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L'Universalité du théâtre de Marcel Dubé

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Texte intégral

(1)

L~L'UNIVERSALITÉ

DU THÉÂTRE

DE MARCEL DUBÉ

~

PAR

JACQUES RIVARD

MÉMOIRE DE MAîTRISE SOtlMIS

À

LA

FACULTÉ

DES ÉTUDES SUPÉRIEURES ET

DE LA RECDERCHE EN VUE DE L'OBTENTION

DU DIPLOME DE MAÎTRISE ÈS LETTRES

~

DÉPARTEMENT DE LANGUE ET LITTÉRATURE FaNNÇAISES

UNIVERSITÉ MCGILL

MONTRÉAL, QUÉBEC

OCTOBRE

1992

C

JACQUES RIVARD,

1992

(2)

TABLES DES MATIÈRES

RÉSUMÉS FRANÇAIS ET ANGLAIS

INTRODUCTION . . . .

LA CONDITION DES ÉCRIVAINS DURANT LES ANNÉES 50 ET 60 . . . . . REPÈRES BIOGRAPHIQUES SUR MARCEL DUBÉ

ARRIVÉE DE MICHEL TREMBLAY: DÉBAT LINGUISTIQUE TREMBLAY A-T-IL REMPLACÉ DUBÉ?

LA MALADIE DE DUBÉ ET SON OPINION SUR L'ÉVOLUTION DE LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE.

COMMENT L'UNIVERSALITÉ EST-ELLE SENTIE ET EXPRIMÉE DANS L'OEUVRE DE DUBÉ?

ZONE (1953)

FT.JORENCE

LE TEMPS DES LILAS BILAN . .

AU RETOUR DES OIES BLANCHES . CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE . . . . . SOURCES PRIMAIRES . SOURCES SECONDAIRES 1 10 18 33 40 48 53 63 73 8S 93 104 l l II

(3)

L'UNIVERSALITÉ DU THÉATRE DE

MARCEL

DUBÉ

RÉsuMÉ

L'oeuvre de Marcel Dubé est un témoignage de

l'ivolution de la sociéti quibécoise

i

une époque oQ tout itait remis en question. Elle a exerce un , influence incontestable au cours des années 50 et 60. Le thiâtre de Dubi a suscité l'intérêt de la cri tique mell\e au Canada anglais, aux U.S.A. et en France.

Dans ce mimoire, j'ai voulu analyser

i

partir de sources inédites, cinq pièces de Dubé. Comme l'indique le t i tre de ma thèse, j'ai tenu à traiter l'uni versali té de ce théâtre, cela pour deux raisons. D'abord, ces pièces ont ité écrites i l y a une trentaine d'années en moyenne:

pourtant elles demeurent vivantes pour le public

d'aujourd'hui, ce qui est une indication de leur

universalité. Pour rédiger ce mémoire, je me suis basé sur

des documents inidits (cassettes) dans lesquelles les

comédiens Jean Duceppe et Monique Miller ainsi que le critique Jean Éthier-Blais insistent précisément sur cette universalité. Il me semblait donc pertinent d'étudier ce thème dans les cinq pièces suivantes: Zone, Florence, Le temps des lilas, Bilan

et

Au retour des oies blanches.

(4)

Les sources iné1ites sont les suivantes: 16 cassettes

dans 1 esque lles Marcel Dubé se raconte. Il pa!'le de son

e~fanc~,

de ses débuts comme écrivain, des

ge~~ qu~

l'ont

i~fluencé,

du contexte socio-culturel et politique qui

p~évalait

au

~oment o~

il a écrit ses principales

pi~ces.

I~

avoue

à

la fois ses erreurs, ses faiblesses, ses

a~bit1onp

et il explique les raisons qui

l'on~

incité

~

devenir écrivain.

Pa!' ailleurs, l'auteur et critique Jean Ethier-Blais

nous livre, dans ces cassettes, ses opinions sur l'oeuvre

et l'auteur. Il nous rappelle l'époque et le contexte

littéraire québécois et fait également une critique de

~

'oeuvre de Marcel Dubé.

De même, au cours de ces entretiens, Jean Duceppe et

r(onique Miller nous rappel' I=>nt les circonstances et

l'influence de Marce l Dubé sur l'évolution de notre théâtre.

J'ai donc voulu, dans ce mémoire, à la lumière de

documents inédits, relire et analyser les cinq pièces

mentionnées plus haut •

(5)

THE UNlVERSALITY OF MARCEL DUBÉ'S DRAMATIC ART

The works of Marcel Dubé are a testimony of the French Canadian society's evolution, at a time when its cultural and social identity was b~ing questioned. Beyond any deubt, his plays had a strong influence upon Quebecers during the fifties and sixties. Dubé's dramatic works have instigated the interest of cri tics throughout Canada and also in the United states and Europe.

This thesis represents an analysis of five plays written by Marcel Dubé giving clear indication of the

uni versali ty of his works, particularly based on

unpublished documents. These pla ys were written almost thirty years age; nevertheless, they are still alive and applauded nowadays, which corraborat~B their universality. Also, on the unpublished recording tapes, actress Monique Miller, acter Jean Duceppe and author and critic Jean Éthier-Blais dwell precisely on the universality of Dubé's

works. Therefore l thought advisable to study this

(6)

temps des lilas, Bilan and Au retour des oies blanches.

On these unpublished recording tapes, Marcel Dubé talks about himself and his life as a wri ter. We learn about his chidhood, the beginning of his career, the people who surrounded and encouraged him, the social, cultural, and poli tical environment that prevailed at the time he wrote his most famous plays. He also acknowledges his mistakes, his weaknesses, his ambitions and talks about the motives that prompted him to become a writer.

Furthermore, weIl known author and cri tic Jean Éthier-Blais expresses his ideas and fellings regarding the author and his works. Actors and personal friends Monique Miller and Jean Duceppe recollect the circumstances and the effect the dramatic art

of

Marcel Dubé has had on French canadian culture.

(7)

INTRODUCTION

En guise d'introduction, j'aimerais

brièvement certaines étapes de l'évolution de la

littérature québécoise depuis le milieu du 19ème siècle alors que la génération d' écri vains Canadiens françai s

s'est manifestée. Entre 1845 et 1848, François-Xavier

Garneau a publié les trois volumes de son histoire du Canada qui ont été jusqu'à la fin du siècle une source d'inspiration pour les écrivains. Ensui te, c'est l'abbé Casgrain qui, aux environs de 1900, a exercé une certaine domination sur les esprits littéraires. Issu de la terre, homme d'un milieu clos, il tenta de reconstituer ~ Québec le mode de vie rural et ses vertus.

La ville est absente du début de nos let tres. Ce] a

explique peut-être que les premiers poètes: Octave

Crémazie, Louis Fréchette, Nérée Beauchemin, de même que

les premiers romanciers: Philippe-Aubert de Gaspé (Les

anciens Canadiens) et Laure Conan, mirent leurs oeuvres au service de valeurs patriotiques et religieuses. Ils ont ainsi créé une tradition qui s'est perpétuée jusqu'à la deuxième guerre mondiale:

Les Anciens Canadiens (1863) fut un chef-d'oeuvre mais aussi le chant du cygne de la littérature

(8)

régionaliste. En somme, la littérature canadienne

française est née aveq les villes et en

particulier avec Montréal

On peut affirmer qu'Émile Nelligan a été le poète moderne et original du Canada français. Il a écrit une

oeuvre qui, pour la première fois, était pleinement

contemporaine. La première génération d' écri vains

à

se dire "Montréalais" est celle de l'École l i ttéraire de Montréal dont Louis Fréchette était le président. Mais vers 1900, les poètes prennent une certaine distance par rapport à la tradition et deviennent des écrivains plus libres.

