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Le droit de la filiation entre ciel et terre : étude du discours juridique québécois

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THÈSE DE DOCTORAT

Présentée à l'Université Mc Gill afin de répondre aux exigences

du programme de doctorat en droit

D.C.L.

LE DROIT DE LA FILIATION ENTRE CIEL ET TERRE: ÉTUDE

DU DISCOURS JURIDIQUE QUÉBÉCOIS

Présentée par Marie-France Bureau

Université McGill, Montréal

Faculté de droit

Institut de droit comparé

Faculté de droit

Université McGill

(2)

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Conformément à la loi canadienne sur la protection de la vie privée, quelques formulaires secondaires ont été enlevés de cette thèse. Bien que ces formulaires

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Résumé de la thèse

La thèse soumise est une analyse du discours doctrinal sur la filiation en droit québécois. Nous cherchons à comprendre en quoi ce champ particulier, contrairement aux autres domaines du droit civil, continue d'être très influencé par le droit naturel. L'étude porte principalement sur les réformes de 1980 à nos jours.

L'analyse du discours sert à apporter un éclairage sur l'abondance- en un court laps de temps - des réformes dans ce domaine et permet de mettre en contexte les multiples interrogations qui se posent actuellement quant au fondement du droit de la filiation. Face au constat des auteurs relativement à l'incohérence des règles actuelles et à la dénaturation de ce champ du droit, il nous est apparu utile de brosser un tableau d'ensemble des grandes influences et des valeurs qui présentent une continuité dans la tradition. Nous situant dans un courant constructiviste, notre contribution à ce champ d'étude tient en la systématisation de la pensée, de la vision des juristes sur ce domaine du droit afin de tenter d'en cerner les influences et de repérer quels autres savoirs les juristes invoquent-ils pour étayer leur vision théorique.

L'analyse du discours dominant sur la filiation suggère que les règles de filiation ont tour à tour été censées révéler un ordre divin, représenter la cellule de base de la société à l'image de la nation, transposer en droit des relations fondées sur des faits de nature ou consacrer un ordre anthropologique immuable et garant de 1' équilibre psychique des individus. Toutes ces visions ont en commun de soumettre la filiation à un ordre, une autorité planant au-dessus du droit.

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Abstract

The thesis submitted undertakes an analysis of legal discourse in Quebec filiation Law. In particular, the author seeks to understand why this field- in marked contrast to other sectors of the civil law- continues to be influenced by naturallaw theories. The princip le focus of the study is the period from 1980 to the present.

The discourse analysis approach helps to shed light on the considerable number of . refonns which took place in a relatively short period of time and gives context to

contemporary interrogations of the foundations of the Law of t1liation. Given that many scholars are now questioning the incoherence of the current nonns, and deploring the alteration of this field of law, it is important to sketch a picture of the larger influences and values which nonetheless present continuity in the civilian tradition. From a constructivist point of view, the author's contribution to this field is to systematize the thought and vision of the scholars involved in this area of law in order to identify the various influences on them, and the range of ideas and disciplines which they invoke in justifying their theor~tical vision.

Filiation has been described, in different periods, as revealing a divine order, as representing the core unit of society in the national image, as translating into law a set of natural facts or as an immutable anthropological order which secures the psychological balance of subjects. This analysis of the dominant discourse suggests that the rules of filiation have, throughout, been seen to represent a transcendent order, one superior to positive law.

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Remerciements

Cette thèse est dédiée à ma mère, Chrzstine Bertrand

Je voudrais remercier en premier lieu mon directeur, Monsieur le doyen Nicholas Kasirer pour son soutien sans faille, son inspiration et ses conseils judicieux. Je tiens également à remercier la Faculté de droit de McGill et la Fondation Wainwright qui m'ont pennis de poursuivre des études supérieures sans soucis financiers. Un merci particulier aux professeurs qui m'ont inspirée et ont élargi mes horizons théoriques, en particulier Shauna Van Pragh, Colleen Sheppard, Rod Macdonald, Jean-Guy Belley et toute 1 'équipe du CRDPCQ, ainsi que Desmond Manderson. Je remercie également Véronique Fortin et Laurence Bich-Carrière pour leur précieuse aide technique.

Je voudrais remercier mon père, Robert Bureau qui m'a inspirée et qui m'a encouragé à

poursuivre dans cette voie. Je remercie chaleureusement mes amis de la vie et les membres de ma grande famille élargie qui se reconnaîtront. Un merci spécial à

Emmanuelle pour son aide et son soutien.

Un merci tout particulier à Mathieu (Geneviève, et les enfants) pour cette belle amitié, la générosité, l'aide, les conseils et nos soupers!

Merci mille fois à Jaco, l'ami, le frère et le confident. Mon double sans lequel la vie ne serait pas la même.

Merci à tous mes frères et soeurs entiers et demis et un merci particulier à mon grand frère Stéphan, qui a fait en sorte d'alléger beaucoup de tracas dans ma vie et pendant ma rédaction.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 7

PREMIÈRE PARTIE: LA FILIATION PAR LE SANG ... 28

Chapitre I- La corrélation entre alliance et filiation dans la conception civiliste de la filiation ... 28

a) La soumission du sang au mariage dans la tradition civiliste ... 28

b) La présomption de paternité et de légitimité comme pivot de la filiation dans le Code civil du Bas Canada ... 45

Chapitre II - La primauté du sang dans le nouveau Code civil du Québec ... 61

a) La science garante de la vérité des filiations ... 67

b) La biologisation du droit de la filiation et la réfonne de 1980 ... 7 4 Chapitre III : Les limites au concept de vérité biologique ... 98

a) Les limites posées par le droit positif.. ... 98

b) Les limites théoriques à une vision génétique de la filiation ... 110

1- La scientificité et la juridicité ... 112

2- La liberté de choix et intention ... 125

SECONDE PARTIE: LA FILIATION ADOPTIVE ... 138

Chapitre I -La nature fictive de l'adoption ... 138

Chapitre II- Le modèle fondé sur la nature et la vraisemblance ... 171

a) Les buts de 1' adoption ... 1 71 1- L'adoption comme remède à 1' enfance malheureuse ... 1 73 2- L'intérêt de l'entànt ... 175

b) Les caractéristiques de 1' institution ... 180

(7)

2- L'adoption plénière et secrète ... 197

Chapitre III - Les limites au modèle parental fondé sur 1' imitation de la nature ... 205

a) L'ordre génératioimel ... 207

b) L'ordre biologique ... 209

c) L'ordre sexué ... : ... 213

d) La remise en question du secret et de l'adoption plénière ... 217

TROISIÈME PARTIE: LA FILIATION DES ENFANTS NÉS D'UNE PROCRÉATION ASSISTÉE ... 226

Chapitre I- La prise en compte des procréations assistées et l'émergence d'un discours de crise ... , ... 226

a) L'encadrement de l'insémination artificielle ... 226

b) L'hypothèse de la crise ... 228

c) L'éclatement des structures familiales ... 232

d) L'encadrement des procréations médicalement assistées (PMA) ... 241

Chapitre II- L'homoparentalité comme révélateur de la force des injonctions naturalistes ... 256

a) La réforme de la filiation de 2002 ... 256

b) La liberté procréative ... 264

c) Le fondement de l'ordre symbolique ... 269

d) L'action ultra vires du législateur québécois ... 280

e) La portée de la réforme de la filiation ... 285

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INTRODUCTION

La notion de filiation est fondamentale dans le droit québécois et dans les systèmes de tradition civiliste en général. En tant qu'institution qui intègre les enfants dans un système de parenté, elle remplit plusieurs fonctions et consacre des liens qui ont une importance considérable tant dans ses effets sur le plan juridique (que nous pensions aux obligations et devoirs qui en découlent ou à la transmission du patrimoine par exemple) que dans son impact sur 1' organisation sociale puisque l~s liens de parenté ont des conséquences sur l'organisation des liens intimes et sur le sentiment d'identité. En efiet, nous sommes tous les enfants de quelqu'un et sommes ou serons potentiellement des parents, bien que cette dimension relève davantage d'un choix dans les sociétés occidentales contemporaines.

