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HYBRIDISME DANS LA PRATIQUE DU FRANÇAIS AU BÉNIN ET AU SÉNÉGAL : UN PROCÉDÉ D’ENRICHISSEMENT LEXICAL EN SITUATION DE CONTACT DES LANGUES

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Academic year: 2021

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HYBRIDISME DANS LA PRATIQUE DU FRANÇAIS AU BÉNIN ET AU SÉNÉGAL : UN PROCÉDÉ D’ENRICHISSEMENT LEXICAL EN

SITUATION DE CONTACT DES LANGUES

HYBRIDISM IN USING FRENCH IN BENIN AND SENEGAL: LEXICAL ENRICHMENT IN A LANGUAGE CONTACT SITUATION

Moufoutaou ADJERAN*

Université d’Abomey-Calavi, Bénin Dame NDAO

Université de Cheikh Anta Diop, Ngari DIOUF

Université de Cheikh Anta Diop, Sénégal

Résumé

Le concept d’alternance codique a constitué l’un des fers de lance de la sociolinguistique du contact des langues. S’il est vrai qu’il a permis des progrès notamment en matière de connaissance des situations (socio)linguistiques, il apparaît aussi qu’il n’est pas descriptif de toutes les dynamiques (socio)linguistiques observables dans les milieux francophones. La pratique du français au Bénin et au Sénégal laisse apprécier des hybrides.

Mots-clés : alternance lexicale, contact des langues, hybrides, francophonie, sociolinguistique

Abstract

The concept of code switching has been one of the spearheads of language contact for sociolinguistics. While it is true that it has enabled improvement mainly in terms of (socio) linguistics, it also appears that it does not describe all the (socio) linguistic dynamics observable in these environments. The use of

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French in Benin and Senegal, as in most of French-speaking countries lets us appreciate hybrids.

Keywords : code switching, language contact, hybrids, francophonie, sociolinguistics. امم يف ةناجهلا لاغنيسلاو نينيبلا يف ةيسنرفلا ةغللا ةسر يمجعم ءانغإ ةيلمع : يف تاغللا لاصتا لاح تاملكلا :ةيحاتفملا ةيمجعم ةيلوادت تاغللا لاصتا ةنيجه ةينوفوكنارف - ةيناسلويسوس

L’hybridisme, ce que, pour mémoire, nous appelons alternance lexicale par analogie à l’alternance codique, est un procédé d’enrichissement caractéristique des situations de contact des langues (par exemple, le contact des langues nationales parlées au Bénin d’une part et au Sénégal d’autre part avec le français). L’alternance lexicale, est selon notre conception, par opposition à l’alternance codique qui s’opère au niveau plus étendu de la langue, est circonscrite au niveau lexical. Elle consiste en la création de nouveaux lexèmes dont la racine relève étymologiquement d’une langue nationale et l’affixe adjoint provient toujours du français. De ce fait, nous établissons une distinction avec ce que d’aucuns pourraient qualifier de néologie. La néologie est un procédé englobant et caractéristique de toutes formes de création d’unités lexicales méconnues par la langue normative. La néologie peut s'opérer sans qu'il n'y ait contact des langues, ce qui n'est pas le cas au niveau de l'alternance lexicale. Si les unités lexicales issues du procédé de néologie sont appelées des néologismes, les unités lexicales issues de l'alternance lexicale sont dites des "hybrides". L’alternance lexicale est un procédé très productif dans la pratique du français au Bénin et au Sénégal. Cet article a pour objectif d’analyser les hybrides répertoriables dans la pratique du français

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dans les deux pays. Le mélange du fngbè essentiellement (langue véhiculaire à Cotonou) et d’autres langues nationales au français d’une part et le mélange du wolof (langue véhiculaire à Dakar) et d’autres langues sénégalaises au français d’autre part, dans les deux centres urbains, s’est graduellement érigé comme un procédé d’enrichissement lexical distinct de celui du fngbè, du wolof et du français. De ce procédé naissent des lexèmes avec une origine double : ce sont des hybrides qui n’existent pas phonétiquement ou graphiquement sous cette forme dans la langue normative. L’objet de la présente étude sera organisé selon une structuration tripartite : dans un premier temps, nous présentons le corpus ; dans un deuxième temps, nous établissons la typologie des hybrides observables dans la pratique du français parlé au Bénin et au Sénégal. Le dernier point propose une discussion en guise de conclusion. Le plan ainsi présenté nous permettra certainement d’établir une typologie des alternances lexicales dans les deux pays. Le présent travail s’inscrit dans le cadre général de la sociolinguistique, dans le domaine particulier de l’étude des langues en contact et, à l’intérieur de ce cadre général, dans ce que l’on appelle parfois pour faire court les études francophones. Le choix de ce domaine francophone ne signifie pas que nos méthodes ne soient pas transférables à d’autres situations de contact des langues dans lesquelles n’entreraient pas le français ; nous pensons au contraire que le modèle ici proposé a une validité et une portée universelle et peut servir à appréhender le multilinguisme des pays. Notre démarche, qui veut ouvrir la voie à des études descriptives dans le domaine des études des langues en contact n’est pas isolée. Nous nous inscrivons dans la perspective des études de situations de francophonie qui ont eu, avant nous, ce souci.

