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Une jeunesse coréenne entre solitude et désir d’indépendance : L’exemple du hon-bap dans la nouvelle « Table pour une personne » de Yoon Go-eun

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d’independance : L’exemple du hon-bap dans la nouvelle

“ Table pour une personne ” de Yoon Go-eun

Lucie Angheben

To cite this version:

Lucie Angheben. Une jeunesse coreenne entre solitude et desir d’independance : L’exemple du

hon-bap dans la nouvelle “ Table pour une personne ” de Yoon Go-eun. Impressions d’Extrême-Orient,

Aix Marseille Université, 2018, Nouvelles Tendances Littéraires d’Asie, 8. �hal-02385530�

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8 | 2018

Nouvelles tendances littéraires d'Asie

Une jeunesse coréenne entre solitude et désir

d’indépendance

L’exemple du hon-bap dans la nouvelle « Table pour une personne » de

Yoon Go-eun

Lucie Angheben

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ideo/950 ISSN : 2107-027X Éditeur

Université Aix-Marseille (AMU)

Ce document vous est offert par Aix-Marseille Université (AMU)

Référence électronique

Lucie Angheben, « Une jeunesse coréenne entre solitude et désir d’indépendance », Impressions

d’Extrême-Orient [En ligne], 8 | 2018, mis en ligne le 13 décembre 2018, consulté le 28 novembre 2019.

URL : http://journals.openedition.org/ideo/950

Ce document a été généré automatiquement le 28 novembre 2019.

Les contenus de la revue Impressions d'Extrême-Orient sont mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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Une jeunesse coréenne entre

solitude et désir d’indépendance

L’exemple du hon-bap dans la nouvelle « Table pour une personne » de

Yoon Go-eun

Lucie Angheben

Introduction : Nouvelles tendances de la littérature

coréenne

1 Depuis les années 2000, la littérature coréenne voit paraître toute une série d’œuvres

littéraires innovantes. Si les auteurs des générations plus anciennes continuent de publier, de nombreux auteurs moins connus prennent leurs marques ou font leurs débuts dans le monde littéraire. Nous assistons notamment à un élargissement des genres, qui semblent être un peu plus reconnus que par le passé, notamment le registre du polar, qui tend à gagner en reconnaissance auprès du public comme des professionnels de l’édition. Citons par exemple Les nuits de sept ans1 de l’auteure Jeong Yu-jeong, paru en 2011, un

thriller au succès pour le moins inattendu et qui en 2017 figure toujours parmi les meilleures ventes d’œuvres de fiction coréennes dans le classement de la plus grande librairie de Corée2, en est un bon exemple. La cyber-littérature, à tendance romanesque

ou picturale dans le cadre des webtoons, en plein boom depuis les années 20103, est

également propulsée par un XXIe siècle ouvertement tourné vers les nouvelles

technologies et bien décidé à les mettre au service de la littérature et du texte.

2 Néanmoins, nous aurions tort de considérer que le XXIe siècle n’offre de possibilités qu’à

ceux qui fuient une littérature plus classique dans sa forme. En effet, nombreux sont les jeunes auteurs à publier des recueils de nouvelles et des romans plus conventionnels. Les grandes maisons d’édition de littérature coréenne continuent de publier des textes littéraires « purs » tout en offrant de la voix aux jeunes générations. Nous pouvons notamment citer la collection dédiée aux jeunes auteurs de Mineumsa4 qui a permis à des

écrivains comme Chang Kang-myoung5 ou Jo Nam-ju6 de prendre leur envol. Ces jeunes

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progressif des thématiques traditionnellement liées à l’histoire du pays. Des générations d’écrivains coréens ont, depuis l’avènement de la littérature coréenne moderne au début du XXe siècle, témoigné des événements politiques qui ont marqué la Corée, de la guerre

de Corée aux dictatures militaires des années 1980, suivant une tendance réaliste porteuse d’un message historico-politique fort. Cela tend à disparaître avec une nouvelle génération d’auteurs plus jeunes, moins concernés par les épisodes historiques qu’ils n’ont que peu ou pas vécus. Ils préfèrent se concentrer sur les problèmes de la vie quotidienne dans la société moderne, ou sur un storytelling original qui permettrait d’échapper à la monotonie du quotidien7.

3 Une grande majorité d’œuvres littéraires récentes publiées par les jeunes générations

d’auteurs coréens offre en effet une vision de la société coréenne contemporaine, assortie le plus souvent d’une critique souvent maquillée d’humour. Si les thématiques les plus plébiscitées sont bien souvent tristes, et l’humour sombre ou grinçant, certains se permettent aussi de la fantaisie. L’imagination est à l’œuvre chez les jeunes auteurs qui ne sentent plus le poids de l’histoire nationale peser sur leurs épaules. Libérés du devoir de témoignage historique de leurs ainés, ils nous offrent une production littéraire parfois décalée et peut-être plus universelle, dans le sens où la traduction et la réception des traductions par le lectorat étranger est facilitée par la disparition de la nécessité passée de connaître l’histoire de la Corée sur le bout des doigts pour comprendre l’ampleur du texte littéraire en lecture8. D’ailleurs, de plus en plus de jeunes auteurs se retrouvent

publiés sur le marché français.

La nouvelle « Table pour une personne » de Yoon

Go-eun

4 Née en 1980, l’auteure Yoon Go-eun fait ses débuts en 2003 lorsqu’elle remporte le prix de

littérature Daesan pour les étudiants. Auteure prolifique qui a déjà publié deux romans9

et quatre recueils de nouvelles10, elle est reconnue en Corée pour sa capacité à produire

des textes originaux et agréables à lire, souvent moins négatifs et pessimistes que la majorité des textes contemporains disponibles sur le marché11. La nouvelle qui nous

intéresse, « Table pour une personne », est parue pour la première fois en 2009 dans la revue Littérature pratique12. Celle-ci est encore inédite en langue française13.

5 La nouvelle « Table pour une personne », qui donne son titre au recueil de 2010, met en

scène un homme inscrit dans un institut privé qui lui enseigne à manger en solitaire. Celui-ci est constamment partagé entre l’envie de s’intégrer au groupe de ses collègues, qui chaque midi vont manger ensemble, et le rêve de s’émanciper du groupe sans avoir à souffrir de la solitude mortifiante ou du regard accusateur des autres.

6 Le lecteur peut ressentir le malaise de ce personnage en prise avec les rouages de la

société confucéenne. Il nous parait intéressant d’analyser ce texte au prisme du confucianisme qui continue de marquer la société coréenne contemporaine et de replacer le choix délibéré du personnage de manger seul et de s’isoler dans un environnement culturel où le groupe est censé primer sur l’individu. Cette nouvelle nous semble (pré)figurer un phénomène de mode qui prendra quelques années plus tard le nom de hon-bap.

