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Trois Contes de Flaubert : La quête de l'unité

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Academic year: 2021

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(1)

THOIS CONf ES DE FIAUBERl': LA QUÊl'E DE L'UNITÉ

by

Christopher Gascon

A thesis submitted ta

The Faculty of Graduate Studies and Research McGill University

In partial fulfilment of the requirements for the degree of

M:lster of Arts

IJepartment of French Lanyuaye and Li terature

(2)

,(

RESUME

,

,

Les Trois Contes de Flaubert représentent une énigme littéraire que la critique n'a pas encore su résoudre. Le dénouement mystique de chacun des (:ontes, si éloigné du vide existentiel auquel aboutissent les grands romans, mntre successivement une issue similaire

à

laquelle on parvient

à

la suite de cheminements différents en apparence. Nombre de cri tiques n'ont vu dans les Trois Contes, qu'un effort vers une perfection artistiqu~1 et que la "sainteté" n'était pas un motif suffisamment solide fOur lier ensemble les Trois Contes. Il semblerait donc que ces textes soient entièrement autonomes et indépendants les uns des autres.

Dans ce tr avail , nous nous pencherons sur le déveloPJ?Elment indi viduel des personnages de façon

à

retracer le cheminement qui mène

à

l' afOthoose mystique marquant la fin de chaque conte, et

à

voir quelle est la nature de ce salut. Par la sui te, cela nous permettra de constater '-lue l'ordre qui règne dans ces trois textes n'est pas un effet du hasard ou d 1 un simple caprice, mais bien le fruit d'une orgar.isation qui indique que les Trois Contes sont intim::ment liés entre eux.

(3)

1

ABSr

rRACl'

b'laubert's Trois Contes have long been a literary enigma lJefure which cri tics have stwnbled. Unlike the major novels of l"laubert, these COntes offer a rore optimistic view of the wor hi. 'l'hough edch story unfolds different~y, the heroes find similar salvations tIlruugh metauorphosis. In sorne instances this has been referai to as sanctity,

whi~e in other cases, it was not deemed a p:>Werful enouyh rotif to link Trois COntes toyether.

The study at hand will strive to show, by analysin<j the development of their }l8rsonali ty, how each C'haracter self-rediizes ar1Ù finds sa~ vat ion . As we proyress throuyh the three texts, it will become apparent that a sequence was intended for the redder ta follow, and that the order in which the texts were published is cdiJi tdL.

(4)

(

l Nl'NODlK .. 'TION

Les Trois Contes de Flaubert, s'ils sont "troi8 chefs-d'oeuvre absolus et par fai ts Il ( 1 ), ne cessent pa,s pour autant de constituer une

éniyme sur le plan littéraire. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'affirmer llue ces textes sont e..ncore incompris, mais plutôt que l'uni té du recueil n'en a pas encore été véri tablement démontrée. " Flaubert, n'est pas un horrune

à

compartiment. Tout chez lui communique" (2), comme l'affume J.P.Richard. Il est donc étonnant que trois textes d~ lui, publiés ensemble, puissent iJéiraître encore au Jourd 'hui si fragmentés et dénués d'un sens unique. Ces trois contes, si trans~~rffilts lorsqu'ils sont lus séparément, deviennent tout à coup obscurs dès lors que l'on cherche

à

les lire COirune un ensemble cohérent. Selon Per Nykrog, qui s'est livré

à

une analyse structurelle des Trois Contes, les critiques préoccupés depuis lonytemps de cette question de leur unité ne semblent pas avoir trouvé autre chose que l ' hypothèse d'un effort vers la perfection artistique(3). On sait déJà que tout le travail d'écrivain de r'laubert tend vers la maîtrise absolue de l'écriture; il le rappelle souvent lui-même dans sa CorresfX:>ndance. c'est ainsi que certdins, dont Jane Fletcher, ont abordé les 'J'rois Contes, qui les <..."Ompare

à

l'ensemble de l'oeuvre pour établir cOllunent ils s' y insèrent. Selon elle, les Trois Contes représentent un micr<xx>sme de l'oeuvre entier. D' autres, corrune Michel 'Iburni€r, n'ont pas manqué de noter

1. 'l'héodore de Banville, cité dans Oeuvres de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, p. 585.

2. Jean-Pierre RiChard, Littérature et Sensation, (Éditions du Seuil, 1954) p. 134.

(5)

-'

que ChaCW1 des trois textes se rapportait dans sa chr0noloyi~

à

L'un

des grands romans: "Un Coeur simple"

à

Madame Uovar

i..:

la" LL-'<jt.md~ de 13aint Julien l' Hospitalier"

à

La. Tentat.ion de Saint Antoine: "llén.x.ilds"

à

SalanunbÔ. Mais cette constatation est-elle vrdiment Sdt is tclis<lIlll~? on p::>urrai t aJouter par ailleurs que l' orùre Je rédact ion des conles est représentati f d'une tendance propre

à

1" Laubert: cette cl. l tenklllce

constante entre le l>résent et le p:lssé où i l puise tour d lour ses sUJets. POurtêlflt, cette idée ne nous renseigne yuère dùvdllLc\lje sur les Trois Contes en tant qu'oeuvre autonome, et ne fait que les dssorLir ~u

reste de 1;:: production fldubertienlle. Ce qui impJrlè par-dessus tout, c'est de trouver un fil conducteur LlU1 se déroule

à

trdvers ces trois textes, ce qui nous permettrait d'en faire Wle lecture L'Ollt inue pLutôt qu'un déchiffrement frd~mentaire. Que les 'l'rols Contes soient indissociables du reste de l'oeuvre, celd est indéniable. Si l'on se contente d'en faire une analyse thématique, conune le proi-Ose '1' .A. Unwin, on verra qu'un examen sorrunairE:.' suffit j;X)ur y reconnaître des trai ts typiquement flaubertiens (4) • Nais

encore, le my::;tÈ!re Jes Trois Contes demeure entier. Bien entendu, i l est possible de

retrouver dans chacun des contes la marque de l'auteur, se::; procédés théma.tiques et techniques qui font l'essence même ùe son écriture. Heconnaître que les Trois Contes sont de lui, qu' 11 Y atteint 1 e l:iOlUmet de son art, ne répond pas

à

la question que plusieurs se sont po::;ée ct

à

laquelle, finalement, bien peu ont réuss1

à

réj;X)ndre vrauœnt. lJes

4. TilIothy Contes" ,

A. Unwin, "La présence de Flaubert clans (Les Amis de Flaubert, décembre 197U) p. 14.

2

(6)

(

analyses structurelles corrune celle de Per Nykrog ou des approches thématiques comme celles de Victor Brornbert, de T.A. Unwin et de J.P. Richard n'ont fXlS réussi à eXfOser une uni té linéaire d'un conte à l'autre.

