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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Science et poésie, les soeurs siamoises de l'esprit

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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SCIENCE ET POÉSIE, LES SŒURS SIAMOISES DE L’ESPRIT

Andrée THOUMY

Université Libanaise, Beyrouth (Liban)

MOTS-CLÉS : SCIENCE – POÉSIE – LANGAGE – MUSIQUE – SENS

RÉSUMÉ : Les liens de parenté entre science et poésie sont plus ou moins serrés ou plus ou moins déliés selon les auteurs : sœurs aînée et cadette, ou sœurs siamoises, ou encore sœurs ennemies. Nous cherchons à appuyer la position « liens serrés » entre les deux genres en dévoilant la trame scientifique de textes littéraires, tout en niant l’idée que la « poésie scientifique » est le plus souvent de la mauvaise poésie.

ABSTRACT : The kinship links between science and poetry are, depending on authors, more or less tight or loose : elder and younger sisters, or siamese sisters, or even enemy sisters. Our work aims to support the position of the “tight links” between the two kinds of texts, by unveiling the scientific web of literary texts, and to deny the idea that “scientific poetry” is most often a bad poetry.

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1. INTRODUCTION

Les liens de parenté entre science et poésie sont plus ou moins serrés ou plus ou moins déliés selon les auteurs. Dans son discours de réception à l’Académie Française, le 27 mai 1869, Claude Bernard adopte une classification établie des différents genres : « On a raison de dire que les lettres sont les sœurs aînées des sciences. C’est la loi de l’évolution intellectuelle des peuples qui ont toujours produit leurs poètes et leurs philosophes avant de former leurs savants. Dans le développement progressif de l’humanité, la poésie, la philosophie et les sciences expriment les trois phases de notre intelligence » (Cité par Jean Bernard, 1984).

Pour d’autres, sans être des sœurs ennemies, science et poésie s’ignorent mutuellement ou entrent en conflit. Rimbaud n’a-t-il pas écrit à Théodore de Banville dans ses Poésies (1957) : « Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas Connaître un peu ta botanique ? », et plus loin : « Que tes strophes soient des réclames Pour l’abatis des mangliers Fouillés des hydres et des lames ! » Quant à Renan, qui porte en lui une double nature, érudit et poète, il se définit lui-même comme « un tissu de contradictions ». Malgré cela, il tenta de concilier rationnellement science et poésie et parvint, dans L’avenir de la science (rédigé en 1848, publié en 1890), à concilier les exigences de sa raison et celles de sa sensibilité : à ses yeux, les progrès de la science, loin d’exclure tout merveilleux, remplaceront la poésie de la fiction par la poésie supérieure de la réalité (Lagarde et Michard, 1969), rendant ainsi un hommage à la science et à son rôle.

Pour l’auteur des pages qui suivent, science et poésie sont des sœurs siamoises que ne sépare aucune durée. Elles vivent de la même vie et du même sang, et se vêtent toutes deux du langage. Mais alors que, dans sa garde-robe du langage, la poésie choisit des toilettes de gala et revêt des mots étincelants qui fascinent et captivent, qui ressemblent à des palettes, à des paillettes, à des perles, des gemmes et du strass qui lui donnent tout son éclat - et qui dit gala, dit aussi musique et peut-être rencontres insoupçonnées - la science sélectionne des toilettes sobres, on dirait des tenues de bureau, avec des mots souvent répétés, un peu usés, un peu sévères ou barbares mais qui habillent des idées. Qu’importe la toilette, l’essentiel c’est l’idée toute fraîche, toute neuve.