Quoi qu'il en soit, il est certain que cette notion a, de tout temps, intéressé l'ordre juridique, l'ordre étatique et qu'elle a des répercussions importantes dans la vie des personnes elles-mêmes et de leurs familles. De plus, la notion juridique de filiation joue un rôle considérable dans les représentations sociales de ce que constitue une famille. Il suffit de constater la quantité d'ouvrages anthropologiques, sociologiques, historiques et philosophiques qui se sont penchés sur la question de la parenté pour s'en convaincre.

Par ailleurs, la notion de filiation et les questions relatives au statut personnel et tàmilial occupent une place importante dans la tradition du droit civil. Les traités et précis de droit de la famille traitent tous de la filiation, un enseignement fondamental pour tout

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juriste civiliste. Qui plus est, la doctrine juridique relative à cette question s'est développée au cours des demières décennies. Depuis 1980, les controverses et les questi01mements autour de l'encadrement juridique des liens filiaux se sont multipliés. Les pratiques et les conceptions relatives à la parenté changent rapidement et l'univers normatif entourant les liens entre parents et enfants est remis en question.

Ce domaine du droit a longtemps été considéré comme un domaine à part, un droit qui ne venait que confirmer des principes de nature, des liens charnels et préjuridiques que le droit ne faisait qu'habiller. Mais depuis la seconde moitié du

XXe,

des questionnements émergent sur les fondements du droit de la famille. Le mariage et la filiation relèvent-ils d'un ordre divin ou terrestre? Jean Carbonnier se penchait déjà sur la question dans un article de 1950, intitulé «Terre et ciel dans le droit du mariage »1

• C'est à la fois en

hommage et en écho au questionnement du doyen Carbonnier que nous avons choisi le titre de la thèse puisque ces interrogations sont toujours au cœur de la théorie de la filiation.

L'ancien droit québécois de la filiation, largement retouché par le Code civil du Bas

Canada, est demeuré assez peu changé et stable depuis le Code de 1866 jusqu'à l'entrée

en vigueur du livre de la famille du nouveau Code civil du Québec en 1981. Cela dit,

depuis ce moment, ce domaine du droit s'est considérablement transformé, tant au plan de sa réglementation technique, qu'au plan des valeurs et des conceptions relatives à la famille et aux liens entre parents et enfànts.

1

dans Le droit privé.français au milieu du .-U"' siècle, études offertes à Georges Ripert, t. 1, Paris, Librairie générale de droit et de jurispmdence, 1950, 325

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À l'instar de la plupart des systèmes juridiques occidentaux, le droit québécois de la filiation était autrefois arrimé au mariage. La filiation juridique consacrait les règles de parenté les plus fondamentales et faisait en sorte de faire coïncider, la plupart du temps, les trois dimensions généralement re commes à la filiation (soit le biologique, le social et la composante généalogique) en consacrant des effets pléniers à la filiation légitime, à l'intérieur du mariage. Couple, alliance, sexualité, engendrement et parenté juridique étaient donc imbriqués et la dimension juridique ne venait que confirmer ce qui était socialement acceptable (la filiation légitime) et considéré comme naturel ou à tout le moins vraisemblable.

Le second élément fondamental qui caractérise le droit civiliste de la filiation dont le Québec a hérité est la distinction radicale opérée par les juristes entre deux catégories de filiation. Il y a d'un côté la filiation par le sang, que l'on désigne également de filiation chamelle, naturelle, biologique ou véritable; et de l'autre,

Ia:

filiation adoptive. Cette catégorie de filiation est désignée comme étant fictive, élective ou alors purement juridique.

À compter de 1960, au Québec et dans la plupart des sociétés occidentales industrialisées, une série de phénomènes et de bouleversements sociétaux remettront en cause le bien-fondé de la législation en matière de famille dans un contexte où le divorce est de plus en plus courant et où les unions libres gagnent en acceptabilité sociale. Dans 1' ambiance des mmées de « libération sexuelle » et dans la foulée des mouvements

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féministes, les femmes revendiquent leur autonomie et accèdent en grand nombre au marché du travail et à la contraception.

Ces divers phénomènes influeront grandement sur la façon dont la vie familiale et sexuelle se vit et auront un impact considérable sur la façon dont les unions et les familles se constituent. Ce sont autant d'éléments qui auront contribué à remettre en question le mariage comme socle de la filiation. Les assises traditionnelles de la famille -le mariage, la puissance paternel-le ou la lignée - semblaient à cette époque en décalage avec la mouvance sociale soi-disant « moderne ».

Devant ces changements de mœurs dans la société et en conséquence du tournant juridique vers l'égalité et la non discrimination, plusieurs décideurs s'entendaient pour réformer le droit de la famille et le système de la filiation. Durant le dernier quart du XXe siècle, les autorités étatiques, les tribunaux et les législateurs des pays occidentaux allaient dans le sens d'une réfonne qui, de l'avis de la majorité des acteurs impliqués dans les questions relatives au droit de la famille, s'imposait de toute urgence. Il fallait réforn1er le droit archaïque et conservateur de la filiation pour 1' adapter aux mœurs contemporaines, pour rattraper 1' évolution de la société.

Le législateur québécois décidait en 1980 de mettre fin au concept d'illégitimité et consacrait le principe d'égalité des enfants, peu importe les circonstances de leur naissance. Depuis cette époque, les réformes se sont succédées, consacrant par exemple

(12)

les procréations assistées, modifiant les règles de l'attribution du nom patronymique, abolissant l'obligation alimentaire des grands-parents et reconnaissant 1 'homoparentalité.

L'ensemble de ces transfom1ations a mis en lumière la complexité de la notion de filiation, la multiplicité des fondements qu'on pouvait lui attribuer et a donné naissance à une profusion de règles ainsi qu'à d'importants questionnements doctrinaux. Il nous est donc apparu que 1' étude du droit québécois de la filiation depuis les vingt-cinq dernières années constituait un riche laboratoire nous permettant d'étudier une institution importante du droit civil en apparence stable, voire même immuable dans ses fondements.

L'analyse du discours doctrinal sur le droit de la filiation au regard des réformes successives depuis le début des année 1980 nous a permis de constater qu'une simple analyse du droit positif de la filiation n'était pas à même d'offrir un éclairage suffisant pour comprendre l'état du droit. À titre d'exemple, comment peut-on expliquer l'importance accordée par le législateur québécois aux liens biologiques à un moment où la volonté et le choix deviennent des valeurs primordiales dans l'établissement de la filiation?

