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•
ASPBC'l'S R.<IUUrlIQUBS D'ODILON REDON ......
by \ " Janine Dorland " " '1.
. l \ A Theaia aublllitted to-.. " .,. the Faculty of Graduate Studiea'and Rea.arch
~'#r:
" in partial fulfilbaent of the requirementa for the deqree o~
Master of Arts ...
'"
\ DeINt'1't.ent of ~c:h Language 1 • and Lit.rature JlcG111 oniverllity JIcm~real..
( '\ JM ... Oor1hd 19741 l, , - ' :
•
Janine Dorland Departme'nt of French Languaq. and Literature Milsb!'r of ArtsMarch 1974
~IQUES D'ODlLOM REDON
RESUME
.
Nous av~s voulu dans ce 'mé~re'dégager l'aspect
ràman-tique d'Odïlon·Redon. (principalement à partir de son journal
inti~e
ASoi-M~me).
ce peintre-graveur étant plus généralementconsidéré sous son aspect symboliste.
Nous sommes partis du po~tulat que 1e'romantisme est
avant tout, selon Baudelaire. "une mani~re de sentir" dont les
:s •
cr:i!tères sont: .. ," intimité. spiritualité, DÏélancolie". Le
roman-tisme français. étouffé par l'Art social, r~partit en flèche
avec le/symbolisme autour de 1890. Or Redon, contemporain
exact de Monet, créa un' art mélancolique qui se voulait
suqqes-tif et spiritualiste à une époque.où le naturalisme triomphait.
Le peintre nous appara1t donc ~ la fois comme ",ritier des
romantiques et précurseur des symbolistes._
Sa formation plastique se fit grace,l des me1tres
d'a1-~
1égeance ~antique (Garin et Bresdin) et ses ins~irateul3
l
furent Delacroix et Gustav, ~reau, ·phares· qui 9Uid~rent sa
recherche solitaire.
.
, ,.
-', J .1 g ~:~
j
;~ ,.'
,-",. "t
~-' ,> ~~
.
~~.
(-,.
.•
~:, r,,
(Le Journal de Redon révàle une pensée nourrie de ce11e
des poètes pré-romantiques~ romantiques et romantiques attardés
tels Nerval et Baudelaire: l'~po~tance accordée aux r~ves et
au mystère de la vie rend sa vision très proche des roman ti-ques, allemands.
La production redonienne se divise en deux'volets: une
phase ," nocturne" en noir et blanc, (composée de dessins au ,
crayon, à la plume, au fusain/et de lithographies), qui s'étend
sur \plus de '.
.,F
de proJeter
trente annéeS! Ces "Noirs" permirent à l'artiste
et d'exorciser ses) angoisses et'.ses obsessions. ,Lorsque Redon atteint la,cinquantaine, succède une phase
"diurne" dont le pastel, l' huile, l'aquarelle deviennent les
1
nouveaux media •. ,Cette production tardive-j comporte cependant
les m~mes caractéristiques d'onirisme et de fantaisie que
l'oeuvre en noir et blanc. Mais par la.richeJse et la
profu-....
"-sion de ses ,couleurs, elle chante la joie de vivre d'un
\ l ,
~qui
a su établir avec le monde extérieur "unr~pori
de\
total et heureux",' l' Binffthlung, décri te par et worringer. 1 ! , , "
,
) Itrecon-..
..
•
:t
Department of French Language and Literature Master of Arts,"
March 1914 Janine Dor1and
ASPECTS ROMANTIQUES DIODILON REOON
, ,"
ABSTRACT
The symbo1ist aspect of this artist being usua11y
o emphasized, we have tried, in our short work, to bring out
Odilon Redonls roman tic aspects, 'primari1y
"-
'throughou~ his
diary A Soi-Même.
"
We cons ider, with Baudelaire, that Romantism is
lia
manner of feeling" whetse criter-i,a are: I l intimacy, spiritua1ity
and melancho1y"~
" j . French Romantism, af~er , being smothered by
.
')
the Social Art movement, underwent a reoirth with Symbo1ism,
around 1890. Redon, who was barn the sarne year as Monet, in
,
1840, creàted,a spiritual art, subjective and melancho1ic, whose roots' were nonethe1ess in reality.... As a result, tllis artist 1s at the sarne time heir to the Romantics and forerunner of the Symbolists.
His artistlc training was provided by Stanislas Go~:Ln
.t.
and Rodolphe Bresdin, both romantics as were his inspirors, , Delacroix and Gustave Moreau, who brought'the spiritUal
guide-lines to the young mania aolitary quest. , " "
1
,
,
Redon' 's diary reveal. how .imilar his tbought is ~
,
.
that of pre-romantic poeta as weIl aa' the great Romantic., and
/
late-comers such as Nerval and Baudelaire. Bis èoncern vith
"""dreams, visions and the mysteries of life also unites hia vith the German Romantics.
--The artist's production can be divided in two different
'parts. For over thirty years, Redon produces IDOstly graphie
works in black and white (drawings ,in pencil, pen or cbarcoal,
libhographs). This "nocturnal" art will allow bila to exorcise
his many anguish . . and rears. Tben, at the age of fifty, be
1
enters a new phase, creating the most colourful and ricb
production, using pastel, oils Ind water colours. The saœe , ,
.
qualities of fantaay and dreamlike atmosphere are found in
"
this second epoch: but theae warks are the ui tiaate expression
'\
of an,Partist who hàs
learne~\
to establish, between tbe internaI~
.
.
and the external world, this \harm!)nioua rapport de.cribed
bf
Robert Vischer and Worringer "a Einffthlung •
•
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~ 't ... , " '" !, -;: , ~ '0 .... '!.'i,h ....1 .; , .: ';~ ,. ~ +,:- . \ , 1 ft.'"
..
' \ • \,.,
ABREVIATIONS,
,.
..
Odilon· Redon •. . .
.
.
.
.
.
,. A Soi-Même -.
.
.
.
.
.
.
-Lettres à :Q4.ilon Redon
.
Iii ~ lit
.\
Lettres d'Odilon Redon
..
l Edmond picard :' Lettre
•
L'Art Romantique . .
. . . .
Les Curiositês Bsthétiques
~ ~
.
~>"
. ' '1 \ c \•
O:R.,
ASM IAR Lettres Lettre l E.P. AR ~" 1 '\ ',~ CE-.
,
~ (~~ "..J
..
.
<\ r, ,,',! ~ '1'.
.,
'"
.-t
,
INTRODUCTION • Chapitre l-
---Chapitre II - 1 r--
'-...
TABLE DÊS MATIERES. . . .
.
.
.
.
.
.
.
. .
1LE TEMPÉRAMÊNT D'ODILON REDON; GOUTS
ET TENDANCES. •
.
. . · · ·
· ·
\
LA FORMATtoN PLASTIQUE D'ODfLON REDON
' \ .-
.
1) Stanislas Gorin.
· · ·
· ·
·
· · ·
·
2) Eug~ne Delacroix
·
·
· ·
· ..
.
·
3) R~do1pbe Bresdin \.
·
..
·
·
·
·
· ·
•·
'.
4) Gustave Moreau
.
·
·
·
· · ·
·
Chapi tre III - FORMATION ET INFLUENCES LIT'l'ERAIRES
Page 1 14 50 52 58 65 72
IDEES SUR LA CREATION ARTIST1:QUE. • • • • 85
OONCLUSIOll -, LE FANTASTIQUE lDB RBDOH - ' PORTEE
CATHARTIQUE DE L'OEUVRE • • • • • • •
· .
.
164 BIBLIOGRAPHIE. • •. . .
. .
.
.
.
. . .
. . .
.
187..
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, __ 'A l(~r #'t~j. .. ,,~~, .J,j.. ... 'Jt .. ~,'1"k,'1~ ... . ::.' t c ( ,..
,./
'. r - INTRODUCTION'.
,•
1..
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..
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•..
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,
.
, ,'.
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.-ri 1 .' -",,-,
:.•.