1. LE CORPUS

Au regard de la littérature sur la description du français au Bénin et au Sénégal, ce sont des classifications lexicales opérées sur des variétés géographiques de français qui servent, jusqu'à présent,

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de points de repère pour les enseignants et les chercheurs.

Nous disposons ici, pour mieux cerner ce procédé, des enquêtes menées à Cotonou et à Dakar sur l’usage des hybrides, des corpus existants sur le français au Bénin (Adjeran, 2017) et au Sénégal. Le corpus qui sert de support à la réflexion se fonde sur l’observation in situ des locuteurs comme le recommande Béal (2000 : 17). Il est composé essentiellement d’exemples tirés des journaux (électroniques et sur support papier), des discours à la télévision, à la radio et des communications quotidiennes. Celui du Sénégal est constitué en partie d’exemples tirés du travail de l’Equipe IFA-Sénégal (2006) : Les Mots du patrimoine : le Sénégal.

2. TYPOLOGIE DES HYBRIDES

L’alternance lexicale est un phénomène linguistique très dynamique. Elle est corrélée aux dynamiques sociales : changement de régimes politiques et critique d’une pratique sociale, religieuse et artistique. L’alternance lexicale se rencontre aussi bien dans le français écrit que dans le langage oral dans l’espace convoqué. Elle se manifeste essentiellement dans le langage informel, et avec une proportion moindre dans le discours formel, et cette présence semble être liée à l’absence de contraintes normatives et de contrôle du langage. Nous établissons ici la typologie des hybrides observables dans la pratique du français au Sénégal et au Bénin en nous fondant sur la productivité des affixes en lien avec les réalités sociales sus-indiquées.

2.1. Les hybrides en -iser, en -isme et en -iste

Ces hybrides sont généralement l’œuvre des hommes politiques ou des analystes de discours politiques ou encore des journalistes qui s’intéressent aux faits politiques. Ces lexèmes sont hybrides du fait qu’ils englobent des termes qui appartiennent à deux langues : le français et une langue locale. Elles expriment la façon dont les hommes politiques pratiquent le pouvoir ou révèle

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l’appartenance politique des citoyens. Les hybrides permettent de décrire leur pratique du pouvoir et de caractériser leurs partisans. Aussi, permettent-ils parfois de les tourner en ridicule. Au-delà d’une simple création lexicale, l’alternance lexicale est une pratique satirique qui permet de critiquer, de fait, de rejeter certaines pratiques peu heureuses des dirigeants. L’ère de la liberté d’expression a libéré les esprits et a facilité la dynamique linguistique dont l’une des manifestations est l’alternance lexicale. Au regard de cette remarque, nous disons que cette pratique s’inscrit dans un passé récent : les années 90 qui rappellent l’implantation du régime démocratique au Bénin et le début des années 2000 au Sénégal, période qui consacre véritablement la liberté de presse qui rime bien avec la liberté d’expression. Au plan socioculturel, le dynamisme de l’alternance lexicale se justifie par le besoin des locuteurs sénégalais et béninois de marquer leurs discours. C’est ce que sous-entendait Abdou Diouf, ancien président du Sénégal, dans la préface de l’ouvrage collectif produit par l’équipe IFA, Les Mots du patrimoine : le Sénégal (2006 : 5) :

[…] le français est au Sénégal, l’objet d’une véritable appropriation, d’une « naturalisation » pourrait-on dire. Sa variété sénégalaise porte la marque de l’histoire nationale, avec par exemple le legs lexical de la colonisation ou des fluctuations politiques. Elle porte aussi l’empreinte des spécificités géographiques, botaniques, géologiques propres à notre région du monde, ou encore, à travers emprunts et calques, celles de nos langues nationales dans une sorte de chassé-croisé lié au fait que ces langues ont-elles-mêmes vis-à-vis du français une lourde dette lexicale.

L’alternance lexicale s’opère essentiellement par suffixation et semble plus productive avec les nominaux. Les exemples d’hybrides par préfixation sont quasiment inexistants. Les hybrides relatifs à la politique offrent une typologie en trois points au regard de la productivité des affixes identifiés. En outre, certains hybrides apparaissent dans l’évocation des faits sociétaux.

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Les hybrides qui en résultent permettent d’exprimer les attitudes, les comportements et l’appartenance socioculturelle à un groupe socioprofessionnel. Aussi, servent-ils à faire la satire ou à valoriser ces représentations sociétales. L’alternance lexicale, ici considérée, a une motivation socioculturelle. Elle permet de révéler l’ancrage culturel des populations, leur appartenance géographique, mais aussi leur débrouillardise. Le domaine sociétal génère des hybrides qui enrichissent le lexique francophone. La structure interne de certains hybrides laisse voir un procédé de lexicalisation qui s’opère avec des nominaux pour générer des verbaux avec l’adjonction de l’affixe –iser.

Contrairement au Bénin, ce procédé est peu usité par le locuteur sénégalais. Au Bénin, le suffixe –iser permet de créer respectivement des verbaux. Les hybrides ci-après exemplifient bien ce constat.

