• Aucun résultat trouvé

Les mises en prose de deux romans de Chrétien de Troyes à la cour de Bourgogne au quinzième siècle.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les mises en prose de deux romans de Chrétien de Troyes à la cour de Bourgogne au quinzième siècle."

Copied!
125
0
0

Texte intégral

(1)

L&s MISES EN PROSE DE DEUX BOMANS DE CHRETIEN DE

sm

A LA COUR DE BOURGOGNE AU QUINZIEME SIECLE

Ursula Scbmid t IIcGill Uni verai ty,

Depart.ent of F.rench L~e aD4 Li terature

Deux versions d'Et-ec et Enide et Clig~s constituent le point de départ pour une comparaison de la chevalerie aux XIIe et XVe si\cles. La cour des ducs bourguignons, cenu-e culturel et politique, se passionne pour les contes arthuriens et veut imiter les prouesses des llél'Os. Le style méticuleux des traductions ren~te le sérieux et la soleDDité qui carao-térisent la cour. SaDa fonction au Ue .i~cle, la classe chevaleresque justifie son enstence par ltobeervation scrupuleuse des fomes C01U."o'

toise80 Les J1'Ota&oDistes de Chrétien Éritent la cheftlerie et l'SIIOur

par UIle discipline personnelle sévllre. Le BourSUignon.

!!!!!

cheYalier et poss'de 1 t amour. La façon dont les deux t§poques traitant la IIOrt est ré-yt§latt:l.ce de la conception que l'on se f'ai t de 1 'hollllle. Le me sillcle

a confiance dans la vie. Le JIIoyen Age finissant, attaché l. la aati~re, désesp~re de l'existence, parce que son regard De sait dépasser le monde

sensible. - Bien qU'inf't§rieures au versions originales, les traductions présentent des indications précieuses sur leur époque.

(2)

LE IIISBS BI PBOSI DI Dm BOJWIS DI ~ DB

s'US A. LA COUR DI mURGOGlfE jJJ QUIliZIliD s:r&a.i!

SCBIIJ)!, Urwl&

A. theaia lI1Jlal tted 'to

the J8CW.

V

of aradDate Studi.es 8Dd Research _ HcGill trDiverai

v,

:in partial.:fUlfilJIent of the requiralents for the degree of

llaster of Aria

Deparbaent of l'reDch Language and Li terature

®

Ursula Schmidt 10/70

1

October 1969

(3)

t-.'

INTBODUCTION

Dans ce mémoire, :Les deux romana de Ctn'étien de 'Iroyes: Erec et !hide (dans la suite appelé Brec 1) et Cllg~s (dans la suite appelé rués 1) consti tueront le point de départ pour une étude de leurs mises en prose , la cour bour~nne au. xve sikle. Les références aux textes de

Chré-tien se rapportent aux éditions de Mario BOQUES et d'.Al.exandre MICHA chez

Honoré Champion. Les IISIIIlSCrits des traductions sont aentiODDés dans :L'inventaire établi entre 1467 et 1469 pour 18 bibliothttque de Philippe le Bon sous les titres de L'Histoire du noUe et vaillant chevalier Brec (dans la suite appe1é Erec II) et Le Livre d'.A1exandre de Constantinop1e et de Clig~s son fils (dans 1& su.ite appe1é Clig~s II). Wendelin IOER-S'rER las a publiés dans sa premihe édition (vol. 1. l.B84 et vol. III, 1890) de Chrétien: Christian von !!royes: saeatliche Yerke. CoIIDe les textes de Chrétien sont connus, je .e restreindrai' quelques considé-rations générales sur leur contexte historique et leur fond artistique.

L'engouement pour les contes artburiens commence k l'époque de Chrétien et ne faiblit jamais jusqu'" la fin du Moyen .Age. Une réalité poli tique jusqU'au XIe si~cle, les stzuctures de la chevalerie coJaElllcent l. dev~ nir des formes assez rigidas déjh.

IL

l'époque de Chrétien pour devenir plus protocolaires l 1& cour de Bourgogne. La fonction du chevalier ne

(4)

,

se caractérise plus uniquement par une seti vi té poli tique, mais l' esprit des croisades et la splendeur des toumois ont crée \Ul8 institu.tion styli-sée, qui p8'.1t porter une teinte religieuse, éthique ou sentimentale. ldIae

dans la prem:im littérature artbur.l.enne française, l'idéal proposé s'éloigne de la réalité. Cependant Chrétien parait disposer d'une vaste expérience pratique et ln1uine: l'idéal chevaleresque dan& ses po\::es se coDfo:œe

l

la. doctrine courtoise de son milieu, la cour de Cbampague. Jrais le po~te n'est pas dupe de cet idéal élégant.

n

raconte avec

luci-di té les aventu.res de ses héros. mais i l a assez de souveraineté pour ex-poser les contradictions' l'intérieur des exigences courtoises. Chrétien prétend ne pas inventer. J!)1 fait, i l s'inspire des aventures purement

lIB.l'-rativ~s des jongleurs et leur insuffle l'esprit courtois. Hais, loin d'être une simpl.e iBitation, son oeuvre est original. Faute d'une longue tradition littéraire en langIle wlgaire, Chrétien est obligé et libre de créer. Conscient de son originaH té, i l est convaincu que ses contes se-ront lus "tant con durra cresUantz" (Erec l, v. 25).

Le prosateur n'a ni cette liberté Di une conscience d'artiste. Il appar-tient probablement au grand nombre des clercs t1la cour bourguignonne, qui copient ou dériment les vieux po~es. Il exécute des dérimages sur coa-mande, sans ambition de faire du neuf. - Pourquoi traduit-on les vieux contes?

n y

a d'abord des difficultés de langue. Le vocabulaire et

(5)

l'ortho-,

graphe ont changé. La fOIme riJée paralt artificielle, tandis que la prose donne plus de vraisemblance aux histoires. Dl outre, les ducs font des

COB-mandes de "translations" pour des raisons politiqueB& Les aventures sont une sorte de miroir pour la noblesse, qui aime se voir elle-m@me dans les héros. L'art sert comme .,yen de préserver le prestige de l'aristocratie. L'artiste joue un rOle secondaire, et Pimportance du patron est lIIise en ~

lief. Les textes bourguignons sont toujours respectueux. Le duc favorise la littérature qui flatte la famille ducale et surtout le duc même. A cet égard, mtlme les "translations" présentent un sujet d'étude précieux, car elles sont un reflet fidMe de leur lIilieu.

Quel est ce milieu de la cour bourglÜ.BPOnne? Au XVe Bi\cle, elle surpasse la cour royale de France en Magr'; ficence, en gloire et en culture. La maison

de Bourgogne est issue de la maison royale française: Dans la deuxilmle ba-taille de la GUerre de Cent .Ans à lIaupertuis-Poitiers en lY.)6, Philippe, fils de Jean le Bon, sauva la vie de son p\re. ComRe récoapense de son courage, le prince reçut le duché bourguignon. SaD al} j suce avec les

riches villes flamandes lui co~ un caract\re particulier: De la France, les ducs tiezment leur intérêt aux arts, l'argent des marchands flEIIIIBnds leur permet de cultiver cet iDilér~t. Malgré leur rivalité avec la France, les Bourguignons se consid\rent bons Français. Chastellain, chroniqueur de Philippe le Bon, se dit "affecté , la loenge de la I18Ïson de :aourgoingne"

(6)

,

mais insiste qu t il est "Prancbois ••• de D8Ïssance et exal teur de la

Da-ciano et assure qu'il De "laisse point l. estre bon Francbois" (1).

Le duc Philippe le .Bon est un graDd patnm des arts. Ceux-ci sont aYaDt tout un omement de la vie et des :Œtes oh Philippe "se donnaj t en speo-tacle au. lIilieu de tant de b&tards et de bltardes, de jolies aa.ttresses et de bons compagnons conteurs, de hardis chevaliers prompts l. descendre sur la lice" (2). Le spectacle veu.t prouver que c'est en Bourgogne que l'OD trouve la société la plus courtoise, les cheValiers les plus vail.-lants et le souverain le plus adJDi.%é d'Imrope. Dans ce mi.l.1eu., les arts servent le mêse but. La création artistique libre est rare. L'écrivain n'écrit guà-e par un besoin intb:ieur.

son

"Étier" peu.t s'apprendre;

tr~s souvent c'est une tAche plut6t qu'une vocation.

