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La tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne dans l'encyclique Spe Salvi de Benoît XVI

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Texte intégral

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La tension eschatologique dans la vie spirituelle

chrétienne dans l’encyclique Spe Salvi de

Benoît XVI

Mémoire

Francis Denis

Maîtrise en théologie

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

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Résumé

Ce mémoire de maîtrise présente, en trois parties, les différents rôles de la « tension eschatologique » dans la vie spirituelle chrétienne selon Spe Salvi, deuxième encyclique de Benoît XVI. Dans un premier temps, ce travail en théologie spirituelle présente les résultats d’une recherche exploratrice du contenu argumentatif de l’encyclique en mettant en évidence les rôles de l’espérance chrétienne dans la vie spirituelle, l’authenticité de ces rôles étant vérifiée à l’aide d’une définition reconnue de la vie spirituelle. Dans un deuxième temps est proposée une herméneutique de ces résultats selon le critère de « tension eschatologique » puisé à même l’encyclique. Les deuxième et troisième parties proposent une analyse comparative des résultats obtenus avec deux corpus concernant l’eschatologie: d’une part différents écrits de Joseph Ratzinger et, d’autre part, les grandes lignes de la doctrine de Jürgen Moltmann. Comme application et confirmation des résultats de la recherche, la conclusion met brièvement en évidence d’éventuelles conséquences doctrinales et pastorales.

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Table des matières

Résumé ... p.III Table des matières ... p.V Remerciement ... p.IX 1. Introduction ... p.1 a. Problématique ... p.1 b. Domaine de recherche ... p.4 c. Question de recherche ... p.5 d. Corpus ... p.5 e. Méthode ... p.6 2. Essais d’exploration de Spe Salvi ... p.11 a. Introduction... p.11 b. La vie spirituelle : ses caractéristiques ... p.12 c. Une tension révélatrice ... p.20 i. Révélatrice pour l’homme ... p.21 ii. Révélatrice des perspectives chrétiennes sur le monde

ou la place des « petites espérances » ... p.26 d. Fondement de la vie spirituelle... p.34 e. Une tension transformatrice ... p.40 i. Une transformation personnelle et intérieure ... p.41 ii. Transformation du monde ... p.44 f. Une force pour surmonter les épreuves ... p.46 g. Une tension purificatrice ... p.50 i. Disposition nécessaire à l’espérance ... p.50 ii. Expérience d’amour qui purifie ... p.52 iii. La prière : acte eschatologique ... p.54 iv. Purification : libération du péché et de l’erreur ... p.56 h. Une tension unificatrice ... p.59 i. Réconciliation de la vie et de la mort ... p.60 ii. Réconcilier la dimension singulière et collective de la personne ... p.63 iii. De la Justice et de la miséricorde ... p.69 i. Conclusion transitoire... p.76 3. Essais d’exploration de la théologie eschatologique de J. Ratzinger ... p.77 a. Introduction... p.77 b. L’eschatologie chez Ratzinger ... p.78 i. Son importance ... p.80 ii. L’eschatologie « christologique » de J. Ratzinger... p.81

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c. Rôle de l’eschatologie dans la vie spirituelle du chrétien

chez J. Ratzinger ... p.85 i. Une tension révélatrice ... p.85 1. Révèle le sens de la souffrance ... p.85 2. Une tension qui assume et révèle le sens de l’ouverture naturelle à la transcendance ... p.89

3. Eschatologie et exégèse ... p.91 ii. Fondement de la vie spirituelle chrétienne ... p.95 iii. Un rôle unificateur ... p.98

1. Réconciliation de la dimension singulière

et collective de la personne ... p.99 2. Réconciliation de la vie et de la mort ... p.105 d. Jésus de Nazareth et l’eschatologie christologique

de Ratzinger/Benoît XVI ... p.109 i. Primauté de l’objectivité comme source de l’expérience ... p.110 ii. L’eschatologie christologique du second Ratzinger ... p.111 iii. Tension eschatologique et vie spirituelle chrétienne

chez le second Ratzinger ... p.113 e. Conclusion transitoire ... p.116 3. Benoît XVI et l’eschatologie de Jürgen Moltmann ... p.117 a. Introduction... p.117 b. Portrait de l’eschatologie de Jürgen Moltmann ... p.117

i. Éléments fondamentaux de la théologie

eschatologique de Moltmann ... p.119 c.Théologie de la Croix et tension eschatologique ... p.123 d. Rôle de la tension dans la vie spirituelle du chrétien ... p.125 i. Rôle révélateur... p.126 ii.Rôle libérateur et transformateur ... p.127 e. Analyse comparée des eschatologies ratzingérienne

et moltmanienne……….p.129 i. Moltmann et Benoît XVI : convergences et distinctions ... p.130 ii.Moltmann et Benoît XVI : divergences profondes ... p.132 f. Conclusion transitoire ... p.135 4. Conclusion ... p.137 a. Résumé méthodologique ... p.138 b. Tension eschatologique : possibles conséquences doctrinales ... p.140 i. La tension eschatologique et Libertatis nuntius (1984) ... p.141 ii.La tension eschatologique et Libertatis conscientia (1986) ... p.145 c. Benoît XVI et le relativisme ... p.148 i. Le relativisme : engendre la violence ... p.149 ii. Le relativisme : met en danger la liberté ... p.151 d. Perspectives à venir ... p.153 5. Bibliographie ... p.155

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Remerciements

Je tiens d’abord à remercier mes parents, ma mère Louise et mon père Claude pour leur soutien durant la période qui a mené à terme la rédaction de ce mémoire. Ma tante et marraine Claire pour l’importance du temps accordé aux diverses corrections qui devaient nécessairement être apportées. Ma patiente directrice Thérèse Nadeau-Lacour pour ses conseils judicieux et sa rigueur intellectuelle.

Je remercie également son Éminence le Cardinal Marc Ouellet, Denis Saint-Maurice ptre, Paul O’Callaghan ptre, Louis-André Nault ptre, Réjean Lussier ptre, Thomas Rosica ptre, Fr. Hansoo Park, Éric Sylvestre p.s.s., Randifer Bouquiren ptre, Joseph Escribano ptre, Marcel J. Drouin ptre ý, la Prélature de l’Opus Dei ainsi que les Dominicains d’Ottawa et de Bujumbura pour leur soutien spirituel. Je ne peux passer sous silence les précieux moments passés en compagnie de Michel Demers, Hon. Marcel Prud’homme, Excl. Francis Campbell ainsi que toute l’équipe de la Télévision Sel & Lumière. Enfin, je remercie spécialement le Séminaire de Québec et le Fond de

soutien à la réussite pour m’avoir encouragé à continuer mes études de maîtrise en

théologie et de m’avoir donné les moyens pour réaliser un tel projet.

Enfin, je remercie son Éminence le Cardinal Thomas Collins, l’Archidiocèse de Toronto et Serra House pour leur accueil inconditionnel et leur grande compréhension.

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« La glorieuse Cité de Dieu poursuit son pèlerinage à travers les temps et l’impiété, vivant ici-bas de la foi; elle attend par la patience la stabilité du séjour éternel, où sa justice sera juge à son tour, et sa sainteté en possession de la victoire dernière et de la paix inaltérable »

- Saint Augustin, De Civitate Dei, 1, 1.

« Et omnis qui habet hanc spem in eo, sanctificat se, sicut et ille sanctus est.» - 1 Io, 3, 3.

