HAL Id: dumas-01558104
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De la Bibliothèque nationale à la Bibliothèque nationale
de France François Mitterrand
Aurélia Maggiore
To cite this version:
Aurélia Maggiore. De la Bibliothèque nationale à la Bibliothèque nationale de France François Mit-terrand. Sciences de l’information et de la communication. 1997. �dumas-01558104�
Aurélia MAGGIORE
MEMOIRE DE MAITRISE EN
SCIENCES DE L'INFORMATION ET DE LA
COMMUNICATION
De
la
Bibliothèque nationale à la Bibliothèque nationale
de
France
François
Mitterrand
La
Bibliothèque nationale de France s'ouvre
augrand public
:Ni
bibliothèque municipale,
nibibliothèque universitaire,
nibibliothèque publique d'information,
pour
qui
etpourquoi la
Bibliothèque nationale a-t-elle changé de
statut?
sous la direction de :
Mme A.
Béguin
LILLE 3
UNIVERSITE CHARLES DE GAULLE
UFR IDIST
juin 1997
B.U.C.LILLE 3
D 021 570478
MOTS-CLES
Bibliothèque nationale de France -Histoire Bibliothèques- France-Histoire
Bibliothèques- France-Pratiques culturelles Libre accès
France -Politique culturelle -Histoire
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier MmeBéguin, qui asuivi de près ce mémoire, ainsi que Mme Jallet, conservateur à la Bibliothèque nationale de France, M. Pozzi de l'Ufficio centrale per i beni librari et Mme Guglielmi de la Biblioteca nazionale
braidense di Milano,pour leurs contributions. Merci aussiàtous les magasiniers et bibliothécaires adjoints spécialisés qui m'ont aidé à cerner le public de la Bibliothèque nationale de France.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Page
6
1 / HISTOIRE DE LA
BIBLIOTHEQUE
Page 7-15
1.1 / 1537 : création dudépôtlégal Page 7-10
1.2 /De nouveaux moyens auXIXe siècle Page 11-12
1.3 / Lesmodernisations du XXe siècle Page 13-15
1.3 .1 / Unecroissanceexponentielle dufonds
1.3.2/ Lademande croissante du public
1.3.3/ Lestransformationstechniques
2 / GENESE D'UN PROJET
Page
16-28
2.1 / Lesambitions affichées Page 16-21
2.1.1/"Laplus modernebibliothèque du monde"
2.1.2 /Missionsd'uneBibliothèque nationale
2.1.3/ Lafréquentation de la Bibliothèquenationale
2.2 / Leschangements destatut Page22-23
2.3 / Durêveà laréalité Page 24-30
2.3.1 / Lebâtiment
2.3 .2/ Lefonds documentaire
2.3 3 / Lelibreaccès
3 / "L'HEURE DE VERITE"
Page
31-56
3.1/ Les hypothèses de départ Page31-33 3.1.1 / LaBibliothèque nationale de Franceestméconnue
3.1.2/L'inadéquation duhaut-de-jardin à la demande 3.1.3/ Unfonds insuffisant
3.1.4/ UnBeaubourg "bis"
3.2 /Élaboration duquestionnaire Page34-53 3.2.1 / LepublicdeBeaubourgetdesBibliothèques universitaires
3.2.2. / Lepublic delaBibliothèquenationale
3.3 /Analyse dupublicduhaut-de-jardin Page54-58
4 / DE LA NECESSITE REELLE
Page
59-76
D'UNE OUVERTURE AU GRAND PUBLIC4.1 / Les habitudesculturelles du public des bibliothèques Page60-67 4.1.1/Fréquentationdesbibliothèquesmunicipales
4.1.2/Fréquentation de laBPI
4.1.3/Fréquentation desbibliothèquesuniversitaires
4.1.4/ Miseenrelationdedonnéesdesbibliothèquesaveccelles duhaut-de-jardin delaBibliothèquenationalede France
4.2 / La critique de la Bibliothèque elle-même Page68-74 4.2.1 / Desraisonspolitiquespourl'ouvertureaugrandpublic ?
4.2.2/Critique du fonds documentaire du haut-de-jardin
4.3 / Les attentesdupublic etdes professionnels Page75-76
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES TABLEAUX
ANNEXES
Page
77-78
Page79-83
Page
84
INTRODUCTION
La sacralisation des bibliothèques les constitue en temple du livre dans les projets des architectes. La monumentalité évoque la possibilité babélienne de rassembler etd'ouvrir à tous les savoirs du monde et "toute la mémoire du monde".
Lemonumentaccumulatif traduisant pouvoirset privilèges.
On sent bien, aujourd'hui, que la Bibliothèque ne peut plus seulement se
référerà sonhistoire,qu'elle estprise dans les fluxd'information etqu'elle ressentles échos de ladésorientation contemporaine. Chaque jour, la communauté des usagers et des bibliothécaires façonne le projet. Le couple bibliothécaire-public, pris dans les
mêmes interrogations, les mêmes jeux et enjeux culturels, sociaux, démocratiques, recherchesesappuis, seslégitimationsetses limites.
Labibliothèque est à la fois un instrument de loisir culturel, de travail et un
conservatoire du patrimoine intellectuel de l'humanité. Ces deux fonctions ne sont
pas étrangères l'une à l'autre, mais sont-elles compatibles à l'intérieur d'une même
institution ?
Lecas dela Bibliothèque nationale estunique au monde : son déménagement
et satransformation enBibliothèque nationale de France l'ouvrentaugrandpublic.
Qu'est-ce qui a amené cette institution, chargée de la conservation du patrimoine national, à ce bouleversement dans ses attributions ? A l'heure de son inauguration, quel public va la fréquenter ? Pourquoi a-t-on décidé d'une ouverture
au grandpublic de la Bibliothèque nationale de France ?
1
/
HISTOIRE DE LA
BIBLIOTHEQUE
En 1368, Charles V installe au Louvre, dans la tour de la Fauconnerie, sa
Librairie particulière, riche de neufcent dix-sept manuscrits, d'après l'inventaire de son garde Gilles Malet. Mais, à cette époque, les collections royalesont un caractère éphémère et sont irrémédiablement dispersées à la mort de leur propriétaire. C'est à partir de Louis XI, roi de 1461 à 1483 et véritable fondateur de la Bibliothèque
nationale, que la continuité de la bibliothèque est assurée, à l'image de la
permanence dynastique. Son fils Charles VIII puis Louis XIII l'enrichissent de
manuscrits antiques et des premiers imprimés rapportés des guerres d'Italie. Son unité ne seraplusjamais brisée.