Émile Nelligan est sans doute le symbole de cette transformation. Nelligan est ci tadin, il est le premier poète

à

donner une image vraie de Montréal: celle du Quartier Latin. La tristesse et l'amour chez Nelligan naissent dans la rue Saint-Denis. C'est donc

à

ce moment que les intellectuels canadiens français se séparent des valeurs tradi tionnelles. Ils commencent

à

voir le monde dans une optique canadienne française plus large. La ville a agi sur eux.

Éthier-Blais, Jean, "La Ville", dans Signets II, édition de novembre

1967,

p.24. Cercle du livre de France, inc.

(9)

La deuxième guerre mondiale a marque encore plus , nettement la fin d'une ipoque o~ la littirature pouvait

être l'expression de la nostalgie du passé et d'un

traditionalisme centré sur une sociiti rurale. L'exode des

paysans vers les villes a transformé la collectivité

canadienne française et engendré un bouleversement des comportements et des attitudes. C'est vers cette époque qu'apparaissent deux écrivains majeurs, Gratien Gélinas et

Gabrielle Roy, qui ont une influence considérable sur

Marcel Dubé.

J'ai été profondément touché par la présentation au théâtre Gesu de Ti t-Cog de Gratj en Gélinas. C'est à ce moment-là que j'ai dicidé de devenir icrivain. Je venais de rialiser que les Canadiens français pouvaient s'exprimer enfin: vous voyez, on pe~t dire ce que l'on ressent et ce que l'on pense

Gratien Gélinas est le premier homme de théâtre

d'importance majeure au Canada français. Il est ni en 1909,

a fait des études aux Hautes fttudes Commerciales, il fut comédien

à

la radio en 1935 dans une série inti tulée Le

2 Dubé raconte, casset te inédi te 3. Dans ce mémo ire j'utilise 16 enregistrements inédits intitulés: Marc8_l Dubé raconte. La majeure partie de ces enreCjlstrernents sont des confidences de l'auteur lui-même et (Jus::; ides commentaires de Monique Mi 11er, Jean DucC!ppe et Jean ~thier-Blais sur le travail professJonnel el l'oeuvre publiée de Dubi. Ces cassettes sont numérotées d(~ 1

à

16 et ont éti déposées

à

la bibl j othr'que de l'Université McGill où on peut les consulter.

(10)

curé du Village.II a écrit Fridolin, l'ancêtre de Tit-Coq,

pour la radio en 1937, suivi d'une première Revue théâtrale

en 1938 intitulée Fridolinons et présentée sur scène

jusqu'en 1947. Dans toutes les Revues de Gélinas on

retrouvait deux grands thèmes: la vie familiale et

l'actualité. Ces Revues ont obtenu un très grand succès.

Les salles étaient remplies de spectateurs qui

s'identifiaient aux personnages. On peut dire que Gratien Gélinas a été le premier dramaturge québécois

à

se servir de lui-même et du public comme matière dramatique. Ti t-Coq,

qui marqua la naissance du théâtre québécois moderne, fut présentée au Monument National en 1948. Tit-Coq incarne un enfant illégitime qui désire appartenir

à

une famille et en

fonder une lui-même.

Cependant l'intrigue se déroule pendant la guerre.

Pour Ti t-Coq, c'est la conscription, le départ en

Angleterre, il doi t renoncer a

..

sa fiancée, Marie-Ange. Cette pièce a obtenu un succès immense. On la présentera sur scène plus de 500 fois entre 1948 et 1950. La pièce sera filmée en 1953 et obtiendra un succès important aussi au Canada anglais.

Marcel Dubé reconnaî t également avoir été influencé par Roger Lemelin, en particulier par Au pied de la pente

(11)

douce,

et surtout par Gabrielle Roy avec

Bonheur d'occasion

publié en 1945:

J'ai beaucoup été· influencé par

Bonheur

d'occasion.

C'est ce premier grand roman

québécois qui m'a incité

à

vouloir décrire la

société cana~ienne française, comme l'a fait

Gabrielle Roy

Avec la publication de

Bonheur d'occasion,

Gabrielle Roy annonce une nouvelle période où les romanciers vont s'intéresser aux changements sociaux, examiner la réalité industrielle et les milieux ouvriers. Des écrivains comme Yves Thériault, André Langevin et Roger Lemelin présentent une vision critique de la famille canadienne française dans son immobilité.

Bonheur d'occasion,

cet amas d~ pauvreté, de désespoir, d'ambition retenue, nous a ouvert les yeux. La famille des Lacasse est psychologiquement incapable de se détacher du passé et c'est ce relent d'un temps révolu

qui détruit cette famille, et non les difficultés

d'adaptation

à

la vie urbaine.

Gratien Gélinas, en même temps que Gabrielle Roy, a eu un public au théâtre qui avait besoin qu'on lui présente une image authentique de la société québécoise. Ti t-Coq décrit un milieu urbain dans lequel le public de l'époque

3

(12)

se reconnaissait. Les textes sont écrits dans une langue du terroir peut-être, mais une langue structurée. Les gens étaient émerveillés de se retrouver dans les personnages. Gratien Gélinas est un homme de théâtre professionnel, écrivain, homme d'affaires qui réussit a ... remplir les salles.

Il nQUS présente un théâtre qui a une grande valeur socio-historique en ce qu'il nous informe du Québec des années 40,50,60. Il nous présente des thèmes inhérents

à

la famille et a la société québécoise de l'époque et ... son théâtre a une valeur universelle.

Dans d'autres pièces, le théâtre de Gélinas exprime une idéologie. La condition humaine, et en particulier la condition des femmes, nous sont présentées d'une manière articulée qui invite

à

réfléchir. Dans Tit-Coq, la femme est définie d'une manière traditionnelle, elle est un peu ridiculisée. Dans Bousille elle est plutôt idéalisée, alors que dans Narcisse Mondoux elle a un comportement féministe.

Quelques années avant Tit-Coq, deux romans de moeurs obtinrent chez nous un succès retentissant: Au pied de la pente douce de Lemelin en 1944, et Bonheur d'occasion en 1945.

(13)

Dans son roman, Gabrielle Roy nous fait découvrir des êtres misérables, parfois révoltés, dont la vie morne se déroule dans le quartier Saint-Henri. Nous y découvrons la détresse de Florentine, peti te serveuse dans un "Quinze cents" dont l'espoir de bonheur aura été de courte durée. Rose-Anna, la mire, est une femme soumise qui accepte sa condition. Elle est toujours enceinte et constamment

à

la recherche d'un nouveau logement. Sa vie se resume au

..

ménage, au soin des enfants, accomplissant les tâches

lourdes et humbles de la vie quotidienne.

Azarius, au sein de sa misire, conserve la nostalgie de son métier. Tous ces personnages sont croqués sur le vif et Gabrielle Roy nous les présente avec relief, avec style et un don du récit qui nous révèle les sentiments les plus secrets de gens très simples.

Bonheur d'occasion s'est révélé un grand roman et s'est attiré les éloges unanimes de la critique. Gabrielle Roy nous fait vivre des étapes douloureuses d'une famille

dont le destin représente celui de plusieurs autres

familles ouvrières. Elle se penche sur des êtres secoués par la vie et elle veut nous communiquer leur désespoir et leur détresse.

(14)

Certains critiques ont avancé que depuis un demi-siècle, la littérature québécoise dérive de Bonheur

d 'occasion4

Gratien Gélinas et Gabrielle Roy ont provoqué une ouverture

plus large, une conception plus universelle de la

littérature québécoise. Il s'agit d'une rupture avec la

littérature rurale qui avait prédominé jusqu'alors.