« Lasciate ogne speranza, voi ch'entrate »

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1. Introduction

a. Problématique

Depuis plusieurs années, certains observateurs ont constaté l’importance donnée par Benoît XVI au problème du sécularisme et du relativisme. Les actions, mises en œuvre durant son pontificat, peuvent, entre autres, être perçues comme ayant pour but de s’attaquer à ce problème. Déjà, comme théologien, il s’y était consacré grandement. Pour Joseph Ratzinger, la foi catholique se trouve dans un état de fragilité. Sans nous interroger directement sur les causes doctrinales, sociétales ou pastorales spécifiques de cet état de fait, notons que « ses interventions ponctuelles de chirurgien de la foi et des mœurs ne lui masquaient pas l’ampleur de la crise de la foi et la nécessité d’une action d’ensemble d’éducation de la vie spirituelle »1. Ce qui est frappant à ses yeux, c’est de voir combien la vie spirituelle des chrétiens souffre de la crise actuelle de la foi. Cette crise de la foi et ses conséquences sur la vie spirituelle est très importante pour comprendre le contexte des documents des récents souverains pontifes et tout spécialement de Benoît XVI. Il écrit en ce sens :

« Alors que dans le passé il était possible de reconnaître un tissu culturel unitaire, largement admis dans son renvoi aux contenus de la foi et aux valeurs inspirées par elle, aujourd’hui il ne semble plus en être ainsi dans de grands secteurs de la société, en raison d’une profonde crise de la foi qui a touché de nombreuses personnes. »2

Une conséquence évidente de cette crise se trouve dans « la laïcisation dans beaucoup de pays, la sécularisation généralisée »3 que Jean Chélini n’hésite pas à qualifier de « traversée du désert spirituelle ». C’est en ce sens que, pour Ratzinger, la crise actuelle de la foi est étroitement liée à la vie spirituelle. De fait, la vie spirituelle chrétienne ou, en d’autres termes, la relation personnelle que le baptisé entretient avec le Dieu trine, se nourrit d’abord de l’adhésion de l’intelligence humaine au contenu objectif de la foi tel qu’annoncé par l’Église. Cette crise multiforme toucherait donc à la source de la vie spirituelle et l’affecterait profondément. De plus, ses conséquences

1 Jean Chélini, Benoît XVI : l’héritier du Concile, Paris, Hachette, 2005, p.226. 2 Benoît XVI, Motu proprio : Porta Fidei, LIV, 2011, # 2.

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sur la vie pratique sont de plus en plus visibles. On a pu dire à ce propos que, se référant à la vie de sociétés concrètes, « le Pape Benoît XVI a posé depuis longtemps le diagnostic de cette maladie qui sape l’énergie spirituelle et la force humaine européennes. C’est une maladie qui touche les idées et les valeurs »4 et il rajoute que « la foi donne la joie … il est facile de voir aujourd’hui comment un monde vide de Dieu est devenu un monde totalement sans joie »5.

Que manque-t-il donc à notre monde pour qu’il retrouve sa joie et son goût d’exister ? Comment les chrétiens seront-ils en mesure de traverser les difficultés que le monde apporte nécessairement avec lui s’ils sont déstabilisés dans ce qu’il y a de plus fondamental ? Pour Joseph Ratzinger, ce malaise n’est pas sans solutions. En effet, son constat peut se résumer dans le fait qu’il « nous manque la dimension spirituelle qui donne le sens de notre vie sur la terre »6 et « que la grande crise de notre temps est l’absence de Dieu »7. Aussi, à ses yeux, nous faudrait-il reprendre contact avec cette dimension spirituelle qui est, en fin de compte, une « assurance tranquille d’être aimé, d’être accepté, qui émane de notre regard tourné vers Lui »8. La redécouverte de la vie spirituelle, selon Ratzinger et Benoît XVI, joue donc un rôle clef dans le renouveau de l’Église et du bonheur des êtres humains en général9. Ce panorama des motivations pastorales de Benoît XVI invite à réfléchir aux solutions apportées par ses différents écrits et plus particulièrement l’encyclique Spe Salvi, cette dernière nous semblant tout particulièrement révélatrice de ses intuitions et attitudes face à la crise actuelle.

En effet, cette encyclique, la deuxième du pontificat, présente l’espérance comme l’une des dimensions de la vie spirituelle spécialement importante pour notre temps. La raison principale est le lien indissoluble entre la vertu d’espérance et la vertu de

4 George Weigel, Benoît XVI : Le choix de la Vérité, Rodesa, Mame-Edifa-Magnificat, 2008, p.302. 5 Joseph Ratzinger, God and the World : A Conversation with Peter Seewald, San Francisco, Ignatus

Press, 2002, p.19.

6 Patrice de Plunkett, Benoît XVI et le plan de Dieu, Paris, Presse de la Renaissance, 2005, p.151. 7 Robert Moynihan, La vision spirituelle de Benoît XVI, Québec, Ed. Fides, 2007, p.51.

8 Joseph Ratzinger, Église et théologie, Paris, Éd. Mame, 2005, p. 61.

9 Cristoforo Charamsa affirme que : « la parola del Pontefice è una sfida per il mondo e per l’umanità,

per il pensare umano in genere », C. Charamsa, La recezione della Lettera Enciclica Spe Salvi di

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foi. En effet, Spe Salvi fait sienne la définition traditionnelle catholique de la foi telle que formulée par Thomas d’Aquin et qui, à son tour, faisait sienne celle de l’auteur de la Lettre aux Hébreux: « la foi est la « substance » des réalités à espérer; la preuve des réalités qu'on ne voit pas. » (Hb 11,1). Cette définition de la vertu de foi de la Lettre

aux Hébreux manifeste son lien intrinsèque avec l’espérance. La foi est tellement liée

à l’espérance que cette dernière entre dans sa définition et se présente comme la cause finale prochaine de la foi. Pourquoi croyons-nous ? Pour espérer ! En effet, « la foi est la « substance » des réalités qui font l’objet d’espérance »10. L’objet de l’espérance chrétienne est donc constitué des éléments de la Révélation mais plus particulièrement de ceux qui font référence aux « fins dernières ». En ce sens, la théologie spirituelle a traditionnellement accordé un rôle important à l’eschatologie dans la vie spirituelle chrétienne. On a pu écrire que « L’espérance dépasse la foi, prolongeant l’acte de foi avec le désir de posséder la réalité crue, surtout le bonheur éternel, lequel constitue l’objet propre et primaire de l’espérance théologale »11.

Selon Benoît XVI, l’horizon eschatologique, parce qu’il influe sur l’intelligence et la volonté humaine au point où une vertu théologale lui est proprement adaptée, est d’une importance capitale dans la théologie spirituelle chrétienne et, ainsi, peut être une partie de la solution à la crise évoquée plus haut. C’est parce qu’il vise d’abord et avant tout la vie éternelle des croyants que ceux-ci se mettent en route et réussissent à traverser les épreuves de la vie dans leurs dimensions humaines et chrétiennes. C’est, entre autres, parce que la ‘récompense’ est grande (Is, 61,8) qu’elle est en mesure d’assurer la continuité et les sacrifices nécessaires à la réception de ce grand prix qu’est la vie éternelle.

Comme le dit Manuel Belda :

« La foi … dans le fait de révéler que Dieu est le Bien Suprême, le bonheur ultime de l’être humain, fait naître dans la volonté humaine une tension vers la recherche et la possession de Dieu. Cette tension constitue

10 Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, LIV, 2007, no 8.

11 Manuel Belda, Guidati dallo Spirito, Corso di Teologia spirituale, Roma, EDUSC, 2009, p.291. :

« La speranza va oltre la fede, prolungango l’atto di fede col desiderio di possedere le realtà credute, innanzittuto la felicità eterna, il che costituisce l’oggetto proprio e precipuo della speranza teologale » traduction libre.