1.1 / 1537 : création du
dépôt légal
Transportée à Amboise, puis à Blois, la Bibliothèque rejoint la collection de
la nouvelle Librairie que François 1er a créée en 1522 à Fontainebleau et confiée à l'humaniste Guillaume Budé. En 1537, le roi introduit un principe nouveau par une
ordonnance du 28 décembre en enjoignant aux imprimeurs et aux libraires de déposer à la librairie du château de Blois tout livre imprimé mis en vente dans le
royaume. La création de cette obligation, appelée dépôt légal, constitue une date
fondamentale pour la Bibliothèque, même si elle ne fut au départ que très inégalement appliquée. Un inventaire de 1622 ne recense encore que 4712 manuscritset imprimés. Les ordonnances sontpar ailleurs fréquemment renouvelées
pour tenter de collecter tous les ouvrages : un édit royal de 1642 stipule que les
libraires ne doivent "exposeren vente aucun des livres et figures qui sont imprimez
du jour présent arrêt qu'ils n'ayent le certificat du garde de ladite bibliothèque comme lesdits deux exemplairesyaurontesté mis
L'accueil des lecteurs étant une des raisons d'être de la Bibliothèque du Roi, celle-ci leur est ouverte. L'imprimeur et humaniste Robert Estienne précise que François 1er communique les collections "librement à quiconqueen a besoin".
Ramenée à Paris, dans la seconde moitié du XVTe siècle, la Bibliothèque traverse, non sansdommages, les guerresde religion.
La Bibliothèque connaît son véritable développement à partir de 1666 sous
Colbert, qui a pour ambition d'en faire un instrument à la gloire de Louis XIV. Il l'installe dans le quartier qu'elle occupe encore en partie aujourd'hui, en faisant transférer les collections royales qui nepouvaient trouverplace auLouvre dans deux petites maisons qu'il possédait rue Vivienne. Il mène une politique d'accroissement des collections, achetant ou recevant en don un grand nombre de bibliothèques
privées, comme celle de Loménie de Brienne concernant l'histoire de France, ou celle de l'orientaliste Gilbert Gaulmyn. Les "Adresses de Paris" notent que la Bibliothèque est ouverte aux "savants" etseulement entrouverte aux "curieux". En 1692, elle est ouverteplus largement par l'abbé de Louvois : "pourfaire quelque chose deplusque ce qui sefait ordinairement dans les bibliothèques publiques, où l'on donne seulement des livres à lire, onjugea qu'il était àpropos d'établir deux
bureaux en mesme temps, un pour les lecteurs et un pour les gens de lettres qui voudroient s'entretenirdelittérature etparticulièrementde librairie". L'accèsen est
toutefois restreint en 1706 suite à un vol, mais les savants y ont toujours largement leursentrées : "En attendantqu'on luy aidonné unvaisseauproprepourplacertout lemonde, lessçavantsquiseferont connaîtreyseront toujours aussibien reçus que
dès lespremiers joursdecetétablissement"(Almanach royal de 1709).
En quelques décennies, la Bibliothèque s'empare de la première place en Europe. Les livres deviennent si nombreux qu'on ne peut plus se fier à la mémoire desbibliothécaires pourles retrouver.Nicolas Clément, entré à labibliothèque du roi en 1670, élabore une classification des livres imprimés dont les grands principes
seront utilisésjusqu'enjanvier 1997. L'abbé Bignon, nommébibliothécaire du roi en
1719, va donner à la bibliothèque un éclat sans précédent. Il lui fournit en 1720 son
organisation en départements. Ils sont au nombre de cinq : Manuscrits, Livres imprimés, Titres et généalogies, Planches gravées et recueils d'estampes, Médailles et pierres gravées. L'abbé Bignon poursuit l'oeuvre de ses prédécesseurs en matière d'acquisition de documents, très soucieux defaire entrertous les ouvrages importants de l'Europe savante. Il se préoccupe aussi de faciliter l'accès aux richesses de la Bibliothèque, ouvre plus largement les collections aux savants comme aux simples curieux.
Au XVIIe siècle, l'idée se répand qu'une grande collection de livres doit être
profitable "aumoindre des hommes qui en pourra avoirbesoin", selon la formule de Naudé (Gabriel Naudé, bibliothécaire de Mazarin, 1600-1653). La bibliothèque Ambrosierme de Milan (1602), la Bodléienne d'Oxford (1612), l'Angélique de Rome
(1620), ont offert les premiers modèles, imités en France par la bibliothèque
Mazarine (1644), la bibliothèque de Saint-Victor (1654). S'insérant dans ce mouvement général d'ouverture des bibliothèques, en 1720, un arrêt du Conseil décide que,outre les entrées accordées aux savants, la Bibliothèquesera ouverte au public "unefoispar semaine, depuis onze heures du matin jusqu'à une heure après midi", et que "seront alors toutes les personnes que Sa Majesté a déjà attachées à ladite Bibliothèque, ainsi que les autres qu'Elle se propose d'y attacher encore, souslesordres duditsieur Bibliothécaire, obligées dese trouverdurant ledit temps ès sales, cabinets etgalleries d'icelle, poursatisfaire la curiosité de tous ceux que l'envie de s'instruirey attirera". A la fin du siècle, grâce à des dispositions, de
plus en plus libérales, près d'une centaine de personnes fréquentaient, quotidiennement, les salles de lecture et d'exposition. Il était même possible, sur
autorisation royale, d'emporter chez soi livres et manuscrits. Enfin, en 1721, l'abbé Bignon fait procéder aux premiers transferts des collections de la Bibliothèque dans des bâtimentsimplantés surlesite Richelieu.
La Révolution française marque profondément la Bibliothèque. Le dépôt légal est supprimé pendant trois ans et ne sera véritablement restauré qu'en 1810.
