi. Un énorme merci d’être la femme extraordinaire que tu es.

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Avant-propos

La présente thèse comporte deux articles scientifiques. Katrine Boucher est l’auteure principale de ces deux articles.

L’article 1, intitulé « The Relationship between multidimensional narcissism, explicit and

implicit self-esteem in eating disorders » a été publié dans la revue Psychology en 2015.

L’expérimentation, les analyses statistiques, l’interprétation des résultats et la rédaction de l’article ont été menées par l’auteure principale. Dre Marie-Pierre Gagnon-Girouard a contribué à l’analyse statistique et à la rédaction du premier article.

L’article 2, intitulé « Eating pathology among patients with anorexia nervosa and bulimia nervosa: the role of narcissism and self-esteem » a été accepté pour publication dans la revue Journal

of Nervous and Mental Disease en 2018. L’expérimentation, l’interprétation des résultats et la rédaction

de l’article ont été menées par l’auteure principale. Les analyses statistiques ont été menées en collaboration avec Marilou Côté.

Les deux articles ont été menés en totalité sous la direction de la Dre Catherine Bégin. Dre Carole Ratté a contribué au recrutement et à la rédaction des deux articles.

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Chapitre 1.

Introduction générale

1.1 Troubles des conduites alimentaires 1. 1. 1 Définition de l’anorexie mentale et de la boulimie

Les troubles des conduites alimentaires (TCA), qui incluent l’anorexie mentale et la boulimie, représentent des troubles psychiatriques sérieux et complexes. Le terme « anorexie mentale » a été introduit pour la première fois dans la littérature médicale il y a plus de 140 ans (Gull, 1874). Initialement décrite comme une « perversion de la volonté », la définition de l’anorexie mentale a beaucoup évolué depuis. Les critères diagnostiques pour l’anorexie mentale de la 5e version du

Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5; APA, 2015, p. 440-441) sont maintenant décrits comme suit :

A. Restriction des apports énergétiques par rapport aux besoins conduisant à un poids significativement bas compte tenu de l’âge, du sexe, du stade de développement et de la santé physique.

B. Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, ou comportement persistant interférant avec la prise de poids, alors que le poids est significativement bas.

C. Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou manque de reconnaissance persistant de la gravité de la maigreur actuelle.

Deux types d’anorexie mentale ont été répertoriés. Il existe d’abord le type restrictif d’anorexie mentale, lequel fait référence à l’absence d’accès hyperphagiques et de comportements purgatifs. Ce sous-type caractérise les personnes qui atteindront la perte de poids principalement par le jeûne, les diètes restrictives et/ou l’exercice excessif (APA, 2015). Le deuxième type d’anorexie mentale rapporté par le DSM-5 est l’accès hyperphagiques/purgatif qui est caractérisé par le recours à des épisodes de suralimentation, des vomissements provoqués et/ou des comportements purgatifs.

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La boulimie est, quant à elle, apparue dans la littérature médicale près d’un siècle après l’anorexie mentale (Russell, 1979). Elle se caractérise principalement par le recours à des accès hyperphagiques, soit l’ingestion d’une très grande quantité de nourriture accompagnée d’un sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire (APA, 2015). Les critères diagnostiques du DSM-5 pour la boulimie incluent (DSM-5; APA, 2015, p. 448):

A. Survenue récurrente d’accès hyperphagiques (crises de gloutonnerie).

B. Comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant à prévenir la prise de poids tels que: vomissements provoqués; emploi abusif de laxatifs, diurétiques ou autres médicaments; jeûne; exercice physique excessif.

C. Les accès hyperphagiques (de gloutonnerie) et les comportements compensatoires inappropriés surviennent tous les deux, en moyenne, au moins une fois par semaine pendant 3 mois.

D. L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelle. E. Le trouble ne survient pas exclusivement pendant des épisodes d’anorexie mentale.

1. 1. 2 Épidémiologie

Depuis que l’anorexie mentale et la boulimie sont reconnues comme des troubles psychiatriques, ils ont été marqués par des changements tant sur le plan étiologique, conceptuel qu’épidémiologique. À ce jour, l’anorexie mentale touche environ 0.4% des femmes (Hoek, 2006). Quant à la boulimie, elle est environ 3 fois plus fréquente que l’anorexie mentale (Hoek, 2006). En effet, certaines études ont montré des taux de prévalence pour la boulimie allant jusqu’à 1.3% (Kessler et al., 2013). Les modifications effectuées au diagnostic d’anorexie mentale lors de la publication de la 5e version du DSM ont permis d’élargir les critères diagnostiques, ce qui a eu pour

effet de voir le taux de prévalence augmenté jusqu’à 3% (Baker, Mitchell, Neale, & Kendler, 2010). Concernant l’incidence de l’anorexie mentale, elle semble avoir fluctuée dans le temps. Il y aurait eu une augmentation dans les années 70-80 et par la suite, les taux d’incidence se serait stabilisés (Hoek & van Hoeken, 2003; Keel & Klump, 2003). Le portrait est toutefois moins clair au sujet de l’incidence de la boulimie (Keel & Klump, 2003; Smink, Van Hoeken, & Hoek, 2012).

Les TCA semblent toucher certaines populations plus spécifiquement. Notamment, on retrouve une grande différence en ce qui concerne le genre, et ce, pour les deux troubles. En effet,

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l’anorexie et la boulimie affectent majoritairement les femmes : un ratio d’environ un homme pour 10 femmes est généralement rapporté (Götestam, Eriksen, Heggestad, & Nielsen, 1998; Hoek et al., 1995; Marques et al., 2011; Swanson, Crow, Le Grange, Swendsen, & Merikangas, 2011). Longtemps, les TCA étaient considérés comme des troubles touchant davantage les jeunes femmes caucasiennes provenant de pays industrialisés (Pike, Dunne, & Grant, 2015), mais ce portrait semble changer. En effet, une augmentation des taux de prévalence a été remarquée chez les femmes asiatiques (Pike et al., 2015). En Occident, des différences au sein des groupes ethniques sont également observées. Les taux de prévalence de l’anorexie mentale demeurent sensiblement les mêmes à travers les différents groupes ethniques, alors que la boulimie toucherait, quant à elle, davantage les Afro-Américains et les Latinos (Marques et al., 2011).