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l’essence de l’espérance théologale ».12

La vie chrétienne, puisqu’elle comporte l’exercice des vertus théologales et morales, doit, pour ce faire, trouver ces éléments formulés rationnellement afin d’être en mesure de les vouloir. Cette formulation est ce que l’on appelle le contenu objectif de la foi. Toutefois, certains éléments de ce Credo sont plus aptes que d’autres à susciter cette

tension. Par exemple, la connaissance du dogme de la Résurrection est plus facilement

capable de susciter le réconfort chez le chrétien que le Filioque. En ce sens, le contenu eschatologique de la foi tel que présent dans l’encyclique Spe Salvi de Benoît XVI nous est apparu comme le plus en mesure de donner l’impulsion nécessaire pour que la vie spirituelle devienne, pour les chrétiens, une priorité. Comme l’affirme Thérèse Nadeau-Lacour en parlant du processus de conversion de saint Paul : « au regard du jeune pharisien et à vue humaine, de toutes les désespérances, la mort du Fils de Dieu sur une croix, devient par la Résurrection, la raison de toutes les espérances »13. Telle fut l’intuition de départ motivant notre recherche. Ainsi nous approfondirons l’influence de l’eschatologie sur la vie spirituelle chrétienne chez Benoît XVI et plus spécifiquement dans l’encyclique Spe Salvi.

b. Domaine de recherche

Nous sommes maintenant en mesure de dresser un portrait des raisons générales appuyant notre décision d’inscrire ce travail de recherche dans le cadre de la théologie spirituelle. Cela provient du fait que cette discipline est, selon nous, la plus adéquate pour comprendre les orientations pastorales de Benoît XVI. En effet, comme nous l’avons déjà dit, la pensée de Benoît XVI est grandement influencée par son ministère et totalement orientée vers l’amélioration de la relation entre les hommes14 et Dieu ou, en d’autres termes, de la vie spirituelle chrétienne. C’est pourquoi, la

12 Manuel Belda, Guidati dallo Spirito, Corso di Teologia spirituale, Roma, EDUSC, 2009, « la fede

… nel rivelare che Dio è il Sommo Bene, la felicità ultima dell’essere umano, fa nascere nella volontà umana una tensione verso la ricerca e il possesso di Dio. Questa tensione costituisce l’essenza della speranza teologale », trad. Libre, p.291.

13 Thérèse Nadeau-Lacour, « Dieu a planté sa tente dans le cœur d’un homme : Paul mystique et

‘ouvrier de l’Évangile’ », dans Thérèse Nadeau-Lacour dir., Au nom d’une Passion. L’évangélisation

dans le cœur des saints, Artège, Perpignan, 2013 p. 76.

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théologie spirituelle nous est apparue comme la plus pertinente. Cependant, notre recherche nécessite l’intervention d’une autre discipline. En effet, la pensée de Benoît XVI, bien qu’étant éminemment pastorale, trouve sa source première en théologie dogmatique. De plus, à cause de l’importance qu’accorde l’encyclique Spe Salvi au problème des « fins dernières », il nous est apparu cohérent de faire appel à la théologie eschatologique. Ainsi, puisque notre mémoire pose la question des conséquences de l’eschatologie sur la vie spirituelle chrétienne chez Benoît XVI, nous avons jugé l’apport de ces deux disciplines comme étant indispensable. Précisons toutefois que le but de ce mémoire s’inscrit d’abord en théologie spirituelle, l’apport de l’eschatologie se situant davantage au niveau des outils conceptuels.

c. Question de recherche

Ce qui précède nous permet de délimiter notre projet de recherche sous forme de question précise. En effet, la théologie de Benoît XVI est, comme nous l’avons déjà dit, fortement orientée vers l’amélioration de la vie spirituelle chrétienne. De plus, l’eschatologie joue manifestement un rôle central dans cette dernière. Pour ces raisons, notre projet de recherche peut se présenter comme une tentative de réponse à la question suivante : Quels sont les rôles que joue la tension eschatologique dans la vie

spirituelle chrétienne dans l’encyclique Spe Salvi de Benoît XVI ?

d. Corpus

Le choix de Spe Salvi s’appuie sur plusieurs raisons. La première est que cette encyclique traite de la vertu d’espérance et de l’importance de la dimension eschatologique de la foi chrétienne dans la vie spirituelle. Elle n’est donc pas un document que nous avons choisi après la formulation de notre projet de recherche mais plutôt la source d’inspiration principale qui nous a porté à approfondir ce sujet. La centralité de cette encyclique dans le pontificat de Benoît XVI s’est simplement ajoutée aux arguments appuyant la pertinence de cette recherche. Une deuxième raison se trouve dans le fait que l’encyclique manifeste bien les différentes implications

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référence au principe de tension eschatologique. Enfin, la taille du document se prêtait bien à une étude approfondie dans le contexte d’un mémoire de maîtrise.

Le Corpus secondaire se partage en deux parties distinctes. D’abord nous avons voulu connaître davantage les racines et influences théologiques qui sont présupposées à la composition de cette encyclique. Pour ce faire, nous avons pensé que l’examen du corpus théologique de Joseph Ratzinger pouvait être extrêmement enrichissant à ce point de vue. Ainsi nous avons fait une étude exploratrice de trois ouvrages publiés à titre de théologien avant la sortie l’encyclique de Benoît XVI. Il s’agit donc de l’ouvrage La mort et l’au-delà ainsi que de certains chapitres de Principe de la

théologie catholique et de L’Esprit de la liturgie. De plus, nous avons pensé que

l’étude d’un livre publié après la parution de Spe Salvi permettrait de vérifier les possibles évolutions ou la continuité dans la pensée de notre auteur.

Dans un deuxième temps, nous avons voulu effectuer une deuxième analyse comparative des résultats obtenus dans l’étude du corpus principal en les mettant en parallèle avec la pensée de Jürgen Moltmann. Ce théologien d’envergure a traité amplement du sujet de notre recherche. Pour ce faire, nous avons concentré notre attention sur l’ouvrage Théologie de l’espérance I-II avec l’aide de plusieurs commentateurs. Ainsi, l’approfondissement de l’eschatologie motlmanienne apportera à l’étude de Spe Salvi une autre dimension en manifestant les convergences mais également les divergences des deux perspectives.

e. Méthode

Pour répondre à cette question, nous avons décidé d’opter pour une démarche

essentiellement exploratrice partagée en trois parties correspondant à trois corpus

distincts quoique liés entre eux. En effet, dans une première partie, nous avons opté pour une analyse interprétative de l’encyclique Spe Salvi. Le choix de cette encyclique nous est apparu évident parce qu’elle traite explicitement de l’objet de notre recherche. Cette analyse permet d’identifier directement les rôles que joue « l’indispensable

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tension eschatologique »15 dans la vie spirituelle chrétienne. Cette analyse sera de type inductivo-argumentative. Le caractère inductif de l’analyse se trouve dans le fait qu’elle ne consiste pas en une application d’une grille d’analyse extérieure à l’encyclique même. C’est plutôt le contenu même de l’encyclique qui, en se basant sur une étude des champs sémantiques récurrents dans l’encyclique - étude qui n’est pas développée dans le mémoire -, a permis de mettre en évidence des catégories sous lesquelles ranger les effets et les différents rôles de la tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne. Une deuxième approche, de nature argumentative a permis de mettre au jour les lignes de force de l’argumentation de Benoit XVI.

Ainsi, après avoir défini les différents termes clefs de notre recherche que sont la « tension eschatologique » et la « vie spirituelle », nous avons procédé à l’analyse comme telle. Plusieurs lectures de l’encyclique nous ont permis de souligner tous les rôles que la tension eschatologique y joue pour la vie spirituelle chrétienne. Après avoir dressé une liste de chacun d’entre eux, nous avons pu les classer en différentes catégories. Enfin, pour chacun de ces rôles, nous avons, dans un premier temps, explicité la spécificité de chacun d’entre eux comme ils se présentent dans Spe Salvi et, dans un deuxième temps, interprété ce donné selon un critère d’herméneutique présent dans l’encyclique même. Par exemple, la lecture de ce document nous a permis de percevoir que le « Royaume de Dieu » ou, en d’autres termes, l’Eschaton avait des effets purificateurs dans la vie spirituelle chrétienne. Une fois exposées, à partir de l’encyclique, les différentes façons dont l’eschatologie y joue le rôle d’agent purificateur dans la vie spirituelle, nous avons effectué une interprétation de ces données selon le critère de « tension eschatologique ». Ainsi, grâce à cette méthode, nous avons été en mesure, non seulement de dresser un portrait des données présentes dans l’encyclique en les catégorisant à même son contenu, mais également d’offrir un certain approfondissement à partir d’un critère présent lui aussi dans l’encyclique. Il est important de mentionner que nous n’appliquerons pas chacun des critères d’authenticité à chaque rôle identifié. Ces critères seront utiles dans la mesure où ils permettent de voir avec plus de clarté comment la tension eschatologique joue un rôle

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dans la vie spirituelle chrétienne.

