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L'approche biographique: un révélateur de la dimension adidactique dans la relation didactique classique

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Academic year: 2021

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L’APPROCHE BIOGRAPHIQUE : UN RÉVÉLATEUR DE LA DIMENSION ADIDACTIQUE DANS LA RELATION DIDACTIQUE CLASSIQUE

Alain Mercier IREM d’Aix-Marseille

Abstract : Whereas observing a traditional teaching-learning situation in mathematics, we

can notice most of the time the utter lack of any adidactical dimension for the material actually taught. Then, how can pupils learn in such an environment ? Since we cannot, obviously, reduce the field of a theory to the very objects it designs and use didactics for the very situations built up by didactical engineering, we must show some aspects of the adidactical dimensions in a natural environment - i.e.: the classroom during a mathematic lesson - and we must answer the question in the frame given by Guy Brousseau’s theory of didactical situations . The biographic approach enables us to do so : an adidactical dimension does appear, but not for the material actually taught, where it was expected to.

I n t r o d u c t i o n

Une observation, et la question que cette observation permet de poser, introduiront l’exposé. Joëlle est élève en Première S, au Lycée Michelet, à Marseille. Elle se retrouve, après une seconde honorable, gravement en difficulté. Les cours de mathématiques qu’elle se décide à prendre n’arrangent pas grand’chose, et la voilà avec des notes entre 3/20 et 5/20 au début du second trimestre. Pourtant, elle a choisi la section S parce que les mathématiques lui plaisaient, elle travaille et elle comprend les questions qui sont travaillées, mais voilà, elle n’arrive pas à mener un calcul algébrique à son terme. L’urgence fait que, pour Joëlle, il n’est plus temps de reprendre le cours sur les polynômes. Mais la complexité des exercices qui lui sont posés l’amène à perdre totalement le contrôle de ce qu’elle écrit. Elle commet alors toutes les « fautes de débutant » possibles, et comme « le professeur ne regarde que le résultat, jamais le cheminement », ainsi que l’explique fort clairement Joëlle, cette élève qui écrit des pages entières de calculs n’arrive pratiquement jamais, lors des interrogations écrites, à obtenir un point - qui noterait au moins son effort. Joëlle raconte son problème :

« Je reprends le cours, chez moi, mais je ne peux pas poser de questions, le professeur n’explique pas le difficile. On écrit beaucoup, et il faut écrire pendant qu’elle explique. Il faut avoir son cours parce que le livre est mal fait, mais elle ne commence pas du début. Par exemple, la première leçon c’était repères, équations paramétriques et cartésiennes de droites (en géométrie). La deuxième leçon (en analyse), c’était le trinôme, après quelques factorisations et équations : « Ca aurait dû être sû » disait le professeur. Maintenant, c’est les courbes, avec les changements de repère… Elle a déjà passé et je ne retrouve pas ce cours sur le livre… Je n’arrive pas non plus à retrouver le cours dans les interrogations. Ca ne va pas, et même en devoir à la maison, j’ai travaillé tout un dimanche, j’ai eu 5 ! …Et les exercices, je ne vois jamais où ils veulent en venir. »

Le cours sur les polynômes qui est professé dans la classe de Joëlle correspond pratiquement mot pour mot au cours que l’on peut trouver dans le Louquet des Premières A1 et B de 1982 : il garde en quelque sorte la mémoire du temps où l’on enseignait les polynômes comme « exemple d’espace vectoriel ». Contrairement à nombre de professeurs

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actuels de Première S, le professeur de Joëlle (que nous nommerons G) n’enseigne pas la division des polynômes et insiste sur le procédé de mise en facteur d’un binôme « par identification », qui est seul au programme. Cependant, G pose peu d’exercices sur ce cours (elle le considère apparemment comme faisant partie des révisions de début d’année). Elle poursuit rapidement par la factorisation canonique du trinôme puis par les systèmes d’équations linéaires à plus de deux inconnues, tandis qu’en géométrie, parallèlement, elle a passé tout aussi rapidement sur le calcul vectoriel et les barycentres. Joëlle pour sa part espère toujours que son effort patient va produire quelques effets, mais le premier exercice de l’interrogation de janvier (qui porte officiellement sur les systèmes d’équations et d’inéquations à plusieurs inconnues) lui ôte toute illusion :

I — Soit f(x) = 2x3 - 3x2 - 11x + 6.

