Comment les pays préparent-ils le
vieillissement ?
RECHERCHE ECONOMIQUE Rédacteur :
Patrick ARTUS
Avant que le vieillissement démographique ne commence, les pays doivent accumuler des actifs qui généreront des revenus lorsque le vieillissement sera présent, réduisant ainsi la perte de revenu par tête.
Il faut donc qu’il y ait épargne supplémentaire et accumulation d’actifs, et que de plus ces actifs puissent fournir des revenus qui s’ajoutent au PIB.
Comment juger de ce point de vue la situation des différents pays :
− l’épargne des japonais a été investie en quelques actifs extérieurs mais
surtout en dette publique qui n’est contrepartie d’aucun capital fournissant des revenus ; la situation du Japon va donc être difficile, même si le capital productif des entreprises a aussi augmenté ;
− les Etats-Unis ont une dette extérieure importante et une épargne
domestique très faible, de plus immobilisée pour une partie substantielle en actifs immobiliers, leur situation est encore plus difficile que celle du Japon ;
− la Chine accumule des actifs extérieurs, mais leur rendement est faible
(titres publics) ; une partie du capital domestique est sans doute
inefficace (infrastructures inutiles, immobilier spéculatif) ; cependant le capital productif et les infrastructures publiques qui génèrent des externalités positives ont considérablement augmenté ;
− la zone euro a très peu d’actifs extérieurs et n’a pas fait un effort
particulier d’épargne ; sa situation sera donc aussi difficile.
Préparation du vieillissement
Nous allons nous intéresser aux situations du Japon, des Etats-Unis, de la zone euro, de la Chine, tous pays où le vieillissement est déjà ou bien va être
important (graphiques 1 a – b), à un moindre degré aux Etats-Unis.
Graphique 1 a
Population supérieure à 60 ans en % de la population totale 10 15 20 25 30 35 40 45 00 05 10 15 20 25 30 35 40 45 50 10 15 20 25 30 35 40 45 Japo n Etats-Unis Zo ne euro Chine
Sources : Datast ream, NATIXIS
Graphique 1 b
Population supérieure à 60ans en % de la population de 20 à 60 ans 0 20 40 60 80 100 00 05 10 15 20 25 30 35 40 45 50 0 20 40 60 80 100 Japo n Etats-Unis Zo ne euro Chine
Sources : Datast ream, NATIXIS
En préparation du vieillissement (permanent), les pays doivent en pratique,
avant qu’il soit effectivement présent :
− épargner davantage pour accumuler ces actifs ;
− choisir ces actifs de manière à ce qu’ils versent un revenu, qui s’ajoutera
au PIB lorsque le vieillissement sera présent, ce qui réduira la baisse du
revenu par tête d’habitant.
Il ne s’agit pas en effet de vendre les actifs accumulés (ce qui ne compenserait
le vieillissement que transitoirement), mais d’utiliser le revenu qu’ils fournissent pour accroître le revenu disponible total.
Nous examinons comment, de ce point de vue, le Japon, les Etats-Unis, la zone
euro et la Chine ont préparé le vieillissement. Comment les autres
pays ont-il préparé le vieillissement ?
N° 1 – Japon : un cas difficile avec l’accumulation de dette publique
Le taux d’épargne du Japon est resté très élevé, d’où les excédents courants
(graphique 2).
