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I was born with a plastic spoon in my mouth : la critique sociale du rock britannique au milieu des années 1960

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HAL Id: halshs-01677965

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01677965 Preprint submitted on 8 Jan 2018

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I was born with a plastic spoon in my mouth : la critique

sociale du rock britannique au milieu des années 1960

Gerhardt Stenger

To cite this version:

Gerhardt Stenger. I was born with a plastic spoon in my mouth : la critique sociale du rock britannique au milieu des années 1960. 2009. �halshs-01677965�

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I was born with a plastic spoon in my mouth : la critique sociale du rock britannique au milieu des années 1960

Gerhardt Stenger (Université de Nantes)

Au 20e siècle, la chanson politique1 connaît une renaissance aux États-Unis

avec Woody Guthrie2 et Pete Seeger, pour n’en citer que les plus connus. Incarné par

le folk, la musique de la classe ouvrière, des pauvres, des travailleurs migrants et des immigrants, le protest song ou chanson engagée devient, au tournant des années 1960, l’emblème de la mouvance pacifiste. À l’arrivée de Bob Dylan, qui deviendra rapidement le maître incontesté de la chanson polémique, tout un monde sépare le folklore protestataire des bohémiens de Greenwich Village du rock and roll, qui vit d’ailleurs ses dernières heures. Cette nouvelle musique, créée à peine une décennie auparavant, ne véhicule, malgré ses origines noires, aucun caractère de protestation, ou presque : Chuck Berry constitue, avec la pertinence de son commentaire social, une rareté. Les chansons parlent d’amour et de filles, de grosses cylindrées, d’école et de travail, bref de tout ce qui occupe un jeune Américain moyen entre 16 et 20 ans. Si le rock and roll dérange, si cette « musique de nègres » est considérée comme subversive par l’Establishment, c’est essentiellement pour deux raisons. Premièrement parce qu’il s’agit d’une musique qui rapproche les races : le rock and roll, estime très sérieusement Asa Carter, secrétaire général du North Alabama White Citizens Council, fait partie d’un complot pour saper les valeurs morales de la nation ; c’est le chemin le plus direct pour réunir les gens des deux races3.

Deuxièmement à cause du parfum de violence qui lui colle à la peau depuis que Richard Brooks a incorporé en 1955 la chanson Rock Around The Clock au générique de son film Blackboard Jungle, l’un des premiers d’une longue liste de pellicules mettant en scène des adolescents en rébellion, voire des délinquants juvéniles.

1 La naissance de la chanson politique, « garstig Lied » selon Goethe (Faust I), remonte au moins au 18e siècle. Aux

États-Unis, elle apparaît au début du 19e siècle avec l’intensification de l’esclavage (voir par exemple Swing Low, Sweet Chariot).

2 La célèbre phrase inscrite sur ses guitares, This machine kills fascists (« Cette machine tue les fascistes »), se passe de

commentaire.

3 Voir « Segregationist Wants Ban on ‘Rock and Roll’ », New York Times, March 30, 1956 ; « White Council vs. Rock

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En Europe, le rock and roll arrive en même temps que les rockers mal famés ; devant l’invasion des bandes de jeunes de moins de vingt ans qui se signalent par des actes de vandalisme, l’été 1959 est baptisé « l’été des blousons noirs » en France. Mais la protestation ouverte n’est pas à l’ordre du jour : sur l’injonction de leur manager, les Beatles s’interdisent de parler politique : « Nous avons été en Amérique quelquefois, et Brian Epstein essayait de nous forcer à ne rien dire à propos du Vietnam. […] Nous étions tous victimes de telles pressions qu’il n’y avait pratiquement aucune chance pour nous de nous exprimer vraiment […]. Pourtant, je lisais les journaux et je m’intéressais à la politique, et le fait de savoir ce qui se passait et de ne rien en dire me faisait honte4. » Qu’ils le veuillent ou non, les Beatles

incarneront pendant longtemps une Angleterre sage et tranquille, gaie et optimiste, moderne et dynamique. Or dès le milieu des années 1960, le conformisme ambiant provoque une vive réaction contestataire de la part des certains jeunes Anglais qui rejettent la morale bourgeoise et se rebellent contre l’autorité sous toutes ses formes. Pour de nombreux adolescents, cheveux longs et tenue vestimentaire originale, voire excentrique, expriment le désir d’échapper à la société de consommation et à la rigidité d’une existence fondée sur le travail. Et leur cri de ralliement, l’idiome dans lequel s’exprime la jeunesse contestataire, d’abord en Angleterre puis dans le reste de l’Europe occidentale, est le rock. Les textes des chansons s’en ressentent. Ils ne sont plus aussi simplistes et abordent les conflits de génération, la contrainte sociale, l’angoisse de vivre.