1) Montrer que f(x) est factorisable par 2x - 1, et factoriser ce polynôme. 2) Résoudre l’inéquation 2x

3 - x2 - 17x + 6 -x2 + 3x >0

II — Soit f(x) = ax2 + bx + c. A est l’ensemble des fonctions f(x) pour lesquelles f(x) = f(3-x). 1) Étant donnée une fonction f, déterminer a, b, c, pour qu’elle appartienne à A.

2) Pour une fonction f de A, étant données les fonctions g(x) = 2x2 - 6x + 1 et h(x) = -3x2 + 9x + 2 , peut-on déterminer α et β entiers, tels que f(x) = αg(x) + βh(x).? Combien de couples (α,β) existe-t-il ?

Joëlle n’a pas de stratégie de traitement pour de tels exercices. Elle ne peut guider ses calculs d’une analyse a priori qui pourrait lui donner une stratégie, elle obtient 3/20. Mais elle n’est pas au bout de ses peines. Le cours de géométrie continue sur le produit scalaire, dont un développement important est constitué des équations de cercle. Joëlle suit jusqu’au point où il s’agit de : « Montrer qu’une équation de la forme x2 + y2 + ax + by + c = 0 est l’équation d’un cercle dont il faut déterminer le centre et le rayon. »

Le calcul, que Joëlle a copié sur son cahier de cours, est le suivant : x2 + ax + y2 + by + c = x2 + 2(1 2 a)x + y2 + 2( 1 2 b)y + c = x2 + 2(12 a)x + (12 a)2 - (12 a)2 + y2 + 2(12 b)y + (12 b)2 - (12 b)2 + c = (x + 12 a)2 + (y + 12 b)2 - (12 a)2 - (12 b)2 + c, l’équation : x2 + y2 + ax + by + c = 0 devient : ( x + 12 a )2 + ( y + 2 b )1 2 = (12 a )2 + (12 b )2 - c , ce qui ne donne un cercle que dans le cas où l’expression (12 a )2 + (12 b )2 - c e s t p o s i t i v e .

L’étude du point où Joëlle pensait « qu’elle n’avait pas compris l’équation d’un cercle » lui montre que c’est encore une fois la factorisation canonique d’un trinôme du second degré, soit, la première question de calcul algébrique, son problème en tout début d’année, qui l’a arrêtée. Lorsqu’elle le comprend, Joëlle voudrait pouvoir, en apprenant le résultat par coeur, se défausser de l’injonction de refaire le calcul dans chaque cas et éviter la factorisation, mais selon ses dires, cette réponse a été proposée en classe par un élève, et refusée par G. Le professeur demande aux élèves de reproduire chaque fois tout le calcul, et leur refuse l’appui d’un résultat de cours : « 32 + (- 52 )2 - 7 > 0, donc x2 + y2 + 6x - 2 y -7 = 05 est l’équation d’un

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cercle de centre Ω(-3 ; 52 ) et de rayon r = 32 + (- 52)2 - 7 ». La factorisation canonique du trinôme est pourtant une question que le professeur a traité rapidement en disant que « ça aurait dû être sû à l’entrée en Première » : ce fait nécessitera une explication didactique.

1 . L a c r é a t i o n d i d a c t i q u e d ’ i g n o r a n c e

L’exemple présenté montre d’abord comment la gestion didactique de certains apprentissages est institutionnellement invisible. Il faut en effet poser la question naïve suivante : Joëlle se sent « poursuivie » par la factorisation canonique du trinôme, qui crée à nouveau son échec alors même qu’elle croit en être débarassée. Mais pourquoi donc G demande-t-elle encore que la pratique des élèves relève de cette technique, alors qu’elle a depuis plus de trois mois donné aux élèves les résultats standards relatifs au trinôme, et que des résultats standards pourraient, ici encore, être donnés à apprendre par coeur ?