'rrès souvent, les analyses thématiques confinent à une lecture psychanalytique de l'oeuvre, et l'on commence

à

chercher dans le texte les intentions de l'auteur plutôt qu'un système de correspondances qui Inettrai t en lumière la structure même du conte. Faute de trouver dans lp.s Trois Contes des récurrences thématiques, la plupart des critiques se sont Jusqu'à présellL rabattus sur ce que Frederic J.:trneson appelle un lIotif idéolO:Jique: la sainteté. Certes, la "sainteté" joue ici un grand rôle, et l'extase mystique qui couronne en quelque sorte chacun des contes est un ind i ce révélateur. Victor Brornbert insiste beaucoup sur le fait que la sainteté est un thème imfOrtant pour la compréhen-sion de l'ensemble de l'oeuvre ùe Flaubert, qu'il s'agisse de Saint AntOine ou des Trois Contes, puisque les héros, tourmentés par leurs propres faiblesses, ne peuvent que rêver d'une fuite impossible, toujours en proie

à

une aSiJiration vers l'infini. C'est ce désir, et cette insatisfaction oui s'ensuit, ajoutés

à

une condamnation iJerpétuelle de soi, qui l'y conduit(5). Pour T.A. Unwin également, la réponse se trouve là: "Le fil coooucteur se trouv~ bien sûr dans la sainteté" . (b) U y voit les sentiments qui caractérisent, dans une iJerspective tour à tour différente, les Trois Contes. Chacun d'eux

~. Victor Brombert, The Navels of Flaubert: A Study of Themes and Techniques, (Princeton University Press, N.': " 1966) J:? 232.

(7)

exprime la tensio'1 entre fanatisme et lucidité, dévouement et détachement, entre deux manières de voir la réalité(7). POurt<-Ult, vroposer d'établir un lien entre les trois cOlltes sur Ulle coïncidence de leur dénouement ne constitue pas une raison sutLisante }X)ur y

affirmer la présence d'un fil conducteur. II reste encore ~1 voi r le cheminement particulier qui finit !:Xlr mener chacwl des tlérm;

à

ulle afOtnéose . 0,1 peut d'abord y voir une prO:1ression par,lllèle; ou encore, si l'on met en lumière les nüments-clés, 1,Jeut-on relever 1d

marque d'un procédé similaire qui pourrdit constituer uTle belse de relation entre les personnages et, donc, entre les contes eux-mêmes..' Cependant, on ne trouve pas dans 'l'rois 0:>ntes un schéukl ou une construction yui permette de les lier sur Wl plan structurdl. Situés

à

des époques distinctes, chacun se dérouldnt dans un mi 1 ieu soclal différent, les Contes n 'otfrent d'abord aUCWle pnse

à

qui veut y

trouver des rapports trilatéraux.

Ce qu'il faut faire avant tout, c'est ct' écarter ces trois lextes du reste de l'oeuvre pour mieux voir cOHunent ils remplissent une fonction en td!lt que récits autonomes. Pour I;eld, i l faudrd VUlr Les Trois Contes non pas séparément, ce qui nous ramenerait

à

les aSSOCler aux romans, mais 'plutôt d'envisager les trois ensemble, IJlOlJdlement, en regard l'un de l'autre, de façon

à

les vou CO,TUne indisS<JClctbles. S'il faut en croire Flauoert lUl-même, les 'l'rois Contes sont essentiellement liés par le simple fait qL.' i l tenait

ct

les putJLler ensemble,

à

leur donner le titre générique qui les en(j lO!)e; et i l

7. id., p.14.

(8)

-r

voulait aussi les encadrer par un "carré long" (H), en couverture pour

les contenir. Pourquoi avoir autant insisté sur ce détail?

Um~ lecture synoptique des trois contes n'est certes pas aisée. Flauoèrt, qui avait le don d'''ahurir'' la critique et qui s'en amuStüt(9), semble avoir J.Xlsé là une énigme totalement déroutante, et c'est sans doute flOur cela que la cri tl.que a })référé, le plus souvent, étudier cette oeuvre en volets, indépendants et autonomes.

Si l'on envisage les Trois Contes dans Wle perspective globalisante, le premier indice thématique qui saute aux yeux est effectivement celui de la sainteté. L'intérêt que FlaUbert fXJrte

à

l'Histoire et

à

la religion, afflrme Jane Bancroft, vient du fait qu'il envü,agealt l'artiste et le créateur comme une sorte de saint IIDderne( 10) . Cette idée a été appruiondie par (1irljaret Tillet qui L.'ompare les exi'jences de l'ascétisme, corrune l'entend Flaubert, au dévouement total de l'artiste(ll). Il faut ici prendre garde

à

ne pas considérer l'oeuvre dans l'éclairage de la psychdnaljse, ce contre quoi Unwin nous prévient; 11 demande par ailleurs si vouloir faire une

H. J:o'laubert Il' emploie Jamëüs le roc>t rectangle dans sa cor res-fXJndance et recourt toujours

à

cette périphrase incohérente. Tiré de R. IJebray-Genette, "Flaubert: Science el.. écriture", (Revue d'Histoire Littéraire de la France, no. 415, juillet/octobre 1981) p. 50.

«). Let tre

à

Madame Roger des Genet tes du 3U mai 1877. Tirée des

Oeuvres de FLaubert, Bibl iothèque de la Pléiade, tome II, p. 690. 10. Jëll1e Bancroft, "J:o'lallb8rt' s Légende de Saint Julien: The Duality of

the Artist-Saint", (L'Esprit Créateur, vol.l, Spring 1970) p. 75. 11. Voir Maryaret Tillet, "An Approach to Hércrlié\s" (.i:"rench Studies,

(9)

psychdnalyse des rrorts n'est pas tenter l'imfOssible(l2).

le plus sûr que nous ayons fX)ur l.'OflIldître la pensée de r'lduOer L, mis d part sa production même, est bien entendu sa corresp.Jl1ddI1Ce, où iL confidi t ses pensées les Vlus intimes. Plusieurs leLtre:;; IlllUS permettent d' établlr Sdns équivoyue deti liens entre ce '-IUl relève Je Sd psyché et ses proiJres personllayes. i l a décrIt

cl

plUSleUrti cejJrises son métier en termes passionnels: "Je mène Ulle Vie âvre, déserte de

toute Joie extérieure et où Je n' di rien .t-'Our me retenlr yU' une eS1-Jèce de raye permanente, qui pleure quelqueEc>ls J' lIniJul SSelnce, lluis yUl esl continuelle. J' a~me !l'On travail d'un dJIDUr idnêlt ly'ue eL perverL l, conune un ascète le cilice qui IUl <Jratte le ventre". ( l3) un n!~OIUld

î t

là la r-Xission sacrificielle de l'arListej lIlai s veut -011 dire qu'ull mysticisme esthét~que dû au seul rapprochement de La sdlllteté tisse vraiment un lien organique entre les TrOIS Contes: Celct ne sellllJle ~Alti

plausible, ou du roins ne fait yuère yu'eftleurer id surLice des choses. Certes, on voi t clairement dans cet te descr lpt ion de so l

l'automate qu'est devenu Félicité qm, à force de subtr les lnJustices des nommes, n'évrouve plus que très vayuement ses Sel1Sd t 101lS, SeU IS pouvoir les par tdyer j Julien, qUI dOIt tout cü:>alldolllle r et continuellement résister au seul plaisir yu' il évrouve, celui de tuer des aninaux; et laokanann, à qui l'on a tout enlevé eL clu'on ct rédUit ,:.

l'implacable soli tude du cachot souterrain. Ma.is si l'on trouve là des

12. unwin, !? 13.