(1) Yayiboniser, sogloïser, kérékouïser, toboulaïser

Ces hybrides caractérisent généralement les actions rigides (dépréciatives) surtout, ou souples (appréciatives) exercées par les hommes politiques. C’est un phénomène très régulier. Il est aujourd’hui fréquent d’entendre à la radio, à la télévision et de lire dans les messages sur facebook et sur WhatsApp, avec les actions de déguerpissement des artères principales des grandes villes du Bénin et surtout de Cotonou : « il a toboulaïsé toute la ville ». Ce verbe vient du nom du préfet Toboula. Toboulaïsé est constitutif des actions rigides de libération des grandes artères de la ville de Cotonou. Les actions du préfet sont dépréciées par les populations même si elles en reconnaissent le bien fondé.

Lors de la crise du coup d’Etat au Burkina-Faso en 2015, le Président Thomas Boni Yayi, alors président de l’Union Africaine, a fait des propositions de sortie de crise très peu appréciées par les Burkinabés. Les journaux béninois ont relayé ces propos des opposants burkinabés qui précisent :

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(2) « Finalement, il nous aura «yayibonisés1»»

Ce procédé est très productif dans la création des verbes du premier groupe exclusivement. Aucun cas de création des verbaux du deuxième et du troisième groupe n’est relevé. Ce constat semble confirmer le caractère régulier du phénomène au regard de la régularité constitutive de la conjugaison des verbaux du premier groupe. La structure interne de ces hybrides révèle un procédé de composition et d’affixation (procédé d’adjonction d’un affixe à une racine) comme on peut l’observer dans l’exemple en (3). (3) Yayi – Boni – iser > Yayiboniser

N N Af NNAf gbo – ti – èmi > gbotèmiser V P AP VPAP

Gbotèmiser est formé du mot yoruba gbotèmi (écoute ce que je te dis) et de l’affixe verbal –iser et signifie abêtir son époux à l’aide des pratiques mystiques. Ces hybrides se caractérisent par leur lexique composite qui leur confère des fonctions ludico-expressive et emblématique.

Dans la formation des verbaux, les structures internes sont variables. En nous fondant sur les exemples cités, nous retenons les structures suivantes : NAf, qui sont plus productifs, NNAf et VPAP. Les deux dernières structures sont très peu fréquentes au regard du corpus.

Au Sénégal, nous avons pu relever à partir du corpus que l’affixe –iser contribue également à la formation de verbes. Les hybrides ci-dessous confortent cet avis.

(4) mandinguiser, toubabiser

La structure interne de ces hybrides révèle la combinaison de lexèmes qui évoquent des communautés linguistiques sénégalaises (manding, toubab), avec l’affixe verbal –iser

1

«Yayiboniser», un hybride péjoratif attribué à Yayi au Burkina selon http://www.lanouvelletribune.info/benin/25707-yayiboniser-un-neologisme-pejoratif-attribue-a-yayi-au-burkina, consulté le 5 octobre 2015.

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(désinence des verbes du 1er groupe). Mandinguiser exprime le fait d’adopter, d’être assimilé à la communauté linguistique manding : à sa culture et à sa langue. Communauté très ancrée dans sa culture et très conservatrice de sa culture, de sa langue comme de sa cohésion, le manding a tendance à assimiler les autres communautés d’un point de vue culturel et linguistique. Le comportement des Sénégalais qui ont adopté la langue et la culture de cette communauté est caractérisé de mandinguisation et ces personnes sont mandinguisées. Ethnie minoritaire au Sud et au Sud-Est du Sénégal, les mandingues ont imposé aux autres ethnies de ces localités leur langue et leur culture. Nombreux sont les populations de cette partie du Sénégal qui comprennent et parlent la langue mandingue. Ces locuteurs sont alors mandinguisés comme l’on peut le lire dans Ndiaye Corréard (2006 : 341) : « Beaucoup de Balantes sont mandinguisés ». Les alternances lexicales en –isme présentent des illustrations aussi intéressantes que celles analysées ci-dessus.

La suffixation en –isme est un procédé de création lexicale assez productif qui a permis de créer des hybrides. Les exemples ci-dessous illustrent bien ce propos :

(5) Sénégal

tanorisme, wadisme, dioufisme, diaïsme, senghorisme, sopisme, jàllarbisme, tèkkisme

Bénin

Yayisme, sogloïsme, kérékouïsme, talonisme

Au Bénin, contrairement au Sénégal, les hybrides en –isme véhiculent une valeur satirique. Yayisme: de Yayi, patronyme de l’ancien président du Bénin, est un substantif qui désigne ses erreurs d’appréciation. Le substantif yayisme exprime les pratiques de mauvaise gouvernance, la politisation à outrance de sa gestion des recrutements souvent en faveur des populations de la région septentrionale du Bénin. En un mot, il caractérise les pratiques du régime politique du président Thomas Boni Yayi et accuse ses errements dans sa gestion des affaires de l’Etat. Ces

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lexèmes ont une connotation satirique et manifestent le rejet des pratiques qui fragilisent la cohésion nationale.