Ce phénomène n’est observable que par qui se donne la peine de faire, concrètement, tous les exercices de la manière indiquée par G, parce qu’il a repéré dans les difficultés de Joëlle un point où de l’ignorance fait problème. L’intervention de la factorisation du trinôme à l’évidence le moyen privilégié par G pour recréer systématiquement de l’ignorance à propos du travail algébrique : pour montrer aux élèves de la classe qu’il y a encore « quelque chose à apprendre, sur la question de la factorisation des polynômes et de ses usages ». De ce fait, G fait vivre le plus longtemps possible une technique relative à des objets dont la théorie n’apparaît pourtant pas comme un savoir essentiel dans le programme de la classe de Première. Cela amène le professeur à « passer rapidement sur ces banalités », et à tenter de montrer que ces banalités doivent devenir la propriété des élèves : la manipulation aisée de la technique de factorisation canonique du trinôme est ainsi une condition sine qua non de l’entrée réussie dans la culture mathématique d’un élève devant suivre des études scientifiques, en France.

Faute de la progression officielle que produirait un développement théorique assuré de son bon droit, le temps qu’il est possible de consacrer au travail sur la question des polynômes est beaucoup trop bref pour que les élèves puissent acquérir du premier coup les « trucs techniques » qu’ils doivent maîtriser. L’usage systématique de ces savoirs « comme s’ils devaient aller de soi » et l’injonction d’en faire un usage instrumental est alors le seul moyen pouvant créer pour ces savoirs, obsolètes avant d’être acquis, un enjeu didactique : une occasion d’apprendre. Le moyen est rustique, et l’efficace de cette création brutale d’ignorance est fortement dépendant de l’usage que les élèves feront de l’injonction instrumentale répétée. Car certains élèves prennent cette injonction comme indiquant qu’il y a à savoir déjà - et non à apprendre enfin - et l’effet paradoxal en est l’exclusion de ces ignorants - que l’on avait justement créés ignorants pour leur montrer ce qu’il fallait apprendre.

2 . L e s é p i s o d e s d i d a c t i q u e s p o u r l ’ e n s e i g n é

Le cadre théorique du travail

Le modèle « du système didactique » (Enseignant, Enseigné, Savoir) et de son temps systémique propre, le « temps didactique », décrit les contraintes de fonctionnement de toute relation didactique, dans le cadre d’une institution à visée didactique à propos des mathématiques (Chevallard, 1980). L’analyse des conditions du fonctionnement d’une

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relation didactique suppose une analyse de la relation didactique, pour laquelle on connaît l’intérêt des notions de contrat (Brousseau, 1979, et 1984) (le système des attentes réciproques du professeur et de l’élève, relativement au savoir), et de milieu (le système des objets communs aux sujets de la relation, qu’ils soient donnés ou supposés tels). Le modèle « des situations didactiques » décrit en particulier les conditions de réalisation de l’enjeu d’une relation didactique, l’apprentissage. L’observation du fonctionnement didactique, est, dans les cas qui nous intéressent ici, l’observation de la manière dont les conditions trouvent - ou ne trouvent pas - à se réaliser dans le cadre du réseau des contraintes, pour au moins un sujet. Le sujet est l’élève. Il est encore peu étudié comme sujet de la relation didactique, même si les didacticiens savent décrire précisément :

— le lieu Enseigné, dans le système didactique ;

— le joueur et son jeu comme conditions de l’apprentissage, dans la situation didactique. L’étude de l’élève suppose que l’on puisse penser l’articulation du système didactique à la personne venue être élève, dans une institution didactique. L’institution didactique fait d’une personne un élève en le faisant sujet institutionnel, dans ce point du système que l’on nomme le lieu « Enseigné ». La notion de contrat didactique nomme le mécanisme de l’assujettissement institutionnel et ses conséquences, en référence à la notion de contrat social, tel que Jean-Jacques Rousseau l’a théorisé1.

La notion de création institutionnelle d’ignorance (Mercier A., 1992) permet alors de penser la liaison cherchée. La progression du temps du système didactique crée en effet - cela a été montré ailleurs (Rajoson L., 1988), (Bessot A. & Mercier A., 1991) - des réorganisations du système des interrelations que nourrissent les différents objets de savoir, ce système s’adaptant aux besoins créés par la manipulation de chaque objet d’enseignement. Aussi, les rapports des élèves aux objets pertinents pour l’étude des objets enseignés doivent changer. L’usage nouveau nécessite des rapports qui n’avaient pas été enseignés, et ne le seront pas : le rapport institutionnel à ces objets change ; les élèves se trouvent ainsi « institutionnellement ignorants » des rapports nouveaux à des objets anciens, et ils doivent interpréter cette ignorance institutionnelle comme une injonction didactique relative à ces rapports nouveaux, pour ces objets anciens.

