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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Intégration et contre-modèle de formation : le cas des nouvelles formations d'ingénieurs

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Academic year: 2021

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I

NTEGRATION ET CONTRE

-

MODELE DE FORMATION

 :

L

E CAS DES NOUVELLES FORMATIONS D

INGENIEURS

Nelly Bousquet & Colette Grandgérard

Nous vous proposons de réfléchir sur d’autres facettes de la notion d’intégration à partir des résultats de recherches que nous avons réalisées sur la professionnalisation des enseignements supérieurs. Plus précisément, nous allons nous appuyer sur l’analyse d’une réforme dont certains d’entre vous ont peut-être entendu parler : la création, en 1989, des Nouvelles Filières de formation d’Ingénieurs — les NFI — dites aussi « filières Decomps ».

Comme nous allons le voir, cette réforme est tout entière marquée du sceau de l’intégration :

- intégration des niveaux et des contenus d’enseignement,

- mais aussi intégration des instances, des lieux de formation puisque ces nouvelles filières fonctionnent obligatoirement selon le principe de l’enracinement de la formation dans la réalité professionnelle : formation en alternance pour les filières de formation continue destinées à la promotion de techniciens en activité, formation par la voie de l’apprentissage pour la majeure partie des filières de formation initiale.

Plus largement, nous avons pu montrer que la notion d’intégration est un des outils qui permettent de saisir la réforme des NFI dans sa globalité, c’est-à-dire comme un processus d'innovation dans le champ de la formation fortement articulé aux mutations des systèmes de travail.

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Je me propose de développer particulièrement ce qui signe les nouvelles filières d’ingénieurs, l’intégration formation-production, d’en interroger les fondements et d’en montrer les enjeux, non seulement sur le système de la formation des ingénieurs, mais plus largement sur les nouvelles modalités de professionnalisation des enseignements supérieurs.

1. ÉLEMENTS DE CONTEXTE

1.1. Les objectifs quantitatifs et qualitatifs des NFI

Former des ingénieurs nouveaux — les ingénieurs d’application — les former différemment et les former en plus grand nombre, c’est en ces termes qu’est posé, en 1989, avec la réforme des NFI, le thème de la professionnalité de l’ingénieur et de la nécessaire évolution du système de formation.

On peut brièvement résumer les analyses des experts de la commission Decomps, consacrée à l’évolution des formations et des fonctions d’ingénieurs, de la manière qui suit :

- La France souffre d’une pénurie en ingénieurs diplômés. Cette pénurie a forcément des effets négatifs sur la productivité et la compétitivité des entreprises, en particulier les plus petites d’entre elles qui n’attirent pas les ingénieurs et ne peuvent, de toute façon, s’aligner en matière de salaire sur ce que proposent les groupes ou entreprises attractifs. Les PME/PMI compensent ce manque en promouvant des techniciens supérieurs, sans formation spécifique. - La pénurie, manifeste si on compare la production annuelle

d’ingénieurs diplômés en France — 14 000 par an — à celle des autres pays, notamment européens, risque de s’aggraver encore dans les années à venir si des mesures volontaristes et totalement novatrices ne sont pas prises à temps.

À ce premier constat, d’ordre quantitatif, s’en ajoute un second, d’ordre qualitatif. Il concerne le profil de l’ingénieur produit par le système majoritaire de formation : les écoles d’ingénieurs.

- Le système des écoles d’ingénieurs produit des individus dotés d’une culture scientifique étendue, gage d'une grande aptitude à la conceptualisation et à une bonne adaptabilité, mais qui, en revanche, ne possèdent pas une aussi solide culture technique que leurs homologues étrangers.

- Si les écoles forment de bons concepteurs aptes aux activités de recherche et développement, la prééminence scientifique des diplômes n'a pas que des avantages : beaucoup d'ingénieurs diplômés

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n'exercent que peu de temps — et parfois pas du tout — de véritables fonctions d'ingénieur.