Il ressort de ces lignes qu’en littérature et particulièrement dans la poésie, tout est dans le langage, en d’autres termes, dans ce que la poésie donne à entendre, la voix du texte (Dragonetti, 1983), alors que la science donne à comprendre. Et Dragonetti ajoute que le pouvoir de résonance de la poésie consiste à faire retentir dans ce qui se dit un autre sens que le sens exprimé et dont rien, en celui-ci, ne donnait idée ou figure. Une transfiguration du langage, une langue réinventée, un déplacement du sens des mots dans un tout autre espace nous font entendre autre chose que du pur intelligible : une qualité sonore de la langue que nous n’avons pas besoin de comprendre, mais d’écouter. La poésie ne nous procure donc pas un savoir objectif, mais une révélation de ce qui reste couvert dans

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sa manifestation même : le mystère en pleine lumière. Selon ce même auteur, une des grandes fonctions de la littérature, c’est en somme de suppléer au non-savoir, auquel se heurte nécessairement le savoir du discours scientifique par le jeu de l’imagination et de la fiction qui rejoignent la fiction théorique de la science. Cette voix du texte est essentiellement musique dont Dragonette dit : «… ce qui gouverne la poésie d’une langue c’est ce que, depuis les Grecs, les penseurs et les poètes appellent la musique ou le rythme ». Et par musique, Dante entend l’art de resserrer le tissu de la langue, afin que tous ses éléments s’harmonisent à tel point qu’on ne puisse plus la traduire mais seulement l’écouter en elle-même ».

En dépit de leurs différences, des liens inextricables unissent science et poésie. En ce sens, nous appuyons la position de « liens serrés » entre ces deux genres en dévoilant la trame scientifique de deux textes littéraires tout en niant l’idée que la « poésie scientifique » est le plus souvent de la mauvaise poésie.

2. TRAME SCIENTIFIQUE DE TEXTES LITTÉRAIRES 2.1 Un poème : Le poignet

Dans Le poignet (Thoumy, 1997) (Voir en annexe), un spectacle extra-ordinaire, « une étrange beauté », est présenté d’emblée comme le phénomène à considérer, et constitue l’intrigue ou l’énigme. Les termes « Attirante » et « fascinante » signalent une certaine sensibilité de l’observateur à capter des messages qui l’interpellent et qu’il considère comme lui étant aussi adressés, en sa qualité d’humain et de vivant en interaction avec son environnement. Ils signalent aussi une certaine intuition chez celui-ci, qui le fait s’arrêter devant quelque chose d’intéressant, ce quelque chose que trahit l’atmosphère de cette « femme ». Si le problème est maintenant évident pour l’observateur professionnel, il n’y a pas encore d’hypothèse explicite qui expliquerait cette attirance et cette fascination.

« Elle était devant moi… et me tournait le dos » présage la difficulté à résoudre l’énigme : peu de faits sont observables et disponibles dans cette position. Mais la quête des faits qui serviront à la résoudre est déjà commencée. Nous en sommes donc encore, sur le plan de la démarche scientifique, à la phase d’observation, d’élaboration des hypothèses et de collecte des données. L’observation du personnage et de son comportement permettra d’accumuler des données dont la confrontation et la convergence, conduiront à la résolution de l’énigme.

Deux contradictions dans l’apparence et dans le comportement sont perceptibles : d’une part, une jupe que le personnage porte avec embarras et qu’il tire « comme pour couvrir des genoux qu’elle ne tenait pas à montrer », genoux qui ne sont pas des genoux de femme et dont l’aspect évoque,

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comme il le perçoit lui-même, la virilité ; et d’autre part, « un épiderme granulé au-dessous du masque parfait », car, en dépit des soins de maquillage, la vie qui ne se soumet pas aux artifices, agit en permanence sur les fonctions du corps y compris celles des bulbes pileux de la barbe de cet homme, conduisant à l’aspect granulé de la peau, deux signes qui trahissent une faille entre l’apparence et la réalité cachée, et amorcent, à la fois, l’ébauche d’une hypothèse qui ne sera d’ailleurs pas explicitée, bien qu’on note une orientation inconsciente de la pensée vers la masculinité de cette « femme », et l’effritement de l’énigme.