Graphique 2
Japon : taux d'épargne de la Nation, taux d'investissem ent et balance courante
(% du PIB) 0 5 10 15 20 25 30 35 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 0 5 10 15 20 25 30 35
Taux d'épargne de la Natio n Taux d'investissement de la Natio n B alance co urante
Sources : Dat astream, NATIXIS
Le Japon détient ainsi des actifs extérieurs (graphiques 3 a – b) qui procurent
Graphique 3 a
Japon : actifs extérieurs nets (en % du PIB)
35 40 45 50 55 60 65 70 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 35 40 45 50 55 60 65 70
Sources : FoF, NATIXIS
>= 0 : avoirs
Graphique 3 b
Japon : achats nets d'obligations et d'actions étrangères par les Japonais (en % du PIB)
-8 -6 -4 -2 0 2 4 6 90 91 92 93 9495 96 97 98 99 00 01 0203 04 05 06 07 08 09 10 -8 -6 -4 -2 0 2 4 6
A ctio ns étrangères Obligatio ns étrangères
Sources : FOF, NATIXIS
L’épargne des Japonais se partage entre :
− l’épargne des entreprises, qui a fortement remonté entre la fin des années 1990 et la crise, et qui a autofinancé l’accumulation de capital productif
(graphique 4) ;
− l’épargne des ménages, qui va essentiellement financer l’Etat au travers
des intermédiaires financiers (graphiques 5 a – b). Graphique 4
Japon : taux d'autofinancem ent et de profits
20 40 60 80 100 120 90 9192 9394 9596 9798 9900 01 0203 0405 0607 0809 10 -3 0 3 6 9 12
Taux d'auto financement (G)
Taux de pro fit net (en % du P IB , D)
Sources : Dat astream, NATIXIS
Graphique 5 a
Japon : actifs financiers des m énages (en % du PIB) 40 60 80 100 120 140 160 180 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 40 60 80 100 120 140 160 180
Liquidités et actifs mo nétaires A ssurance et fo nds de pensio n
Sources : Dat ast ream, FoF, NATIXIS
Graphique 5 b
Japon : encours d'obligations détenues par (en % du PIB) 0 25 50 75 100 125 150 175 200 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 0 25 50 75 100 125 150 175 200
Investisseurs institutio nnels B anques
C’est ici que se situe l’énorme problème du Japon : la dette publique énorme qui a été accumulée en contrepartie de l’épargne des japonais (graphique 6) ne paiera pas de revenus : elle n’a pas été investie en capital productif ou efficace, mais elle a financé le déficit budgétaire courant et des infrastructures publiques inutiles.
Graphique 6
Japon : déficit, dette et investissem ent publics (en % du PIB) 40 60 80 100 120 140 160 180 200 220 240 90 91 93 94 96 97 99 00 02 03 05 06 08 09 11 -15 -10 -5 0 5 10
Dette publique (G) Deficit public (D) Investissement public (D)
Sources : OCDE, prévisions NATIXIS
Cette dette publique du Japon ne peut donc pas jouer le rôle de réserves en vue du vieillissement, elle n’accroît pas le revenu national, puisque les intérêts payés sont financés à chaque période par des levées d’impôts.
N° 2 – Etats-Unis : cas très difficile avec l’insuffisance de l’épargne
Les Etats-Unis ont, on le sait un déficit d’épargne et une dette extérieure (graphiques 7 a – b).
Graphique 7 a
Etats-Unis : taux d'épargne et d'investissem ent de la Nation (en % du PIB)
12 14 16 18 20 22 24 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 12 14 16 18 20 22 24
Taux d'épargne Taux d'investissement
Sources : Datast ream, NATIXIS
Graphique 7 b
Etats-Unis : dette extérieure (en % du PIB)
0 20 40 60 80 100 120 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 0 20 40 60 80 100 120 B rute Nette
Sources : Datast ream, NATIXIS
La situation d’endettement extérieur est allégée cependant par le fait que le rendement des actifs étrangers détenus par les américains (actifs d’entreprise) est supérieur à celui de la dette extérieure brute des Etats-Unis (titres publics, agences…, graphique 8).
Le taux d’investissement productif (hors IT) a beaucoup baissé aux Etats-Unis
(graphique 9 a), et une partie importante de l’épargne a été investie en actifs
Graphique 8
Etats-Unis: intérêt et dividendes du revenu du capital avec le Reste du Monde (en % du PIB)
1 2 3 4 5 6 7 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 1 2 3 4 5 6 7
Reçus du Reste du M o nde
P ayés au Reste du M o nde
Sources : Datast ream, BEA, NATIXIS
Graphique 9 a
Etats-Unis : investissem ent productif (volum e, en % du PIB) 2 3 4 5 6 7 8 9 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 2 3 4 5 6 7 8 9
Investissement pro ductif Investissement pro ductif ho rs IT
Sources : Datast ream, NATIXIS
Graphique 9 b
Etats-Unis : richesse im m obilière (en % du PIB)
100 110 120 130 140 150 160 170 180 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 100 110 120 130 140 150 160 170 180
Sources : Dat astream, NATIXIS
Graphique 9 c
Etats-Unis : prix de l'im m obilier
50 75 100 125 150 175 200 225 250 275 300 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 -30 -20 -10 0 10 20 30 100 en 1990 GA en %
Sources : Datast ream, NATIXIS
La préparation du vieillissement par les Etats-Unis semble donc très mauvaise avec la faiblesse de l’épargne dont en plus une partie importante a
été immobilisée en actifs immobiliers (qui ne fournissent des revenus que fictifs
et pas réels).