- Cette fuite aggrave la pénurie d'ingénieurs, notamment en aval de la recherche et développement où un nombre trop important de positions d'ingénieur est occupé par des autodidactes. Ceux-ci ne possèdent pas toutes les bases nécessaires pour maîtriser l'évolution des technologies, dominer l'intégration rapide des fonctions et faire face aux dimensions communication et négociation de leur activité.

Les NFI sont conçues pour répondre à ce double besoin. Elles visent deux objectifs :

- doubler d’ici l’an 2005 environ le nombre d’ingénieurs diplômés, passer de 14 à 28/30000 ingénieurs par an et ce en consacrant essentiellement les NFI à la formation continue ;

- produire des ingénieurs nouveaux, des ingénieurs de terrain, capables de diriger efficacement des ateliers de production, capables de concevoir et mettre en œuvre des ensembles industriels modernes, capables de maîtriser l’intégration des fonctions, de prendre en charge des situations de travail dans toute leur complexité. Ces ingénieurs nouveaux devront posséder, grâce à la formation, une culture générale intégrant les dimensions économique, sociologique, philosophique et historique de la réalité industrielle.

1-2. L’ingénieur d’application : un profil inédit de spécialiste « à spectre large »

La question de la professionnalité de l’ingénieur est ainsi au cœur même des Nouvelles Filières de Formation. L’ingénieur nouveau est dénommé « ingénieur d’application ». Il est qualifié de « spécialiste selon une acception large », entendue comme « la maîtrise d’un champ technologique et une ouverture à d’autres champs disciplinaires ». Cet ingénieur sera notamment aussi un spécialiste de la communication, mieux informé que les ingénieurs classiques des réalités de l’entreprise et présentera un penchant pour les activités de production et la conduite des hommes.

1.21. Réflexions d'un groupe d'ingénieurs sur leur métier, son évolution et les profils de leur fonction

Au cours de notre travail de recherche, nous avons soumis les orientations du rapport Decomps à la réflexion d'ingénieurs appartenant à des secteurs d'activité divers, dans le cadre d'un groupe de travail. Ce groupe s’est réuni pendant un an, autour des interrogations suivantes : en quoi

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l'activité a-t-elle changé ? Les compétences traditionnelles de l'ingénieur sont-elles toujours d'actualité ? En quoi les évolutions engagées ont déjà et vont, dans les années à venir, modifier les fonctions d'ingénieur, leurs connaissances, compétences et comportements ? Quelles sont les frontières entre les tâches de l'ingénieur et celles du technicien supérieur ? Les mutations des systèmes de travail requièrent-elles des évolutions profondes dans le champ des formations ?

Les principales conclusions de ce groupe de travail se résument dans les points qui suivent :

- Le travail évolue dans le sens d’une intégration des fonctions et des niveaux hiérarchiques

- Les compétences de l’ingénieur évoluent vers une exigence croissante d’intégration des compétences techniques et non techniques

- Le statut ambigu de l’ingénieur d’application

Intégration des fonctions et des niveaux hiérarchiques

Je dirai brièvement qu’une majorité pense que le taylorisme n'est pas mort mais en recul relatif sous l'effet de l'exigence croissante de la qualité des produits et services, de l'informatisation et du développement de la robotique, dans un contexte de compétition internationale accrue.

Ces différents facteurs et leurs évolutions conduisent à développer de nouvelles organisations et des processus du travail qui valorisent la gestion des flux et la qualité. Ceci implique une adaptation du travail concret des ingénieurs ainsi qu'un accroissement de leurs effectifs. L'adaptabilité, la capacité à faire évoluer des situations et/ou à prendre en charge des situations nouvelles, revêt alors une importance déterminante. L'ingénieur ne peut ignorer ni l'introduction rapide de nouvelles connaissances et de nouvelles techniques ni les changements importants survenus dans les relations de travail.

Dans nombre d'entreprises, les tendances sont à l'intégration, à la fois latérale entre fonctions de conception, de production, de gestion, et verticale entre niveaux hiérarchiques (opérateurs, techniciens et agents de maîtrise, ingénieurs et cadres). L’intégration des fonctions modifie non pas l'importance, mais les données de la communication. On passe de relations hiérarchiques descendantes, avec des interlocuteurs relativement standardisés, à une pluralité, une diversité d'interlocuteurs, dans des organisations du travail structurées selon le principe de la qualité et de la gestion des flux.