•
')7 , ' ,J'ai fait un .ar(SelOn IIIOL Odilon Redonl
-Odilon Redon, cinq syllabes qui dessinent deux arabes-
..
ques. aux sonorités étranges, à la fois douces et ~p1acables.Ce nom, que son ami Mallarmé fi t
r~er
avec Itédredon" 2 évoque, de façon exemplai~, les qu~lités d'un artistesinqu-"" ,
lier qui sut allier à la douceu,r et à la fantaisie dt un
~ tempéram~,nt mélancolique. Une ténacité et un acharnement peu
communs au service d'u~ art or4ginal. En effet, le
peintre-.'
graveur fut suj~t non seulement ~ l'incomprêhension du pUblic,
l '
ma~B encore-à celle des milieux artistiques français de l'6poque:
'\
~~---lOdilon Redon, A Soi-NAme, J6urna1
1861-19~S,
Notes sur la vie, l'art et les artistes. Paris~ Henry F1oury, 1922. p. 1 (cité apràs: O.R.," ~) .2Lettres de ~auguin, Gide, Huysmans. Ja.aes. Mallarm6. Verhaeren • • • à Odilon Redon (cit6 apr~s: O.R.), pr6.entatio~
par Ar~ Redon, textes èt notes 'par Roseline Saccu (CitA ap~s ~
1
.•
:,
•
,. 3
et le poàte André Salmon put. A juste titre~' a~corder' A Odilon
-ç
Jo é'::Io.. ' i ' 1
Reaon l' pl,.thete de "solita1re maqn fl.que ....
\ L'oeuvre plastique de Rédon' se divise en deux volets,
o 'JI
qui-, s'ils s'opposent par les matériaux utilisés e,t par
l'ant-,
.
bianc~ affective qu'ils expriment, n'en comportent pas moins
'une profonde unité.
L'originalité de la production redollÎenne réside dans le fait
t.
.
~que cet a~tiste, qui se trouve'être le contemporain ,exact des
Impressionnistes (il naquit la m~me année que Monet, un an
apràs cézanne), a créé'une o~uvre sans aucun rapport avec
celle de, peintres de ce groupe.
COntrairement à ceux qui se n-OIIIDaient eux-mbes "les Intransi-./'
geants", le souci de Redon ne fut pas de traduire une réalité 'P
photographique. expression ultime du naturalisme, maia au
con-traire d_',~pr~er une vision subjective. et selon l~s mots
mots mêmes du peintre "la réalité sentie".2
lLAR, p. 308, note 1.
20 •R •• "Salon de 1868: (considêrations sur Chintreuil,
COrot. Daubigny: Cou rl>e t. Manet, Pis.aro, lJongkind, Monet 1
Fromentin, Ribot. Roybet)". La Giron~le. 19 mai,' 9 juin et
1er juillet 1868 •
•
" ,_.
4 , , , ".
John Rewald, à propos qu p~intre-graveur, mentionne en cà
qui
concerne ,cet art subjectif: " . . . . , a frequently ov~r-l~e,d
, ,
.
current of the last century, buried beneath the more ~rful
, ,
.
trends of realism, and imp·ressionism". 1 Et
.$lXDlR
e 'l'a souliqné, 1 •au s\;jet de 1.'. artiste, son ami et piographe André Mellerio,
"
dans l'~de sur Redon qui préc~de le catalogue de l'oeuvret
~ ,
gravé,
~tabli
en '1913: -<, l ' / } •,1
.
ses aspirations et ses tendancesle~
Q relient dana
i'
his.to?-re de l' ~rt, non àdes grandes écoles,
A
des mo~vements , dontla diffusion fut large, ~si8 plutôt aux
, recherches de quelques individus isolés, formant comme une élite d'excèption. 2
Rêdon a vécu à une époque-charnfàre de ce 1ge siàéle,
të;lnt décrié par Stendhal,' mais. qui néanmoins, conne 1" écrit
René Huyg~e,&!Ppa ait "dans l'histoire de l'occident comme un
moment essentk/ tout le passé y abouti:t •. t,out là futur s' y
montre en germe" ,,,3
, J
"
, ",
~ lJohn Rewald, Dore Ashton, Walter Joachim. O.R., Gùstave
,
Moreau, Rodo1p~e Bresdin, New~York,. Doubleda~ 1961,\ p~ 7.'
o 1
~, ~
.
\'.
2 . \
, Andrl. Mellerio, O.R.( paril!i.f:.~ocié é ,pour' l'6'tudê de
la gravure française, 1913, p. 2. " ..-'
,} ,
Pari~f r
3Rent~ Huyghe, Sens et destin de -'l'Art, T. II,
,Flanmarion, i967,' p~ l;J 1. ... ' } '~ {' l' ... \,
•
'. :.
'.
,
' 1.,: v
-..
-.
'.
\,.
•
. ' li ' li • ( t •/ '
5"Odi16n Redon, dont 'l' oeuvre 'représen~e
un
monde artistique si..; ~ ,
.
1 è
p~ti~u~.i~ et 'si riche, fut eK raison de son 'tempêrament, de ("
ses go~~s. ~e sa sensibilité boujours en éveil,
,
à la fOls le,
.
disciple du graveur romantiquè Rodqlphe Bresdin, ]' "al·lié
l '~ , , • ( ...
0' , . . . . / ' ; ~
~. art" de MallanDé, 'selon l'expression même --du peintré lors de la mor~de so~ ami: i l ent~etint des amitiés aveéHuysmans. ,
G~uguin. Elé~ BdUrge~, ~ile Bernar~~Maurice Denis. Francis
.., ,
'-~
.;rëU'lllltes. Erne~t chéusson: pour ne citer que les plus célMlres.'
'.
Si nous avons modifié notre propos ihitial -(définir
~ ~
Odi~on ~edon',
-à-
traversse~
carnets intimes, ,par rapport a'.1X mouvements artistiques du 1ge siècle et du début du 20e:,
; (\
Romantisme. ~éalisme, Symbolisme et Surréalisme), c'est qu'une
: ~ ~ . ' ~ / " . . Ii '
, ).ëctur~· it'pprofondie de son Jou~al nous a révélé un aspect sr
~ ... "1 - _ .... r
.. ~
pro,fonèlément ~antique d)l pei~_tre qu'il nOUs a semblé
i~~é-\, ~
ressant~d'en dégager les différent~B facettè s • plutôt que de
~
.
'nous livre~à un travail p~hs ~néral et plus superficiel.
. l ' __
.
.
S.i9D,alOnS que 1'.oUVJ;age ~/SOi-M~e. ~i. fait l'O~ .prin~iPal de notre
~tude.
se'~aè
de deux parties: confidebcesd'ar-~ - ... , l ~ , '. ' \
tiet dont la lettre l Edmond Picard, symboliste belge qui 1
,
emandé au-peintFe des renseignements sur sa vie et se8 conceptions esthétiques; A l'occasion' d'une conférence
d~)~t~o-'duction en Ho).land~ en- juin l894, représente la preJii'àre~'
•
-'-''' .•
, i...
" )rédaction: le texte fut cette m~e année publié par Lt~t Moderne à Bruxelles, àous le titre de IIConfidences
d'ar-tiste",.l
4,'
expliquer .f\n,drê Mellerio..
2 Retouchép~'?-l'
auteur,Les deux publications Il rêvisées et disposées e par
Q
Redon sont présentées dans le catalogue raison
'comme Notes et Témoignages sous e
l"auteur ,a lui-mbe établi: 'De Soi-Mêmell,6 precise encore le
~iographe, etAdédicacé ~ son am~ André Bonger. Il s'y trouve
-en outre des 'extraits de la Lettre l Edmond Picard.
'\,
1
O.R., "Confidences d'artiste", L'Art Moderne, 25 aoQt 1894, No 34.
2Mellerio, -il> •
/\
O.R. , p. 48.,
-30. R• IIVan pdilon Redon", -Van Onzen-Tij-d, Amsterdam, ,
1909, Nos 9, 10.
