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Bilinguisme

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BILINGUISME

Le bilingue est une personne qui parle au moins deux langues, peu importe comment ces langues sont arrivées dans sa vie (migration, exil, par un parent d’une autre langue ou les deux parents, grands-parents, etc.). Généralement, on ne s’intéresse pas beaucoup aux circonstances de l’acquisition des langues, qui passe pour secondaire. C’est la particularité de la personne bilingue qui compte, en ayant quelque chose de particulier justement à cause de son bilinguisme.

En consultant les définitions et selon l’ancienneté des sources bibliographiques, on verra que « bilinguisme » est un terme récent en rapport avec un programme pédagogique et éducatif. En France, l’enseignement des langues étrangères subit d’incessantes réformes (pour la plupart non appliquées), démontrant qu’il s’agit là d’un sujet particulièrement sensible. Cela explique sans doute pourquoi on trouvera plus facilement une définition du sujet « bilingue ».

Le terme « bilingue » a d'abord existé sous forme d'adjectif et signifiait « menteur » (1816). Car parler dans deux langues et en deux sens peut être entendu comme une façon d’être « médisant » (1826) : pensons à la notion de langue bifide, de langue « fourchue ». Quelqu’un parlant deux langues pourra potentiellement avoir deux discours, trahir, être faux, dire une chose et son contraire. Ce cliché est d’ailleurs exploité dans les films d’espionnage du XXe siècle.

Il faudra attendre la fin du XIXe siècle, certainement en rapport avec le début de l’industrialisation et du commerce international, pour que la pratique de plusieurs langues soit considérée comme un atout dans l’éducation des enfants, se préparant ainsi à une haute destinée. En considérant par exemple la bourgeoisie viennoise du temps de S. Freud, il est possible de se demander si la naissance de la psychanalyse n’a pas été aidée par des telles pratiques de bilinguisme. La première patiente de Freud, Anna O., ayant permis la découverte de la psychanalyse, talking cure, était bilingue mais ne pouvait plus s’exprimer qu’en anglais1 — d’autres exemples venant chez Freud lui-même dans son auto-analyse à travers L’Interprétation des rêves, en rapport avec sa gouvernante russe, Grouschka2.

On peut donc noter que l’usage du bilinguisme n’est pas toujours bien réfléchi et a davantage trait à l’affectivité et au fantasme. Les deux guerres mondiales ont refroidi l’élan à la promotion du bilinguisme, convoquant des souvenirs douloureux, par exemple liés à la présence de celui qui fut l’ennemi (pensons aux régions frontalières comme l’Alsace). Communiquer sur les langues qu’on parlait pouvait être l’occasion de possibles conflits interpersonnels et nuire à son image personnelle. Le bilinguisme devenait ainsi quelque chose ne regardant que le sujet lui-même et il fallait mieux s’en tenir là. À l’inverse, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, dans un climat de paix en Europe, on reconnaît la qualité de la maîtrise de deux langues comme une faculté et le plurilinguisme comme signe d’intelligence. Cette trêve dans la considération du bilingue a été de courte durée, car dans un climat de politique économique hostile, l’étranger n’est plus bienvenu. Le flux migratoire semble se

1 Breuer J., Freud S. (1895), Études sur l’hystérie, Paris, PUF, 1956. 2 Freud S. (1900), L'Interprétation du rêve, Paris, PUF, 2005.

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régler par un renforcement de l’identité nationale dont la langue du pays est le garant. La valorisation du monolinguisme – quitte à favoriser au passage la disparition des langues régionales — semble être le recours le plus sûr en terme de défense contre toute menace extérieure.

Cette variation des attitudes au sujet des bilingues montre que le faux semblant a toujours été un avatar du bilinguisme. D’un côté, les connaissances sont valorisées mais de l’autre côté, on ne sait pas si ces connaissances vont être employées avec patriotisme en faveur du pays d’accueil. Les personnes parlant plusieurs langues suscitent la curiosité comme si elles étaient des personnalités multiples. Cette curiosité peut porter sur le caractère véritable du bilinguisme, à savoir si la personne n’est pas un imposteur ou si elle sait dans quelle langue elle rêve et pense. Demander à « l’homme dans la rue » comment il parle et pense dans son rêve, ce serait une idée saugrenue qui ne viendrait à l’esprit de personne. Mais quand il s’agit d’un bilingue cela ne choque pas. Voici donc comment la personne bilingue a constamment à se justifier de quelque chose. Ne sachant plus s’il faudra faire état de sa culture ou la passer sous silence, le bilingue se voit exposé à des préoccupations constantes, des efforts qui le fatiguent, source de fatigue intellectuelle supplémentaire.