Cette recherche étant effectuée, nous avons voulu poursuivre notre approfondissement de la pensée de Benoît XVI concernant le rôle de la tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne dans l’encyclique Spe Salvi en vérifiant l’état de cette question dans un corpus extérieur au sceau magistériel. Pour ce faire, nous avons procédé, bien que d’une manière moins exhaustive, à l’analyse de la pensée du théologien Joseph Ratzinger en utilisant une méthode comparative. Après la lecture du corpus en question, nous avons voulu vérifier si les catégories présentes dans Spe Salvi s’appliquaient également à cette période antérieure du développement de sa pensée. Pour ce faire, nous avons d’abord procédé à l’analyse de l’ouvrage La mort et

l’au-delà ainsi que de certains chapitres de Principe de la théologie catholique et de L’Esprit de la liturgie. Dans un deuxième temps, nous avons voulu vérifier si les

résultats obtenus dans cette première partie trouvent un écho dans la pensée théologique de Joseph Ratzinger mais, cette fois-ci, après la publication de l’encyclique. Nous avons donc procédé à une brève analyse du premier volume de la série Jésus de Nazareth. Ainsi, nous avons pu vérifier s’il y avait continuité, évolution ou transformation dans ses opinions théologiques entre ces trois différentes périodes de sa vie. C’est l’objet de la fin de la deuxième partie.

La troisième partie approfondit la pensée de Benoît XVI en empruntant un troisième chemin. En effet, c’est indirectement que nous avons voulu mettre en évidence la spécificité de sa théologie spirituelle en la mettant en dialogue avec celle du théologien allemand Jürgen Moltmann. Ainsi, dans un premier temps, nous avons pu explorer d’autres avenues possibles en réponse à notre question de recherche. Ensuite, nous avons utilisé une méthode comparative afin de mettre en perspective les deux approches et ainsi souligner quelques aspects communs mais également plusieurs distinctions et oppositions qui surgissent de ces deux perspectives. Cette troisième partie est volontairement plus restreinte que les deux premières puisqu’elle ne concernait qu’indirectement notre auteur.

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La conclusion présente une brève interprétation des résultats de notre recherche en s’attachant à souligner ce que nous percevons comme étant des implications doctrinales et pastorales. Ces dernières porteront sur certaines orientations du pontificat de Benoît XVI face aux défis que lance la modernité, plus spécialement celui du relativisme.

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2. Essais d’exploration de Spe Salvi

a. Introduction

Comme nous l’avons brièvement dit dans l’introduction, la tension eschatologique, c’est-à-dire la tension qui situe le croyant entre un « déjà » et un « pas encore » de la vie éternelle, produit de nombreux effets dans la vie spirituelle du chrétien. Nous avons également vu que cette tension était tout particulièrement soulignée dans l’encyclique Spe Salvi de Benoît XVI. C’est donc que cette tension est véritablement centrale et que son étude nécessite une attention particulière. Cette première partie de travail sera donc une analyse de type argumentatif inductif. Nous avons choisi cette méthode pour plusieurs raisons. D’abord, parce que nous n’avons pas voulu imposer au texte une grille d’analyse déjà construite à laquelle le texte aurait dû se « conformer ». Nous avons plutôt opté pour une analyse qui mettrait à l’avant-plan l’argumentation et le contenu même de l’encyclique. Ce qui a permis « d’extraire » les éléments concernant plus particulièrement notre question de recherche. Dans un premier temps, nous avons procédé à l’élaboration des outils conceptuels utilisés en explicitant la définition de « vie spirituelle » qui sera utilisée dans ce mémoire. Ensuite, nous avons établi six catégories qui nous semblaient regrouper assez adéquatement les réponses à notre questionnement. Cette démarche inductive consistera en une catégorisation sous différents concepts pris à même le contenu de l’encyclique. Par exemple, le « rôle d’agent révélateur » ne se trouve pas explicité dans le texte. Cependant, le contenu de l’encyclique permettait le regroupement de certaines idées sous ce vocable. Cette méthode nous a permis de laisser parler le texte de lui-même et, donc, de répondre le mieux possible à notre question de recherche : Quel est le rôle de la tension eschatologique dans la vie spirituelle du chrétien dans l’encyclique Spe Salvi de Benoît XVI ? Ensuite, parce que le principe de « tension eschatologique » se trouve explicitement affirmé au début de l’encyclique (n. 7), nous avons présumé que celui-ci pouvait être utilisé comme principe d’une juste herméneutique de son contenu théologique, ce qui a été largement confirmé. Enfin, à partir des données de l’analyse ainsi effectuée, nous expliciterons les diverses répercussions sur la vie spirituelle chrétienne en les mettant en lien avec

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certains des critères objectifs définis plus haut. C’est de cette manière que nous tenterons de répondre à notre question de recherche.

b. La vie spirituelle : ses caractéristiques

Dans un premier temps, il est essentiel de définir ce que nous entendons par « vie spirituelle chrétienne ». Pour y arriver, nous nous sommes basé sur un ouvrage qui devait être reconnu en théologie spirituelle. C’est pourquoi nous avons choisi l’Introduction à la vie spirituelle de Louis Bouyer16. Nous examinerons premièrement une définition générique du concept de « vie spirituelle chrétienne » en explicitant ses éléments fondamentaux. Deuxièmement, nous proposerons une série de critères découlant des aspects explicités par la définition et qui nous serviront d’instruments d’analyse de l’encyclique et de la théologie eschatologico-spirituelle de Ratzinger. En ce sens, ces critères pourront être considérés comme les signes visibles d’une vie spirituelle chrétienne authentique.

Nous allons maintenant explorer une définition générale de la vie spirituelle chrétienne en examinant ses présupposés et ses éléments constitutifs. Pour Louis Bouyer, la vie spirituelle chrétienne est une relation personnelle avec Dieu et celle-ci présuppose une révélation divine. Il écrit : « le caractère éminemment personnel, inter-personnel, de la vie spirituelle chrétienne est lié à une révélation … Dieu s’est livré à nous : voilà ce que nous croyons, et cette croyance ne domine pas simplement notre vie spirituelle chrétienne, elle en est la source, l’unique source »17. D’un côté, la vie spirituelle chrétienne apparaît clairement comme la réponse à la Parole de Dieu d’un être capable de recevoir une telle parole et d’y répondre. Cela présuppose bien entendu la possibilité d’une relation entre les deux interlocuteurs. D’un autre côté, bien que cette relation s’appuie sur un acte de révélation dont Dieu seul a l’initiative, l’homme doit répondre par la foi à ce Dieu qui se révèle puisque « la vie spirituelle dans le christianisme ne part pas d’une certaine conception sur Dieu, même pas de l’idée qu’il

16 Référence complète : Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, Paris, Desclée & Cie, 1960,

320p.

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est un Dieu personnel, mais de la foi »18. En effet, « la foi, qui est la base de toute spiritualité chrétienne par l’accueil qu’elle fait de la Parole divine est essentiellement foi en l’amour de Dieu »19. L’homme a donc, depuis que Dieu s’est révélé, une destinée relationnelle et c’est ce en quoi consiste la vie spirituelle chrétienne. Cela nous amène à une autre caractéristique de la spiritualité chrétienne : l’appartenance à l’Église.

En effet, l’appartenance à l’Église est nécessaire à toute vie spirituelle chrétienne authentique puisque : « la Parole de Dieu, dans le Christ, s’adresse à l’Église, produit l’Église. Il est donc naturel qu’il faille s’insérer à l’Église »20. Cela est dû à deux raisons principales, toutes deux liées à la condition de l’homme. D’un côté, l’homme ne pourrait pas connaître le contenu de la foi s’il ne lui était d’abord annoncé. Ainsi, puisque la foi chrétienne nécessite une communauté pour sa transmission, l’Église, qui transmet le contenu de la foi, a un rôle important à jouer dans la vie spirituelle chrétienne. La deuxième raison découle du fait que le contenu de la foi lui-même porte vers l’autre. Il est une invitation à reconnaître dans le prochain un frère et à l’aimer comme tel. En ce sens, une vie chrétienne prétendue authentique mais isolée des autres apparaît incohérente et, donc, impossible.