Il nous a semblé que l'étude du discours pourrait apporter un meilleur éclairage sur l'abondance - en un court laps de temps - des réformes dans ce domaine et pour tenter de mettre en contexte les multiples interrogations qui se posent actuellement quant au fondement du droit de la filiation. Face au constat des auteurs relativement à

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1' incohérence des règles actuelles et à la dénaturation de ce champ du droit, il nous est apparu utile de brosser un tableau d'ensemble des grandes influences et des valeurs qui présentent une continuité dans la tradition. Nous situant dans un courant constructiviste, notre contribution à ce champ d'étude tient en la systématisation de la pensée, de la vision des juristes sur ce domaine du droit afin de tenter d'en cerner les influences et de repérer quels autres savoirs les juristes invoquent pour étayer leur vision théorique.

Dans un domaine aussi idéologiquement chargé, il nous est apparu utile de tenter de décoder comment les juristes experts de la filiation comprennent et interprètent les normes et le sens des réformes récentes plutôt que de recenser la structure normative ou d'essayer de dégager l'intention des législateurs. Pour ce faire, il fallait d'abord cerner les idées reçues, la sagesse conventionnelle, les interprétations incontournables émises par les savants dans ce champ du droit. Il fallait, en somme, identifier ce que nous appelons les « idées-phares », celles-là même qui colorent et infusent le discours des experts en matière de filiation.

L'analyse du discours dominant sur la filiation suggère que les règles de filiation ont tour à tour été censées révéler un ordre divin, représenter la cellule de base de la société à l'image de la nation, transposer en droit des relations fondées sur des faits de nature ou consacrer un ordre anthropologique immuable et garant de 1' équilibre psychique des individus. Toutes ces visions ont en commun de soun1ettre la filiation à un ordre, à une autorité planant au dessus du droit.

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Avec l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, le législateur a certes ouvert une

brèche au régime fondé sur la supériorité du mariage, mais les catégories juridiques attachées à la filiation sont demeurées intactes, de même que la logique qu'elles soutenaient: la parenté était binaire, exclusive, hétérosexuelle et devait respecter le modèle naturel de l'engendrement.

Or, le discours des autorités en matière de filiation, et particulièrement celui des théoriciens du droit de la fàmille, se fonde généralement sur des arguments de vérité. Les auteurs affirment volontiers que la filiation est ceci ou cela et ne saurait être modifiée au gré de la volonté des personnes ou de l'inconscience de législateurs pressés. Nous posons l'hypothèse qu'il n'y a peut-être pas qu'une vérité et un seul fondement aux règles de filiation mais que l'on s'attache plutôt à maintenir un ordre qui permet de préserver une certaine idéologie de la parenté et des rapports sociaux. La difficile tâche de cerner la notion, de dégager ses contours et de s'entendre sur une vision commune de ce qu'est ou devrait représenter la filiation force à considérer qu'au-delà du vrai et du faux, de la tradition et du progressisme en la matière, la filiation se situe plutôt sur le terrain de l'argumentation.

C'est la raison pour laquelle nous avons cru opportun de nous concentrer sur le discours des autorités en matière de filiation. Nous nous sommes limités à celui des auteurs de doctrine et ce, pour plusieurs raisons que nous évoquerons dans la section suivante. L'analyse du discours dominant servira d'abord à cerner les valeurs qui surdéterminent le champ du savoir en matière de filiation. Nous constaterons que les mêmes idées-phares

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colorent la théorie à 1' égard des deux catégories de filiation reconnues par la loi : la filiation par le sang et la filiation adoptive.

La première partie de l'exposé est consacrée à l'analyse du concept civiliste de filiation par le sang. Malgré 1' importance attachée aux pouvoirs constituants du sang dans la tradition, nous constaterons que celui-ci était néanmoins subordonné au mariage, lequel était le socle institutimmel autour duquel les filiations s'organisaient jusqu'aux réformes du droit de la famille des années 1970-1980. Nous verrons de quelle façon la biologie a alors été perçue par les juristes comme pouvant fournir un nouveau fondement à la filiation afin de remédier au détrônement progressif du mariage et à l'instabilité engendrée par le toumant individualiste, caractéristique incontestée des sociétés de la modemité avancée.

Nous constaterons que cette vision biologisante est rapidement apparue insuffisante et réductrice d'un point de vue théorique. De plus, l'objectif de faire coïncider les liens biologiques et les liens juridiques s'est révélé, dans une large mesure, contraire aux pratiques et à certaines des valeurs véhiculées par le législateur dans ce domaine du droit.

La seconde partie de 1 'exposé sera consacrée à examiner la façon dont les idées-phares que nous avons identifiées s'articulent dans le discours sur 1' adoption et dans les orientations prises par le législateur pour encadrer cette institution dans le Code civil.

Nous mettrons en lumière la façon dont le discours doctrinal demeure attaché au maintien de catégories hiérarchisées : telles que sang/adoption ou vérité/fiction. Ancrées

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dans la tradition, malgré l'artificialisme de plus en plus apparent de telles oppositions binaires, le déphasage qui s'opère entre le discours scientifique et l'évolution des pratiques de parenté est évident.

Les transfonnations sociales survenues depuis l'entrée en vigueur du Code civil dans les années 1980 ont mis à l'épreuve ce que la plupart des juristes tenaient pour acquis en matière de filiation. Le développement rapide des teclmologies de reproduction assistée; 1' essor de 1' adoption internationale et la transformation du profil des acteurs impliqués dans 1' adoption; la baisse de la nuptialité, ainsi que 1' augmentation du nombre et de la visibilité des familles monoparentales et recomposées ont créé un certain malaise chez les juristes.

Face à la réelle diversité des constellations familiales et à la redéfinition de ce qm constitue le fait d'être parent aujourd'hui, les juristes et autres spécialistes des questions familiales (sociologues, anthopologues, psychanalystes, etc.) ont posé 1 'hypothèse que la tàmille vivait une crise institutionnelle et que le concept de filiation était menacé par des facteurs d'instabilité.

La troisième partie de 1' exposé sera consacrée à analyser la façon dont cette rhétorique de crise a émergé dans un contexte où se développaient les procréations dites «médicalement assistées ». On perçoit nettement dans le discours des juristes, dès le milieu des années 1980, des inquiétudes et une anxiété face à ce que celles-ci pourraient poser comme danger à 1' ordre pro créatif traditionnel. Si les nouvelles teclmiques de

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reproduction étaient devenues socialement et scientifiquement inévitables, les juristes pensaient néanmoins qu'il fallait les contenir et les réglementer de façon à éviter de remettre en question les valeurs dominantes du système civiliste.

Ce ne sera que lorsque le législateur québécois reconnaîtra l'homoparentalité, à l'occasion de la réforme de l'union civile en 2002, que surgira la collision inévitable qui mènera la crise, à tout le moins théorique, à son apogée. La violence des commentaires des juristes au lendemain de l'adoption de la loi témoigne de la force des idées-phares en matière de filiation. Le fait que le législateur prévoit a priori qu'une femme seule ou

qu'un couple de femmes puisse former un projet parental avec assistance à la procréation est apparu, pour plusieurs commentateurs, comme une véritable trahison de la tradition civiliste et de son ordre symbolique.