Il en va de même chez Marcel Dubé dont les thèmes, humains et tragiques, évoquent des situations dramatiques réelles, vécues dans la famille et la société québécoise des années 50 et 60. Ils reflètent la volonté ferme d'un peuple

à

la recherche de son identité et c'est sans doute cet aspect d'authenticité qui donne

à

l'oeuvre de Dubé un caractère universel, une démarche semblable

à

celle des sociétés

à

travers le monde qui se cherchent une identité.

Les débuts de Marcel Dubé coïncident avec ces

changements d' atti tude des écrivains qui ont donné une nouvelle orientation

à

la littérature québécoise:

J'ai été le porte-parole du monde ordinaire, mais je n'ai pas été celui de la bourgeoisie. J'ai surt8ut été

à

l'écoute de la bourgeoisie, j'en ai fait la critique. J'ai été le porte-parole d'un théâtre que je voulais en évolution. J'ai écrit

une langue populaire structurée et plus

4

Par exemple, Jean Ethier-Blais, dans Dubé raconte, cassette inédite 5.

(15)

j'écrivais, plus j'essayais de polir cette langue et de la structurer. Ce qui faisai t ma joie, c'est que les gens me disaient: c'est la réalité telle qu'on la vit. La langue qui était écrite

était une langue transposée. Pour être plus

précis, je pense que je faJ-sais plutôt de la peinture que la photographie

5

(16)

LA CONDITION DES ÉCRIVAINS DURANT

LES ANNÉES 50 ET 60

La condition des écrivains d'après-guerre se modifie considérablement au cours des années 50. Des succès comme ceux de Gratien Gélinas, de Gabrielle Roy et de Roger Lemelin montrent que désormais la littérature peut être rentable. Ils témoignent de l'existence d'un public qui exige une littérature dans laquelle il se reconnaît. Les gouvernements, tant fédéral que provincial, deviennent plus impliqués dans le dossier culturel. Ils organisent, dans les années 50, des commissions d'enquête qui font le bilan des activités artistiques au pays et préconisent des mesures pour promouvoir la création sous toutes ses formes.

Mais ce sont surtout la radio, la télévision et le

cinéma qui contribuent à changer considérablement la

condi tion de l' écri vain des années 50. Les Lemelin, les Guèvremont, les Dubé, pour ne mentionner que les plus connus, vivent des commandes de la Société Radio-Canada. Nombre d'artistes trouvent dans ces sociétés un gagne-pain en accord avec leurs aptitudes comme réalisateurs, metteurs

(17)

en scène, scénaristes, cinéastes, décorateurs. Tout ce monde réuni crée un milieu propice aux échanges d'idées, aux nouvelles théories,

à

l'émancipation intellectuelle.

La condition de l'écrivain qui publie son premier ouvrage dans les annees 50 reflète les transformations ,

subies par les rapports sociaux dans les annees ,

précédentes. L'industrialisation, l'urbanisation et la

crise économique font que les fils et les filles de cultivateurs sont nettement moins nombreux que dans les périodes précédentes et que les écrivains se concentrent dans les grands centres urbains: Québec et Montréal.

Un coup d'oeil rapide sur les biographies d'écrivains

révèle des éléments intéressants au sujet de leur

formation. La plupart ont commencé des études secondaires, les deux tiers ont complété un baccalauréat ès arts, Le quart possède une licence et environ 10 pour cent une maîtrise ou un doctorat.

Ceux qui sont nés dans les années 30 et publient au cours des années 50, dont Marcel Dubé, sont plus scolarisés que leurs aînés. Ils ont entrepris des études secondaires qu'ils poursuivent plutôt que de les abandonner. On connaît l'apparition des externats classiques, des écoles normales, des cours de lettres-sciences etc. Le rôle des collèges

(18)

complété un baccalauréat ès art ne l'ont pas fait dans des institutions de deuxième ordre. Plusieurs d'entre eux sont issus des collèges Sainte-Marie (Dubé), Jean-de-Bréboeuf ou Saint-Ignace de Loyola et du collège Marguerite-Bourgeoys chez les femmes.

Ces cOllèges produisent les écrivainR reconnus comme les plus modernes (Pierre Baillargeon, Robert Charbonneau, Robert Élie, Jacques Ferron, etc.) ainsi que ceux qui préparent le renouveau du théâtre québécois: Dagenais, Dubé, Toupin.

On voit apparaître les premiers écrivains

à

vivre de leur plume comme scénaristes, réalisateurs, scripteurs. Des organismes privés ou publics accordent des bourses a

..

certains d'entre eux qui leur permettent d'effectuer des séjours à l'étranger (dont Marcel Dubé en 1953) ou de se consacrer

à

l'écriture.

Dans Éditions au Québec de 1969

à

1977, Ignace Cau

fait l'analyse de l'éveil culturel des années 60 et

précise:

Le personnel poli tique et l'État

québécois émergé de la Révolution

tranquille, les écrivains et les

journalistes vont supplanter

(19)

tâche de fournir des thèmes yt des symboles

à

la pensée collective

" " "

-Il note également l'augmentation du niveau de

scolarité de la population et un rajeunissement marqué des

écrivains, annonçant l'arrivée d'une nouvelle élite

culturelle recrutée entre autres

à

l'Office national du film et

à

Radio-Canada.

Pour le jésuite Richard Arès, la Société Radio-Canada a plus que tout autre organisme gouvernemental ou privé contribué

à

revaloriser chez nous et a

..

l'étranger la culture canadienne française:

Pour la première fois chez nous, il

est devenu payant, non seulement

d'exercer le métier d'artiste ou la profession d'intellectu~l, mais encore de le faire en français

Durant les années 60, il semble que les écrivains veulent exprimer dans leurs oeuvres l'identité québécoise. La Révolution tranquille a transformé le Québec et ses auteurs.

Le roman des années 60 est un roman de libération de l'individu par rapport

à

la société, i l vise

à

un nouveau

2

Cau, Ignace, Édition au Québec de 1960

à

1967, p.92. Québec, Ministère des affaires culturelles, 1981, 229p.

(20)

pacte social. Les romanciers produisent davantage. Le nombre des romans double. Ceux qu'on avai t connus une quinzaine d'années auparavant deviennent des romanciers de carrière: Gérard Bessette, Gabrielle Roy, Yves Thériault et plusieurs autres. On connaît l ' appari tion de nouveaux écrivains qui veulent faire de l'écriture un métier et qui

réussissent: Hubert Aquin, Marie-Claire Blais, Jacques

Ferron, André Major, etc. Les sujets traités sortent du territoire québécois et le "je" du narrateur est plus complexe, plus ouvert sur le monde. En somme, l'écriture s'ouvre

à

des formes romanesques subjectives et manifestes.

La famille est l'institution dont la représentation est la plus contestée: elle devient un lieu de frustration et de contrainte. Dans Une saison dans la vie d'Emmanuel, Marie-Claire Blais brosse sans doute le tableau le plus noir de la famille québécoise. Toutes les valeurs qui sous-tendent l'éducation des enfants, la piété familiale, le respect des aîné5, l'entraide fraternelle, la vocation religieuse, deviennent des attitudes négatives. On exprime ses désirs ouvertement.

Et l'amour fleurit sans contrainte: l'érotisme fait son apparition avec les romans de Roger Fournier, Journal d'un jeune mari~. Dans Marie-Claire Blais, la découverte de la chair constitue la part la plus importante de l'amour.

(21)

Pour Thériault, la sexualité apparaît comme une force de la nature qu'aucune volonté ne peut contrarier.

On publie en grand nombre des romans où s'affichent des unions libres ou éphémères. Le roman donne sur une problématique plus universelle, basée sur la condi tion humaine du Québécois des années 60. Les gens de l'extérieur du Québec commencent

à

s'intéresser aux écrivains de la Belle province.