Encouragé par ces premiers signes, l’observateur continue inconsciemment sa recherche de l’élément qui fera sauter le verrou de l’énigme : « Je continuai d’observer sans comprendre… quand… j’ai vu la largeur du poignet ». L’association entre la faille de l’apparence et du comportement et ce nouvel élément, « la largeur du poignet » déclenche l’émotion de la découverte : « Ce fut comme un coup qu’on m’assénait, comme un éclair qui me foudroyait… » : l’énigme est résolue. « J’ai alors compris que ce poignet était un poignet d’homme Et ma belle voisine… ». La solution est d’emblée admise en raison de sa cohérence avec les autres signes contradictoires : genoux et épiderme granulé. Le costume joue ainsi un double rôle : cacher « l’homme » et en même temps le dévoiler.

Le poème constitue une expérience de recherche scientifique fulgurante, toute la situation n’ayant pas duré plus d’une vingtaine de minutes, le temps de 3 ou 4 stations de métro. Ceci tiendrait à l’intensité de l’échange muet et aveugle entre les deux personnages, l’observateur et l’observé. La jupe tirée a pour sens la honte inconsciente de cet homme d’avoir renié sa virilité, ou peut-être a-t-elle pour cause le regard, ressenti, de l’observateur. La démarche scientifique de l’esprit a débarrassé l’inconnu de sa gangue pour lui restituer sa vérité masculine. Maquillage et camouflage n’ont pas résisté au regard scrutateur de l’observateur, ce que Zola appelle, dans La faute de l’abbé Mouret, « des yeux aigus de savant », qui ont fait fondre le masque de l’apparence. Comme toute recherche scientifique, le poème recherche la vérité et la trouve.

2.2 Une nouvelle : Stérile

Dans une nouvelle intitulée Stérile, Mikhail Naimy (Naimy, 1991), écrivain libanais de langue arabe, dépeint le drame de la stérilité d’un couple sur un fond de démarche scientifique où l’on perçoit, au fil des jours et des pages, l’émergence du problème jusqu’au dénouement du drame par l’administration d’une preuve irréfutable qui est celle de la fécondation de l’épouse par un homme qui n’est pas son époux, mettant ainsi en évidence sa propre fertilité et la stérilité de l’époux : « C’est toi qui es stérile et non pas moi ! » écrira la femme à son mari avant de mourir. Se reprochant son adultère, elle se donne la mort, ayant ainsi passé toute sa vie dans le reproche,

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d’abord celui de son mari et de sa famille pour n’avoir pas donné un enfant, et ensuite son propre reproche à elle-même de porter un enfant adultérin.

L’histoire se déroule au Liban en 1900, lorsque, dans un village de la montagne libanaise, le prêtre consacre le mariage de Aziz (le Cher) et de Jamila (la Belle), deux jeunes gens riches et beaux. La première année de vie commune dans la maison des parents du jeune homme, comme il était de coutume à cette époque, se déroule comme dans un rêve et dans un paradis. Mais déjà commencent à poindre des regards réprobateurs de la famille et de toute la population du village : Jamila n’attend pas encore un enfant.

Le premier différend entre les deux époux apparaît lorsque Jamila, qui n’aspire qu’à l’amour absolu, trouve son bonheur dans son amour pour son époux, tandis que celui-ci souhaite l’enfant pour compléter son bonheur. La consultation de médecins dans le pays et dans les pays avoisinants pour soigner la stérilité de Jamila reste sans effet. Les guérisseurs, les visites de couvents et d’églises ne lui sont, non plus, d’aucun secours. Au bout de dix années d’une vie où la jeune femme est maltraitée et mortifiée par la famille de son mari, la mère de l’époux, une femme despotique, décide enfin de résoudre le problème en amenant la jeune femme devant une Vierge thaumaturge dans une église du pays. Les vœux de la mère sont exaucés et le miracle se produit : la jeune femme attend un enfant. Toute la vie du foyer en est bouleversée. Même les habitants du village vivent l’événement avec allégresse. C’est alors que Jamila disparaît du foyer, laissant à son mari une lettre où elle lui annonçait qu’elle portait un enfant, mais qui n’était pas de sa chair et de son sang à lui. Elle lui avait, par amour, donné l’illusion d’avoir un enfant puisque là était son bonheur à lui. Elle lui arrachait en même temps ce bonheur en lui dévoilant sa vérité.