Les épisodes didactiques s'observent par leur effet biographique

Un épisode didactique est cet instant particulier où l’introduction d’un objet de savoir nouveau et les questions que pose son usage imposent la réorganisation (partielle) de certains rapports aux savoirs anciens. La progression du temps didactique, qui se mesure à l’apparition des objets d’enseignement nouveaux, produit donc des épisodes didactiques, qui correspondent à ces moments où l'on peut observer le besoin, dans l’institution, d’un rapport nouveau à un objet, c’est-à-dire de l’ignorance institutionnelle. On peut observer un épisode didactique au moment où ce besoin est ressenti par un élève comme le manque du rapport nouveau que l’institution attend de lui ; c’est-à-dire, au moment où l’ignorance institutionnelle est rencontrée personnellement par cet élève et produit pour lui un effet biographique en créant son ignorance personnelle, le manque d’un rapport à un objet.

L’effet d’un épisode, pour au moins un élève, étant établi par cela : un élève est venu de

1 Le contrat social fait, d’un homme à l’état de nature, une personne du Peuple (constitué en Corps Politique, qui institue le contrat social), un Citoyen participant du Souverain (constitué en République, qui institue la volonté générale), et un Sujet de l’Etat (qui applique aux intérêts particuliers la loi issue de la volonté générale)… (Rousseau J.J. (1762)).

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son propre chef rapporter cet effet (qui définit son problème d’apprentissage), il fallait entreprendre une étude systématique des épisodes didactiques. Ce type d’étude relève de « l’approche biographique du didactique ». Les épisodes didactiques sont par conséquent des analyseurs de l’institution didactique, dont l’existence est attestée par la méthode d’accès que nous avons proposée sous le nom d’approche biographique. Etudier les épisodes didactiques, c’est alors chercher si la théorie didactique des conditions de l’apprentissage rend compte du fait que ces épisodes peuvent être à l’origine d’un apprentissage, ou qu’ils peuvent échouer à le faire, ainsi que l’on peut l’observer sur l’exemple de Joëlle en particulier. C’est pourquoi l’existence de toutes sortes d’épisodes et d’effets doit être établie par le moyen de la théorie des situations : cette théorie modélise les conditions de l’apprentissage dans une situation didactique. La théorie des situations modélise plus particulièrement les conditions de l’apprentissage dans le moment adidactique d’une situation didactique, et les épisodes didactiques correspondent par conséquent à des moments adidactiques des situations didactiques ordinaires - dont la plus grande part restait jusqu’ici invisible à l’observateur.

3 . L a g e s t i o n d i d a c t i q u e d e l ’ i g n o r a n c e d e l ’ é l è v e

Afin de montrer comment un phénomène qui est, le plus souvent, fonctionnellement invisible, peut être mal contrôlé et produire, avec de nouveaux rapports au savoir pour certains élèves, toute une série d’effets plus ou moins désirables, je montrerai deux occurrences de certains de ces effets.

Joëlle et la factorisation canonique du polynôme du second degré

Soit le cours de géométrie sur les équations de cercle relaté en introduction. C’est la factorisation canonique d’un trinôme du second degré qui encore une fois arrête Joëlle : il lui faudrait prendre le temps d’apprendre à maîtriser enfin cette technique. En Seconde, elle avait considéré que cela ne relevait pas de son domaine, et elle avait écarté la question : elle s’en repend sans pour autant changer de position, car la progression du cours (elle est toujours en retard) lui interdit, en quelque sorte, de prendre le temps de la reprise, en lui montrant toujours un autre objet de savoir à travailler, un objet nouveau , celui-là : n’aura-t-elle pas, cette fois, les moyens de la maîtrise, si elle s’y prend au tout début et si elle travaille au bon rythme les exercices posés ? Joëlle se prend à espérer et agit en fait à contretemps.