N° 3 - Chine : une position assez favorable face au vieillissement
La Chine a un taux d’épargne à la fois des ménages et des entreprises, très
élevés (graphiques 10 a – b) et accumule des avoirs extérieurs essentiellement
au travers des réserves de change de la Banque Centrale, puisqu’il y a des entrées de capitaux privés et peu de sorties avec le contrôle des capitaux (graphique 11). Par ailleurs, le taux d’investissement de la Chine est très élevé (graphique
Graphique 10 a
Chine : taux d'épargne, taux d'investissem ent de la Nation et balance courante
(valeur, en % du PIB) 2 4 6 8 10 02 03 04 05 06 07 08 09 10 35 40 45 50 55 60 B alance co urante (G) Taux d'épargne de la Natio n (D) Taux d'investissement de la Natio n (D)
Sources : Datast ream , EIU , prévisions NA
Graphique 10 b
Chine : épargne par agent économ ique (en Mds de RMB) 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 02 03 04 05 06 07 08 09 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 M énages Entreprises
Sources : Dat astream, NATIXIS
Graphique 11
Chine : réserves de change et flux de capitaux (en Mds de dollars par an)
0 250 500 750 1000 1250 1500 1750 2000 2250 2500 02 03 04 05 06 07 08 09 10 -1000 -750 -500 -250 0 250 500 750 1000 Réserves de change (G) Flux de capitaux (D)
Sources : Dat astream, NATIXIS
(*) = 12*(variat ion sur 1 mois des réserves de change - balance commerciale du mois)
Graphique 12 a
Chine : taux d'investissem ent total (valeur, en % du PIB) 36 38 40 42 44 46 48 50 52 02 03 04 05 06 07 08 09 36 38 40 42 44 46 48 50 52
Sources : Datast ream, NATIXIS
Graphique 12 b Chine : population (% par an)
2,8 2,9 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4 3,5 3,6 02 03 04 05 06 07 08 09 0,50 0,52 0,54 0,56 0,58 0,60 0,62 0,64 0,66 Emplo i urbain (G) P o pulatio n to tale (D)
Sources : Dat astream, NATIXIS
Graphique 12 c
Chine : productivité par tête (GA en %)
5,5 6,0 6,5 7,0 7,5 8,0 8,5 02 03 04 05 06 07 08 09 5,5 6,0 6,5 7,0 7,5 8,0 8,5
Sources : Dat astream, NATIXIS
La Chine prépare donc efficacement, en apparence, le vieillissement démographique, mais il y a cependant plusieurs difficultés :
− les réserves de change (graphique 11 plus haut) sont investies en actifs à
très faible rendement (dépôts, titres publics) : elles génèrent donc un
− à l’intérieur de l’investissement, une partie est utile et productive
(investissement en biens d’équipement, investissement en infrastructures
publiques générant des externalités positives. Encadré 1) mais une partie
est spéculative et inutile (ne générera pas de revenus au moment du vieillissement : spéculation immobilière…, graphique 13).
Graphique 13
Chine : investissem ent (en valeur, GA en %)
-50 0 50 100 150 200 04 05 06 07 08 09 10 -50 0 50 100 150 200 Investissement en co nstructio n
Investissement en machines et biens d'équipement
Sources : CEIC, NATIXIS
Encadré 1
Programmes d’infrastructures publiques dans le plan de rélance budgétaire de la Chine
L’essentiel du programme de relance budgétaire chinois annoncé le 8 novembre 08 est consacré à des grands travaux d’infrastructure et à des politiques sociales. Il prévoit :
• de nouvelles constructions d’autoroutes, des lignes de chemin de fer et d’aéroports, • la modernisation du réseau électrique,
• des investissements en éducation,
• l’injection de RMB100mds supplémentaires au secteur de la construction, • des subventions aux populations rurales,
• des aides au logement,
• des investissements pour la protection de l’environnement (traitement des déchets, potabilisation de l’eau…),
• l’accélération de la reconstruction des zones dévastées par le tremblement de terre de 2008 (Wunchuan) et par tempêtes de neiges de l’hiver 2008, et
• la réforme du régime de la TVA qui devrait permettre aux entreprises d’économiser plus de RMB120 mds par an en exonérations d’impôts sur leurs investissements en équipement.