Notons que ce travail de recherche utilisera une terminologie qui identifiera le terme « chrétien » à celui de « catholique » puisque « le catholicisme n’est pas seulement une forme parmi d’autres du christianisme, mais la seule forme de celui-ci où il demeure ce que le judaïsme ancien était déjà »21. De fait, puisque « le christianisme catholique n’est donc pas autre chose que le christianisme intégral »22, il nous est apparu cohérent, à la fois, à la pensée de l’auteur étudié et à notre instrument d’analyse qu’est la définition de la vie spirituelle chrétienne de Louis Bouyer, d’utiliser le terme « chrétien » comme synonyme de « catholique » c’est-à-dire ayant absolument la même signification. Ceci dit, il ne nous reste qu’à expliciter la profondeur de cette

18 Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, Paris, Desclée & Cie, 1960, p.9. 19 Ibid, p.17.

20 Ibid, p.16. 21 Ibid, p.12 22 Ibid, p.16.

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relation dont nous avons dit qu’elle est l’acte fondamental de la vie spirituelle

chrétienne.

Selon la définition adoptée et qui est reconnue par les théologiens contemporains de la vie spirituelle, tels par exemple que Charles-André Bernard et Jean-Claude Sagne, la vie spirituelle chrétienne est une relation profonde avec « l’Autre ». C’est donc à partir de l’identité des interlocuteurs que peut être mise en évidence la spécificité de la vie spirituelle chrétienne. Il s’agit d’abord d’une relation entre l’homme et Dieu « où notre vie la plus intérieure, la plus personnelle, ne s’épanouit, … que dans l’épanouissement de la relation personnelle que Dieu veut établir avec nous en nous parlant dans le Christ »23. Le Christ est donc l’élément central et primordial de la vie spirituelle chrétienne puisque c’est en lui que Dieu révèle à l’homme son projet d’amour. L’écoute de sa Parole à travers les textes des Évangiles nous met cependant en présence de deux autres Personnes divines, le Père et le Saint Esprit. En ce sens, la vie spirituelle chrétienne se présentera comme une vie trinitaire, une vie manifestant la communion d’un homme avec chacune des personnes de la Trinité. La communion participera nécessairement de la vie même de Dieu et c’est pourquoi « le don suprême que nous fait l’amour de Dieu étant le don non seulement de la vie en général, mais de sa propre vie, ce sera le don de la possibilité, de la capacité d’aimer comme lui seul aime »24. La vie spirituelle chrétienne se définira donc également par cette participation à l’amour divin ou, en d’autres termes, en une divinisation par l’Amour qu’est Dieu. Cela aura des conséquences dans la vie pratique et intérieure que nous pourrons, jusqu’à un certain point, mesurer en définissant des critères objectifs de visibilité d’une vie spirituelle authentique.

Puisque notre recherche porte sur le rôle de la tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne, il est essentiel de délimiter certains critères permettant de faire le lien entre le contenu théologique étudié et cette dernière. Ainsi, à partir des critères explicités ci-dessous, nous serons davantage en mesure de manifester les raisons qui

23 Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, op.cit., p.16. 24 Ibid, p.19.

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font en sorte que la tension eschatologique joue un rôle important dans la vie spirituelle chrétienne puisque nécessaire à son authenticité. Ces critères peuvent être divisés en deux catégories selon une distinction logique. D’un côté, il y a le critère de finalité correspondant au but ultime de la vie chrétienne. De l’autre, il y a les critères découlant des moyens nécessaires pour rejoindre le but fixé.

Le premier critère d’une vie spirituelle authentique se profile lorsqu’une personne fait l’expérience de l’Amour intra trinitaire. Cela constitue un signe visible, à partir de la subjectivité humaine, de la relation qu’elle a avec Dieu. Cette relation, que peut avoir le chrétien, n’est pas toujours évidemment perçue comme telle par celui-ci. Elle est, cependant, toujours le fondement de la vie spirituelle chrétienne puisque elle se situe au niveau de la réalité objective. Ainsi, le premier critère correspond, à la fois, à la fin de la vie spirituelle chrétienne et au plus haut Mystère auquel elle tente d’arriver. Ce critère est cependant difficile à « mesurer » en ce sens que rares sont les chrétiens faisant l’expérience explicite de l’inhabitation de la Trinité. Ainsi, tout en gardant en tête ce noyau relationnel de la vie spirituelle chrétienne, il est important de mentionner des critères plus « évidents » qui permettront de mener à bien notre recherche.

Cela a pour conséquence principale la volonté explicite de mettre Dieu au centre de sa

vie. Cela se produit à deux niveaux : d’abord en respectant et pratiquant le Décalogue

ainsi que le commandement de l’Amour de Dieu et du prochain tels que l’explicite l’enseignement de Jésus dans les évangiles; cela est rendu possible par l’exercice des vertus et l’accueil de la grâce. Ensuite, en acceptant et en vivant sa vocation personnelle puisque « à la diversité des âmes et de leurs situations correspondent différents types de vocation, différentes formes de vie que la même grâce propose »25. Ce premier critère qu’est la pratique libre et consciente de cette vie divine objectivement présente chez le baptisé, aura nécessairement par la suite des effets visibles. Ces effets sont essentiellement liés à l’existence même de cette vie divine chez le chrétien. Ils constituent, à la fois, les moyens concrets pour enrichir et maintenir cette vie et la mise en acte de cette vie même. Ce seront surtout ces critères

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qui nous permettront de comprendre comment les différents rôles que joue la tension eschatologique permettent une vie spirituelle chrétienne authentique.

Le premier critère de cette deuxième catégorie concerne la vie spirituelle chrétienne en tant qu’elle comporte nécessairement une vie sacramentelle forte et intégrée puisque :

« La vie liturgique du Peuple de Dieu ne nous enseigne pas seulement, d’une façon objective, le mystère du Christ où convergent toutes les Écritures et duquel rayonne leur intelligibilité. Elle nous donne encore comme la méthode subjective de l’assimilation de la Parole divine qui, seule, nous permettra de la comprendre ainsi, d’une façon non seulement intellectuelle, mais vraiment vitale »26.

Une vie chrétienne, qui ne trouverait pas sa source dans les moyens de sanctification donnés par le Christ à l’Église pour rendre possible cette vie divine que nous avons nommée vie « spirituelle », n’est pas possible. On pourrait même dire qu’elle ne serait pas « authentique » au sens où « authentique » signifie d’abord « conforme à sa source». Comment, par exemple, imaginer une personne vivant la célébration de la Gloire de Dieu à l’extérieur de la célébration de cette même Gloire ? Sans entrer dans un examen exhaustif de la nécessité de chacun des sacrements pour la vie spirituelle chrétienne, il est possible de faire référence ici à la célébration de l’Eucharistie comme archétype de tous les sacrements. En ce sens, ce qui sera dit de ce sacrement pourra être appliqué à tous les autres puisque ces derniers lui sont orientés comme à leur fin. En effet, la « Messe est le foyer de la vie sacramentelle puisque la parole qui nous annonce la mort du Christ à son tour se fait acte dans la consécration eucharistique »27. Ainsi, la Messe et la célébration des sacrements en général sont essentielles à une vie spirituelle chrétienne « authentique » parce que c’est dans les sacrements que Dieu se fait présent en Jésus-Christ de manière substantielle. Ainsi, puisque « l’offrande du pain et du vin de l’eucharistie du Christ concrétise cette livraison de toute notre vie prise à sa source, où nous reconnaissons qu’elle procède toute de Dieu et qu’elle doit

26Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, op.cit., p.41. 27Ibid, p.109.

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toute lui appartenir »28, elle permet cette acceptation de la Volonté universelle et particulière de Dieu sur l’homme. Et c’est pourquoi la vie sacramentelle peut être considérée comme un signe visible d’une vie spirituelle chrétienne « authentique ». C’est également la raison justifiant notre utilisation de ce critère pour aider à manifester comment les rôles de la tension eschatologique sont importants pour que cette même vie spirituelle soit chrétienne.