La vie théâtrale au Québec a connu, vers la fin des années 50, une sorte d'épanouissement; les chronj queurs dramatiques constataient des changements dans les oeuvres

et les insti tut ions . Le théâtre de Quat' Sous, les

Apprentis-Sorciers, l'Egregore avaient fait leur

apparition. Et de nouvelles troupes de théâtre continuent

d'apparaître: les Saltimbanques en 1962, La Nouvelle

Compagnie théâtrale en 1964.

Le ministère des Affaires culturelles crée le Th~âtre

populaire du Québec en 1964, le Mouvement Contemporain en 1965. L'ouverture en 1960 de l'École nationale de Théâtre et en 1968 la création de l'option théâtre au CEGEP Lionel

Groulx offrent aux comédiens et dramaturges des

possibilités plus grandes de recevoir une formation

(22)

On connaît aussi la construction de salles prestigieuses: la Place des Arts de Montréal, le Centre national des Arts

à

ottawa et le Grand Théâtre

à

Québec. Le centenaire de la Confédération canadienne donne lieu en 1967 à de nombreuses subventions et partout au Canada naissent des centres culturels dont certains sont destinés au théâtre. La liberté d'expression se manifeste dans le

monde du spectacle, particulièrement au théâtre: les

réali tés québécoises exprimées par Gratien Gélinas et Marcel Dubé deviennent de plus en plus une expression théâtrale représentée avec une lucidité et une intensité nouvelles.

Marcel Dubé a connu sa période de production la plus féconde au cours des années 60. Il écrit et fait jouer plus de douze pièces, dont certaines sous forme de téléthéâtres ou de dramatiques pour la télévision, ainsi que deux téléromans: Côte de sable (1961-62) et De 9

à

5 (1963-64). C'est l'oeuvre de ùubé qui domine toute cette période.

Dans ses premières pièces, Dubé avait voulu brosser un tableau de la condition sociale des Canadiens français en exprimant la révol te cachée qui se manifestait dans la cellule familiale. Dans les années 60, i l précise sa perception des choses: du milieu prolétarien, i l passe au

(23)

milieu bourgeois, mais la famille québécoise demeure le lieu de découverte et d'analyse qu'il privilégie.

Dans Bilan, piice écrite en 1960, il exoose le th~me

de la révolte contre l'autorité paternelle et le mame thème est repris dans Au retour des Oies blanches, écrite en 1966. Au cours de cette décennie Dubé n'est pas indifférent au contexte politique et les thimes exploités drins Un matin comme les autres et Pauvre amour le confirment. Dubé

aborde des sujets qui suscitent une réflexion sur

l'engagement politique et l'idéologie indépendantisLe. Ses personnages ont des réactions et prennent des positions qUl vont souvent

à

l'encontre de la morale catholique. IJe divorce, l'amour libre et l'échange des couples confirment

l'émancipation des moeurs devenue désormais un fnit

(24)

REPÈRES BIOGRAPHIQUES SUR MARCEL DOBÉ

J'aimerais maintenant indiquer quelques repères

biographiques concernant Marcel Dubé. Il est né en 1930, rue Logan, dans l'est de Montréal, au coeur d'un quartier qu'on appelait à l'époque "le faubourg à la mélasse". Le secteur étai t défini par les rues Delorimier à l'ouest, Frontenac

à

l'est, la rue Notre-Dame au sud et la rue Ontario au nord. Pourquoi

"le

faubourg à la mélasse"'? Cette zone longe une partie du port de Montréal ou ... accostaient les navires qui transportaient la mélasse, un résidu sirupeux dérivé du sucre. Il y avait là d'immenses

réservoirs sur lesquels on pouvait lire en anglais

"molasses" et les soirs d'été, des arômes de mélasse se dégageaient de ces réservoirs, ce qui donnait une odeur très particulière

à

la brise du soir.

Comme partout ailleurs, la crise économique avait eu ses répercussions, peut-être davantage dans ce type de quartier. La mélasse était un produit nourrissant qui ne coûtait pas cher et sa consommation était fort répandue.

Les tartines de mélasse étaient bien appréciées des

ci toyens, surtout des étudiants au retour de 11 école .

(25)

L'épicier du coin conservait de gros barils remplis de ce

sirop de mélasse et les familles en

régulièrement. c'était une coutume.

Le boulanger qu'on avait dans le

"faubourg

à

la mélasse" ne fermai t pas ses portes dans la nuit du samedi au dimanche, même s ' i l ne cuisait pas de pain. Alors les gens en profitaient pour apporter leurs fèves au lard et

les faire cuire dans le four du

boulanger ~ui chargeait un dollar pour la cuisson

achetaient

Par ailleurs, les jeunes étaient sédu1ts par l'écurie de la laiterie Poupar. C'était au début des années 40, pendant la guerre et à cette époque on utilisait beaucoup les chevaux. C'était le cas du boulanger, du laitier, des marchands de glace, du vendeur de légumes. Tous ces gens se servaient de chevaux pour livrer leur marchandise. Les jeunes étaient fascinés par ces mammifères domestiques dont le hennissement envahissait parfois les alentours auxquels

les bêtes donnaient un caractère de village. Cette

situation produisait un effet mystérieux.

Les souvenirs d'enfance de Marcel Dubé

son r

imprégnés d'odeurs caractéristiques, de coutumes, de façon de vivre dans un milieu où habitaient surtout des ouvriers, des cols blancs et quelques professionnels.

(26)

Il se créait dans ce type d'entourage des clans, des bandes qui se donnaient un chef. Les jeunes organisaient leurs loisirs de cette façon et ils inventaient des jeux: ils jouaient

à

la police, au bandit, au cow-boy dans les ruelles et les hangars qui déterminaient l'environnement physique des lieux:

Il Y avait de l'aventure dans nos vies. Je me souviens, entre l'âge de cinq"

à

dix ans de m'être beaucoup amuse. On organisai t des patinoires, on construisai t des arènes de lutte, on Si amusai t comme on pouvai t . On se

construisait des phares, l'hiver dans les bancs de neigez des tranchées, on jouait

à

la guerre

Les premières pièces de Marcel Cubé sont inspirées de tous ces souvenirs d'enfance auxquels il accorde une grande valeur. Cubé a grandi dans un milieu agréable. La famille

comptai t huit enfants qui partageaient volontiers les

tâches quotidiennes et les exigences d'une maison ordinaire et nombreuse. Les parents ont toujours eu beaucoup de gont et dl imagina tion en ce qui concerne la table. Cl étai t très important pour eux que les membres de cette famille unie soient bien nourris. Tous les dimanches midi, c' étai t traditionnel, il y avait un rôti sur la table et les

2

(27)

parents se faisaient un devoir d'exiger que les enfants

soient présents et surtout ponctuels. c'était une

tradition. Rappelons qu'i l'époque, la famille constituait la base de la société. La plupart des gens qui le pouvaient s'efforçaient de bien se nourrir et se vêtir.

Dubé le père a fait comprendre i ses enfants, alors

qu'ils étaient encore très jeunes, l'importance de

s'instruire. Il percevait l'école et les collèges comme des institutions où l'on recevait un bagage de connaissance et de culture alors que c'était la responsabilité du père et de la mère de donner i leurs enfants la formation et l'éducation. Marcel Dubé a grandi dans un milieu propice i la carrière d'écrivain qu'il voulait entreprendre:

Ma mère avait fait une dixième année scolaire; je ne crois pas qu'elle ai t commis une faute de français dans les

nombreuses lettres qu'elle m'a

écri tes. On connaissai t mieux notre

français

à

cette époque-là

qu'aujourd'hui. La langue n'était pas un problème

3alors qu'aujourd'hui c'est

autre chose

Le parc Lafontaine fait partie de précieux souvenirs qui ont influencé Marcel Dubé dans son écriture et il me semble utile de rappeler l'importance historique de ce

3

(28)

jardin public. Il représentait un espace où les jeunes des environs pouvaient satisfaire leurs besoins d'évasion. Dans

les années 40, ce parc reproduisait un univers très

spécial.

c'était le parc des amoureux, le parc des jeux, le parc où il y avait un zoo, des arbres, des bancs pour se reposer, des équipes de hockey l'hiver et des équipes de baseball l'été. On y présentait de grands spectacles, entre autres ceux d'Alice Robi. Au début des années 40, cette chanteuse étai t reconnue comme une grande vedette, une star de la radio et des boi tes de nui ts . Elle donnai t des spectacles de chansons françaises et sud-amé~icaines pour souligner l'effort de guerre du Canada.