La littérature de ce milieu exce]]. par sa variété et par sa quantité plutat que par son originalité. L'Age de Philippe le Bon a été appelé

l'Age d'or de la littératare bourguignonne. Des ouvrages de la plus grande variété figurent daDs la biblio~ue ducale. En 1420 on y trouve 248 titres. L'inventaire établi l. la mort de Philippe·le Bon en 1467 comprend presque 900 wluaes. Il y a des ouu-ages en fi auand, en latin et en hsnt allemaDd, quelques-uns en anglais, portugais et italien, mais la plupart en sont en :français. La diversité des sujets

(7)

,

est étmmante. La bibliographie descriptive révUe que les volumes les plus précieux - du point de vue matériel - sont les "livres de cbapelle", c' est-!l dire les Bibles et les liv.res utilisés !l l'o;f;fice divin. Dtautres voluaes dans la collection sont des ballades, des poses d'occasion, des chroniques, des traités théologiques, des écri. ts géographiques,

miJ.i,-tairas et pédagt>gi.ques, des récits de '90~, des 1'OIIBBS co.le Le Peüt .raban de Saintré, des encyclopédies et enfin les "translations" et

1'811&-niements de romans arthuriens ancieus.

tiOaIIe on peat conclure du genre des lives et des titres, les ouvrages didactiques et les imitations premumt la premi\re place. un live est considéré précieux JlOIl pas Décessai.re.urlt 1 cause de son contenu.

Celui-ci est plus ou lIOins comm de toute ;façon. Si lUl sei&Ueur reçoit un live comme cadeau, son attention se porte d'abord sur la reliure dorée,

puis sur la calli.graphi.e et les en1Dl!jngres. AiDai ltintérêt matériel prime l':intérêt intellectu.el. Les ouvrages qui sont vra:i.ment lus. sont les remaniements du cycle a.rtlmri.en. Philippe le .Bon mbe en est

passiou-né. Il aime ;faire figure d'un autre .Artbur et l.'imitaticm des ;fomes est

:fid~le. ~ependant, la dépendance personnelle des liens ;féodaux qui, dans les poèmes de Chrétien, constitua encore un élément essentiel de la che-valerie, ne ;fait plus partie du systl.e politique ou chevaleresque en

(8)

,

,

7.

BOurgogne • .ues lie!lS plus :Corts entre le seie;neur et ses suj~ts flamands . sont les rapports économiques. 1'l8is l'idéal courtois n'est pas encore ré-é'9alué selon ces nouveaux critb-es. AU contraire. un attachement passioD-né aux :Comes courtoises caractérise cette

dernim

grande époque de la chevalerie • .ll'J&is le chevalier modexne, au lieu de s'interroger sur la qua-lité de ses actes ou son méri.te personnel. tend l ":Caire l'inventaire de ses biens et lh) en calculer l'intérêt" (3).

La vie culturelle tombe au. Diveau dtun jeu de société. Ce jeu s'oppose h. la réalité violente et ClUelle. Afin d'y échapper. on se cache d81"-ril!re la masque hérofque de Lancelot

ou.

COJIIIIe YVain, on se :Cai t

accoa-pagner d'un noble lioD. Les concepts d'honneur et d'amour courtois, pris au sérieux mais traités &yec cba1'De au .Alle sil!cle, paraissent toujours

compris dans un sens absolu et rigide au ne sil!cle. Poussé par le

0.-soin de donner l'illusicm d'un ordre, on établit un cérémonial exact pour les tournois et les joutes. "Des limites précises sont imposées aux gestes bérofques; les dames retiennent leurs champions avec des

ru-bana de soie. i'I1&le les costumes ont été soigneusement prévus par l'éti-quette ••• La cour qui se réunit n'est plus la libre réunion d'indivi-dus indépendants et souverains" (4). Tout cela ressemble ~ un théâtre, ob les acteurs, en jouant leur rOle contimlellement, se convainquent

(9)

,

eux-mêmes que leur rOle est leur vie réelle. Ce D' est plus l'aspiration

ardente des Cl'Oisés vers un idéal. Les Bourguignons :imitent pluiOt les costumes et le langage de leurs modl!lef.l; mais une véritable SÏJl~rit-é est rare.

Cette belle iIIage d'honneur et de verbl chevaleresques force l'admira-tion de toute l'»u'ope. Les plaisirs de tab1e, les parties de chasse, les danses, la gaieté ont été comparés l la Renaissance italienne. Hais

i l nous reste toujours l'impression, que la spcntaDéité en est absente et que l'on veut doxmer l'impression que toute "extravagance (is) Sll~ jected to SOIle higher purpose"

(5).

Prenant COIIIe point de départ les deux romans de Chrétien et leurs

tra-ductions bourgujgnonnes, ce mémoire étudiera quatre aspects de la litté-rature artburienne au. xve si~cle. Le style d tun ouvrage médiéval pemet de tirer des conclusions sur le milieu de l'exécution littéraire et sur l'attitude de l'écrivain vis-k-vis son oeuvre. Le deuxi.lme chapitre po-sera la question, si la classe chevaleresque remplit toujours une fonc-tion dans la vie pratique et comment l'éVOlufonc-tion personnelle du cheva.-lier du xve si~cle difftœe de celle du cheValier du XIIe si~cle. ~ rapports personnels du chevalier dans les mises en prose nous permettent de nous imaginer les rapports sociaux l I a cour ducale. Apr~s l'étud~ de la vie chevalere8ql!e~ i l sera utile d'a.jouter quelques réflexions sur la mort, cette dramatique figure, qui hante les espri is du xve si~cle •

(10)

,

LE STYLE

Pour l'holllDe du ne ai~cle, la littérature est un moyen artistique de CClll-lIIUDication qU'il dist:ingue assez nettement de la peinture pu de la musique. A Itintérieur de la littérature, DOUS faiBODs encore la différence entre la poésie lyrique, la prose, le théâtre. Nos études littéraires consistent en vastes lectures, ou la lecture en est au moins le point de départ. Pour la majorité du pIl1ùic médiéval les arts ne font pas l'objet de réflexion pure ou d'une émotion esthétique séparée de la vie de tous les jours. La DOtion

. de "l'art pour l'art" est inconnue. ''L'art" médiéval qui nous reste, les cathédrales et les manuscrits, sont des reliques préd.euses; lII8Ï8 quelle vertu une relique possM&-t-el1e pour nous, si. nous ne DOUS souvenons pas de l'organisme vivant dont elle faisait partie et que DOUS ne soyons pas touchés par l' espri t qui anjmai t cet organisme?

L'étude d'un ouvrage littéraire tiendra toujours compte du contexte b i s . tique et social; mais avant de réfléchir sur la société dans laquelle se placent DOS textes, nous devons tâcher de participer ~ leur exécution.

une

lecture attentive peut nous découvrir le message essentiel d'une oeuvre mo-deme. Mais pour la littérature médiévale "l'instant poétique par excel-lence, ce n'est ni celui de l'inspiration, ni celui de la rédaction, ni ce-lui de la lecture érudite; c'est cece-lui de l'exécution du polme, ••• (la

(11)

••

10 •

Les circonstances de cet "instant poétique par excellence" n'étaient pas les m@mes , la cour de Champagne au XIIe sikle et , celle de Bourgogne au

rl

si.~le. Quelles en sont les différences et' COIIIIlellt peuvent-elles con-tribuer h l'interprétation de DOS ouvrages? La différence purement

tech-nique de nos textes est éndente: ColIIDe la critique moderne l'a observé, les po_es de Chrétien se cOliposent de deux parties. Ils SOl'lt écrits en o~

tosyllabes 'rime plate. La trachlction, par contre, est en prose et divi..-sée en nombl-&uses rubriques dont les titres annoncent le conteml du

cha-pitre Sllivant. Cet aspect extérieur nous doDne déj' une idée de l'exécu-tion: L'octosyllabe de Chrétien se soumet aisément au chant ou au moiDs ,

la lecture chantonnée. Les subordonnées nombreuses et inégales de la prose

du XVe si~cle ne s'adapteraient que difficilement h la IIIl8Ïque. Les vers relativement courts terminés par une rime se graveu t facilement dans la mémoire de l'auditeur du XIIe si~cle, tandis que les phrases interminables des traductions se prêtent moins ll. la déclllllation publique qu" la lecture solitaire.

Les po~es se divisent en deux parties et c'est d'ailleurs l'auteur lui-même qui le dit: "lei fenist l i premier vers" (Erec l, v. 1796). CoDDe les deux lignes suivantes résument bri~vement ce qui précMe, nous pouvons supposer que ce début du nouveau "vers" correspond h une nouvelle session de décla.-mation. La partition est similaire dans Clig~s 1. Aux vers 8/9 le po~te

(12)

an-I l •

DOIlCe "Un DO'Yel conte ••• / I)'uu vaslet qui en Greee

:ru.,

mais c'est seule-ment au vers 2342 que ce "vaslet" 'mit le jour. Pour confil'ller que c'est bien lui que l'on attend depuis deux llille vers et qui sera le béros du conte, Chrétien COlllllel1ce le demœe "vers" par l'affiDlation que

Ce est Cligés en cui lIleIIIOire

J\l mise au roll8l1S ceste estoire. (Cl.i:œs l, v. 2~H6)

Ces deux lignes doivent suffire COUle introduction aux quatre mille vers qui SIlivent. - Le texte en prose est beaucoup plus frapenté. Les

DO.

breuses seotions sont précédées par des rubriques qui résuaent les éYéD~

mente du chapitre suivant. Les rubriques facilitent au lecteur la COIlpr&-hension et l'avertissent d'un changement de scme ou de personnages. L'a.-pect de la page écrite nous pe:œet de conclure que les contes n'étaient plus ohantés en doux ou trois soirées, mais qU'ils étaient lus par petits

bouts.