Au Sénégal, les hybrides en –isme sont des lexèmes constitutifs du français parlé au Sénégal. Ces lexèmes demeurent des substantifs qui renvoient à des doctrines politiques. Ce phénomène est souvent l’œuvre de politiques qui, voulant qualifier positivement ou négativement leur doctrine ou celles d’autres partis politiques, adjoignent, au patronyme d’un leader politique, le suffixe -isme. Les hybrides en –isme sont très fréquentes dans le discours des Sénégalais. Ainsi, il n’est pas rare de lire ces termes dans la presse pendant les périodes de campagne électorale. Voilà pourquoi l’Equipe IFA, en s’intéressant aux mots du patrimoine linguistique du Sénégal, n’a pas manqué de répertorier ces lexèmes, ainsi que beaucoup d’autres, et de définir le senghorisme ainsi qu’il suit : « Doctrine politique, mode de gouvernement propre à Léopold Sédar Senghor ou qui s’en inspire ». Et le journal Le Politicien du 17-09-1993 note que « le consensus sur la personnalité de Niasse comme porte-chapeau de la renaissance du senghorisme est déjà effectif » (Equipe IFA, 2006 : 490).

Dans ces hybrides, l’on retrouve les radicaux, senghor, wade, kérékou et soglo qui sont les patronymes de leaders politiques sénégalais et béninois, auxquels est adjoint l’affixe – isme. Quant au mot sopisme, il provient d’une combinaison du verbe wolof sopi (changer) avec l’affixe –isme et désigne, selon l’Equipe IFA-Sénégal, la « Doctrine des partisans du sopi » c’est-à-dire la doctrine des hommes politiques qui prônent le changement du régime politique au Sénégal, dont le leader emblématique fut et demeure Abdoulaye Wade.

Les hybrides relevés au Sénégal, contrairement à ceux répertoriées au Bénin, s’opèrent aussi bien avec les nominaux qu’avec les verbaux. Les exemples en (6) sont illustratifs de ce contact.

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(6) senghor – isme > senghorisme N Af NAf

wade – isme > wadisme N Af NAf kérékou – isme > kérékouïsme N Af NAf

talon– isme > talonisme N Af Naf

sopi – isme > sopisme V Af VAf jàllarbi – isme > jàllarbisme V Af VAf tekki – isme > tekkisme V Af VAf

Le procédé de suffixation est très productif dans la création des lexèmes en –isme. La structure de ces hybrides révèle un procédé d’affixation auquel s’adonne le locuteur (adjonction du suffixe –isme à un verbe wolof ou à un patronyme sénégalais ou béninois). Ces lexèmes ont ainsi, chacun une connotation dépréciative ou appréciative selon le cas et rejettent avec force les pratiques trop égoïstes et peu altruistes dans la gestion du pouvoir, de certains hommes politiques. Cependant, l’alternance lexicale au moyen de verbaux wolof est peu fréquente, en regard à celle qui s’opère avec les nominaux.

Au-delà des faits politiques, l’hybride en –isme permet d’évoquer des faits sociétaux. Les exemples ci-après sont illustratifs de ce propos :

(7) toubabisme, góorgóorluisme

Il est souvent utilisé pour former des mots qui désignent une activité professionnelle. C’est ainsi que nous avons :

(8) xarafalisme « activité qu’exerce une personne qui a pour métier de circoncire »

junjuŋisme « activité qu’exerce une personne qui a pour métier de battre le tambour »

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xonjomisme « activité qu’exerce une personne qui a pour métier de battre les sciences occultes »

Certains hybrides générés sont en corrélation avec la religion. Ils servent à décrire et à caractériser les usages religieux sénégalais. L’alternance lexicale s’opère généralement avec les nominaux comme on peut l’observer dans les exemples suivants : (9) talibi – isme N Af > Talibisme NAf mouridi – isme N Af > mouridisme NAf tidiani – isme N Af > tidianisme NAf qadiria – isme N Af > qadirisme NAf

Ces quatre hybrides (qadirisme, talibisme, mouridisme et tidianisme) sont composés respectivement de qadiria (nom d’une confrérie musulmane au Sénégal, fondée par un Maure, Cheikh Abdoul Khadre Dieylani), de talibé (jeune élève d’une école coranique au Sénégal), de mouride et tidiani (confréries religieuses musulmanes au Sénégal), auxquels est adjoint l’affixe nominal –isme. Cette suffixation sert à qualifier la doctrine ou la philosophie d’un groupe religieux. Le locuteur sénégalais combine un lexème wolof (qadiria, talibé, mouride et tidiani) avec l’affixe –isme afin de générer des hybrides. Beaucoup plus fréquents dans les pratiques informelles, ces lexèmes permettent de désigner des faits, des pratiques, ou des types de comportements religieux qu’il ne serait pas aisé de dénommer par des termes du français central. De ce fait, ces unités demeurent constitutives de l’identité linguistique et religieuse sénégalaise, et précisément musulmane.