Pourtant, la bibliothèque du Roi, devenue Nationale en mars 1791 (sans qu'aucun
acte consacre cette nouvelle appellation), enrichit considérablement ses fonds
pendant cette période grâce aux confiscations pratiquées en France et à l'étranger :
biens duclergé, bibliothèques des émigrés, collections particulières des princes... Les bibliothèques privées de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Madame Elisabeth viennent ainsi enrichir les collections nationales. On estime qu'au total deux cent cinquante mille livres, quatorze mille manuscrits et quatre-vingt cinq mille estampes rejoignent la Bibliothèque à ce moment crucial de formation du patrimoine national. L'idéal révolutionnaire a par ailleurs suscité un mouvement en faveur d'un public plus large : expositions permanentes, cours (création en 1795 dans les murs de la
Bibliothèque nationale de
l'École
des langues orientales), mais surtout horaires d'ouverture des salles plus larges.1.2 / De nouveaux moyens au
XIXe
siècle
La progression soudaine des entrées dues aux confiscations révolutionnaires nefaitque rendre plus aigule manque de placedontsouffre alorsla Bibliothèque. La première moitié du XIXe siècle est une longue période de tâtonnements. Tandis que
de nombreuses voix réclament le déménagement de la Bibliothèque, d'autres s'impatientent du retard pris dans le catalogage des documents. En 1858, une commission conduite parProsper Mérimée rédige un rapport sur les modifications à
introduire dans l'organisation de la Bibliothèque impériale. Mérimée y dénonce,
entre autres, que des lecteurs "demandent des livres frivoles ou même infâmes (et) gênent et éloignent les travailleurs sérieuxNapoléon III, suivant en partie le rapport final de Mérimée, confie àl'architecte Henri Labrouste la reconstruction sur placed'une partie des bâtiments.
Une nouvelle salle de lecture est ouverte en 1833. Le public est alors
officiellement diviséendeuxcatégories: les savantset les simplescurieux. Le décret impérial de 1858 prévoit "deux salles distinctes : l'une réservée aux personnesqu'un travail très sérieux conduirait à la Bibliothèque; l'autre, publique, ouverteàtous les
lecteurs amenés par un moins grave intérêt, et dont les demandes serraient amplement satisfaites par une réunion de trente à quarante mille volumes". Les moyens sontdonnés de poursuivre l'impression des catalogues. Ce redressement sera poursuivi parLéopold Delisle, médiéviste, administrateur général de 1874 à 3905. Il
lance la réalisation du Catalogue général des livres imprimés dont la partie auteurs ne sera terminée qu'en 1981. Il stimule une politique d'acquisition de manuscrits d'écrivains à la suite du célèbre legs fait par Victor Hugo en 1881. La salle de
lecture, accessible au public, emporte un grand succès à ses débuts, dû à la carence
de Paris en bibliothèques municipales. En 1915, laBibliothèque s'enorgueillit d'avoir "à une époque déjà lointaine, uni dans sespréoccupations le souci de l'éducation
populaire et celui de la recherche scientifique. En admettant sans carte ni formalités, tous les jours, même le dimanche, tous les lecteurs, dans un local
librement ouvert et bien pourvude livres de toute sortes, elle a montré qu'elle avait
lesensdes nécessitésdémocratiques".
Eugène Morel critique ouvertement cet état de fait. Il estime quela Nationale est devenue "populaire", qu'elle s'est restreinte et vulgarisée. Elle était en effet devenue une sorte de "refuge" où l'on venait lorsque l'on ne trouvait pas ailleurs un
ouvrage. On y était, par la force des choses, admis, malgré les formalités exigées pour son accès. La salledes Imprimés de laNationale admettait un public hétéroclite
dont, selon Morel, "la plupart n'avaient rien àfaire là", et que l'on servait avec parcimonie. C'est pour cette raison qu'avait été créée la salle publique dite "B", accessible augrand public, sans formalités, et qui offrait unequarantaine de milliers de livres, relativement récents et utiles pour l'information courante. Une "rivalité" s'instaureraentre les deux, le "publique", et la "Nationale". Tombanten désuétude, la salle B serafermée en 1935.
1.3 / Les modernisations du XXe siècle
Au XXe siècle, la Bibliothèque ne cesse de croître : Construction de trois annexes à Versailles (1934, 1954, 1971), ouverture d'une salle des catalogues et des bibliographies (1935-1937), ouverture d'une salle de travail pour les périodiques
(1936), construction et aménagement de plusieurs bâtiments jouxtant la Bibliothèque.
1.3.1 / Une croissance
exponentielle
du
fonds
Le renforcement du dépôt légal par la loi du 9 mai 1925 contribue à l'expansion des collections. Entrent successivement dans son champ les ouvrages importés, les oeuvres photographiques, cinématographiques, phonographiques
(1925), audiovisuelles (1975), et informatiques (1992). Cette extension des collections pose évidemment des problèmes de place. Les locaux de la Bibliothèque compris dans le quadrilatère délimité par les rues Richelieu, Colbert, Vivienne et Petits-Champssont saturés.
En 1967, avec la mise en place du plan de développement de la lecture
publique, la nécessité d'une grande bibliothèque publique se fait sentir, afin de décongestionner la Bibliothèque nationale qui ne peut plus s'étendre sur place. La polémique commence en effet à surgir : est-ce tout à fait dans les missions d'une bibliothèque nationale de s'ouvrir à un très large public ? La BP1, Bibliothèque publique d'information se voit assigner ses objectifs : "offrir à tous, et le plus possible en libre accès, un choix constamment tenuàjour de collections françaises etétrangères. Ce choixporterasurdes documents d'information générale, imprimés,
image et son, intéressant toutes les disciplines". Le succès est immédiat. Ouverte à un large public sans titre d'accès, elle accueille cependant majoritairement des
étudiants, signe de l'insuffisance des bibliothèques universitaires, etne contribue pas àdésengorger laBibliothèque nationale.
La construction des dépôts annexes de Versailles, la création d'annexes décentralisées en province pour la conservation et la reproduction des livres (Sablé en 1980) et des périodiques à Provins en 1981 ne suffisent pas à résoudre les problèmes de stockage. Malgré son effort de modernisation et d'informatisation, l'établissement a du mal à s'adapter aux nouvelles conditions de la production imprimée et de lademande de lecture.