13. Lettre

à

Louise Colet, le 24 avril (Édition Rencontre) vol. 6, ~. 259.

6

(10)

---~

-1

exemples des rigueurs de l'existence, cela ne saurait encore suffire

lx>ur lier profondément ces trois textes. Conune l'a re1nar':lué Ivti.cnel Uutor, avec d' dutres, i l reste yue, mêrre si cela les fdi t se r~ssembler

dd.ns leur propre Jéroulerrent, ils ne s'en rattachent .f?Cis moins au reste de l'oeuvre. on retrouverd ilisément le même vrocédé dans tous les rOllldIls de l"laubert: l'accumulation et la déperdition systémat1ques, ce IlDùvemellt cycliyue yui aboulit inévitablement

à

l'anéant1ssement de tout. Aucun des héros fLaubertiens n'y éChdppe. En fait, il ne s'agit plus vrdiment d'ur. prœéJ.é, IraiS d'une vision qU1 imvrègne l'oeuvre ent 1er. 'l'out conune les héros des romans, ceux des Tro1s Contes sont victimes de ce ':lue Jules de Gaultier définit comme le bovarysme: "cette facult~ de se concevoir aJtre que l'on esti mai s yui réside bien davantaye dans l'impu1ssance de concevoir llue l'on soit quoi que Faute de ~uvoir donner un sens

à

la matière même du nonde, tous ces personnages la regarde se défiler. I::n C'ela non plus,

les héros des 'l'rOlS Cont~s ne diftèrent vas les uns des autres, ni de ceux des <jranùs rOlllaJ _s.

On ne semble f..-tis trouver ddl1s la structure formelle des indices '-:lui permettrdient Li' associer les contes les uns aux autres, ou même certdins qUi les distingueraient du reste de l'oeuvre. Cependant, on re lève dans leur fin une a trosphère tout

à

fait nouvelle. Contraire-lnent au "pessimisme absolu des oeuvres antérieures" (l5) il semble f Latter ici un optimisme qui se traduit dans l'extase mystique

à

14. Cité in J.P. Richard, p. 148.

(11)

1

laquelle accède finalement chacun des héros. Cette divergence par rapport au reste de l'oeuvre nous amène

à

envisager les c'Ontes dans Ulle

perspective distincte.

carla Peterson a signalé que Flaubert avait voulu indiquer l' wüté de ces tex.tes en les publiant ensemble sous le titre: 'l'rois Cailles. Ce titre générique mérite-t-il une attent.ion particulière'" I::n

réunissant ces contes sous un seul et même titre qui les déSigne, sans apprêt, Flaubert les liait de fa~on neutre, mais incontourUdbLe. lJalls une lettre

à

son

OOi

teur, 11 note que "le titre est très IIlduvai::J et sans aucun galbe ... ", ma.i s i l Y tenai t quand même. Et iL ajoute:

Il • • • il n' y u pas de filets encadrants les noms des contes. Ne pas

oublier que, sur la couverture, i l faut un carré long

L •••

J

pour

enfermer les titres deD trois contes." (lb) Corrunent ne pas .l;J8nser que ces trois tex.tes sont liés puisque sur la couver ture même du recuei L, les titres respectifs doivent apparaître encadrés d'un même filet. Par ailleurs, il Y a un autre indice d'unité qui a fait couLer bedUCOUp

d'encre, et c'est sans doute celui sur l€y'uel i l a été le pLus difficile de faire l'unanimité, probablement parce qu'il est le plus flagrant et sûrement le plus gênant: l'ordre même ùe la publication, qui diffère de celui de la rédaction. On sait que ~laubert,

exténué par l:louvard et Pécuchet et dérrorallsé pa.r id faillite Cornmanville corrunencera, lors d'un séjour

à

Concarneau en comp:1ynie de Georges Pouchet,

à

écrire la "Légende ùe saint .Julien l'HoSpitalier", "uniquement pour LsJ 'occuper

16. .Lettre

à

Georyes C'harpentier, avril H377 ,

(~ition Rencontre), vol. 16, p. 331.

8

-,

a

(12)

(

(

chose, pour voir s' [il] peue encore faire une phrase •.. Il (17) Pendant

qu'il rédige cette hi.stoire qui "n'est rien du tout, [à laquelle il] n'attache aucune importance" (18), l'idée lui vient de faire "Un COeur simple", où il révélera sa nature tendl:t'j et ensuite, il pense

à

la "vacherie d' Hérode" pour "Hérodias". (19) Mais que dire de l'inversion dans la publication? Maryaret Tillet voit dans ce renversement un retrait proyressif de l'auteur vis-à-vis du lecteur. W.J.Beck ajoute

à

cette hypothèse que Flaubert, toujours attiré vers l'idéal, inverse l'ordre chronologique des contes et fuit les valeurs bourgeoises de son époque en passant par le r.t:>yen-Age, pour finalement se retrouver dans l'Antiquité. Certes, on connaît bien la passion qu'a Flaubert pour les temps anci ens . Sa correspondance déborde d'insultes pour ses oontemporains qu'il voulait fuir par tous les noyens. Ce "polycarpe" du dix-neuvièlOO siècle était fasciné par l' histoire ancienne. Ses écri ts de jeunesse ainsi que SalanunbÔ et "Hérodias" en ténoignent. Mais ce remaniement ne semble avoir de sens que pour signi fier le dégoût de Flaubert J:JOur son siècle.

encore, nous esquivons la vraie question en tirant une conclusion rapide et qui n'est en rien révélatrice. Il faut plutôt se pencher sur les Trois Contes pour en faire jaillir la substance intrinsèque. Dans son article "Trinity in Flaubert' s 'l'rois Conter;" carla Peterson a exposé quelques hypothèses

17. Lettre à Mme. Roger des Genettes du 3 octobre 1875. Tirée des Oeuvres de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, p. 682. 18. Lettre à Edmond Laporte, 2 octobre, 1875, Correspondance, (Édition

Rencontre), vol. 15, p. 388.

19. Lettre à Mme Roger des Genettes, fin avril 1876. Tirée des Oeuvres de Flaubert, Bibliothèque de la Pléiade, tome II, p. 684.

(13)

.-.

très intéressantes qui rattachent l'ouvrage à la théor ie théol09ique ùe

Joachim de F'lora(20). CE:tte hypothèse divise le Lemps historiqut! en trois époques: celle du père (dvant l'ère chrétienne), où règnent la peur et l'esclavage; celle du fils (qui va du début ùe l'ère chrétienne au Moyen-Age), où la fidélité, la discipline et la soumission filiale prédominent; et finalement, du t>t:>yen-Age au temps présent, l'époque du Saint-Esprit où dominent la contemplation, l' alOClur et la liberté. De plus, Joachim de Flora indique que ces époques ne sont pas absolument distinctes l'une de l'autre. Les événements propres

à

chacune se voient préfigurés dans la précédente, ce qui lX)rte

à

croire qu'elles ne font que se répéter. Par ai lleurs, puisque les trois "personnes" de la Trinité sont éyales et semblables en nature et en fonction, il faut voir dans les rrrois Contes, où l'on associe "Un Coeur simple" au Saint-Bsprit, "Saint Julien" au l"ils, et "Hérodids" au père, une sorte de cycle historique continu, vision typiquement flaubertienne. Cette approche a permis

à

carla Peterson de voir d,llls les contes un procédé éducatif, répétitif mais non proyressif. i l

semblerait que ce soit là, justement, que se trouve l'axe sur lequel repose le lien des Trois Contes. Ailleurs, il est

à

toutes fins pratiques indiscernable. Inciderrunent, Michael Issacharoft, dans une étude détaillée de la structure des Trois Contes, bùggèrt! que, vus sous cet angle, on ne peut qu'en faire une lecture non linéairt!.