Ce phénomène de création lexicale est très productif au Sénégal. Le lexème talibé a généré des hybrides comme talibisme (Fait qu’un marabout soit chargé par les musulmans de l’éducation, essentiellement religieuse, de leurs enfants [IFA] ou fait qu’un marabout, chargé de l’éducation d’enfants, les utilise

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abusivement à son profit, en particulier en les envoyant mendier [IFA]), talibité (Ensemble des attributs qui font d’un musulman un talibé) et talibé-mendiant (Petit élève d’une école coranique hébergé par un marabout, au profit de qui il mendie en compensation de son entretien). L’on note qu’au Sénégal, les alternances lexicales relatives à la religion s’opèrent exclusivement avec la religion musulmane. Ce constat laisse voir l’emprise de cette religion dans la communauté sénégalaise. Les hybrides avec l’affixe –iste tout comme ceux en –isme, sont illustratifs de diverses pratiques sociolinguistiques.

L’hybride en –iste est très productif. De façon très corrélative, les lexèmes en –isme ont des correspondants nominaux et adjectivaux en –iste, qui permettent de désigner ou de qualifier les hommes politiques qui adhèrent aux doctrines politiques des leaders politiques sénégalais et béninois ou qui s’en inspirent. C’est justement ce qui transparaît de la lecture de certains journaux sénégalais et béninois qui traitent de faits politiques ou des pratiques discursives des politiques lors des meetings électoraux, comme l’exemplifient les hybrides suivants : (10) diaïste, senghoriste, tanoriste, wadiste

Kérékouistes, sogloïstes, Yayistes, talonistes

Ces nominaux ou adjectivaux caractérisent souvent les attitudes, les comportements appréciables ou peu valorisants des hommes politiques. Aussi, servent-ils à tourner en dérision les partisans des leaders politiques. Au-delà d’un simple usage de la langue, elles manifestent un engagement politique et des nuances idéologiques.

Ces hybrides permettent d’étiqueter les partisans, les partisanes ou les personnes acquises à la cause de ces différents hommes politiques. Ce type d’alternance lexicale s’opère essentiellement avec les patronymes des présidents. Cette créativité lexicale permet au locuteur « d’introduire de nouvelles ressources pour remplir des nouveaux besoins communicatifs » (Lüdi et Py, 1986 : 151) et contribue à marquer le discours en

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introduisant une rupture formelle avec le français central. Le recours à des unités lexicales différentes de celles du français central relève d’un choix discursif, plus ou moins conscient, et non d’une contrainte systématique.

Le domaine artistique n’est pas à l’abri de la création lexicale dans la pratique du français au Sénégal. Elle met en relief la vitalité sociolinguistique du français dans le domaine de l’art sénégalais. L’alternance lexicale demeure relativement dynamique dans ce domaine. Les données en (11) exemplifient bien cette situation.

(11) djembiste « joueur de djembe », xalamiste « joueur de xalam » balafoniste « joueur de balafon », coraïste « joueur de cora » La structure interne de ces hybrides révèle une adjonction de l’affixe –iste aux lexèmes wolof djembé, xalam, balafon et cora. Cette affixation sert à désigner ou à qualifier un artisan qui fabrique des djembés, un type de tam-tam sénégalais (djembiste), ou encore un musicien qui joue du xalam, du balafon ou de la cora, instruments de musique à plusieurs cordes, spécificités wolof et manding (xalamiste). Contrairement à ce que l’on note dans les alternances lexicales précitées, les lexèmes djembistes, balafoniste, coraïste et xalamistes ne renferment aucune nuance péjorative. Elles évoquent de façon tout à fait neutre la pratique d’un métier artistique.

2.2. Les hybrides en –cratie et en –ien.

Ces hybrides sont relatifs au champ de la politique. Ils apparaissent dans des lexèmes employés par des hommes politiques ou encore des journalistes qui s’intéressent aux faits politiques et sociétaux. Ces lexèmes sont hybrides du fait qu’ils sont formés de termes qui appartiennent à deux langues : le français et le wolof d’un côté, et le français et le fngbè de l’autre.

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langue nationale, le fngbè au Bénin et le wolof au Sénégal en l’occurrence. Ce procédé facilite la structuration linguistique du système et restitue au locuteur toute la liberté et l’initiative linguistiques, à partir de quelques morphèmes grammaticaux, de coder et de décoder un nombre important d’hybrides.

L’analyse de l’alternance lexicale employant l’affixe –cratie nous permettra de comprendre les dynamiques lexico-pragmatiques à l’œuvre dans ce processus de même que leurs implications sociopragmatiques.

La plupart de ces hybrides dépeignent le mode de gestion du pouvoir politique. Ils sont formés par l’affixe nominal –cratie et mettent en relation les différentes pratiques – caractéristiques de chaque régime politique – qui ont ponctué et qui ponctuent la vie politique au Bénin et au Sénégal. De ce fait, au cours de la période révolutionnaire au Bénin, les citoyens avaient un certain rapport à l’égard des deniers publics qui contraste avec celui observé sous le régime démocratique. Certaines dérives qui sont caractéristiques de la période démocratique et qui sont symptomatiques des comportements de certains hommes politiques ont motivé la création de ces hybrides. Parmi les nominaux formés par adjonction du morphème nominal –cratie, on relève les exemples ci-après très fréquemment usités par les locuteurs béninois : (12) adogo – cratie > adogocratie