Le programme de relance engage la somme de RMB 4trillions, soit USD 580 mds en trois ans, ce qui représente chaque année à peu près 8 % du PIB. Cependant, l’annonce inclut des dépenses déjà enclenchées comme par exemple celles de reconstruction des zones dévastées par des désastres naturels et les dépenses en infrastructure de transport (le Conseil d’Etat avait récemment approuvé un plan de RMB 2 trillions pour construire des chemins de fer d’ici à 2020). Les nouvelles sommes engagées par le gouvernement chinois ne représentent en réalité qu’un tiers du montant du programme annoncé. L’impulsion budgétaire est de l’ordre chaque année de 2,5% du PIB, d’ici à 2011 (sous l’hypothèse que les dépenses se font de façon échelonnées à part égale).
Par rapport aux modalités de financement du plan de relance, un peu plus d’un quart du financement sera assuré par le gouvernement central (RMB1,1 trillion). Le reste viendra des gouvernements régionaux ainsi que des émissions des entreprises publiques et des collectivités locales. Le plan de relance devrait contribuer à éloigner le risque d’une décélération forte en 2009 en rajoutant environ 2 points de PIB à la croissance. Le plan semble tout à fait raisonnable et viable compte tenu des marges de manœuvre dont disposent les finances publiques chinoises (la dette publique rapportée au PIB se situe en 2008 dans des niveaux inférieurs à 20 % du PIB).
Encadré 1 (suite)
Chine : détails du plan de relance budgétaire 2009-2010
Milliards de RMB % du Total 1 500 37,5 1 000 25 400 10 370 9,25 370 9,25 210 5,25 Infrastructure publique
Reconstruction après tremblement de terre Système de sécurité sociale
Développement rural
Investissement en technologique et restructuration de l’industrie
Développement soutenable
Education et projets culturels 150 3,75
TOTAL 4 000 100
Source : National Development and Reform Commission
N° 4 – Zone euro : une situation assez défavorable, sans doute moins que celle des Etats-Unis
Le taux d’épargne de la zone euro est voisin de son taux d’investissement, et le taux d’investissement n’est pas très élevé (graphique 14 a) ; cependant la zone euro a des avoirs extérieurs nets (assez faibles : 17 % du PIB, graphique 14 b). Les gains de productivité sont très faibles (graphique 15 a), et la dette publique (essentiellement non productive) est élevée (graphique 15 b).
Graphique 14 a
Zone euro : taux d'épargne et taux d'investissem ent de la Nation (en % du PIB)
21 22 23 24 25 26 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 21 22 23 24 25 26 Taux d'épargne Taux d'investissement
Sources : Dat astream, NATIXIS
Graphique 14 b
Zone euro : balance courante et avoirs nets extérieurs (en % du PIB)
-20 -18 -16 -14 -12 -10 -8 -6 -4 -2 0 2 4 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 -20 -18 -16 -14 -12 -10 -8 -6 -4 -2 0 2 4
A vo irs extérieurs nets (<0 = avo irs) B alance co urante
Graphique 15 a
Zone euro : investissem ents productifs et productivité par tête
-4 -2 0 2 4 6 8 10 12 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 -4 -2 0 2 4 6 8 10 12
Investissement pro ductif (vo lume, en % du P IB ) P ro ductivité par tête (GA en %)
Sources : Dat astream, NATIXIS
Graphique 15 b
Zone euro : dette publique (en % du PIB)
50 55 60 65 70 75 80 85 90 90 9192 93 94 9596 97 9899 00 01 0203 04 0506 07 08 0910 11 50 55 60 65 70 75 80 85 90
Sources : Dat astream, NATIXIS
Synthèse : quels pays ont préparé, de facto, le vieillissement ?
La préparation du vieillissement démographique impose d’accumuler des
actifs, mais pas n’importe quels actifs : il faut qu’ils fournissent au moment où le
vieillissement survient, un supplément de revenu qui réduit la baisse du revenu
par tête. Ce n’est pas le cas de la dette publique sauf si elle a financé du capital productif ou des infrastructures publiques fournissant des externalités positives.
Aux Etats-Unis, l’épargne a baissé, il y a dette extérieure (même si le rendement
sur les actifs extérieurs bruts est supérieur au coût de la dette brute), il y a eu déperdition de l’épargne en investissement immobilier.
Au Japon, malgré les actifs extérieurs, la situation est difficile avec la concentration
depuis 20 ans de l’épargne domestique sur la dette publique.
Dans la zone euro, le taux d’épargne n’a pas augmenté, et le capital productif
domestique accumulé génère des gains de productivité faibles et la dette publique devient très importante.
La Chine serait donc le seul pays à avoir préparé convenablement le
vieillissement : actifs extérieurs importants (même de rendement faible), forte
hausse de l’épargne et de l’investissement (productif en infrastructures efficaces) même si une partie est perdue en investissement spéculatif en construction.