Il eut été possible de croire que la tempête doctrinale soulevée par la reconnaissance de l'homoparentalité se calmerait d'elle-même, mais force est de constater qu'aujourd'hui encore des auteurs parlent de cette réfom1e comme d'une catastrophe. Ainsi, à titre d'exemple, selon les professeurs Pineau et Pratte, la réforme survenue il y a cinq ans aurait « fait sombrer » la filiation dans « 1 'invraisemblance »2 et la « supercherie »3 et le processus législatif ayant mené à la réfom1e aurait non seulement omis de favoriser

1' intérêt de 1' enfant mais aurait fait en sorte de « nous berner » 4.

2

Jean Pineau et Marie Pratte, Lajàmille, Montréal, Thémis, 2007 à la p. 674.

3

Ibid. à la p. 670.

4

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La démonstration des pratiques discursives entourant la filiation à laquelle nous consacrons les deux premières parties de l'étude explique partiellement les raisons pour lesquelles la prise en compte des filiations résultant des procréations assistées ou des filiations homoparentales heurte la logique des catégories traditionnelles et demeure problématique dans le système nonnatif et idéologique actuel.

La polarisation du débat universitaire sur la filiation et les controverses entourant les procréations assistées invitent à réfléchir sur une question principale. La filiation est-elle un construit juridique, sujet à transformation et à redéfinition suivant une perspective politique et démocratique ou bien s'agit-il d'une catégorie préjuridique qui transcende le droit posé par les législateurs? En d'autres termes, les débats actuels sur le sujet appellent un questionnement sur le droit civil de la filiation. Celui-ci est-il soumis à un ordre qui le dépasse et qui limite ses possibilités de transformation, que ce soit au nom de la tradition, de la nature, ou de l'ordre symbolique ou peut-on au contraire l'appréhender dans une perspective politique et négociable? Sommes-nous donc en présence d'un horizon transcendant ou nous situons-nous dans l'ordre du construit?

Nous pouvons d'ores et déjà nous positionner dans cette dialectique et avouer avec candeur que nous ne croyons pas que le droit de la filiation soit priso1mier du passé ou d'un quelconque ordre divin qui le surplomberait et limiterait ses possibilités de transformation. La tendance des juristes consistant à soumettre les règles de parenté à un ordre supérieur, que celui-ci soit chrétien, anthropologique ou psychanalytique, peut à bien des égards évoquer une représentation de la filiation qui s'aligne sur le droit naturel.

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La continuité et la récurrence des arguments naturalistes avancés par les juristes au soutien de la perpétuation d'un modèle de filiation, malgré l'évolution du droit et la transformation des pratiques, démontrent clairement que ce domaine du droit est toujours tiraillé entre des fondements terrestres et divins. Certains diront entre une conception fonctionnaliste, voire technicienne, par opposition à une vision symbolique, civiliste, ou institutionnelle.

Malgré la force des injonctions naturalistes et la tendance, à la fois civiliste et occidentale -qui nous pousse à voir dans l'organisation de la parenté un système universel et ancré dans la nature des choses - notre analyse nous permet némm1oins de suggérer que le droit n'est pas à l'abri du social, de l'évolution humaine et culturelle. Surtout, il n'est pas, même dans ce domaine, aussi figé que 1' on pourrait croire. Nous posons en ce sens l'hypothèse que la filiation relève non pas d'un positivisme qui serait dogmatiquement contrôlé par l'État, mais plutôt d'un positivisme social, d'un continuum social et pluraliste qui prend en compte l'idée d'une multiplicité des sources de lajuridicité. En ce sens, les règles ayant trait à la famille et à la parenté ne peuvent qu'évoluer et se transformer, propulsées par la t1uidité du concept et tàçonnées par une pluralité d'acteurs sociaux qui constituent l'ensemble de la matrice culturelle.

Cette position théorique nous pem1et dans un premier temps de mettre en doute la supposée « crise institutionnelle » de la filiation. Tout d'abord, nous avons noté une continuité historique plutôt qu'une rupture dans les valeurs privilégiées par les juristes et

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le législateur dans ce domaine du droit. Il appert de plus que les mécanismes de pouvoir justifiant la préservation d'un ordre procréatif fondé sur la conjugalité hétérosexuelle féconde sont toujours à l'oeuvre dans 1e discours comme dans la pratique des intervenants sociaux. Nous posons alors l'hypothèse qu'au-delà d'une crise de l'institution, nous sommes peut-être davantage confrontés à une transition qui nous invite à développer une casuistique de la filiation permettant de penser collectivement le droit.

L'épaisseur du bagage culturel, religieux et idéologique de ce domaine du droit et l'attachement traditionnel à des catégories- dont l'étanchéité et la réalité ont toujours semblé boîteuses - est peut-être tout simplement plus apparent à la lumière de la diversité familiale contemporaine. La pluralité des modèles familiaux est par ailleurs dif1icile à ignorer compte tenu du fait que certaines catégories de personnes, qui n'avaient autrefois pas de statut ou de voix au chapitre de la parenté, réclament aujourd'hui d'être entendues.

:pans un deuxième temps, l'insistance avec laquelle certains juristes militent pour que le droit de la filiation reste fondé sur le modèle de l'engendrement illustre à quel point le droit de la filiation est toujours ancré dans une épistémè judéo-chrétienne à peine dissimulée. Bien évidemment, on ne se réclame plus de Dieu ou de règles théologiques pour affirmer que la filiation ne peut s'articuler que dans la différence des sexes et dans la dynamique conjugale. Le discours dominant se réclame plutôt aujourd'hui de règles anthropologiques inspirées de la théorie structuraliste et de la psychanalyse.

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Les juristes constatent néanmoins que la filiation se détache de plus en plus de la sexualité et cette évolution est perçue comme un danger. En plus de trahir la tradition civiliste, ce phénomène menacerait du même coup la civilisation et le bien-être des individus. Nous démontrerons la façon dont on insiste sur le fait que la difiérence des sexes, l'ordre sexué, doit à tout prix être au coeur du principe de filiation. C'est conm1e s'il s'agissait du dernier retranchement, du dernier lieu permettant de préserver la complémentarité naturelle des hommes et des fenm1es et peut-être de l'ultime argument pour maintenir la centralité du père dans l'ordre familial.

Considérations méthodologiques

Il va sans dire qu'un projet d'analyse du discours juridique pose d'emblée des difficultés d'ordre épistémologique. Le fait de se placer du côté de la rhétorique et de tenir pour acquis que le droit de la filiation et sa transformation relèvent du terrain argumentatif, au même titre que d'autres domaines plus utilitaires du droit, nous oblige à rejeter une approche naturaliste ou une simple analyse positiviste du droit. Nous avons plutôt opté pour ce que nous appelions une « analyse du discours » qui consiste à recenser les écrits principaux de la doctrine sur les principes du droit de la filiation. Cela nous sert de point de départ pour identifier quelles sont les valeurs principales et les a priori qui dominent

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Cela nous oblige également à mettre au point une méthodologie, plus précisément une grille d'analyse qui soit à même de nous permettre d'intégrer ce que nous appelions les idées-phares, entendues comme celles qui désignent le savoir traditionnel et l'ensemble des idées reçues dans ce domaine particulier du droit. Il nous tàut donc tenir compte de facteurs allant au-delà des nonnes, au-delà des textes eux-mêmes, . Il s'agit de ce que Gérard Timsit a qualifié « les silences de la loi »5• Et c'est en ce sens que les théories de

l'hem1éneutique juridique nous apparaissent utiles pour les fins de notre analyse du discours.