N Af NAf gunde – cratie > gundecratie N Af NAf àjo – cratie > àjocratie

N Af NAf

Adogocratie, gundecratie et àjocratie sont composés respectivement de adogo (ventre en fngbè), de gundè (ventre en dendi, une autre langue nationale parlée au Bénin), de àjo (vol en fngbè) auxquels s’adjoint l’affixe nominal –cratie pour qualifier

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l’appétit trop gourmand de certains hommes politiques à l’égard des deniers publics. Le locuteur emploie les lexèmes diaphasiquement marqués et ont recours aux procédés de création lexicale interne au français pour produire de nouveaux lexèmes hybrides. Ces hybrides, qui seraient moins fréquents dans un discours écrit dépourvu d’intentions pragmatiques et stylistiques spécifiques, fonctionnent comme des marques pragmatiquement significatives et ont une valeur distinctive. Ils sont constitutifs de l’identité du locuteur Béninois qui en fait usage.

Au Sénégal, ce procédé a surtout été remarqué dans le discours oral des hommes politiques et dans celui des journalistes-analystes, pendant les campagnes électorales des élections présidentielles de 2000, de 2007 et de 2012. Dans ce sens, il se manifeste essentiellement dans le discours du président Abdoulaye Wade, opposant à l’époque, afin de qualifier les dérives du pouvoir du président Abdou Diouf. Face à l’usage de la force par les hommes du président Diouf, Wade et beaucoup de locuteurs sénégalais ont très souvent parlé de doolecratie, par analogie à démocratie, pour qualifier cette façon de gérer le pouvoir. De même, l’opposant sénégalais Idrissa Seck a eu à qualifier le comportement politique qui a conduit à son emprisonnement par le régime d’Abdoulaye Wade (après 2000) de doolecratie, dont la structure est la suivante.

(13) doole - cratie doolecratie N Af NAf

Ce lexème est formé de doole (force en wolof) auquel est adjoint l’affixe nominal –cratie afin de désigner l’usage de la force en lieu et place de la justice par les partisans du président Abdou Diouf. De ce fait, il est question pour ces locuteurs de créer un lexème à partir d’une base nominal wolof (doole) et du suffixe français (-cratie). Cet hybride demeure ainsi un indicateur sociolinguistique du français parlé au Sénégal et sert à manifester la sénégalitude de son auteur.

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signifie l’introduction d’une langue dans une autre ? Ce va-et-vient entre deux réalités sociolinguistiques et culturelles répond-il à une (con)quête de sens linguistique ? Selon Lagarde (2001 :43) : « L’introduction, même interstitielle, d’un (ou plusieurs) langage(s) différent(s) de […], fait – socialement – sens ». Et ce sens est là. Il se superpose et dépasse même celui se limitant à introduire uniquement une note hétérogène, un choc expressif, un effet de dépaysement de second degré. Il détonne dans l’environnement social du locuteur par sa graphie, par sa prononciation et par le ou les sens qu’il peut dégager et, partant, introduire dans le contexte. Indépendamment de l’effet que peut produire la juxtaposition des deux langues dans un mot, l’emploi du mot en langue nationale répond, semble-t-il, au souci du locuteur de maintenir présente sa langue en nommant les objets ou les notions caractéristiques de sa culture et dont il n’existe pas d’équivalent en français, et même lorsqu’il existe, il n’a pas cette capacité de contenir, en son sein, la référence à d’autres champs sémantiques. Les exemples cités plus haut offrent un appui commode pour illustrer cet aspect.

Bien qu’ayant peu d’occurrences dans notre corpus, l’hybride en –ien se manifeste tout de même dans la pratique discursive des locuteurs sénégalais. Elle a permis la création des nominaux ou des adjectivaux à travers la suffixation des patronymes tels que Senghor et Diouf comme on peut l’observer dans les exemples suivants.

(14) senghorien, anti-senghorien, dioufien

Ici, les lexèmes senghorien et dioufien expriment la proximité (du point de vue idéologique) avec – voire l’adoption de – les idéologies politiques ou intellectuelles de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf. Aussi, qualifie-t-on souvent les intellectuels (enseignants, étudiants, etc.) spécialistes ou simples admirateurs de Léopold Sédar Senghor ou d’Abdou Diouf de senghoriens ou de dioufiens. De même, assimile-t-on comme tels tous les hommes politiques sénégalais du parti socialiste qui

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vouent une fidélité sans faille à ces deux icônes de la politique sénégalaise. C’est dans cette perspective que s’inscrit le propos suivant que l’on pouvait lire dans le journal Le Soleil du 21-02-2001 : « Nous avons dans nos rangs un PM qui ne perpétuera pas le socialisme senghorien… ».

De la même manière, le lexème anti-senghorien désigne le comportement d’un intellectuel ou d’un homme politique qui est hostile à Léopold Sédar Senghor et à sa façon de faire de la politique. De fait, l’on pouvait lire dans les colonnes du journal Daan Doolé de mai 1987 : « L’on peut résumer la longue tirade anti-senghorienne de Djibo Kâ comme suit […] ».