Le deuxième critère se révèle dans une proximité du chrétien avec les Écritures

saintes. En effet :

« Notre vie sera chrétienne dans la mesure où nous réaliserons en elle une vie de relation personnelle avec Dieu. Dire cela implique déjà que notre vie spirituelle doit se construire sur la base de la Parole de Dieu et de la foi : la Parole par laquelle Dieu appelle l’homme à lui, -la foi par laquelle l’homme reconnaît, accepte cet appel »29.

L’homme doit nourrir cette relation à Dieu afin de le mieux connaître. Pour se faire, il devra aller puiser aux différents témoignages de l’œuvre de Dieu dans l’histoire. Ainsi, parce que « nous devons donc bien chercher dans la Bible l’aliment premier de notre vie spirituelle »30, la proximité du chrétien avec les Écritures saintes est un critère fondamental permettant de juger de l’authenticité d’une vie spirituelle chrétienne. Nous utiliserons donc ce critère afin de manifester comment, pour Benoît XVI et Ratzinger, la tension eschatologique joue un rôle important dans cette même vie spirituelle.

Un troisième critère qui, d’une certaine manière, découle des précédents se trouve dans le fait que le chrétien ayant une vie spirituelle authentique est appelé à suivre les

enseignements de l’Église dans une soumission filiale. En effet, « la Parole de Dieu

nous est dite dans l’Église, et elle est inséparable de l’Église à ce point que nous ne

28Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, op.cit., p.113. 29 Ibid, p.28.

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pouvons l’accepter vraiment sinon telle qu’elle nous est apportée par l’Église »31. Toute attitude de suspicion ou de doute en ce que l’Église considère être le Depositum

Fidei devient un obstacle à la vie spirituelle chrétienne. Cela est dû au fait que « nulle

part, sinon dans ce même Corps du Christ, l’Esprit du Christ ne demeure l’Esprit toujours vivifiant »32. Manifester et adhérer au contenu objectif de la foi sera donc un signe et un critère permettant de connaître le rôle de la tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne.

L’importance d’une relation intime et personnelle avec la Vierge Marie, que ce soit dans l’imitation ou dans la prière d’intercession, est également un critère important d’une vie spirituelle chrétienne authentique. En effet, l’attitude du chrétien trouve en Marie l’archétype parfait de ce vers quoi il doit tendre pour correspondre à la Volonté divine. Plusieurs maîtres spirituels ont ainsi parlé d’une vie marieforme où le « fiat » est l’élément central de l’attitude chrétienne. Pour toutes ces raisons, la dévotion à

Marie sera un critère permettant de vérifier l’influence de la tension eschatologique

dans la vie spirituelle chrétienne telle que présentée dans l’encyclique Spe Salvi et dans la théologie de Ratzinger.

Un autre signe objectif de l’authenticité de la vie spirituelle chrétienne se trouve dans

l’ascèse. En effet :

« La Parole divine ne cesse de chercher à percer cette croûte, cette carapace d’indifférence, d’ignorance volontaire que l’homme a comme secrétée autour de soi et dont il ne peut plus se défaire. Elle y parvient par ce biais de la souffrance »33.

Or, l’effort, le détachement et, donc, le sacrifice de ce qui fait obstacle à la vie d’intimité avec Dieu sont des moyens indispensables à une vie spirituelle féconde. L’ascèse est, en ce sens, une acceptation volontaire et, parfois même recherchée, de cette nécessaire réorientation du cœur que la liturgie manifeste dans le Sursum corda.

31 Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle, op.cit., 1960, p.27. 32 Ibid, p.30.

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Cette tendance au détachement des « biens de ce monde » serait donc un signe visible d’une vie spirituelle authentique. Ainsi, par exemple, si nous trouvons dans Spe Salvi des éléments présentant la tension eschatologique comme influençant le chrétien à vivre davantage l’ascèse chrétienne, nous saurons que pour Benoît XVI, la tension eschatologique joue un certain rôle dans la vie spirituelle chrétienne.

Enfin, un dernier signe de la présence et d’une vie spirituelle chrétienne peut se trouver dans la mission. Celle-ci étant l’acte par lequel le chrétien tend à partager le trésor qu’il sait avoir reçu. Ceci est dû à deux raisons principales. La première se trouve au niveau de la réalité objective. En ce sens, le chrétien devient, dans la mesure où il demeure « branché sur le Christ » un canal par lequel la Grâce est en mesure de se répandre. En effet, l’économie du salut étant une participation à la mission ad extra du Fils éternel du Père, le chrétien sera nécessairement lui-même missionnaire c’est-à-dire un envoyé du Père dans le Fils par l’Esprit Saint. La deuxième raison, qui est une conséquence de la prise de conscience de la première, est que le chrétien sentira la beauté et le bonheur que crée nécessairement la relation d’intimité avec Dieu. Ainsi, l’homme, comme il veut naturellement partager avec d’autres les biens qu’il découvre, éprouvera le désir de répandre cette réalité de la foi chrétienne. Pour ces deux raisons, nous pouvons affirmer que cette participation objective ainsi que le désir et l’acte de partage de la Grâce que l’on appelle mission est un signe nécessairement présent dans toute vie spirituelle chrétienne. Ainsi, ce critère pourra être utilisé dans l’analyse puisqu’il nous aidera à identifier le rôle de la tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne.

La vie spirituelle chrétienne et les caractéristiques que nous venons de rappeler permettront d’identifier avec plus de précision les différents rôles que joue la tension eschatologique dans la vie spirituelle chrétienne. Dans les deux premières parties de ce mémoire, nous procèderons à une démarche d’exploration du contenu argumentatif de la théologie eschatologique de l’encyclique Spe Salvi et, par la suite, de celle du théologien Joseph Ratzinger en soulignant les liens qu’il fait entre la tension eschatologique et la vie spirituelle telle que nous l’avons définie. Nous tenterons donc

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de mettre en évidence les rôles que joue cette même tension dans la vie spirituelle en nous basant sur les différents critères d’une vie spirituelle chrétienne. Il est important de mentionner que nous n’appliquerons pas chacun des critères à chaque rôle identifié. Ces caractéristiques qui deviennent d’une certaine manière des critères seront utiles dans la mesure où ils permettent de voir avec plus de clarté comment la tension eschatologique joue un rôle dans la vie spirituelle chrétienne.

c. Une tension révélatrice Benoît XVI écrit:

« La foi n'est pas seulement une tension personnelle vers les biens qui doivent venir, mais qui sont encore absents; elle nous donne quelque chose. Elle nous donne déjà maintenant quelque chose de la réalité attendue, et la réalité présente constitue pour nous une « preuve » des biens que nous ne voyons pas encore. »34

La tension eschatologique est donc un élément central de la vie spirituelle chrétienne. C’est parce que l’humanité se trouve dans cet état « intermédiaire » qu’elle a besoin de l’aide des sacrements, de la communauté, de la hiérarchie, etc. Tous ces éléments existent pour aider l’homme à passer à travers les épreuves de la vie et, ainsi, lui permettre d’arriver à son plein épanouissement. Si cette « fin dernière » était déjà

pleinement présente hic et nunc, l’histoire du salut n’aurait guère de raison d’exister.

Ainsi, cette tension vers ce qui n’est « pas encore » est une attitude fondamentale puisqu’elle est à la source de la vie spirituelle chrétienne.