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Le phénomène du hon-bap en Corée

7 Chaque année de nouveaux termes font leur apparition dans le dictionnaire, faisant suite

aux nouvelles pratiques qui se développent dans la société. Si nombre de termes konglish14

viennent reproduire des modèles américains venus de l’étranger, surtout chez les populations les plus jeunes, il est à noter que parfois des termes coréens sont directement créés. C’est notamment le cas pour hon-bap, qui apparaît en 2013 dans le dictionnaire en ligne Naver15 et qui possède sa propre page sur le wiki coréen Namuwiki16. Ce terme est

composé de deux syllabes : hon, littéralement « seul » (que l’on retrouve notamment dans honja, seul), et bap, littéralement « repas ». Ce qui nous donne « repas seul » et définit une nouvelle manière de prendre son repas en solitaire. En effet, cela fait référence non pas à la nécessité de devoir être seul par manque de personnes pour nous accompagner, mais à la volonté marquée de vouloir prendre son repas seul. La connotation du terme est positive. De nombreuses autres expressionss apparaissent sur la même lancée, constituant un lexique inédit sur les nouvelles habitudes des jeunes solitaires de Corée. Ainsi, le terme hon-sul (hon seul + sul alcool) est utilisé pour parler de la consommation d’alcool en solitaire ; hon-haeng (hon seul + haeng voyage de yeohaeng) pour parler des voyages en solitaire ; hon-yeong ( hon seul + yeong film de yeonghwa) pour parler du visionnage de films en solitaire au cinéma, etc. La liste ne cesse de s’allonger au fur et à mesure que de nouvelles pratiques solitaires apparaissent17.

8 Il est à noter que cette tendance du hon-bap était déjà mise en relief par l’auteure Yoon

Go-eun en 2009, avant même l’apparition du terme dédié. De plus, elle dresse dans sa nouvelle une liste des différentes manières de prendre son repas seul, affichant une hiérarchie des possibilités offertes aux personnes seules. Nous y apprenons ainsi qu’il est plus facile d’aller manger seul dans un fast-food ou dans un coffee shop18 que dans un

restaurant de grillades ou à un buffet de mariage.

« Étape 1 : café, boulangerie, fast-food, restauration rapide, petit restaurant chinois, espace restaurant d’un centre commercial, restaurant voisin de l’institut, cantine
 Étape 2 : restaurant italien, grand restaurant chinois, restaurant coréen traditionnel, restaurant familial de grandes chaines 


Étape 3 : buffets (cérémonie de mariage ou premier anniversaire) 
 Étape 4 : restaurant de grillades, sushi bar


Étape 5 : imprévu19 »

9 Il est intéressant de remarquer que cette liste fait encore foi aujourd’hui auprès des

jeunes Coréens lorsqu’il s’agit de tester son habileté en hon-bap. Nous trouvons notamment un certain nombre de Youtubeurs qui filment leurs exploits à passer les différentes étapes du repas en solitaire20. Cette hiérarchie, somme toute logique, est

partagée à grande échelle.

10 Cette mode du hon-bap et des loisirs en solitaire dépasse la fiction et les réseaux sociaux.

En effet, depuis les années 2010, une véritable économie parallèle voit le jour. Le hon-bap est utilisé comme ressort économique nouveau et de plus en plus d’établissements se dédient entièrement ou en partie à ce nouveau mode de consommation. Nous allons ici nous concentrer sur les repas, mais il est évident que tous les domaines sont concernés. Dans une Corée du Sud capitaliste qui n’hésite pas à mettre à profit tous les phénomènes de mode, qu’ils soient musicaux (on pense notamment à l’utilisation de la k-pop et de la hallyu comme ressort économique) ou technologiques (les téléphones dernier cri comme première nécessité chez les jeunes Coréens), on ne pouvait passer à côté d’une telle

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demande de solitude, qui se présente dans la continuité d’un modèle individualiste occidental prenant de plus en plus d’ampleur dans la société coréenne actuelle. Ainsi est apparu le concept de solo-economy21 ou il-conomy22 pour signifier la manière dont

l’économie coréenne s’adapte à cette nouvelle demande de la part de Coréens de plus en plus amenés à vivre seuls de pouvoir profiter des plaisirs de l’existence – dont le plaisir de boire et manger – en solitaire23. Le professeur Lee Jun-yeong, de l’université Sangmyung,

définit ainsi ces termes : « En résultat de l’augmentation rapide des foyers à une seule personne, le terme ‘1conomy’ a fait son apparition, fusion des expressions ‘1 person’ et ‘economy’. Le concept traditionnel de famille, avec les parents et les enfants, se désintègre à vitesse grand V et son atomisation produit une société remplie de personnes seules24. » Il explique ensuite que « le terme ‘solo-economy’ a été créé en réponse à

l’intensification des phénomènes économiques liés à l’augmentation des foyers à une seule personne25 ». Cette solo-economy englobe, pour ce qui est du hon-bap, toutes les

évolutions mises en place pour proposer une offre diversifiée de repas à prendre en solitaire. En font partie les restaurants dédiés qui proposent seulement des tables pour une personne26, et notamment des restaurants de grillades qui, comme nous l’apprend

déjà la nouvelle de Yoon Go-eun, nécessitent une commande de deux portions minimum pour avoir accès au grill (on trouve notamment ces restaurants pour une personne dans les quartiers les plus jeunes de la capitale sud-coréenne, que ce soit Hongdae, entouré par des universités et qui brasse une population très jeune et très intéressée par les phénomènes de mode ou Gangnam, quartier plus huppé où les jeunes travailleurs et autres gens branchés sortent le soir). Mais les industries agro-alimentaires productrices de plats préparés à portions réduites (pour une personne, des légumes au sacro-saint kimchi27) et de dosirak, ces plateaux repas de plus en plus appréciés des Coréens pressés

pour prendre un repas équilibré en un temps réduit, ne sont pas en reste. Participent également du processus les supérettes 24/24, gentiment moquées par Kim Ae-ran dans sa nouvelle « Ma vie dans la supérette28 » où une jeune fille célibataire achetait ses pots de

nouilles instantanées et ses kimbaps29, et où la supérette se présente comme un repaire

pour les gens pressés qui veulent trouver tout, tout de suite, et ce, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit30. L’offre de plateaux repas a en effet connu un net

développement ces dernières années, au prix de sérieux efforts de communication de la part des grandes chaînes (moyennant parfois des campagnes publicitaires avec des acteurs ou chanteurs célèbres) et pour la première fois en 2016, les chiffres de vente des plateaux repas dépassent les ventes d’alcool31.