~ .'" ..
4 0 •R., "Confidences d'artiste" .. La Vie, 30 novembre
1912, No 41; 7 décembre 1:912, -No 42: 14 d6ceJllbre 1912, No 43.,
.
'50.R., "'''Confidences d'artiste", Van 'Onzen-Tij-d, 8
mars 1913, No 22. < , 6Mellerio,
'~,
p. 48. " • 1 l " '" , "1 s - ' \
.,
"
•
-\.
7 1-...
Ouelques années après. la'mort du pe~tre, MaOdilon Redon tira des carnets intimes de sQn mari, ma
un volume qu'elle intitula A Soi-Même dans leque1 figurent,
d
entre autres, ces Notes et Témoignages de 1913 sous le titre
de "Confidences d' artiste~' ainsi que des extraits de Journal,
de lettres et des Notes sur la viè'et les artistes, le tout
.
~s'étendant sur une
pé~iode
allantd~
1861 à 1915;1Lion sa~t que Redon est en général considéré comme un
~
artiste symboliste: Nous pensons avec Mallarmé que la classi- .
fication en des é'coles"et tout ce qui leur ressemble" est 2 '
parfaitement arbitraire: nous ~~nsldérons,de même que Cha~les
'.
Chassé, daps'son ouvrage sur ~ Mouvement symboliste dans
l'art' du 1ge siècle, que le symbolisme représente une, deuxième
vagUe du romantisme, étouffé par llArt social. Selon cet
,
,auteur, le romantisme en France avait exprimé" le révei-l en
•
nous de cette sensibilité nordique assoupie pendant plusieurs
sj,~cles" .'3
!voir note )
2~IEnqu'êt~ de Jules Buret", Echo de Paris. 1891.0 ciÛ
par Henri Mondor, Vie de Mallarmé, Paris, Gallimard, 1941, pp. 599, 600.
3Charlea Cha.a', Le Mouvement aY!bgliate dana l ' . r t
du 1ge .iicle, Paris, Benii Plo~ry, 1941, p. 10 •
\.
f~.
1 --!•
\•
\ 8Dé)à défini par Baudelaire, dans les CUriosit6. Ea-th6tique8,
ComBe ·une
mani~re
de sentir",~e romantism~
possédait pour lepoàte les crit~res suivanta: "intimité, spiritualité, couleur,
aspiration vera l'infini • • 1 . mélancolie".l toutes
carac-iT
téristiques d~inantes de l'oeuvre et du tempérament
reda-Cf
niens.
Nous nous proposons donc d'étudier cet aspect si ,
essentiel de Redon, à partLr de son journal A Soi-M~e, qui
sera notre document de base. Nous projetterons un éclairage
complémentaire sur le peintre à l'aide de sa correspondance,
dont il a été p,ublié un volume, de même ,que des'lettres de ses
amis~ Nous "trouverons une troi.i~el source. à l'occasion, dans
des textes cons~cr6s au peintre, sdit par 8es contemporains,
~
soi~ Par d'autres auteurs •. Nous avons utilisé l maintes
repri-ses l'important travail de Sven Sandatr6m. intitulé: Le Monde t.aginaire d'Odilon Redon, qui nous semble êtré, malgré
quel-erreurs, l'ouvr~~qe'le plus important et le pïU8 complet
con-sa~rê à l·artist~.2
lCharles Baudelaire. CUrioait6. Bath'ti~ea, Editiona
de l'oeil, Lauaanne. 1956. p.llS (cit6 apria
,g).
. 2sven Sandatr&a. Le Monde iaasinaire d'O.R .. , Lund,
Gleerup. 1955 • , . .
..
-1\· - ,,-"
:~""..
,~ 1 1 "
,-Nous nous rêfàrerona parfois A l'oeuvre plastique pour étayer
nos assertions, en utilisant au maximum le catalogue de
o 1
Mellerl.o.
2
Ajoutons enfin que notre but est fort modeste, que
1 nous ne visons à porter ni un jugement littéraire sur l'oeu-
..
JMre écrite, ni un jugement esthétique dans le domaine
plasti-que. No~s avons simplement voulu présenter un aspect
parti-culier d'un artiste que nous aimons et admirons, "dont la
portée" cOllllle l'écrit encore René Huy~he. ~(es~é peut-être
r
encore méconnue".3
Nous allons, au cours de ce mémoire. définir, dans une premiàre partie, le tempérament redonien et les gonts-de l'artiste: nous étudierons, dans un deuxiàme chapitre, sa formation plastique. puis sa formation littéraire et,sa con-ception artistique, dans un troisiême.
lLa citation sera alors précédée de la lettre M.
, 2Remarquons qu'. Nontr'al toute documentation sur O.R.
est
extr~ent
limitée: la fermeture de laBiblioth~e
duMusée ~s Beaux-Arts a encore ré~rêci'le champ de recherches.
3
Huyghe, Sens et destin de l'Art, p. 256.
~ \
, , 1 -"i'
1>--..
•
(
.' 10En~in, nous concluerons en détinissant le fantastique
d'Odilon Redon, ainsi que la portée cathartique,de son oeuvre.
Nous voudrions au préalable situer, ave~ tant soit
.
peu de précision, le peintre dans le cadre de son époque.
'l
rC.
Odilon Redon est né le ~O~vril 1840, sous le régime
de
a
Monarchi~ de Juillet, dix ~ apràs la bataille"
d'Hernan~, trot:t apnées avant la chute des Burgraves et le
triomphe de la Luérèce de Ponsard.
.
Delacroix a pas~é le cap de la quarantaine, son futur ami
" ,
Baudelaire est âgé de dix-neuf ans et fréquente la pension
"
"
Ba~lly: c'est l'année du retour des cendres de Napoléon, de
l'interdiction du Vautrin de Balzac, Frédérick Lemaitre, s'étant maquillé, pour la piàce, "sous les traits du roi-bourgeois.
"Les grands ténors du romantisme", selon ,l'expression ,de Van
,
Tieghem et Michaud, vont se rec~eillir et se taire pour
quel-qUes années, alors que le réalisme tente de rompre,en visière
~
en s'opposant aux tenants de l'Art pour l'Art.
~
Mais l'influence des poètes d'outre-Rhin effectuait un travail insidieux et allait bientôt faire resurgir, selon les mots de Marcel Raymond:
•
,Il
la présence de ce fleuve sous-jacent, ensemble de croyances, de rêves, d'aspi-rations insatisfaites, que le romantisme a libéré et qui roule en nous plus
pro-fond que nos ~ensées et que nos sentiment,.l . En effet, la pensée romantique allemande, déjà révélée l la
fin du siècle précédent par le Werther de Goethe, exaltée d~s
le début du siècle par Mme de Sta~l, commençait A se faire conna1tre en France: rappelons que Faust avait ét~ traddit en 1828 par Gérard de Nerval, que les Contes d'Hofénann parurent en français en 1830. En 1841, Sébastien Albin traduit les
Ballades et Chants populaires d'Allemagne, ainsi que des lieder de Goethe et de Uhland: enfin dès'l848, comme l'explique
, ,
Suzanne Bernard dans son important ouvrage sur le poème en prose: " . . . l'étude' et les traductions. données par Gérard,
, .' 2
de Nerval sur Heine devaient faire l'effet dit une révélation". Et, ajoute cet auteur: "La lectur.e de Heine marquera aussi bien les derniers Romantiques que les premiers Symbolistes".)
lMarcel Raymond, José Corti, 1969, p. 26.
2 Suzan e
~'
Berna~,jusqu1à nos ra, Par1s,
3~., p. 90 •
•
De Baudelaire au Surréalisme, Paris,
Le Po_e en. pro.e de Baudelatre Nizet, 1958, p.'90.
~-;<"
r..; ,
~<
•
..
12.