Comment donc imaginer l'exécution, cet "instant poétique par excellence"? Le polmae de Chrétien est chanté ou lu ~ haute 'mu devant une assemblée de chevaliers et de dames h la cour champenoise. L'événement D'est pas purement intellectuel: le rythme :t'ait également appel aux émotions et donne libre cours au rêve. La mesure du rythme répoDd-elle h la Ilesure

dans la conduite? - La déclamation est aussi lm événement social. C'est

toute une cour élégante qui se laisse fasciner par les aventares des héros,

(13)

12 •

dont la conduite est motivée par le code courtois. Ce public IIOndain p~ ticipe , la narration avec son intellect, ses émotions, son imagiuation • .AiDsi l'exécution de la littérature courtoise réclame la participation de l'homme entier, ce qui correspond' l'idéal que l'au.teur propose: C'est le développement e~ la perfection de toutes les facultés humaines: le cheva-lier courtois atteint la perfection physique par le combat et les sports rudes; mais i l ne peut parvenir , la perfection morale sans être animé par l'amour d'une feIIIJIe. Puisque le COllbat l'élOigne de la femme et que la pré-sence de la femme l'empêche de COllbattre, i l risque sans cesse ou de perdre la bien-aimée ou de devenir recréant et ainsi de cesser de mériter l'amour de la femme. Par la contradiction h l'intérieur de ces deux engences il se trouve continuellement en état de tension. C'est cette tension mtme qui ne lui permet pas de se reposer ou de tomber dans la léthargie d'une vie

confortable.

Le héros du ne sil!cle est.-i1 aussi totalement engagé que son ancêtre cham-penois? Ses aventures captivent-elles de la m&1e façon l'intellect et le coeur de tout un public mondain? - Le biographe de Philippe le Bon nous apprend que son "trl!s renommé et trl!s vertueux Prince ••• a dl!s longtemps accoustumé de journellement faire devant lui lire les anciennes histoires" (7). L"6 lectures de romans journalil!res d'un prince pris par une vie poli-tique active ne peuvent gul!re dépasser quelques pages. Ainsi la fra@llenta-tion en chapitres nombreux avec le résumé des rubriques est pratique, mais

(14)

la littérature court le risque de se réduire l une siçle narra;tion div81'-tissante. AIl cours d'Ulle lecture constaJlllleDt interzompu et reprise, le lecteur peu1;-il encore sW.ue l'é'YOlutioD

chl

caractbe des héros? Une

ana-lyse plus détaillée de la. "conjointu.re" DOUS JIIOIlt:rera plus tard que les

épisodes De sont plus intiJaement liéa l'Ull ll'autre et que la s:ip;fiaP tion d'un éWnEllent De s'explique plus par ce qui suit ou pré*e. Lee courts chapitres en prose constituent des aTenturea presque ind:hiduellea, ila De foment plus UJ1 organisae vivant oh la fonction de c!Iaque 1l8llD.re

est Décessaire l la vie des autre ..

l' .

Cette désintégration relative s'observe BDSai daDa le lIIil.ieu et dans la technique de l'emcution. La mise en sche de DOtre poSe champenois était un ef.fort collectif: Pour faire revine les faits des preux, la présence et la collaboration. d'un grand public était mécessa:i.re. Le public boU1'-guignon des l'OIlaD8 artbu.r:i.ens est restreint: peu 1;-être le duc se

trouve-t-il seul l écouter ou l lire danô sa chambre aTallt de se coucher. Les longues phrases n'~ent pas ses sentiments, les paroles sans r,ytbae

1111-sica! De fODt plus Daitre d'émotions. Elles exigent plutOt une concentration intellectuelle considérable. La dissociation du texte de la mélodie s'était amorcée plusieurs sillcles auparavant. "Quelle que soit la cause tecbnique de ce processus, 11 semble avoir été originellement propre h la France et

(15)

14.

vitale (par la musique) de Pexpresaion rationnelle lpar la parole). Ses

premi~res conséquences sont l'émergence de genres littéraires récréatifs destinés l la seule lecture, et d'autre part de la musica Bine littera"(8).

''Llinstant poétique par excellence" a donc radicalement

chaIJ&é.

La création

qui engage la personnali té colllpl~te dans un contexte social a cédé la place

~ une expérience individuelle qui engage surtout ~ :faculté de llhollllle: sa raison. A la cour de Champagne le chanteur agissait et le public ré-agissait en même temps. Comme la lecture soli taire dans le palais bourguignon est lm

p1'OcesStls intellectuel. et non pas éJDOtif h la fois, le lecteur lit sana ré-agir immédiatement. Le silence qui l*entoure favorise la réflexion et DQIl

pas Itaction. Tandis que son aptitude de réfléchir et de penser est inteD-sifiée, le rOle des autres sens di.imle. A l·hoDlD.e complet du XIIe aikl.e

succ~e un "spécialiste", qui est avant tout un intellectuel. - La

sépara.-tion de l'intelligence et des éll1Osépara.-tions aura-t-elle des effets sociau%. et psychologiques? On semble avoir observé que "litera te man undergoes DIIlCh separation of bis imaginative, emotional, and sense life" (9). Si l'intel-ligence n'est pas entravée par les sentiments, elle a certainement plus de liberté. Elle calcule froidement, ce qui n'est qu1avantageux du point de vue pratique. Sans ses inhibitions sentimentales, l'holDlle utilise des moy-ens efficaces sans trop se soucier d 'honneur personnel ou d'un code social. t:ette nouvelle libération des attachements personnels lui permet d'avancer

(16)

plus rapidement dans sa carri~re, surtout dans une carri\re politique. Le plus grand honneur du vassal ne réside plus dans la fidélité personnelle envers son seigneur, ses compagnons ou sa dalle, mais dans l'avancement de sa position ~ la cour.

Au ne si~cle, donc, le sens pratique prime l'idéalisme. CoDDDeJlt alors ex-pliquer l'abondance de la littérature arthurienne dans la bibliothl!que de Philippe le Bon? N'étai t-elle qu'un amusement? Le tenne "amusement" est peu t-être déplacé dans un milieu o~ la condui te sérieuse et cé:rémo.ui.euse est scrupuleusement observée. Il paralt plutOt que certains individus aient pris au sérieux les héros arthuriens - trop au sérieux peut-être. Pareil ~ l'exécution de la littérature arthurienne qui s'était détachée du contexte social, Pidéal chevaleresque s·était réduit h une abstraction. Lthistoire de Jacques de Lalaing montre que cette abstraction était

ca-pable de fomer 1 tin telligence et la candui te sociale et guerrlâ-e de quel-ques inàividus exceptionnels (10). Quelle est la source des hauts faits de ce jeune héros? Est-ce une énergie intérieure qui déborde et le pousse h

chercher l t aventure inconnue"? .Nous avons plu ta t l'impression qu'il se

sou-met h un code extérieur rigide pour sauver le prestige de la classe cheva.-leresque • .11 doit se rendre compte de la distance qui sépare sa vision de

15 •

la réalité sociale et, il doit surtout ~tre conscient de sa solitude. Car

i l est partout accueilli avec politesse, mais rarement on veut jouter contre lui. Bien qu' admiré, il n' est gu\re :iai té •

(17)

Cette évolution des contacts sociaux et guerriers des COIIbattants est ana-logue h celle de l'œcu.tion de la littérature. A S88 débuts, la littéra-ture courtoise clJamajt les illagiDatioDs de toute une société. C'était la participation active d'un public élégant. les discussions animées d'un

e&-prit de quête, qui lui con:réraient sa véritable vie. C'était la . e verve qui était h l'origine des tournois: les jeunes gens coabattaient afin de se défaire de leur énergie débordante. Et la littérature et les tournois étaient un effort inspiré par la société et ils avaient besoin de l'appro-bation de cette société. Parei.ll1.Jacques de Lalajng qui a des difficul-tés h trouver des CO'Dp'I&I'ODS d'ames, son contemporain qui lit reste seul

dans sa chambre. Les contes l'instruisent S8DB Pinciter l. l'action; ses

talents intellectuels s'épauouissent, mais ses sentiments rabougrissent.