11 Le phénomène du hon-bap est également relayé dans les médias. Depuis 2016, toutes

sortes de médias se penchent sur la question. Nous avons évoqué plus haut les chaînes Youtube qui partagent les expériences du hon-bap, le phénomène dépasse internet. De nombreuses émissions télévisées et séries dédiées font également leur apparition. Nous pouvons notamment citer le succès du drama Drinking Solo32 (TVN, 2016), qui met en scène

des personnages collègues de travail dont l’un d’entre eux refuse de se joindre au groupe pour les repas. Il explique préférer manger et boire de l’alcool seul, pour se faire plaisir et respecter ses propres manières de faire, sans avoir à subir les autres et leurs désirs, sans avoir à souffrir par leur faute. Quiet Dining33, sur la chaîne Olive dédiée à l’alimentation et

la cuisine, propose depuis 2016 de partager visuellement un repas en solitaire et en silence avec une célébrité coréenne. L’émission est filmée en plan fixe, et le repas varie, comme le cadre du repas (restaurant, pique-nique dans un parc, etc.). Grâce aux rediffusions disponibles sur le site internet de l’émission et les réseaux sociaux, il devient possible de choisir son repas ou son compagnon pour, peut-être, avec un peu

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d’imagination, se trouver un compagnon de repas pour égayer sa solitude. « Si je mange un bibimbap34 à la maison et que face à moi, quelqu’un mange aussi un bibimbap chez lui,

ne pourrait-on pas avoir l’impression de partager en quelque sorte un repas ? » Le concept est encore poussé plus loin dans l’émission Let’s meet up at 835 (Olive, 2016),

présentée comme un talk-show sur le hon-bap, où plusieurs personnalités se retrouvent par webcam ou caméras interposées à l’heure du repas pour partager leurs impressions sur leur repas en solitaire, ce qui en fait un moment convivial de partage. Les différents protagonistes commandent ou préparent leur repas, comme s’ils étaient installés à une même tablée et peuvent se parler et se répondre par micro, et se voir sur leur écran. Ainsi, le téléspectateur qui mange chez lui ne pourra pas parler mais possiblement s’identifier à ce groupe.

Une jeunesse coréenne entre solitude et désir

d’indépendance

12 Comment analyser ce phénomène ? Comment le comprendre dans le contexte coréen

actuel ? Commençons par nous replacer dans la société coréenne. Traditionnellement, la Corée est une société fortement marquée par le confucianisme36. Ainsi, le groupe prend le

pas sur l’individu et la hiérarchie est suffisamment forte pour ne pas être attaquable37. La

différence avec la culture européenne dans laquelle la liberté individuelle est avérée et où chacun peut décider de faire à sa guise tant qu’il n’empiète pas sur la liberté des autres est a priori évidente. C’est dans ce contexte particulier à la Corée du Sud que nous devons analyser le choix de notre personnage qui mange seul, sans ses collègues. Plus précisément, il voudrait les suivre, faire partie du groupe, se sentir apprécié et entouré, partager leurs pauses déjeuners. Néanmoins, pour une raison inconnue de notre héros, ceux-ci ont décidé de le rejeter hors du groupe, l’exclure et ne jamais l’inviter à partager leurs repas. Il se retrouve donc forcé de se débrouiller pour sa pause déjeuner, à tenter toutes sortes de choses : entre le repas pris sur le pouce au bureau, les fast-foods, les cafés… sans jamais trouver de solution satisfaisante. À travers ce personnage, la solitude est perçue de manière négative, décrite comme une souffrance difficile à apaiser.

« Il n’y avait vraiment rien de plus ennuyeux que de manger seul. Et de plus terrifiant. Pour être exact, ce n’était pas vraiment le fait de manger tout seul mais le fait de devoir se rendre seul au restaurant qui posait problème. Cela faisait deux ans que je vivais seul et j’appréciais de manger seul chez moi. Par contre, c’est lorsqu’il me fallait aller seul au restaurant que les choses se compliquaient. Dès le dimanche soir, je ressentais tous les symptômes d’une maladie du lundi carabinée, et ce n’était pas à cause de mon travail ou du temps de trajet. La véritable raison, c’était qu’une semaine de pauses déjeuner m’attendait.

À l’heure de la pause déjeuner, tous mes collègues de bureau se volatilisaient. Ils se retrouvaient tous quelque part pendant que celui qui restait se trouvait forcé d’aller se chercher un endroit où manger tout seul. Celui qui restait et qui devait se débrouiller 5 jours par semaine, c’était moi, depuis 9 mois38. »

13 Cela ressort dans la terminologie choisie par l’auteure pour évoquer les repas solitaires de

ses protagonistes : maladie, uppercut, match de boxe… C’est alors qu’il tombe sur une publicité pour un institut (fictif, bien entendu, et qui devient le ressort humoristique de l’histoire) qui enseigne l’art de manger en solitaire. Il en devient rapidement un élève assidu, motivé par l’envie de parvenir à transformer son rejet du groupe de ses collègues en force positive d’accomplissement de soi-même, de liberté de choix individuel.

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14 Ce personnage nous semble incarner toute une génération de jeunes Coréens (incluant

l’auteure Yoon Go-eun) qui semble avoir du mal à se reconnaître dans le modèle traditionnel en place dans la société coréenne. En effet, le confucianisme semble de plus en plus difficile à vivre pour les jeunes, qui tendent à penser au présent avant de penser au futur (et vivent donc leur statut de jeune dans une société où les ainés sont prioritaires, sans penser qu’ils pourront en profiter à leur tour plus tard) et à penser à eux-mêmes avant de penser au groupe (ce qui contraste évidemment avec l’idéal confucéen de fonctionnement de la société dans son ensemble). Le communautarisme coréen, pourtant visible à travers de multiples exemples dans la société et même jusqu’à dans la langue coréenne39, semble être en train de perdre de sa superbe, au moins du côté

des jeunes générations. Celles-ci ont toujours vécu dans un environnement moderne, occidentalisé et mondialisé. L’individualisme prôné en Occident s’est également importé en Corée et tend à se faire de plus en plus présent40.

15 La société coréenne est concrètement marquée par ce phénomène. Avec les années, le

modèle familial s’effrite lui-aussi41. D’après les dernières statistiques menées par l’institut

national de statistiques de Corée (KOSTAT), il y a constamment de plus en plus de personnes vivant seules42 en Corée. Depuis 2015, le nombre de foyers à une seule

personne a dépassé le nombre de foyers à deux ou trois personnes, et ce chiffre ne cesse d’augmenter, pour atteindre les 27,9% de la population en 201643. Cela fait évidemment

écho au nombre grandissant de personnes qui désirent prendre leurs repas seuls ou profiter de toutes sortes d’activités en solitaire. Cette catégorie de personnes seules est majoritairement composée de personnes âgées, souvent en difficulté44 (qui souffrent du

rejet du confucianisme par les plus jeunes, censés s’occuper de leurs ainés lorsque ceux-ci sont dans le besoin), et de jeunes étudiants ou travailleurs45. Toutes les prévisions

s’accordent sur une augmentation drastique à venir dans les vingt prochaines années46.