Le fonctionnement même du système didactique contredit ainsi les injonctions insistantes de G, et induit chaque fois l’élève qui rencontre son ignorance de la factorisation canonique du trinôme à penser qu’il s’agit d’une difficulté locale, pour cette seule fois : tout le travail de création d’une situation pour l’apprentissage de cette factorisation est en effet à la charge de l’élève ignorant. L’enjeu didactique relatif à un objet de savoir ne correspond pas ici à une dimension adidactique dans une situation didactique. Un milieu et une action pouvant aider à réaliser l’apprentissage demandé ne sont pas proposés.

Patricia et le traitement des équations comportant une valeur absolue

Patricia est élève d’une Seconde plutôt faible. Ce jour-là, l’interrogation prévue sur les valeurs absolues a dû être reportée à la séance suivante, parce que « les élèves ne se sentent pas prêts ». Ils se voient donc proposer de « faire les exercices de l’interrogation, à blanc ». La première équation à traiter est : |2x - 1| = 4

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x 2x puis, elle s’est arrêtée, et a repris : |2x - 1| = 4

|2x| = 4 + 1 |2x| = 5 …

Le professeur s’irrite : « C’est la raison de la technique du tableau de distinction des cas : lorsqu’il faut traiter des équations avec des valeurs absolues, il faut séparer deux cas. Le tableau permet de le faire. »

L’élève vient enfin de rencontrer le problème qui rendait nécessaire le savoir enseigné, et la nécessité de ce savoir, en s’essayant à utiliser directement son savoir ancien sur les équations (un savoir qui est ici invalide). Cela désigne un épisode didactique, qui s’est produit quelque temps plus tôt : la présence de l’objet «valeur absolue » impose la transformation du rapport à l’objet « équation où x figure au premier degré ». L’équation 2x - 1 = 4, que l’on résolvait par transposition du 1 et division par deux soit, 2x = 4 + 1 = 5, puis, x = 52 , est devenue |2x - 1| = 4 ; cette nouvelle équation ne peut plus se résoudre suivant la même technique. Le rapport institutionnel aux équations doit changer, et les élèves sont devenus institutionnellement ignorants, relativement aux équations lorsqu’elles comportent une valeur absolue. Le changement attendu est géré par le professeur, qui a enseigné « le tableau de distinction des cas ». Mais si l’élève ne rencontre pas elle-même l’ignorance institutionnelle créée, à propos des équations, par la valeur absolue, et si elle ne reconnaît pas ainsi son ignorance personnelle sur les équations comportant une valeur absolue, le « tableau de distinction des cas » reste pour elle un savoir-faire mathématiquement vide : il ne répond à aucune question. La situation didactique relative à cet objet ne comportait pas une dimension adidactique organisée de manière à produire sur l’élève l’effet visé.

L'approche biographique permet la description de la dimension adidactique des situations didactiques usuelles, et du contrat didactique relatif à ces situations.

L’observation d’épisodes didactiques suivant une approche biographique donne accès à des effets didactiques qui peuvent se reconnaître d’un cas à l’autre. Ainsi, faute des moyens d’assurer une progression didactique visible au moment où un objet de savoir est enseigné, l’enseignant peut bien faire de cet objet l’enjeu d’un « apprentissage », en faisant exister un rapport à l’objet qui est de l’ordre du savoir-faire. Mais cet « apprentissage » n’assure aucun progrès du temps didactique, parce que l’objet sur lequel il porte n’est pas officiellement l’objet enseigné. Pire, ce qu'il y a à apprendre ne peut être l'objet d'un cours, suivi de sa cohorte normale d’exercices à faire : cela arrêterait la progression, mais surtout, cela changerait un terme essentiel du contrat didactique, selon lequel l’élève apprend d’un coup tout ce qu’il y a à savoir d’un objet enseigné2. Faute d’un enseignement qui assume la

dimension théorique et l’articulation de l’apprendre au faire, ce qu’il y a à apprendre ne peut être que démontré - au sens où l’on démontre …le fonctionnement d’un lave-linge.

Les épisodes didactiques montrent des organisations stables de la relation didactique

Les observations précédentes montrent certains caractères spécifiques de ces organisations stables. Ce sont les conditions de l'établissement d'un rapport au savoir apte à être retravaillé

2 On dit que l’enseigné est interdit de futur, parce qu’il est totalement soumis à la loi du temps didactique, qui le fait vivre dans un éternel présent (Chevallard Y. , 1986).

