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Démographie, pauvreté et inégalités

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-00931838

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Submitted on 15 Jan 2014

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Démographie, pauvreté et inégalités

Maria Eugenia Zavala de Cosio

To cite this version:

Maria Eugenia Zavala de Cosio. Démographie, pauvreté et inégalités. Carlos Quenan et Sébastien Velut. Les enjeux du développement en Amérique latine, Dynamiques socioéconomiques et politiques publiques, Agence Francaise de Développement AFD, pp.140-168, 2014, A Savoir, 2105-553X. �halshs-00931838�

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1

1.4. Démographie, pauvreté et inégalités

María Eugenia Cosío-Zavala

Résumé

Après avoir été historiquement dépeuplée à l’arrivée des Européens à partir de 1492, suite aux épidémies et aux guerres, l’Amérique latine a accueilli des flux de migration très importants au 19e

siècle. Elle a ensuite connu une explosion démographique consécutive à la baisse de la mortalité à partir de 1930. La baisse de la fécondité, entamée au cours de la deuxième moitié du 20e siècle, a

permis de réduire les taux d’accroissement annuels de la population à un niveau de 1,15 % (2005-2010).

Il n’y a pas une, mais des transitions démographiques, qui placent les populations dans des situations très différentes, depuis des pays comme l’Argentine, Cuba et l’Uruguay, dont la croissance est faible, jusqu’à des pays comme la Bolivie (3,5 enfants par femme) ou le Guatemala (4,2 enfants par femme), encore en pleine croissance démographique. Par conséquent, le bien-être social et la pauvreté touchent ces populations de manière très différenciée. Les pays à faible croissance et faible fécondité éprouvent le vieillissement de leur population, ceux à forte croissance et à forte fécondité sont encore dans la phase de rajeunissement de la population.

Le rapport de dépendance, après avoir augmenté pendant la phase de baisse de la mortalité (rajeunissement de la population), a donc diminué rapidement au cours de la phase de réduction de la fécondité (vieillissement). On parle à ce propos de « dividende démographique », qui est une période à durée limitée pendant laquelle les populations dépendantes diminuent par rapport à celles d’âge actif. Ce rapport augmentera au contraire à partir de 2030 pendant la phase finale de vieillissement.

Les transitions démographiques ont ainsi une grande importance en termes de croissance et de structure de la population. C’est un phénomène universel et inéluctable qui est lourd de conséquences économiques et sociales, même si les pays latino-américains sont marqués par une forte hétérogénéité des situations démographiques.

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2 L’Amérique latine est le continent le plus inégalitaire au monde, avec 167 millions de pauvres et 66 millions d’indigents en 2012. Cependant, les taux de pauvreté et d’indigence ont diminué depuis 2002 et s’élèvent en 2012 respectivement à 28,8 % et 11,4 %. Ces améliorations proviennent de la croissance économique soutenue pendant la période 2002-2012, uniquement interrompue en 2009, et des progrès constatés dans la répartition des richesses. La croissance de l’emploi depuis 2002, ainsi que les mesures de lutte contre la pauvreté, ont donc porté leurs fruits. Cependant la distribution du revenu reste profondément inégalitaire et la majorité de la population appartient à des « classes moyennes » qui se situent au-dessus du seuil de pauvreté1, mais qui restent très fragiles,

comme l’a montré la triste expérience de la crise économique des années 1980 avec l’accroissement sensible de la proportion de pauvres. C’est particulièrement vrai pour les groupes de population les plus vulnérables, notamment les Indigènes et Afro-descendants.

Si l’on veut dresser un bilan des politiques démographiques en Amérique latine, on peut constater que la baisse de la fécondité s’est produite en un temps record et à un rythme exceptionnel. Elle a généré le « dividende démographique » qui a permis de réduire les taux de pauvreté. Les politiques sont donc un succès de ce point de vue, même si d’autres facteurs y ont également contribué. Après la conférence du Caire2 (1994), les politiques démographiques ont été redéfinies, plaçant le

bien-être de la population, l’égalité des femmes et des hommes et les droits humains au cœur des politiques démographiques. Il faut donc espérer que l’importance des questions démographiques soit enfin pleinement comprise et que celles-ci soient intégrées au développement économique et social.

1.4.1. Le passé historique de la population : dépeuplement et flux d’immigration

Les Indiens d’Amérique, originaires d’Asie, se sont progressivement installés sur l’ensemble du continent, notamment sur les hauts plateaux andins et de l’Amérique centrale il y a plus de 11 000 ans. De grandes civilisations agraires se sont développées, avec un peuplement relativement important. Cependant, il est impossible de savoir quel était l’effectif de la population américaine en 1492, au moment de sa découverte par Christophe Colomb, faute de sources de données. C’est un sujet extrêmement polémique, car les estimations vont de 13 millions pour Rosenblat (1954) à 100

1 Le seuil de pauvreté monétaire, en monnaie de chaque pays, est calculé par la CEPAL à partir du coût d’un panier

de biens et de services nécessaires à la survie des ménages.

2 Troisième Conférence internationale sur la population et le développement organisée par les Nations unies en 1994

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3 millions pour Cook et Borah (1960)3. De toute évidence, la chute démographique à partir de la

colonisation a été terrible, sans que l’on ne puisse vraiment la quantifier. La population des Indiens a été fortement réduite, à cause des maladies, des guerres, du travail forcé, et il fallut attendre le 17e

siècle pour que la croissance démographique naturelle redevienne positive4.

En 1570, la population de l'Amérique latine s’élevait à 11 millions d'habitants. Pour combler le manque de main-d'œuvre indienne, environ 15 millions d’esclaves africains furent amenés entre la fin du 16e siècle et la fin du 19e siècle. En 1825, Alexander von Humboldt5 comptait 23 millions

d’habitants en Amérique latine, en majorité des noirs, des métis, des mulâtres et des créoles6. A son

époque, une minorité de la population (36 %) était encore désignée comme « Indiens ». Pour combler le vide de peuplement, il y eut également, au 19e siècle, de grands courants d’immigration

européenne : entre 1800 et 1957, 30 millions d’immigrants venant d’Europe se sont installés notamment en Argentine, au Brésil et à Cuba, ainsi que 52 millions en Amérique du Nord7. En

1900, la population de l'Amérique latine atteignait 63 millions d’habitants, chiffre inférieur à la population des Etats-Unis (76 millions), alors que celle-ci était moins nombreuse au siècle antérieur (respectivement 23 et 11 millions en 1825). Il fallut attendre 1950 pour que la population latino-américaine dépasse à nouveau celle des Etats-Unis (respectivement 166 et 158 millions), renversement définitif des équilibres démographiques.