Odilon Redon vit le jour A Bordeaux, mais on sait
per-.' . . . t
'tin~~nt, gr3ce aux oeuvres de Musset. de ~\~ac"rle F1~ubert,
'. 1
que les provinciaux avaient, dès sa naissanc~ adopté--selon
•
les mots mêmes de Dupuis et Cotonet--cette ·~thode nouv~ll~
pQur faire des pièces de théStre. des r~s et même des
son-nets",l et que le romantisme {et ses excèBlf10rissait tant
à la Ferté sous Jouarre, qu'à Sancerre ou à Yonville.
1
L'enfance de Redon. puis son adolescence. se déroulèrent dans un climat intellectuel formé d'éléments contradictoires, ro-mantiques ou réalistes, oppositions qui se traduisent non
1
seulement sur le plan litt~raire majs aussi dans le contexte
politique de l'époque. L'existence du petit Odilon sera
paI:-" tagée entre la campagne, oil il s' imprègnera de la vie_ colllllÏ.que.
.p.
ail il recueillera toute une tradition folklorique de légendes et de contes, et la capitale de la Gironde. où circulent
J
diverses idées. J)e par soh tempérament, le futur artiste se
prévaudra de l'option romantique, choi~que nous étudierons
plus loin.
e
lAlfred de Mu •• et. Lettre8~de Dupuia et coton.t,
Paris, Charpentier, 1867, p~ 90.
,~
'" :!-- .. , ,
I l ~ ,-" f:if. ,'L ~"' ~;1 ~ .'1" .•
'\'" . -, ::~ s ",..
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"\
... \ , t,'\
13,
1 • \Mai~
noua voulOn.,'~pr~er
lieu, noua livrer l l'étudede ce teaap6rament et d\ cette enfanci tria singuliers qui-vont inflêchir la deatü\êe artistique du pein.ra.
{ ,
\
\\
" \ \ \ \\
" ' . " \ .,. l ' Î,' .. ~ .... t ' ~~ ~ j 1_'- :.. <.; -:/i:~l;".. ,.
..
.
.-"
, o\ \
.'
·r \ '11.~'.;~~ ,;4e
-e.
.
,.~
On" m'a fait jusqu.' à la lie,
boire la coupe amè(e et douce . de la sensibilité.
Odilon a passé, sa première enfance dans le Médoc:
Je fus porté en ~urrice à la campagne,
dans un lieu qÙi eut sur mon enfance et
ma jeunesse, et m~e sur ma vie~ hélasI
beaucoup d'influence. c'était 'alors bien
désert et sauvage • • • Dans la région
dont'je vous parle, située ent~e l~s
vignes • • • et la ~er. on y est seul.. • •
L'océan, qui couvrait autrefois ces espa-ces déserts a laissé dans l'aridité de
leurs sables un sO~ffle d' ab~don,
d' abs traction~ . ' . ,
Plus loin, l' auteur d~crit: "le bruissement hamonieux
des pins sous le"vent du large, et les bruyères, et l'admirable
ù
e 3 \
écl'at de la lumière dans le clair azur", élêmenfs de. paysage
.
1
fort analogues à ce8X qu'évoquait le Bardé Ossiaft tout au cours
de ses poésies 'galliques.
lJean-Jacques Rousseau, La NOuvelle Hf101s!, Paris,
Firmin-Didot, . 1852, p.' 679.
2~, p. 13.
l~., p. 14.
.'
•
•
,
') ~ 16Le peintre se décr~t dans COhfidences d'artiste 'comme
ayant été un en'fant:
triste et faible • • • p enant plaisir au silence • • • recherchan leu' oJDbres, passant tout le jour ét du,sur le sol,
aux lieux déserts de la cam~agne à reg~rder
les nuages, à suivre avec un plaisir infini.
les éclats féériques de leurs fuga~es
chan-gements. 1
.,
Ce garçonRet r~veur ne nous rap~lle-t-il pas un autre,enfan~
tout aussi frêle et solitaire, Félix de Vandenesse, dont le
seul bonheur consistait, de même que pou~ le petit ~rdelais,
à I l rester ,dans le Jardin • • "1 jouer avec des cailloux, à
~
observer des insectes. à regarder le bleu du firmament.
Toute sa vie durant. Odilon gartlera cette ~endance à la •
1 rêverie, ce gant du silence et des ombres: il saur~ maintenir;
i
en lui la fr~icheur d'une enfance. non pas "retrouvée"" selon
,
.
,
l'expression de Baudelaire. 3 mais miraculeusement préservée.
lASM, p. 14.
2Honoré de Balzac, La Comédie hwaaine, T. VI, Le Lys
dans la vallée. Prêface de Pierre-Georges Castex, Présenta-tion et Notes de Pierre Citron, Paris •. ,Edi Présenta-tions du S.uil,
1966, p. 298.
:..-•
17.
,C'est pourqu?i Redon souligne. 'qans ce même texte;
~ t ~,,,,~
que ses dons personnels l'ont. âvant toute chose, "induit au
rêve" et 'qu'il a "subi les tourmènts de l'
imagina~ion
... l.
Il est assez révélateur que les termes ..
.
r~ve" ou "rêverie" ,~ .. ~
se retrouvent plus de, trente-trois fois' au 'cours des 176 pages
V
;.
d'A Soi-M~e: d'autre part, l'oeuvre plasti~~ présente'd~s
.
,caractères essentiellement imaginaires et oniriques '. Sans
même l'aborder dans son aspect graphique, un si~ple coup d~oeil
jeté sur des titres choisis au hasard est déjà significatif:
\
Dans le R~ve • • • la Nuit • les Tentations de Saint
,
1 ,
Antoine • • • Songes ~ Èt'dans un ~omaine plus
stricte-.
,ment légendaire et mythiqbe: La Naissance de Vênu8. Orphêe.
"
Pandore, Pégase, le Cyclope.
Notons qu'au sujet au premier de ces ouvragea, Dans le
Rave,-( ,
Redon avait éCJ;it ~ son ami Mellerio en juillet.1898: "Cet
, --C. ~--C. ' ' ~
album 'est peut-~tre l'un de me~ p~f~~s~ p~Fce qu'1l est
"-façonné sans aucun'~lliage de littérature. Le titre de 'Dans
~.
le rêve' n'est en quel~e sorte qu'une clef d' ouver~ure". Et
j -~ . . ~~.
le bi&gràphe d'ajouter qu~ dans 'la création de cette oeuvre
l'artiste "a tiré la total~ substance de 80n unique fond "
U' ... ' \
•
l- .
ASM. p.27.
'. ') " ~It
\ '1
/
f-;
il 11
.1
...,.Jo ...~
(1
\.
•
,,' (] personnel •.
....
... 18·Par
1à
mbe que 1: artiste se réclame der ~~
l '~tat.. de rêve, .. i l nous dénonce la source originelle" de s"es
'" '
émotionsJ ' • 1
Le peintre se définit lui-même d~ns'lés termes
sui-r,t
vante:
4.
J •eus, jusqu' 11 la déco;verte de~n Originalit~, ~e
âme dolente et mystique . • • I l Cet être maginatif se trou-t
) \
,. vait fortement enclin à la tristesse, et au manque de con-fiance en soi~ sa nature correspondait à la définition que Stendhal a donné de , lui-m~me dans la Vie de'HenryrBrulard, l ,
1). .... •
savoir, celle "du temp'rament mélancolique décrit par
3 ~
Cabanis" . Il semble, néanmoins, que le fils de Chérubin
. ,
Beyle se soit 'livré au cours de 80n enfance à des a9i •• ements~ __ procédant d'une nature bie~ autrement pétillante et/agressive
" - >
,que celle de llenfânt tranquille dés Landes. Il s'agit éncoré
, . ~
de ce même tem~rament d~ "paresseux nerveux~4 que SI at~ribue
1
Baudel~ire.
lMellerio,
.9..:..!:..
"p. 10.\.
·20. R .• Lettr~à André Bonger.' ~~~dite). 2 octobre
19Q~, citée par Sandstr~~ p. 208. \
l ,
3 .. r
Stendhal. Vie de Henry Brulard. Paris. Ga~ier. 1961.