20. Voir carla Peter son, "The Trinit y in Flaubert's Trois Contes: Deconstructing History", (French Forum, vol.

a,

no.3, Bept. 19~3)

t

(14)

-1

Par contre, en abordant les contes p3.r leur aspect mystique, et en considérant l'état de grâce qui semble hablter différemment chacun des héros, on ne peut manquer de voir un rapprochement. Puisque la simple notion de "sainteté" ne saurait suffire, i l faudra retracer le cheminement individuel des trois héros pour voir de quelle façon chacun arrive

à

son a{X>théose finale. Ce tracé prend la forme d'une éducati.on personnelle dont les traits apparents sont différents, mais dont l'aboutissement est similaire, tout comme les trois "personnes" de la Trini té sont égal8s en nature et en fonction, quoiqu'elles puissent prendre des formes distinctes.

Cet te étude a donc pour but d'examiner dans les Trois Contes de flaubert ce qui marque le cheminement intérieur de chacun des héros, pour voir pourquoi et corrunent cette évolution conduit finalement

à

l'extase mystique. Il s'agira surtout de s'en tenir au développement psychique des persormages. Pour cela, il m'a semblé utile de me baser sur le processus d'individuation selon Carl Gustav Jung pour faire res-sortir les éléments formateurs chez l' individu. L'âme, selon lui, est en péril

à

lIoins que certaines conditions soient remplies, et ce sont ces conditions qu'il nous paraît intéressant d'explorer ici(2l). Une

21 • "Nous ne possédons aucune physique de l'

âm.2

~ nous ne sommes même pas capables d'observer ni de juger l'âme d'un point archirnédique extérieur: nous ne connaissons donc d'elle rien d'objectif, et d'ailleurs tout ce que nous connaissons de l'âme, c'est précisément elle-même: et pourtant elle est notre immédiate expérience de vie et d'existence. Elle est

à

elle-même l'unique et inuuédiate expérience et la condition sine qua non de la réalité subJecti ve du nonde en général. Elle crée des symboles qui ont pour base l' drchétype inconscient et dont la figure naissante surgit des représentations acquises par la conscience."

carl Gustav Jung, Métanor ses de l'âme et ses s les, (Librairie de l'universite, Geneve, 1967 p. 386.

(15)

1

- - - .

indi viduation réussie dépend de l'équilibre psychique que maintient chaque individu entre Ron pôle conscient et son pôle incollschmt, assurant que l'un et l'autre participent activement à sa vie. Ce n 'l~st liue de cette façon que l'individu peut se réaliser pleinement. Le

développement de la personnalit& est un processus dctif, de id naissance jusqu'à la IlOrt et, à travers celui-ci, tout indlvidu est confronté

à

la tâche d'assurer son évolution. L'individuation de chacun n'est pas forcément la même, tout comme les symboles qui, selon Jung, peuvent prendre une multitude de formes pour désigner la même chose. Ce procédé n'est pas rigide, et seul importe son acco'11plissement. Ce n'est qu'après avoir sui vi le développerr.,"·nt de chacun des héros qu' H nous sera .fX)ssible d'envisager une continuité

à

travers des contes qui nous proposent un protil divisé et partdgé de trois approches différentes.

En général, la personnalité se forme en deux temps; d'aoord en passant par le pôle inconscient, quand l'on apprend sans savoir CI:! que

l'on apprend, ensuite, par le pôle conscient, celui du rationneL. Ce qui importe .fX>ur chacun des héros, c'est d'dtteindre ce que Jung nonune le IIlvbi", c'est-à-dire la prise de conscience, ce qui, seLon Geor<.:Je lvbskos, est une entreprise hasardeuse en soi (21) • Pour l'atteindre, l'individu doit parfois lutter, lJëlrfois se laisser aller, mais i l doit avant tout permettre

ci

ses fÔles conscient et inconscient

21. William J. Berg, Michel Grimaud, Ge(x<.:Je r-bskos, Saint Oe<iiiJUS, (Ithaca and London, Cornell University Press, 19~2),

p.

115.

(Traduction libre)

(16)

-1

1

d'agir l'un sur l'autre, sans tenter de réprimer l'inconscient, ce qui le retiendrait dans un état de dépendance, ni trop valoriser le côté conscient, ce qui ferait de lui un être "dé-naturé". la découverte du "t-bi Il se si tue dans la connaissance et l'acceptation sans condition de ces deux pôles. Ce n'est qu'ainsi que l' indi vidu peut obtenir son salut, salut yui jusqu'ici n'a été vu, dans les Trois Contes, que dans la dimension de la sainteté.

Chacun des Trois COntes est représentatif d'un stade de l'indivi-duation. Le premier, "Un Coeur simple", conune sa douceur et sa naîveté

l'indiquent, est celui de l'enfance. Le thème de l'enfant, selon Jung, est représentatif de l'aspect infantile de l'âme collective(22). Nous verrons, par le biais de ce conte, conunent le pôle inconscient prédomine et pourquoi Félicité en est prisonnière.

Le second, la "Légende de saint Julien l' Hospitalier", est l'expression du cycle complet de l' indi viduation. !.bus y trouverons une très brève esquisse de l'enfance, immédiatement suivie de l'adoles-cence, \tOment de lutte et de rébellion qui signifie la rupture et l'indépendance. Puis, après avoir vaincu les forces de l'inconscient et retrouvé l'harmonie initiale de l'enfance, Julien aura accompli son individudtion.

Le dernier conte, "Hérodias", est celui de la maturité, incarnée J?ëlr Iaokanann. Nous verrons ici les pôles conscient et inconscient

22. carl Gustav Jung, "Contribution

à

la psychologie de l'archétype de l'enfant", Introduction

à

l'essence de la m hol ie, (Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1968 p. 118.

(17)

...

,

s'affronter en tant qu'éléments sociaux . Le pôle conschmt est représenté par tous les persOfmages avides de fOuvoir et Je valeurs matérielles, tandis que les forces de l' inconscient rap~llent

à

l'ordre ces âmes en voie de perdition.

Il nous a semblé préférable d' ëUOOrcer cette étude ,par le deuxième conte, "saint Julien", puisque celui-ci offre la possibilité d'exposer les divers éléments du processus d'individuation permettant ainsi une économie d'explication pour les deux autres contes. Cette analyse nous penœttra de IOC>ntrer la parenté d'un conte

à

l'autre, et cOllunent les trois stades successifs, enfance, adolescence et llldturité, sont présents et indissociables dans cette oeuvre triple.