Cependant, la réalité du salut n’est pas simplement une réalité future. Elle est déjà présente, et ce, de différentes manières. Le rôle de ce chapitre sera justement une tentative de manifestation, à partir de l’encyclique Spe Salvi, d’un des rôles de cette tension entre le « déjà » et le « pas encore » de la vie éternelle. L’un des rôles de cette tension est d’être révélatrice ou, en d’autres termes, de rendre présents à la conscience de l’homme des éléments de son existence actuelle mais dont la connaissance est

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confuse ou tout simplement inconnue. Par exemple, pour Thomas d’Aquin, « il était nécessaire que l’intelligence humaine soit appelée à quelque chose de plus grand que ce que la seule raison humaine peut connaître ici et maintenant afin d’apprendre à tendre et désirer avec zèle ce qui surpasse l’état de la vie présente »35. Inversement, pour Benoît XVI, cette même tension eschatologique révèle à son tour quelque chose sur la réalité de la vie présente. De fait, dans l’encyclique Spe Salvi, cette dimension de la vie spirituelle en lien avec l’eschatologie est révélatrice à plusieurs niveaux. D’abord, au niveau anthropologique puisqu’elle manifeste et rend présent à l’esprit humain ce en quoi consiste véritablement le fait d’« être humain » : sa nature, son existence, sa finalité, etc. Dans un deuxième temps, la tension eschatologique révèle aux hommes le véritable sens de notions telles que la justice et la liberté; ce que Benoît XVI appelle les « petites espérances ».

i. Une tension révélatrice pour l’homme

Lorsque nous affirmons que l’encyclique Spe Salvi manifeste comment la tension eschatologique révèle ce en quoi consiste la véritable vie humaine, nous le disons en deux sens. D’abord, en formulant une vision de la situation de la nature humaine, c’est-à-dire d’un élément de ce que signifie être homme. Pour Benoît XVI, l’homme est fondamentalement un être ouvert à la transcendance, vers ce qui le dépasse; il écrit :

« … la situation essentielle de l'homme, la situation d'où proviennent toutes ses contradictions et toutes ses espérances. Nous désirons en quelque sorte la vie elle-même, la vraie vie, qui ne finisse pas par être atteinte par la mort; mais, en même temps, nous ne connaissons pas ce vers quoi nous nous sentons poussés. »36

Nous sommes donc en présence d’une des caractéristiques les plus profondes de la nature humaine, c’est-à-dire le fait d’être poussé vers une réalité qui dépasse l’homme et qu’il n’est pas en mesure d’identifier par les facultés qui le constituent naturellement (raison, volonté, etc). C’est en ce sens que nous voyons la tension eschatologique

35 Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, Chap. 5, 2. Traduction libre. 36 Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, LIV, 2007, no 12.

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comme un élément clé de la reconnaissance de ce que constitue l’être humain. L’homme, « naturellement », c’est-à-dire sans l’éclairage de la révélation, sait avoir une destinée qui dépasse l’ordre matériel qui l’entoure. Cependant, son regard ne peut aller au-delà parce qu’il ne voit pas clairement en lui-même cette réalité vers laquelle il tend. C’est alors que le donné révélé, plus spécifiquement celui concernant les réalités ultimes, sera en mesure de combler cette situation « d’ignorance » dans laquelle il se trouve puisque : « nous ne savons pas de fait ce qu'en définitive nous désirons, ce que nous voudrions précisément. Nous ne connaissons pas du tout cette réalité »37. Il est intéressant de souligner également, dans le texte de Benoit XVI, cette correspondance entre le donné de la révélation, c’est-à-dire le fait que nous sommes destinés à la vie éternelle, et cette « tension » constitutive de l’être humain. Nous pourrions dire qu’il y a adéquation entre ce que l’homme désire naturellement au plus profond de lui-même et ce que la révélation divine lui propose. D’une certaine manière, il s’agit d’une correspondance entre la grâce et la nature. C’est en ce sens que nous pouvons dire que l’encyclique manifeste ce rôle révélateur de la tension eschatologique dans la vie spirituelle du chrétien. C’est justement parce qu’elle apporte la raison fondamentale de cet aspect de son être, cette ouverture vers « plus que soi », que la vie spirituelle se dévoile à celui qui embrasse la foi. Nous dirions qu’il pourrait s’agir d’un moment charnière où la vie de celui qui commence à croire, de par l’objet même de cette connaissance, devient à proprement parler « spirituelle » puisque cette révélation de l’identité de ce vers quoi tend naturellement l’être humain lui ouvre l’accès à une dimension de sa personne encore inexplorée et parfois même ignorée. La vie humaine se révèle au croyant être ce qu’elle est au moment où celui-ci prend conscience de l’adéquation entre cette expérience naturelle du « déjà » et « pas encore » avec le donné de la Révélation qui en explicite le véritable sens. Tout cela advient en lui par son « oui/fiat » de foi.

Une deuxième dimension de ce que cette tension eschatologique révèle à l’homme se trouve davantage au niveau existentiel. En effet, pour notre auteur, vivre de la foi permet, à celui qui en vit, de donner aux réalités qui l’entourent un sens nouveau. Dans

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ce contexte, le croyant laisse s’introduire dans ce qu’il a de plus personnel, c’est-à-dire sa vie propre et le sens qu’il en perçoit, un horizon de signification à la fois nouveau et ancien. La réalité de cet appel à la vie éternelle deviendra, au moment où il en prend conscience, un nouveau critère de jugement des événements et des décisions qu’il prend. Cette vie éternelle et son identité révéleront donc la réelle portée et la réelle dignité de cette vie présente ou, en d’autres termes, « la grande espérance: je suis définitivement aimé et quoi qu’il m'arrive, je suis attendu par cet Amour. Et ainsi ma vie est bonne »38. C’est le fait d’être attendu par quelqu’un, d’être en marche vers une destinée qui dépasse l’homme et qui, en même temps, lui est « déjà » présente, qui lui révèle la grandeur et la beauté de sa vie présente. Voilà pourquoi le donné eschatologique de la foi chrétienne est révélateur du sens profond de l’existence humaine où ces questions liées à la dignité personnelle sont sans cesse à la recherche de fondement. Cette dimension de l’être humain, tendre vers ce qui n’est pas encore mais qui est en lien avec ce qui est déjà, trouve, pour Benoit XVI, sa plus belle expression dans le christianisme puisque : « Celui qui est touché par l'amour commence à comprendre ce que serait précisément « vie ». C’est-à-dire « vie éternelle » Ŕ la vie véritable qui, totalement et sans menaces, est, dans toute sa plénitude, simplement la vie ».39 La tension eschatologique vers cette réalité qui attend l’homme et qui est l’amour, révèle à l’être humain sa dignité ; que sa vie est bonne et qu’elle vaut la peine d’être vécue. C’est parce qu’elle sera « pour toujours » que l’homme peut prendre conscience de la grandeur de sa vie et c’est parce que ce « pour toujours » est « déjà » commencé que l’être humain est en mesure de prendre pleinement conscience de ce qui peut le rendre véritablement heureux. C’est ainsi que l’existence prend un sens nouveau et que les actions humaines reçoivent un nouveau critère de discernement.

Suivant la logique de Benoit XVI, depuis ses origines, la philosophie a cherché à trouver « l'art d'être homme de manière droite »40 c’est-à-dire d’une vie correspondant, à la nature humaine et ses plus grandes aspirations. Elle a été à la recherche de comportements qui pouvaient, d’un côté, rendre la vie digne d’être vécue et, de l’autre,

38 Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, op.cit., no 3. 39 Ibid, no 27.

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être en cohérence avec la dignité intrinsèque de l’homme. Benoit XVI écrit : « Le philosophe était plutôt celui qui savait enseigner l'art essentiel: l'art d'être homme de manière droite Ŕ l'art de vivre et de mourir »41. C’est parce que les hommes connaissaient déjà le lien étroit entre la perspective d’une vie après la mort et la vie présente qu’ils désiraient connaître cette influence que devait avoir la pensée de la mort sur la vie. Comment bien mourir ? En vivant bien ! La connexion entre ces deux réalités de la mort et de la vie n’est pas sans nous rappeler la tension eschatologique dont nous tentons de discerner les impacts sur la vie spirituelle du chrétien. De fait, comme nous l’avons déjà mentionné, l’horizon de la mort porte naturellement les hommes à s’interroger sur le sens de la vie car nous savons d’expérience commune (mais confuse) que la fin de la vie humaine a un lien avec notre vie présente. C’est parce que les hommes perçoivent existentiellement que la « vie » future est déjà présente, en un certain sens, que les philosophes se sont arrêtés très tôt à ce type de questionnement :

« Qu'est-ce en réalité que la ‘vie’ ? Et que signifie véritablement ‘éternité’ ? Il y a des moments où nous le percevons tout à coup: oui, ce serait précisément cela Ŕ la vraie ‘vie’ Ŕ ainsi devrait-elle être. Par comparaison, ce que, dans la vie quotidienne, nous appelons « vie », en vérité ne l'est pas. »42

Selon Benoît XVI, il y a une connexion presque directe entre la question de l’identité de la vie et celle de l’éternité. De fait, c’est grâce au fait que nous percevons dans notre expérience de l’existence que cette vie ne peut se terminer avec ce que nous connaissons naturellement comme étant la mort. Or, cette tension vers un au-delà de la mort ne trouve pas non plus de réponse tout à fait satisfaisante sinon dans l’expérience même de cette tension. Cependant, lorsqu’elle entre en contact avec ce donné de la Révélation qu’est la tension eschatologique, c’est-à-dire que notre vie présente est « déjà » présence de ce qui sera en totalité après la mort, tout cela ouvre l’esprit humain à une dimension, à la fois, confuse et familière. Cette volonté de connaître ce qui dans la vie présente amène à la vie éternelle a été très rapidement comprise par les premiers parents chrétiens qui « cherchaient pour leur enfant l'accès à la foi, la communion avec

41 Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, op.cit., no 6. 42 Ibid, no 11.