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Exigence croissante d’intégration du technique et du non technique • Intégration compétence technique et compétence financière

L'évolution des processus de production et de décision demande, pour être menée à bien, un élargissement des compétences de l'ingénieur. En effet, la dimension financière devient de plus en plus partie intégrante de l'activité de l'ingénieur. Le soin de juger de la rentabilité ou non d'un investissement n'est plus systématiquement confié au contrôleur financier ou au responsable de la comptabilité ; un ingénieur doit pouvoir démontrer, en s’appuyant sur un exercice comptable, qu'une automatisation est rentable ou non.

• Intégration compétence financière et compétence relationnelle

Cette compétence financière se double d'une compétence relationnelle, c'est-à-dire l'aptitude à la communication et à la compréhension des autres.

Cette capacité a toujours été essentielle, mais elle a longtemps été considérée comme "allant de soi", comme relevant de l'exercice de l'autorité. On se rend compte aujourd'hui de l’importance de la communication interne et externe pour l'acte productif. L'ingénieur, qui est un peu le dépositaire de la technique industrielle, a toujours eu et aura toujours une fonction de communication très importante dans la collectivité. Mais il faut reconnaître que, par le passé, des générations d'ingénieurs ont fui devant les rapports humains (aussi bien dans la formation que dans la pratique du métier) pour se réfugier dans la technique. Il est et il sera de plus en plus difficile de nier que la communication entre les hommes est une nécessité aussi impérieuse que la technique elle-même.

Reste cependant la question fondamentale de la spécificité d’un ingénieur d’application par rapport à un technicien supérieur.

• La question de la spécificité du technicien par rapport à l'ingénieur

Celle-ci est complexe dans le contexte français. En effet, à la différence des pays voisins, il n'y a de continuum entre catégories ni dans les formations initiales ni dans les références sociales, y compris les conventions collectives.

Au niveau du discours, une ligne de partage relativement claire sépare les techniciens supérieurs des ingénieurs, les uns étant dits spécialistes et les autres généralistes. Dans la réalité industrielle, comme les autres cadres, l'ingénieur est dans un bain de concret.

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Toutefois, deux dimensions essentielles semblent discriminer entre compétences de l'ingénieur et compétences du technicien supérieur :

- La capacité à certains moments, de démêler, parmi les faits quotidiens, les événements anecdotiques, secondaires de ceux qui ont un caractère général. L’ingénieur est confronté à l'élaboration de faits représentatifs, à une reformulation de l'expérience. Ce travail d'abstraction, en partant de phénomènes concrets, est une des caractéristiques importantes de l'activité de l'ingénieur et signe la distinction entre les fonctions qu'il exerce et celles du technicien. - Le degré de responsabilité imparti à l'ingénieur. Parce qu'il domine la

technique, l'ingénieur est responsable de la réussite ou de l'échec du secteur qu'il a en charge. C'est la définition même de la fonction de cadre : être investi, par l'employeur, d'une certaine délégation de responsabilité afin de mettre en œuvre une fraction plus ou moins étendue de la politique de l'entreprise.

On voit ainsi que les appréciations formulées par un groupe d’ingénieurs tout venant tendent à conforter les analyses qui fondèrent les préconisations du rapport Decomps. La réalité industrielle semble constituer un contexte porteur pour des formations ayant pour objet de préparer une nouvelle figure de l’ingénieur.

Nous allons voir maintenant que la notion d’intégration, centrale pour comprendre les mutations du travail et les nouvelles compétences attendues dans les situations contemporaines de production, est une dimension emblématique des Nouvelles Formations d’Ingénieur.

2. LES NOUVELLES FORMATIONS D’INGENIEUR : UN CONTRE-MODELE DE FORMATION

En cohérence avec les objectifs quantitatifs et qualitatifs poursuivis, les NFI ont été conçues de manière à rompre avec le modèle des écoles d’ingénieurs, modèle majoritaire non seulement pour les formations premières, mais aussi pour la plupart des voies promotionnelles conduisant au titre d’ingénieur diplômé. En suivant le fil de l’intégration, nous allons voir que cette volonté de rupture est manifeste à toutes les étapes : de la conception/création d’une filière à l’organisation de la formation, sa mise en œuvre et son évaluation.