En 1987, le rapport
Beck1
dresse un constat sévère de la situation, quiaboutira au projet de Bibliothèque nationale "bis" annoncée par François Léotard en avril 1988.
Confrontée à un niveau d'exigence considérablement accru, la Bibliothèque nationale devait opérer une mutation profonde. Les débats et la crise des années
1980 ont préparé ladécision annoncée par le président de la République le 14 juillet
1988de construire une nouvellebibliothèque.
1.3.2 / La demande croissante du
public
Sous l'autorité de l'administrateur Julien Cain, l'accès à l'ensemble des fonds avait été réservéaux chercheurs. LaBibliothèque nationale était alors définie comme établissement de "dernier recours", devant prendre la place au centre d'un réseau diversifié de bibliothèques de lecture publique, d'études ou de recherche. Dans les
années 1970, ce dispositif montre ses limites. La grande salle de lecture de la rue
Richelieu ne comporte quetrois cent soixante places. En 1988, André Miquel, alors administrateur général de la Bibliothèque nationale, parle en ces termes de la Bibliothèque : "on enfaitsouvent unproblème de place (...) mais la British Library offre entout etpourtout trenteplaces de plus" Le problème serait que "la moitié au
moins dupublic de la salle des Imprimés n'aurait normalement rien àyfaire si le système bibliothéconomique français était ce qu'il devrait être". La Bibliothèque
nationale estainsi contrainte d'assurer un rôle de bibliothèque de recherche qui n'est pas son rôlefondamental.
1
On peutenlire le condensé "Bibliothèque nationale,évaluations, propositions" / Francis Beck in "Le
débat" n° 48janvier-février 1988,p. 17-48
En France, comme dans d'autres pays européens, l'enseignement supérieur
connaît une progression exceptionnelle en une cinquantaine d'années. En 1945, le
pays comptait 97.000 étudiants, en 1964 ils étaient 367.000, ils sont aujourd'hui plus
de deuxmillions, dont 26% travaillent enrégion parisienne, alors que, parallèlement, lesorganismes de recherche se sontconsidérablement développés.
La situation des bibliothèques universitaires françaises demeure ainsi fort médiocre2. L'université de New York possède ainsi 60 volumes par tête d'étudiant. Harvard etPrinceton,plus élitistes, enont750 à 800. Réunies, les deux bibliothèques
de Francfort, l'universitaire et la fédérale (dont les publics se confondent dans une large mesure), mettent 300 volumes à la disposition de chaque étudiant. En regard, les bibliothèques universitaires ou interuniversitaires françaises regroupent environ
20 millions de volumes pourdeux millions d'étudiants, soit 10 volumes pour chacun seulement.
1.3.3 / Les transformations
techniques
Dès le débutdes années 80, l'évolution des nouvelles technologiesaconduit à une interrogation, soit pessimiste sur la fin des bibliothèques, soit optimiste sur la bibliothèque du futur. D'une part, aux cotés des supports d'information statiques et
permanents (livres, périodiques), se multiplient des supports d'information électronique périodiquement remis à jour (CD-Rom, disquettes, bandes magnétiques). D'autrepart, les sources d'information accessibles en conversationnel
sur les réseaux informatisés sont considérables. Le développement des
infrastructures de télécommunication (les "autoroutes de l'information")est un enjeu économique en Europe, comme aux
États-Unis
et au Japon. Les enjeux sont nombreux pour les bibliothèques, dont la mission est de garantir au public le libreaccès à un éventail de sources d'information et de sources culturelles, mais aussi d'organiseret de préserver lamémoire commune. Or c'est précisément cette dernière qui estla mission de laBibliothèque nationale.
2
Propositionspour unegrandebibliothèque: rapportau premierministre/Patrice Cahart,
MichelMelot. Paris: Ladocumentationfrançaise, 1989(Collectiondes rapportsofficiels),p 13-14 15
2 / GENESE
D'UN
PROJET
2.1 / Les ambitions affichées
2.1.1 / "La
plus
moderne
bibliothèque
du
monde"
Le 14juillet 1988, lors
de
son entretien télévisé traditionnel, leprésident de
la République dévoile un grand projet jusqu'alors tenu secret : "la construction et l'aménagementde l'une oude la plus grande et laplus moderne des bibliothèquesdu
monde (...) qui devra couvrir tous les champs de la connaissance, être àla
disposition de tous, utiliser les technologies les plus modernes de transmissiondes
données, pouvoir être consultée à distance et entrer en relation avec d'autres bibliothèques européennes". Projet pharaonique qui s'inscrit dans la tradition qui
veut qu'un président de la République fasse une grande réalisation lors de son
mandat (comme le centre Beaubourg avec Georges Pompidou). Ce projet s'inscrit sans doute aussi dans la nouvelle tendance de réalisation de bibliothèques "de la nouvellegénération", comme aux
États-Unis,
en Grande-Bretagne, en Allemagne, auJapon, àAlexandrie.
Jacques Attali propose au président de la République le projet d'une bibliothèque "immatérielle" dont tous les livres seraient numérisés. C'est ce que retiendra surtout le grand public. Les experts annonceront plus tard que le projet est
réalisable, maisqu'il leur faudrait "soixante-treizeansetvingtmilliards".
Ce projet "surprise" était si bien tenu secret que le milieudes bibliothécaires ne compritpas si c'étaitun projetde modernisationde la Bibliothèque nationale, qui en avait sérieusement besoin, ou une création de toutes pièces d'une nouvelle bibliothèque, et ce dans quelle optique ? En fait, le projet était essentiellement, du moins à son origine, celui de faire quelque chose de grand, de marquant, ambition, fort louable et défendable, d'une bibliothèque de l'an 2000. Or, il était encore plus
impératif de procéder à la rénovation de la Bibliothèque nationale. En tout cas, le projet de la "Bibliothèque
nationale
bis" annoncé par FrançoisLéotard
estcomplètement dépassé. Patrice Cahart et Michel Melot sont chargés de rendre un rapport pour le 30 novembre 1988 sur le projet. Leurs conclusions seront axées autour du déménagement partiel des collections de la Bibliothèque nationale pour constituer le fonds de la bibliothèque qui, aux débuts, devait s'appeler Bibliothèque
de France (et à laquelle la presse donnera le surnom de TGB, Très Grande Bibliothèque).