(18)

-(

CHAPITIlli PruMlER

LA LillU'1DE DE SAINT JULIEN LI HOSPITALIER:

,

RUPTURE l!.--r' RECONCILIATION

LA PHASE INCONSCIl!:NTl!:

Dans la "Légende de saint Julien lll:bspitalier", Flaubert met en place, dès le début du conte, la dichotomie qui régira la vie de Julien. Nombre de critiques n 1 ont pas manqué de remarquer les rôles symboliques que jouent le basilic et 11 héliotrope au l'byen-Age: le premier signi fie la cruauté et le second représente 11 inspiration divine( l) . Fdouard Maynial ajoute que ce sont là deux aspects du devenir de Julien. En suivant pas à pas son pan .. 'Ours, qui semble bien pré-destiné, il sera possible de voir comment se trace son destin personnel qui, par la suite, le mènera à son apothéose finale. Son sort llentraîne tout dlabord vers llaccomplissement d'une tâche héroïque et souvent tragique (2) . Cette tâche se précise dans le processus par lequel les ténèbres de 11 inconscience seront vaincues pour déboucher sur 11 identi té individuelle: la victoire espérée et attendue de la conscience sur llinconscient.

le premier indice du combat à venir, corrune 11 a relevé Raym:mde Debray-Genette, est celui de llemplacement même du château des parents

l. Jane Bancroft, p. 8O-t:3l.

(19)

de Julien: sur la pente d'une colline. Entre ciel et terr~, endroit passablement inusité pour une telle construction: " ... i l n'y aura füur Julien qu'à sortir du chciteau, glisser la pente, la mauvaise, mais aussi dans le sens le plus naturel, pour aboutir à la descente aux enfers." (3) Cette desce.lte est toujours celle qui précède la rellollté~ tinale du héros qui met fin à son initiation et lui permet de devenir pleinement un individu. C'est cela même que Jung appelle

l'indiviùua-tion. Nous savons par ailleurs que la vi~ de Julien n'est pas ré<.Ji~ par les lois de la causalité, mais que tous ses actes et les évén~mellts sont des signes indéfinissables des stades successi fs qui doivent le mener au paradis(4). Il faut donc voir chaque étape comme étant une partie intégrante d'un cheminement inévitable.

Pour Jung, les symboles du "Tout", c'est-à-dire le &>i, ce qui est à tou~e fin pratique le but ultime du processus d'individuation, apparaissent souvent au début du processus(5). IJans "saint JulLen", ce symbole est déjà en place dans l'architecture même du château où les quatre tours d'angle nous permettent de déceler ld représentation d ' l i l mandala. Le mandala, conune l'explique Jun<;3, est le "symbole du centre, du but et du Soi, en tant que tot.alité psychique; dutoreprésentdtion

3. Raynonde lJebray-Genette, "Saint Julien: forme sim~le, fOrIOO

savante", (t-létanorphose du récit: Autour de Flaubert, &:litions du Seuil,

1988)

p. 140.

4. uina Sherzer, "Narrative Fiyures in La Légende de saint .Julien l'tbspitalier" (Genre, vol. VIl, U, ~1arch 1974) iJ. 513.

5. Jung, "Contribution à la psychologie ... ", p. 123.

(20)

-(

(

d'un processus psychic.!ue de centrage de la personnalité, production d'un centre nouveau de celle-ci. Un mandala s'exprime symboliquement. par un cercle, un carré ou la quaternité, en un dispositif symétrique du nombre de yuatre et de ses multiples" (b) • Jun'::J ajoute: "COlrune

l'expérience le nontre, les mandalas apparaissent souvent dans les situations de trouble, de désorientation et de perJ?lexité(7). Or en ce lieu où l' "on vivait en paix depuis si longtemps" (8), "quelque chose devait bientôt arriver."(9)

En

effet, le château est d'abord un lieu de paix et de sérénité où règnent l'ordre et le calme.

"L •.•

J

la

herse ne s'abaissait pluSi les fossés étaient pleins d'eau(lO)i

l ...

J

et l'archer qui tout au long du jour se promenai t sur la

courtine, dès que le soleil brillait trop fort rentrait dans l'échauguette, et s'endormait corrune un roine."lU)

L'univers dans lequel apparaît Julien est ainsi dorulé pour que le nouveau-né pénètre dans l' harIOC>nie la plus complète. C'est là un monde qui devrai t convenir parfdi tement à Julien, dans la première phase de

b. Carl Gustav Jung, M3. Vie, (Éditions Gallimard, 196b) p. 459. 7 . id., p. 459.

8. Gustave Flaubert, Trois Contes, Oeuvres, Bibliothèque de la Pléiade, (Éditions Gallimard, 1952) tome II, p. 623. (TOutes nos références renvoient

à

cette édition).

':L John Fletcher, "A l.'ritical Commentary on Flaubert' s Trois Contes", (St. Martin's Press, M3.c Millan, N.Y. 1968) p. 56.

10. Pierre M3.rc de Biasi, dans son édi tion des Trois Contes, (Garnier Flanmarion 19~6) p. 140, attire l'attention sur le fait qu'il y a ici une erreur de copiste qui s'est perpétuée, et ':lue Flaubert avait écrit: "les fossés étaient pleins d'herbes".

(21)

l

sa vie, c'est-à-dire son étape pré-consciente, où débute ld forl\\dtioll de sa personnalité, un lronde par tai tement protéyé: ct 1 abord par SOli

père, le justicier envelopIJé de sa pelisse de rendrù et qui Jette Uli regard paternaliste sur tout le ronde (dans son rôle de Justicier, Le chef de famille n'est pas loin de suyyérer l' iIllèI.<Je de Uieu le père); ensuite, par sa mère, avec SOIl air sérieux et sail "dOlIlt-'stique rdllyé

corrune l'intérieur d'un m:mastère" (12) . La mère est une dévole qui, "à force de prier Dieu .•. "(13), obtient la grâce d'enfanter un fils.

La naissance "miraculeuse" de Julien fait de lui le Uieu-enfant et l'enfant-héros, "l'approchant tantôt d'Wle cilvinl.té entantlne, tantôl du héros juvénile"l14). Jung explique que ces deux types ont en COlllmWl une naissance merveilleuse. "Le dieu est un être surndturel pur; le héros possède une nature humaine, mais iJOussée Jusqu'à la llmite ùu surnaturel L ••• J" (lS) • t:n eftet, la vie de Jullen, dès Sd plus terure enfance, IIDI'.tre bien y,u' il ne saurait être un \1Wndlll ordilldin~.

D'abord, il ressemble à un "petit Jésus"tlb), et SPS dents poussent sans même qu'il .fJleure. Par la suite, i l échappera plus de vinyt LOlS

à

la rrort, il sera rejeté lXI-r l'abîme et épargné p:ir les f li1llU{~S. Ue

plus, il y a les prédictions faites

à

ses parents: "H.éJOUls-tOl

ô

œrel t.·m fils sera un saintl"; et, "Ahl ahl ton filsl ... beducoup de

12. id., p. 624.

13. id., p. 624.

14. Jung, "Contribution

à

la psychologie ... ", p. 124. 15. id., p. 124.

16. 'l'rois Contes, p. 626.