Pendant la période coloniale, le peuplement s’est concentré sur les côtes, près des ports, des plantations, des mines ou dans les capitales administratives, souvent d’anciennes villes précoloniales. Ces modalités de peuplement se manifestent encore de nos jours, les zones les plus peuplées étant souvent côtières ou d’anciennes capitales (cf. carte 1).

Carte 1. Densités de population

3 Pour en savoir plus, voir Cosio-Zavala (1998). Voir également l’ouvrage de Livi-Bacci (2006). 4 La croissance naturelle est la différence entre les naissances et les décès. 

5 Alexander von Humboldt, explorateur allemand, a parcouru les Amériques, du sud au nord, pendant cinq ans à partir

de 1799. Ses observations scientifiques incluaient des estimations démographiques des pays visités qui sont les premiers comptages du début du 19e siècle.

6 Les métis sont des descendants issus de parents indiens et européens ; les mulâtres, de parents noirs et européens et

les créoles sont d’ascendance européenne nés sur le sol américain.

(5)

4

Source : Velut (2005) à partir de www.sedac.ciesin.columbia.edu/plue/gpw

Or, contrairement à l'idée ancienne d’une Amérique latine vide d’hommes, le 20e siècle a connu

une croissance accélérée de la population et une urbanisation qui ont accentué les déséquilibres du peuplement et les inégalités socioéconomiques.

1.4.2. Les changements démographiques

A partir de 1950, la population latino-américaine a beaucoup augmenté : de 63 millions d'habitants en 1900, elle a atteint 565 millions en 2013 (tableau 1), soit 9 fois plus. En 1930, si la proportion de la population latino-américaine dans la population mondiale était de 3 %, elle représentait 6,5 %

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5 en 1950 et 8,5 % en 2010, enregistrant donc une croissance démographique plus élevée que la moyenne globale (Cosío-Zavala, 1998 ; Nations unies, 2011).

L’Amérique latine comprend des pays très peuplés (comme le Brésil), mais aussi de toutes petites populations, notamment en Amérique centrale (comme celle du Belize) et aux Caraïbes. Près des trois quarts (72 %) de la population du sous-continent latino-américain sont concentrés dans quatre pays : Argentine, Brésil, Colombie et Mexique. 87 % de la population de l’Amérique du Sud (qui n’inclut pas le Mexique, pays d’Amérique du Nord) sont regroupés dans cinq pays : Argentine, Brésil, Colombie, Pérou et Venezuela (tableau 1)

Tableau 15. Amérique latine : population et revenu par habitant en 2013 et densité/habitant en 2010

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6       Indicateurs     Pays   Population (en  milliers)  Revenu national brut par  hab. p.p.a  Densité moyenne  (hab./km2       (en USD)*     Argentine   41 480  14 090 15  Belize  331  5 990 14  Bolivie   10 412  4 250 9  Brésil  199 953  10 160 23  Chili  17 563  13 420 23  Colombie  48 153  8 600 41  Costa Rica  4 854  10 930 91  Equateur  15 058  8 100 51  El Salvador  6 313  6 420 294  Guatemala  15 531  4 570 132  Honduras  8 075  3 710 68  Mexique  117 431  14 020 58  Nicaragua  6 047  2 540 45  Panamá  3 677  12 180 47  Paraguay  6 797  4 430 16  Pérou  30 100  8 120 23  Uruguay  3 405  12 900 19  Venezuela  30 330  12 220 32  Ensemble  565 510     29 

* PPA : en parité de pouvoir d’achat

Sources : INED (2011) et Nations unies (2011).

Les transitions démographiques

Dès la fin du 19e siècle, et surtout à partir de 1930, la mortalité a commencé à baisser dans tous les

pays. A partir de 1970, c’est la fécondité qui a très rapidement diminué. Cependant, dans le sous-continent latino-américain, on observe une grande diversité de situations démographiques, qui est étroitement liée aux conditions socioéconomiques. Dans l'ensemble, bien qu’à des périodes différentes, les transitions démographiques sont à la fois tardives et extrêmement rapides dans tous

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7 les pays. Grâce aux progrès médicaux et sanitaires, dès le début du 20e siècle, la mortalité a diminué

précocement en Argentine, à Cuba et en Uruguay, pays de plus forte immigration européenne. Puis, à partir de 1930, la mortalité a baissé dans toute l’Amérique latine. Par conséquent, l'accroissement démographique s’est accéléré pendant trois à quatre décennies, avant que la fécondité ne baisse à son tour à partir des années 1960 (Cosío-Zavala, 1998).

Les modalités des transitions de la mortalité séparent les pays latino-américains en quatre groupes : - le premier groupe (Argentine, Chili, Costa Rica, Cuba et Uruguay) enregistre près de 80 ans d’espérance de vie à la naissance (2005-2010) pour les femmes ; c’est le groupe des transitions avancées ;

- le deuxième groupe (Brésil, Colombie, Equateur, Mexique, Nicaragua, Panama, Pérou, République dominicaine, Salvador et Venezuela) avec plus de 75 ans d’espérance de vie pour les femmes (2005-2010) est celui des transitions moyennes ;

- avec près de 74 ans d’espérance de vie (2005-2010) pour les femmes, le troisième groupe (Guatemala, Honduras, Paraguay) est celui des transitions en cours d’accélération ;

- enfin, Haïti et la Bolivie, avec moins de 70 ans d’espérance de vie féminine (2005-2010), ont cependant commencé à voir leur mortalité baisser. La mortalité infantile y reste encore relativement élevée8 (tableau 2).