Parallèlement, la Corée enregistre, comme dans de nombreux autres pays du monde, de moins en moins de mariages (alors que le mariage était une institution en Corée, encore jusqu’à très récemment) et de moins en moins d’enfants47. Cela influe inévitablement sur

les perceptions du groupe chez les jeunes Coréens, et se retrouve dans les habitudes quotidiennes, comme les repas.

16 Il nous semble intéressant de souligner que cette solitude apparaît comme un phénomène

quelque peu ambivalent, comme en tension constante entre deux extrêmes. D’une part, l’idéal traditionnel confucéen, fortement ancré dans les pensées, même chez les jeunes qui déclarent vouloir s’en détacher, et qui voudrait qu’on trouve sa place dans le groupe (et ce à différentes échelles, dans sa famille, dans son entreprise, et dans son pays) pour contribuer à une harmonie nécessaire à la réussite. D’autre part, l’idéal occidental individualiste, qui prône avant tout l’accomplissement personnel et l’autosatisfaction (ainsi, l’idée qu’une fois ses heures de travail terminées, on puisse profiter de son temps selon sa propre envie plutôt que selon l’envie des autres comme ses collègues, faisant passer sa propre personne avant le groupe de l’entreprise dont on fait partie). Lee Jun-yeong explique dans son ouvrage 1conomy que « pour les familles à une personne d’aujourd’hui, tout est affaire de goût personnel48 ». Il explique ce changement

générationnel à l’œuvre : « Avec l’industrialisation rapide, les Coréens ont tendance à oublier leur culture unique du jeong49 ou l’esprit de solidarité communautaire issue des

communautés villageoises du passé50 », nous prévient Lee Jun-yeong. Cette évolution du

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en place d’une « nouvelle morale confucéenne51 » dans les sociétés asiatiques de plus en

plus influencées par l’Occident.

17 Le personnage principal de notre nouvelle semble lui aussi partagé entre ces deux pôles,

entre ces deux façons de faire, ne sachant laquelle choisir pour éviter la souffrance. Il n’aura de cesse de chercher à se faire reconnaître par ses collègues de sorte à se sentir inclus dans le groupe de l’entreprise, jusqu’à ce qu’il rencontre « l’experte » de la solitude heureuse52 et prenne conscience de sa valeur en tant qu’individu et sa capacité de choix.

Ce changement radical de comportement est remarquablement illustré par l’exemple suivant, où il décide volontairement de quitter ses collègues pour profiter d’un moment à lui :

« Le jour où tous mes collègues ont décidé d’aller manger du samgyetang, je me suis éclipsé pour aller manger une soupe vietnamienne en solitaire. Comme cela faisait presque une semaine que je ratais les cours et que je mangeais avec mes collègues, j’ai encore plus apprécié le côté relaxant de mon repas en solitaire. Pour fêter cela, je me suis rendu sans aucune hésitation dans un restaurant situé à moins de 100 mètres du bureau. De la même manière qu’un ressort sur lequel on presse de toutes ses forces rebondit encore plus haut, j’étais ressorti du groupe. Et cette fois, c’était moi qui les avais exclus53. »

18 Nous passons donc symboliquement d’une solitude subie (la souffrance d’être rejeté par

les autres) à une solitude voulue (le choix délibéré de s’exclure des autres – ou de les exclure), d’un modèle à l’autre54.

« C’était une révolution sur ma table mais pas seulement, les effets secondaires ne se limitaient pas au domaine du repas. Cela me suivait même dans le métro bondé lorsque j’allais et revenais du travail. Je venais de comprendre que je n’étais pas coincé au milieu de toutes les planètes du système solaire mais un véritable centre d’attention. Si je n’étais pas accompagné dans les restaurants de grillades ou autour des buffets de mariages, cela ne voulait pas dire que j’étais isolé mais que je me démarquais. Je me voyais désormais au cœur du métro, au centre de la terre, au cœur de l’univers, véritable phénix du monde. Même si c’était la même chose pour tous les usagers du métro qui se ruaient vers la sortie lorsque la rame s’arrêtait à quai, emporté dans cette foule, j’étais quand même le héros de mon histoire55. »

19 Si toute la seconde moitié de la nouvelle le personnage semble satisfait de son nouveau

mode de fonctionnement, c’est sans compter la chute. En effet, cette solitude positive semble avoir des limites. L’échec de son examen et son choix délibéré de redoubler, de reprendre les mêmes cours à l’institut une année supplémentaire, montre son incapacité à se séparer des normes sociales en cours dans son pays, et surtout, son incapacité à se séparer des autres. Il est impossible de vivre totalement seul sans compter sur les autres pour nous épauler : telle est la morale de l’histoire de Yoon Go-eun. Le personnage le comprend lorsqu’il analyse, avec le recul fourni par ses propres expériences, la signification de son redoublement et de son échec :

« Après avoir raté l’examen, j’ai compris pourquoi seuls 15% des inscrits avaient leur diplôme du premier coup. Ce qui terrifiait les 85% restant, ce n’était pas l’examen. C’était la réalité qui les attendait après. (42) Une fois son certificat en poche, plus besoin d’assister aux cours à l’institut. N’était-ce pas cette impression d’appartenir à un groupe qui disparaissait par la même occasion ? Voir ce groupe qui se réunissait tous les midis autour d’un but et d’un intérêt commun se disperser, voir la raison de se rendre à l’institut disparaître à cause d’un diplôme, sortir et faire l’expérience réelle de manger en solitaire, c’était cela qui faisait vraiment peur. Pour eux, non, pour nous, ce n’était pas le diplôme qui importait mais ces moments où l’on pouvait repousser la réalité.

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cours a été le réconfort de voir que je n’étais pas le seul à manger seul. Comme une grande chaîne de plusieurs personnes seules56. »

20 Plus que le fait d’être seul, ce que l’institut lui offre, c’est la possibilité d’être accompagné

par de multiples personnes seules, créant ainsi un nouveau groupe57. Ainsi, la solitude

totale est impossible, affirmation confirmée par le dernier paragraphe, qui ferme la boucle de l’histoire. L’expérience du restaurant de grillades qui avait ouvert la nouvelle se répète, mais cette fois, tout est différent : le personnage décide de partager sa table avec une autre personne seule, et le récit se clôt sur une parole adressée à un autre.