(22)

-{

san~L .. beaucoup de ~loire1. .. toujours heureux 1 la famille d'un

empereur. I l (17) La première prédiction qui fait de Julien un saint en

puissance et la seconde qui fai t de lui un ~uerrier ~lorieux puis un

empereur 1 illustrent tout à fait la théorie de Jung. De plus, "les

égards infinis"(18) des f-6.rents fOur leur fils qu'ils respectent "corrune maryué de Uieu" (19) nous donnent l' imfJression d'un enfant di vin qui, sans cesser d'être un enfant comme les autres, relève d'un caractère de mysticlsme que l'on corrunence à sou~onner dès le départ. Toute l'enfance de Julien, c'est-à-dire le stade pré-conscient de sa vie, se déroule sans plus d'explication. A peine ses dents . nt-elles poussé que l'on apprend que Julien a sept ans: l'âge de ralson. ,Jusque là, il vi t dans un ronùe clos, hermétique, où i l n' y a pas de question sans réponse, puiSqu'll se trouve dans ~e que Jung ap~~lle la première forme de l'enfant, stade totalell~nt inconscient le plus souvent. Pour ainsi dire, Julien ne participe alors pas activement

à

la vie.

17. id. , p. 025. 18. id. , p. 025.

(23)

"LI enfant" siynifie quelque chose qui yrandit à 11 inùélJènddllce.

I l ne peut devenir sans se ùétacher de 1Iori9ine."(20) Pour que .Jullen puisse devenir cet être qui ne dépend ,lJlus de la }>rotectioll otterle au sein du foye.:-, i l doit absolument le quitter. Ce besoin est !l1d.lli teste

chez 11 individu alors que le pôle conscient, celui qui choisi t et décide, prend le parti de suivre le parcours qui serd le sien }>ropre. Quand 11 individu apprend et retient certaines choses plutôt Liue dl autres, en fait i l choisit et ainsi collunence la Eorllldtion ùe sa personnali té.

Après la phase pré-consciente, Julien J:knètre dans le Ilünùe de 1.1 conscience où i l lui faut apprendre. Cl es t une étape ceue; la le lx.>ur lui, et clest ici qui i l corrunence à slafflrmee en tant qu' lnLiiviLiu. Sa mère lui enseiyne le cnant, E't yrâce

à.

son père il sait oientôt "tout

ce qui concerne les destriers." (21) Son éducation se (dit sur plusieurs plans, de 11 Écriture sainte à la f luriculture, a , la connaissance du monde extérieur d' d}>rès les réci ts Lies avelltur ll~rs et leurs ,Périples, ainsi qu'à llaide des souvenirs Lie yuerre du bOll

châtelain: "Julien, qui les écoutdit, en pJussaü des cris." (22) Ceci confirre au père la prédictlOn qui lui d été tr.1l te.

Cependant, la vocdtion de Julien nlest !Jds encoee très claire, et

20. Jung, "Contribution

à

la pSYChologie ... ", p. 12H.

21. Trois Contes, p. 626 22. id., 1? 626.

(24)

-

--,---l'influence de sa mère le fX)usse

à

la générosité et

à

la bonté: "Mais le soir, au sortir de l'angélus, ql1and il passait entre les pauvres inclinés, il puisait dans son escarcelle avec tant de modestie et d'un aic si noble que sa mère comptait bien le voir par la suite archevêque."l23) Tant \.fue Julien sera sous l' autori té de ses parents,

i l ne i-XJurra falce autrement que de leur l..umplaire, n'ayant pas encore li'initiative ,Personnelle puisque, en quelque socte, il n'est encore qu'un silll}Jle prolongement de ses parents.

wes désirs personnels de ,ruHen ne se manifestent que lorsqu'il est seul, yu' i l fait face au rronde et doit répcndre

à

ses propres intercoyations. C'est alors seulement qu' 11 conunencc

à

agir. En tant \.fU' indivIdu, Julien doit accéder

à

sa pro.tJre ,Personnalité, llui lui I~rmettra de s'identitier, de se distinguer. Cette personnalité, il ne peut l'acquérir tilllt qu'il sera sous l'emprise de ses parents. I l est imfXxtant de mettre une certaine distance entre eux et lui-même et de s'en libérer. Très tôt, des images du désir de libération apparaissent. Conune l'a remarqué G. MJskos, les noments solitaires lie Julien sont souvent sui vis de violences meurtrière&. La première fois, i l ferme la porte de l'église pour se retrouver seul avec la souc is blanche qui l'agace. I l en est troublé et veut la supprimer. Nous dVOllS ici la source d'un carnage <-lui croît;-a de façon presque exponel1 tle lle . IJans sa première soli tude, Jul ien donne la oort: "Au

bout lie très longtemps, un museau rose parut, puis la souris toute entière. 11 frappa un coup léger, et demeura stupéfait devant ce petit

(25)

corps qui ne l:x:>ugeait plus."{24) La stupéfaction de Julioo ne fait qu'augmenter sa propre curiosité. Cette scène est iuunédiatement suivie d'une autre tuerie: celle des oisillons. La naïveté de Julien transparaît encore un peu alors qu'il lui suftit " ... de mettre ùes poi~ dans un roseau creux ... " et d'entier ses Joues f-Our que le!;! bEls t io les

lui pleuvent dessus (~5). .La stupéfaction devient maintendnt de ld malignité: Il • • • il ne pouvait s'empêcher de rire, heureux de Sd

l\Filice." (2b) Enfin, la séquence suivante annonce qu' i l n ' y a plus chez Julien de naïveté gamine. Le pigeon qu'il abat d'une pierre, et qu'il doit chercher dans les broussailles pour l'achever de ses propres mains, rrontre clairement le plaisir que prend Julien

à

tuer des bêtes: "Le pigeon, les ailes cassées, palpitait, suspendu dans les branches d'un troène. La persistance de sa vie irrita l'enfant. l i se mit

à

l' étran~ler, et les convulsions de l'oiseau faisaient tEttre son coeur, l'emplissait d'une volupté sauvage et tumultueuse. Au ùernier raidissement, i l se sentit défaillir."{27) Ce passage suyyér dnt un certain éveil érotique, couune l'a noté G. l'obsKos, n'est pas 101n de ressembler

à

un orgasme (propre

à

la .tJuberté). C'est Wl plaisir indicible que res~ent Julien, un eftet qUl

à

prime abOnl peut nous ldisser perplexe. Cependant, cette scène devient beaucoup .tJlus claire si l'on reconnaît qu'elle préfiljure la dernière du chdpitre, celle où les "deux ailes blanches qui voletaient a

,

la hauteur de

24. id. , p. 627.

25.

id. ,

p.

627. 26.

....

id. ,

p .

627.

...

27.

id. ,

p.

627. - 22

(26)

-l'esp3.lier" ne sout autre chose que le bonnet de la mère de Julien{2(:j). Cette séquence, ainsi que celle où Julien manque de tuer son père

lorsqu'il échappe l'épée trop lOl~de, sont des indications précises du désir inconscient chez Julien de tuer ses parents. A son insu, l'idée de rupture apparaît très tôt chez lui et de façon particulièrement violente. Les deux scènes de parricide manqué sont des indications de cet te condi tion. Au demeurant, le désir profond de Julien est la solitude. Sous la tutelle de ses parents, il se sent étouffé; c'est aussi pour cela qu'il préfère chasser seul: "Il préférait Chasser loin du lronde ... " (29) . Jung dit bien que c'est tout seul q'.le le héros

doit affronter les ténèbres et vaincre les IfOnstres de

l'obscurité(30) .