1. 1. 3 Cours de la maladie

Les TCA vont généralement apparaître pendant l’adolescence ou au début de l’âge adulte. L’âge moyen d’apparition de la maladie est de 18.9 ans pour l’anorexie mentale et de 19.3 ans pour la boulimie (Hudson, Hiripi, Pope, & Kessler, 2007). La trajectoire des patientes atteintes de TCA est plutôt hétérogène et la chronicité de ces troubles est substantielle, ce qui en font des troubles très difficiles à traiter. Par exemple, des données concernant l’anorexie mentale indiquent que sur une période de 10 à 20 ans, moins de la moitié des patientes suivies pour ce trouble sont en rémission, alors que le tiers présente toujours des symptômes résiduels d’anorexie mentale et le quart, encore tous les critères du trouble (Steinhausen, 2002). Cette trajectoire est représentative de ce qui est observé pour la boulimie. En effet, une méta-analyse a montré que moins de la moitié des patientes se rétablissaient complètement de la boulimie, plus du quart des patients montraient des signes d’amélioration et moins du quart des patientes souffraient de boulimie chronique (Steinhausen & Weber, 2009).

À ceci s’ajoute le fait qu’entre 35% et 50% des femmes ayant un TCA abandonnent prématurément le traitement (Atti et al., 2012; Eivors, Button, Warren & Turner, 2003). Ces hauts taux d’abandon contribuent assurément aux difficultés de rétablissement des patientes. Ceci semble suggérer que les traitements demandent à être mieux adaptés à la problématique et que la compréhension même des TCA devrait être approfondie. Une revue de la littérature a permis d’examiner les facteurs de mauvais pronostic chez les femmes atteintes d’anorexie mentale puisque

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l’on compte un nombre insuffisant d’études menées auprès des femmes atteintes de boulimie (Arcelus, Mitchell, Wales, & Nielsen, 2011). Les facteurs de mauvais pronostic incluaient le fait d’être plus âgée, d’avoir un problème de consommation d’alcool ou un faible indice de masse corporelle (Arcelus et al., 2011). Des facteurs associés au risque de mortalité ont aussi été répertoriés. Parmi ceux-ci, la présence de troubles dépressifs, de comportements suicidaires et parasuicidaires, d’abus d’alcool et d’hospitalisation pour trouble de santé mentale sont les plus importants (Arcelus et al., 2011).

1. 1. 4 Comorbidité

Une très forte proportion de troubles comorbides est retrouvée chez les TCA, ce qui peut alourdir le portrait clinique et augmenter le risque de mortalité, tel que mentionné plus haut. En effet, dans une large étude comprenant 2436 patientes hospitalisées pour un TCA dans un centre de traitement entre les années 1995 et 2000, les chercheurs ont trouvé que 97% de leur échantillon présentaient au moins un trouble comorbide (Blinder, Cumella, & Sanathara, 2006). Les troubles comorbides les plus fréquents chez les personnes ayant un diagnostic d’anorexie mentale ou de boulimie sont les troubles dépressifs et anxieux (Hudson et al., 2006). Une des explications possibles pour les taux élevés de troubles dépressifs et d’anxiété serait l’isolement. En effet, les personnes souffrant d’anorexie mentale ou de boulimie auraient tendance à s’isoler afin de poursuivre les rituels exigés par leur problématique (p. ex. exercice excessif, comportements de purge, restriction, etc.), ce qui aurait un impact négatif sur leur humeur et augmenterait également leur anxiété face aux autres et à l’extérieur (Yellowless, 2008). Les troubles dépressifs et anxieux sont aussi souvent retrouvés avant le début de la maladie, ce qui en font d’importants facteurs de risque pour le développement des TCA (Halmi, 2003). Ainsi, la relation entre les TCA et les troubles dépressif et anxieux semble être bidirectionnelle. En plus de ces deux troubles fréquemment retrouvés chez les TCA, on compte également les troubles d’utilisation des substances. Ils apparaissent plus particulièrement chez les personnes atteintes de la boulimie et d’anorexie mentale de type accès hyperphagiques/purgatif (Bulik et al., 2004). Enfin, des troubles de la personnalité sont fréquemment répertoriés chez les TCA. Des données suggèrent qu’environ 70% des personnes ayant un TCA vont présenter au moins un trouble de la personnalité (Braun, Sunday, & Halmi, 1994). Une forte présence de troubles de la personnalité du Groupe B (limite, narcissique, histrionique et antisociale), particulièrement chez les personnes atteintes de boulimie, a été retrouvée (Braun et al., 1994). Des

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troubles de personnalité du groupe C (évitante, dépendante, obsessionnelle-compulsive) étaient aussi présents en comorbidité avec un TCA (Braun et al., 1994).

1. 1. 5 Conséquences physiques, psychologiques, familiales et économiques

L’anorexie mentale et la boulimie sont associées à de lourdes conséquences. Sur le plan physique, plusieurs problèmes peuvent apparaître au cours de la maladie et même perdurer après la rémission des symptômes. Pour l’anorexie, les signes physiques les plus communément retrouvés sont l’émaciation, l’hypothermie, la bradycardie, l’hypotension, la peau sèche et la perte de cheveux (Pomeroy, Mitchell, Roerig, & Crow, 2002). Les complications médicales découlent principalement de la perte de poids et de la malnutrition retrouvées au sein de cette problématique et peuvent affecter l’ensemble des systèmes du corps (p. ex. les systèmes cardiaque, gastro-intestinal et hématologique) (Westmoreland, Krantz & Mehler, 2016). On observe un risque élevé de fractures étant donné la diminution importante de la densité des os causée par l’ostéoporose, laquelle peut perdurer sur plusieurs années (Westmoreland et al., 2016). La malnutrition peut occasionner aussi des changements cognitifs en raison d’une atrophie de certaines régions du cerveau (Westmoreland

et al., 2016). Ces difficultés de nature cognitive risquent de demeurer malgré le gain de poids

(Westmoreland et al., 2016). Dans les cas assez sévères d’anorexie mentale, certaines structures du cœur peuvent même être modifiées (Westmoreland et al., 2016). Bien que certaines des complications cardiaques puissent se résorber avec la prise de poids comme la bradycardie, certaines autres conditions sont quant à elles irréversibles, comme la présence de cicatrices sur le myocarde, lesquelles entraînent des arythmies cardiaques pouvant causer la mort (Westmoreland

et al., 2016). Compte tenu de l’ensemble des conséquences, il n’est donc pas surprenant de relever

un taux élevé de mortalité d’environ 5.1 décès (95% CI, 3.99-6.14) par 1000 personnes/année pour l’anorexie mentale (Arcelus et al., 2011).