On y organisait aussi de grands rassemblements

populaires, des feux d'artifice, des feux de joie . . . Il y avait de tout dans ce parc. Un grand prédicateur de l'époque, le père Lelièvre, y attirait des foules énormes.

c'

étai t un personnage fascinant qui séduisai t les

spectateurs avec des sermons grandiloquents. On y avait planté des marronniers dans lesquels les jeunes grimpaient pour en cueillir les fruits et les rapporter à la maison. C'était un lieu où les adolescents apprenaient à développer eux-mimes leurs loisirs. On ne pouvait y reconnaître un univers complet, total, qui puisse suffire

à

la croissance

(29)

d'un être humain, mais c' étai t quand même un macrocosme grisant.

Marcel Dubé a fréquenté l'école

à

l'âge de cinq ans. C'était un jardin de l'enfance dirigé par les soeurs de la Providence. A l ' âge de six ans, il était

à

l'école Champlain, une école publique du quartier et après la huitième année, il s'est inscrit au collège. Les jésuites de la paroisse l'avaient encouragé

à

s'orienter vers les études classiques et en avaient convaincu son père.

Les études coûtaient cher

à

l'époque. Dubé avait participé au concours d'admission au Collège Sainte-Marie qui consistait en un examen de français et d'analyse logique et grammaticale. Il s'était classé deuxième sur 150 élèves présents

à

ce concours et cet excellent résultat lui a valu une bourse d'études. Pendant les huit années du cours classique, tout comme ses frères d'ailleurs, Marcel Dubé travaillait tous les étés pour aider ses parents.

Après la quatrième annee du , cours classique, la Versification, Dubé commence à s'intéresser à la poésie et à la littérature. Il développe des amitiés de collège et ensemble ils deviennent des étudiants passionnés de poésie. Ils fréquentent en groupe la bibliothèque municipale de la rue Sherbrooke, le soir. D'abord et en premier lieu pour y

(30)

étudier, emprunter des livres de poésie, mais aussi pour y rencontrer des jeunes filJes.

Pour Marcel Dubé, devenir écrivain devenai t de plus en

plus important. Il reçut un premier prix au collège

Sainte-Marie en 1948-49. Ce prix lui fut décerné pour la composition et la réalisation d'un sketch sur la vie et le

double martyre de Saint-Isaac Jogue. Il avai t lu la

biographie de ce Jésuite martyre canadien et en avait fait une courte scène d'environ 30 minutes, jouée par les élèves de sa classe

à

la salle du théâtre Gesu.

L'auteur insiste sur son enfance et son adolescence qui ont été des périodes marquantes dans sa vie. Très jeune, il est devenu le gardien de but de l'équipe du collège Sainte-Marie.

c'

étai t le jeunot du groupe et il aimait le feu de la compétition. Il n'avait que quinze ans

alors que ses coéquipiers avaient déjà atteint la

vingtaine.

Dubé reconnaît que ce sont des moments qu 1 i l ne

revivra jamais. On plaçait alors les jeunes devant des décisions ridicules

à

savoir que l'intellectuel ne pouvait jouer au hockey et vice-versa. Pourtant le sport et la culture sont des activités qui se complètent. Lorsque tout

le monde quitlait la patinoire parce qu'il neigeait

(31)

.. __ .

_ . _

-patinoire enneigée,

à

pratiquer la technique du patin

à

glace. En Belles-Lettres, Dubé était le premier de sa classe en français, le premier en mathématiques et aussi le

gardien de but étoile de la ligue de hockey

intercollégiale, ce qui l'amusait beaucoup.

Lorsqu'il a commencé

à

écrire, Marcel Dubé imaginait des si tuations et des faits qu'il était loin de pouvoi r nommer. Il était jeune, il sortait

à

peine d'une enfance

exaltante et il se si tuait mal dans l'existence. Il

abordai t avec appréhension le monde des adul tes parce qu' i l était conscient de ce qu'il allait perdre: le passage de l'adolescence

à

l'âge adulte demeure toujours un moment difficile dans l'esprit d'un individu. Dubé percevait la suppression de cet émerveillent, de cette espèce de pureté de l'enfance qui disparaissent

à

jamais lorsque l'être humain découvre qu'il est quelqu'un: un individu dans ce monde mêlé

à

d'autres qui ont leur personnalité propre. Il comprenait cette réalité de la vie, le soir, en marchant seul dans les rues. Il sentait et saisissait à peine cette sorte de liberté que l'individu peut s'approprier sans la demander aux autres. Il s'agit d'une liberté très simple, que l'âge adul te a le pouvoir de détruire

à

cause des

obligations qu'il imposei par exemple, l'obligation de

(32)

Il se rendait compte alors qu'il allait perdre cette forme de liberté qu'on ne retrouve jamais.

Il eut un choc

à

l'âge de 18 ans, alors qu'il était en Rhétorique. Le professeur de théâtre enseignai t

à

merveille

les grands classiques et les tragédies grecques. A

Montréal, c'était l'époque ou

..

les Compagnons de

Saint-Laurent présentaient du théâtre intéressant et ils avaient mis

à

l'affiche Antigone de Jean Anhouil. Dubé

avait étudié la pièce de Sophocle et avait vu une

différence fondamentale entre les deux oeuvres. C'est alors qu'il écrivit un travail pour démontrer les contrastes qui existaient entre les deux auteurs:

Deux oeuvres qui racontent la même histoire, avec les mêmes personnages et qui pourtant ne disent pas la même chose, ne conduisent pas le spectateur au même

4endroit. J'ai donc accroché au théâtre

Il fréquentait de plus en plus les théâtres, surtout celui des Compagnons, coin Sherbrooke et Delorimier. Il s'est trouvé un emploi comme "portier" au théâtre du Gesu,

ce qui lui donnait le privilège d'assister gratuitement

à

toutes les pièces présentées. Il a ainsi vu huit fois Bri tannicus de Racine.

4

(33)

Nous sommes en 1950. Marcel Dubé est étudiant en Lettres a

..

l'Université de Montréal et veut devenir professeur de l i ttérature québécoise. Mais c'est plutôt pour lui le début d'une carrière d'écrivain, de poète, de

dramaturge qui durera plus d'un quart de siècle. Sa

première pièce, Le Bal triste, sera écrite et présentée en

1951. Déjà l'auteur réalisait les changements d'attitude du peuple québécois face

i

sa communauté et

i

son unit~. Il

constatai t que l'individu pouvai t s'affirmer et être

reconnu comme tel dans son état civil et culturel:

Pour faire une littérature originale, i l fallait commencer par se trouver une identi té qu'on retrouve d'abord chez soi, arant de s'ouvrir sur le monde entier

Durant les années 50, Marcel Dubé s'est manifesté comme le plus prolifique de nos dramaturges. En 1966, il s'est méri té le prix Victor Morin, décerné

à

un homme ou une femme de théâtre qui s'est distingué par ses act i vi tés, soit comme auteur(e), metteur(e) en scène, directeur ou directrice d'une compagnie théâtrale. Ce prix lu i Eu t

attribué alors que l'on jouait Au retour des Oies blanches

5

(34)

à

la Comédie canadienne. Il lui fut remis devant les comédiens et le public

à

la tombée du rideau.