Apr~s ces considérations générales sur l'exécution, tAchons de voir quelles tendances de l'époque se laissent découYrir dans la phrase et dans le

v0-cabulaire. - Quelle est notre prem.m Ïllpressian de lecture du texte

bour-guignon? Dl quoi d.if~re-t-e1le de celle que DOUS doDDent les polmes de

Chrétien? Le rythme des vers de Chrétien para1t naturel et presque ana-logue au rythme du style parlé. La langue est assez "française" pour être acceptée comme langue v.i.vante. D'un autre cOté, elle diff1uoe tant de notre langs..!e contemporaine que nous Pabordons CODile une langue neuve. Le voca-bulaire du XVe si~cle par contre ressenble au nOtre et nous tombons facile-ment dans des pi~s li.nguistiques. La phrase sinueuse demande en outre un

(18)

17 •

effort de concentration auquel seuls les latinistes sont habitués. liais i l

faut abandonner notre point de vue moderne et consulter un contemporain du prosateur.

un

de ses coll\gues DOUS dit qU'il s'efforcera "d'ensieuvir la matiere, laquelle (il

a)

priDse et translatée d'anchiennes histoires

ry-Ées j8d:i.z et réduitte en ceste prose, pour ce que au jour d'huy les grans princes et autres seigneurs appetent plus la prose que la ryme, pour le langaige fFY est plus entier et n'est mie tant constraint" (11). Par le

"1angaige qU1" est plus entier" l'écrivain entend des constructions de phrase complexes, l'abondance de longs adjectifs, l'8IIiplification par les synonyaes. Si notre traducteur s'excuse pour son "rude stule" (Etoec

nt.

p. 253, 1. 6) ou son "dur et mal aome langaige" (Clig~s

n,

p. 2B3~ 1.

9),

i l se rend compte q~'il ùevrait t:ilcore amplifier l'expression.

C'est la grande rilétorique qui s'élabore dans la littérature bourgui8llODlle et qui marque la fin de la tradition courtoise. George DOUTREPONT appelle ce style pâteux le ''mal du si~cle et de tout le si~cle" (12). C'est le ton

typique de Chastellain et nous le trouvons jusque dans la poésie. Choisis-sons quelques exemples de nos traductions:

(Guivret) dist qu'U ira apres et se fait legierement armer de bau-berg heaulme et de hamas de gambes, puis monte sur son bon destrier et lors qU'il a l'eaou au col lance ou poing et eapee au coste • i1 i.st de sa maison et pour adeuancier Ersc s'en va par les adresces tout seul.

(19)

18 •

Lors s'en est Alixandre reuenu a la premiere porte et y treuue plante d'o.es d'ames lasses et recreana • il.z crient qU'ilz soient mis de-deD8 et atant veci. '9Ilg des portierz qui pour sauuer sa vie se .est a

geaoulz audewmt dt Alixandre et lui dist que s

'n

le "eu! t recepuoir

a .:rci i l trouuera moyeR par lequel. i l ~ liurera. toux lez cbief'z

de ceul.x qui. vouldront entrer ans.

(Cl.iè

n,

p. 299, 1. 42 l p. 300, 1. 1)

Carment s'est opéré la t:œllsfomation des ~es br\ves de Chrétien. en ce style qui se veut "aomé''? Si le style de Ch2'étie:l. nous parait "naturel", n'oublions pas tout de m&1e que les chevaliers de son époque ne défiaient pas leurs muani s en octosyllabes. Chrétien se soumettait b. des r~es

strictes, et son style n' est pas .oins étudié que les figures compliquées du XVe sild.e. L'élégance dépouillée de 1& premi\re littérature courtoise se retrouve daDa les autres arts de l'époque, p.ex. dans les vêtements et daDa l'architecture goth:i.que, qui est encore harmonieuse et fonctiollDelle. Avec l'essor de l'économe, un plus grand nombre de gens influence la. création artistique. L'art ne sert plus la glorification d'un idéal - que celui-ci soi t un idéal de classe ou un idéal reli.gieux - mais la glorification de quelques patrons. Nous pouvons observer le penchant d'exhiber le luxe. Au

lieu d'être l'expression d'une vision idéale, l'art veut faire une imeres-sion sur le spectateur. Ces tendances sont cOIIDIUlles ~ tous les domaines de la vie, y compris la littérature. La grandiloquence est donc recherchée en Bourgogne, mais naturellement elle est aussi le produit des ci.rccm.-stances littéraires. Parmi les influences qui y ont contribué nous

(20)

découv-•

19 •

Z'ODS le lat:ïn, langue vivante ml JJoyen Age. Des latiDismes se trahissent Slriout daDa les parties mralisantes. PaDti les injures qu t Alexandre adresse au co.te GuiDesores va.iJ!ca, i l lui reproche le

grant nombre de (ses) mallefices • qui es cause de la destruction et perdicion du grant pueple qui aujolU.'dhui pour et a cuse de (son) irraisœmable propolz furnir a este execute et mis a mort apres plente de son SaDg gspandu.

(Cligtls U. p. 301, 1. 3-5; je souligne)

La demim formule semble la traduction d'un ablatif absolu latin. Les ~8 souljgnés illustrent la manie d"'oDler" le style; ce sont

SIU'-tout les llOIDS et les adjectifs qui servent l1 enfler la phrase, mais daDa

notre exemple DOUS avons mêae deux ~s de locutioDa prépositives: "POur et a cause". Ces syno~es sont caractéristiques du "style cru.r.ia1" (13) J le style de chancellerie au Moyen Age. CoIIIIle notre traducteur

t&-Dait probablement la position d'u clerc, il. était en contact continuel avec cette langue cérémoDieuse. Faute d'une lonaue tradition l i tt3rai.re

narrative, il était normal que les deux styles écrits - le latin et le style curial - exerçassent leur influence sur la prose :narrative.

Si la fol'llle est le message, comment le message de la nouvelle prose se dis-tiDgu~t-il de celui des compositions du XIIe si~cle? Comparons deux

pa&-sages analogues d'Erec. La britlveté des phrases de Chrétien laisse au lac-teur le soin de tirer ses propreD conclusions. Il est invité l participer activement aux conversations des héros •

(21)

- Be sai; De sai; ce dit. chaSCUJ18,

•...•...

bien resanble vaillant vaasal; _ l t est bien :res et biell tailliez de braz, de jaDbes et de pies.

(Brec 1, y. 765; 770-772)

lies ils De le SceueD.t conpoistre si adiugent et depo88llt a la clispoBicion qu • ils 'VOient ou co1'ps de clJena1 i er • qu'il a boJme façon qu' i l est de bon hostel et qU'il est bien pour

eDpO%'-ter

l'espriuier.

(Brec II. p. 257, 1.

38-40)

Le prosatear emplace les boia propoai. ticms iDdépendantea de Cbrétien par 1IIl8 phrase coçlue fi plusieurs subordormées. La traducüon. &Il lieu de

DOUa COD1'roDter d.UecteaeD.t aftC la si.tua.t.ion, DOua présente les conclu-sioDs. Le ca.ractl!re de 8I1ccesaion logique est. SOu) j gné par le pléODape

"si aàui.gent et deposent a la disposic1on". La prose est plus rati.oDnelle

en ce sens qU'elle reDd en ordre logique ce qui éta:l.t plut8t elliptique daIls les pzopos des spectateurs daDa le po_e. Elle cherche l faire l1Il8 impression solennelle par une conatru.ction élaborée. liais dalla DOtre

exemple, l'~tue est encore gauche et les sabordoaes ne 80Jlt que

des émaaératioDs juxtapo_es. Le langage sui. t servilement le scbéM la-t:in ou C&lri.a.l et n'ose pas encore aspirer fi la siJllÙicité et , la clarté. Et comaent la s:iJDplici té aurai t-e11e pu titre une verm pour lm public qui

tenait l se distiDgaler cbl COlue",? A une cour ott chaque ges'\~ étp~t COD-uelé, le ton grave et digue est proche de la langue parlée. SOn appa-rente COIIplexité imite la "8gnificence et le formalisas du milieu. Les

fomes émdi tes de la prose 8IlIlODCeBt le

me

si~cle, IlBis l ' esprit est

celui d IUDe époque qui s' accroche avec inquiâtude au passé et qui se

(22)

21 •

tifie par l.Ule fidélité exagérée envers ses mod~les dans toutes les disci-plines: La philosophie du ne si~cle devient plus "scolastique que st.

'lbo-mas même, quand elle définit le sens exact des textes du. philosophe; les chevaliers bourguignons iJIIi tent les merveilleuses ~tes, que les preux du XIIe si~cle n'ont jamais célébrées; la lS1l€.ue se charge d'omements qui

Slll'paBsent de beaucoup les modèles.

Le ton léger et enjoué de Chrétien ne convient plus ~ ce public sérieux qui se sait aristocratique et intellectuel. "Seule la prose, avec la len-teur, la simlosi té de sa syntaxe, les ramifications de ses subordoJmées, peut suivre le secret cheminement, les tâtonnements des arri~r&-pensées, ou le complexe enchatn.ement des événements" (14). Le monde para1t se di.-versifier II l'infini aux yeux des hoDIDes, et cette com:plexi té ne se laisse pas enfermer dans la forme li.mi tée d'un vers poétique.