Tableau 16. Espérances de vie à la naissance et taux de mortalité infantile, 2005-2010

8 Avec, respectivement, des niveaux à Haïti de 63 décès d’enfants de moins d’un an pour 1 000 naissances et en Bolivie

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8 *Décès de moins d’un an pour 1 000 naissances vivantes.

Source: Nations unies (2011).

Après trois quarts de siècle de baisse de la mortalité, les différences régionales se sont cristallisées en fonction des rythmes de baisse de la fécondité. Dans le cône Sud (Argentine et Uruguay) et à Cuba, la fécondité était basse dès la fin du 19e siècle. A la fin des années 1950, les méthodes

modernes de régulation des naissances ont été largement diffusées, à commencer par le Chili et le Costa Rica. Entre 1960 et 1985, la fécondité a diminué rapidement au Brésil, en Colombie, au Mexique, à Panama, au Pérou, en République dominicaine, au Salvador et au Venezuela. Cependant, certains pays d'Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Nicaragua), ainsi que la Bolivie, Haïti et le Paraguay ont enregistré à cette époque une faible baisse de la fécondité (tableau 3).

Pays  Ensemble Hommes Femmes Mortalité 

infantile* Amérique latine  73,4 70,2 76,7 21,7 Argentine  75,3 71,5 79,1 13,4 Bolivie  65,6 63,4 67,7 45,6 Brésil 72,2 68,7 75,9 23,5 Chili 78,6 75,5 81,7 7,2 Colombie 72,9 69,2 76,7 19,1 Costa Rica 78,9 76,5 81,4 9,9 Cuba 78,5 76,6 80,5 5,1 Equateur 75,0 72,1 78,1 21,1 El Salvador 71,4 66,6 76,1 21,5 Guatemala 70,3 66,7 73,8 30,1 Haïti 61,0 59,9 62,0 63,1 Honduras 72,1 69,7 74,5 28,1 Mexique 76,2 73,7 78,6 16,7 Nicaragua 73,0 69,9 76,1 21,5 Panamá 75,5 73,0 78,2 18,2 Paraguay 71,7 69,7 73,9 32,0 Pérou 73,2 70,6 75,9 21,2 République dominicaine 72,5 69,9 75,4 29,6 Uruguay 76,4 72,7 79,9 13,1 Venezuela 73,7 70,8 76,8 17,0

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9 En 2005-2010, la fécondité totale est estimée à 2,3 enfants par femme pour l’ensemble du sous-continent latino-américain9. Seuls quatre pays, parmi les plus pauvres, conservent des taux de

fécondité totale supérieurs à 3,0 enfants par femme : le Honduras (3,3), Haïti et la Bolivie (3,5) et le Guatemala (4,2 enfants par femme) (tableau 3).

Tableau 17. Taux de fécondité totale, 1960-2010

Source : Nations unies (2011).

Cinq modèles de transitions de la fécondité divisent l’Amérique latine en autant de groupes (Schkolnik,2004) :

- une transition très avancée à Cuba (1,5 enfant par femme en 2005-2010) ;

- une transition avancée en Argentine, au Brésil, au Chili, au Costa Rica et en Uruguay (entre 1,9 et 2,3 enfants par femme en 2005-2010) ;

- une transition en pleine évolution – le modèle majoritaire en Colombie, en Equateur, au Mexique, à Panama, au Pérou, en République dominicaine, au Salvador et au Venezuela (entre 2,3 et 2,6 enfants par femme en 2005-2010) ;

9 Il s’agit de l’ensemble Amérique latine-Caraïbes au sens de la CEPALC. 

Pays  1960‐1965 1970‐1975 1985‐1990 1995‐2000 2000‐2005 2005‐2010 Baisse 1960‐ 1985 en % Pays andins  Bolivie  6,6 6,5 5,0 4,3 4,0 3,5 24,2 Colombie 6,8 5,0 3,2 2,8 2,6 2,5 52,9 Chili 5,4 3,6 2,7 2,2 2,0 1,9 50,0 Equateur 6,7 6,0 4,0 3,1 2,8 2,6 40,2 Pérou 6,9 6,0 4,1 3,2 2,9 2,6 40,5 Venezuela 6,7 4,9 3,6 2,9 2,7 2,5 46,3 Pays atlantiques Argentine  3,1 3,1 3,0 2,6 2,4 2,3 3,2 Brésil 6,2 4,7 3,1 2,5 2,3 1,9 50,0 Paraguay 6,6 5,7 4,9 4,2 3,8 3,1 25,8 Uruguay 2,9 3,0 2,5 2,4 2,3 2,1 13,8 Amérique centrale  Costa Rica 7,2 4,3 3,4 2,6 2,3 1,9 52,8 El Salvador 6,8 6,1 3,9 3,2 2,9 2,3 42,6 Guatemala 6,5 6,2 5,7 5,0 4,6 4,2 12,3 Honduras 7,4 7,1 5,4 4,3 3,7 3,3 27,0 Nicaragua 7,3 6,8 5,2 3,9 3,3 2,8 28,8 Panamá 5,9 4,9 3,2 2,8 2,7 2,6 45,8 Mexique et Caraïbes Cuba 4,7 3,5 1,8 1,6 1,6 1,5 61,7 Haïti 6,3 5,8 5,9 4,4 4,0 3,5 6,3 Mexique 6,8 6,5 3,6 2,8 2,5 2,4 47,0 République dominicaine 7,3 5,6 3,6 2,9 2,7 2,7 50,7

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10 - une transition modérée au Honduras, au Nicaragua et au Paraguay (entre 2,8 et 3,3 enfants par femme en 2005-2010) ;

- une transition débutante en Bolivie, au Guatemala et en Haïti (entre 3,5 et 4,2 enfants par femme en 2005-2010).