En 1973, Dubé s'est mérité le prix David, institué en 1922 et attribué chaque année a ... un écrivain canadien français. C'est la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec dans le domaine littéraire. C'était

la première fois que l'on décernait ce prix à un

dramaturge; jusqu'alors on avait toujours donné le prix David

à

des poètes ou à des romanciers:

En 1973, j'ai eu l'honneur de recevoir ce prix. La nouvelle étai t dans les

journaux,

à

la radio et j'étais

hospitalisé au centre hospi talier

universitaire de Sherbrooke. Le

médecin était venu m'apprendre la

nouvelle et m t avai t dit: Il faudrai t

qu'une infirmière vous accompagne,

vous êtes trop malade. A ce moment-là

je ne pesais que 109 livres et

beaucoup de gens ne me re ... connaissai~nt

pas. Ce fut un moment tres touchant

Ce prix David était une consécration pour Marcel Dubé. Il avait eu l'admiration des lecteurs, les applaudissements

des spectateurs, mais c'était là, la véritable

consécration. Les proches de Marcel Dubé le connaissent comme un homme timide qui ne cherche pas ce type de

notoriété. En somme, il ne plastronne pas. C'est un

6

(35)

écri vain, c'est un penseur, c'est un poète. Il a obtenu toutes les distinctions qu'on peut accorder

à

un écrivain dans une société. Il a reçu toute l'admiration, tout ce qu'une société peut donner

à

un auteur.

En 1984, il obtenait de madame Maureen Forester le prix Molson du Conseil des Arts. C'était alors le prix le plus doté sur le plan matériel: cinquante mille dollars:

Qui est arrivé dans ma vie on ne peut mieux; cela m' avai t permis de régler mes problèmes avec les impôts et je m'étais mis une somme d'argent de c8té que je devais investir deux ans plus tard dans un spectacle de ~héâtre et que j'ai entièrement perdue

Marcel Dubé s'est inspiré de la nature, des paysages de campagne. Les fins de semaine, i l se rendait chez des amis

à

l ' î l e Perrot où i l trouvai t une nouvelle forme

d'évasion, d'exaltation, d'ouverture, de connaissance.

Plusieurs années plus tard, alors que la gloire et la

renommée l'avaient placé parmi les grands écrivains

québécois, Dubé habitait les Cantons de l'est où il

ressentait un renouveau avec l'arrivée de chaque printemps:

2

Je voyais apparaître les premières

fleurs sauvages, un uni vers gui

renaissait et j'avais la sensation gue

(36)

Cl étai t ça Dieu, que Dieu Cl étai t la nature. Je voyais cela tellement beau

que me sentais possidé par cette

merveille de la nature

Le comédien Jean Duceppe a joué dans plusieurs pièces de Dubé et i l se considérait comme un des ses meilleurs

amis. Il connaissait

à

fond sa personnalité parfois

mystérieuse. Même pour ses amis, il étai t difficile de briser cette sorte de cuirasse que 11 auteur Si étai t

construi te autour de lui et qu 1 il a toujours eue. Et

lorsque certains dl entre eux obtenaient ce privilège, ils voulaient l'entendre sans répi t parler des personnages qu'il allait créer:

Dans sa tête cela existait déjà. Je me rappelle de la difficulté de le faire rire et la joie qu 1 on éprouvait

lorsqu 1 i l riai t; ça éclatai t

4

Les comédiens avec qui i l a travaillé se sentaient bien en sa compagnie et ils produisaient beaucoup. Quand

Zone a été jouée en 1953, ce fut un événement

extraordinaire. Tout le monde était accouru pour voir cette

pièce. Les gens étaient émerveillés et pleins

dl enthousiasme: Cl était un grand bonheur de constater le

3

Dubé, Marcel, Dubé raconte, cassette inédite 4. 4

(37)

talent de ce jeune écri vain. Dubé allait toujours l'essentiel, i l traitait ses thèmes d'une façon très simple. Il est devenu un classique parce que son oeuvre colle

à

la réalité.

Marcel Dubé semble connaître aujourd'hui une nouvelle vogue puisqu'on présente cette saison (1992-93) deux de ses

pièces au Théâtre du Nouveau Monde. L'auteur Michel

Tremblay avouait à ses lecteurs récemment une réflexion qu'il avait eue en allant voir la représentation de la pièce Le temps des lilas i l y a plusieurs années:

Je voulais retrouver le sens universel de la tragédie qui m' avai t tant frappé dans Un simple Solda t ~

Depuis plusieurs ~

annees, Marcel Dubé travai lle a

l'écriture d'un roman, une oeuvre en profondeur o~ il émet

pour la première fois des idées personnell es, des

sentiments di fficiles à faire traverser au théâtre. L'an dernier, i l a écrit un scénario de film, un suspense basé sur une histoire vécue:

5

c'est le travail le plus difficile de ma carrière. J'aimerais vraiment faire des choses différentes. C'est vrai,

Tremblay, Michel, 12 coups de théâtre, Ed. Leméac 1992, p.102.

(38)

les an~ée:s que

6 je vis présentement

sont precleuses

A travers toute son oeuvre, Marcel Dubé a voulu communiquer son témoignage de la vie des Québécois à une époque où ces derniers voulaient nettement se découvrir. Il a véhiculé des messages, i l a transmis des états d'âme, i l a exprimé la réalité sociale et intellectuelle du Canada

français

à

une période difficile où les changements

d'attitude se succédaient a un rythme effréné. Je ne peux personnellemen t dissocier toute l'ardeur et le talent de ce grand dramaturge d'une réflexion émise par un des ses plus

intimes ami et confident, Hubert Aquin:

6

7

La littérature jaillit, pour ainsi

dire, ce cette union entre un écrivain

et un lecteur. Au mieux, cette

rencontre ressemble au coup de foudre,

à

un accouplemen t fulgurant qui dure

le temps de la lecture, Cette

conjonction revêt un caractère sacré.

C'est l'événement originaire de la

littérature, le choc instaurf1teur de joie, d'exaltation, de pensée

Dubé raconte, cassette inédite 15.

Aquin, Hubert, blocs erratigues, p.265, éditions Montréal: Quinze, 1977, 284p.

(39)

ARRIVÉE DE MICHEL TREMBLAY: DÉBAT LINGUISTIQUE

TREMBJ .. AY A-T-IL REMPLACÉ DUBÉ?

Les critiques de la pièce

Au retour des Oies blanches

se sont attardés sur l'effort évident du souLi de la langue chez Marcel Dubé. On a parlé d'une "tragédie qui est nôtre et qui atteint une réalité universelle" 1 et aussi de force et d'adresse, d'une "langue belle, claire et précise".?

Cet intérêt amplifié du souci de la langue dans les pièces de Dubé écri tes durant les années 60 signifie

peut-être,

à

mon sens, l'aspect le plus universel de

l'oeuvre. Cela m' inci te

à

rappeler l' arri vée de Michel Tremblay au milieu des annees , 60, puisque plusieurs observateurs ont affirmé que Dubé s'était retiré avec

l'arrivée de Tremblay. On se souvient d'une certaine

polémique qui a surgi alors soulevant des discussions parmi les intellectuels et critiques de théâtre.