Toujours concernant l’évocation des faits sociétaux, on note dans la pratique du français au Sénégal la création des substantifs et des adjectifs qui permettent de désigner et de qualifier des franges de la population. A titre d’illustration, citons : (15) casacien, cayorien

La composition de ces hybrides fait état de la combinaison morphosyntaxique d’un lexème de la langue nationale wolof (Casa, Cayor) avec l’affixe –ien. Ce procédé traduit un modèle très simplifié par lequel les locuteurs s’arrogent le droit de création lexicale à partir de lexèmes wolof, indices de l’appropriation du français par les locuteurs sénégalais.

Ces hybrides évoquent quelques strates de la société sénégalaise. Le Cayor est une entité sociale, un ancien royaume du centre du Sénégal où a régné le héros national, Lat Dior Ngoné Latyr Diop. L’affixe –ien combiné avec ce lexème permet d’exprimer l’appartenance à cette localité. Ce lexème désigne les habitants originaires du Cayor. Les propos suivants tirés du journal hebdomadaire Le Témoin du 09-15/07/1996 illustrent bien cet avis : « Renseignements pris, le géant cayorien revenait fraîchement de la ville sainte de Touba où il a passé trois jours auprès de son marabout ».

De même, le terme Casa est une forme tronquée de Casamance, une région du sud du Sénégal. Casacien demeure

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alors une structure linguistique qui provient de la troncation de casamancien (qui existe dans le français parlé au Sénégal en parallèle avec casamançais). Synonyme de casamançais, il s’agit d’un lexème qui combine la forme tronquée casa avec l’affixe à la fois nominal et adjectival –ien. De ce fait, Casacien fonctionne comme substantif et comme adjectif.

3. DISCUSSION EN GUISE DE CONCLUSION

Même si les résultats de cet article peuvent servir à éclairer certains procédés rencontrés en contexte de contact des langues, nos données ne relèvent pas dans l’ensemble de ce type de communication : l’approche est avant tout descriptive, c’est-à-dire qu’il s’agit de décrire le fonctionnement de l’alternance lexicale tel qu’il a été mis en évidence pour le français parlé au Bénin, avec celui de ces mêmes formes dans le français parlé au Sénégal, et dans des situations similaires. Cet article a examiné comment s’opère l’alternance lexicale dans la pratique du français parlé au Bénin et au Sénégal. Nous y avons convoqué les hybrides usuels de racines issues essentiellement du fngbè, du yoruba, du dendi et du wolof pour mieux appréhender le procédé de lexicalisation étudié. Appris le plus souvent à l'école, le français n'a pas connu au Bénin et au Sénégal, malgré quelques innovations grammaticales, la pidginisation qui a conduit, en Côte d'Ivoire, par exemple, à l'émergence d'un français populaire : le nouchi. En revanche, son lexique s'est considérablement enrichi de termes désignant des réalités ou encore de libres créations qui témoignent d'un véritable processus d'appropriation par les Francophones béninois et sénégalais de cette langue étrangère. Les hybrides en sont de belles illustrations. L’alternance lexicale est un phénomène linguistique très mouvante et en étroite corrélation avec les dynamiques sociales : changement de régimes politiques, critique d’une pratique sociale, par exemple.

Depuis la période coloniale, le français est en contact avec les langues africaines. Ce contact a donné naissance à

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plusieurs particularités lexicales qui ont été pendant longtemps considérées soit comme des variations qui ne pouvaient qu’altérer l’homogénéité supposée, mais naturellement fictive, d’un modèle homogène et fixe du français de l’hexagone et de son Académie. Dans les deux cas, les adeptes d’une grammaire normative de tradition classique considéraient qu’il s’agissait de phénomènes qu’il fallait absolument bannir du bon usage voire de l’usage du français mais également écarter de l’objet de la description linguistique. Mais, ce point de vue est battu en brèche, suite, notamment, à l’avènement de la révolution sociolinguistique qui prône la reconnaissance de la variation inhérente à tout système linguistique. Ces différentes manières de parler français constituent ses variétés.

Les différents inventaires réalisés dans les différents pays constituent une sorte de pièce d’identité qui singularise chaque pays francophone à un moment donné de son histoire. Ces travaux peuvent être vus comme un corpus, un témoignage, une espèce assignée à protection pour la mémoire. C’est d’ailleurs l’un des points forts qu’on leur retient. Soulignons également que nous considérons comme appropriation réussie, les méthodologies et les positions épistémologiques du Sénégal et de la RDC dont les différentes équipes ont établi les critères d’acceptabilité et d’exclusion des particularités. N’diaye Corréard (2006 : 12) de l’équipe d’IFA-Sénégal précise à cet effet:

Les critères adoptés sont les suivants :

la fréquence (nombre d’attestations dans le corpus) ; la dispersion, c’est-à-dire la présence dans des contextes

d’auteurs et de genres variés ;

la présence dans des ouvrages didactiques, notamment les manuels scolaires ;

l’expérience des chercheurs pour le cas des lexies non attestées ou trop faiblement représentées dans le corpus.

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L’attitude des descripteurs des différentes variétés sous-tendue par la théorie d’une régulation interne de la langue, ont laissé croire que les formes inventoriées dans le cadre des enquêtes lexicographiques étaient vouées à disparition à plus ou moins longue échéance. Cette assurance est entretenue par la conviction que l’école et le niveau scolaire assureraient la victoire de la forme standard sur ces usages considérés comme des barbarismes.