La presse et les spécialistes se déchaînent sur la césure chronologique qui
déterminera les fonds respectifs des deux bibliothèques. On parle de 1900, 1945, 1960... Jack Lang annonce le 12 avril 1989 que les imprimés postérieurs à 1945
seront déménagés dans la nouvelle bibliothèque. La revue "Le
Débat"3,
se fait l'échodu tollé provoquéparla césure des collections patrimoniales. De même, "Le Nouvel
observateur" prônele déménagement intégral des collections sur le nouveau site. Le 21 août 1989, Jack Lang annonce le transfert de l'ensemble des imprimés, soit dix
millions devolumes. Seuls les manuscrits et lesdépartements dits spécialisés (cartes, plans, médailles,artsdu spectacle...) demeureront surle site de Richelieu
Le président de la République, à ce moment, décide (annexe A p. I et II) de
recentrer les objectifs de la Bibliothèque : "(elle) est construite pour deux publics également intéressants mais bien distincts, celui du grand public et celui des
chercheurs".
En avril 1993, le programme présenté au ministre de la Culture Jacques Toubon est confirmé dans ses grandes lignes : une bibliothèque organisée en deux
niveaux, unrez-de-jardin, bibliothèque spécialisée, etunhaut-de-jardin, bibliothèque publique de recherche.
En 1994,François Mitterrand, suivant le rapportde Philippe Belaval, arrête le principe d'une fusion de la Bibliothèque nationale et de l'établissement public de la Bibliothèque de France. Un nouvel établissement public se substituera donc aux
deux autres. On adopte le principe de salles réservées aux chercheurs, à côté de
vastes salles destinées à unpublic plus large. Lechoixdu terrain seportesur les sept
3
"Le Débat"Gallimard, n° 48, 51, 55
hectares de la rive gauche de la Seine àParis, entre les ponts de Bercy et de Tolbiac.
Jean Favier, académicien et directeur général des Archives de France, est nommé président, succédant ainsi à Dominique Jamet, ancien journaliste, qui aura eu le
mérite de piloter la totalité de la préfiguration d'un des plus grands chantiers du siècle. La Bibliothèque nationale de France sera ainsi la première bibliothèque au monde avec un fonds decetteimportance qui sera entièrement déménagée.
De nombreuses réserves ont été émises sur ce projet, venus d'horizons différents. Elles portaient principalement sur
l'architecture4,
sur les conditions de conservation des ouvrages dans des tours deverre3,
sur le coût de construction (les estimations le situaient à cinq milliards de francs, mais il passe à sept puis à huitmilliards de francs) et de fonctionnement (huit milliards estimés pour dix ans) d'un aussi vaste établissement, alors que les bibliothèques universitaires souffrent de
fortes carences. La présence du "grand public" est ressentie comme incompatible pour certains avec la notion de bibliothèque de recherche. Ces polémiques aboutissent àde légères modifications architecturaleset à un recentrage autour de la fonction debibliothèque patrimoniale. Chercheursetgrand public auront desespaces
distincts clairement délimités : chercheurs au rez-de-chaussée (la Bibliothèque de
recherche),et grand public à l'étage(Bibliothèque générale du haut-de-jardin).
La mutation de la Bibliothèque nationale devait s'opérer dans un moment où
les développements scientifiques et techniques ouvrent des perspectives nouvelles à l'accomplissement de ses missions, aussi bien dans le domaine de la conservation que dans celui de l'accès aux documents. En particulier, les outils informatiques, conjugués aux progrès des télécommunications, renouvellent les moyens donnés au catalogage et à la gestion des documents, enrichissent les pratiques de recherche et de lecture, mais, surtout, ouvrent surla transmission des documents à distance.
4
"LeMonde" du 10janvier 1996 5
"LeFigaromagazine" du 14 décembre 1996, "Le Monde"du 17décembre 1996
2.1.2 / Missions d'une
Bibliothèque
nationale
Une active discussion a été menée sur la nature et les fonctions des
bibliothèques nationales. Le débat initial a été grandementstimulé parles séminaires
et congrès organisés par l'Unesco, notamment ceux de Vienne (1958), sur les
bibliothèques nationales en Europe, de Delhi (1955) et de Manille (1964), sur le développement desbibliothèques en Asieet dans le Pacifique. Uneanalyse proposée en 1964 par M. K. W. Humphreys identifiait comme fonctions fondamentales d'une bibliothèque nationale la possession de la collection principale de littérature
nationale, accrue par dépôt légal, l'acquisition de la production étrangère pour les
besoins de la recherche, lapublication de la bibliographie nationale, la création d'un centre bibliographique national. La Bibliothèque nationale de France prend effectivement en charge toutes ces fonctions. L'analyse de Humphreys a été reprise en 1973 à l'occasion d'un colloque de l'IFLA, avec une nouvelle liste de fonctions : collecter et préserver de larges collections des différents médias, fournir
l'information bibliographique, constitueruncatalogue national central,entre autres.
Il est par ailleurs intéressant de relever comment l'évolution de la Bibliothèque nationale de France a pu être perçue par le public, non seulement au
travers de lapresse, comme nous l'avons vu plus haut avec lespolémiques de grands quotidiens et périodiques français, mais aussi avec ladocumentation fournie pardes ouvrages spécialisés en documentation. Nous prendrons l'exemple d'un ouvrage
destinéauxdocumentalistes mais qui se veutaussi àdestination du grand
public6
: "Le projet de la BDF a été annoncé en 1989. Les travaux ont commencé en 1991 dans le secteur de Bercy, à Paris, sous la direction de l'architecte DominiquePerrault. L'ouverture de laBDF est prévue pour 1996. La BDF prendra alors le relais
de la BN. Certains départements de la Bibliothèque nationale, livres et imprimés,
seronttransférésvers la BDF. LaBDFpossédera 20 millions d'ouvrages à l'ouverture
et 30 millions d'ouvrages ensuite si 120.000 ouvrages entrent chaque année. Aspect profondément novateur du projet, la BDF sera ouverte à tous les publics, pas seulement aux chercheurs. Ce projet développe des techniques nouvelles de
6
Lelangage deladocumentation/ Christine Morlet, Paris:Ed. Méthodesetstratégies, 1995 (Collection Connaîtreetparler, 14)p. 21 à 25
communication et de conservation desdocuments, cequi permetà unpublic toujours pluslarge d'accéderauxdocuments." A la date de parution de l'ouvrage, cela fait déjà plus d'un an que l'on sait que la nouvelle bibliothèque ne s'appellera pas BDF, Bibliothèque de France. De plus, les chiffres concernant le fonds documentaires sont erronés. Il est par ailleurs intéressant de remarquer qu'aucun ouvrage datant d'avant
1997 (sauf la nouvelle édition de la Découverte Gallimard de décembre 1996) ne
mentionne le fait que la Bibliothèque nationale de France ne sera pas "librement" accessible au grand public dans son intégralité. Il n'est par conséquent pas étonnant que, comme nous le verrons plus loin lors de l'analyse des opinions à propos de la Bibliothèque nationalede France,on se retrouve faceàd'étranges réponses fortement influencées par le premier projet de départ, une bibliothèque contenant tous les savoirs dumonde, accessible à tous, etnumérisée.