Au fur et

à

mesure yue son besoin de solitude grandit, les tueries déchaînées augmentent. A partir du moment où Julien devient vraiment solitaire, sa vie familiale se voit transformée. I l commence

par

repousser ses parents: d'abord son père, dont il rejette la meute, les faucons et les di ver s engins de chasse qu'il a reçus de lui, couune de "COIlumes artifices" (31); puis, sa mère, dont il refuse les étreintes et les caresses.

Julien est au seuil de la conscience, sans pourtant pouvoir y accéder encore. Les parents et le château sont des éléments trop

28. id. , p. 633. 29. id. , p. b29.

30. Jung, "Contribution a , la psychologie •••

.,

, p. 126. 31- Trois Contes, p. 629.

(27)

...

!

puissants pour qu'il puisse s'en détacher si tôt. De plus 1 son éducation, qui a été confiée au IOC>ine, constitue un obstacle additionnel. A ce sujet, Jung explique bien que:

l'exercice de la religion,- c'est-à-dire la répéti-tion du récit et la répétirépéti-tion rituelle du fait

mythique-, remplissent par conséquent le but de toujouro tenir présent, aux yeux de la conscience, l'image de l'enfance et tout ce qui s'y rattache; le but théolO::Jique en est d'empêcher la rupture des liens qui rattachent aux stipulations originelles. (32)

Il n'est pas étonnant que ce soit le mine qui rappelle Julien quand i l part chasser: " ... et le vieux lOC>ine se penchant à sa lucarne, avait beau faire des signes fX)ur le rdppeler, Julien ne se retournait pas. " (33) Le ronde intime de Julien le retient, le bloque en quelque sorte dans son évolution, et pour qu'il puisse se détinir en tant qu'individu, il a recours

à

la chasse solitdire où il se défoule de ce sentiment oppressant. Notons en passant que le vieux rroine et Julien "travaillaient ensemble, tout en haut

ct'

une tourelle

à

l'é<.:art du bruit." (34) Dans la tradition chrétienne, au ~yen-Age en particulier, le sens symbolique des tours était celui d'un lien entre ciel et terre. Elles sont un mythe ascensionnel (35) . On voit là que le rôle du IToine est de Il'dintenir Julien dans son état d'enfant inconscient, tout en

32. Jung, "Contribution

à

la psychologie ... ", p. 12ü. 33. rrrois Contes, p. 629.

34. id., p. 626 .

35. Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, (Éditions Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1ge2) p. 2~l.

(28)

-1

l'orientant vers un salut prématuré.

Cependant, Jl~ien refuse l'harmonie céleste, et il préfère prendre le chemin de la conscientisation individuelle. N'ayant que lui-même conune exemple, cela ne semble encore pouvoir se faire que par la chasse. La première chasse fantastique, où les images de meurtre abondent, indiyue bien que Julien est hanté par une obsession. 'route cette chasse se déroule dans une ooscuri té qui conunence dès qu'il fauche les pattes au coq de bruyères(36), se plongeant ainsi dans la nui t de l'inconscient, partie intégrante d'un ri te de passalje et qui, dans le cas de Julien, marque bien le stade de son développement psychique.

La chasse, conune tout le conte d'ailleurs, est riche de symboles. seul Julien est incapable de voir la dimension symbolique de ses actes. Ses premières victimes, les deux boucs, sont une représentation des parents:

Comme

il n'avait pas ses flèches (car son cheval était resté en arrière) il imagina de descendre

jusqu'à eux;

à

demi courbé, pieds nus, il arriva enfin au premier des roues, et lui enfonça un

poignard sous les côtes. Le second, pris de terreur, sauta dans le vide. Julien s'élança pour le frapper, et, glissant du pied droit,

tomba sur le cadavre de l'autre, la face au dessus de l'anîme et les deux bras écartés. (37)

La IrOrt du second bouc est assurée

à

compter du moment où il se jette dans le vide. Mais cela ne suffit pas pour Julien: le désir de

(29)

...".,.. "LfID.

donner la mort, ou ~lutôt de se débarasser d'une vie qui l'oppresse est beaucoup plus fort, quoiqu'il agisse encore inconsciemment. IJu resle, plusieurs éléments de cette scène reparaîtront au IOOment ÙU pcirridde:

les :pieds nus, alors que Julien se déchausse pour entr~r ddllS Sd chambre; le poignard avec lequel il frappe les coups mortelsi et, après le meurtre, i l s'étend par terre de la même façon: "11 restd pendant la messe,

à

plat ventre au milieu de fOrtail les bras en croix, et le front dans la poussière." ( 38)

Julien est

à

la recherche d'une libération dont i l ne soupçorme pas lui-même les comfOsantes.

c'

est cette inconscience qui le rtilld innocent et qui fait que les bêtes qu'il continue d'abattre le regardent avec "plein de douceur et de supplication." (J<J) La nùtur~

inconsciente semle comprendre et apprécier ce qui se passe en Julien, mais lui ne se doute de rien et il poursuit le lIlaSSdcre. Le carnaye prend fin après qu'il ait abattu le grand cerf noir et sa famille. La

nature, après trop de concessions, exprime son mécontentement dans la prédiction du cerf: "Maudit! maudit 1 maudit 1 Un jour, coeur féroce tu assassineras ton père et ta mère l' (40)

Cette chasse corrunence

à

éveiller la conscience de Julien, mais très lentement. Après le massacre des cerfs dans le vallon, il n'est que légèrement étonné: "Julien s'adossa contre un arbre. l i

contemplai t d' un oeil œant l ' énormi té du massacre, ne comprenant pas

38. id. , p. 643. 39. id. , p. 631.

4ù. id. , p . 632.

(30)

-(

comment il avai t pu le faire." (41) Jean-Pierre Richard note ici que "s'il s'éveillait

à

une nouve~le lumière, sans doute pourrait-il oublier cette horreur, ou du IIDins la considérer conune un épisode nécessaire et dépassé de son accomplissement."l42) Cependant, Julien n'a pas encore l'objectivité qui peut sous-tendre la conscience. Il vit toujours dans un nonde nébuleux et n'est pas encore pleinement responsable de ses actes. 11 ne peut justement pas en saisir la siynification, ni surtout le pourquoi. 'l'out lui vient s,fX)l1tanément et sans réflexion. C'est pour cela qu' i l décoche inunooiatement W"le flèche sur le faon qui tète sa mère, signe d'une dépendance absolue vis-à-vis des parents, situation dans laquelle se trouve Julien lui-même sans être encore en mesure de s'en rendre coIIIfJte, et surtout sans savoir

I.;{U' il doit s'en détacher. En tuant le faon, Julien commet, à son insu, un suicide symbolique, mais cette tendance reparaîtra

à

quelques repr ises dans le conte: aussi bien lorsqu'il s'engage dans la trou,Pe d'aventuriers et s'expose aux attaques de ses ennemis que lorsqu'il brave l'anîme et se Jette dans les flammes.

Devant le cerf majestueux qui refuse de tomber, Julien recule, eftrayé. Son allure imposante, réprobatrice et paternelle le terrifie. L'image du grand cerf et très proche de celle du père de Julien, en particulier par la barbe et les yeux brÛlants. Par ailleurs, la cloche qui tinte dans le lointain lors du meurtre du cerf, se reproduira en

41. id., p. b31.

