Blogs
littéraires
:pa
r-delà
le
mol
Les
voies
de
l'ecriture
sur
lnter-met
somt
n'lultiples,
mais
les
avancées
récentes
ont
eu
ten-eta*leç
à
eerlimiter
l'cxistence
a*; seuNblog.
Par
srneffet
eonjugué
de
réponse
à
un
*resoin sçeial
{eornmuniqucr
ef
existen}
et
de
simplieâté
d'utilisation,
eelui-cl
est
pasx*â,
e*l
rn$ins
de
quatre
âns
ên
Selgiqure,
du
statut
d'çb-jet
d"avant-garde
àeelui
de
p!a*e-ferme
la plus populaire
et
la plus
dénigrée
d'éditiçn
en ligne.
n
trouve les premiers blogs à lafin
des années 1990 auxEtats-Unis. La
pratique
consiste, àcette époque, à établir une liste de liens
vers des sites web, renouvelée continuel-lcmcnt ct structurée de façon
chronolo-,i',
gique, de façon à ne pas perdre de vue'iîi
quelques lieux notables dela toile et
àilj,
1cs faire connaître autour de soi.L'outil
,,,1'
demeurealors principalement
connud'un
microcosme averriet
ne pârtage16
l::,.:tt
de
traits
avec son"'"gt
ulè-A
la faveur d'éléments aussi divers que ledéveloppement de I'accès à Internet ou la
simpliûcation de son utilisation, le blog
se démocratise et sa fonction évolue
sen-siblement : de liste ouverte,
il
devient unespace d'autoëdition en ligne plus prolixe.
Chaque intenention de l'auteur consiste dès lors à publier du contenu par f inter-médiaire
d'un billet
(ou encore nlte, oo post) daté, constitué de texte, d'images, de son et/ou de vidéo.Et
les biliets depouvoir
être
prolongés, admirés
oucontestés par 1a communauté des lecteurs r.ia des commentaires en ligne.
Un
mor-rde nouveau semet
en place,qui
se caractérise rapidement par la di-versité de ses réaiisations. Blogs tenuspar des hommes politiques, blogs
d'ac-tualité,
blogs spécialisés dans desma-tières aussi variées que les recettes de
cuisine, les questions
juridiques ou
lesnouveaux médias, blogs d'opinion,
pho-toblogs,
sexblogs, videoblogs... Un
éclectisme souvent masqué par iatoute-puissance
d'un
genre
particulier,
lejournal
intime.
Or
c'est précisément là,danr ce que d'aucuns dévisagenr comme
le
sous-produit d'une société enperdi-tion,
qu'un
moyen d'expression créatif etinnovant, distinct
de tous les autres moyens existants, est le plus susceptible d'être trouvé.Des
blogs belges
Le premier blog francophone belge,
Ge-radon.be,
du nom
de son aut€ur,
re-monte à janvier
2002.
Dansla
foulée,d'autres expériences
voient le
jour
ausein
d'un
réseauinformel
constituéautour
d'un
hébergeur au noménigma-tique, Nikita.
cx
:
Contingences.net,Phi-lograp h. be, questiowlestyle.
net...
T enta-tives piusou
moins confidentieiles, lesblogs rassemblés dans un premier temps
autour de
Nikita
ne doivent cependant pas faireillusion
: si
les différents au-teurs font partied'un
réseau, et à desde-grés divers,
il
ne s'agit paspour
autantd'rne
école au senslittéraire du
terme.Plurôr que de
,,
laireGuvre
,' au seind'un collectif soudé par une même vision esthérique. l'accent est mis sur une
notr-velle forme de communication rendue possible
par
leblog.
Unecommunica-tion virtuelle née de la vie réelle, et qui se
prolonge, tout en l'alimentant, sur la
toi-1e.
Et
à l'inverse,le
développement derencontres spécifiques générées
par
la pratique du blog elle-même.Concentration
fortuite donc,
comme f indique Christophe Géradon pour quiNikita
reste tout justen
unhost, un hôtequi a eu
k
gentillese de proposer sa bandepltstlznte
à
un
cerc/e d'amis,et
r/'amisd'amis
,,
et pour
lequel héberger desblogs demeure
o
une contingence de /'ëpo-que,.
IJn
avis partagépar
Sébastien,alias cramoisi. du blog Contingences.
iusre-ment
:
o Lefait
est que I'hëbergeur étaitune connaissance de l'époque IRC
INDLR:
rystème de conuerslttion P(lr écrit en directJ,
donc l'époque des sites persos et de I'internet "underground", aaant les blogs, qui propo-sait gratuitement un hébergement d'assez
bonne qualité er sans publicité.
Il
s'est alorstrouué normal de
/ui
clernander une p/acepour
I
mettre notre blog. Six mois phn tôt,nous
y
aurionsfait
autre chose.,
Hasardou non toutefois, le réseau
Nikita
et sesenvirons compteront quelques
expérien-ces arypiques oùr le blog, par-delà sa
fonc-tion
sociale, se pose enlieu
de création dontil
reste à explorer les possibles.En avril 2003, Belgacom lance les u
Sky-netblogs
,.