Si cette aristocratie a tendance h ratiociner, ses mouvements aussi sont réfléchis. Bien ne pouvait refroidir le dynamisme des guerriers de Chré-tien. M@me les jeunes filles de son époque sant poussées par une énergie intarissable, qui ne les laisse jamais se reposer. Ltempereur allemand

Manda sa fille isneleman t.

La pucele ne tarda pas; El pelés vint eneslepas •

(23)

22 •

L.e choix des mots "isnelement", ''ne tarda pas" et "eneslepas" trahit une ÏIIlpatience d'agir qui est rare dans les traductions. La jeune princesse du ne si~cl.e ne se hâte aucunement. Au contraire, consciente de sa dignité, elle cont~le ses mouvements et parait accompa.gnée de sa suite: ''Lors f'u

Fenice amenee deaant son pere reluisant en tant d'exellente beal1lte ••• "

(Clig~s

n,

p. 305, v. 22/23). Le mèBe fonualisme s'étend. jusqu'aux

senti-ments. Lorsque l'Alexandre de Chrétien part de Constantinople, ses parents et les nobles,

Por ce que il. puissent mialz et plus longuemant esgarder,

S'an vont tuit ansanble monter Lez la marine an un bau t pui.

Leur regret trouve son expression dans l·action. leur activité ~sique ne semble jamais les fatiguer. La tristesse dans la prose parait sentimentale et statique. Les parents dt Alexandre

le colUlOient a grosses larmes. jusques au.x dicques de la mer ••• Et

dient plus de cent mille fois adieu mon filz • adieu mon fi1z et au

desrenier adieu.

(Clig~s II. p. 285, 1. 11-14)

.Au lieu de se hâter vers une colline, le couple impérial se sert d'un moyen plUS intellectuel pour communiquer leur douleur; ils parlent, et en

abondance: "Et dient plus de mille fois ••• "La répétition du terme "adieu" témoigne du goQ.t médiéval des inventaires, oh la quantité

(24)

l'em-•

porte sur la qualité. Le styl.e DOIIiDal. qu'exige 1& peinture de la situa-tion, SIlpplante les verbes qui étaient nécessaires pour traduire la vie

JDOUvementée du me sillcle. Pour reluiUsaer le lustr"it de cette peinture st&-tique, les substantifs sont lIWlÏS d'épithl!tes. Cell.es-ci. ne qualif'ient mr mmement le substantif: Quand Alexandre "pose deuant son DOble cuer la tres exellente beaulte" de Soredamors . (Cligl!s II. p. ~, 1. 34), le but des

ad-jectifs est d'allonger la phrase et de souligner l.'i.mpression de perfection formelle.

Chez l.es amoureux de Chrétien~ "l.a plainte (est) granz" (Cli@s 1. v. 606), tandis que leum successeurs bourguie;JJODS sont toUlmentés par "d'J'Dagina... cions diuerses et pencees llelancolieuses" (Cligl!s II. p. 288, 1.

45).

Ainsi

l.es nolIS et adjectifs polysyllabiques~ qui traitent SQI"tout les idées et les objets, caractérisent toute la prose dIl ne sï.l!cle. Le choix des mots éclaire le ~e de la noblesse: A l'époque courtoise par excellence, au.

xn

e sikle, la société commence h. se stabiliser, Daia le DOuvement

spon-tané reste son critllre. C'est toujours par l,tac:tion que les héros expriw.ent leurs sentiments et qU'ils méritent leur gloire. La noblesse de lburgogne ne devient pas, elle ~ EUe n'est gu~e poussée ~ acquérir sa valeur, mais ellE: est ple:iïl.ement consciente qu t elle la pOSB~e dlls sa naissance.

L'absence d'activité spontanée se constate aussi lorsque nous examinons le rapport entre l' écri vain et ses personnages. COIliDent se trahit l' attitude

(25)

24 •

de l'auteur vi.s-A-vis sa création, quand il fait agir et parler ses person-nages? Quel point de 'VUe nous est présenté: celui de l'écrivain seulement ou, si l'on peut dire, aussi le point de vue des personnages qui peuplent les contes? - Les événements s'ensuivent-ils "naturellement" les uns des autres ou leur suite para1t-elle forcée? Les personnages de Chrétien se

meuvent avec tant de liberté, que seulement le lecteur attentif s'aperçoit de la cohésion subtile des événements. Le style des traductions est plus compliqué; est-ce un signe que l'intrigue est devenue phls subtile? COlI-parons un bref passage d'~ Apr~s un long combat violent, Guivret le Petit se déclare "Oltrez et conquis" Cv. 3829). Les deux adversaires sont en train de prendre congé l'un de l'autre:

Li uns l'autre baise et acole; onques de si dure bataille ne

:ru.

si dolce dessevraille, que par amor et par f'ranchise chasctms, des panz de sa chemise, trancha bandes longues et lees, s' on t lor plaies an tre bandees. (Eree I, v. 3900-06)

• •• et apres le congie pris en bonne amour procedant apres la mortelle et cruelle guerre ils

se departen t.

(Erec

II,

p.

279, 1.

11-12)

Chrétien sait nous donner l'impression de simplement observer ses persolL-nages. I l ne fait que nous raconter ce qui s'offre 1l. sa vue. Comme la

ré-ali té quotidienne ne se compose pas uniquement des grandes idées, Chrétien ne dédaigne pas des détails comme les "bandes longues et lees ••• des panz

(26)

25 •

Guivret et Erec dans la traduction éprouvent peut-être la m&1e tendresse l'un pour l'autre. mais l'écrivain ne nous dit pas comment ils l'expriment. ''Le cong:i.e pris" est une fol'lll1lle neutre, qui se laisse appliquer pour une époque ou un milieu social quelconque. Elle ne nous laisse r.ien deviner de la "dolce dessevraille" trlls personnelle oh "li uns l'autre beise et acole". La "bonne amourtt

, elle aussi, est un sentiment assez ordinaire. Pour le

lecteur du ne si~e, elle peu.t simplement signifier que les adversaires ont décidé de faire la paix, parce qU'ils sont épuisés. ''L'amour'' au. De sikle se réduit souvent li un sentiment conventionnel qui est S1DO~e

d' "absence de haine". Il n'implique pas nécessairement les gestes amicaux qui proviennent d'un profond respect mutuel.

Ce bref passage éclaire le premier aspect des rapports entre l'écrivain et ses personnages. Dans

Erec:

I. les événements paraissent dicter le récit au pollte. Le prosateur va plus loin: i l observe, il dig\re ses observations, parfois i l les met dans un ordre logique, enfin il nous fait part de ses conclusions. Il se pose entre les héros et le lecteur. Par conséquent, aux gestes concrets des chevaliers du XIIe sillcle ~cc\de un récit académique, qui nous infOIme de l'interprétation personnelle de l'auteur. Il ne nous

pezmet pas d'ass:ister nous-mêmes tl. la touchante sc\ne d'adieux; nous ne nous fonnons pas nous-mêmes une opinion des sen timen ts des personnages, mais nous apprenons leur "bonne amour" comme un f&i i; accompli •

(27)

L'éwlution de l'observation directe au. récit indirect est analogue pour le discours. Le discours direct est dans toutes les littératures la fO%m8

par excellence que prennent les points culmjnants. Nous pensons en paroles, et le discours direct est l'expression la plus immédiate de notre pensée. Les idées d'une époque passée deviennent "présentes", lorsque nous les

écou-tons dans leur fome originale. Un au.teur donne l'illusion d'accorder une liberté parfaite ml lecteur et l ses personnages, lorsqu'il les met en

con-tact direct. Seulement un écrivain sdr de ce qU'il a ),. dire permettra cette coJDJIllUlÏ.ca tion ù.i.recte. Quand l'au. teur doute de ses idées, celles-ci ne seront pas exprimées par le porteur de l t action, mais l' écrivain prendra

soin de les formuler lui-même, en y ajoutant des explications ou des

c0m-mentaires. Au ne si~cle. ce sont des indications descriptives ou le dis-c ours diredis-ct qui supplantent le disdis-cours diredis-ct. M&1e quand la prose

garde les paroles directes, elles se distinguent nettement de celles du XII e sikle. Choisissons comme exemple le moment oh Alexandre et ses cODt-pagnons arrivent h la cour d'Arthur. Le jeune prince byzantin offre ses services au. roi et celui-ci s'enquiert de ses origines:

Dom estes vos? - De Grece somes.

- De Grece? - Voire. - Qui est tes peres? Par foi, sire, l i empereres.

- Et camant as non, biax amis'-( - Alixandres me fu nona mis La ou ge reçui sel et cresme

Et crest!anté et baptesme.