En nous inspirant des travaux de juristes qui ont utilisé les principes de l'herméneutique, comme Gérard Timsit et Andrée Lajoie, nous avons tenté d'étudier le droit à travers ses représentations doctrinales. Cette approche permet de démontrer, à une époque donnée et dans un contexte socio-historique détenniné, l'efficace des valeurs dominantes sur la production du droit issu aussi bien du pouvoir législatif que du pouvoir judiciaire. Ces auteurs ont ainsi pu démontrer la façon dont les instances institutionnelles qui interprètent le droit (par exemple les juges) font un travail d'arbitrage entre les valeurs dominantes de la société dans laquelle ils se trouvent et celles, plus marginales, portées par des groupes minoritaires.

Cette . approche ne permet pas de comprendre comment les valeurs dominantes se manifestent à une époque dom1ée ou de quelle façon une vision minoritaire dans un domaine particulier du droit peut, avec le temps, devenir une position dominante. La

5

Gérard Timsit, Les noms de la loi, Paris, Presses Universitaires de France, 1991. Voir également le travail d'Andrée Lajoie, par exemple : Quand les minorités font la loi, Paris, Presses Universitaires de France, 2002.

(23)

théorie n'a d'ailleurs pas la prétention d'expliquer le changement social ou de prédire l'évolution du droit. Elle permet néanmoins d'analyser de quelle façon le droit est façonné, influencé et transformé grâce à un dialogue entre plusieurs acteurs, tour à tour auteurs et interprètes, impliqués dans un processus de production de sens, toujours en mouvement.

Pour les fins de notre étude, nous avons choisi d'analyser le discours doctrinal sur la filiation en recensant les écrits sur le sujet parus au Québec depuis 1980, qu'il s'agisse de traités, de précis, de monographies ou d'articles d'ouvrages et de revues juridiques. Nous avons choisi de nous concentrer sur le discours des auteurs en raison de l'importance de leur influence dans la tradition civiliste.

Nous avons également analysé les textes de la doctrine française parus depuis les années soixante-dix et qui ont eu une influence marquante sur la pensée juridique québécoise dans le domaine, en nous fiant d'abord aux autorités auxquelles les auteurs québécois faisaient explicitement référence et aux rattachements théoriques évidents qui ressortaient du discours savant.

Cette revue de la littérature nous a servi à identifier ce que la professeure Lajoie a nommé les valeurs dominantes et que nous préférons définir comme les idées-phares des juristes experts de la famille. Ces idées peuvent ou non correspondre aux valeurs dominantes de la société québécoise; elles appartiennent, à notre sens, à un champ

(24)

disciplinaire, à cet auditoire particulier, pour reprendre la terminologie de Chaïm Perelman6.

Les idées-phares peuvent être décrites comme les principes de vérité mis de l'avant par les juristes pour définir et cemer la notion de filiation et ses fonctions dans le contexte particulier de la tradition civiliste du Québec des vingt-cinq demières années. Par ailleurs, ce savoir particulier qui domine la doctrine est en quelque sorte sédimenté par cette même et longue tradition civiliste ainsi que par la relative immobilité de ce domaine du droit prévalant, du moins jusqu'à tout récemment, au Québec. Le discours dominant au Québec est d'ailleurs situé dans les rapports qu'il entretient avec la tradition française, dans la façon d'entrevoir la réglementation des rapports de parenté.

Cette analyse des écrits et la récurrence des concepts retenus par les juristes pour justifier leur interprétation des textes sur la filiation nous permettra de dégager les idées-phares, ou les grandes tendances axiologiques qui colorent le sens accordé par les juristes aux règles de filiation et à leurs fonctions.

À partir de ce premier dépouillement, nous analyserons dans quelle mesure ces idées-phares ont été reçues dans le droit positif en choisissant deux moments clé dans la transformation du droit de la filiation, soit la réforme de 1980 introduisant le livre de la famille du nouveau Code civil du Québec et celle de 2002 établissant l'union civile et de nouvelles règles de filiation.

6

(25)

Nous identifierons dans quelle mesure ces idées-phares ont été intégrées dans les normes édictées par le législateur selon deux modèles. Le premier est celui que l'on nomme

l'intégration-fusion: il correspond à la réforme de 1980 et consiste en l'introduction par

le législateur de nom1es en ham1onie avec les idées-phares et dans le cadre d'un processus législatif impliquant les experts juristes. Nous constaterons que le travail de réconciliation exercé par le législateur, lui qui doit arbitrer entre les idées portées par l'auditoire particulier (composé des juristes) et celles véhiculées par l'auditoire universel (les attentes du public, de la société en général), semble avoir satisfait aux attentes des juristes experts du droit de la famille. À la suite de la réforme, un consensus général se dégageait de la doctrine; l'évolution du droit était conforme à l'évolution sociale, dans une idée de progrès.

Nous nommerons le second modèle observé de modèle d'intégration-modification.

Celui-là correspond à la réforme de 2002, et consiste en l'introduction par le législateur de nonnes qui contredisaient en partie les idées-phares et allaient apparemment à l'encontre de principes tenus pour fondamentaux par l'auditoire particulier des experts juristes7. Le

législateur, assumant son rôle d'arbitre entre les différents auditoires, devait alors tenir compte de nouveaux acteurs et de nouvelles voix qui émergeaient à peine vingt ans auparavant et qui mettaient dorénavant de l'avant leurs propres priorités et idées nouvelles en matière de filiation. Face au pluralisme de la société québécoise du XXIe siècle, les experts juristes ne constituent désormais plus les seuls interlocuteurs

7

(26)

«

parlants », les seuls interprètes et auteurs avec lesquels le pouvmr étatique doit composer.

Lors de cette récente réforme, le législateur a néanmoins maintenu plusieurs des principes traditionnellement privilégiés par les experts, en plus de poser des limites à l'intégration de nouvelles idées ou valeurs porteuses de sens. Dans le cadre de ce second modèle, le travail de réconciliation entre les idées-phares et les nouvelles idées mises de l'avant par une pluralité d'acteurs sociaux impliqués dans le processus de production des normes a complexifié le droit. On peut soutenir que ce nouvel arbitrage a créé un processus d'hybridation des fondements. Ce phénomène a donné naissance à un droit de la filiation apparemment transfom1é ou à tout le moins en rupture partielle avec la tradition portée par les experts juristes. Le discours doctrinal dominant, dans ce cas-ci, fait état d'un danger, d'une déchéance potentielle et d'une menace pour l'ordre juridique, voire même l'ordre sociétallui-même.