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les croyants, parce qu'ils voyaient dans la foi la clé de « la vie éternelle »43. C’est parce qu’ils cherchaient d’abord cette vie qui ne finit pas que les premiers chrétiens ont recherché les grâces associées au baptême. C’est parce que les sacrements répondaient à cette tension naturelle interne vers un au-delà inconnu qu’ils ont si rapidement assimilé ceux-ci comme un aspect central de leur vie. C’est d’ailleurs grâce à l’enseignement du Christ sur les fins dernières ou, en d’autres termes, sur la vie éternelle, que la prédication chrétienne a pu se développer aussi rapidement. C’est aussi parce que cette réalité future était, en un certain sens, « déjà » présente qu’elle a pu convaincre de sa vérité et qu’elle a pu être « une preuve des réalités qu’on espère » ( Hb 11.1). C’est parce que les chrétiens pouvaient déjà faire l’expérience de ce :

« … moment rempli de satisfaction, dans lequel la totalité nous embrasse et dans lequel nous embrassons la totalité. Il s'agirait du moment de l'immersion dans l'océan de l'amour infini, dans lequel le temps Ŕ l'avant et l'après Ŕ n'existe plus. Nous pouvons seulement chercher à penser que ce moment est la vie au sens plénier, une immersion toujours nouvelle dans l'immensité de l'être, tandis que nous sommes simplement comblés de joie. »44

Mais c’est parce que cette tension était pleinement explicitée dans le donné « à croire » que les païens ont pu dès les premiers temps se sentir attirés par le christianisme. C’était également parce que ce donné révélait en plénitude une donnée de leur expérience qu’était cette tension naturelle vers l’au-delà qu’ils ressentaient avant même d’en connaître l’identité. C’est parce que le véritable sens de ces moments de joie, d’éternité, d’être pleinement et de perpétuelle nouveauté, c’est-à-dire ce qu’ils expérimentaient déjà comme étant la « vraie vie », leur était révélé qu’ils décidaient de l’embrasser. Que cette tension soit la présence dès maintenant de la véritable vie, mais sans que cette dernière ne soit encore pleinement accomplie, a eu un sens pour les premiers chrétiens et c’est, en partie, grâce à cette révélation qu’ils se sont convertis. Voilà une autre raison qui permet à Benoît XVI d’affirmer que la tension eschatologique est, pour la vie spirituelle chrétienne, révélatrice. C’est parce que le christianisme assumait (et continue de le faire !) et révélait le véritable sens des

43 Benoît XVI, Lettre encyclique Spe Salvi, op.cit., no 10. 44 Ibid, no 12.

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réalités les plus humaines qu’il a pu susciter la conversion. Mais à la Révélation peut ou non correspondre la réponse de conversion.

Nous venons de voir que la tension eschatologique avait et continue d’avoir une forte influence dans la vie spirituelle du chrétien du fait qu’elle révèle à l’homme l’identité d’une dimension importante de sa nature ainsi que de son existence. Cette révélation de la raison d’être d’une dimension intime de l’être de l’homme qu’est cette « tension naturelle » ou, en d’autres termes, cette « ouverture à plus que soi » de son être, se trouve identifiée et formulée par la foi chrétienne, spécialement par ses éléments d’eschatologie. Selon Benoît XVI, ce rôle révélateur de la tension eschatologique ne se situe cependant pas uniquement dans l’acte de révéler ce en quoi consiste le fait d’être chrétien mais également sur ce que l’homme en tant qu’homme attend de la vie. À cet égard plusieurs philosophes ont déjà souligné cette ouverture naturelle de l’homme à la Transcendance, par antonomase à Dieu. Par exemple, en se référant à la raison comme faculté naturelle, Claude Bruaire affirmait que « quelque précaution qu’elle a raison de prendre, la rationalité est au plus haut point d’elle-même lorsqu’elle affirme Dieu »45. Ou encore, Thomas de Koninck affirmait que :

« La découverte croissante à la fois des limites des diverses sciences et de leurs confins ou zones-frontières, en même temps que les développements, rapides et parfois considérables, de certaines d’entre elles Ŕ la cosmologie et la mécanique quantique, d’une part, les neurosciences et l’embryologie, de l’autre Ŕ suscitent à nouveau des interrogations de fond, au premier rang desquelles l’interrogation expresse sur Dieu »46.

Il apparaît donc que la réflexion de Benoît XVI sur le rôle révélateur de l’ouverture à la transcendance naturelle de l’homme causée par la tension eschatologique trouve des échos dans d’autres domaines que la théologie.

45 Claude Bruaire, La force de l’esprit, Paris, Desclée de Brouwer, 1986, p.97-98. 46 Thomas de Koninck, De la dignité humaine, PUF, Paris, 1995, p.171.

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ii. Tension révélatrice des perspectives chrétiennes sur le monde ou la juste place des « petites espérances »

Benoît XVI introduit d’abord comme « élément caractéristique des chrétiens le fait qu'ils ont un avenir: ce n'est pas qu'ils sachent dans les détails ce qui les attend, mais ils savent de manière générale que leur vie ne finit pas dans le néant. »47 C’est donc que l’identité profonde des chrétiens est d’être dans l’espérance de « quelque chose ». Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’homme est naturellement un être en attente. Il est tendu vers une réalité future qu’il sait pouvoir être positive et négative. Cette tension naturelle vers ce qui n’est « pas encore » accompli n’est pas neutre. C’est, à la fois, l’attente d’un événement désirable et indésirable mais devant lequel l’homme ne peut rester indifférent. Au contraire, le chrétien, dès lors qu’il est conscient d’être en relation avec le Dieu révélé, élimine peu à peu la négativité de l’objet vers lequel il tend. Ce qu’il attend est positif, c’est le bonheur, l’être dans la plénitude de la vie. C’est parce que l’homme sait que ce qui sera est déjà présent qu’il est en mesure de mettre sa confiance en Celui qui peut seul garantir que cet avenir est heureux. Cette graduelle disparition de la négativité de l’attente ne sera toutefois jamais complètement anéantie en cette vie puisque la possibilité d’une séparation éternelle du bonheur demeure possible. L’objet de l’espérance chrétienne ne touche toutefois pas l’enfer mais seulement l’union à Dieu qu’est le paradis. C’est que l’homme ne peut espérer que ce qui est en cohérence avec le Dessein du créateur sur l’homme, non ce qui lui répugne. Nous reviendrons plus loin sur l’enjeu de la tension eschatologique et de l’enfer. Pour l’instant, soulignons cette incapacité de l’homme à rester indifférent devant ce destin heureux qui lui est promis. Cela signifie que tous les horizons d’espérances temporelles, ceux qui permettent de vivre au quotidien, comme, par exemple l’espérance que mes enfants seront heureux, sont situés en cohérence avec notre destinée qui, bien qu’étant déjà parmi nous, n’est pas encore accomplie.

Ce repositionnement des « petites espérances » est nécessaire à la vie humaine au sens large. En effet, la juste place de ce que l’homme peut et doit attendre de la vie et des hommes n’est pas sans danger. Dans l’encyclique, plusieurs exemples sont donnés sur

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