" 1 .... p. 15. , , .... l ,~~ ::1 , ' l \.~l ,1l ,~
4Char1es Baudelaire, LI ! r t Romantique., Pari ••
Garnier-Flammarion,c 1968, p. 43,3 (cit6 apr~.
!!).' ,
j.--'
~
--- .----.J
~{
. ' ~ ~) o ... ·":t ...~S411- il
•
•."
iÇ œ""'-"~l"''',
.. " . " . '" • 0 '•
CL ••
• ..
19
.
. Àyant'
r.trou~.".'dUlt
•• dt.ncien'
e do •• ine do "laj.u~ollo;
a.don, JI ~\
• .. primo .on malai •• on taoe do "o •• vioux dooumontilt qui lui
~ ft D •
o
t ., 0.. "
.oommuniquent "1. frillon~ . t "li'r6po~ouI110nrd'un _plo.n loi~~
Cl . t.i~,
rod.venu
ri~l pAr-0"
ima; •• ". 'Lor.q~. 1.
j@un@ honrn.
~aoc~plit, •l'
Iqodo
~n;t an., .onc
prom!.r
VOX.A(J@"an.
'10'Pyrtn'." Ion
~
1'1'.1'.Irn~.t, co",!,ont~t,
o .. J • •
,. dAn. a. r6Pof\"~, 10. CS •• cript.1on.' ont.hou.i~.t. •• do Ion'
'Cldot,
"
lu 1. 6erit 1
•
C'.at tout ~ tait ton 90nro' • • • 1 ••
mont.9ft~., 10. momo. ,Iolitud •• ,' 1.
cS,.
•• ~p6r.n~. • ',' t.u' V.~. noua .Qf~uoh.r
de quolqu_.flrit •• t.ique pay •• qo.
"
No
rotrquVQnA-p", dan. cotte at:tir.nc.. 10 (JoQt ml ... ~• 0) "
.
,d'Obormann
pour
1 •• ~ch •• pu1 ••• nt ... 10' torrene. bEUi ••• nt '"danl deut profond.ure inacce ••1bl.~".
3 •• u!'. ply'IV.' apt •••, . t> \
oommuniqu.r "la
plu,
durlblo dt. jÔui'l.nco. lupt6 do l , ""lAne011o".4/ o l, .' . • • • cottova-\
, '" , ( y tian '. 1 , AM.-
p. 16. \ '.
\ 2 •1
HB.
d'Srn •• tl'.don,
dit', lundi, 1861, p. 35., l.tionn.
,J,.ft
d. 8'nanoour.
OberMnn,
1fOuvol1. ( •• na dàt~).' .,-ria .. l~a~.11 •• Q Lettro XVIII" p. 85.4" ", ~.. Lettr. XXXV, p. 202. . / o " "
.
'. J '\ , 'di. a.
.
1 J ,J ;J
.
,if
(1 " 20..
En .}.879, une jeune ~mme, Esther de Rayssac, qui l'avait
cha-,
leureusement accueilli dans son sa~on parisien, lui parle de
~ son ~'aptitude au silence,,;l 'Redon, dans une lettre
anté-r
rieure, SI était excusé dl offrir si souvent ". • . une fiCJUr~
morose . . . qui n'apporte jamais aux autres, je le sais, ni
, .2
beaucoup de gai té, ni de naturel I l .
-Cette prédilection dlOdilon pour la mélancolie peut-elle ~
. ,
slexpliquer par la tristesse du décor désolé qui fut la toile ,
.
de fond de son enfance, ou provenait-elle dl une .. f!lure", au.'
sens baudelairien, plUS secrète et plus profonde de son ~e?
/
tl'enfant fut', sans aucun doute, forteIJ\ent marqué par 11 austérité du" paysage landai's, par la séyérité de cette nature si peu généreuse:
De loin en loin, un groupe de quelques pins faisant ente~dre un continuel bruis-sement de tristesse, entoure et désigne un hameau, ou ~e1que parc pour des mou-tons. . • Partàut l'humanité qu'on
y
_trouve ~mb1e SI an6anj:ir, éteinte etdis-soute,. acun le8 ye)JX navres, dans
1 \~and d~ soi-m&m1! et du lieu. 3 .
~---~-lLAR d'Esther de Rayssac, 27 novembre ·1879, p.8l. - 2 I bld., note B, p. 81. ," ': .... 3
!!!!,.
p. 13.""
~ ~ i.
•
'.
.,
, ) , .. ' ..t_ ~..
•
Q 21o
On retrouve • maintes reprise.,' dans l'oeuvre gravê de ..
Redon, des évocations de cett~ .oli~ude et "de ces arid ••
plai-.)
1
L ·
nes"" et l'on voit so~vent surgir, dana 1 •• yeux de s ••
per-.
~sonnages, cette espèce de tfistesse passive et résignée d'un peuple en voie de dégénérescence.
•
Le père d'Odilon, qui 1ui apparut toujours "comme un
•
être i~rieux". avait ~té colon' en Amérique, où JI.~ il
devint rapidement possesseur d'une'fortun~ ass~z grande
. . .
.. 2Bertrand ,Redon contait, souvent au petit garçon le récit de ses aventures, décrivant l'immensité "des .savanes" et "., • • des
..
.
vastes forêts qulil défrichait, où il se perdit une fois
d uran t des Jours • • • · ,,3
Quel riche contraste, pour l'tmagination d'un enfant rêveur, que la luxuriance de la forêt américaine opposée A l'aapect
1
parfois déserti~ de la lande familière.
~Le tpeintre garda toute sa vie un profond amour pour la forêt
1
et.pour les arbres, et fut d'ailleure encouragé dans ce .ena
par deux ~tistee qui ex.rc~rent sur lui une grande inf1uence.
''-/
lASM, p. 14:
2I bid. , p. 12.
" 1
•
1•
, ~ , " ; ~ , ~.--" ~w .. ,.. ~ . . . -i'~ "'~ , ~ . "'.;. 22 1Lora de .,a visite à Corot. en 1864. celui-ci lui avait
8uq-dl aller • • • • tous les ans~ aU,mAme endroit. 'peindre le
2 même arbre.
•
Sven Sandstdlm n' a pas manqué de .souliqner 11 importance de
ce thèm~ chez Redon: liOn retrouve ces arbres dans une longue
.
série de dessins exécutés au cours de plusieurs dizaines
d'an-3
nées". En outre. celui que 11 artiste
a
toujou,rs considéré. coaae son véritable aaltre. Rodolphe Bresdin. et que
.
Baudelaire avait défini comme " . • ce pauvre graveur
qui vivait avec des carottes entre un lapin et une fille publi-4
que
.
..
.
était. de par une tradition toute rom~ntique •,
fasciné par le myst~re de la for~t tropica~e. Odi~on eut ainsi
maintes occasions dlapprécier les minutieuses créations de son ,
mentor, fruits. selon les mots de Marcel Brion. ". . • de
ll~qination fantastique qui donnait 11 essor aux vêqêta~ions
,J,
fabuleuses dont i l était hanté·.\ S
t'
d'E~
Red';", datée 1864 et note'2. p. 38.• p. 36.
- ,
3 Sanda tr&a. p. l2.
4Baudelaire.
!!.
p. 62., ,,,J 1
SMarcel Brion. L'Art fant_tique. Vervien. Gérard
et Cie, 1968. p. 26 •
,..
,,~f. ... ~. ~".
•
l, ,r•
r ----~- Co ----~ ---.--.,.--, ~.~..
""""'.~ ~ ,~~, ~ 1 23 1Redon. au cours d'un séjour A Barbizon, en 1875, fécrit,
de sa fenêtre," • • la' for~t qui berce ses hautes cimes. Je
veux la connaltre et la comprendre". 1 Ce désir' 'd'
identific!a-tion avec la nature, 'ouvertement exprimé par Rousseau, dans ....-La
Nouvelle Héloise, en 1761. fut repris par la plupart des poàtes
romantiques. Chez Redon. ce désir ne se limtte dt ailleurs pas
à la "selva oscura".