Pour la boulimie, les signes physiques les plus fréquemment rencontrés sont l’hypotension, l’érosion de l’émail des dents, l’hypertrophie des glandes salivaires et la tachycardie (Pomeroy et al., 2002). Westmoreland et ses collègues (2016) expliquent que les complications médicales de la boulimie découlent principalement du type et de la fréquence des moyens compensatoires utilisés. Selon ces auteurs, les comportements de purge, comme les vomissements provoqués et l’utilisation abusive de laxatifs, peuvent créer un déséquilibre acido-basique et électrolytique extrêmement

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grave. Les conséquences les plus fréquentes de ces déséquilibres sont l’hypokaliémie (faible taux de potassium dans le sang) et une alcalose métabolique. Les reflux acides à la suite des vomissements provoqués peuvent générer la dysphagie (difficulté à avaler) et la dyspepsie (troubles digestifs fonctionnels). L’abus de laxatif peut également provoquer de la diarrhée, des hémorroïdes, des prolapsus rectaux pouvant aller jusqu’à la rectorragie. Finalement, l’utilisation abusive de laxatifs peut provoquer un dérèglement du côlon perturbant le transit et causant de la constipation, ce qui pourrait nécessiter une ablation du côlon (Westmoreland et al., 2016). Les taux de mortalité sont significativement moins élevés pour la boulimie que pour l’anorexie mentale. Il s’agit d’environ 1.74 décès (95% CI, 1.09-2.44) par 1000 personnes/année (Arcelus et al., 2011). Dans le cas de l’anorexie mentale et de la boulimie, le suicide représente une des causes les plus importantes de décès (Arcelus et al., 2011; Crow et al., 2009).

Les conséquences psychologiques pour l’anorexie et la boulimie sont nombreuses et importantes (Agras, 2001). Elles peuvent résulter des complications médicales liées à la pathologie alimentaire ou même, des comportements et des attitudes alimentaires dysfonctionnels (McCabe, McFarlane, & Olmsted, 2003). Des signes de dépression et d’anxiété peuvent apparaître avant et pendant la maladie, comme mentionné dans la section sur la comorbidité. McCabe et ses collègues (2003) rapportent que plusieurs personnes souffrant de TCA vont ainsi rapporter des difficultés à réguler leurs émotions, étant parfois irritables ou sensibles à la critique. Ces auteurs vont aussi noter des difficultés de concentration, de prise de décision de même que des difficultés de sommeil. Une autre des conséquences psychologiques est l’isolement (Sherpell, Treasure, Teasdale, & Sullivan, 1999). La perturbation de l’image de soi des personnes atteintes de TCA cause aussi beaucoup de détresse. Plusieurs vont d’ailleurs être affectées par une estime de soi négative (McCabe et al., 2003).

L’ampleur des changements alimentaires affecte aussi l’environnement familial et social des personnes ayant un TCA. Les repas deviennent souvent une source de conflits et de tensions pour les familles. Ainsi, il n’est pas étonnant que les familles éprouvent beaucoup de détresse, de frustrations, de colère, de confusion et de culpabilité (Ball & Ball, 1995 cité dans Hillege, Beale, McMaster, 2006). Tout comme la personne qui souffre de TCA, les proches se retrouvent isolés socialement puisqu’ils évitent le jugement négatif des autres (Hillege, Beale, & McMaster, 2006). La

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lourdeur de ce trouble, parfois chronique, a des conséquences familiales qui incluent la dissolution de certaines familles (Hillege, Beale, McMaster, 2006).

Des conséquences économiques sont également répertoriées pour l’anorexie mentale et la boulimie. Les coûts relatifs aux soins de santé des TCA représentent des sommes importantes (Simon, Schmidt, & Pilling, 2005), notamment pour l’anorexie mentale qui entraîne de sérieuses complications médicales. Les femmes souffrant d’anorexie mentale vont également présenter d’importantes limitations fonctionnelles qui vont ainsi affecter leur capacité à poursuivre des études ou un travail, alors que les femmes souffrant de boulimie vont être surtout affectées dans leur fonctionnement social (APA, 2015).

1. 1. 6 Facteurs de risque

L’étiologie des TCA est très complexe. Plusieurs facteurs de risque ont été identifiés pour l’anorexie mentale et la boulimie.

1. 1. 6. 1 Facteurs de risque biologiques. Depuis plusieurs années, on reconnaît

davantage la contribution biologique dans l’explication des TCA. Tout d’abord, les études de jumeaux montrent l’importance de l’hérédité dans le développement des TCA (Jacobi, Hayward, De Zwaan, Kraemer, & Agras, 2004). Pour l’anorexie mentale, la valeur génétique additive varie entre 58 et 88% et entre 28 et 83% pour la boulimie (Jacobi et al., 2004). Les études de neurobiologie ont permis d’observer un dérèglement du système sérotoninergique chez les personnes atteintes de TCA (Jacobi et al., 2004). Bien que très peu d’études sont disponibles concernant les complications périnatales, il semble qu’une naissance prématurée, un traumatisme obstétrical de même que des complications durant la grossesse augmenteraient le risque de développer un TCA (Cnattingius, Hultman, Dahl, & Sparén, 1999; Foley, Thacker, Aggen, Neale, & Kendler, 2001; cité dans Jacobi et

al., 2004). Dans une moindre mesure, l’obésité infantile et les problèmes digestifs et alimentaires à

l’enfance ont été répertoriés (Jacobi et al., 2004).