Nous ne nous attarderons pas sur l’antagonisme, largement artificiel, entre Beatles et Rolling Stones. On sait que les quatre garçons furent rapidement acceptés par les générations plus anciennes et par l’Establishment. Or contrairement à ce qui s’était passé avec le rock and roll aux États-Unis, le côté potentiellement subversif de la musique et de ses interprètes fut bien perçu par une certaine frange de la Gauche. Dès 1964, rapporte B. Lemonnier, « les ‘gentils’ Beatles ont le mérite – selon la Nouvelle Gauche – d’avoir brisé les barrières de classe entre les jeunes étudiants et les jeunes travailleurs et de les avoir tous réunis contre le monde adulte. Même si les

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Beatles sont d’une certaine manière trop gentils sinon conformistes, ils n’en restent pas moins beaucoup plus ‘signifiants’ pour les militants révolutionnaires que la plupart des groupes ou chanteurs pop de l’époque5. » Quant aux Rolling Stones, leur

refus de donner d’eux une image consensuelle, leur provocation souvent brutale et sans nuances séduisaient essentiellement les éléments en révolte de la jeunesse : « Dans les familles où les Beatles commencent à faire l’unanimité, les Stones sont regardés par les adolescents comme les ‘anti-Beatles’, capables d’aller plus loin dans la remise en cause de l’autorité, qu’elle soit scolaire, familiale, religieuse et même politique6. »

La volonté de rupture des Rolling Stones était également visible dans leur accoutrement. Brian Epstein avait créé pour les Beatles une tenue de collégien propret ; ils étaient anticonformistes, mais d’une manière sage. Les Rolling Stones, quant à eux, se produisaient sur scène dans leurs vêtements de tous les jours, les cheveux longs, mal coiffés, crasseux parfois, un T-shirt sur le dos. Il s’agissait là d’un choix assez révolutionnaire qui émanait de la volonté de désacraliser le mythe de la star qui se déguise pour marquer ses distances avec ses admirateurs. Rien d’étonnant à ce qu’en 1968, la New Left Review plaça les Stones au-dessus de leurs rivaux : « Cependant, le danger dans les œuvres des Beatles est la tendance à la dénégation maniaque de tout ce qu’il y a de conflictuel dans les relations humaines – tout ce qui ne peut pas se résoudre immédiatement et miraculeusement. Dans leurs thèmes typiquement arrogants et narcissiques, les Stones fournissent une critique de cette sorte d’intimité superficielle, ce que les Beatles n’ont jamais vraiment risqué7. »

Mais les Stones ne restèrent pas longtemps les rois incontestés de la provocation. À partir de 1963, les Who, qui se veulent volontiers outrageants, vont exacerber l’attitude des Stones et écrire un nouveau chapitre dans l’histoire du rock. Et pour la première fois peut-être, le rock dresse les jeunes contre la société dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. Au début, ni les Beatles ni les Rolling Stones

5 Bertrand Lemonnier, L’Angleterre des Beatles. Une histoire culturelle des années soixante. Préface de François

Crouzet, Paris, Éditions Kimé, 1995, p. 154.

6 Lemonnier, op. cit., p. 154.

7 Alan Beckett, « Stones Versus Beatles », New Left Review, n° 47, janvier/février 1968. Cité dans B. Lemonnier, op.

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ne s’intéressaient, dans leurs chansons, aux problèmes spécifiques auxquels la jeunesse anglaise était confrontée face à une société qui ignorait leurs besoins sinon leur existence. Seuls les Who mettent le doigt juste sur la plaie avec My Generation (novembre 1965). Pete Townshend se veut le représentant de cette jeunesse et exprime ouvertement sa hargne des « vieux ». Être jeune, c’est une valeur : I hope I

die before I get old. Dès 1963, Edgar Morin avait analysé, avec beaucoup de lucidité,