Ainsi, nous voyons le jeune hOlllllle se révéler extr@mement
sen-sible à la poésie de l'Océan.
Il déplore que, lors du voyage de retour en Europe de ses parents (lui-même "déjà conçu et presque à naltre"), il'n'ait pas eu la chance de voir le jour ". • •
,..
.
• un lieu sans patrie sur "un ab1me.\>
au milieu de ces fl~s
,,2
Souvenons-nous qu'ossi1n avait, dans 'un même esprit, exprimé
son ar~ent désir de "mourir au milieu de la t~te".3
c
lASM, p. 47.
2Ibid., p. 12.
30ssian, Poèaea. Chant l, traduétion de...,..Le Tourneur. 1 .. ,
an VII. page 9, Rote de Maurice Reqard, François-ReM de
Chateaubriand. Oeuvres rcaaneaquea et voyayes, T. 1. Paris,
Gallimard, 1969, p. 1206, •
,
~Sfr"'i" ~ 1:> 'J.·t'-;t~ , 'l''''
..
. ' l (,1,. 24 ~A plusieur, reprises, dans son Journal, Redo • • e livre
à des ,~escriptions de la mer: "maqnifiqutt, imposante et ter-,
1 /~
rible" dans sa Gironde natale 7 "berçant l'esprit comme une
. 2 /
douce harmonie" dans un ~eti t port de Bretaqné, où i l se
trouve de passage.
3
La mer représente encore "la grande amie", capable de
regé-,..
nérer et de ré~onforter les art!stea à cburt d'inspiration
ainsi que les ~tres fatigués par la vie.4
De même, la montagne offre un refuge
A
son exaltationmélancolique: tlJIÎ ai vu ~ur l premi~re fois vos neiges sus-'"
"'-pendues . • • 0 montagnes et ~~~'ia sous l'éclat de votre
immens i té . " 5·
Remarquons le lyrisme peu contenu de cette évocation, et le vers blanc de doJze pieds qui la termine:
~tretnt par le sentiment, tr~s pascalien, de sa petitesse et
de sa solitude, le jeune artiste pour.~it dans la même veine:
• 1
.\
~, ~t;;.. .-lASM, p. 49. -) 2~., p. 85. 3Id •-
\
4 ~., p. 49. , , '/
5Ibid. ,-
p. 66. 1.,
l
•
-,'.
..
2S ,;J"Un ~tre infime; éperdu" abandonné dans le11 mornes angoisse_ de
1 ~
l'isolement .' • • tI ~e retrouvons-pous paà e!, face de ces
émotions variée~ le ton même de René, au sommet de l'Etna, réa-
.
lfsanb
égale~ent
son ins!gnlfiance?2EvoquaQt/des amours malheureuses, Odilon épanche son "tourment
• • • J'
' . " I I 3
~nf~n~ : "0 tristesse~ ••• ardeur secr~tel .. 4
- .... '\ \\
Cet~e souffrance exprfmée sémble le libêrer et il recouvre sa sérénité et son admiration montagnarde: tlMontagnes' et nuages,
~ême
région dl idéal et de rêverie". S·,Nous voyons donc ,se dégager le tempérament typiquement roman-" ~ t
..
~tique d'Odilon Redon, qui réagit au sein de la,nature comme
.
un' \ .8
• 1
fid~le\ ~isciple. de Jean-Jacques. et dont
\
1.' aspec
1
rêveur et' m6- 'lancoliqUe'nous fait songer A Obermann ou à René.
\
.
,, \ En~ce qui ooncerne le domaine plastique, on retrouve
l'expression d~ ce rOMantisme de jeunesse. particuli~rement
lyrique, dans une sériè dioeuvres de cette époque;. un grand
.
,2 François Ren'/Ü Chateaubriand. Rend,'
in
Oeuvree'romanesques et voyaqeé, T. 1. p .. " 124. 3 ASN, p. 7l. 4 ..
.!ill."
p. 72. , . 5 I d. '-• -, , o
.
),.
•
t,
?
26
nombre ~'entre elles a ma1heureusemeat disparu.
Sandstr~m divise en deux séries de th~s la p~uction de
1
cette phase de recherche, qui se situe jusque vers 1870.
..
, 1
Le thème fent:al de la première série expri.IQe le spleen. la passivité et le repl~ s':1r soi. Ell;e consiste en une série
\
de paysages crépusculaires et ranantiques qui représentent tous ". . • un pers9nnage soli taire assis dans un paysage désert,
2
une femme plongée dans ses pensées." à l'intérieur d'un décor de collines 9u de hauts-plateaux inspirés par les paysages
pY~-.néens.~ces dessfns, conçus entre 1860 et 1865. sont exécutés
au fusain" à la mine de plomb ou à l ' ~cre.. Cet art est in- .. fluencé, comme l'explique Sandstr~, par la confrontation avec:
un art mineur qu'il ne faut pas oublier,
...
constitué par les livres illustrés comme'eux G andville ou de Gustave Doré. les voyages pittoresques, les lithoq~aphies satiriques dont la vogùe était grande • • ~
A ces influences trop peu reconnues
s'ajoutent' les impressions dominantes que font sur lui corot et Chintreui1. C'est dana l'esprit de leuI pein~ure qu'il fart ses premiers essais.
\
lsa~dstr&n,
, 9, ~IO. pp. 2.!È.!.!!. , p. 3. 3~., p. 170. '> ') . {) \••
r
e-1 '-,..
r:~~..\. ,_~ 'f Q - - ---,-' , " ( - • ~~--7-7 . . . ~~r~.~J--:" .~---';'ri~'",~ -\!;'-1'~~ . -.
~ 27 l' •lIous, examinerons par la suite les oeuvres de la s.conde 8érie, dont le th~e ~n6ral se trouv~ atre l 'l'oppoa6 d~ ce-lui qQe nous venons de distinguer.
Redon, en 1875, nous livre dans sono journal de .. rêtle- ~
xions sur la mort. elles aussi tout imprégnées de romanfisme. A la sui te d'une promenade I l dans les, allé,es froides' et
silen-1
cieuses du c4aaetiàre", il appelle A son secour\ "la divine inconnue au muet visage". elle reprisente pour l'artiste, qui
,
se trouve en proie à un profond d6couraqement, "l' heureuse fin
2
du mal de vie". Et l'on songe A Lamartine dans la quatriae Méditation:
,
Je te salue t) "mort, Libérateur céleste,
Tu n'anéanti.rPas, tu délivres. 3 .. , Par c9ntre. lorsque la
années t>lus tard, dans
mort va littéralement faucher quelques son entourage '(en cinq ans, ,Odilon
~-dr~ un fràre. une soeur. un enfant et trais dé aes amis les'
,
plus chers--l'un, Armand Clavaud s~ suicidant, l·autre) Emile....
1
~, p. 84.
2
Id.
-3 Lalurtine,
M6dita~ion8
(IV), Paria. Hachette.l~lS
•p. 59. ..
f
~~'t~
-(' • {•
,.'
.' \ ' 1..
28..
p-,,
.
Henn8quin. se noyant sous les
"UX
de Redon, et le tro~i~rne, Jules Baissé, conme ce derider le dit lui-mArne, /fuort If d'une1 / " 1
impossibilït~ sociale" --'1 le ton du peintre' sera d" Ull~
so-(Ir
briêtê parfaite, totalement dépduillê du "athos caractéris-tique des
~xtrai
ts c'i-dessus. 2)~ur
le plan graphique, Redon a maintes fois..
rép~'sentê
la Mort: les trois séries lithographiques basées sur La Ten-tation de Saint Antoine de Gustave Flaubert en comprennent plusieurs évocations..