2.1. L’intégration au cœur d’un système recomposé de formation

J’insisterai d’abord sur les éléments les plus directement significatifs de cette recomposition :

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- les NFI sont conçues pour réaliser l’intégration de niveaux d'enseignement traditionnellement séparés ;

- les NFI sont conçues pour réaliser l’intégration des instances et des lieux de formation

NFI et intégration de niveaux d'enseignement traditionnellement séparés

L’emboîtement des niveaux technicien/ingénieur est d’abord rendu possible par les procédures d’accès aux nouvelles filières. Il est ensuite favorisé par l’organisation même de la formation, et la prééminence de la pédagogie inductive.

• Les procédures d’accès aux NFI

La sélection repose sur des critères différents de ceux des classes préparatoires aux grandes écoles dont on sait qu’elles privilégient l’abstraction, le raisonnement déductif et la précocité. De manière générale, le recrutement dans les filières est fondé sur des connaissances académiques de niveau BAC + 2, sur des aptitudes, sur la motivation, des épreuves comportementales.

Pour les stagiaires de formation continue, l’accès aux NFI a été facilité par la procédure dite de validation des acquis professionnels. L’expérience professionnelle est intégrée dans le cursus universitaire. Ainsi tous les entrants en NFI, titulaires d’un BAC + 2 et d’une expérience professionnelle de 5 ans sont-ils reconnus comme satisfaisant aux normes imposées par la Commission du titre d’ingénieur, c’est-à-dire que leur formation première, articulée à leurs années d’activité et à la formation NFI (qui, elle, peut être modulée sur une ou plusieurs années) équivaudra en durée au cursus de 5 années, obligatoire en France pour obtenir le titre d’ingénieur diplômé.

Quant à l’organisation de la formation, on peut avancer qu’a priori elle a été tout entière conçue pour favoriser l’intégration des niveaux techniciens/ingénieurs.

La formation en effet repose essentiellement sur des méthodes inductives et enracine la connaissance dans la réalité industrielle. Il s’agit d’arriver à l’abstraction, en partant de phénomènes concrets, de situations de travail allant progressivement de missions de techniciens à des missions d’ingénieurs. L'enracinement professionnel de la formation et du diplôme est un élément central de la formation.

La conjugaison de deux modes complémentaires d'acquisition des savoirs, dépassant la juxtaposition de périodes de formation dans l'institution d'enseignement et dans l'entreprise, est le moyen retenu pour

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promouvoir une formation radicalement novatrice. Qu’il s’agisse des filières de formation initiale ou des NFI formation continue, la formation en entreprise est d'une durée quasi équivalente à la formation dans un établissement. L'évaluation et la sanction prennent en compte la formation en entreprise à part entière.

• NFI et intégration des instances et des lieux de formation

Cette intégration dépasse largement ce qu’on appelle couramment l’alternance. Grâce à l’obligation de partenariat entre acteurs économiques et acteurs de la formation, les nouvelles filières réalisent une intégration entre instances et lieux de formation qui s’applique à tout le processus de production de nouveaux d’ingénieurs.

Le terme de « partenariat », souvent galvaudé et quelque peu vide de sens, prend en effet, dans les NFI, une acception tout à fait spécifique. Il est obligatoirement formalisé sur le plan juridique dans des structures diverses, associations Loi 1901, groupements d’intérêt économique ou scientifique. Ce sont ces entités juridiques, matérialisant l’engagement contractualisé de partenaires économiques et de partenaires de la formation, qui créent les nouvelles filières, en définissent les objectifs et les organisations, les règles de fonctionnement, devant l’autorité suprême qui régit les formations d’ingénieurs : la Commission du titre.