l’exaltation, par les yé-yé français, de leur propre jeunesse, l’ambivalence profonde du « nous sommes jeunes » : « L’exaltation du yé-yé peut porter en germe la fureur du blouson noir, le refus solitaire du beatnik, mais aussi elle peut être la préparation purificatrice à l’état de salarié marié, casé, intégré, jouissant. […] Cette contradiction, ou si l’on préfère cette hétérogénéité, correspond bien à l’adolescence, âge de la préparation à l’état adulte et du refus de l’état adulte, âge ambivalent par excellence qui porte en lui toujours la possible révolte de la jeunesse et son probable conformisme8. » My Generation condense en deux couplets et un refrain toute la

frustration d’être un jeune Anglais en 19659 : People try to put us down […]. Just

because we get around. Le bégaiement du chanteur (d-down, c-c-cold, my g-g-g-generation, etc.) semble traduire l’impuissance de la révolte contre le système

d’éducation, les parents et la société adulte dans son ensemble : Things they do look

awful c-c-cold […]. I hope I die before I get old. En attendant cette solution extrême,

les Who libèrent leurs frustrations dans la violence et l’électricité. Les quatre musiciens dégagent une agressivité qui s’exprime physiquement par le vandalisme bien connu du groupe – on sait qu’ils achèvent alors tous leurs concerts en fracassant leurs instruments sur scène – mais aussi, plus « artistiquement », par un « son vicieux » qui inspirera plus tard Jimi Hendrix : « Pour propulser les idées de ses chansons, Townshend exploitait un nouveau son […] à défaut de pouvoir élégamment descendre le manche, il le cognait simplement en laissant sonner à vide le maximum de cordes. Il en résultait un brouillamini sonore qui allait s’amplifiant

8 Edgar Morin, « Le ‘yé-yé’ », Le Monde, 7-8 juillet 1963.

9 Interrogé sur sa chanson, l’auteur confirmera plus tard que My Generation exprimait en réalité le problème de toutes

les jeunes générations face au monde des adultes qui finira bien par les happer : « C’était une chanson qui exprimait toute la frustration d’être jeune et, à cause de cela, de ne pas être pris au sérieux. En fait cette chanson n’appartient pas vraiment à une époque car de tout temps les gens âgés sont jaloux de la jeunesse qu’ils ont perdue à jamais. » Cité dans Sacha Reins, The Who, Paris, Jacques Grancher, 1979, p. 57.

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avec les coups répétés, qui se distordait, passait dans les micros du chanteur, tournait en rond pour se mordre la queue. […] Pour Townshend le son passait avant la note. Une telle audace (pour l’époque) fit apparaître tout un monde de nouvelles possibilités d’expression. Distorsion + larsen + violence et démesure brisèrent définitivement les barrières rigides et strictes qui encadraient un rock and roll qui se mourait d’étouffement10. » Ajoutons que My Generation fut précédée par une autre

chanson beaucoup plus explicite et agressive, que les Who commencèrent à jouer à partir de 1964 : il s’agit du Young Man Blues de Mose Allison (1957) qui concerne la difficulté, pour un jeune homme, de se tailler une place dans la société :

Oh well a young man ain’t got nothin’ in the world these days […] you know nowadays

It’s the old man,

He’s got all the money

And a young man ain’t got nothin’ in the world these days I said nothing

L’autre chanson bien connue qui exprime les frustrations – ou plus précisément l’insatisfaction – de la jeunesse des années 1960, c’est le mythique (I Can’t Get No)

Satisfaction des Rolling Stones, qui date exactement de la même période (mai 1965).

Pour une fois, serait-on tenté de dire, le titre, apparemment fort explicite, ne parle pas de sexe ou de filles, ou pas d’abord ni essentiellement, mais des travers de la société de consommation que les membres du groupe ont appris à connaître pendant leur tournée aux États-Unis. Le chanteur s’offusque d’abord d’être constamment bombardé par des news sans intérêt :

When I’m driving in my car And that man comes on the radio And he’s tellin’ me more and more About some useless information Supposed to fire my imagination

Puis il s’en prend à la publicité qui cherche à lui vendre la dernière lessive censée laver plus blanc que blanc :

When I’m watchin’ my T.V. And that man comes on to tell me

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How white my shirts can be

On comprend que la vie moderne, surtout celle des pop stars, génère un stress qu’il n’est pas toujours facile de gérer. À partir du moment où la société a satisfait les besoins fondamentaux des individus, acheter est devenu un but en soi, et la publicité – symbole de la société de consommation – se donne pour tâche de créer des besoins. La publicité ne se rend pas seulement indispensable aux fabricants, mais valorise le besoin de possession, le désir d’avoir plus que son voisin, la quête du superflu. Le

pursuit of happiness, revendication-clé de la Constitution américaine, devient dans

ces conditions une corvée : The pursuit of happiness just seems a bore, constate froidement la chanson Mother’s Little Helper. Le chanteur a beau essayer – I try and