2.1.3 / La
fréquentation de la Bibliothèque nationale
:La Bibliothèque nationale était, avant l'ouverture du haut-de-jardin, espace
réservé au grand public, difficilement accessible. Elle a reçu, en 1970, année de sa
création, 25.000 personnes, en 1992, 50.000, 170.000 en 1994
1,
(soit environ 580 parjour d'ouverture), et 334.000 en 1995. Toutefois, ces lecteurs étaient "triés sur le volet" : chaque candidat était reçu individuellement, et devait expliquer le but de sa recherche avant de recevoir un laissez-passer ou une carte. Dans 40 % des cas, les demandeurs étaient orientés vers d'autres bibliothèques. En 1992, 7.802 cartes annuelles ontété délivrées. Pour les obtenir, il fautproduire, auchoix :- unecarte
professionnelle d'enseignanten université
- unecarted'étudiant enthèse etattestation dudirecteurdetravaux - uneattestation d'un
éditeur, d'unorganisme culturel ouderecherche
7
Propositions pour unegrandebibliothèque: rapport au premier ministre /Patrice Cahart,
Michel Melot-Paris : Ladocumentationfrançaise, 1989 (Collection desrapportsofficiels),p. 21-26
-une carte professionnelle de conservateur d'archives, de musée, de
bibliothèquesou de monumentshistoriques
La capacité de la salle des Imprimés de Richelieu atteignant, selon les données de 1994, 360 places, elles sont occupées en moyenne par 1,7 lecteurs au cours d'une même journée. Cette moyenne ne tient évidemment pas compte des lecteurs qui se présentent aux heures d'affluence (11 h à 16 h) et repartent
"bredouille" faute de places libres. Certains jours, le taux de rotation des places approche de 3.
Étant
donné que les lecteurs ne sont plus aujourd'hui 170.000 mais334.000, ces chiffres donnent une idée de l'encombrement actuel, avant déménagement, de la salle des Imprimés.
Faute de traitement informatisé, la population des lecteurs est mal connue. D'après unsondage réalisé enjuillet 1987sur unejournée (annexe B p. III) etd'après l'expérience quotidienne des gestionnaires, elle est principalement attirée par l'histoire. Chaque lecteur reçoit communication de 5,3 volumes, en moyenne, au cours d'unemêmejournée.
Il estclair que l'accès à la Bibliothèque nationale était assez limité. Or, avec
l'ouverture de Bibliothèque nationale de France, l'accès au rez-de-jardin réservé aux
chercheurs devient encore plus restreint, les lecteurs étant de plus en plus souvent soit renvoyés vers le haut-de-jardin, soit vers un autre établissement à caractère documentaire de laville de Paris.
De plus, la volonté de la direction de la Bibliothèque nationale de France va
clairement dans le sens d'une consolidation de la tendance à la réduction du nombre de lecteurs ayant statut de chercheur, pour amorcer l'évolution de la Bibliothèque
o
vers sa fonction primordiale de bibliothèque de référence, en anticipant, je cite "le renforcement desmoyens des bibliothèques universitaires quidevraient reconquérir leurpublic dansle cadre de la rénovationprofondedu système universitaire".
*
Francis Beckin "Ledébat", n°48janvier-février 1988,p 44
2.2 / Les
changements de
statuts
La Direction du Livre estcréée en 1975. Elle est, àcette époque, rattachée au ministèredes Universités. Elleprend le nom de Direction des Livres etde la Lecture, et reçoit, par le décret du 5juin 1981, la tutelle de la Bibliothèque nationale, pour
êtrerattachée auministèrede laCulture.
La Direction des Livres et de la Lecture initie des programmes nationaux et exerce des compétences d'intérêtgénéral : responsabilité vis-à-vis du patrimoine, rôle de formation, de contrôle technique. Elle a sous sa tutelle trois établissements d'importance : le Centre national des lettres, la Bibliothèque publique d'information
du CentreBeaubourg, et laBibliothèque Nationale de France.
Sans le rattachement de la Bibliothèque nationale au premier ministère de la Culture de Jack Lang, il est vraisemblable que la vénérable institution ne serait pas sortie de sa "torpeur". Ce rattachement permit un bond en avant : réalisation du projet de construction dans le Passage Colbert, lancement de l'opération qui devait aboutir à l'informatisation du catalogue. Le nouvel administrateur général, Jacques
Gourdon, réussit enfin à réveiller une institution qui avait cessé d'attendre des
miracles qui ne seproduisaientpas.
La décentralisation ne laissant plus à l'administration centrale que la Bibliothèque nationale et la Bibliothèque publique d'information de Centre Georges Pompidou, François Léotard, à la tête du ministère, décida de renforcer la politique patrimoniale de cette première. Il confia une mission de réflexion à Francis Beck en janvier 1987, puis,comme nous l'avonsvuprécédemment, François Mitterrand lança son grand projet de bibliothèque d'untype entièrement nouveau.