Ainsi, statutairement, les professionnels sont-ils impérativement associés à chaque phase du dispositif : définition des besoins, des profils et création des formations, gestion des établissements, financement, enseignement, évaluation…

2.2. Le véritable enjeu de l’intégration formation-production : un contre-modèle de formation

L’intégration formation-production, du fait de l’obligation de partenariat pour toutes les étapes du processus de formation, ne peut pas être analysée comme un simple processus pédagogique, une alternance « réussie », une alternance intégrative selon un terme fréquemment employé. L’intégration formation-production est au cœur d’un système recomposé de rapports entre instances de formation et instances économiques ; elle est au cœur d’un contre-modèle de formation.

Pourquoi un contre-modèle ? Et d’abord, qu’est-ce qu’un contre-modèle ?

Un contre-modèle est une organisation qui, par rapport à un modèle dominant, construit de nouvelles cohérences entre objectifs, principes et

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Si on peut parler, avec les NFI, de contre-modèle par rapport au modèle classique de formation des ingénieurs, c’est que le partenariat, dans l'acception très spécifique qui vient d’être précisée, permet de donner toute son extension à la notion d’intégration formation-production, qui s’applique, on l’a vu, à l’ensemble du processus de formation, de la conception à l’évaluation. Le partenariat construit de fait une nouvelle répartition des pouvoirs entre système éducatif et système productif.

En effet :

Alors que dans le modèle traditionnel de formation d’ingénieurs, les écoles améliorent leur efficacité tout en gardant néanmoins le quasi monopole de ce que l’on peut considérer comme les grandes macrofonctions éducatives : la prescription quantitative et qualitative de formation ; la production de formation ; l’évaluation et la sanction. C’est un modèle qui est piloté par la demande.

Avec les NFI, ces grandes macrofonctions éducatives sont coassurées par l’instance éducative et par l’instance productive. Nous dénommons cette nouvelle répartition des pouvoirs « pilotage par la commande ».

C’est la forme partenariale qui, institutionnellement, permet d’organiser une nouvelle répartition des pouvoirs dans la réalisation de ces macrofonctions.

Le partenariat autorise en effet :

- une gestion des flux en relation stricte avec la demande de l'aval, les NFI n’étant ouvertes que si elles correspondent à des besoins ; « si le besoin disparaît, on ferme » ;

- la prise en compte des besoins du client dès la conception du « produit » et tout au long du processus de production avec l'implication forte des entreprises dans le choix des candidats, dans la définition des contenus d'enseignement et l'organisation des formations ;

- une intervention active des professionnels dans les formations elles-mêmes de façon à garantir la conformité et la fiabilité du produit à la qualité attendue.

Le partenariat, articulé au principe d'alternance, est ainsi la clé de voûte d'un modèle où l'ajustement Éducation/Économie est conçu non plus en termes de relation formation-emploi mais en termes d'emploi-formation. C'est donc un mécanisme d'ajustement quantitatif et qualitatif au plus près des besoins, qui intervient de manière totalement inédite à un tel niveau de formation.

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3. LE PARTENARIAT EN SITUATION :

QUELS EFFETS SUR LA PROFESSIONNALITE DE L’INGENIEUR ?

Observé tant dans la voie de la formation initiale que dans la voie de la formation continue, le contre-modèle apparaît traversé de tensions, de contradictions, de conflits : il fait même l'objet d'enjeux, il est lui-même porteur d'une pluralité d'avenirs.

Pour produire une nouvelle professionnalité de l'ingénieur, à travers des règles du jeu qui renouvellent l'approche de la formation par rapport aux écoles classiques, le pilotage par la commande donne lieu à des schémas de flexibilité marqués certes par des éléments de convergence — notamment la référence partagée à la composante gestionnaire de l'activité d'ingénieur — mais tout aussi fondamentalement par des éléments de divergence : ils produisent de l'hétérogène sur des dimensions essentielles, notamment la professionnalité de l'ingénieur, la recomposition des rapports entre instance productive et instance éducative, la crédibilité sociale de la formation.