Conclusion

21 Cette nouvelle parue en 2009 nous rappelle qu’une des qualités majeures de la littérature

est de nous figurer la société dans laquelle s’inscrivent les auteurs. Surtout dans le cadre d’une littérature non marquée par le fantastique ou la science-fiction, qui par essence peuvent se permettre plus de libertés, les œuvres sont pour les écrivains le moyen de montrer certains aspects de la société dans laquelle ils vivent, qu’ils soient positifs ou non, et que les auteurs en aient conscience ou non. Yoon Go-eun met ici l’accent sur la solitude du personnage principal de la nouvelle, celle-ci étant illustrée à travers l’acte d’apparence banal de prendre ses repas. Pourtant, lorsque nous prenons ce simple fait de partager (ou non) son déjeuner avec ses collègues dans le cadre de la société coréenne et de ses normes traditionnelles, nous pouvons voir les choses sous un autre angle et y déceler les traces d’un changement générationnel à l’œuvre. La jeune génération dont fait partie l’auteur, et qu’elle nous semble majoritairement représenter dans ses œuvres, semble questionner le modèle en place et éprouver de plus en plus de difficultés à s’y identifier. Partagée entre la volonté de reproduire les schémas ancestraux transmis par leurs parents et l’envie de s’en démarquer notamment en imitant le modèle occidental considéré comme un modèle rêvé de liberté et de bonheur, celle-ci montre une incertitude avancée. Elle s’exprime ici à travers le personnage principal et à travers l’humour, qui tout au long de la nouvelle transforme cette difficulté à trouver sa place en jeu, avec la mise en scène de cet employé de bureau qui retourne sur les bancs d’un institut privé pour tenter de s’en sortir, le tout en suivant un rythme mécanique comme s’il souhaitait se transformer en robot mangeur. Cette nouvelle nous apparaît comme l’illustration précoce d’un nouveau phénomène de mode en Corée symptomatique d’un changement à venir avec les nouvelles générations.

NOTES

1. 정유정, <7년의 밤>, 은행나무, 2011. Pour la traduction française : Jeong Yu-jeong, Les nuits de

sept ans, trad. Kwon Ji-hyun et Philippe Lasseur, Decrescenzo Éditeurs, 2016.

2. D’après le classement « Best seller » disponible sur le site internet de Kyobo, dans la catégorie

littérature coréenne [한국 소설], Les nuits de sept ans pointe encore à la 14e place. (Consulté le 24 novembre 2017.)

(11)

3. Sur le webtoon coréen, voir notamment les articles en ligne suivants : « La ruée vers le

webtoon » de Philippe Paolucci (http://www.keulmadang.com/blog/la-ruee-vers-le-webtoon/), « Ouverture sur le futur : la bande dessinée sur internet » de Yi Myung-suk (http:// www.keulmadang.com/blog/ouverture-sur-le-futur-la-bande-dessinee-sur-internet-par-yi-myung-suk/), et « Les courants du webtoon » de Yi Myung-suk (http://www.keulmadang.com/ blog/les-courants-du-webtoon/).

4. La collection « Jeune écrivain d’aujourd’hui » [오늘의 젊은 작가] voit le jour en 2013. Elle

compte 17 titres à son catalogue, et publie majoritairement des jeunes auteurs, nés entre 1971 et 1990. L’auteure Yoon Go-eun dont il est question dans cet article y a d’ailleurs publié un roman,

Les voyageurs de la nuit [밤의 여행자들] en 2013.

5. 장강명, <한국이 싫어서>, 민음사, 2015. Pour la traduction française : Chang Kang-myoung,

Parce que je déteste la Corée, trad. Lim Yeong-hee et Mélanie Basnel, Picquier, 2017.

6. 조남주, <82년생 김지영>, 민음사, 2016. Ouvrage non disponible en langue française à ce jour. 7. Voir notamment l’article en ligne de Jung Yeo-ul « L’expérience de l’imagination : Hwang

Jung-eun, Kim Tae-yong, Pyun Hye-young, Yoon Go-eun et Han Yu-joo », revue Korean Literature Now (en langue anglaise) (http://koreanliteraturenow.com/features/experimenting-imagination-hwang-jung-eun-kim-tae-yong-pyun-hye-young-yun-ko-eun-and-han)

8. Dans sa conférence intitulée « Survie de la langue et de la littérature coréennes face à la

mondialisation des langues et de la littérature », le professeur et critique littéraire Jeong Myeong-kyo réfléchit aux freins du développement de la littérature coréenne. En plus de la question de l’isolat linguistique du coréen, il cite notamment les nombreuses lacunes du lectorat occidental sur la culture et l’histoire coréennes : « Ce paradis qui est le vôtre de Yi Chong-jun exige de connaître les spécificités historiques de la Corée, en plus de la bibliographie complète de l’auteur et des ouvrages traitant du même sujet écrits par ses pairs. La lecture nécessite en outre des connaissances relatives aux courants littéraires de l’époque et à l’évolution historique de la littérature coréenne pour être ‘satisfaisante’. » Voir Jeong Myeong-kyo, Un désir de littérature

coréenne, trad. Lee Hyon-hee, Kette Amoruso, Lucie Angheben et Ju Hyoun-jin sous la direction de

Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo, Decrescenzo, 2015, p.138.

9. 윤고은, <무중력 증후군> (Syndrome d’apesanteur), 한겨례, 2008 ; 윤고은, <밤의 여행자들> (Les

voyageurs de la nuit), 민음사, 2013.

10. 윤고은, <1인용 식탁> (Table pour une personne), 문지, 2010 ; 윤고은, <알로하> (Aloha), 창비,

2014 ; 윤고은, <늙은 차와 히치하이커> (La vieille voiture et l’auto-stoppeur), 한겨례, 2016 ; 윤고은, <해적판을 타고> (Version piratée), 문지, 2017. Deux nouvelles sont par ailleurs disponibles en langue française : « L’ongle du chef », dans le recueil Histoires Insolites de Corée, trad. Kim Jeong-yeon et Suzanne Salinas, Decrescenzo, 2016 ; « Aloha », sur la revue en ligne IDEO, n°7, Mondes

perdus, mondes rêvés, trad. Lucie Angheben, 2017 (https://journals.openedition.org/ideo/625).

11. Le jury du prix de la fiction Kim Yong-ik explique ainsi le succès de Yoon Go-eun : « La jeune

auteure Yoon Go-eun se déleste de la lourdeur de la réalité pour mieux se propulser dans l’imagination. Le monde qu’elle observe comme en le survolant à basse altitude se fait de plus en plus détaillé. Tout en nous montrant qu’aussi loin qu’on aille, il nous est impossible de nous séparer de la force de gravité de nos existences, elle parvient à conserver l’entrain et la légèreté qu’on aime retrouver dans ses textes. » (Nous traduisons) Voir <윤고은 소설가 김용익소설문학 상 수상>, 2015.09.30., 창비뉴스([« La romancière Yoon Go-eun remporte le prix de la fiction Kin Yong-ik », 30 septembre 2015, site de l’éditeur Changbi.] Version originale de l’article consultable en ligne : http://www.changbi.com/archives/62454/trackback

12. <실천 문학>, 2009년, 여름호.

13. Cette nouvelle a intégralement été traduite en français par mes soins dans le cadre du corpus

primaire de ma thèse en Théories et Pratiques de la Création Artistique et Littéraire, AMU, à soutenir en 2019.