La pilule, le stérilet et surtout la stérilisation féminine sont les principales méthodes de contraception utilisées. Si l’avortement est illégal dans presque tous les pays – sauf à Cuba depuis 1965 et en Uruguay depuis 201210 – il est toutefois largement pratiqué11. Par ailleurs, « le soutien officiel

aux actions de planification familiale dans la plupart des pays a favorisé le développement et l'utilisation de méthodes contraceptives modernes dans des catégories sociales qui ne limiteraient pas leurs naissances si les programmes n'existaient pas » (Cosío-Zavala, 1998, p. 70).

Le tableau 4 présente les pays classés selon les groupes de transitions de la mortalité et de transitions de la fécondité. On observe une forte correspondance entre les deux types de classements.

Tableau 18. Pays d’Amérique latine classés selon les situations des transitions de la mortalité et de la fécondité

Transitions de la fécondité Transitions de la

mortalité Très avancée Avancée Majoritaire Modérée Débutante

Avancée Cuba Argentine

Chili Costa Rica Uruguay

Moyenne Brésil Colombie

Equateur Mexique Panama Pérou République dominicaine Salvador Venezuela Nicaragua En cours Honduras Paraguay Guatemala Initiale Haïti Bolivie

Source : Estimations de l’auteur à partir des tableaux 2 et 3.

10 L’Uruguay a voté une loi en 2012 pour légaliser l’avortement. En juin 2013, une initiative soumise à votation pour

organiser un referendum contre cette loi n’a pas été validé faute d’avoir obtenu le nombre suffisant de voix.

11 En l’absence de chiffres exacts, on estime que, chaque année, quatre millions de femmes environ se font avorter

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11 Les cinq groupes de transitions de la fécondité sont en forte résonance avec les situations socioéconomiques nationales, notamment avec les niveaux de pauvreté et les inégalités sociales. Ainsi, les transitions « avancées » ont été précoces dans des pays d’immigration européenne et de fort accroissement économique ; les transitions « moyennes » sont observées dans des pays qui ont connu une forte croissance, à la fois démographique et économique, au cours du 20e siècle ; les

transitions « modérées et débutantes » sont, quant à elles, celles des pays les plus pauvres.

Au sein des pays, également, des différences sont observées entre les transitions démographiques avancées des catégories sociales les plus favorisées, les plus scolarisées, les plus urbanisées et les transitions retardées des catégories les plus pauvres, notamment les populations indigènes. Or, il faut remarquer que, entre 1960 et 1975, la corrélation entre la croissance économique et la croissance démographique était positive, et qu'elle est devenue négative à partir des années 1975-1980 (Blanchet, 1999). Par conséquent, dans les pays où certains groupes sociaux ont gardé une fécondité élevée après cette période et un fort accroissement démographique, l’augmentation rapide de la population a eu des conséquences négatives sur leurs conditions socioéconomiques, creusant l’écart entre les groupes sociaux ayant limité leur fécondité et ceux qui ne l’ont pas fait.

Ce n'est donc pas seulement au niveau des pays que plusieurs modèles démographiques sont observés, mais également au sein même des sociétés. Les différences de rythme des transitions démographiques ont séparé les populations en groupes différenciés, ce qui a des conséquences sur leur évolution actuelle et sur leurs effectifs (croissance démographique, mortalité, fécondité), mais aussi sur leurs tendances démographiques futures, notamment en termes de vieillissement.

Le vieillissement de la population et le dividende démographique

Les transitions démographiques en Amérique latine ont eu des répercussions importantes sur la répartition par groupes d’âges de la population. Dans un premier temps, la baisse de la mortalité a entraîné l’augmentation du groupe des moins de 15 ans, rajeunissant ainsi les populations, puis la baisse de la fécondité a fait diminuer rapidement la proportion des de 0-14 ans. Le pourcentage de personnes âgées étant pour le moment encore réduit (moins de 10 %, chiffre qui sera atteint en 2025), c’est la proportion d’adultes entre 15 et 59 ans qui a le plus augmenté. Néanmoins, en 2010, déjà plus de 40 millions de Latino-américains sont âgés de 65 ans ou plus ; ces effectifs ont presque doublé en 20 ans (21 millions en 1990) et devraient doubler encore une fois d’ici 2030 (86 millions).

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12 Les prévisions pour 2050 sont de 150 millions de personnes âgées de plus de 65 ans, soit presque un cinquième de la population (Nations unies, 2011).

Graphique 16. Evolution des rapports de dépendance en Amérique centrale et du Sud, 1950-2050

Le rapport de dépendance est le rapport entre l’effectif de la population « dépendante » (i.e. jeunes de moins de 15 ans et personnes âgées de plus de 60 ans) et l’effectif de la population d’âge actif (15-59 ans).

Source : Nations unies (2011).

Le rapport de dépendance, après avoir augmenté pendant la phase de baisse de la mortalité (rajeunissement de la population), a donc diminué ensuite rapidement pendant la phase de réduction de la fécondité (graphique 1). On parle à ce propos de dividende démographique : une période à durée limitée pendant laquelle les populations dépendantes diminuent par rapport à celles d’âge actif. Ce rapport augmentera à partir de 2030 pendant la phase finale de vieillissement, et ceci de manière définitive.

Le tableau 5 montre le temps nécessaire pour que le rapport de dépendance passe du maximum au minimum, variable selon les pays latino-américains, de 76 ans au Paraguay à 17 ans à Cuba. Certains pays ont déjà achevé cette période de dividende démographique (Cuba depuis 1991), d’autres la finiront dans plusieurs décennies (comme le Guatemala, en 2050).

Quoi qu'il en soit, le dividende démographique a contribué à la réduction de la pauvreté, notamment dans les années 1990-2002, pendant lesquelles le revenu par tête des ménages

0 20 40 60 80 100 120 19 50 19 60 19 70 19 80 19 90 20 00 20 10 20 20 20 30 20 40 20 50 Rapports de dépendance Années Rapports de dépendance

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13 provenant du travail a augmenté régulièrement, suite à la baisse des taux de dépendance, à la réduction de la taille moyenne des ménages ainsi qu’à la diminution de la fécondité.