En mars 1968, la lecture publique des

Belles-Soeurs

éclate comme un coup de tonnerre. Nous sommes en présence de deux auteurs importants: d'une part Dubé, en pleine

Royer, Jean, L'Action, 25 nov.1966 2

(40)

possession de sa connaissance de la dramaturgie, et d'autre part Tremblay qui conserve une vision populaire tout en créant des structures dramatiques sophistiquées. On peut parler "joual" au théâtre; désormais on devra le faire sinon on risque de ne pas avoir l'air vraiment québécois.

L'oeuvre de Dubé s'est-elle détournée de sa voie et celle de Tremblay l'a-t-elle remplacée? Question que plusieurs se sont posée et se posent encore aujourd'hui.

Il s'est produit avec l'arrivée de Tremblay un

changement d'attitude du public face au théâtre. Ce dernier répondai t peut-être davantage aux goûts du temps,

à

la tendance qu'on avait

à

l'épIque de se personnaliser, de s'identifier, de se voir le plus parfaitement possible québécol~. Pour ma part, je ne crois pas que la venue de Tremblay ai t provoqué un bouleversement ou une mutation

chez Dubé. A ce moment précis, Dubé développait les

symptômes d'une maladie qui devait le garder loin du milieu théâtral pendant plusieurs années. Les gens ignoraient cette réalité gardée secrète selon les désirs de l'auteur.

On a sans doute trop identifié Michel Tremblay au "joual" qu'il a utilisé dans ses pièces. Tremblay a voulu faire revivre des souvenirs d'enfance et dl adolescence vécus sur le Plateau Mont-Royal, comme Dubé l'avait fait en mettant sur scène ses souvenirs du "faubourg

à

la mélasse".

(41)

Précisons que le "joual" est un phénomène montréalais. On ne parle pas "joual" au Lac-Saint-Jean, en Gaspésie ou dans Charlevoix:

Dubé a presque cessé d'écrire quand

Tremblay est apparu. Peut-être

s'est-il demandé: faut-il changer

cette langue que j'utilise? Le

français de Tremblay est beaucoup plus beau dans ses romans que dans ses

pièces. Tout à coup Dubé ~'est

arrêté, alors Tremblay a commencé

Un fait indéniable est que le temps a passé et que Michel Tremblay est devenu le dramaturge québécois le plus célèbre et le plus connu au niveau international. Suite au commentaire émis par Jean Duceppe, on doi t se poser la question suivante: Comment Tremblay peut-il remplacer Dubé alors qu'il oeuvre dans un champ totalement différent? Les deux auteurs sont d'excellents techniciens du théâtre. Quand le spectateur assiste

à

une pièce de Dubé, il ne

s'ennuie jamais au niveau de la technique. C'est un

spécialiste. Le romancier ou dramaturge qui construit mal son roman ou sa pièce est un amateur. Un bon dramaturge construit sa pièce et c'est ce que fait Dubé. Nous nous retrouvons devant l'oeuvre d'un architecte dont la maison

3

Duceppe, Jean, Dubé raconte, cassette inédite 12.

(42)

se tient: vous pouvez ouvrir la porte, entrer dans l'immeuble, vous installer dans l'appartement et l'édifice ne bougera pas, parce qu'il est bien construit. C'est la même chose pour Michel Tremblay: ses pièces sont toujours admirablement construites. Nous nous retrouvons devant une oeuvre bien charpentée, mais qui manque, du moins d'après certaines critiques, d'universalité:

Les milieux sont les mêmes. Mais

Tremblay en a fait un drapeau et ça c'est mauvais. Il s'interdit de cette façon l'accès

à

l'universalité. Même

A

toi pour toujours ta Marie-Lou qui

à

mon avis est son chef-d'oeuvre, cela vous tire les larmes parce que que vous ~tes québécois et ron parce que vous etes homme ou femme

Comment Tremblay peut-il diminuer ainsi sa propre inspiration? Pourquoi s'interdire l'accès

à

l'universalité

alors que c'est aujourd'hui l'écrivain québécois qui

réussi t le mieux

à

l'étranger? Le drame qui se déroule dans A toi pour toujours ta Marie-Lou est vécu dans plusieurs sociétés

à

travers le monde et c'est justement pourquoi cette pièce a été jouée en Europe, aux USA et au Canada anglais. C'est un drame humain dans lequel les hommes et les femmes en tous lieux se reconnaissent, parce

4

Ethier-Blais, inédite 4.

(43)

qu'ils appartiennent à un milieu distinctif. Mais c'est peut-être cela l'universalité.

Permettez-moi ici de résumer la pensée de Marcel Dubé sur l'évolution culturelle des Québécois depuis les années 60. On a voulu au Québec faire table rase de tout en m6me

temps: de nos systèmes d'éducation, de nos pratiques

religieuses. On a mis de côté les efforts qui avaient été faits pendant des années pour améliorer le français dans les écoles, le français parlé dans la vie de tous les jours. Des enseignants, des intellectuels ont cru que c'était bon d'affirmer que le "joual" , c'était notre langue. Pour Dubé, promouvoir le "joual", comme étant le langage des Québécois, c'est inculquer aux jeunes de fausses notions, c'est leur apprendre les chemins de la facilité, c'est les conduire a " une certaine indigence

A

d' espri t. Cela reste déplorable et évident, me me encore aujourd'hui. Les jeunes n'ont plus de vocabulaire. Trop souvent, ils s'expriment mal. L'anecdote suivante suggère une explication de ce phénomène:

Nous étions un jour dans une

polyvalente en compagnie de 26

professeurs de français dont 6

seulement défendaient encore les

valeurs de la langue française

(44)

des années 70 et même aujourd'hui

qp

en est pas encore complètement sorti

Dans ses premières pièces, Marcel Dubé essayait de faire parler ses personnages le plus près possible de la réali té sociale. Plus tard, il a réfléchi sur la vraie raison d'une langue. Il pensai t

à

toutes ces luttes livrées pour préserver une langue qui malgré tout s'était corrompue pour devenir presque méconnaissable:

Le problème de l'identité des Québécois a

commencé dès qu'ils se sont vus dans l'écran de télévision. On en parle encore aujourd' hui de

l'identité nationale des Québécois, mais je

pense qu'on en parle trop. La période où on devait se trouver, s'identifier est terminée. Maintenant on revrait s'ouvrir beaucoup plus au reste du monde

Marcel Dubé voulait que la littérature québécoise se développe de plus en plus, qu'elle prenne de plus en plus d'importance

à

nos propres yeux et aux yeux des autres. Il a été très pudique dans ce qu'il a écrit. Il livre beaucoup de lui-même dans les Poèmes de sable, mais il a toujours gardé une certaine modestie sur ses propres sentiments. Il n'a jamais voulu les faire connaître sur scène

à

travers

5

Dubé, Marcel, Dubé raconte, cassette inédite 12. 6

(45)

ses personnages. Il sont apparus dans ses pièces sous des formes très déguisées.

Les opinions exprimées par Dubé sur le "joual" représentent un pojnt de vue individuel. Elles ne doivent pas mener

i

attaquer Tremblay comme écrivain. Car m~me si ce dernier est associé à l'utilisation du "joual" comme symbole d'identité, sa réputation

i

l'étranger n'en a pas été amoindrie. Dubé et Tremblay sont des auteurs qui tous les deux se sont attiré les éloges des critiques. Il est toutefois important de retenir qu'ils servent deux genres

différents. Tremblay a fait jouer les Belles-Soeurs

à

Paris. Les critiques ont accueilli la pièce avec des louanges réservées aux meilleurs écrivains. On pourrait en déduire que le "joual" de Tremblay obtient autant de succès en France que l'oeuvre d'Anne Hébert qui a fait carrière dans la ville lumière ou encore que celle de Jacques Godbout dont l'oeuvre est édi tée aussi bien

à

Par j s

(46)

LA MALADIE DE DUBÉ ET SON OPINION SUR

L'ÉVOLUTION DE LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE.