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lorsque la nécessité s'en fait sentir - par exemple, l'existence et, s'il y a lieu, les formes de la situation adidactique. Ce sont lescontraintes qui pèsent sur la possibilité de réalisation de ces conditions - par exemple, l'absence, à propos du travail algébrique, d'un cours : la théorie s'y exposerait, le temps didactique progresserait avec l’exposé et cela justifierait une succession d’exercices où les techniques du travail algébrique seraient mises à l’épreuve. On comprend ainsi comment l’intention didactique vient à manquer aux sujets didactiques, élèves et professeurs, lorsqu’ils manquent d’un cours sur lequel fonder, et la relation didactique, et le partage du rapport aux objets du savoir enseigné.

Pourtant, dans le cas de Patricia, le discours tenu - pendant le temps supposé de l’interrogation écrite - a presque réussi à tenir lieu de cours de mathématiques : l'existence du « tableau de choix » a permis en effet, in extremis, un échange didactique pour au moins une élève, et la production d’un fragment de sa biographie didactique, relativement aux équations comportant une valeur absolue. L’apprentissage d’un peu de mathématiques est devenu possible pour Patricia, qui a rencontré le problème auquel répond le savoir enseigné en rencontrant l’impossibilité de résoudre les équations comme elle le faisait auparavant. Dans le cas de Joëlle au contraire, le poids institutionnel du fonctionnement didactique - le temps didactique qui passe - l’emporte sur tous les discours autorisés qui peuvent lui être tenus : cette élève n’étudiera pas la factorisation du trinôme et ses emplois.

Mais dans chaque cas, l’interrogation écrite a créé un commencement de situation adidactique, une dimension jusqu’alors manquante à la situation didactique observée. C’est sans doute une technique didactique barbare, mais l’on peut observer que l’interrogation écrite est l’occasion de beaucoup d’apprentissages. L’ignorance institutionnellement créée doit en effet, pour que l’apprentissage se réalise, devenir pour chaque élève une ignorance personnelle : il faut que chaque élève rencontre personnellement ce problème-là (que l’ignorance institutionnelle pose), pour qu’un savoir puisse être pour lui une réponse pertinente (il faut qu’il ait besoin de ce savoir). L’interrogation écrite peut parfois produire un tel épisode. Il ne suffisait donc pas que le problème ait été exposé par l’enseignant comme le problème étudié.

Un problème didactique est maintenant posé : « La gestion didactique de l’ignorance peut-elle se faire, dans la mesure où la rencontre personnpeut-elle de l’ignorance créée pour les élèves par l’enseignement ne se fait pas, en général, au moment où l’enseignant le croit ? Comment les sujets didactiques peuvent-ils maintenir une relation didactique qui s’avère aussi fragile, tout en montrant une telle inconscience du fonctionnement réel de cette relation ? »

Ces deux questions sont aujourd’hui un des horizons de mon travail.

Références bibliographiques

Bessot A. & Mercier A. (1991), La dynamique institutionnelle : chronogenèse et évolution du rapport institutionnel. VIe école d’été de didactique des mathématiques. Rennes, IMR, et Nantes, IRESTE. 169-173. Brousseau G. (1979), L’échec et le contrat. Recherches, 41, 177-182.

Brousseau G. (1984), Le rôle central du contrat didactique dans l’analyse et la construction des situations d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques. IIIe école d’été de didactique des mathématiques.. Grenoble, IMAG, 99-108.

Chevallard Y. (1980), La transposition didactique, du savoir savant au savoir enseigné. Première école d’été de didactique des mathématiques. (1991), Grenoble, La Pensée Sauvage, 240 p.

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Heinritz C. & Rammstedt A. (1991), L’approche biographique en France. Cahiers internationaux de sociologie, XCL. 331-370.

Mercier A. (1992), L’élève et les contraintes temporelles de l’enseignement, un cas en calcul algébrique. Thèse de l’Université Bordeaux I.

Peneff J. (1990), La méthode biographique. Paris, Armand-Colin, 144 p.

Rajoson L. (1988), Analyser la transposition didactique : quelques problèmes, concepts et méthodes de l’abord écologique. Thèse de troisième cycle, Université Aix-Marseille II.

Rousseau J.J. (1762), Du contrat social ou principes du droit politique. (1973), Paris, Garnier-Flammarion, 186 p.

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