Les effets du dividende démographique sont moins significatifs en 2002-2008, la fécondité ne baissant plus autant. Par conséquent, les taux de pauvreté sont de plus en plus influencés par les taux d’emploi et les revenus des personnes occupées dans les ménages. Le dividende démographique, que la CEPAL mentionne comme l’un des « moteurs de combat » contre la pauvreté (avec la croissance économique et les dépenses sociales, cf. CEPAL, 2009), s’estompe au fur et à mesure du vieillissement inéluctable de la population latino-américaine, la part des personnes âgées de plus de 60 ans passant de 6 % entre 1950 et 1975 à 8 % en 2000, 10 % en 2010 et 25 % en 2050 (Nations unies, 2011).

Tableau 19. Années de début et de fin de la réduction des rapports de dépendance Pays Année de valeur maximale Année de valeur minimale Argentine 1989 2032 Bolivie 1974 2041 Brésil 1964 2007 Chili 1966 2011 Colombie 1965 2017 Costa Rica 1965 2014 Cuba 1974 1991 Salvador 1968 2028 Guatemala 1988 2050 Haïti 1970 2039 Honduras 1972 2040 Mexique 1966 2022 Nicaragua 1965 2035 Panama 1968 2020 Paraguay 1962 2038 Pérou 1967 2017 République dominicaine 1965 2027 Venezuela 1966 2020

Source : Centre latino-américain de démographie - CELADE (2007). 1.4.3. La pauvreté et les inégalités

L’Amérique latine est le continent le plus inégalitaire au monde, comme l’ont montré des comparaisons menées depuis 1985 avec les indices de Gini de l’Asie, de l’Afrique subsaharienne et septentrionale, de l’Europe centrale et orientale, de la communauté d’Etats indépendants, et du Moyen-Orient (FMI, 2007). En 2008, le taux de pauvreté12 s’élevait à 33 %, soit 11 points de moins

12 Le taux de pauvreté est la proportion de personnes en dessous de la « ligne de pauvreté », soit le revenu nécessaire

(15)

14 qu’en 2002. La hausse du prix des aliments a, en revanche, fait augmenter le taux d’indigence, en 2008, à 12,9 % (contre 12,6 % en 2007), alors qu’il avait diminué d’un tiers par rapport à celui de 2002 (19,3 %). En 2012, les taux de pauvreté et d’indigence s’établissent respectivement à 28,8 % et 11,4 % (CEPAL, 2012).

Les améliorations constatées sur la période 2002-2008 résultent de la croissance économique soutenue pendant cette période et des progrès dans la répartition des richesses. Cette tendance s’est maintenue entre 2008 et 2012, malgré l’arrêt de la croissance en 2009. On estimait qu’il y avait, en Amérique latine en 2012, 167 millions de pauvres et 66 millions d’indigents, soit respectivement 34 et 31 millions de moins qu’en 2002. Cette évolution à la baisse marque une rupture avec les décennies précédentes : sur la période 1980-2002, les effectifs de pauvres et d’indigents n’avaient cessé d’augmenter. Les mesures de lutte contre la pauvreté ont donc porté leurs fruits, et elles ne sont pas remises en cause par la crise économique récente (CEPAL, ibid.).

Tableau 20. Indicateurs de pauvreté et d’indigence (en % de la population) en 2002, 2008 et 2011

Source : CEPAL (2012).

En 2011, la pauvreté dans les zones rurales (49,8 %) représentait plus du double de la pauvreté urbaine (24,2 %) et l’indigence y était quatre fois plus importante (28,8 %) que dans les zones urbaines (7,2 %). Ce sont donc les populations rurales qui souffrent le plus de la pauvreté extrême. Toutefois, compte tenu de l’urbanisation élevée de la population latino-américaine, 66 % des pauvres vivent en ville, alors qu’avant 1980 la population pauvre était essentiellement rurale. Cependant, la pauvreté rurale baisse moins vite que celle des villes, avec une diminution de 20 % et de 37 % respectivement entre 2002 et 2011 pour les taux de pauvreté rurale et urbaine et une réduction de 25 et de 46 % respectivement pour les taux d’indigence rurale et urbaine (tableau 6).

Amérique  Pourcentage de pauvres  Pourcentage d´indigents 

latine  Total Urbain Rural Total Urbain Rural

2002 43,9 38,3 62,4 19,3 13,4 38,4

2008 33,5 27,7 55 12,9 8,1 31

2011 29,4 24,2 49,8 11,5 7,2 28,8

Variation  2002‐

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15 Les pays latino-américains sont donc touchés différemment par la pauvreté et l’indigence. Ainsi, les niveaux les plus bas sont enregistrés au Chili et en Uruguay, suivis par l’Argentine, le Brésil, le Costa Rica, Panama, le Pérou et le Venezuela, avec des taux inférieurs ou égaux à la moyenne du sous-continent. La Bolivie, la Colombie, l’Equateur, le Mexique, la République dominicaine et le Salvador enregistrent des taux de pauvreté entre 34 % et 46 %. Le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et le Paraguay sont à 50 % ou plus de pauvreté et à plus de 28 % d’indigence (tableau 7).

Tableau 21. Indicateurs de pauvreté et d’indigence (en % de la population) en 2011

Pays   Indicateurs de  pauvreté (%)  Indicateurs   d´indigence (%)  Amérique latine   29,4 11,5 Argentine*  21 7,2 Bolivie**  42,4 22,4 Brésil  20,9 6,1 Chili  11 3,1 Colombie  34,2 10,6 Costa Rica  18,8 7,3 Equateur  35,4 13,9 El Salvador***  46,6 16,7 Guatemala****  54,8 29,1 Honduras***  67,4 42,8 Mexique***  36,3 13,3 Nicaragua**  58,3 29,5 Panamá  25,3 12,4 Pérou  27,8 6,3 Paraguay  49,6 28 République dominicaine  42,2 20,3 Uruguay  6,5 1,1 Venezuela  29,5 11,5 Années : * 2006, **2009, ***2010, ****2005 Source : CEPAL (2012).