Les bibliothèques publiques ont été imaginées, d'une certaine façon, de façon
à être à l'opposé de la Nationale. Alorsque l'institution de la Bibliothèque nationale à été remise en question, est-ce aussi la vocation de la Bibliothèque que d'assumer aussi une activité de lecture publique ? (même de façon marginale et pour un public
âgé de plus de 18 ans). La "crise" de laNationale n'est pas récente. Dès 1910, Eugène Morel en parle abondamment, relayé par les journaux de l'époque. Or, cette crise trouvait son origine dans l'insatisfaction du public de chercheurs de la Bibliothèque nationale. Ce public sera prochainement satisfait, du moins le pense-t-on, lors de l'ouverture du rez-de-jardin de la Bibliothèque. Toutefois, ce public n'avait jamais réclamé l'ouverture au grand public de cette institution précisément. Elle ne le sera d'ailleurs pas, puisque des fonds sont spécialement acquis pour le haut-de-jardin, et
que le véritable fonds patrimonial ne leur sera pas accessible, pas plus "physiquement"que "virtuellement" par leurmiseen réseau sur informatique.
2.3 / Du rêve à la réalité
2.3.1 / Le bâtiment
Le premier médium de la Bibliothèque est le bâtiment lui-même. Son implantation est porteuse des attentes d'aménagement urbain, de "signe politique
fort", mais elle est aussi, et dans la durée, l'un des lieux qui modifie puis intègre la géographie personnelle des habitants.
Essentiellement vitrine de la modernité architecturale, le bâtiment ne
s'identifie absolument pas, de l'extérieur, comme bibliothèque. Il est doublement
"vitrine", en raison son aspect architectural, qui a trait à la transparence en tant que concept, etde la mise en lumière surla place publique de la volonté politique qui l'a porté.
L'originalité du bâtiment fut longtemps critiquée : les livres allaient "cuire" dans les tours de verre, les infiltrations de la Seine (le socle est sous son niveau)
allaient noyer lesmagasins... Le bâtiment de la Bibliothèque nationale de France est grandiose, impressionnant, pour certains très beau, mais c'est surtout sa
fonctionnalité même qui est aujourd'hui décriée : autour d'un espace "perdu", le
jardin, des couloirs immenses desservent des salles très éloignées les unes des autres.
L'accessibilité du bâtiment est aussi remise en cause, les locaux du personnel des
bibliothécaires, situés en grande partie dans le socle, n'ontque peu ou pas dutout de fenêtres. De plus, la Bibliothèque nationale de France est mal desservie par les transports en commun, jusqu'à l'achèvement des travaux de la future ligne Météor prévupour 1999.
2.3.2 / Le fonds documentaire
La notion de la Bibliothèque a considérablement changé entre sa première annonce en 1988 et sa réalisation définitive. Elle devait tendre, selon les souhaits émis par le gouvernement, non plus seulement en un lieu, mais en réseaux
"immatériels", avec une disparition entre les oppositions "bibliothèque publique" et "bibliothèque nationale", étant donné que les nouvelles technologies promises
auraient fait de la Bibliothèque nationale de France une bibliothèque idéale à la portée detous, LA super-bibliothèque qui aurait pufaire disparaître toutes les autres
puisqu'elle aurait pu remplir toutes leurs fonctions par le biais des nouvelles technologies à distance.
C'est dans ce contexte de "lecture assistée par ordinateur" que s'était développé le projet de création de la Bibliothèque nationale de France. Une de ses caractéristiques étant la conservation deson fonds sous forme numérique, accessible en texte intégral à partir de consoles du catalogue électronique, consultable à
distance, et alimentant en données textuelles des postes de lecture assistée par
ordinateur implantés à la Bibliothèque même ou à distance. Or, le problème des droits d'auteur rend aujourd'hui impossible le télédéchargement (la duplication) des
données sur un autre ordinateur, celui personnel du chercheur, de l'étudiant ou de toute autre personne. La législation n'étant pas encore établie, et la numérisation du fonds, si elle est techniquement possible, étant d'un coût, nous l'avons vu, beaucoup tropélevé, la Bibliothèque doit se résoudre à ne pas être "immatérielle". De plus, le projet de rendre disponible le catalogue du fonds de la Bibliothèque nationale de France sur Internet n'est plus d'actualité, les spécialistes craignant un piratage de la base de données. Actuellement, on ne trouve sur le site Internet de la Bibliothèque
nationale deFrance qu'une présentation de l'institution, de son fonctionnement et de son fonds, plus quelques images numérisées d'enluminures de manuscrits anciens.
Donc, tant qu'un système ne mettra pas à l'abri les données, le catalogue ne sera
accessible que par CD-Rom (15.000 francs d'abonnement trimestriel), ou en ligne
par le réseau BN-Opale via Internet (18.000 francs d'abonnement trimestriel). Or, il apparaît clairement que le coût rend le catalogue inaccessible, non seulement au grand public, maismême à de très nombreusesbibliothèques.
Quant au fonds documentaire à proprement parler, il se
compose9
des 12millions de livres de laBibliothèque nationale, et "héritera" en 1998, date d'ouverture du rez-de-jardin auxchercheurs, de 334.000 lecteurs (données de 1995).
La Bibliothèque nationale de France est, actuellement, "à cheval" sur deux
sites, et ce, jusqu'au transfert intégral des collections du site
Richelieu
sur le siteTolbiac. Étant donné qu'un déménagement si important ne pourra se faire en quelques mois, mais sur plusieurs années, des navettes ramèneront "en arrière" les
ouvrages demandés à Richelieu par les chercheurs, tant que le rez-de-jardin ne sera pas ouvert(la dernière prévisionétantpour 1998).
En l'état actuel des choses les collections des salles du haut-de-jardin atteignent 180.000
volumes'0,
dont 2500 titres de périodiques, constitués par desacquisitions. Le fonds est complété par des microformes, un fonds numérisé et un fonds audiovisuel et multimédia. Ces collections atteindront 350.000 volumes dans
cinq ans :
- salle de recherche
bibliographique : 8.000 volumes, une centaine de titres
de périodiques, des CD-ROM bibliographiques
- salle des
quotidiens : 150 titres de quotidiens, 150 hebdomadaires
d'information générale, 1500 ouvrages de référence (dictionnaires, atlas, recueils d'événements, annuaires de journalistes, grands répertoires courants de la presse françaiseetétrangère)
- documents sonores : 500 documents à
l'ouverture, 4000 à terme,
50.000 images numérisées à l'ouverture, 300.000 à terme, 5.000 ouvrages de
référenceet300 titres derevues surlamusique, le cinéma, la radioet lemultimédia.