I try and I try, répète-t-il de manière insistante –, la frénésie de consommation ne lui

procure aucune satisfaction basique, surtout quand les filles se dérobent à lui : I can

get no girl with action. (I can Get No) Satisfaction, véritable « condensé » des années

soixante, s’en prend vigoureusement à la vie sociale dans ses développements modernes. La publicité et les médias passent à côté des vrais besoins : ils ne suppriment pas les frustrations, mais les provoquent.

L’insatisfaction des jeunes vis-à-vis d’une société étriquée et inégalitaire est bien exprimée dans la chanson Substitute des Who (mars 1966). Le narrateur, « né avec une cuiller en plastique dans la bouche » (I was born with a plastic spoon in my

mouth), est constamment obligé de mentir, de se faire passer pour un autre pour ne

pas perdre l’estime de sa petite amie qui vient d’un autre milieu :

You think we look pretty good together You think my shoes are made of leather But I’m a substitute for another guy I look pretty tall but my heels are high

The simple things you see are all complicated I look pretty young, but I’m just back-dated, yeah Substitute your lies for fact

I can see right through your plastic mac I look all white, but my dad was black

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Toutes ces chansons que nous venons de citer racontent les histoires et les problèmes d’un narrateur qui s’exprime à la première personne, ce qui est sans doute le cas de la plus grande partie des textes du rock. À partir du milieu du siècle, certains auteurs délaissent ce mode purement subjectif d’exprimer leurs rancœurs et se tournent vers une critique en profondeurs de la société sans pour autant tomber dans le protest song à la Bob Dylan. C’est par exemple le cas des Rolling Stones qui, dans

Mother’s Little Helper (juillet 1966), se penchent sur les déboires d’une femme

vieillissante, épuisée par les enfants turbulents et les exigences alimentaires et sexuelles de son mari. What a drag it is getting old !, s’exclame le chanteur au début, mais on comprend évidemment que ce n’est pas de lui qu’il parle. Le thème de la chanson n’est pas non plus la vieillesse mais la condition difficile des femmes dans la société qui, pour faire face au devoir familial, abusent de tranquillisants comme le tristement célèbre Valium, qui venait d’être commercialisé :

Mother needs something today to calm her down And though she’s not really ill

There’s a little yellow pill

She goes running for the shelter of a mother’s little helper And it helps her on her way, gets her through her busy day

Avec une bonne dose d’humour noir, Mick Jagger raconte le quotidien de son héroïne en ne laissant toutefois transparaître la moindre émotion. La description est froide, clinique, presque cynique avec le hoy ! final qui se termine sur la fin tragique par overdose :

And if you take more of those, you will get an overdose No more running for the shelter of a mother’s little helper They just helped you on your way, through your busy dying day

Un an plus tard (septembre 1967), la ballade Two Sisters des Kinks compare la vie inégale de deux sœurs dont l’une, Priscilla, est liée à son travail de femme au foyer alors que l’autre, Sybilla, mène une vie libre et indépendante :

Sybilla looked into her mirror

Priscilla looked into the washing machine And the drudgery of being wed

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Envieuse de sa sœur, de sa liberté et ses smart young friends, Priscilla essaie d’échapper à son existence petite-bourgeoise :

She threw away her dirty dishes, just to be free again, Her woman’s weekly magazine, just to be free again, And put her children in the nursery, just to be free again

…mais lorsqu’elle se souvient de ses enfants qu’elle a abandonnés à la crèche, elle renonce à sa nouvelle vie et retourne à la maison, assumant fièrement sa condition :

So she ran around the house with her curlers on / No longer jealours of her sister.

Cette fin moralisatrice est peut-être une parodie des histoires à l’eau de rose publiées dans une certaine presse comme les woman’s weekly magazines qui défend l’idéal de la femme au foyer contre les progrès de la société permissive représentée par Sybilla. L’empathie, même feinte, des Kinks avec cette brave femme tranche singulièrement avec l’attitude de distance ironique, voire méprisante, adoptée par les Rolling Stones dans la chanson précédente.