Afin de schématiser notre démarche théorique redevable des théories de l'herméneutique juridique, du pluralisme juridique et de la critique féministe, nous proposons une analyse

du discours juridique sur la filiation au Québec et en particulier le discours doctrinal.

Tout d'abord, les grandes transfonnations juridiques en matière de famille survenues au Québec n'ont pas été le fruit de confrontations devant le forum judiciaire. En ce sens, la tradition de droit civil du Québec, disons plus stato-centriste, se distingue du monde juridique anglo-canadien où, malgré des initiatives législatives, la plupart des débats

(27)

concernant l'évolution du droit de la filiation se sont déroulés devant les tribunaux. Dans le cas nous intéressant, la transformation du droit résulte d'un arbitrage entre différentes idées, non par le juge, mais par le législateur.

Par ailleurs, pour des raisons ayant trait à la spécificité de la tradition civiliste et de l'importance que· celle-ci accorde à la persmme dans ses liens personnels et fàmiliaux, l'apport des idées de la doctrine est fondamental dans le domaine de la filiation. Qui plus est, le rôle prédominant des théoriciens de la famille dans le processus d'élaboration des normes s'est profondément transformé au cours des vingt dernières années. Le rôle clé de la doctrine en tant qu'interprète en dialogue avec le législateur constituait le meilleur témoin pour examiner 1' évolution des idées permettant la transformation du droit.

Nous n'attribuons pas de position suprahistorique à ces interprètes, mais nous cherchons plutôt quelles contraintes le texte exerce sur leurs interprétations. Et ce, surtout considérant que le texte lui-même renferme tout un horizon culturel, traditionnel, et renvoie à un long processus de sédimentation où des couches successives de sens, d'idéologies et de discours d'autorité se sont accumulées pour complexifier les notions. D'Lm point de vue structurel, l'interprète est ici situé historiquement, culturellement contraint et en interaction pem1anente avec un texte qui porte en lui-même des bagages et le poids du passé.

Nous analyserons quelles sont les idées, les faits, les postulats implicites qui guident et limitent l'interprétation que les experts juristes font des règles de filiation. Ici, le

(28)

phénomène de sédimentation, tel que décrit par Christian Atias8 nous servira pour apprécier la façon dont les juristes se sentent liés par un savoir idéologiquement et théoriquement infusé de puissants mythes et référents culturels.

À cet égard, les règles juridiques ayant trait à la filiation sont intimement liées à ce que les juristes compre~ent d'autres savoirs qui, dans la tradition juridique française et québécoise, ont eu un important impact symbolique. Il s'agira ici de décoder, à travers des références directes et indirectes formulées par la doctrine, une métatextualité, un ensemble de dogmes postulés explicitement o.u non par les juristes et qui participent de la construction des idées-phares.

Dans un domaine qui relève à la fois d'un savoir technique spécialisé et qui appartient tout autant à la vie sociale de tous les jours, aux mythes fondateurs de la société et à la religion, la superposition des notions et 1' épaisseur du sens appelle un travail de décodage large, débordant des seules références consciemment évoquées. L'influence de la pensée chrétienne, d'un certain discours psychanalytique français, de l'anthropologie structuraliste ainsi qu'une vision particulière des rapports sexués sera en cause.

8

Voir notamment son ouvrage intitulé : Christian Atias, Épistémologie juridique, Paris, Dalloz, 2002, p. 184 à 190. Consulter également : Christian Atias, Savoir des juges et savoir des juristes : mes premiers regards sur la culture juridique québécoise, Montréal, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec (Université McGill), 1990.

(29)

PREMIÈRE PARTIE: LA FILIATION PAR LE SANG

Chapitre 1- La corrélation entre alliance et filiation dans la conception

civiliste de la filiation

a) La soumission du sang au mariage dans la tradition civiliste

On a 1 'habitude de décrire le système occidental de parenté, qui caractérise les sociétés européennes et nord-américaines, comme un système cognatique de type généalogique. L'enfant, dans .ce système, est censé descendre d'un père et d'une mère et sa filiation est bilatérale. Elle s'établit également du côté de la mère et du côté du père. L'enfant est donc celui de ses deux parents; il a quatre grands-parents et a les mêmes rapports avec ses cousins, oncles et tantes, tant du côté maternel que paternel.

Ce système existe dans la perspective de sa mise en parallèle ou de son adéquation avec le mariage monogame hétérosexuel. Il est bien sûr question ici de l'influence de l'Église chrétienne sur la stmcture de la parenté occidentale, à compter des

xre

et XIIe siècles. En vérité, c, est dès la fin du

rxe

siècle que les tribunaux ecclésiastiques sont devenus compétents en matière de mariage et de filiation9. Et si tout au long du Moyen Âge, le

mariage et la filiation relevaient d'un partage de compétence entre autorités religieuses et laïques, l'influence de la doctrine canonique ne fait pas de doute10•

9

Michel Morin, Introduction historique au droit romain, au droit français et droit anglais, Montréal, Thémis, 2004 à la p. 112.

10

Voir par ex. Anne Lefebvre-Teillard, Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, Presses universitaires de France, 1993, au n° 90 et s. et au n° 195 et s.

(30)

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1 Avec l'influence chrétienne, le mariage est devenu à la fois contrat et sacrement. L'union devait être in facie ecclesiae, de façon à en contrôler la preuve et la publicité. La célébration et les rites qui 1' entouraient assuraient la publicité et la solennité de 1 'union, en plus de serVir à distinguer le mariage du concubinage, férocement combattu par l'Église11. Selon certains théologiens, saint Thomas d'Aquin, saint Augustin et d'autres

encore, la sexualité procréatrice était la seule acceptable et celle-ci ne devait se vivre qu'à l'intérieur des liens sacrés du mariage. Organisé de façon hiérarchique, avec à sa tête le mari, le mariage impliquait pour les époux des obligations et des devoirs clairement énumérés par le droit canon. La première de ces obligations était justement le devoir conjugal : « ordonné à la procréation, le mariage est aussi remède à la concupiscence » 12•

Bien que durant l'Ancien Régime et jusqu'aux codifications du XIXe siècle le contrôle du mariage et de la filiation fût partagé entre l'Église et l'État et qu'il était clair que les coutumes variaient en Europe d'une région à l'autre, ïl n'en demeure pas moins que des grands principes communs peuvent être dégagés. D'abord, la filiation avec tous ses etTets n'avait lieu qu'en mariage. La filiation en dehors du mariage était toujours combattue et les sanctions du droit étaient graves. Les enfants qualifiés de « naturels » ou de bâtards, dont la condition variait d'une coutume à l'autre, n'avaient que des droits limités et surtout ils étaient exclus de la famille de leurs auteurs. Au mieux, s'ils étaient reconnus par leurs parents, ils avaient droit à des aliments ou à une part d'héritage.

11

Ibid au ll0 100. 12

(31)

L 'importance du sang dans la conception européenne de la parenté

Dans un ouvrage récent, 1' anthropologue Maurice Gode lier efiectue une grande synthèse des métamorphoses de la parenté dans les sociétés connues afin, entre autres objectifs, de comprendre ce qui arrive dans la société occidentale où la parenté est constamment remise en question depuis les dernières décennies. Un de ses constats principaux est que les systèmes de parenté évoluent et changent en fonction d'intérêts et de forces qui poussent les sociétés à modifier les règles organisant le mariage, les alliances et les principes qui régissent la transmission et la filiation. Parmi les forces les plus puissantes pouvant opérer un tel changement, il cite la religion.