Entre 2010 et 2011, des progrès significatifs ont été observés dans sept pays : au Paraguay (-5,2 points), en Equateur (-3,7 points), au Pérou (-3,5 points), en Colombie (-3,1 points), en Argentine (-2,9 points), au Brésil (-2,0 points par an entre 2009 et 2011) et en Uruguay (-1,9 point). La réduction de l’indigence y est également notable. En revanche, au Venezuela, les taux de pauvreté et d’indigence ont augmenté de 1,7 et 1,0 points respectivement, et il n’y a pas eu de changements significatifs au Chili, au Costa Rica, à Panama et en République dominicaine (CEPAL, ibid., p. 19).

(17)

16 De manière générale, en 2012, l’Amérique latine a bien progressé sur la voie du premier des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) – la réduction de moitié de la pauvreté extrême entre 1990 et 2015 –puisque le taux d’indigence de 11,4 % se situe à 0,1 % de l’objectif fixé (11,3 %). Le Brésil et le Chili ont dépassé l’objectif depuis plusieurs années, rejoints en 2008 par le Pérou. Le Costa Rica, l’Equateur et le Mexique ont, quant à eux, progressé plus vite que la moyenne, alors que les efforts restent insuffisants dans tous les autres pays.

Toutefois, la distribution du revenu reste profondément inégalitaire : 40 % des ménages les plus pauvres perçoivent 15 % du revenu total, alors que les 10 % les plus riches détiennent en moyenne 32 % du revenu total (CEPAL, 2012). Entre ces deux extrêmes, la majorité de la population se trouve dans des « classes moyennes » très hétérogènes en termes de conditions de vie : si elles perçoivent des revenus qui les situent au-dessus du seuil de pauvreté, ils demeurent éloignés des niveaux des deux déciles les plus élevés. Cette vulnérabilité des classes moyennes a pu être observée à la lumière de la crise des années 1980 : les taux de pauvreté ont grimpé pour l’ensemble de l’Amérique latine de 8 points (passant de 40,5 % en 1980 à 48,3 % en 1990 au sommet de la crise), pour ne retrouver le niveau de 1980 que 25 ans plus tard, en 2005. De même, il a fallu 14 ans pour que le PIB par tête revienne au niveau de 1980, en 1994 (CELADE, 2010).

Grâce à la période de forte croissance économique, à partir de 2002, les indices de Gini ont enregistré, en moyenne, une réduction d’au moins 1 % par an entre 2002 et 2011, ce qui signifie une réduction des inégalités dans la répartition des revenus. Les pays qui ont connu les réductions les plus importantes, avec des taux de réduction de l’indice de Gini supérieurs à 2 %, sont l’Argentine, la Bolivie, le Nicaragua et le Venezuela. Le Brésil, la Colombie, le Guatemala, le Honduras, la République dominicaine et le Paraguay sont les pays les plus inégalitaires ; le Venezuela et l’Uruguay les moins inégalitaires (tableau 8).

Tableau 22. Indices de Gini (2002 et 2011)

L’année des enquêtes varie selon les pays. 2002 correspond à la date la plus proche entre 2000 et 2002, 2011 est la date la plus proche entre 2005 et 2011.

(18)

17 Années : * 2009, ** 2010, *** 2006, ****2005

Source : CEPAL (2012).

Parmi les groupes les plus vulnérables ont été identifiés les enfants de moins de 15 ans, les femmes et les groupes ethniques minoritaires (indigènes, afro-descendants). Les enfants de moins de 17 ans représentent presque la moitié des pauvres : 51% des indigents et 45% des pauvres non indigents. De même, les groupes ethniques (indigènes et afro-descendants) sont entre 1,2 et 3,4 fois plus pauvres que le reste de la population, et cette proportion augmente dans tous les pays, sauf au Brésil (CEPAL, 2009).

Les recensements de l'an 2000 ont permis d'estimer dans quinze pays, de manière coordonnée par le CELADE, les effectifs de population des groupes autochtones (Indiens), qui atteignent au total près de 30 millions (tableau 9), et qui sont, en général, les plus pauvres et les plus marginalisés. Les questions introduites dans la ronde des recensements de l’an 2000 sur l’autodéfinition d’appartenance en tant qu’indigène13 donnent des estimations plus élevées que le critère de la

langue parlée utilisé auparavant comme critère unique.

13 Selon les questions posées aux recensements, la personne s’identifie elle-même comme indigène ou non-indigène. 

Pays  Années 2002 2011 Argentine  0,578 0,492 Bolivie* 0,614 0,580 Brésil 0,639 0,559 Colombie 0,569 0,545 Chili 0,564 0,516 Costa Rica 0,488 0,503 El Salvador** 0,525 0,454 Equateur 0,513 0,434 Guatemala*** 0,542 0,585 Honduras** 0,588 0,567 Mexique** 0,514 0,481 Nicaragua**** 0,579 0,478 Panamá 0,567 0,531 Paraguay 0,570 0,546 Pérou 0,525 0,452 République dominicaine 0,537 0,558 Uruguay 0,455 0,402 Venezuela 0,500 0,397         Indices de Gini 

(19)

18 Les recensements de 2010 donnent des chiffres plus récents sur la population indigène, qui ne sont encore disponibles que pour quelques pays14, comme par exemple en Argentine (955 032)15, au

Brésil (817 000), au Chili (1 369 533), en Equateur (1 100 000) et au Mexique (15 703 474) 16.

L’augmentation considérable de certains chiffres entre les recensements des années 2000 et 2010 (au Brésil, Chili, Mexique notamment) s’explique à la fois par des taux de croissance naturelle élevés (forte fécondité des indigènes) ainsi que par les modifications dans la manière de les compter, laquelle a beaucoup changé entre les recensements des années 2000 et 2010, dans le souci d’un comptage beaucoup plus large et précis, qui cependant est toujours en discussion et ne fait pas consensus (CELADE, 2011 ; Mikkelsen, 2013).