3.1. La question de la professionnalité

L'objectif visé par la réforme était de produire un ingénieur d'application, spécialisé dès le début, doté cependant d'une certaine polytechnicité. Or, la logique d'ensemble autorise, de manière paradoxale, des réponses marquées par le débat qui a de tout temps traversé la formation des ingénieurs français : la question de l'ingénieur spécialiste ou généraliste. Mais, aujourd'hui, ce débat prend des formes nouvelles car les termes, généraliste ou spécialiste, appliqués à une figure inédite d'ingénieur de terrain, d'application, traduisent des visions contrastées du rôle et de la place de ces ingénieurs dans les situations contemporaines de production et, in fine, des visions contrastées de l'avenir des mutations industrielles. Le profil recherché à travers la notion de généraliste renvoie à une vision extensive de la production. Avec la figure du généraliste, il s'agit de préparer des ingénieurs ayant pour mission d'optimiser le domaine technologique et humain, de faire face à des situations existantes ou prévisibles, mais tout aussi fondamentalement d'innover, dans le cadre de systèmes de travail structurellement instables. Cette mission d'innovation a pour champ premier d'application les systèmes de production, mais elle s'étend aussi à l'exercice de la responsabilité de l'ingénieur dans les domaines du management et de l'organisation.

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Si les deux figures inédites de l'ingénieur — spécialiste de terrain/ généraliste de terrain — participent à l'évidence de la revalorisation de la fonction productive, il paraît clair que la figure du généraliste est, plus que l'autre, de nature à peser sur l'émergence de nouvelles configurations productives.

3.2. La question des rapports entre instance éducative et instance productive

Le pilotage par la commande est au cœur d'une recomposition entre logique éducative et logique productive. Avec le transfert à la formation des méthodologies industrielles de changement, plusieurs possibles ici encore dessinent l'avenir :

- Une logique de recomposition entre instances, qui combinerait intériorité de l'entreprise et autonomie de l'instance éducative. Cette logique est exprimée, dans les terrains observés, dans des partenariats égalitaires autorisant la gestion négociée des aléas, des partenariats de type coopératif autour d'objectifs communs où l'innovation dans la formation s'articule à l'innovation dans le travail ; cette logique préserve la qualité de la formation et sa crédibilité sociale.

- Une logique selon laquelle le pilotage par la commande donnerait lieu à des relations clients fournisseur de type prescriptif et normatif, allant même, comme cela a pu être observé dans une filière de formation continue, jusqu'à instaurer une division du travail strictement prédéterminée, selon une conception taylorienne du partage des rôles entre prescripteurs/commanditaires et fournisseurs/exécutants de la formation. Selon cette logique, l'engagement du partenaire industriel dans la formation est totalement flexible et peut se limiter à une fonction de gestion des flux, du financement, de prescription et de contrôle. Le partenaire industriel combine ainsi, à son bénéfice, principe d'intériorité et principe d'extériorité.

À un moment où s'exprime un discours fort sur la volonté des partenaires économiques de s'engager dans la formation, où de nouveaux dispositifs sont impulsés de manière quasi consensuelle pour redistribuer les rôles entre instances, la réforme des Nouvelles Filières d’Ingénieurs n'est-elle pas emblématique des virtualités positives et des risques inhérents aux nouveaux modes de régulation de la formation en émergence ?

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REFERENCES

BOUSQUET, N. & GRANGÉRARD, C. (1996). Du modèle des grandes écoles aux formations en partenariat, Formation Emploi, 53.

DECOMPS, B. (1990). Former des ingénieurs nouveaux, Éducation

Économie, 8.

DUPREZ, J.-M., GRELON, A. & MARRY, C. (1991). Les ingénieurs des années 1990 : mutations professionnelles et identité sociale,

Sociétés contemporaines, 6, Paris.

GRANGÉRARD, C. (1997). Émergence d'un contre-modèle de formation

et nouvelle professionnalité de l'ingénieur — la voie de l’apprentissage. Thèse, Bernard Charlot (dir), université Paris VIII.

Lille : Publication Presses du Septentrion.

MALGLAIVE, G. (1992). Apprentissage - Une autre formation pour d'autres ingénieurs, Formation Emploi, 53.

MOUTET, A. (1992). La rationalisation indutrielle dans l'économie

française au XXe siècle. Étude sur les rapports entre changements d'organisation technique et problèmes sociaux (1900-1939). Thèse

Références

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