On 1' a vu avec le christianisme, qui est intervenu brutalement et continûment pour interdire les mariages avec des parents proches, le remariage des veuves, l'adoption des enfants, qui a privé des familles et les groupes de parenté de la capacité de célébrer eux-mêmes les mariages de leurs membres, etc. 13

L'étude de Godelier révèle que l'enfant est au coeur des enjeux de parenté. Son rôle ne se limite pourtant pas à organiser la filiation et la descendance puisqu'elle peut opérer à deux niveaux distincts. La parenté joue un rôle dans la construction personnelle de l'identité des invividus, dans leur intégration sociale et affective au groupe. Elle agit aussi au niveau sociétal, dans la mesure où elle participe de la réglementation des tmions sexuelles et matrimoniales pennises et de 1' appropriation des enfants qui naissent de ces

. 14 umons .

13

Maurice Godelier, Les Métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2004 à la p. 531.

14

(32)

Nous constaterons que dans la tradition juridique europée1me dont le Québec hérite, la promotion de la sexualité dans le mariage et la domination de l'homme en tant que chef de famille ont été déterminants dans l'organisation des règles de la filiation. La discrimination à 1' égard des enfants naturels et un système de transmission successorale favorisant le maintien des biens dans la lignée paternelle caractérisent la dimension sociale et politique du système de parenté avant les grandes réformes du XXe siècle que nous aborderons dans les prochains chapitres. Nous verrons de plus qu'au plan conceptuel et identitaire, le sang domine les représentations de la filiation et de la parenté.

Le travail des anthropologues qui étudient les systèmes de parenté met en lumière les différentes visions qu'entretiennent les sociétés au sujet de la descendance et des fondements des liens de filiation, visions représentées chaque fois par des éléments particuliers censés passer d'un individu à l'autre. Dans la société occidentale, l'idée du sang a traditionnellement été déterminante. Un anthropologue écrit que l'idée selon laquelle mon fils est véritablement mon fils «que s'il partage ma chair et mon sang »est profondément enracinée dans la culture européenne et nord-américaine15•

Pourtant, d'autres éléments sont privilégiés dans diverses cultures pour représenter l'idée de filiation et de continuité générationnelle. Ainsi, ce sera parfois le souffle, le sperme, l'âme16 ou même des rapports d'autochtonie qui seront associés à la reproduction des générations. Un anthropologue explique que chez les Malaisiens, par exemple, on

15

Francis Zimmermann, Enquête sur la parenté, Paris, Presses universitaires de France, 1993 à la p. 185.

16

(33)

n'établit aucune connexion entre les rapports sexuels et la procréation. Dans cette société, c'est traditionnellement la terre qui joue ce rôle biologique. Ce sont les germes d'enfants émanant de la brousse qui viennent féconder l'épouse. Il s'agit là d'une théorie indigène de la reproduction par autochtonie17.

Dans la culture occidentale, l'anthropologue David Schneider fixe la supériorité des liens du sang comme étant ce qu'il nomme le «préjugé fondamental» traversant l'épistémologie de la parenté18• Le sang est la substance qui fait, qui garantit et qui

symbolise les liens entre parents et enfants. Francis Zimmennam1, se fondant sur les célèbres études d'anthropologie sociales que Sclmeider effectua dans les années 1960, précise qu'il s'agit d'une v1s10n spécifiquement européenne des prmc1pes anthropologiques« inscrite dans nos croyances »19•

La vision occidentale de la parenté relève donc, au même titre que celle des autres cultures, d'une ethnobiologie locale, particulière et dépendante d'un contexte social, culturel et historiquement situé. Maurice Godelier affirme que les multiples représentations culturelles des éléments par lesquels on devient parent ainsi que les diverses conceptions ethnobiologiques que l'on retrouve de par le monde ont en commun d'être en partie des fictions qui ne relèvent pas de la biologie mais bien de l'idéologie20.

17 Zimmermann, supra note 15

à la p. 191. 18

David Schneider, American Kinship: A Cultural Account, Englewood Cliffs (New Jersey), Prentice Hall, 1968.

19

Zimmermarm, supra note 15, p. 185

20

(34)

Avec ces premiers constats, il est possible de prétendre que l'organisation de la parenté en Occident est un continuum social et culturel. Le système est graduellement infusé d'influences idéologiques, religieuses et politiques diverses qui servent à rationaliser le contenu des règles juridiques de la filiation. Nous retiendrons pour l'instant la prépondérance de trois éléments qui demeurent centraux dans le dispositif normatif de la filiation: le mariage, l'hétérosexualité et l'idée de la transmission biologique.

La personne en droit civil

Pour aborder le droit de la filiation, il convient de revenir aux principes classiques de division du droit civil, lesquels proviennent du droit coutumier et sont, en cela, héritiers du droit romain. La tradition civiliste, en effet, opère d'abord des distinctions entre les choses et les personnes, et subdivise cette dernière catégorie.

En ce sens, dans le droit civil issu de la tradition romaine, la notion de personne est d'une toute première importance, de la naissance à la mort. Le droit s'effectue à la catégoriser, à la classer en fonction de divers critères, tels que la naissance, l'âge, le domicile, le sexe, la capacité, etc. Puisque toutes les composantes de son état, de son statut (de façon classique : status libertatis, status civilis et status familiae) auront des répercussions sur

les droits et obligations dont la personne civile (opposée en cela à la personne humaine) disposera, elle est l'objet de gloses, de discussions et de qualifications in abstracto21•

21

Sur la notion de personne en droit civil, voir le savant article de Jean-François Niort, «Personne et discrimination : approche théorique et historique » dans Marie Mercat-Bruns, dir., Personne et discrimination: perspectives historiques et comparées, Paris, Dalloz, 2006, 15. Niort explique que la personnalité juridique n'a pas été reconnue à tous les êtres humains dans la tradition civiliste et a plutôt

(35)

Pothier enseignait, à l'image du droit romain, que les trois objets principaux du droit coutumier étaient les personnes, les choses et les actions. Les personnes considérées par le droit étaient celles qui jouissaient de la vie civile22, excluant ainsi les religieux qui

renonçaient volontairement au siècle et à la société et les personnes condamnées à la

peine capitale. Le droit distinguait également entre Français et étrangers. Et encore, parmi les membres de la société civile, on ditiérenciait les Français naturels (ceux nés en France), des Français naturalisés (qui avaient obtenu du roi des lettres de naturalisation) et des Aubains, purs étrangers qui ne participaient pas au droit civil mais qui bénéficiaient seulement des droits établis par le droit des gens23• On divisait alors encore

les personnes entre celles qui disposaient pleinement de l'usage de leurs droits civils et celles qui étaient sous la puissance du mari, du père ou d'un tuteur ou curateur. Finalement, Pothier évoquait la division entre clercs et laïques et entre nobles et roturiers. Il excluait toutefois la distinction entre personnes franches et serviles, disparue avec la révolution.