Mais ains que tu facez seruice je te prie dy moy ton non • ton

p~s et de quelz marc es tu es yci venu. Hien est raison que

je le die sire dist Alixandre. Je suis natif de Constantinople filz ainsne de monsegneur l'em-pereur mon pere • et est mon nom Alixandre •

(28)

zr •

L'Alexandre "bourguignon" donne les mêmes renseignements dans le même ordre que son ancêtre. Les ~veB questions dans t!lig~s l ne cachent pas Pimpatience du roi. lI!Bis pour un instant, son étonnement est plus grand que sa curiosité: "De Greee?" Alexandre met la patience de la cour , l'épreuve par des interjections "voire", "par foi, sire", dont la seule fonction consiste de retarder la réponse.

~utes ces nuances disparaissent dans la traduction. Les étrangers ne piquent pas la curiosité d'Arthur. 1'J.ais le roi leur demande des références biographiques comme i l en demanderait ~ n'importe quelle autre personne qui a l'intention de le servir. La réponse réfléchie correspond' la ques-tion précise. Un discours en ordre lOgique prend la place du jeu des ques-tions et réponses brllves et parfois abmptes. I.3. longueur des phrases nous fai t croire que les interlocuteurs réfléchissent bien avant de parler, de sorte que leur style parait aussi soigneusement rédigé qU'une charte offi-cielle. Ainsi un dialogue du

rl

aillcle, même quand i l revêt la forme d'un discours direct, n'est pas l'expression immédiate des personnages. C'est ou par l'intervention de l'écrivain ou par les préceptes sociaux que le dialogue spo'ltané s'oriente vers l'énoncé d'un discours élaboré, que nous ne pouvons gullre appeler "direct".

Aprlls le dialogue, suivons le destin du monologue, autre forme du discours direct. Moyen d'analyse Psychologique par excellence chez Chrétien, les

(29)

sil!cles suivants ont tendance ~ l'abandonner. Les textes en prose en gardent quelques-uns, mais souvent ils les suppriment. Le premier mono-logue de Soredamors, assez long chez Chrétien (Cligl!s I, v. 469-515) se réduit

t!.

un commentaire de quelques lignes chez le prosateur. La jeune fille du po~e discute pour savoir ai elle aime; elle réfléchit sur la nature de l'amour sans trouver une réponse claire. Voici. quelques vers typiques:

sa

volantez me fet doloir

-Doloir? Par foi, donc sui je foIe, Quant par lui. weI ce qui I l ' afole.

Volanté don me va:ingne enuis, Doi. je bien oster, se je puis.

Se je puis? Eble. qu'aï je dit! (Cligl!a I, v. 5O~507)

Les exclSllations, les anti-mses et la parataxe caractérisent une époque 28 •

qui cherche une fo:rm.e. et un artiste qui ose mettre en question. A la Sore-damors bourguignonne on refUse même le droit de parler; l'aLlteur nous in-forme

qu telle seroit bi.en heureuse se 'Vllg tel escuier vouloi t incliner son

amour a elle. Non pas toutes voiez qU'elle par pluseurs moyens ne die qu'elle se deffendera encontre les assaulz qu'amours lui fait. car je ne dirai ja qu t elle ne tinst assez bonne maniere durant lez batailles qu'amours et orgueu1 faisoient en elle l'un contre l'aultre.

(Cligl!s

n.

p. 287, 1. 36-40)

Le traducteur craint-il d'exposer au public les déchirements sentimentaux les plus intimes d'une femme? Ou a-t-on tout simplement perdu l'intérêt

(30)

29 •

pour les analyses psychologiques intel'Jl:inables? La Soredamors du XIIe

si.~le s'astreint b. la réserve envers A1.exandre pour ne pas perdre sa ré-putation. Kais en lIèI& teçs elle gagne notre Sl'DIPathie, parce que nous sawns que, JI8lgré sa condui te illpeccable, elle est troublée par des émo-tirms contradictoires. La jeune fille de la prose fait JllGiDs appel Ji notre Sl'JDpathi.e que elle ne force notre adIIiration. Certesl nous SCIIIIles ren-seignés sur les "batailles qu'amours et orguel. faisoien.t en elle", lI8:is les détails ne sont pas révelés. Le prosateur lui. défend de s'adresser di-rectement au lecteur.

n

la pTésente surtout par son cOté extérieur, telle qUg le monde devrait la wir: "elle ••• tinst assez bonne œanie:re" • .Ainsi.

l'écrivain est soucieux de maDDeUTrer des personnages parfaits, SBJlS

insie-ter sur l'effort et la souffrance, qui sont la condi ti.oD. de cette perfeC>-tion. Par les analyses des sentiments, Chrétien voulait nous initier aux lD3Stllres de la personne humaine. Le traducteur manie ses personnages co!llle des marionnettes: C'est b. travers ses yeux h lui. que nous les voyons agir. En résumant le IODg lIklnologue de Soredamors en quelques phrases, i l la rend moins humaine", Elle ntest plus une jP.UJle fille, qui. nous touche par

sa confusion, mais c'est une dame sage et vertueuse, qui. se sOUllet tout naturellement ~ l'étiquette de la cour.

En tant qu' individu, le héros nous fait part de ses pensées par le BIO~ logue ou le dialogue. Par le discours direct, i l se révlüe d lune façon

(31)

im-•

30 •

médiate et ses prob~œes sont posés de son propre point de vue. La prose a tendance l. supprimer l'expression directe et ~es sentiJDents sont montrés

dans la perspective de l'écrivain. Si. les sentiments, traduits par les pa-ro~es, caractérisent p~utOt ~':indiüdu, ~es actions du. héros llédiéval ont surtout une portée 8Ocia1e. Il. y a au .oms deux mani.\res de présenter 1.es

actions et leur effet SRr la. sociétés

- Cœme un chroniqueur, ~tauteur suit ~'itiDéraire du héros, i l porte son

attention sur ~es hau.ts faits et Ilt)U8 raconte ~es événements en ordre plus

ou moins chrono~og:i.que.

- Ou bien, au lieu de mettre en relief le développement linéaire de ~ t ~

tian. l'intérêt peut porter sur ~'effet que ~'action produit sur 1es

té-moins. Ii)l. utilisant ce procédé, l"crivaiD. paraS.t abandonner son propre

point de vue. I~ s'abstient de juger ses héros, I~ les laisse se juger

~es uns ~es autres. C 1 est cette technique qu'A. Franz appelle .~, action. reflétée" (15), car ~e ~ecteur voit ~Iaction du héros non pas directe-ment, mais t~e qu'el~e se re:f'l~te dans ~es ré-actions de ~a société. L'exemple sui.vant illustre "l'action reflétée" chez Chrétien:

(Les pucelles)

totes ansanble le regardent

et de sa grant biauté se saignent; a grant mervoille le deplaignent: ''Ha! Dax! dit l'une a If autre, lasse! Cist chevaliers, qui par ci. passe, vient a la Joie de la Corto

Dolant en iert einz qu'il s'an tort:

...

(32)

Aprés, por ce que i l l ' antande~ d!ent an hauts "Dex te desfande." Li. pl.usor d'angoisse tresslent,

qui plus dotent que i l ne fait

ou de sa mort ou de son lait. (Brec Ir v. 5458-64;

5469=-70; 548&-88)

Erec esphe conquérir la "joie de la cour", liais ni lui ni le lecteur ne sait ce que c'est. Nous apprenons Beulement que la réaction provoquée chez les pucelles est la crainte et la p:ltié. Le choeur des jetmes filles se plaint que jaais un chevalier n'ait eSSÇ'é la. conqu~te de la "joie"

qu'il nli e1lst honte et domage

et Il ' i leissast la teste an gage. (Brec l, v. 5467-68)

Si Brec résussit , l'entr .. y..'"ise, le lecteur pel1.t conclure qU'il est meil-leur que tous les autres. Ainsi "l'action reflétée" dispense l'auteur de nous donner de longs commentaires sur la vaillance du héros. - Le pros&-teur, lui aussi, utilise cette technique:

Bourgois dames et damoiselles regardent la belle conpaignie et entre les aul tres ils clioisissent Erec a sa beau! te, si dient bien en euls mesmes et l'tm a l'aultre que cWJDJD8ge seroit s'un tant beau cheualier aloi t celle part pour conquerre la joie de court.