~L'auteur a su trouver des accents oriCjii.naux et vigoureux pour
• _II. A'
illustrer un sujet
~onsacrt
par, la tradition ',: 'nousrevien~
drons sur ce point 'dans no re conclusion. .,
\
Mais la sensibilité artisti~e de·Redon ne s"~st pas '-.
lirnitêe aux arts plastiques.-
~.
\"Je suis né sur' une onde sonore"
~
.. t-'il de lui-même' à son ami( ,
de ~a première 'enfance qui-a
~EdmOnd Picard. . "Pas un SQ~Venir
t ~ mêle , un chant musical, lune musique de quali
t,II.~"4
lASM, p. 86.2I~id., pp. 86, 87, 88, 89.
3 M89, M97, MIS3.
•
4in Mellerio.
U
Lettre l 8dmond Picard(ci-apJ:~~
Lettre A B.,.), p. 80. 3
'.
.' ,
.
,
.
•
,
'
.
29
...On sait que les Pre-Romantiques et les Romantiques
furent extrêmemént sensibles
A
la musique,A
ses rapports avecla poésie et les autres arts. Des auteu~s tels que,Sénancour,
'Morellet, Villoteau, dans une tradition remontant jusqu'à Marcile Ficin.,et même Pythagore, en passant par Saint-Martin
j ,0
et Rousseau, se passionnèrent pour ~rPh~smê, l~fonction du
n~re ainsi que l'aspect de la mus~que en tant que langue
universelle. 1 ( ,
t
Stendhal va partager ce goQt--dont on connait le propos:,~' r.,p musique a peut-être été ma. passion la plus forte et la
plus conteuse" ,2 de m~e que Delacroix, Balzac et Baudela'ire:
Redon a donç lui aussi été profondémen't attiré par la musique.
Lors de sa
comm~lennelle,
.
le garçonnet de dix ans , .S~bit
,
''une forte émotion musicale", a,insi qu'il l' évoque lui-m~me:
les chants m'exaltent; ils sont vraiment
ma première revélation de l'art,outre la
bonne musique que j'avais déj~ beaucoup
entendu~ en famille.J"
1Brian Juden, Traditions orphiques et tendances mys-tiques dans le Romantiame français, Paria, K1inckaieck', 1911, pp. 300, 301, 308.
dè Henry Brulard, p. 219 •
•
•
"
(!
,30
"Fidèle écouteur aux concerts",l il fut de
pl~ ~
ex-cellent exécutant et songea, après '1871, "à sUbvenir à
'ses
besoins comme violoniste ... 2
La musique étant un moyen d'expression très important
m~ntionné dans ses carnets intimes.o Cet art est pour lui "le
Ir
ferment d'une
sensibili~é
spéciale très ,aigue"".) Etablissant,\
ailleurs un parallèle entre la musique et la peinture,
il
lesoppose de la façon sqivante:
i
-,
C'est en hiv~ que' la musique a le plus grand
prestige, elle pla1t surtout le soir • • .,: c'est l'art nocturne. l'art du rêve, mais le
tableau vi~nt du soleil. Il na1t avec· le jour
et la lumière, et c'est pourquoi toujours, à
la saison nouvelle, le dilettante parisien se
tou~e de préférence vers l'art de la èouleur
et de la vie.4 :
Redon aime à comparer s'on art pe;l'sonnel à celui de la
musique car ils présentent des caractéristiques commune. par
. 5
leur aspect ége!~nt"'''vague • • • indétexminé" et "suCjgestif".
;LASM. p. , - 25.
~~R.
note 6. p. 1)7. • 3ASM• pp. 95. 96. 4Ibid ••-
p. 65. 5 ~., pp • 28, 21..
, /..
"•
"
•
. /
31
D'apr~s son fils Ari, le peintre aurait écrit (ou dit) de la '
musique: "Ah le bel art! i l est plus 9Uisaant que celui que . " 1
J'exerce
étudierons
~
l'influence De1acroix. dont noussur le jeune homme, s'est, lui aussi, livré dans son Journal à des rapprochements, procédant d'un esprit typiquement raman-tique. entre les diff~rents arts." A la suite d'une
comparai
-fson' entre la musique et la peinture, il se réjouit ~ r~trouver
son idée sur, la prim~ut~ de la forme dans le domaine musical, déjà exprimée par Mlle
he
StatU. L'auteur des Massacres de Chio conclut en établissant le supériorité des deux artsBU8-mentionn~s
sur lalitt~rature,
ils sont~a~
dessus de lapen-s~e ••• " car ils s'expriment l'un et l'autre .. par le vague". 2 HonOA de Ba~zac, s'inspirant,. en partie", de Hoffmann et en particulier de ses Kreisleriana avait lui aussi ~tabli dans Gambara3 le
prin~ipe
de la supériorité de la musique sur les " autres arts. La raison donnée par Balzac en est une que 'sur1
~, Préface. p. 23.
~ 2Eugène Delacroix. Journal. 1822-1863, Gen~ve. La
Palatine, 1943. p. 33.
3
Honore de Balzac. La CoIa6die hwuine, Gaabara. T. VI, Hotice de Pierre Citron. p. 588
, ~ .
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'aut";'t de poàoea dlfH-'. ,_ \ 1 ,.." ':
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~---
, • 1 (\ 0 /Il est intéressant de rema~er que pour Baudelaire. quelques
•
.
"années plus tard. cette subjectivité de la musique est
inex-istante et que la force deacet art'est jus~ement de sug~rer
. 2
r "des idées analogues dans des cerveaux différents".
,
.
L'on sait que Batldelaire a maintdS fois dans' les
.
CUriqsités eBthéti~es utilisé des expressions du langage
musical au cours de ses analyses picturales et en particulier
o
, \
celles de Delacroix. Il fut m@me jusqu'A ,.e persuader. an.i.mê
par le triple,enthou.ias~e ~u~é par sa thé~rie des
pondances, son nouvel amour" pou\ Wagner et son "culte
COrres-irna<J~stl qu' ,il .serait t I . • . ' vra~nt 8urprenan~ • • • que le ,
Son ne put suggérer la couleur • • • que ,les. couleurs ne pu.-~
.
"'"
"-sent" pas donner, l~ idée d'une' mélodie
. .
--
.
...
.
~Redon. parce qu'il connalt ,.. l la fois le. techni~es picturales
fi' '.
. ,et musicales ne s'est jamais laiss~ emporter par d' au_i
.6dui-t { > . santes idées. '. " ....
.
~ 1. ". , ,lSalzac. La oomédie humaine. G!!bara. p. 597.
,
' 2 Baude1afre, ~; p. 271. 3Id •-1
.~ .,
,1.., '"
7' ' i, 'i • t , 1~".
~. ," ..
, o / . \~
.•
,
.
i <, j .' 33 Il~e~~es, il avait'lu~-m~e bapbie' en 1870 une série de
deB.j:
-sins à l'a mine de plomb: Es.ais symphoniques.,l ,A la suite. de la p~emiàr,e exposit:fon d' oeuvres $le Redon l là Vie"
'.
..
L • .. 't:I. C)d' enf~nce J111ès Boissé~it écrit én ~881
" , - - . /
.
'!; •
~derne, sony ami
dans la Revue ~ Progràs, à propos des vingt-deux fusains
) ) ,
présentés au 'pùb1ic:
C'est ce que l'auteur appelle du dessin '. et' de la peinture • • • symphonique J en
ce sens'que l'idée fort abstraitement foxmu1ée 'fait r~ver .sans rien préciser.2 .
].
-
.
,.' Mais Redon demeure sur un plan purement métaphorique
r" \
•
o •
lors~'
ilSemb~ier
peinture et .muatique. Les lignes sui-vantes 'nous .1e p r L : .: • • • nulle couleur ne peut' traduire le monde musical, qui est 'uniquedfent et seulement inteme et ..
(J
sans appui sur' la na'tu~e réelle. H3
Ces lignes. 'datant de 1882, furent écrites en vue de commenter les essais auxquels se livraient Fantin-Latour
(ainsi que son ~i Whistler) ~ans le but d~ ~ransposer
p1asti-quemen~ des ~p~essions sonores.