Pour la société, l'enjeu est dctaille
:
capturerun
maximumd'utilisa-teurs
âutour d'un
servicegratuit
qui profitera à son image d'une part, etex-ploitera cl'autre
part,
dansla
lignée deGoogle, le créneau des annonces publi-citaires. Toi aussi,
lée
tott blog en dnqminutes devient
le
discours dominant.Une
blogosphère nouvelle semet
enplace,
qui
rec{éflnitle
médium :
il
estdésormais aussi normal d'avoir
un
blogregroupements connaissent
un
desrinpour le
moins spectaculaire, lesu
Sky-blogs
,
en tête, liéspour
leur part à ia station de radio Skvrock.S'i1 désagrège une certaine idée de I'ex-pression sur Internet, au
point
d'excluredes tentatives plus audacieuses de la
dé-finition
(Tu
n'as pas de skynetblogni
des/eyblog, donc ce n'est pas
un
blog que tufais),
Ie
développement massif ouvre néanmoins la porte à des iniriatives ary-piques, jusqu'alors inaccessibles à ceuxqui
ne disposaienr pas de connaissancesinformatiques suffisantes pour créer un
blog u
indépendant
r.
Mais
celles-cidemeurent rares,
pour
la
bonne
etsimple raison que I'envie de rejoindre
une communâuté ne s'accompagne que très rarement de la volonté de pousser le
ï:î::-
dans ses derniers
retranche-Un
art
total
L'une
des spécificitésdu
blog
est demobiliser
de nombreux moyensd'ex-pressior.r, du texte à la vidéo, en
pâssant
par
la
musique
er
laphotographie.
Aussi
peut-il
sembler réducteur devoir
en ce médium un espacc potentiel decréation
littéraire
uniquement :le
texte n'est queI'un
desava-tars
du
blog,
sa
polyphonie peur condtrireà
l'évaporarion partielleou
totaledu
texte, aupoint
d'être en présence d'uneæuvre photographique
ou
vi-déographique, en cas de choixd'un
seul moy€n d'expression,et d'une æuvre protéiforme en
cas de dialogue des platiques
hors le texte. Plutôt que de conclure à la non-littérarité
du
blog, sans doutefaut-il
doncvoir
sa /ittérarité commeun
as-pect, etnon
comme son essence.Et
sedemander, dès lors, ce que peur le blog que la lirtérature ne peul pas, er inverse-ment.
La parriciparion
du
lecteurvia un
sys-rème de commentaires,son
insranra-néité ou le recours à l'hyperlienfont
dublog
un
instrument plus réactif et plus perméable que lelivre
: alors que lelec-teur trâditionnel peut
transmetrre sesremarques à
l'auteur
après publicationdu
livre, le
lecteurdu
blog intervient
dans
un
aprèsimmédiat
susceptibled'infléchir
le contenu existant
;
alors que la citation ou la réferencebibliogra-phique évoque un autre lieu
d'énoncia-tion,
1'hyperlien transporte 1e lecteurjusqu'à celui-ci.
Un
autre aspectfonda-mental
du
blog,qui le
distingue d'une ceuvre littéraire publiée, est son absencede
finitude :
ceuvre dotée d'r-rn débutmodifiable
a
posteriori, son
dénoue-ment fatal s'inscrit
en puissance dans chaque intervention (décès de l'auteur,abandon...)
-
là où
l'ceuvre littérairetend
à être présentée commeun
tout.En
ce sens,le blog
esr une mosaiquedont
chaque tesselleserait
autosuffi-sante,comme
un
épisodede
u Der-rick,,
en même temps qu'elle participe de la construction de I'ensemble : la vie de f inspecteur résuite de la somme desépisodes, le blog est la somrne des
inrer-ventions
-
n
épisodes,
por-rvant seii-miter à une phrase.
Une
autofiction
La littérarité du blog, à condition cle ne
pas
la limiter à la
ser-rlepratique
du texte, naîtrait donc de I'agencement deses parties en vue de constituer un tollt.
On
observe ainsi deux tendancesma-jeures
au
sein des biogslittéraires,
la première répondant à la iogique du urc-cueil
,
:
I'auteur édite une série d'in-terventions sous la forme de textespoé-tiques
pour
la
plupart, comrre
s'ilpubliait un
recueiltraditionnel
17
en plusieurs
fois.
Néannroins. ce mode de fonctionnement netire
généralement pasprofit
dela spécificité du blog et pourrait se concevoir ailleurs (sur papier'
ou sur un site moins régi par la
chronologic). Une
deuxièmerendance esr celle
du..
jour-nal oqui,
avecle blog
d'infor-mation, repose sur ie rapport à
la quotidienneté.
qu'il
soitfictif
ou non.