(Erec II, p. 287, 1. 27-31)

Chrétien avait appelé l'attention sur les plaintes des pucelles, c'est-à.-dire sur l'émoi des personnages qui auront la plus grande compassion pour un jeune chevalier. Le traducteur élargit le public sans pour cela

(33)

appro-•

-.

fondir leur angoisse. Au contraire, en réSUlll8nt dans une phrase les

pa-roles émues des pucelles de Chrétien, i l acco:rde moins d'importance A la "joie de la court". Celle-ci pa:ra1t IJOÏDS menaçante, elle D'est pas lIIl cùm-ger mortel COIIIle dans le pol!me. Celui qui la conquerra D'est plus Déca.-sairemen t le héros unique qui force l'admiration. Les "bourgois dames et damoiselles" gardent plus de réserve que les jeunes filles du me sikl.e. ils parlent à eux-m~es et les uns aux autres, mais ils n'essaient pas de

mettre Erec en garde par des paroles prononcées Il. haute voix. Jdme si Erec l ne se laissait pas retenir par le choeur des jeunes filles, i l

n'ignorait pas leur compassion. Er'ec II sait qU'il é-voque 1& curiosité, il se doute d'une aventure dangereUse, mais il reste seul. Les 'Vill.ageois ont tant de respect pour lui qU'ils n'osent manifester leur peur. Privé cID. contact avec le peuple, i l parait lm prince fier, Dais solitaire. Dl

dimi-DDant l'effet de 11 aventure SIU' le peuple, en conférant plus de retemle

à ses réactions, le tradacteur a al taré les rB:Pports humajns. La distance entre les classes sociales a aUBJlleIlté. Si les gens éproavent de la pitié pour le jeune prince, leur émotion n'ose sumonter les barr.i.ms sociales. La .man:ïllre du transla teur de mettre en scllne ses personnages témoigne que les réactions spontanées sont refoulées aux dépens de la copmm; cation entre les êtres humajns. Une étude de la "conjointure" jettera plus de

(34)

Qu'est-ce que cette "conjointure" chez Chrétien? Cet auteur ne se vante ja.-mais d'avoir inventé ce qu'il raconte; au contraire, i l donne mtme la

"ré-férence" des livres qU'il 1.\ traduits "an romans". Il ne se contente pas de

r~conter ce qU'il a lu ou entendu, mais sa tAche essentielle consiste à

tirer "d'ml conte d'aventure / une molt bele conjointure" (Erec I, v. 13-14). Il utilise le matériel des contes populaires et en compose un univers orga-nique DOl.lVeau, dont les créatures ne sont pas abandonnées au hasard de

quelques aventures décousues. Les héros ont plutOt la possibilité et le d~ voir d'accepter et même d'aller quérir les aventures qui puissent les pe:r-fectionner. Leur itinéraire semble choisi par quelque force m;ystériElllse, car rien ne se passe par accident. La conquête de soi et de l'ennemi par l'aventure est ordinairement ~ victoire personnelle; mais, bien qu'indi-viduelle, elle affecte toujours les rapports sociaux. Quand Erec devient recréant, ses compagnons sont affligés et sa femme est entra.tnée dans sa chute. Car la position sociale de la femme se définit par ses relations avec le chevalier. par un choix très conscient de ses temes, t;lu'étien

ac>-corde ~ la femme un r01e bien défini.

J"e vocabulaire de la prose obéit h un souci de variété, mais il ne nous ap-prend rien sur la place de la femme dans la société. ~ez Chrétien i l est facile de découvrir les correspondances entre l' itinéraire personnel d' »Ùde et le vocabulaire qui traduit son ascendance ou sa chute. Elle

(35)

co.IeDce co.e la "fille" du vavasseur, donc elle ne sable pas encore awir une persoDDalité propre. Une fois qu'ella est pœs8lltée). Erec, elle est appelée "Pucele". Un ~port plus étroit s'établi:' q1l8Dd Brec combat pour elle: c'est afin d'obtenir l'épervier pour "s'aaie" qU'il a cWfié Yder. 8lide s'éUtve au raDg d'une

"dalle"

apr\s 80D mariage, JIBi8 elle déchoit au Biveau d'UBe "faaelt, lorsqu'elle trahit sa plus hante vocaticm: qU8lld elle cesse d'inspirer la vaillance

l

son 1IaI'i, lion

II&-nage

devient UIle union purement légale. La distinction d88 termes cbes Chzétien ne provient pas d'1U1 souci. de varier le style, mais ce vocaœ-1aire sert

l

différencier la fonction de la f'emme. Son Ditateur dia,pose de toute lUle série de SJDO.II1I!e8, qui ne différencient pas les DlJaDces aais paraissent interchangeables. Cela frappe particuli\rea8ilt daDa 1111

passage de cl.i..d!s

n

(pp.

'21-'22),

que le traducteur a ajouté.

Clig\s s'est perdu dans la forêt et i l rencontre une f'eIIme qui tour l

tour est dési8Dée par "fiaB)iselle", "f'eIIIIle",

"daae",

"pucelle", "lia belle BIlie". Le traducteur a eapl.oyé tous ces termes DOn pas pour Ilettire en évi-dence lm changement, liais siapleaent pour éviter la répétition du même

mot. Les QD.OlJ1Dles - qui n'en étaient pas chez Chrétien - sont choisis au hasard. Ils ne marquent pas un état défiDi de la feauae; en conséquence, ils ne peuvent refléter une évolution de l'être humain. Cela

signifie-34 •

(36)

l'UDi-•

vers du Xye sikle en Bourgogne ait perdu tout pomt de repb iJltériear. La

désiD18:tiOJl pour Eaide 1 correspondait toujours

l

la réalité des relations sociales ou personnelles. La pauvre créature perdue dll conteur bourguignoD semble ignorer elle-mêlae. si elle eat "PUcelle" ou

"déœe",

car elle utilise les deux te1'lles altemativement pour el1e-me.e. me est consciente de pro-venir d 'lUle :r8lll.:i.l.le DOble. en au:trea mots, elle se reDd cœpte de soa!!:!:b lIais sait-elle que l'amour de son chevalier disp81U a le potentiel d'4vo-luer? Dl effaçant les DIJ81lC8S dI1 "fOcabalaire. le prosateur dimjme 1

':iço1'-tance du développement de carac~.

L'indifférence enTera le 'VOcabulaire influence awssi 1& sipiticatiOll

8JIt-bol:iqlle des événsell ts. A la chasse du cerf blanc dana Erec 1 la reine est scCOlDpagn4e dt!!!!!, pUCelle et d'Bree. ns fOl'llent aD petit groupe iJltiae, et

ils sont au nombre de "trois. chiffre tracl1 tiœmellEilent QIlbolique. Le

groupe du ne sillcle se coapose dt Brec, de la reine et de pluaieu:rs dQes. Le DOIIbre est indéteminé et aiJ1si l'équilibre est détruit quaud la co.-p88UÏe aff.ronte le chevalier avec le nain et la belle pucelle. - .modi-fiant les détails de vocablùaire, qui paraissent insignif'ian.ts~ le traduo-teur al tllre aussi le sens. Les événements perdent leur cohérence. car i l est impOssible d'apporter des modifications l aD JIIOJlde organique S8D8

(37)

Cep~t le "traducteur a tenté de perfectiODDer l'oeuvre de dlrétien en '7

ajoutant des explications pour les lecteurs contemporains. Le roi Arthur au

.IIl8 si'cle va l la chasse chi cerf blanc ",por la costume ressaucier" (Ene l, v. 38J. liais noua n'appreDOllS rien de l'origine de cette coutuae

II,Ysté-rieuse. C'est justaaent le Il7Bthe qui pemet me interprétation symbolique: la chasse foumit un prétexte pour chercher l'aYEIll'ture, si elle ne se pri-sente pas. Ille invite quelque élu de se mettre l la quA'te d tun boDheur terrestre ÏIlCcmnu {16J. Le pmsa"teur a soin de remonter ll'origine de l'hie-toire: DaDa la forêt aventureuse U '7 avait

'9Ilg cerf iapareil. aux autres. car i l estoit tout lùanc. Par pluseurs fois i l alloit este chassie et auoit le roi fait '9Dg edit pour eamou-uoir son bar!!age que quiconque. prendroi t ce cerf, saDa preiudice mù i l pourroi t a son choie auoir VDg baie~ de la plu belle daae CAl da-moiselle de sa court.

(BreC

n,

p. 253, 1. 20-24)

Cette explication est raisonnable et l'édit lui dQDDe même me valeur lé-gale, de sorte que le cerf déchoit au niveau d'un simple 8uima1 blanc, dont Pobtention autorise un baiser. DBrls le

po_

de ChZ'étien la coutuae était le point de départ pour 1· aven me et ainsi elle jouai. t un rOle essentiel dans la "coDjointure" de l'eJlSeIlble. o)a signification d.aDs la prose

co.-JIlence par un édit et s'arrête l un baiser sans influer sur ce qui suit. Dl concevant le merveilleux plu sobrement que Chrétien, le traducteur n·a pu évi ter de couper les liens secrets qui établissaient la "conjointure" entre les épisodes •

(38)

YI •

,l,a manie des explications se manifeste aussi dalla la tendance l anticiper

S1Ir les événements. ,l,e prosateur trouve sOllVent l·ant.icipation dalla SOD _ _ d~le. Quand l:iOredamors est au bateau avec Alexandre, Chrétien prédit SIl

lecteur qut

Or la fera .AIIors dolante, Et IIIiOl t se cuide bien vBDgier Del ç a t orguel. et del dangier Qu'ele 11 a 'los jorz mené.