Tableau 9. Effectif et pourcentage de la population autochtone. Recensements nationaux des années 2000

Pays  Effectif  Pourcentage

Pérou 8 500 000 32,0 Mexique 6 101 632 6,5 Bolivie  5 008 997 62,2 Guatemala 4 610 440 41,0 Colombie 892 631 2,0 Equateur 830 418 6,8 Brésil 734 128 0,4 Chili 692 192 4,6 Venezuela 506 341 2,3 Nicaragua 443 847 8,6 Honduras 427 943 7,0 Argentine  402 921 1,1 Panamá 285 229 10,1 Paraguay 88 529 1,7 Costa Rica  63 876 1,7 Ensemble 29 589 124

Source : CELADE (2013) d’après les recensements de population, selon le critère d’autodéfinition d’appartenance.   14 Chiffres (sauf pour l’Argentine) tirés de l’ouvrage de Mikkelsen (2013) qui est une compilation internationale  15 http://www.pagina12.com.ar/diario/sociedad/3‐197566‐2012‐06‐30.html. Consulté le 06.08.2013  16 Ce chiffre est obtenu en additionnant les 6,695,228 indigènes de plus de cinq ans qui parlent une langue  indigène ainsi que les enfants de 0 à 4 ans vivant dans les 9,008,246 ménages dont le chef de ménage parle une  langue indigène 

(20)

19 1.4.4. Les politiques démographiques

La mise en place de politiques démographiques a été proposée aux gouvernements dans le cadre du Plan d’action mondial sur la population, lors de la conférence de Bucarest, en 1974 (Conférence mondiale des Nations unies sur la population). Cette conférence s’inspirait des réflexions des économistes néomalthusiens sur les rapports négatifs entre la population et le développement, lesquelles étaient réfutées par les natalistes et les optimistes. Elle a permis d’ouvrir des débats passionnés à une période où tous les gouvernements n’adhéraient pas encore au Plan d’action mondial sur la population, qui rencontrait beaucoup d’oppositions en Amérique latine17.

La seconde Conférence des Nations unies sur la Population de Mexico, en 1984, a montré l’évolution de la posture des gouvernements latino-américains face à l’accroissement démographique très rapide, qui commençait à les inquiéter. L’acceptation du Plan d’action mondial sur la population a alors été très majoritaire. Il était devenu évident qu’une forte croissance démographique aggravait les problèmes économiques et sociaux à tous les niveaux. Des politiques démographiques ont donc été mises en œuvre dans la plupart des pays, avec des propositions de programmes de planification familiale, d’IEC (information, éducation, communication) en matière de population et de promotion des droits des femmes, conformément aux recommandations internationales. Il s’agissait d’intégrer la planification démographique à la planification nationale du développement. En outre, certains pays ont cherché à garantir institutionnellement les droits humains, dans l’esprit des Nations unies, comme au Mexique avec la modification de la constitution mexicaine (article 4), afin de reconnaître le droit de tous les citoyens à décider librement du nombre et de l'espacement de leurs enfants. Parmi tous les pays latino-américains, seule l’Argentine cherchait à accroître sa population18.

Des institutions ont été créées, telles que les Conseils nationaux de population (CONAPO) ou bien des organismes qui promouvaient les programmes de diffusion des méthodes contraceptives au sein des institutions de santé. Les premiers pays à le faire ont été le Chili et le Honduras (1965), la Colombie (1967), le Costa Rica, ainsi que plusieurs îles des Caraïbes entre 1965 et 1970 (Jamaïque, République dominicaine, Porto Rico). Le Brésil, en revanche, n’a pas adopté de politique démographique officielle ; ce sont des institutions privées, comme l’organisation non gouvernementale (ONG) BEMFAM, qui ont offert des services efficaces de limitation des naissances.

17 Pour une présentation complète de ces débats, voir Cosío-Zavala (1994).  18 Voir Cosío-Zavala (1994 et 1998).

(21)

20 Si l’on veut dresser un bilan des politiques démographiques en Amérique latine jusqu’aux années 2010, on peut constater que la baisse de la fécondité s’est produite en un temps record et à un rythme exceptionnel (tableau 3). Elle a produit le dividende démographique qui a permis de réduire les taux de pauvreté. Les politiques sont donc un succès de ce point de vue. Sur le plan institutionnel, on observe une grande variété des formes d’intervention et d’organisation, depuis des politiques ayant adopté des objectifs démographiques très explicites comme au Mexique (à compter de la loi de 197319), jusqu’à des politiques de laisser-faire, adoptées au Brésil notamment.

Or, les résultats en termes de baisse de la fécondité ont été très semblables entre ces deux pays, car la diffusion des méthodes médicales modernes de contraception et les actions des institutions sanitaires ont été décisives, avec ou sans interventions gouvernementales. Les couches sociales peu scolarisées et pauvres ont été les cibles des programmes de distribution de moyens contraceptifs modernes comme la pilule, le stérilet et la stérilisation féminine (une méthode largement utilisée par les Latino-américaines). La fécondité a donc beaucoup baissé dans le sous-continent, hormis dans les quelques pays où cette baisse n’a été entamée que récemment, comme en Bolivie, au Guatemala et en Haïti (Tableau 3).

La troisième Conférence internationale sur la population et le développement de 1994, au Caire, a complètement redéfini le Programme d’action mondial sur la population. Elle a été novatrice en s’intéressant à des thématiques nouvelles, comme la santé de la reproduction, qui inclut toutes les questions touchant à la maternité, à la vie sexuelle et au VIH/Sida pour les femmes et les hommes, et en proposant aux gouvernements de protéger les droits reproductifs et sexuels, de lutter contre la violence et d’améliorer le statut des femmes, des minorités vulnérables et des populations pauvres en termes de niveau de vie, d’éducation et de santé.

La lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales faisant partie du programme du Caire, les programmes de planification familiale perdaient ainsi leur spécificité et étaient inclus dans des programmes sociaux intégrés. L’Eglise catholique, soutenue par l’Argentine, a manifesté au Caire son opposition farouche à l’avortement. Cependant, malgré son désaccord doctrinal vis-à-vis des programmes de limitation des naissances, elle ne s’est pas opposée de manière frontale aux gouvernements pour ces programmes mis en œuvre depuis trente ans ; elle a même promu des programmes de paternité responsable se basant sur des méthodes d’abstinence périodique (Bolivie, Pérou).