3. CONCLUSIONS

Nous avons montré que dans ces deux textes littéraires, la trame sur laquelle se déroulent les événements est de type scientifique. Intrigue et dénouement par la preuve en sont les éléments essentiels. Et si, comme le dit Dragonetti (1983), la poésie est le mystère en pleine lumière, la science jette la lumière sur le mystère. Science et poésie se partagent les deux termes de manière inverse. Après que Rimbaud eût adressé ses vers à Monsieur Théodore de Banville dans « Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs », peut-on encore considérer que « la poésie scientifique » est le plus souvent de la mauvaise poésie ? Et mes jolis mots colorés « et, sous le miroir de l’eau, lianes gracieuses rubans de soie touffes jaspées les Algues de la Méditerranée » où se mêlent images, métaphores et langue chatoyante pour décrire des éléments de la nature sont-ils aussi de la mauvaise poésie ?

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Disons aussi que le savant, ainsi que le poète, font des efforts titanesques dans leur quête de mots, de sens et de rythme. Franck Venaille (cité par Marie Etienne, 2002), illustre cette idée lorsqu’il écrit : « La verticalité de la poésie fait de moi ce terrassier qui creuse dans la glaise à la recherche d’un mot ». Pour terminer, il m’importe de citer J.-L. Despax (2003) qui dit que la poésie « donne un peu d’esprit sur terre » et qu’elle est « ce loisir de penser et de fréquenter le Beau », et j’appuie sa proposition d’introduire toute la poésie, et pour tous, à l’école !

BIBLIOGRAPHIE

BERNARD J. (1984). Préface à Le Docteur Pascal de E. Zola. Paris : Librairie Générale Française. DESPAX J.-L. (2003). Toute la poésie, et pour tous, à l’école ! Aujourd’hui Poème. 39 (Numéro

spécial : Le Printemps des poètes).

DRAGONETTI R. (1983). Propos sur le critère de vérité dans l’interprétation des textes littéraires. In M. Buscaglia et al (Dirs.), Les critères de vérité dans la recherche scientifique. Paris : Maloine.

ETIENNE M (2002). La prose des poètes. Aujourd’hui Poème, 29. LAGARDE A., MICHARD L. (1969). XIXe siècle. Paris : Bordas.

NAIMY M. (1991). Stérile in Il était une fois. Beyrouth : Naufal Eds (15e édition) (en arabe). RENAN E. (1890). L’Avenir de la science. Paris : Calmann-Lévy.

RIMBAUD A. (1957). Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs. In Poésies. Paris : Mercure de France

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ANNEXE

Le poignet

Attirante, fascinante, d’une étrange beauté Elle était devant moi, sur la banquette du métro et me tournait le dos.

Chaussures à talons, tailleur marron, au doigt une chevalière

elle tirait sa jupe de gestes répétés, comme pour couvrir des genoux qu’elle ne tenait pas à montrer. Fardée et maquillée,

Sa peau offrait quand même un aspect granulé Au-dessous du masque parfait

Et cet épiderme granulé M’intriguait.

Je continuais d’observer, Sans comprendre comment cette peau était fabriquée

quand, dans ce geste machinal de la jupe tirée j’ai vu la largeur du poignet.

Ce fut comme un coup qu’on m’assénait, Comme un éclair qui me foudroyait,

C’était comme si ce poignet m’avait matraquée. J’ai alors compris

Que ce poignet était un poignet d’homme Et ma belle voisine, un travesti

Qui portait, comme on porte une plaque, Son identité dans son poignet.

Et c’est l’homme, en lui, camouflé, qui m’a attirée C’est le drame affiché qui m’a captivée.

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