Avec les Kinks, une nouvelle manière de critiquer la société voit le jour. Si leurs premiers enregistrements exprimaient encore les frustrations de la jeunesse de l’époque, leur parolier Ray Davies jette, à partir du milieu de la décennie, un regard ironique, parfois caustique sur l’Angleterre. En septembre 1965, les Kinks présentent, dans A Well Respected Man, la satire de la vie morne de l’upper middle class. Le héros est un jeune bourgeois respectable dont la vie est réglée comme une horloge :

his world is built ‘round punctuality, it never fails. Sain d’esprit et de corps,

viscéralement conservateur, il est unanimement respecté par ses concitoyens :

And he’s oh, so good, And he’s oh, so fine, And he’s oh, so healthy, In his body and his mind.

He’s a well respected man about town, Doing the best things so conservatively.

Ses loisirs correspondent à son statut social : And he plays at stocks and shares / And

he goes to the Regatta ; imbu de son importance, son arrogance est littéralement sans

limites :

And he likes his own backyard, And he likes his fags the best,

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‘Cause he’s better than the rest, And his own sweat smells the best

Cependant, la vie de famille de ces bourgeois, comme souvent, est bien moins respectable. Pendant que sa mère est absente, son père « tripote » la bonne (paws the

maid). Mais rassurons-nous : sa mère n’est pas en reste. Tout en devisant de

commerce extérieur autour d’une tasse de thé, she passes looks as well as bills / At

every suave young man. Chez les bourgeois, amour et affaires sont intimement liés,

comme notre jeune héros, qui est en âge de se marier, va l’apprendre à ses dépens :

And he adores the girl next door, ‘Cause he’s dying to get at her, But his mother knows the best about

The matrimonial stakes.

L’argent, il n’y a que l’argent qui compte. Si notre bourgeois doit renoncer à la girl

next door en faveur d’un mariage plus conforme à son état, il s’en consolera peut-être

en pensant à l’héritage qui l’attend bientôt : And he hopes to grab his father’s loot, /

When Pater passes on.

Un an plus tard, les Kinks récidivent en décrivant, dans Sunny Afternoon (juin 1966), les états d’âme d’un membre de l’upper class empêtré dans des difficultés financières – la critique sociale n’est évidemment pas le privilège des offensés et humiliés :

The tax man’s taken all my dough, And left me in my stately home, Lazing on a sunny afternoon. And I can’t sail my yacht, He’s taken everythin’ I’ve got, All I’ve got’s this sunny afternoon.

Un mois auparavant, le Beatle George Harrison avait déjà enregistré, pour l’album

Revolver, la chanson Taxman dans laquelle il mettait en scène un percepteur d’impôt

particulièrement zélé. Il eut l’idée de la chanson en voyant le peu d’argent qui lui restait après avoir payé ses impôts (ses revenus étaient imposés au taux maximal, à savoir 96 % !). Le narrateur de Sunny Afternoon, quant à lui, est un de ces gros propriétaires terriens qui ont vu leur revenu fortement diminuer suite à la taxation très

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élevée pratiquée en Grande-Bretagne. Écrasé par les impôts, il lance un appel d’aide contre l’étouffement par l’État : Save me, save me, save me from this squeeze, / I’ve

got a big fat momma tryin’ to break me. Et lorsqu’on apprend que sa petite amie vient

de le quitter en emportant la voiture et en racontant des histoires d’alcoolisme et de violence, on comprend que la vie n’est pas non plus toujours facile dans l’upper

class…

En novembre 1966, les Kinks enregistrent Dead End Street, qui raconte la vie des habitants vivant dans une impasse, au double sens du terme : géographique et moral. La chanson commence par la description du logement (un two-roomed

apartment) du narrateur qui, pas plus que celui de Sunny Afternoon, ne peut être

identifié au chanteur (quoique lui-même issu, comme la plupart des musiciens rock, de la lower class) : There’s a crack up in the ceiling, / And the kitchen sink is leaking. Le repas du dimanche se résume à un peu de pain et de miel ; en hiver, on se gèle les pieds : A sunday joint of bread and honey […]. On a cold and frosty morning […] my

feet are nearly frozen. Au chômage depuis trop longtemps, le narrateur est

régulièrement poursuivi par l’encaisseur des loyers (rent collector) ; en outre, il s’est endetté et ne peut chercher sa fortune ailleurs : No chance to emigrate, / I’m deep in

debt and now it’s much too late. La chanson est cependant traversée par une prise de

conscience qui, malgré le pessimisme qui s’exprime, accuse une société hiérarchisée et inégalitaire dans laquelle les prolétaires restent cantonnés dans leur voie sans issue :

We are strictly second class, We don’t understand,

Why we should be on dead end street. […] We both want to work so hard,

We can’t get the chance,

People live on dead end street. People are dying on dead end street. Gonna die on dead end street.