Ainsi, le doute s’installe chez le bilingue à savoir s’il n’existerait pas une « face cachée » chez lui, puisque l’extérieur lui renvoie au moindre conflit l'image de quelqu'un cachant sa véritable nature, voire s'ignorant lui-même. Il se demandera immanquablement un jour si la vie serait meilleure dans l’autre pays dont il pratique également la langue, mais la réponse est purement imaginaire. Une histoire de vie créée ici n’est pas transposable là-bas. Pour peu qu’il existe aussi une vulnérabilité sur le plan affectif (personnel, conjugal, familial), le bilingue risque de glisser vers l’affection psychopathologique. Les enfants sont très expressifs à ce sujet, puisqu’ils peuvent se refuser à cette situation à travers un mutisme sélectif, c’est-à-dire parlant la langue de leur choix uniquement dans un contexte choisi3. Ils risquent d’être considérés comme déficients intellectuellement et mentalement alors qu’ils ne supportent pas une certaine pression sociale.

Ce point éclaire la face cachée du bilinguisme quand il est considéré comme un handicap chez certains plutôt qu’un atout. Ainsi, dans le milieu scolaire et, en plus, dans un souci d’égalité des chances, le corps enseignant peut être amené à trancher sur l’utilité de proposer des langues étrangères à un enfant qui ne possède pas un « bon » dossier scolaire ou un enfant « handicapé ». Le handicap, en lui-même, se rapproche étroitement à la préoccupation dans le bilinguisme, pensons à la lutte des sourds-muets pour la langue des signes et l’idée que le bilinguisme serait sans intérêt pour un enfant sourd et/ou muet. Ces appréciations obéissent aux préjugés selon lesquelles la faculté de verbaliser et d’écrire est étroitement liée à la pensée ou au déficit intellectuel. Le Locked-In Syndrome (par exemple popularisé par le roman Le

Scaphandre et le papillon4) démontre le contraire à travers une situation extrême. M.

Blanchot défend d’ailleurs ainsi la liberté des mots : « Si le langage est lié au silence de ma pensée immédiate, il n'est authentique que lorsqu'il le réalise : il faut dire adieu à la littérature… Les mots sont libres, et peut-être peuvent-ils nous libérer; il ne suffit

3 McCarthy P., Un silence éloquent — Le mutisme sélectif chez les enfants bilingues : cinq

cas cliniques, Paris, MJW Fédition, 2013.

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que de les suivre, que de s'abandonner à eux, de mettre à leur service toutes les ressources de l'invention et de la mémoire »5.

Il existe des situations politiques et sociales tout aussi invalidantes quant au bilinguisme. Il est manifeste que les personnes en situation de bilinguisme sont les premières concernées par la « globalisation » et la « mondialisation ». Il est contradictoire de vouloir promouvoir un fait sociétal et de stigmatiser ceux qui en sont les acteurs. Les habitants de territoires qui choisissent de se rattacher à un pays ne peuvent pas faire abstraction des langues qui ont y été pratiquées et qui forment leur histoire (par exemple, Mayotte). L’histoire de l’esclavage ravive toujours l’usage des langues (par exemple, le créole aux Antilles). Abandonner sa langue crée un conflit identitaire. Tout conflit est synonyme de perte d’énergie et de fatigue. L’intégration dans un pays où prévaut l’écrit quand on vient d’une culture de tradition orale et / ou dont la langue ne s’écrit pas expose nécessairement aux malentendus. Pourtant les langues parlées existent bien.

Parler de bilinguisme englobe habituellement les personnes qui parlent et non celles qui pratiquent la lecture dans une autre langue.

Face aux nouvelles configurations familiales passant par la monoparentalité – passagère ou définitive – dans un contexte bilingue, il est inconcevable de vouloir ramener le parent isolé et ses enfants à un monolinguisme sous prétexte qu’ils se compliquent la vie plus que nécessaire en pratiquant plusieurs langues6. Le bilinguisme permet d’asseoir une structure psychique qui définit la famille (les traditions, les fêtes, les coutumes) étant constitutif à l’identité de l’enfant. Dans certains contextes, comme en Algérie, la langue officielle a changé, passant du français à l’arabe, si bien que les enfants d’une même famille ne se construisent pas avec la même langue selon leurs années de scolarisation. Ce n’est pas là un choix familial. La réduction des langues revient à la non-reconnaissance de l’identité et de l’individualité d’une personne, ce qui peut causer chez elle soit la fatigue d’être soit l’agressivité. Autant le versant dépressif se vit de manière solitaire, autant l’agressivité peut s’organiser, par exemple, dans un phénomène sociétal dit de banlieue (voire le bilinguisme chez les adeptes de la musique rap et dans leur manière de vivre « entre eux »).