1. 1. 6. 2. Facteurs de risque psychosociaux. En plus des facteurs biologiques, plusieurs

facteurs psychosociaux contribuent de manière significative au développement d’un TCA. D’après le modèle de régulation des affects (Hawkins & Clement, 1984; McCarthy, 1990), les comportements

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compensatoires sont vus comme un moyen d’éviter de ressentir des émotions désagréables. Les affects négatifs représentent un facteur de risque causal de l’insatisfaction corporelle et du développement d’un TCA (Stice, 2004). Les préoccupations quant au poids et l’insatisfaction corporelle semblent aussi des facteurs de risque importants dans le développement d’un TCA (Jacobi et al., 2004; Stice, 2004). Le perfectionnisme, qui est également lié à la poursuite de l’idéal de minceur, est un autre facteur de risque significatif (Stice, 2004). La présence de troubles psychiatriques diagnostiqués avant le début d’un TCA figure aussi parmi les facteurs liés au développement d’un TCA (Jacobi et al., 2004). Plus spécifiquement, les résultats suggèrent que certains troubles anxieux, le trouble obsessionnel-compulsif et le trouble de personnalité obsessionnelle-compulsive sont des précurseurs du développement d’un TCA. Enfin, une faible estime de soi constitue un facteur de risque important pour les TCA (Jacobi et al., 2004).

Parmi les facteurs sociaux, notons que l’influence des médias et la valorisation de l’idéal de minceur représentent des risques causaux pour l’insatisfaction corporelle, la restriction et la boulimie (Stice, 2004). Les études montrent également que certains milieux favorisent le développement de TCA, comme les milieux compétitifs et athlétiques où une emphase est mise sur le poids et le corps (p. ex. ballet, gymnastique, natation, etc.) (Jacobi et al., 2004). De plus, il a été observé que les personnes atteintes d’un TCA étaient souvent plus actives physiquement à l’adolescence et avant l’apparition de la maladie lorsqu’on les compare à des individus n’ayant pas développé de TCA (Jacobi et al., 2004).

Des événements de vie traumatiques semblent aussi contribuer au développement d’un TCA. Les abus sexuels augmentent le risque de développer un trouble de boulimie et, à plus faible mesure, d’anorexie mentale (Jacobi et al., 2004). Vivre un événement stressant, tel que la perte d’un proche, a aussi été identifié comme un facteur de risque du développement d’un TCA (Jacobi et al., 2004). Toutefois, les études semblent noter que le lien est plus faible que pour les abus sexuels.

Finalement, le rôle de la famille a été très tôt décrit dans les théories sur le développement des TCA (p. ex. Bruch, 1973). Certaines variables parentales spécifiques, comme de hautes attentes parentales, peu de contact des parents, des critiques sur le poids et la silhouette par le parent, et la perception de négligence et de rejet parental consistent en des facteurs de risque pour le

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développement d’un TCA (Jacobi et al., 2004). Le rôle de la famille peut ainsi avoir un effet plutôt négatif sur le cours de la maladie, mais il semble aussi que le fait d’avoir un environnement supportant soit un facteur de protection important qui atténuera les effets des autres facteurs de risque (Stice, 2004).

1. 1. 7 Modèle conceptuel de l’anorexie mentale et de la boulimie

Plusieurs des facteurs de risque identifiés plus haut sont repris dans les différents modèles

explicatifs des troubles alimentaires, dont le plus reconnu, le modèle de Fairburn et ses collègues (2003) intitulé le modèle transdiagnostique cognitif-comportemental des TCA. C’est d’ailleurs ce modèle qui est à la base du traitement cognitif-comportemental des TCA et qui a été démontré comme ayant des effets positifs sur les symptômes alimentaires (Wilson, Grilo, & Vitousek, 2007). Au cœur de ce modèle, on retrouve la présence d’un schéma dysfonctionnel d’évaluation de soi, ce dernier entraînant une surévaluation de l’importance attribuée au poids, à la silhouette et à l’alimentation. Or, le schéma dysfonctionnel d’évaluation de soi s’explique principalement par la présence d’un perfectionnisme élevé, d’une faible estime de soi globale, des difficultés relationnelles et de l’intolérance aux émotions. Dans ce modèle, la présence d’une faible estime de soi joue un rôle central. Cette dernière fait en sorte que les personnes souffrant d’anorexie mentale et de boulimie ont une vision très négative d'elles-mêmes indépendamment de leurs performances dans le contrôle de leur poids, de leur silhouette et de leurs comportements alimentaires. Puisqu’il s’agit de l’un des facteurs de risque les plus consensuels au sein des modèles théoriques (Fairburn, Cooper, & Shafran, 2003), l’estime de soi fera partie des facteurs auxquels la présente thèse s’intéressera.

1.2 Estime de soi

L’estime de soi est souvent définie comme une évaluation affective du soi dans son ensemble ayant différentes valeurs, allant de très négative à très positive (Rosenberg, 1965). L’estime de soi se forme à un très jeune âge en fonction du tempérament et des interactions sociales de l’enfant et elle est relativement stable dans le temps et dans les différents contextes (Brown, Dutton, & Cook, 2001). Jusqu’à présent, la plupart des études ayant été menées sur l’estime de soi se sont limitées à examiner la valeur (c.-à-d. élevée ou faible) et l’impact de celle-ci sur le développement de la psychopathologie ou tout autre comportements et attitudes alimentaires (Zeigler-Hill, 2010). Plus

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récemment, un nouveau courant émerge dans le domaine de l’estime de soi et s’intéresse à approfondir le concept même d’estime de soi en prenant en compte les facettes explicites et implicites de l’estime de soi.

1. 2. 1 Estime de soi explicite et implicite

Ainsi, se basant sur le modèle du double processus (Epstein & Morling, 1995; Smith & DeCoster, 2000), les chercheurs se sont intéressés aux deux façons de traiter l’information par rapport au soi, l’une plus cognitive à-d. rationnelle et délibérée) et l’autre plus expérientielle (c.-à-d. intuitive et automatique). C’est à partir de ce modèle que proviennent les deux facettes de l’estime de soi que l’on connaît aujourd’hui, c’est-à-dire l’estime de soi explicite et l’estime de soi implicite.