(22)

21 Le bien-être de la population et les droits humains se sont retrouvés au cœur des dispositifs mis en place par le Plan d’action mondial du Caire. Il s’agit également d’une remise en cause du rôle de l’Etat, qui a été primordial dans la mise en place des politiques démographiques au cours des années 1970-1990, mais qui a toujours été fortement secondé par des initiatives privées (comme le BENFAM au Brésil). Les gouvernements se sont néanmoins engagés à faire respecter les principes et garanties du Plan d’action mondial sur la population et le suivi des objectifs du Caire, jusqu’en 2014, tâche coordonnée par le CELADE, intégré à la CEPAL des Nations unies.

En guise de bilan, on peut pourtant constater que les politiques démographiques n’ont pas eu d’effets notables sur la réduction des inégalités sociales ni sur l’amélioration des conditions de vie en Amérique latine. Ce sont en effet toujours les groupes sociaux les plus vulnérables qui connaissent la croissance démographique la plus rapide et la fécondité la plus élevée (même si cette dernière est nettement plus faible que la fécondité naturelle20). On observe aussi une forte fécondité

des jeunes filles adolescentes, en augmentation dans certains pays, preuve d’un des échecs de ces politiques (Guzman et al., 2006).

Par ailleurs, alors qu’en Amérique latine les populations souffrent encore des conséquences du très fort accroissement démographique des cinq dernières décennies, qui se traduit par un manque criant d’infrastructures de base en termes d’éducation, santé, logement, emploi, de nouveaux défis ont déjà surgi, liés au vieillissement de la population, dont les effets seront importants sur les systèmes de santé et de sécurité sociale. Dans un contexte qui souffre de l’instabilité de la croissance économique, les choix politiques sont complexes. Ils doivent assurément tenir compte des tendances démographiques à long terme, ce qui n’est souvent pas le cas, et surtout profiter du dividende démographique en cours (qui offre une période relativement longue dans les pays les moins avancés) pour effectuer des investissements sur les générations futures, les jeunes et les enfants d’aujourd’hui.

Ainsi, on pourrait espérer que les questions démographiques soient enfin pleinement intégrées au développement économique et social. Les acteurs politiques devraient en faire une priorité pour les trente prochaines années, car les défis démographiques vont s’aggraver sérieusement, et ils n’aideront plus à améliorer le bien-être de la population, contrairement à la période précédente où le dividende démographique a participé de manière significative à la réduction de la pauvreté.

20 La fécondité « naturelle », au sens de L. Henry, est la fécondité qui résulte d’une absence complète de contrôle des

(23)

22 Conclusion

La transition démographique, la baisse de la fécondité, le dividende démographique et les politiques de population ont tous contribué à la lutte contre la pauvreté en Amérique latine, renforçant les effets de la croissance économique et des investissements sociaux publics. Mais la période favorable de réduction des charges, consécutive à la diminution de la proportion des jeunes enfants dans la population, est pratiquement achevée et le vieillissement de la population est porteur de nouveaux défis pour les populations latino-américaines. Les facteurs démographiques pèseront donc à l'avenir négativement sur la croissance économique et sociale, et c’est donc aux dynamiques économiques, aux politiques publiques et à l'Etat qu'il incombera d'aider les familles à assurer la charge croissante induite par l’augmentation des populations âgées, laquelle interviendra tôt ou tard dans tous les pays latino-américains, selon leurs rythmes de transition démographique. Pour les populations les plus pauvres, le dividende démographique sera encore à l’œuvre pendant une période limitée et il conviendrait donc d’essayer d’en tirer profit utilement en augmentant les investissements sociaux et en créant des emplois.

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(24)

23 CEPAL (2012), Panorama social de América Latina 2012, Santiago du Chili ; disponible à l’adresse :

http://www.eclac.org/publicaciones/xml/5/48455/PanoramaSocial2012DocI-Rev.pdf

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25 Annexes statistiques

Tableau 24. Taux de croissance de la population mondiale (en %) par région 1950-2010

Source : Nations unies (2011).

Graphique 17. Taux annuels d’accroissement naturel par continents 1950-2010 (en %)

Source : Nations unies (2011).

Continent ou région  1955‐ 1960 1960‐ 1965 1965‐ 1970 1970‐ 1975 1975‐ 1980 1980‐ 1985 1985‐ 1990 1990‐ 1995 1995‐ 2000 2000‐ 2005 2005‐ 2010 Monde  1,83 1,85 2,07 1,96 1,77 1,76 1,74 1,52 1,34 1,22 1,16 Pays plus développés  1,16 1,08 0,86 0,78 0,66 0,58 0,56 0,43 0,33 0,37 0,41 Europe 0,97 0,96 0,69 0,61 0,49 0,40 0,38 0,19 -0,02 0,11 0,20 Amérique du nord  1,78 1,41 1,07 0,94 0,97 0,97 1,03 1,01 1,15 0,99 0,91 Océanie 2,15 2,06 2,19 1,94 1,33 1,61 1,60 1,48 1,39 1,49 1,75 Pays moins développés  2,12 2,17 2,54 2,38 2,14 2,13 2,08 1,81 1,59 1,42 1,33 Asie 1,95 1,99 2,48 2,28 1,95 1,94 1,92 1,63 1,38 1,18 1,08 Afrique 2,31 2,44 2,56 2,65 2,77 2,80 2,69 2,53 2,36 2,33 2,30 Amérique latine  2,76 2,76 2,51 2,41 2,29 2,10 1,92 1,71 1,55 1,32 1,15 Taux de croissance annuels moyens (pour cent)

Figure

Tableau 17. Taux de fécondité totale, 1960-2010
Tableau 18. Pays d’Amérique latine classés selon les situations des transitions de la  mortalité et de la fécondité
Graphique 16. Evolution des rapports de dépendance en Amérique centrale et du Sud, 1950- 1950-2050
Tableau 19. Années de début et de fin de la réduction des rapports de dépendance  Pays Année  de valeur  maximale Année de valeur minimale  Argentine 1989  2032  Bolivie 1974 2041 Brésil 1964  2007  Chili 1966 2011 Colombie 1965 2017 Costa Rica  1965  2014
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