L’attitude si variable au sujet du bilinguisme joue un rôle important dans l’instabilité des valeurs auxquelles s’identifier et contribue à l’acculturation. Le bilinguisme est considéré comme un atout quand il s’agit d’augmenter ses performances dans un domaine. Mais quant aux personnes qui vivent le bilinguisme, les bilingues notamment, cela fait désordre. D’où la distinction entre les langues mortes (qu’on pratique pour étudier un document) et les langues vivantes (dans la communication de tous les jours). Mais on ne dirait pas que quelqu’un est bilingue latin ou grec ancien.

Aujourd’hui, il existe encore des points de vue rigides au sujet du bilinguisme comme « l'acquisition simultanée de deux langues », qui serait le « vrai bilinguisme » laissant entendre que les autres acquisitions sont fausses. Il s’agit là des attitudes largement dépassées dans la société actuelle dont on ne perçoit pas le bénéfice si ce

5 Blanchot M., L'Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969.

6 Wolf-Fédida M., (sous la dir. de), Bilinguisme et monoparentalité: handicap et

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n’est que viser à vouloir mettre de l’ordre dans le vécu du bilingue et dans la manière de le considérer. Effectivement, cette conception suggère une tranquillité de la vie ou l’enfant naît et grandit dans un cadre homogène pratiquant simultanément deux langues. Cela peut exister dans des familles, mais dans la plupart des situations familiales c’est le cours de la vie qui propose la pratique des langues à l’individu et selon son envie, il peut s’acheminer vers le plurilinguisme ou se contenter de ne pratiquer qu’une seule langue. Il existe beaucoup de bilingues qui s’ignorent et se contraignent à une seule langue de crainte d’une mise en question identitaire.

L’ouverture aux langues et à d’autres vécus nécessite une faculté constante de traduction et de relativisation par rapport à ce qui est intraduisible. Cela peut devenir incongru, ouvrant la voie à l’humour. Celui qui n’a pas ces capacités résiste d’emblée au bilinguisme. On observe dans certains cas de schizophrénie stabilisée l’incapacité de concevoir une traduction de ses propres dires dans d’autres mots. Le sujet a l’impression qu’on l’interrompt ou qu’on déforme ses propos. Il demandera au traducteur de se taire et de cesser de l’interrompre. La conception qu’une langue puisse être traduite dans une autre fait chez lui totalement défaut. Le bilinguisme, la fatigue rien que de le penser et fatigue la pensée chez elle.

Amati Mehler J., Argentieri S., Canestri J., « Littérature psychanalytique sur le problème de la langue », in Le Babel de l'inconscient. Langue maternelle, langues

étrangères et psychanalyse, coll. « Le fil rouge », Paris, PUF, 1994, p.64.

Binswanger L., « Über Sprache und Denken », in Ausgewählte Vorträge und Aufsätze,

II, Bern, Francke, 1946.

Binswanger L., Sur la fuite des idées, coll. «Krisis », Grenoble, J. Million, 2000. Breton A. (1924), Manifeste du surréalisme, O. C. 1, Paris, Gallimard, 1988.

Commission européenne, Étude sur la contribution du multilinguisme et la créativité, Rapport final, Contrat de services publics n° EACEA/2007/3995/2, 24 juillet 2009. Commission des Communautés européennes, « Introduction », in Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Multilinguisme: un atout pour l'Europe et un

engagement commun, COM 566 final, 2008 : « La coexistence harmonieuse de

nombreuses langues en Europe est un symbole puissant de l'aspiration de l'Union européenne à l'unité dans la diversité, l'une des pierres angulaires du projet européen. *…+ la diversité linguistique peut devenir un atout précieux et ce, de plus en plus, dans le monde globalisé d'aujourd'hui. » et «Les langues définissent les identités personnelles, mais s'inscrivent également dans un héritage commun. Elles peuvent faire office de pont vers d'autres personnes et d'accès ouvert vers d'autres pays et cultures, en favorisant la compréhension mutuelle. Une politique du multilinguisme réussie peut élargir les perspectives offertes aux citoyens: elle peut augmenter leur employabilité, faciliter leur accès aux services et l'exercice de leurs droits et contribuer à la solidarité par un renforcement du dialogue interculturel et de la cohésion sociale.»

Dagron J. Les silencieux. Chronique de vingt ans de médecine avec les sourds, Paris, Presse plurielle, 2008

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du 11 février 2005 définit le handicap comme : « constitue un handicap, au sein de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans un environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. »

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