1
1IAR, de Stanislas Gorin, datée mai Ui70', p.
~63".
,
-2 .
t-·
Jules SOiaa6, "caapte-rendu d'une expoaition l,la••
l
Vte Moderne", ~evue du\proqrê8. le 2 mai i881,in!!!, note 5,
p. 84. ". ~ , 3ASM, p. 149. .
,.
,
-
~ " / . "- .< '
•.
J,•
.
, (J1
~i 34 ," >J'Ar! Redon a déclaré, en-outre, ~ propos des goOts
mu~icaux ~e son père:
f
"
(.. '
fid~le à ses amours de jeunesse, il reste un
àuditeur ~.sidu de Schumann, de Chopin, de
Gl~ck, de Berlioz et de Beethoven, dont il
, dj.sait:, "Avec eux, j'ai les cinq lZ'ais 'lumi-neux et vivifiants d'une étoile mystique qui m'a soutenu ~ég~rement dans la vie, dans l'oubli de ses duretés'.~
. ....
,
-Côntrairem~nt- à ce que dit Sandstr~, en ce qui concerne
' P
1 (
-Wagner, i l ne' Îlemble pas exact que lei peintre ait réagi
.
' ~', 2 vis-à-vis de c~ musicien .avec "une cert.aine réserve".
. ,
Redon avai t é'Cl;i t à son ami Bonger en aotlt 1895:
Avant de qui~ter Paris j'entendis le
Ta~nhauser avec grand émoi. Cela me
donna le ~êsir d'aller à Beyreuth, un joux:. • '. • Ouel art neuf, pour les yeux aussi. 3
.
Se trouvant, deux mpis plus tard, de passage à Londres, en ,
'
.
octobre 1895, il signale à un autre ami, Maurice Fabre,,' être
A ~
allé écouter la walkyrie.4~
..
lLAR, Préface, p.
-
23.,2SandstrOm; p. 118. 1
3Lettres d'O.R., 1878-1916, publiées-par sa f~lle avec une préface de Mariua-Ary Leblond, Paria-Bruxelles, G. Van o=\t. I923. Lettre
l-M.
Bonger. 7 .oOt 1895. p. 25 (cité- a.pr~.Le tres). - . , c r .
4 ~
~., Lettre , ·l' Maurice Fabre, dat6e octobre 189,,5,
p. 26. ~
..
"
~ -?'._-~
•
- --'f~, ~---~-.----.,..---.. ---~---~---~.---.--
--\
, ' ,
, D'apr~s ~n Journal, les p~f6rences mu.ical •• du' peintre semblent se port~~ sur Beethoven "oà il a trouvé de suprêmes' joies,:'l' et sur Schumann "parce qu'il incarne •
#
,
," l'expansion d'une ame forte et pleine". 2
Il préfère ces deux arltistes A Berlioz "sarcastique et
~
.
hauta~n", "p~'rce
qu'ils sont peuple". 3 On retrouve en effet chez le jeune peintre 'un souci humanitaire-6vident •. Il a expliqué lu!-:même à André Bonger: ",:J~ ai eu jusque, l trente,
.
.ou quarante ans une lme dolente~et my~tiqUe, compatissante
.
, " .4
envers les désh'rités de la vie" •
." c.. ...
Odilon a maintes fois ~xprirné cette sympathie d'une
~. façon touchante, mais quelque peu dépourvue'de réalisme:
\.
I~J'
aitoujour~
"aimé lal)misàre, la grandeur duhail~on."
écrit-il Bans' son Journal. 5
<,
Aille~rs~" ~ il s'adresse "aux .pauv~e. enfants qui vivez dans
\ ~ 1· 1 ,,~, p. I l . 2Ibido" p. 135. 1 \ 3Ibid.-, p. 136. ,
40 .R., Lettr~ l'André Bonger, octobre 1909 (in6dite), çi t6e par Sand st rt!>m, p. 2.08'. ~ ' "
/
.
5ASM, p. 57. -J Il /,
. ' l ••
•
,
36Je quitterai la vie. content d'avoir compris
vos doux sourires
3. .
Je suis prat ldo~er pour vous le plus pu~ de mea forces
pour vous aider ~ partager l'lpret6 de
vos travaux. 2
Ces lignes sont écrites en 1811: mai. nous trouvons sous la
plume de Redon en 1902: "On a beaucoup usé du qualificatif
social. durant -toute ma vie. Je m'en défie aujourd' hui. ,,3
Cet aveu prouve qu'entre temps, l€ peintre s'était livré à
un certain nombre de réflexions à propos de son attitude
passée. Sandstrem parle du "radicalisme"4 du jeune homme.
fi
S'agissait-il dlune attitude d'intellectuel de l'époque, se
voulant concerné par les préoccupations sociales, hé~itêe des
poàtes romantiques et des r6alistes 80US l'influence de
Lamennais et des Saint-S~niens? La phrase ci-dessus nous
porterai t à le croi~.
.
Il est néanmoins prObable que cette sympathie de Redon vis-à-viB
des malheureux était due en premier lieu à sa propre insatis-c
~~action: éprouvant des difficultés existentielles. connai •• ant
l:a.ru. ~ p. 58 • 2 Id • '3 Ibid., p. 99 • J 4Sandatre.. note 1. p. 208.
,
'. i,",
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.J
J
..:~;
~ ;'-">• J
-'
" 37
des l80IIlents dl angoisse profonde, i l ressentait le besoin de
s'identi~ier avec d'autres 'tres en proie au malheur et à
l'insécurité.
Le jeune hOllDe, nous l'avons déjà mentionné, subit en"
parti-culier., ~e forte dépression apr~s son bref passage' l
~ ~
dite' des Beaux Arta" dans l'atelier G6~e,t oà il fut
"l'Ecole
1
"torturé" pat celui que Baudelaire a qualifié "du plus grand des esprits
pointus"
~2
Revenu ~ Bordeaux, à la suite de "cet égarement d'atelier",3
pendant quelques mOis, il traversa une "'.
crise de découragement. promenant dans les rues de la ville et dans la Lande sa mélancolie exaspér6e. 4
Parce qu' i l manquai~·· de confiance' en soi. parce .que son
~#~'~alent se développa as~ez tardivement ~t que llart qulil
fai-sait était trop original et personnel pour être apprécié par
l
le public à une époque qui se vou;La,it, 'avant tout,
lASM, p. 22. 2Baudelaire, CE, p. 431. 3ASM, p. 24.
-4LAR, note l, p. 40.
-)
..
•
( ,
38'
naturaliste, l'existence reprêsenua longtemps pour Redon
è l
cette" triste bataille" qu'il mentionne ell''tnars 1882 dans
( une lettre
A
un ami de récente date, le critique et écrivainEmile Hennequin.
Le peint., adopte en face de la souffrance une attitude
passive et presque masochiste, résidu~ bien caractéristique
d'une hoirie judéo-chrétienne. Ainsi on 'trouve sous sa plume
2
une phrase telle que: "En sonune, il faut souffrir". On peut
également lire dans A 'Soi-Même ces mots, qui datent de'1877:
1
"Celui qui souffre est celui qui s'élève. Frappez,. frapp~
~ 3
toujoùrs la blessure est féconde. Il .t
Nous savons que les poàtes romantiques ont, l~e~s après les
au~res, magnifié la souffrance et les mots d'Odilon ~oquent # également le. vers célàbres de la nuit d'Octobre. la soumission
de Victor Hugo
A
Vi~quier, ou encore le post-romantisme'.. 1:
baudelairien de: "Soye~'-bén1 mon Dieu qui donnez la souffrance. Il
lO.R.,
"Le~é
a
Emile Hennequin", 5 mars 1882.in Beaux-Arts, 7 julYi 1935, .reproduite par SandatrCm, p. 183.
2~; p. 3~.
3Ibid., p. '60.