En 1866, au moment de la rédaction du Code civil du Bas Canada, les codificateurs -qui avaient été chargés d'élaborer une synthèse du droit en vigueur dans la province de Québec et d'élaborer un code, par sujets et par articles, selon le modèle du Code

servi d'artifice juridique servant à ériger certains individus, et même parfois des biens, en acteurs de la vie juridique. Ce mécanisme servait à distinguer les personnes et à instaurer des différences de traitement et de statuts juridiques entre diverses classes d'êtres humains en considération de leur sexe, de leur état de servitude ou de liberté, selon l'âge ou l'état matrimonial. Il explique que malgré la conception humaniste et biologisante de la personne qui se développe à compter du XIx• siècle, la conception institutionnaliste de la personne est demeurée à plusieurs égards dans le droit civil contemporain. Il cite, à titre d'exemple, le statut de l'embryon à qui le droit français, comme le droit québécois d'ailleurs, reconnaît certes le statut d'être humain mais non de« personne». Voir ibid. à la p. 18.

22

M. Bugnet, dir., Œuvres de Pothier, t. 1, Coutume d'Orléans, Paris, Cosse et De lamotte, 1845 à la p. 8.

23

(36)

.r"· Napoléon de 1804 - retinrent essentiellement le statut civil et le statut familial pour

distinguer les différentes catégories de personnes.

À l'instar des rédacteurs du Code civil français, le premier livre du Code civil du

Bas-Canada, Des personnes, est consacré d'abord au statut civil, jouissance et privation des droits civils, actes de l'état civil, domicile et absence (titres I à IV). Le reste du premier livre (les titres V à X) est consacré au statut fàmilial alors que le dernier titre traite de la personne morale. Nous pourrions affinner que «c'est moins la personne en elle-même qui est envisagée par les rédacteurs du Code civil que son statut, sa "place" dans la société civile »24.

Pour comprendre la façon dont la filiation a été codifiée en droit québécois et la façon dont les juristes interprètent cette notion, il est utile de brosser un tableau schématique des grandes influences occidentales à cet égard. Sans prétendre faire œuvre d'historien ou même rendre compte de tous les phénomènes ayant pu colorer la représentation juridique de la filiation dans un système donné, identifier certaines bornes idéologiques

24

Denis Alland et Stéphane Rials, dir. Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003, s. v. «personne » à la p. 1152. Le professeur Crépeau affirmait que le Code civil du Bas Canada était un « Code de propriétaires et de rentiers, davantage préoccupé par la protection du patrimoine que par le respect des droits de la pers01me humaine » dans l'introduction au projet de Code civil soumis par l'Office de révision du Code civil au législateur en 1978 : Paul-André Crépeau, « Préface » dans Office de révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, vol. 1, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1978, i à la p. xxxi [Crépeau, «Préface»]. Pour une excellente illustration de la centralité de la personne dans la tradition civiliste, on consultera le chapitre consacré au droit civil dans l'ouvrage de H. Patrick Glenn, Legal Traditions of the World. Sustainable Diversity in Law, 2• éd., Oxford, Oxford University Press, 2004, notamment aux pp. 140-146. Le professeur Glenn explique le passage de l'individu classé catégoriquement en fonction de statuts hiérarchiques dans 1 'Ancien Régime à 1 'idéologie moderniste où la personne, détentrice de droits subjectifs, peut se libérer de l'oppression et accéder à la dignité et à la liberté. Dans cette perspective, la loi, dont la quintessence est le droit codifié étatique, contrôle alors l'exercice des droits qui lui sont inhérents en tant que personne humaine, égale en droit et autonome dans sa volonté.

(37)

et politiques aideront à apprécier comment s'est opérée la mixtion, en droit, de la filiation, de la descendance et de la légitimité.

Atme Lefebvre-Teillard, dans son remarquable ouvrage d'histoire du droit des personnes et de la famille, énonce (ce qu'elle a d'ailleurs rappelé à d'autres occasions25) que la filiation est un concept d'essence politique26. Elle explique que, comme le mariage, la filiation a pour but d' institutimmaliser la reproduction de 1' espèce selon des règles propres à assurer la « transmission ». Transmission de la vie certes, mais auss1, transmission d'un ordre des choses- transmission de biens, de puissance, de nom- bref, il s'agit de la continuation d'un ordre sociétal. Elle écrit:

La filiation est un lien de droit : en cela elle diffère du lien chamel, lien biologique, qui en est le support. Entre l'enfant et ceux qui lui ont donné la vie, le droit n'accepte de reconnaître un lien juridique que sous certaines conditions. Pendant longtemps par exemple, il n'y a eu à Rome de paternité que légitime. La filiation est si bien un lien de droit qu'elle peut se passer du lien biologique qui en est le support habituel : tel est le cas de la filiation adoptive, institution romaine par excellence. Les Romains qui étaient très pénétrés du caractère juridique de la filiation, qualifiaient de legitimi,

légitimes, aussi bien les enfants nés en justes noces, que les adoptés. Cet aspect juridique sera d'autant plus dominant que par sa naissance l'individu n'est pas seulement rattaché à son père ou à sa mère mais, par leur intermédiaire, l'est à la Cité. «L'homme ne naît pas seulement pour sa famille mais pour l'État »27•

La filiation compnse comme moyen d'intégration de l'enfant au sem d'une famille (dimension généalogique) et au sein de la société (dimension politique) ne relève pas seulement du temps des Romains. Cet aspect institutionnel de la filiation existait toujours au moment de la codification du Code Napoléon tout comme au moment de la rédaction

25

Voir Dictionnaire de la culture juridique, ibid. s. v. « filiation » à la p. 720 et s.

26

Lefebvre-Teillard, supra note 10 à la p. 230.

27

(38)

du Code civil du Bas Canada. Elle n'a d'ailleurs pas complètement disparu des préoccupations des législateurs des États contemporains.

C'est par l'établissement de règles de filiation et de contrôle des unions matrimoniales que les sociétés occidentales, et bien d'autres, comme nous le rappelle le travail des anthropologues, orgànisent les systèmes de parenté. Cependant, 1' attribution juridique de la filiation, en Occident, passe principalement par l'existence ou l'absence d'un lien conjugal qui permet de rattacher l'enfant à un père, le mari. Cette tendance, déjà présente en droit romain, a été renforcée par le christianisme qui, au cours des siècles suivant la chute de 1' empire romain, parvint à imposer son contrôle sur le mariage et la sexualité.

À partir du moment où 1 'Église imposa sa conception du mariage comme sacrement et que sa doctrine s'imposa en ,Europe comme religion d'État, la distinction entre enfants nés du mariage et ceux provenant d'unions de fait (qui avait pu être incertaine au haut Moyen Âge) devint fondamentale. Dorénavant, seuls les enfants de parents mariés avaient une filiation plénière qui entraînait une réelle intégration familiale : droit à l'héritage, aux aliments, ga:rde, puissance paternelle et entrée dans la lignée.

On comprend dès lors que les canonistes et romanistes antiques reprennent la présomption romaine pater is est qui nuptiae demonstrant : le père est celui que désigne le mariage. La maternité relève toujours d'une évidence : avec la grossesse et 1' accouchement, nul besoin de la tàire reposer sur une présomption. Mater semper certa

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