(12)

14. Le terme « konglish » est formé par la fusion des termes Korean et English. D’après le grand

dictionnaire du coréen standard, il fait référence aux termes empruntés à la langue anglaise, mal prononcés par les locuteurs coréens ou grammaticalement incorrects, utilisés « à la coréenne ». Par extension, il fait référence aux utilisations des termes de langue anglaise passés dans la langue coréenne. Voir la définition coréenne en ligne : http://krdic.naver.com/detail.nhn? docid=38782900

15. Naver est le moteur de recherche coréen le plus utilisé dans le pays. Il offre toute une

panoplie de services à ses utilisateurs, comme des actualités, des prévisions météorologiques, des dictionnaires, des webtoons, etc.

Dans le dictionnaire en ligne Naver, on trouve la définition suivante : [Dictionnaire participatif] Repas pris seul ou fait de prendre son repas seul. S’utilise aussi sous forme verbale avec la terminaison –hada. (Nous traduisons) Version originale disponible en ligne : http:// krdic.naver.com/user.nhn?docid=fa2ef78757d405467a0ec3500a5bf7c0

16. Namuwiki est un wiki participatif en langue coréenne lancé en avril 2015. S’il n’est pas

toujours réputé fiable, il a la particularité de comporter de nombreuses informations sur la culture populaire actuelle. La page sur le hon-bap est apparue le 5 mai 2015 (en coréen) : https:// namu.wiki/w/혼밥

17. Il est intéressant de remarquer que ces termes sont construits à partir des termes de la

langue coréenne couramment utilisés par les jeunes locuteurs, mélangeant ouvertement les racines chinoise issues des hanja et les racines purement coréennes. Ainsi par exemple le terme

hon-haeng [혼행] qui en coréen standard est formé d’après les caractères chinois 婚(hon [혼], pour le mariage) et 行(haeng [행], pour le déplacement) et signifie le trajet effectué traditionnellement jusqu’à la maison de la future épouse avant la cérémonie du mariage ; et qui, pour les jeunes générations solitaires, devient hon-haeng, voyage en solitaire, la syllabe hon étant cette fois-ci issue du coréen (abréviation du terme honja), et non du caractère chinois homophone.

18. Les Coréens vouent une véritable passion pour les coffee shops, où ils font des pauses café,

travaillent et mangent sur le pouce des sandwichs ou autres aliments simples. On en trouve de toutes les tailles et de toutes les sortes, des petites boutiques privées aux multinationales comme Starbucks (qui comptait en février 2017 quelques 1008 boutiques en Corée, soit un ratio d’un coffee shop pour 50 000 personnes, plaçant la Corée en 4e position après le Canada – 1/35 000, les États-Unis – 1/44 000 et Singapour – 1/45 000. Voir Yonhap News, « S. Korea ranks world No. 4 for most Starbucks stores per capita : data », 30 mars 2017. Consultable en ligne : http:// english.yonhapnews.co.kr/news/2017/03/30/0200000000AEN20170330003200320.html)

19. Yoon Go-eun, « Table pour une personne », p.17. La nouvelle étant pour l’instant non

disponible en traduction publiée, nous donnerons en référence les pages de l’ouvrage original paru en 2010 chez Moonji.

20. Une simple recherche du terme 혼밥 sur Youtube offre une quantité de résultats.

21. Alors que le terme hon-bap était issu de mots coréens, solo-economy s’inspire lui de l’anglais. Il

se construit sur le modèle proposé par le sociologue américain Eric Klinenberg qui, dans son ouvrage de référence intitulé Going Solo: The Extraordinary Rise and Surprising Appeal of Living Alone (2012), étudie pour la première fois l’évolution du nombre de foyers à une seule personne aux États-Unis et son influence sur la société.

22. Il-conomy ou 1-conomy [1코노미], en référence à l’économie des foyers à une seule personne. 23. Lorsqu’il analyse les tendances 2013 de la Corée, le professeur Kim Nam-do, de l’université

nationale de Séoul, bien connu pour sa série d’ouvrages annuels sur les nouveautés à l’œuvre dans la société coréenne, cite déjà « le développement de la solo-economy » dans un chapitre intitulé « Alone with lounging 나홀로 라운징 » (p.271~288). Voir 김남도 외 <트렌드 코리아 2013>, 미래의창, 2012. [Kim Nam-do et al., Trend Korea 2013, Miraeui chang, 2012.]

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24. 이준영, <1코노미 : 1인 가구가 만드는 비즈니스 트렌드>, 21세기북스, 2017, 5쪽. [Lee

Jun-yeong, 1conomy : nouvelles tendances de business liées aux foyers à une seule personne, Book21, 2017, p. 5.] (Nous traduisons)

25. Ibid., p.19.

26. Jeong Seong-sik remarque dans son ouvrage de 2014 dédié à l’économie des personnes seules

l’évolution des restaurants : « Au regard des créations d’entreprises les plus récentes, on remarque que le

nombre d’affaires en lien avec les foyers à une seule personnes augmente en parallèle avec celui-ci. Dans la grande majorité des restaurants, les tables pour deux personnes – voire même pour une personne – prennent peu à peu le pas sur les tables pour quatre. On commence même à voir apparaître des restaurants entièrement spécialisés dans les tables pour une personne. » (Nous traduisons) 정성식, <즐거운 왕따, 나홀로 경제학>, 새빛북스, 2014, 180쪽. [Jeong Seong-sik, Exclus mais heureux, l’économie des

personnes seules, Saevit, 2014, p.180.]

27. Chou fermenté et pimenté que les Coréens consomment traditionnellement en guise de plat

d’accompagnement à tous les repas. On peut également utiliser d’autres légumes.

28. Kim Ae-ran, Ma vie dans la supérette, trad. Kim Hye-gyeong et Jean-Claude de Crescenzo,

Decrescenzo Éditeurs, 2013.

29. Un kimbap se présente sous la forme d’un rouleau de légumes et parfois de viande en julienne,

entourés de riz et d’algue séchée, à la manière des makis japonais. Il permet de prendre un repas complet froid et est pour cette raison souvent consommé en pique-nique ou en pause repas. Ils existent également sous forme triangulaire, on parle alors de samgak-kimbap.

30. Jeong Seong-sik dédie un article de son ouvrage aux samgak-kimbap, pour montrer l’évolution

de l’offre (en terme de variétés) lorsque la demande s’est faite plus grande, notamment grâce aux consommateurs solitaires. Il explique également que « les 24h d’ouverture sur 24 sont un avantage indéniable qui a contribué au succès des supérettes 24/24 », de même que la possibilité pour chaque consommateur de tout trouver « à proximité de chez lui ». Voir Jeong Seong-sik, op. cit., pp. 158 ; 161-163.