L’estime de soi explicite fait donc référence à un processus de traitement de l’information plus cognitif. L’estime de soi explicite est d’ailleurs souvent définie comme étant une évaluation consciente d’appréciation de sa valeur et de sa personne comme un tout (Brown, 1993; Kernis, 2003). La façon la plus fréquente de mesurer l’estime de soi explicite demeure les questionnaires auto-rapportés, dont le questionnaire d’estime de soi de Rosenberg (RSES; Rosenberg, 1965). Cet outil est celui qui a reçu le plus de validation empirique (Byrne, 1996; Gray-Little et al., 1997).

L’estime de soi implicite, quant à elle, fait référence aux processus plus expérientiels du traitement de l’information. Les mesures implicites ont ainsi pour but d’évaluer les sentiments automatiques et inconscients par rapport au soi. Plusieurs chercheurs pensent que les associations implicites avec le soi sont plus primitives et se développent avant l'estime de soi explicite (Hetts & Pelham, 2001; Koole, Dijksterhuis, & van Knippenberg, 2001). Plusieurs méthodes ont été développées afin de mesurer l’estime de soi implicite. Par exemple, la tâche de préférence des initiales (Nuttin, 1985, 1987) consiste à évaluer la préférence des lettres qui constituent le prénom et le nom d’un individu parmi les 26 lettres de l’alphabet et de quelques symboles sur une échelle allant de 1 (Je n’aime pas du tout) à 7 (J’aime beaucoup). La tâche de préférence des initiales se base sur le fait que les individus préfèrent les lettres présentes dans leur nom et prénom que les autres lettres de l’alphabet. Une autre mesure implicite de l’estime de soi, le sondage de l’évaluation de soi implicite (Implicit self-evaluation survey; Pelham & Hetts, 1999), mesure l’accessibilité de mots

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plaisants versus non-plaisants à la suite d’une présentation d’un énoncé qui concerne le soi. Par exemple, après avoir lu et jugé de la véracité de la phrase suivante : « Je suis très sensible et à l’écoute de mes sentiments et pensées internes. », les participants doivent compléter un mot dont il manque la première lettre (p. ex. _ON ; les possibilités pourraient par exemple être bon ou con, donc une valence positive vs négative). Outre la tâche de préférence des initiales et le sondage de l’évaluation de soi implicite, la tâche d’associations implicites (Implicite Association Test (IAT); Greenwald, McGhee, & Schwartz, 1998) est la méthode la plus souvent utilisée pour mesurer l’estime de soi implicite. L’IAT demande aux participants de classifier, le plus rapidement possible, des catégories de mots présentés à l’écran d’un ordinateur, soit une paire de mots concernant le soi vs le non-soi et une paire de mots plaisants vs déplaisants. L’individu présentant une estime de soi élevée devrait répondre plus rapidement lorsque les mots concernant le soi et les mots agréables sont associés, alors qu’il répondra plus lentement lorsque les mots concernant le soi et les mots désagréables sont associés ensemble.

Différentes présentations de l’estime de soi explicite et implicite ont été dénombrées : (a) une estime de soi explicite et estime de soi implicite qui concordent, soit élevée ou faible, et (b) une estime de soi explicite et estime de soi implicite qui divergent. Deux formes d’estime de soi divergente sont relevées dans la littérature : la faible estime de soi divergente et la haute estime de soi divergente (Zeigler-Hill, 2006). La première se caractérise par une faible estime de soi explicite et une haute estime de soi implicite et la seconde se caractérise par une haute estime de soi explicite et une faible estime de soi implicite. Les recherches montrent que l'écart entre les deux types d'estime de soi (c.-à-d. la divergence) crée une fragilité du soi (Gregg & Sedikides, 2001). La divergence entre les deux facettes de l’estime de soi est liée à des stratégies de régulation inefficaces et moins socialement acceptables. Par exemple, lorsque les individus présentant une divergence de l’estime de soi ressentent une menace, ils auraient tendance à répondre de manière plus défensive (Kernis et al., 2008), exprimeraient davantage de la colère (Schröder-Abé, Rudolph, & Schultz, 2007) et seraient plus punitifs à l’égard de l’autre (Jordan, Spencer, & Zanna, 2005).

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1. 2. 2 Estime de soi explicite et implicite chez les TCA

La relation entre l’estime de soi explicite et les TCA a bien été démontrée dans la littérature. De façon générale, les résultats s’accordent pour montrer qu’une faible estime de soi explicite augmente le risque de développer un TCA (Cervera, Lahortiga, Martínez-González, Gual, De Irala-Estévez, & Alonso, 2003; Jacobi et al., 2004). La faible estime de soi explicite est liée à la recherche de la minceur et à l’insatisfaction corporelle (Shea & Pritchard, 2007).

Les études sur l’estime de soi implicite et les TCA sont peu nombreuses en plus de présenter des résultats contradictoires. À notre connaissance, seulement deux études empiriques ont investigué l’estime de soi explicite et implicite au sein d’un échantillon clinique de TCA. L’étude de Cockerham, Stopa, Bell et Gregg (2009) a montré qu’un groupe souffrant de boulimie et d’hyperphagie boulimique, comparativement à un groupe contrôle, avait une plus faible estime de soi explicite, ce qui était attendu. Ils ont toutefois trouvé un résultat surprenant en ce qui concerne l’estime de soi implicite. En effet, une meilleure estime de soi implicite a été observée chez les participantes atteintes de boulimie et d’hyperphagie boulimique que chez les participantes du groupe contrôle. Ainsi, le groupe clinique était caractérisé par une faible estime de soi divergente, c’est-à-dire une estime de soi explicite faible et une estime de soi implicite élevée.

Vanderlinden, Kamphuis, Slagmolen, Wigboldus, Pieters et Probst (2009) ont aussi étudié les deux facettes de l’estime de soi auprès d’un échantillon comprenant des patientes atteintes d’anorexie mentale et de boulimie. Leurs résultats montrent que l’échantillon clinique présentait une plus faible estime de soi explicite, comme attendu. Cependant, les chercheurs n’ont, pour leur part, pas trouvé de différence significative en ce qui concerne l’estime de soi implicite entre le groupe de femmes ayant un TCA et le groupe contrôle. Les résultats de cette étude suggèrent que les femmes TCA auraient davantage une faible estime de soi convergente.