La
part littéraire
spécifique aublog
serait donc dei'ordre
dr-rjournal. Pas pius que le journal Seul devant la machtne
intime
toutefois,un
épanchement sansmédiation
ne peut
que difficilement
prétendre au statut d'objet artistique.Il
s'agit moins de raconter sa
vie
que deraconter la vie. Aussi le
"
blog littéraireu pousse-t-il à son paroxl'sme l'ambition
de Marcel Proust de faire de la vie une æuvre d'art, en publiant
jour
après jourla
recherched'un
temps
tout
autantperdu
qu'infiniment
proche. Uneesthé-tisation
(éventuellement dramatique)du
quotidien, pouvant aller dela
défi-guration partielle
du
réel(réinterpréta-tion
des événements,introduction
denouveaux personnages...) à la
scénarisa-tion
proprement
dite. L'auteur
d'un
blog peut ainsi planiÊer un récit etpro-fiter
del'interaction
avecle
quotidienque
Lri
permet le blog. Bon nombre deblogs de
u
zombies'
ont vu lejour
sur cette base,où
l'auteur, ayantpour
am-bition
de relater sa transformation enmort-vivant,
plaque 1'évolution fictive de sa perceptiondu
mondeet
de soncomportement sur les éléments les plus
communs de son
quotidien :
perte dei'appétit
en période de sessiond'exa-mens,
goût
prononcé
pour le
sang àI'occasion de son anniversaire... Dans la lignée de Derrick, le blogueur pourra
fort
bien êtreun
enquêteur. Proust estbien
loin,
maisI'idée n'est
pasmau-vaise.
Par-delà
le moi
Force cst de constater, cependant, que
lcs
cxemples, belgesen
1'occurrence,n'abondent
pas.Pour
Sophie tVever-begh,qui vient
de
consacrerun
mé-moire au phénomène des blogs àI'ULB,
la situation semble tenir au fait que
u
leblog s'est vu pris en main par une classe
d'usagers
qui
ne désirentrien
d'autreque communiquer dans une sphère plus
ou moins
interpersonnel/e,le blog
res-tant pius I'endroit d'une écriture intime que d'une écriture expérimentale et/ou
littéraire
,.
Dans de telles conditions, leblog vécu comme un espace de création
iittéraire ne
serait
donc rien
d'autre qu'une hybridation.En marge du champ légitime de la
litté-rature, de
telsblogs
hybrides relèventsans aucun doute, avec le grafûti, le tract
ou
encorele
slam.pour
neciter
queceux-là, des
u
littératures parallèles et sauvages 1r,
telles qu'elles ont étédéû-nies par Jacques Dubois.
Art
de I'ombre,caractérisé
par
une
proximité
acclue entre le moment d'écriture et celui de la lecture,ie
blog nie en quelque sorte lafonction
éditoriale en assimilant auteuret
éditeur.
Et
sa subversion apparaîtd'autant plus
sensibleque
sa normen'est
pas cellede
l'institution
domi-nante.
Mais
en l'absence de véritables instances de iégitimation, les auteurs deblogs, comme les auteurs du web en
gé-néral,
ont
une efficacité amoindrie dufait
deleur faible diffusion.
Peut-êtreest-ce là 1e prix à payer.
Si le blog
génère relativement peu delittérature, en définitive, qll'en est-il des blogs
dont la
mission n'est
pas de lafaire,
mais dela
dire
? 11y
aurait toutd'abord
les blogs decritique
iittéraire proprement dite. Les blogs de réflexionsur la littérature ou
les théorieslitté-raires ensuite.
Et
les blogs d'écrivains en{in,qui
ne cherchent pas forcément àêtre des lieux de création.
Or
ici comme ailleurs,la
marginalitédu
blog pèse detout
son poids sur l'équilibre du projet.Ainsi du blog de Thomas Gunzig, dont
ces quelques mots placés en
commen-taire d'un billet
sonnent comme
un triste chant funèbre:
u
Finalement, çame
prenait
beaucoup
de
temps
ce blog....Et
puisje
travaille surun
grostruc
qui
me
demandeplein de
re-cherches dans tous les sens et puisil
y
atoutes les affaires colrrantes à traiter, voilà
quoi...
Enfait,
je
recommenceraiun blog le
jour oii
je ne serai pas obligé de gagner mavie.
,
Paroles on ne peutplus révélatrices
du
statut incertain desblogs, le plus souvent ceuvre de
volon-taires,
bien
quela
presse enligne,
deLiures Hebdo avec
Daniel
Clarcia ouChristian Sauvage au Monde avec Pierre
Assouline, développe une forme
parti-culièrement intéressante de journalisme subiectif.
L'avenir nous
dira
ce que peut le blog.Et
sans doute les prochaines années le verront-elles être de plus en plusl-riérar-chisé, organisé, à l'image de ce
qui
sefait
déjàaujourd'hui
àpetite
échelle.Mais
quel'on
ne sy
trompe pas
:
leblog, support
de créationolr
non,
nereste
qu'une
possibilitéparmi
d'autres d'écriture sur le web.T*goy
Habrand
I. Jacqucs DUBOIS, L'institution de
h
/;tté' r a tur e. B r uxelles, -H,ditio ns Labor, 20 0 5 (pre-mière édition 1978), p. 215-218.Nous passerons en revlle à partir de notrc prochain numéro une série de blogs à to-nalité littéraire. Si vous en tenez unj voLrs
poLrvez vous faire connaître à l'adlesse: d.arnaut@scarlet.be.