31. « La chaîne de supérettes CU a annoncé que les ventes de plateaux repas ont augmenté de 2.98 fois à la

fin août, en comparaison avec les chiffres de l’année précédente. Cela fait suite à une augmentation de 65.8% en 2015. La collaboration avec le chef Baek Jong-won, qui a sélectionné les menus, a notamment contribué à leur succès. L’un de ces plateaux repas s’est hissé en top des ventes cette année (et pour l’heure il y est encore), devançant pour la première fois depuis 27 ans le soju, alcool de riz, et le lait à la banane, les deux meilleures ventes de CU de tous les temps. » (Nous traduisons) Voir l’article « Market for

convenience store lunch boxes shows exceptional growth », Yonhap News, 19 septembre 2016. Consultable en ligne : http://english.yonhapnews.co.kr/ business/2016/09/19/0503000000AEN20160919004300320.html

32. <혼술남녀>, tvN, 2016.09.05~ 2016.10.25.

33. <조용한 식사>, 올리브, 매주 금요일 낮/밤 12시, 2016~.

34. Le bibimbap est un incontournable de la cuisine coréenne. Signifiant littéralement « riz

mélangé », il s’agit d’un bol de riz recouvert de légumes/viande/poisson/œuf selon les recettes, disposés tout autour par couleur, qu’on mélange ensuite avec de la sauce piquante avant de le consommer.

35. <8시에 만나>, 올리브, 매주 월, 화 밤 9시, 2016~.

36. Le confucianisme est la doctrine issue de la pensée de Confucius, qui vise à une nouvelle

organisation de la société dans son ensemble, se basant sur différentes valeurs comme la piété filiale, l’étude, et la recherche de l’harmonie et de la stabilité sociale. La Corée a fortement été influencée par le Confucianisme, qu’elle a adapté au cours du temps, ce qui différencie le Confucianisme coréen de son homologue chinois. Sur les influences du Confucianisme sur les sociétés asiatiques actuelles, voir notamment Flora Blanchon et Rang-ri Park-Barjot (Dir.), Le

(14)

37. « La hiérarchie coréenne repose sur le respect de l’ancienneté au sein des organisations. […] Dans un

pays où a longtemps pesé le carcan des préceptes moraux de l’éthique confucéenne fondée sur le respect des hiérarchies et de l’expérience des anciens, on peut observer que la hiérarchie reste omniprésente dans la société entière, aujourd’hui encore. », Rang-ri Park-Barjot et Tae-sik Rhee, « L’éthique confucéenne

et l’esprit du capitalisme : l’exemple des cadres et dirigeants d’entreprises en Corée du Sud », in

Le nouvel âge de Confucius, op. cit., p.231.

38. Yoon Go-eun, « Table pour une personne », p.13.

39. La langue coréenne est marquée par le confucianisme sous divers aspects, que ce soit dans ses

formules de politesse et d’adresse nombreuses et variées qui permettent de marquer la hiérarchie des interlocuteurs dans le discours, ou encore dans l’utilisation fréquente du pronom

uri (nous) pour toute une série de situations du quotidien où les Occidentaux utiliseraient la

première personne du singulier. Pour des exemples plus détaillés, voir par exemple la thèse de doctorat de Hong Jin-ok, « A Discourse Approach to Korean Politeness: Towards a Culture-specific Confucian Framework », Nottingham Trent University, 2009. Consultable en ligne (en anglais) : http://irep.ntu.ac.uk/id/eprint/155/1/196411_Hong.pdf

40. Jeong Seong-sik suggère de faire une distinction entre l’individualisme (connoté de manière

négative) et le respect de soi-même comme individu : « Le concept de famille, avec lequel nous devons

vivre au quotidien, est un train de changer pour les nouvelles générations. Il ne s’agit pas d’individualisme [

개인주의] mais de respect de soi-même comme individu [개인존중주의]. C’est un concept prônant la

reconnaissance de l’espace personnel et son non-dépassement, que l’on retrouve en détails dans la solo-economy. » (Nous traduisons) Jeong Seong-sik, op. cit., p.32.

41. L’importance du phénomène en Corée étant évidemment amplifiée par le confucianisme qui

imprègne la culture coréenne, dont la famille est un fondement majeur.

42. Les personnes vivant seules, qui forment les foyers à une seule personne mentionnés dans cet

article, sont nommées « singleton » par Eric Klinenberg. Il explique la définition de ce terme, construit à partir du mot « single », pouvant signifier à la fois « seul » et « célibataire » : « Dans ce

livre, j’utilise le terme ‘singleton’ pour parler des personnes vivant seules. Si certains célibataires vivent seuls, d’autres non (ils peuvent vivre avec un amant, des colocataires, ou des enfants). Ainsi, tous les célibataires ne sont pas inclus dans le terme ‘singleton’. » (Nous traduisons) Eric Klinenberg, Going Solo: The Extraordinary Rise and Surprising Appeal of Living Alone, The Penguin Press, 2012, p.196 (ebook).

43. Chiffres KOSTAT, « Recensement de la population et du logement 2016 » (2016 인구주택총조

사), publié le 31 août 2017. Disponible en ligne (en coréen) : http://www.kostat.go.kr/portal/ korea/kor_nw/2/1/index.board?

bmode=read&aSeq=362609&pageNo=&rowNum=10&amSeq=&sTarget=&sTxt

44. Les personnes âgées isolées (독거노인) représentent un véritable problème de société en

Corée. Voir notamment le long article « Les personnes âgées isolées relèvent aussi de la solo-economy » (<독거노인도 솔로이코노미다>), Jeong Seong-sik, op. cit., pp.207-214. Dans son ouvrage Going Solo, le sociologue Eric Klinenberg alertait déjà des dangers de ce phénomène en se basant sur la situation des États-Unis.

45. D’après les chiffres 2016, les foyers à une seule personne sont constitués comme suit : 1,2% de

moins de 20 ans, 17,2% de 20-29 ans, 17,6% de 30-39 ans, 15,6% de 40-49 ans, 16,9% de 50-59 ans, 13,8% de 60-69 ans, et 17,8% de plus de 70 ans. Ce sont les catégories plus de 70 ans et 20-39 ans qui sont les plus représentées. Autres chiffres intéressants, on peut noter que parmi les trois catégories les plus jeunes citées précédemment, on compte un pourcentage maximum de personnes vivant seules : 92,6% des moins de 20 ans (déclarés séparément de leur famille), 70,9% des 20~29 ans, et 29,4% des 30~39 ans. Voir les chiffres en détail dans les tableaux 33 et 39 du « Recensement de la population et du logement 2016 ». (2016인구주택초조사 중 <표33> 가구주 연령 및 가구원수별 가구 (2015.2016), <표39> 성 및 연령별 1인가구 (2015.2016))

(15)

46. D’après les prévisions de l’institut national des statistiques de Corée, les foyers à une seule

personne devraient atteindre les 29,6% de la population en 2020 et les 32,7% en 2030. (Lee Jun-yeong, op.cit., p.15)