Les deux études présentent des différences importantes dans leur méthodologie qui pourraient expliquer les résultats divergents retrouvés au niveau de l’estime de soi implicite. En effet, la première étude n’a pas inclus de participantes souffrant d’anorexie dans son échantillon (Cockerham et al., 2009). Il est donc possible qu’il y ait une différence au niveau de l’estime de soi implicite entre les femmes atteintes d’anorexie mentale et celles atteintes d’hyperphagie boulimique.

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Les deux études diffèrent aussi sur le niveau de sévérité des symptômes des participantes. Les participantes de l’étude de Vanderlinden (2009) étaient hospitalisées pour leur problématique alors que celles de l’étude de Cockerham (2009) étaient suivies en externe. Cela pourrait suggérer que le fait d’être hospitalisé pourrait avoir un impact négatif sur l’estime de soi implicite des femmes présentant un TCA. De plus, les deux études n’ont pas utilisé la même mesure pour évaluer l’estime de soi implicite. L’IAT a été utilisé dans l’étude de Cockerham (2009), tandis que Vanderlinden (2009) a choisi une version modifiée de l’IAT qui est moins connue et moins valide, la tâche affective extrinsèque de Simon (De Houwer, 2003). Quoi qu’il en soit, ces deux seules études ne permettent pas, à ce jour, de bien statuer sur le rôle de l’estime de soi implicite de même que sur la présence d’une estime de soi divergente ou convergente chez les TCA. De plus, comme ces études ont été effectuées uniquement en comparaison à un groupe contrôle, il est difficile de conclure si les différences obtenues (pour l’étude de Cockerham et al., 2009) sont attribuables à la pathologie générale ou à une pathologie spécifiquement reliée aux TCA. La présente thèse permettra de répondre à ces lacunes puisqu’elle (1) comparera les niveaux implicites et explicites de l’estime de soi entre trois groupes : un groupe de femmes qui souffrent d’anorexie mentale et de boulimie, un groupe contrôle psychiatrique et un groupe contrôle sain, et (2) mesurera l’estime de soi implicite à l’aide de l’IAT, la mesure la plus utilisée.

La divergence de l’estime de soi gagnerait à être davantage étudiée. D’ailleurs, un concept très près de l’estime de soi qui pourrait bonifier notre compréhension des facettes de l’estime de soi est le narcissisme. En effet, considérant que le narcissisme est représenté par un conflit interne de la perception du soi par les théoriciens psychodynamiques (Freud, 1914; Kernberg, 1975; Kohut 1966, 1977), ceci est non sans rappeler le concept de divergence de l’estime de soi. Le narcissisme est donc un concept pertinent pour étudier la divergence de l’estime de soi puisqu’il est défini par plusieurs comme étant caractérisé par une façade de supériorité cachant de profonds sentiments d’infériorité (Akhtar & Thomson, 1982; Brown & Bosson, 2001; Morf & Rhodewalt, 1993). De nombreuses études ont examiné le rôle de l’estime de soi explicite et implicite afin de prédire des niveaux de narcissisme (p. ex. Bosson, Lakey, Campbell, Zeigler-Hill, Jordan, & Kernis, 2008; Campbell, Bosson, Goheen, Lakey, & Kernis, 2007; Gregg & Sedikides, 2010; Jordan, Spencer, Zanna, Hoshino-Browne, & Correll, 2003). Toutefois, aucune étude de ce type n’a été effectuée au sein d’un échantillon de femmes atteintes de TCA. Considérant que le narcissisme ressort comme

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un trait significativement plus important chez les personnes souffrant de TCA qu’au sein des autres populations psychiatriques (Steiger, Jabalpurwala, Champagne, & Stotland, 1997), il s’avère intéressant de s’y attarder. Le premier article de thèse s’intéressera donc à la relation entre la divergence de l’estime de soi explicite et implicite et le narcissisme chez les femmes souffrant de TCA.

1. 3 Narcissisme

Le narcissisme chez les TCA a d’abord été observé à travers les études de cas cliniques. En effet, dans le début des années 80, Louis Mogul (1980) fait référence au narcissisme chez les individus ayant un TCA par le biais d’un concept remontant à Anna Freud (1936), l’ascétisme. Appuyant ses propos d’un cas clinique, celui d’une adolescente anorexique, il soulève son besoin d’être une personne distincte de ses parents et le désir d’être quelqu’un de spécial. Il remarque également l’autodiscipline dans la maitrise du corps et l’investissement prononcé dans la quête de l’excellence. Ainsi, c’est à ce moment que le narcissisme est relevé dans l’expression de la symptomatologie alimentaire. Par la suite, plusieurs études empiriques vont témoigner de l’importance du narcissisme chez les TCA (Lehoux, Steiger, & Jabalpurwala, 2000; Steiger et al., 1997), notamment par son interaction avec le traitement, rendant l’adhésion et l’engagement relativement difficiles. La prochaine section visera à mieux définir le narcissisme et ses phénotypes ainsi qu’à présenter les différents outils pour mesurer le narcissisme.

1. 3. 1 Définition du narcissisme

Le narcissisme correspond à la capacité d’un individu à conserver une bonne image de soi tout en répondant à ses propres besoins de validation et d’admiration, selon divers processus psychologiques et relationnels (Pincus, Ansell, Pimentel, Cain, Wright, & Levy, 2009). Le narcissisme peut être sain et adaptatif, mais aussi malsain et pathologique.

1. 3. 2 Origine du narcissisme

Le narcissisme tire ses origines de la mythologie grecque. Le mythe entourant Narcisse, cet être vaniteux et imbu de lui-même, est décrit entre autres par le poète romain Ovide, dont la version est sans doute la plus connue. Ovide raconte l’histoire de Narcisse, un homme qui n’avait d’yeux

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que pour lui-même et qui fut puni par Némésis, la déesse de la Vengeance, pour avoir repoussé la nymphe Écho. Il fut condamné à ne pouvoir aimer que lui-même pour le restant de ses jours. S’observant dans le reflet de l’eau, Narcisse fut si émerveillé par la beauté de son reflet qu’il ne put s’en détacher. Il comprit alors que l’amour qu’il portait à son égard ne pourrait à jamais être égalé et s’enleva la vie.