Une r,Tande ami tié liait Marcel Dubé à l'équipe des comédiens. Après le travail et à la suite de premières, un

esprit de camaraderie existait. Les artistes se

retrouvaient dans des lieux particuliers où ils pouvaient se réjouir, rire et avoir du plaisir. Ils se sentaient tous fortement liés par ce sentiment d'amitié. C'était la vie extraordinaire du théâtre après le théâtre. Des liens naturels s'étaient développés entre eux et ils sentaient le besoin des se retrouver le plus souvent possible.

Dubé éprouve beaucoup de reconnais~ance pour les

artistes, hommes et femmes, ainsi que pour les metteurs en scène avec lesquels il a réalisé son oeuvre.

Tel que mentionné auparavant, l'arrivée de Michel Tremblay a coincidé avec la maladie

à

laquelle Dubé a dû faire face à la fin des années 60. Cette maladie l ' a obligé

à

se retirer. Il fut hospitalisé à plusieurs reprises. Ses amis gardaient un contact constant avec lui parce qu'ils

s~vaient que Dubé avait besoin d'être entouré et non laissé seul

à

lui-même. Mais après cette longue maladie, ses amis

(47)

et collaborateurs éprouvaient de la difficulté à rentrer en contact avec lui. Ils avaient l'impression qu'il avai t disparu, ils étaient inquiets.

A un certain moment de sa vie, Dubé a senti le besoin de rompre avec le milieu artistique. Vers la fin des années 60, il passait des nuits blanches avec des amis dans les restaurants, parfois jusqu'à la levée du jour. Ce style de

vie lui laissait un sentiment de néant, i l avait

l'impression de se diriger vers un cul-de-sac absurde. Après une nuit mouvementée, il est rentré chez lui et a senti le besoin de poser un geste définitif. C'était au mois de mars 1968, la température était belle et Dubé s'est retiré dans une auberge de Saint-Marc-sur-le-Richelieu. Parti pour trois jours seulement, i l y est demeuré deux

ans. La maladie soulevait chez lui des sentiments

d'inquiétude et surtout de peur. Il craignait la souffrance

physique et la mort qui demeurent quelque chose

d'exceptionnel dans la vie d'un être humain. Il se sentait de plus en plus malade, i l en était conscient, mais il se refusait à voir un médecin qu'il n'a finalement consulté qu'en 1971. Cette maladie le minait depuis déjà deux ans. Ses amis étaient troublés. Dubé avai t pris la décision

d'aller jusqu'au bout de ses démarches médicales. Il

voulait être le témoin de sa maladie:

(48)

Je me suis cr~~ une volont~ qui ~tait extirieure â moi-m~me, qui itait plus forte que moi. J'ai refusi le pire. C'itait dans la solitude et avec l'appui de midecins, de certaines inf~rmières que j'ai it~ capable de passer à travers

Il fut admis d'urgence dans un h6pital: il souffrait de la maladie de Krone et les midecins doutaient qu'il puisse s'en sortir. Il subit une première intervention chirurgicale qui a duri onze heures; par la suite, i l a dû

~tre hospitalis~

i

plusieurs reprises et souvent pour de longues duries. Les soins hospitaliers se sont ~chelonnis

sur une piriode de sept annies et en 1977 il fut guéri. On peut dire qu'après l'~poque de Gratien G~linas qui fut inoubliable dans le thiâtre quib~cois, Dubi l'a suivi. Et la maladie de Dubi coincide ensuite avec la montie de Michel Tremblay.

A certains moments durant sa maladie, Dubé continuait d'icrire. Mais d&jà en 1972, le public montrialais commençait

à

se diversifier. On pouvait chahuter dans les

th~âtres, ce qui détruisait le caractêre sacré que Dubé

avait toujours gardi pour l'art théâtral. Il avait

l' impress ion qu'on trompai t le public, qu'on le n~gligeai t, qu'on bafouait sa conception de l'art dramatique.

(49)

Quand le rideau s'ouvrait sur une oeuvre sur laquelle on avait travaillé

très longtemps, très sérieusement,

c' étai t un moment sacré. Et quand le rideau ,pe baissai t, pour moi c' étai t terminé

Marcel Dubé évoque avec mélancolie les changements draconiens survenus au théâtre au cours des années 70. Ce fut l'époque o~ on demandait aux écrivains, aux comédiens de rester en coulisse, dans un éClairage blafard et où il

y avait dialogue entre le public, les artistes et les auteurs. Ce que Dubé a toujours refusé de faire. Pour lui, une fois une pièce de théâtre terminée, les gens sortent, ils en parlent, ils en discutent ensemble. Ils se font une idée eux-mêmes de ce qu'ils ont vu. Leur permettre de venir dans les coulisses observer les acteurs se démaquiller, c'est tuer l'illusion: pour Dubé le théâtre, c 'étai t

d'abord une belle illusion.

Mais on assistait alors

a

, l'invasion de coutumes barbares. Tout le monde s'est mis à faire du théâtre. Ce que l'on appelait autrefois "les revues étudiantes" devenait du théâtre. Tout le monde devait produire, c'était une sorte de thérapie de groupe:

(50)

Il Y a ceux qui étaient destinés à faire de grandes choses et qui en font encore. A mon avis, il y a beaucoup de gens de théâtre qui n'en sont pas et qui bafouent ce ~ue j'ai aimé le plus, l'art du théâtre

Marcel Dubé,

à

38 ans, était déjà un auteur connu et célèbre. Il rejoignai t tous les gens de théâtre et les artistes reconnaissaient son succès. Son activité théâtrale s'échelonne sur une période d'un quart de siècle et plusieurs t i tres demeurent présents dans nos mémoires: Bilan, Zone, le Temps des lilas, Un simple soldat, etc . Dubé écrivit pour la radio, la télévision, la scene. Il

..

créait des personnages qui étaient

à

l'image du Québécois et pour les comédiens cela étai t passionnant: ils se reconnaissaient à travers les personnages. Ce fut aussi un temps où les spectateurs regardaient de grandes oeuvres à la télévision et les comédiens jouaient de grands auteurs classiques: Chekov, Pirandello, Corneille, Racine ...

Malgré sa maladie, Dubé n'a jamais cru qu'il devrait un jour cesser d'écrire. En 1974 il avait obtenu un congé

de l'hôpital et avait écrit sa première comédie, le

Testament qui se révéla un grand sucees. C'était une

..

3

(51)

adaptation au sens large et libre du L~gatair~ universel de

Régnard.

Dubé a toujours cru que .la li ttératu~e canadienne française était le principal moyen de survivance des Québécois, c'est pourquoi il a voulu exprimer l'identité canadienne française dans son oeuvre. Avant de définir ses personnages, i l tenait à saisir la personnalité du comédien pour qui il écrivait un rôle. Le théâtre était alors en

pleine effervescence et se développait grâce a , la

télévision. c'est la radio, la télévision, le cinéma et le théâlre qui donnaü::nt aux comédiens l ' opportuni té de se

réaliser. Dubé savait écouter, tendre l'oreillp.. Il

observai t et ceux qui le côtoyaient savaient que leurs comportements et témoignages seraient un jour mis en scene au théâtre. Voilà une autre caractéristique de l'écrivain

universel. C'était un meneur de jeu: lorsqu'il se

retrouvait avec les comédiens, il leur confiait ses projets d'écriture; on y reconnaissait toujours le portrait du Canadien français dans différents milieux. Les comédiens savaient que leur rôle respectif avait été écrit pour eux.

Marcel Dubé n'a jamais cru qu'un succès puisse être assuré au départ. C'était un nouveau combat qu'il fallait mener chaque fois qu'il écrivait. Il y avait toujours un risque

à

prendre. Il lui est arrivé de se faire refuser des

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