Ce eollllleDtaire n'a pas l'air d'armoncer de bonnes nouvelles; i l éveille la curiosité et crée en même temps De atmosphllre 8I1XÏ.euse. La prose !lOUS assure que

ce TOiage sera cause d -lm tres haul t bien • car celle qui ne da' BJ"a oncques aller cheualier D7 escuier tant 1Uat preu ne hardi aujourdui par 'V'lle D01IlleUe _tecion sera coJlUa;ncue et soublllise ma lacha

dt amours •

.Nous savons tout de suite quel sera le pl'Obl. de Soredamorsl elle sera soumise "aux lachs d'amours". Hais nous sommes sdrs que tout ira

bier.a..

car

dès l'abord l'amour est présenté cOJlllIle un litres hault bien". L'antici{ia-tian dans la prose éclaire le lecteur sur la sui te et satisf'ai t sa œrio-si:té. Il suit avec lIOins d'intérêt les IIOIlOlogues 8IIOureux, parce qU'il en c:onnatt l'issue. Mais c'était justement cette passion des analyses psycho-logiques chez Chrétien, qui taisait partie de la "coDjoin'blre". Car l'amour n'était ni UJl sentiJDent statique ni une exaltation exclusivement œbUme,

(39)

38 •

Ilais 1IDe force intérieure et iDe.xplicable, qui fomait le caract\re. Dl pOUSS8llt les héros const8!JPeDt , de DOuvelles ccmquêtes, i l était la source COJIPII1DIe des hauts faits et leur facteur de liaiscm.

L'impatience de dévoiler tout" la fois alme le traducteur

l

djniner le. éléaents de liaison. Tout son si\cle e.t possédé d'une jJaasicm d'ense!per, de .oUver et de doDJler des conseils. On VlRlt ramasser autant d'idées que possible, Oll cherche" instruire, aGIle lorsqu'on n'a rien

l

dire . . .

Chas-tellain, le biographe le plus adairé de ltépoque, se laisse entraher par cet espri t didactiq"\e. DL lié di tant SIU" lthistoire, il arrive l la conclusion que "Les fais du monde sont Ilervilleux. Le. UIlg8 rendent f'ruict et e . i r et les aul trea d6solai:iion; i q édiffient et

n

déElissent; les UDp reDOent lœac bout, ll'aultre par 1Dlg contraire ils deffont et déseçarent" (17). Ce court ex1lrait SIlffit pour illustrer que l tenseisn8lllent porte sur la

qUSllti.-té des idées plutet que sur l'analyse et le dévelopPelllent. Bos traductions,

elles aussi, sont remplies de coaentaires didactiques. Quelques traducteurs contemporains soulignent dans leurs prologues que l'instruction des princes était même le but principal des remaniements.

Les détails de style, " peine perceptibles ail premier coup d'œil, sont un

indice de la distance qui sépare le XVe si\cle bourguignon de la cour chail-penoise au XIIe si'cle. Afin d'acquérir le bonheur terrestre, le chevalier de Chrétien choisit des moyens souvent incompréhensibles pour ceux qui

(40)

ntap-•

'9 •

partieDJleJlt pas l la classe des élus. Leur idéal parait souvent peu. raiSOD-Dable. Leur vision dépasse les intérêts matériels et c'est juste.8Ilt leur "déaesare" de géDéroai té ou de courage qui t.ransforae les JJéroa et cloue UIl sens .. leurs aventures. Le chevalier bourpignon par contre se caractérise par sa conduite mesurée, au moins quand i l se sait observé. Son rêve suprême

est le "trosne glorieux" tout 1IOlldaÏJl. C'est un bien qui est recomJIl COBU tel par tout le monde. La gloire IIOlldaine parait prouver le pouvoir et la

valeur persomelle. La cour bourguiglloune se laisse fasciner par la spl __ d8Ur, et surtout par la splendeur exotique que DOllS trouvons claDs f!lie;\Si

cependant l'exotiSile attire moins par son étraDgeté que par sa I18BDificence Jl8.térielle. Le prosateur en a tenu compte et, parmi ses efforts pour IIO~

niser, DOUS trouvons des descriptions précises dIllue.

Ces précisions ne portent pas uniquement sur les dteaents et sur les n0u-velles ames. Elles témoignent 'lraÎIlent de l'espri t contemporain de Pau-teur, qUBlld celui-ci remplace les indications vacaes par des chiffres exactes. Les tra1tres du XIIe sillcle "einz que l i jorz peire / Istront del chastel a celee" (Clig\s I, v. 1640-41). Leurs successeurs bourguigncma attaquent leurs eDIlemis na heure prefiquie cr est. assauoir a .iiJ. heures apres ÇIlUit" (Clig\s II, p. 296, 1.

44 '":'

p. 297, 1. 1). Plus tard, Alexandre voi t le tra1 t.re st enfUir "quant i l

:ru

emU.roll deux arpens ou Ile sures de terre

(41)

loings" (cl.i.ds

n.

p. 298, 1. 25-26). En ajoutant ces précisions, l'auteur veut dODDer De siBnification pertinente au texte, il veut lui conférer W1e "conjoiDture" IIOdeme.

L'énumération et l'exactitude provienJlent clu souci de réUJ!.b- autant de

COD-naissances que possible '. Dl géDéral, notre traductev s'7 prend par des procédés additifs et non pas par l'approfondiss_eut des idées. lfous aoaes peut-être impressionnés, par sa tentative d'épuiser la réalité; mais lorsque DOUS le collpaI'OllS avec Chrétien, nous découvrons que l ' w tateur ne dépasse pas la réalité sensible. S'il crée, i l ne rattache pas les détails crées à

une idée plus haute que les détails .&les. En dépit de l'effort de modenai-sation, les transformations ne suffisent pas ~ donner une DOuvelle '=onjoiD-ture" aux contes •

(42)

LA CLASSE CHEVALERESQUE

Seloa L ItcLub 8D, "the social pracUces o'C QII8 pneratioJl tend to p t

cod.i-'Cied into the

'galle'

o'C the next" {18}. "91e social pracUce" par ucelleace \au XIIe si\cle est la che'l'8lerie, car elle eD&lobe toute la T.le sociale. Pd-tons ae 8CceptioA large au teme "social": la politique, 1.tSCOIIOIIie et la religioa influencent et fomeat les uaa&es sociaux. DaDa ce SeJlS, 1& che .... lerie est identique avec la üe sociale ou, da .oille, elle '7 est tStroite-ment litSe. La structure de 1& cheYalerie féodal. zésalte des circonstances politiques: Le sazera1n a 'besoin de Bea vassaux polU" la défellSe contre le8 ennemis du dehors. Dl.8IIe taps, i l prot\p l'éCOllOllie et 1.e salut

spiri-tuel ll'intérieur de son "chastel" (ce teme dési8ne et le chAteau et le

villap).

Quel est l'idéal che'YBleresque fOrÉ par la vie politique.

«:C)IDo.

mique et religieuse au XIIe si\cle? G'oIIlIent pou'Yait-il aarvi'91'8 jusqu'au r fe ai\cle, IIBlgré la t.raa.sforma:tion contimlelle des tSlmaents qui. au. clébut,

l'avaient constitw§?

La politique daDa le &ysUse ftSodal repose sur les rapports persœmels. une littérature qui 't'eut servir le &yett.e u:al tara la fidélité du chevalier envers son suzerain et glorifiera 1& responsabilité du sei8neur pour sa cour et ses sujets. A lttSpoque oh le &ystke ftSodal est en train de prendre fol'lle, le seigneur s'intéresse encore l la ne tSconomique de son dOMine. Car ce sont ses "vilains" qui lui assurent une aisance llatérielle relative,

Références

Documents relatifs

L'épisode transpose plusieurs motifs tirés des romans de Chrétien de Troyes : Gauvain affrontant l'aventure du lit de la merveille à la Roche de Chanpguin 38 , Lancelot

Le thème central de ce projet concerne l’étude de l’acclimatation à l’eau douce chez une espèce euryhaline, afin d’apporter de nouvelles connaissances sur les

Par une belle matinée ensoleillée, dans l’eau pure d’un étang, une maman grenouille vient de donner naissance à de nombreux petits têtards.. « Croa croa » s’écrie

9 Sur l’importance de la detractio (diffamation, médisance, dénigrement) au XIII e siècle, cf.. montre que la largesse du prince peut avoir une coloration

Songe prémonitoire, cercle magique, relation du lion avec la fondation d'une cité comme dans Florimont, motivation double du nom du héros qui s'appelle Lyonnel du Glat

c'est tout au plus un tournoi par roman qui est décrit intégralement, alors que dans la biographie de Guillaume le Maréchal dix-huit manifestations de ce genre sont .évoquées

Les coutumes où résonne le cor constituent un corpus riche, bien représenté dans les continuations du Conte du Graal, mais aussi dans le Chevalier aux deux Epées,

Mais Chrétien a détourné notre attention d’un détail : des issues existent bel et bien : d’abord la porte par laquelle le chevalier blessé s’est échappé, mais