Les premières traces du narcissisme proviennent de Ellis (1898) qui a décrit un désordre sexuel dans lequel la personne était attirée par elle-même. Puis, le courant psychodynamique a grandement contribué au développement d’une compréhension approfondie de ce concept en proposant différentes explications théoriques. D’abord, pour Freud (1914/1957), la tendance à s’admirer, à se regarder et à s’aimer excessivement associée au narcissisme est interprétée comme un désintéressement de l’amour ou du regard de l’autre causé par un surinvestissement libidinal du Moi au détriment d’un investissement tourné vers les autres.

Kernberg (1975) reprend des éléments de la théorie de Freud, tout en proposant une conceptualisation du narcissisme en termes de relations d’objet pathologiques, c’est-à-dire en termes de représentation de soi, de représentation de l’autre (l’objet) et de l’affect qui lie chacune de ces représentations. Kernberg (1975) considère que la personnalité narcissique se développe à la suite d’une incapacité, chez l’enfant, à intégrer en un tout cohérent les représentations positives et négatives de soi et de l’objet. Cela a pour effet de regrouper les représentations positives de soi, créant ainsi un soi pathologique idéalisé, démesuré et irréel, et les représentations négatives de l’autre qui est alors vu comme dévalorisé et méprisable. Kernberg voit donc le narcissisme comme une pathologie des relations d’objets internalisées, qui serait caractérisée principalement par un affect agressif intense et destructeur. Selon un continuum de sévérité à quatre dimensions (l’identité, les défenses, le contact avec la réalité et les relations d’objet), Kernberg distingue trois sous-types de narcissisme pathologique. Le premier niveau, le moins sévère, regroupe des individus qui possèdent un soi plus intégré, mais qui vivent des difficultés importantes sur le plan des relations intimes. Le deuxième niveau représente ce que le DSM-5 qualifie de trouble de personnalité narcissique. C’est à ce niveau que l’on observe un soi grandiose et démesuré. Le troisième niveau, le plus sévère, correspond au narcissisme malin qui se rapproche de la psychopathie. Le narcissisme malin est caractérisé par des comportements agressifs, hostiles voire même

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destructeurs et sadiques. En somme, le narcissisme, tel que conceptualisé par Kernberg (2007), est associé à un portrait grandiose et extraverti, se caractérisant par l’envie et par des comportements et des attitudes visant à obtenir l’attention et l’admiration des autres. Kernberg, dans sa conceptualisation du narcissisme, fait aussi référence à la vulnérabilité narcissique en parlant des défenses narcissiques (p. ex. l’omnipotence) qui servent à protéger le soi contre les conflits et les frustrations.

Par ailleurs, Kohut (1966, 1971) est un autre auteur influent du courant psychodynamique qui s’est intéressé au narcissisme. Se basant sur l’étude de cas cliniques tout comme Kernberg, Kohut se différencie de ce dernier par son idéologie centrée davantage sur l’organisation et l’expression du soi qui émane de la psychologie du soi. Pour Kohut (1966), le narcissisme est un processus normal et sain qui se développe dès l’enfance et qui peut devenir pathologique lorsque les besoins d’admiration (le processus miroir) et d’idéalisation de l’enfant ne sont pas comblés. Deux manifestations du narcissisme pathologique, soit la recherche d’admiration et l’association à l’autre idéalisé, sont expliquées par le processus miroir et le processus d’idéalisation dans la théorie de Kohut. Lorsque le processus miroir (mirroring), c’est-à-dire le processus par lequel l’enfant se sent vu et admiré par ses parents, n’est pas satisfait, l’enfant devient plus tard assoiffé d’admiration (mirror-hungry), ce qui l’amène à rechercher l’admiration chez l’autre. Lorsque le processus d’idéalisation n’est pas satisfait, c’est-à-dire le processus par lequel l’enfant voit ses parents comme parfaits et tout-puissants, il développe plus tard une forme excessive d’idéalisation de l’autre (ideal hungry), ce qui l’amène à s’associer à d’autres individus qu’il idéalise. Plus précisément, Kohut (1971) perçoit le soi grandiose du narcissisme comme cachant un soi à la fois frêle et instable. Ainsi, pour Kohut, le narcissisme démontre une certaine vulnérabilité que l’individu masque par des fantaisies et un extérieur grandiose.

1. 3. 3 Narcissisme pathologique

Inspiré de la contribution de ces trois auteurs psychodynamiques, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-III; American Psychiatric Association, 1980), en ajoutant pour la première fois le narcissisme en tant que trouble de la personnalité, a grandement permis de faire avancer ce domaine de recherche. Aujourd’hui, le trouble de la personnalité narcissique est défini par une vision grandiose de soi, des fantaisies de succès, un profond désir d’admiration, une

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perception d’être quelqu’un d’unique et spécial, une impression que tout lui est dû, une présence d’envie et d’arrogance, peu d’empathie pour les autres et finalement, une tendance à exploiter les autres (APA, 2015).

Bien que le narcissisme pathologique soit défini par des critères diagnostiques, il n’en demeure pas moins un concept complexe et pour lequel un manque de consensus quant à sa définition est flagrant. Un apport important dans la littérature scientifique sur le narcissisme provient de Pincus et Lukowitsky (2010), qui ont établi un schème de référence clair des différents aspects du narcissisme. Ils définissent a) la nature du narcissisme étant soit normale ou pathologique; b) les dimensions du narcissisme étant soit grandiose ou vulnérable; c) l’expression du narcissisme étant soit ouverte ou cachée, et enfin d) la structure catégorielle, dimensionnelle ou prototypique du narcissisme.

La différenciation des dimensions du narcissisme pathologique est particulièrement importante, car elle favorise l’approfondissement des connaissances cliniques et théoriques (Pincus & Lukowitsky, 2010). En effet, une vision multidimensionnelle du narcissisme pathologique permet d’évaluer de manière distincte les dimensions d’un même concept, permettant d’enrichir la compréhension clinique et scientifique des liens entre le narcissisme et diverses pathologies (Smith, McCarthy, & Zapolski, 2009). L’identification et la description des différentes dimensions reliées à un construit optimisent, selon Smith et ses collègues (2009), la validité et l’utilité de ces construits en plus de les rendre plus parcimonieux.