- sciences et
techniques : rassemblera àtermeprèsde 50.000 ouvrages
9
Chiffres-clés:statistiques de la culture/Ministère delaCulture, Directiondel'administration
générale,Départementdes étudesetdelaprospective, 1996
0
Plaquetted'information disponibleauhaut-de-jardin
- droit, économie
politique : 30.000 volumes à cejour, 60.000 dans les cinq
ansqui viennent, plus de 600 titres de journaux etrevues
- littérature et art : le
département offrira à terme 120.000 volumes et 750 titresde revues
-philosophie, histoire, sciences de l'Homme : le département offrira à terme 65.000 volumeset500 titres de revues
La plaquette précédente a le mérite de faire la distinction entre ce que
proposent tous les départements du haut-de-jardin, et ce qu'ils proposeront dans le futur. Or, d'autres sources d'information, pourtant diffusées par la Bibliothèque nationale de France font l'amalgame entre le fonds en libre accès au public et le
fonds réservéauxchercheurs11 :
- libre accès à 180.000 volumes et 2.500
périodiques, 10 millions de livres
et350.000périodiques dans cinq ans :
- 6.800cartes
-10.000 microfilms
- 45.000
images numérisées
- 500
films,puis les archives de l'INRA
Sansremettre en causel'ouverture de laBibliothèquenationale deFranceau grand public, il est évident qu'unlecteur potentiel se présentant sur le site de Tolbiac ne pourraqu'être déçu parlefonds qui lui sera proposéenlibreaccès.
11
DonnéescomplémentairessurlaBibliothèque nationale deFranceFrançoisMitterrand, feuille
disponibleàl'accueil de Richelieu fin 1996
2.3.3 / Le libre accès
La Bibliothèque d'Alexandrie, fondée par les Ptolémées en 230 av. J.-C., est l'archétype de la bibliothèque idéale. Censée avoircontenu tous les livres du monde, cette bibliothèque encyclopédique avait une fonction politique d'exaltation de la grandeur du pharaon, qui protégeait lesarts, les lettres, les sciences. C'esten fait une décision politique qui concentra en un lieu le plus grand nombre possible de livres,
afinde les mettreàla dispositiond'une élite desavants et de lettrés.
Bibliothèque publique, au XVIIe siècle, ne veut pas dire bibliothèque
accessible au grand public, mais à UN PUBLIC. Mais au XIXe une pratique va s'imposer, le libre accès. Le service public devant être accessible avec le moins de
formalités possibles, et offrir autre chose que la lecture pure d'un ouvrage, donc des
dictionnaires,encyclopédies, toutceci étantpayé par l'impôt local.
Quant au "libre-accès" dans le sens de pouvoir directement aller chercher ses
livres soi-même dans les rayonnages, il ne sera pas possible pour le rez-de-jardin,
dévolu aux chercheurs. Cette pratique, courante dans les universités américaines, apparaît en effet incompatible avec la mission de conservation impartie aux bibliothèques nationales. D'ailleurs ni labibliothèque du Congrès, ni la bibliothèque Britannique, ni la bibliothèque Allemande, n'autorisent ce mode d'accès, qui fait
courir troisrisquesaulivre :
- le
vol,
- la
détérioration,
- le déclassement
(dans une grande bibliothèque, un livre pris puis remis sur uneautreétagère est pratiquement perdu).
La contrainte que constitue l'accès indirect sera atténuée par la création du département "grand public" du haut-de-jardin, la Bibliothèque d'études ou
Bibliothèque générale. Patrice CahartetMichel Melot, dans leurs "Propositions pour une grande bibliothèque", estimentenoutre que "le lecteur de baseapprécieraitpeu (...) d'être exclu d'une opération aussiprestigieuse". Est-ce une façon de se donner 28
bonne conscience en rapport avec le coût de la Bibliothèque nationale de France ? En outre, l'admission de ce même "lecteur de base" dans les locaux conçus pour les
chercheurs étant estimé d'un coût prohibitif, Patrice CahartetMichel Melot ont pour ceci prévu l'ouverture du haut-de-jardin, afin "d'associer " ce lecteur à la future Bibliothèque nationale de France. Or, les deux auteurs demandaient au premier
ministre, ce qui se révèle ne pas être lecas aujourd'hui, l'accès du grand public (sans conditions d'âge ni de diplômes) sans carte de lecteur, condition "indispensablepour
le succès psychologique et politique de la Bibliothèque". Alors que Francis Beck,
dans son rapport publié un an auparavant, demandait une tarification de tous les services de la future Bibliothèque, "le principe de la gratuité des services, fondé sur uneconception archaïque du service public (devant être) délibérément abandonné au profit d'unetarification systématique à partir d'une comptabilité analytique".
Nous l'avons vu, la Bibliothèque nationale de France n'est pas accessible à TOUS. Elle n'en demeure pas moins, selon les informations qui parviennent aux françaiset aux étrangers, une bibliothèque à la pointe de la modernité. Or, comme le
constatent les médias aujourd'hui, l'utopie de la bibliothèque numérisée sans livres
n'est pas à l'ordre du jour. Qui pis
est12,
aucun branchement Internet n'est à la disposition du public à la Bibliothèque nationale de France. Seuls trois branchements sontprévus pour les bibliothécaires, qui sont 2.500 à travailler sur le site de Tolbiacàcejour !
Modalités du libre-accès de la
Bibliothèque
nationale de France
Finalement, l'accès à laBibliothèque générale se révèle êtrepayant :
(Source : plaquette d'information disponible à l'accueil de Tolbiac, datée de
décembre 1996)
"Lessalles de lectureduhaut-de-jardin sont ouvertes àtoutepersonne de plus
de 18 ans munies d'un titre d'accès. Les mineurs titulaires du baccalauréat peuvent égalementyaccéder."
12
"Le Monde" du 22-23décembre 1996
Prix : 1 journée 20 F., pas de tarif réduit, carte annuelle 200 F.,
tarif réduit
(étudiants) 100 F.
Les photocopies sont possibles, sauf pour les revues, journaux et
thèses
microfichées, autarif de 1 F. parphotocopie (pas de