La survivance des particularités qui contredisent la norme de référence malgré la tentative de leur remplacement par des formes canoniques confirme l’idée que ce qui est nécessaire à une langue trouve toujours sa place dans son système et ne s’impose que par cette qualité puisqu’elle répond au besoin de communication. Les particularités se confirment ainsi comme des traits de connivence qui identifient un usage donné en l’opposant aux autres.

Les années 1970 se révèlent non pas comme le début de l’altération de la langue française en Afrique mais plutôt comme la période de découverte d’un cadre théorique capable de rendre compte de l’usage différentiel que soutient la sociolinguistique qui prône la variation inhérente à tout système linguistique. La théorie qui étiquette les années 1970 comme une période charnière des études du français en francophonie laisse apprécier deux positions distinctes : la première est relative aux chercheurs qui, à l’exemple de Renaud (1979), y voient le début du déclin de la qualité du français et ceci de façon continuelle. L’usage différentiel est inhérent à l’implantation du français dans les anciennes colonies mais les rapports à ces usages n’ont pas encouragé des travaux de description linguistique. Les usages incriminés par les premiers inventaires sont encore usités. Cela traduit leur importance dans les besoins communicationnels dans ces espaces.

L’équipe du projet IFA-Sénégal présente l’inventaire réalisé comme descriptif de l’usage du français parlé au Sénégal.

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C’est d’ailleurs ce que confirme la coordonnatrice quand elle écrit:

Insistons d’abord sur le fait que le présent inventaire est strictement descriptif, sans aucune visée normative. Nous observons l’usage tel qu’il nous apparaît dans les discours écrits et oraux dont nous avons connaissance, sans prétendre juger si cet usage est bon ou mauvais (2006 : 12).

Nous faisons une remarque importante à partir de cette affirmation : la description de l’usage sénégalais, à laquelle elle fait allusion, n’est en réalité, qu’une analyse du niveau du français, c’est-à-dire une appréciation de la compétence générale des locuteurs sénégalais en français à travers une analyse de la composante lexicale.

Logiquement, on s’attendrait à la production d’un dictionnaire d’usage. En nous fondant sur la définition que propose Dubois et al., (2012 : 502) : « Un dictionnaire d’usage est un dictionnaire de langue monolingue dont la nomenclature correspond au lexique commun à l’ensemble des groupes sociaux constituant une communauté linguistique ». Au regard de ce qui vient d’être dit, l’inventaire réalisé devrait être apprécié comme une contribution du Sénégal à la nomenclature du français dans sa contribution de lui permettre d’exprimer les réalités inhérentes à son environnement d’usage. L’inventaire s’est limité simplement à révéler le dynamisme inhérent à tout système linguistique. Pour nous, l’inventaire est essentiellement une évaluation de l’usage du français au Sénégal et subsidiairement une description. L’on s’aperçoit que ces particularités répertoriées dans les différents inventaires deviennent des particularismes, des formes linguistiques que ces communautés linguistiques revendiquent comme une marque identitaire à l’intérieur de la francophonie et elles s’appliquent consciemment ou inconsciemment à défendre à travers la diversité des situations et des domaines d’emploi de ces

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particularités. Elles traduisent la tendance à la fonctionnalisation de la langue française, c’est-à-dire cet effort d’adaptation du français à la seule fonction de communication par affranchissement des contraintes grammaticales. Cet argument milite en faveur de l’option descriptive de l’inventaire au détriment de la visée évaluative de l’usage différentiel qu’entretient la théorie de l’insécurité linguistique et de la babélisation du français en francophonie. En terme d’exhaustivité et de pertinence, les travaux des Equipes IFA en général aurait dû privilégier la description des usages réels des différents pays de la francophonie. Cette option aurait le mérite de révéler la fonctionnalité des différentes langues en contact en élucidant par exemple l’aspect structurel de ces particularités.

Il est d’une nécessité impérieuse que la conception de la langue française comme outil de prestige s’efface au bénéfice d’une conception de partenariat entre les langues en contact. Dans cette perspective, les inventaires relatifs à chaque pays de l’espace francophone qui sont l’illustration la plus proche des usages de chacun des pays concernés parce que prenant en compte l’environnement et la vision du monde de ces communautés linguistiques, aideraient à l’établissement des registres et des niveaux de langue comme le préconisait Valdman (1979). C’est à ce prix que la francophonie pourra rendre plus vivace le dialogue des cultures et la notion de langue partenaire qu’elle a inscrits parmi ses objectifs prioritaires.

BIBLIOGPAHIE

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sociopolitique à la vitalité de la langue française (1990-2008) », Le Français en Afrique, ILF-CNRS, Nice, 2009.

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RENAUD, P., « Le français au Cameroun », Le français hors de France. Honoré Champion, Paris, 1979, pp.418-439.

VALDMAN, A. (dir.), Le français hors de France, Honoré Champion, Paris, 1979. ANNEXES Abréviations N : Nominal NN : Nominal-Nominal Af : Affixe Naf : Nominal-Affixe NNAf : Nominal-Nominal-Affixe V : Verbal P : Préposition AP : Adjectif Possessif

Références

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