Nous détaillerons dans la prochaine section les deux dimensions du narcissisme pathologique.

1. 3. 4 Les dimensions grandioses et vulnérables

La dimension grandiose du narcissisme pathologique se caractérise par la recherche d’admiration, l’exploitation d’autrui et les fantaisies grandioses (Pincus & Lukowitsky, 2010). L’arrogance, la vanité et une attitude dominante correspondent également à la dimension grandiose (Buss & Chiodo, 1991). Les critères diagnostiques du trouble de personnalité narcissique décrits dans le DSM-5 représentent plus particulièrement cette dimension. La dimension vulnérable, quant

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à elle, se caractérise par la timidité, l’inhibition et la présence importante de honte (Miller, Hoffman, Gaughan, Gentile, Maples, & Campbell, 2011). Ronningstam (2005a, b) propose l’idée que le narcissique timide, qui correspond à la dimension vulnérable, régule son estime de soi par le biais de fantaisies grandioses tout en ressentant beaucoup de honte quant à ses besoins et à ses ambitions. Elle estime que le problème du narcissique timide est davantage un problème relié à la honte plutôt qu’à l’envie et à l’agressivité, comme c’est le cas pour la dimension grandiose.

De plus en plus d’études s’intéressent aux deux dimensions du narcissisme et corroborent l’idée qu’il s’agit de concepts bien différents. Les deux dimensions ont notamment été examinées selon différentes variables psychologiques, comme la personnalité et les styles d’attachement. La dimension grandiose et la dimension vulnérable sont associées à des traits différents de la personnalité. Ils divergent notamment sur les traits de névrosisme et d’extraversion (Miller et al., 2011). En effet, la dimension vulnérable est associée positivement au névrosisme alors que la relation est inverse pour la dimension grandiose. Concernant l’extraversion, la dimension grandiose est associée positivement à ce trait de personnalité alors que la dimension vulnérable y est associée négativement. Lorsque comparées aux troubles de personnalité, des différences sont encore observées pour les deux dimensions. La dimension vulnérable était associée aux troubles de personnalité paranoïde, schizotypique, limite, évitante et dépendante alors que la dimension grandiose était associée au trouble de personnalité histrionique (Miller et al., 2011). Les deux dimensions semblent aussi différer quant à leur style d’attachement. Les données suggèrent que la dimension vulnérable est caractérisée davantage par un style d’attachement anxieux et évitant alors que ce ne serait pas le cas pour la dimension grandiose (Miller et al., 2011). D’autres études devront clarifier le lien entre la dimension grandiose et le style d’attachement.

1. 3. 5 Les mesures du narcissisme pathologique

Plusieurs outils ont été développés afin de mesurer le narcissisme. Le Narcissistic Personality Inventory (NPI), conçu par Raskin et Terry en 1988, est l’outil le plus utilisé pour mesurer le narcissisme. Toutefois, certains auteurs semblent suggérer que le NPI mesurerait davantage des éléments adaptatifs du narcissisme (Cain, Pincus, & Ansell, 2008; Pincus & Lukowitsky, 2010). De plus, cet outil ne prend pas en compte la dimension vulnérable du narcissisme. Le Pathological Narcissism Inventory (PNI), créé par Pincus et ses collaborateurs en 2009, a été développé afin de

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pallier aux lacunes que présente le NPI. Le PNI est donc un outil qui mesure le narcissisme pathologique et qui permet d’évaluer à la fois la dimension grandiose et vulnérable du narcissisme. Bien que le PNI semble être de plus en plus utilisé, à notre connaissance, aucune étude clinique sur les TCA ne l’a encore utilisé.

1. 3. 6 Narcissisme et TCA

Comme mentionné précédemment, une longue histoire relie le narcissisme au TCA. Les travaux de Lehoux, Steiger et Jabalpurlawa (2000) qui ont d’abord étudier le narcissisme de manière unidimensionnelle ont été considérables quant à l’établissement du narcissisme en tant que trait commun caractéristique de la boulimie. Ils ont même démontré que le narcissisme était le seul prédicteur parmi les variables étudiées (dépression, anxiété, automutilation, restriction, recherche de sensations, compulsion) qui séparait les femmes boulimiques et celles en rémission d’une boulimie, de celles du groupe contrôle. Ainsi, leurs résultats situent le narcissisme comme un trait durable expliquant la propension à développer des symptômes boulimiques. Il ne faut cependant pas croire que le narcissisme serait lié uniquement au versant boulimique. En effet, les deux sous-types de l’anorexie, celui restrictif et celui avec accès hyperphagiques/purgatif, présentent des scores plus élevés de narcissisme lorsqu’ils sont comparés à un groupe contrôle psychiatrique (Steiger et al., 1997). Dans l’ensemble, les résultats suggèrent que le narcissisme est un trait de personnalité présent chez tous les diagnostics de TCA et qui perdure dans le temps (Holliday, Uher, Landau, Collier, & Treasure, 2006; Lehoux et al., 2000).

Certains auteurs se sont questionnés à savoir si certaines dimensions du narcissisme pathologique (grandiose et vulnérable) étaient davantage associées aux symptômes alimentaires comme la restriction alimentaire, l’exercice excessif, etc. Les résultats provenant d’échantillons non-cliniques ont montré un lien plutôt inconstant quant à la dimension grandiose, c’est-à-dire que certaines études montrent que cette dimension est reliée aux symptômes alimentaires pathologiques, alors que d’autres non. Concernant la dimension vulnérable, les études sont davantage cohérentes, c’est-à-dire qu’elles démontrent que cette dimension ressort particulièrement avec les symptômes alimentaires. La dimension vulnérable est associée de façon récurrente avec les attitudes et comportements alimentaires dysfonctionnels (Brunton, Lacey, & Waller, 2005; Gordon & Dombeck, 2010; Maples, Collins, Miller, Fischer, & Seibert, 2011).

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