Enfin les Kinks n’ont pas hésité à brocarder leurs propres fans, dans des chansons telles que Dandy ou Dedicated Follower of Fashion, dans lesquelles Ray Davies se moquait des jeunes Anglais du Swinging London dont il dévoilait la face cachée. Dedicated Follower of Fashion (février 1966) est une véritable chronique

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sociologique (et géographique) du « suiveur » de la mode londonienne qui fréquente assidûment Carnaby Street pour s’habiller en collant, sans le moindre recul, à la mode :

And when he does his little rounds, ‘Round the boutiques of London Town,

Eagerly pursuing all the latest fads and trends […] Everywhere the Carnabytian army marches on, Each one a dedicated follower of fashion.

On ne parle pas encore de fashion victim, mais le genre existe déjà dans les années soixante : It will make or break him so he’s got to buy the best. La légèreté et la superficialité sont les deux caractères principaux de l’esprit pop des dandys de Carnaby Street : His world is built ‘round discotheques and parties […]. He flits

from shop to shop just like a butterfly. L’immense vanité de ce pleasure-seeking individual ne va pas sans une bonne dose de narcissisme :

He thinks he is a flower to be looked at,

And when he pulls his frilly nylon panties right up tight, He feels a dedicated follower of fashion. […]

There’s one thing that he loves and that is flattery

Personne n’a jamais osé brocarder de la sorte les valeurs hédonistes incarnées par le Swinging London, cette petite société kinky (tordu, louche, extravagant) qui multiplie les expériences vestimentaires à la recherche de plaisirs éphémères.

Dans une étude consacrée aux thèmes abordés par le rock dans les années 1967-1975, Érik Neveu a naguère souligné que la « pop musique » ne se laissait pas immobiliser sur le lit de Procuste d’une idéologie particulière : « Allergique à la politique, il est ambigu, souvent en marge des idéologies consacrées. Mais le rock aura été le vecteur d’un impressionnant ‘travail politique’ en offrant à des millions de récepteurs, depuis vingt-cinq ans, des programmes de perception, d’appréciation – et souvent d’action – face au monde social11. » La critique sociale n’est guère exprimée

directement : ou bien elle est personnalisée à travers le récit subjectif des chanteurs qui mettent en scène leurs frustrations qui sont aussi celles du public, ou bien elle est

11 Érik Neveu, « Won’t get fooled again ? Pop musique et idéologie de la génération abusée », dans Patrick Mignon et

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présentée dans des tableaux de la vie anglaise qui ne sont pas sans rappeler les romans de Dickens et la peinture de Hogarth. Un certain engagement des artistes se fera jour à partir de 1967, année de l’été de l’amour, de la mort du Che, du Sgt

Pepper’s des Beatles et des protestations plus ou moins violentes qui éclatent un peu

partout dans le monde occidental. Les chansons pop introduisent alors pour la première fois la thématique de la guerre ou de l’écologie, sans délaisser pour autant la contestation du cadre de vie et la description caustique et désabusée des relations sociales dont nous avons vu l’émergence au milieu des années 1960. L’engagement actif n’est toutefois pas à l’ordre du jour ; le militantisme d’un John Lennon libéré du carcan des Beatles reste l’exception. You’d better free your mind instead : « Fais d’abord le ménage dans ta tête », tel est le message des Beatles (la chanson

Revolution en 1968) et aussi l’un des thèmes importants de la contre-culture de 1967

à 1970. Ray Davies, quant à lui, poursuit son exploration sociologique de l’Angleterre des années 1960, et les Who jureront même en 1971 : « On ne se fera plus avoir » (Won’t Get Fooled Again). Face à l’ordre politique qui triomphe des velléités révolutionnaires de la jeunesse, la riposte se situe désormais dans l’invention d’un monde imaginaire, dans l’exploration d’un ailleurs intérieur, dans l’évasion spirituelle. Mais quelques chansons de 1965/1966 auront permis de donner à la jeunesse une conscience et d’accélérer la fin du monde de l’après-guerre.

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