47. D’après les chiffres 2016 de l’institut national des statistiques de Corée, le nombre de

mariages chute à 281 635 (-7%) alors que le nombre de divorces se maintient à 107 328 (-1,7%). Le taux de fécondité passe lui de 1,24 enfants par femme en 2015 à 1,17 en 2016. Voir les chiffres en détails dans « Indicateurs sociaux de Corée 2016 » (2016한국의 사회지표) publié le 23 mars 2017. 2016 한국의 사회지표 중 <혼인.이혼 건수 및 초혼연령> 5쪽, <합계 출산률 및 첫 자녀 출산 연령 > 6쪽. Disponible en ligne (en coréen) : http://kostat.go.kr/portal/korea/kor_nw/2/1/ index.board?

bmode=read&bSeq=&aSeq=359629&pageNo=1&rowNum=10&navCount=10&currPg=&sTarget=title&sTxt

48. Nous traduisons. Lee Jun-yeong, op. cit., p. 24.

49. Le terme coréen jeong [정] provient du caractère chinois 情 et peut signifier toutes sortes

d’émotions liées à l’affection. Il fait partie des intraduisibles culturels propres à la Corée. « Pour

traduire le terme ‘jeong’ en anglais, on voit entre autres apparaître les termes sympathy, compassion,

mercy, affection, benevolence, fellow-feeling. Mais tous ces sentiments de compassion, de pitié, de

charité, de bénédiction, d’amour, de philanthropie et d’amitié sont bien trop souvent fortement connotés de manière religieuse. Il n’existe aucun terme étranger qui corresponde au ‘jeong’ coréen. » (Nous

traduisons) 정경조, 정수현, <말맛으로 보는 한국인의 문화>, 삼인, 2013, 92쪽. (Jeong Kyeong-jo et Jeong Su-hyeon, La culture coréenne vue à travers sa langue, Samin, 2013, p.92.)

50. Nous traduisons. Lee Jun-yeong, op. cit., p.25.

51. C’est le chercheur Wei-ming Tu qui est à l’origine de cette idée, définie comme « un amalgame

d’une part des valeurs extrême-orientales orientées vers la famille ou le groupe, de l’autre des valeurs pragmatiques et orientées vers le bien-être individuel, à base économique, de l’Ouest ». C’est un modèle

qui s’applique parfaitement à la société coréenne actuelle. Voir Rang-ri Park-Barjot et Tae-sik Rhee, op.cit., pp.227-228.

52. Ce personnage féminin est d’autant plus intéressant qu’il représente un sexe originellement

défavorisé dans la hiérarchie confucéenne. « L’experte » se positionne dans la catégorie que Lee Jun-yeong nomme ‘WISE’ : « Terme apparu pour la première fois dans la version en ligne du Times en 2007, abréviation de l’expression ‘Woment who Insist on Single Experience’. Il fait référence aux femmes qui réservent une table au restaurant pour y manger seules, qui se rendent seules au cinéma, qui partent seules en voyagent et qui s’achètent leur propre maison. » (Nous traduisons, Lee Jun-yeong, op.cit., p. 24) Cela fait également écho aux personnages féminins représentés dans la série américaine Sex and the City, qui a permis à de nombreuses téléspectatrices coréennes de faire de « plaisantes expériences par procuration ». (Nous traduisons, Jeong Seong-sik, op. cit., p. 30) Pourtant, de nombreuses études ont montré qu’il est socialement plus difficile pour une femme de vivre seule, dont celle d’Eric Klinenberg qui rappelle que les trentenaires américaines vivant seules « sont celles à qui, dans presque toutes les conversations, on demande si elles sont dans une relation ou l’on propose de présenter un partenaire potentiel, tout le reste passant au second plan. » (Nous traduisons, Eric Klienenberg, op.cit., p. 51)

53. Yoon Go-eun, « Table pour une personne », p. 29.

54. Ce passage d’un sens à son contraire est remarquablement bien illustré dans le terme 즐거운

왕따 (que nous avons traduit par « exclu mais heureux » pour palier l’absence de référent culturel) utilisé par Jeong Seong-sik dans le titre de son ouvrage. Le terme 왕따 fait référence aux élèves maltraités par leurs camarades d’école pour de multiples raisons, souffre-douleurs de la classe, exclus du groupe. C’est un terme connoté de manière négative, porteur de la souffrance de ces enfants parfois physiquement maltraités par les autres, mais qui ici est accolé au terme ‘heureux’, créant une ambivalence intéressante qui nous semble correspondre exactement à cette tension qui peut être ressentie par les jeunes générations coréennes.

(16)

56. Ibid., pp. 42-43.

57. Cette question de la possibilité de former un groupe de personnes seules, d’être littéralement

seuls ensemble est encore plus significatrice dans nos sociétés actuelles où nombre de relations et

communications se font à travers un support numérique (internet avec les réseaux sociaux, téléphone portable, etc.) Eric Klinenberg donne un exemple parlant dans Going Solo : « Aujourd’hui, bien sûr, nous n’avons plus besoin de pièces séparées pour nous sentir dans un espace intime. Une famille entière peut être assise à la même table, partageant le même repas, mais avec chacun de ses membres préférant se scotcher à son téléphone ou son ordinateur plutôt que d’interagir avec ses voisins. » (Nous traduisons, Eric Klinenberg, op. cit., p. 40) Voir également Sherry Turkle, Seuls ensemble : de plus en plus de technologies, de moins en moins de relations humaines, trad. Claire Richard, L’échappée, 2015.

RÉSUMÉS

Libérés du devoir de témoignage historique, les jeunes auteurs coréens peuvent se concentrer sur le quotidien moderne de la nouvelle société coréenne dans laquelle ils vivent, tiraillés entre la tradition confucéenne d’une part et le développement d’un idéal ultra-capitaliste et individualiste d’autre part. Il est intéressant de voir comment leurs œuvres peuvent (pré)figurer certaines modifications des modes de vie en mettant en exergue, non sans humour, les difficultés du quotidien. Nous nous proposons d’étudier le phénomène contemporain du hon-bap (littéralement « repas seul ») comme manifestation d’une prise de distance avec les normes du confucianisme et son illustration dans la nouvelle « Table pour une personne » (<1인용식탁>, 2009) de Yoon Go-eun (1980-).

Young Korean writers, freed from the literary testimonies of the past, can focus on modern everyday life in today’s Korean society they are living in, torn between Confucian tradition on the one hand, and the rise of a capitalist and individualistic ideal on the other hand. It is interesting to have a look at the way their literary works can (pre)figure some modifications of lifestyles while highlighting with humour daily problems. We will study the example of nowadays phenomenon called hon-bap (literally translated as “lone meal”) as a sign of detachment from Confucian norms and its illustration in the short story « Table for one » <1인용 식탁> by Yoon Go-eun (1980-).

AUTEUR

LUCIE ANGHEBEN

Doctorante en Théorie et Pratiques de la Création Artistique et Littéraire à l’Université d’Aix-Marseille, sous la direction d’Alexis Nuselovici (Cielam) et Hye-gyeong Kim De Crescenzo (IrAsia). Sa thèse porte sur la traduction en français des nouvelles des jeunes auteurs coréens.

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