42. Jean-Pierre Richard, p. 173.

(31)

-la voix du cerf que l'on entend bran~r après le parricid~.

"La prédiction provoque chez Julien un début de prise de conscience."l42) Cependant, i l n'en saisit pas entièrement la J:Ot'tée.

I l ne veut fairE:! autre chose que de pleurer conu\1e un enfant

à

qui l' Oll

a fait de sévères réprimandes. L'idée, pour lui, est troubl~lte, et il tente de la rejeter tant bien que lIai: Il Nan l non 1 nOl1l Je ne peux pas

les tuer 1" (43) .La chose lui semble impensable, comme s' il ne pouvai t le faire

à

cause des implications que cela pourrdi t entrdîner. On voi t ici apparaître chez Julien la conscience et la réflexion, et plulôt que dl agir spontanément, i l considère les conséquences jX)ssibles Je ses actes. Seulement, le désir profond de liberté y,ui l' habite, cette liberté qui ne s'obtient d'abord que par la rupture fami l ia le, et en général ~ le départ du héros loin de son foyer pour aftn.Mt,,'r les obstacles, ce qui traditionnellement représente Wle rupture symLx)lique de l'union familiale sinon la Ilort des pa.rents, deJ[~ure très vuissant cians l'esprit de Julien: " •.• puis il son':)eait: 'si je le voulais pourtant? .• ' et il avait peur que le Diable ne lui en inspirât l'envie. Il ( 44 ) Ici, le désir que Julien a de tuer ses parents nous

apparaît clairement; non pas, comme l'a suyyéré Sartre, ,par Wl dégoût de ses parents, mais par un dégoût. de lui-même, puisqu' i l lui est impossible de s'affirmer autrement en tant qu'individu.

42. Jean-Paul Sartre, l'Idiot de la famille, (&litions Gallimard, 1971) p. 2110.

43. Trois Contes, p. 632. 44. id., p.632.

(32)

-..

\.

A son retour au château, Julien est accablé, épuisé mêIre par cette

premièr~ prise de conscience, et son destin, qu'il voit désormais plus

clairement, l'inquiète. Il tente de se réfuyier au sein de l'annur familial dont i l col[unençait

à

se détacher, ce qui est une tentative pour oublier, en faisant un retour vers l'inconscience, le monde des parents. Mais COIlUI\e tous les héros flaubertiens, Julien ne peut

échaplJer

à

son destin. si tôt ses forces revenues, et malgré qu'il ne chasse plus, deux accidents se produisent par sa faute, qui mettent en danyer id vie de ses parents. D'abord son père: "L'épée trop lourde lui éClmppa des doigts, et en tombant frôla le bon seigneur de si près que sa houJ:>1?Eùande en fut coupée; Julien crut avoir tué son père, et s'évanoui t . " ( 4S ) Après cela, Julien se replie dans le monde de l'enfance, et il cesse de manier les armes. A la place, il choisit un

jeu d'adresse, et pourtant i l manque alors de tuer sa mère. Avoir échappé de justesse au parricide achève d'éveiller sa conscience; comprenant qu'il lui est impossible de contourner la prédiction, Julien prend la fuite comme les héros des tragédies grecques, espérant ainsi pouvoir éluder son destin fatal. (46)

D'habitude, le départ du héros signifie qu'il a rompu ses attaches avec la famille et qu'il devient le naître de son propre destin. Ce que l'on appelle communément le parcours initiatiqùe, ce chemin ardu où le héros doit affronter des adversités multiples, effectuer sa descente

dUX enfers avant de pouvo~r remonter vers la liberté pour enfin mériter

45. id " p. 633.

(33)

sa place dans le ronde, ne s' inscri t pas exactement dans la vie de Julien, sinon de façon très superticielle. Effectivement, il aura

à

franchir plusieurs obstacles, affronter une variété d'intempéries, le feu et la aort. Mais rien de tout cela ne le touche, ni ne le tai t avancer ddIls son processus d' indi viduation. Sa persûnnal i té n'est ell rien altérée p3.r les événements, et il ne "gra.llùit" pas. i l semble y

avoir une aura autour de Julien qui l'empêche de se tonner, en même temps qu'elle le protège. Cette aura vient en quelque sorte rempldcer les parents que Julien a fuis. Rien ne ,l)eut lui arriver: "Plus de vingt fois on le crut oort. Grâce

à

la faveur di vine, i l en réd1dp~ toujours" (47) .

Cependant, Julien est incapable d'oublier son destin, rien n' arri ve

à

l'en distraire. Chaque fois qu'il rencontre un vieillard, l'image de son ,Père lui revient: "uuand il en voyait un ma.rdlc.Ult devant lui, i l criait pour connaître sa fiyure, collune s'il avait peur de le tuer par méprise."(48)

Les adversités se multiplient devant lui sans pour autant qu'il ait

à

faire d'effort pour les affronter. 11 remporte haut-la-main tous les défis que lui lance la vie. A la longue, il devient lui-même un justicier: "Si un ronarque se conduisait trop mal, i l arrivait tout

à

coup, et lui faisait des reuontrances." (49) En ce sens, il refait le

47. Trois Contes, p. 634. 48. id ., p. 634.

49. id., p. 634.

(34)

-30-,(

~heminement de son père qui, comme on l'a ap~ris dès le début du conte,

"après beaucoup d'aventures,

L •••

J

avait pris pour fenune une derroiselle de haut lignage."(50) C'est précisement ce que fera Julien lui-même qui, après s'être longtemps battu, après avoir remporté une multitude de victoires, pensant qu'il en est au bout de ses peines, décide de se ranger dans la vie familiale: "lbnc, i l reçut en mariage la fille de l'empereur, avec un château qu'elle tenait de sa mère ... ". (51) En

imitant le ronde de ses parents, note George M::>skos, Julien tente de s'assurer qu'il n'a vraiment en lui aucun désir de parricide: "Après tout, co~nent un fils, dont les habitudes de vie ressenlblent tellement

à

celle de ses p3.rents, pourrait-il avoir envie de les tuer."l52) 1-1ais c'est ~réciseIlU1lent la raison tnur laquelle Julien doit tuer ses parents: puisqu'il est incapable de mesureL" la dimension symbolique de la rupture familiale, seule l'exécution de la prOphétie pourra lui permettre de se libérer.

Même

après le mariage, sa vie ne cesse d'être tourmentée. Dans son nouveau château, Julien se trouve en quelque sorte replongé dans son existence ancienne, celle de son enfance. Il essaye de se distraire au spectacle de jongleurs et de danseuses que sa femme fait ven il: , ce qui évoque les jeux de l'enfance. Roger caillois précise que dans le jeu, l'être humain s'écarte du réel et s'engage dans une activité libre où i l peut limiter les conséquences de ses gestes, ce qui lui perloot de créer un monde clos où il lui est possible

50. id. , p. b24. 51. id. , p. 635.

(35)

1'1 de s'abandonner

à

l'activité ludique et où il est rnaîtr~ de son d~stin.

Cependant, cette occupation, que tvl. Benveniste appelle une "opération désocialisante"(53), où l'enJeu est fixé d'avance, n'est pas dcc~ssibLe

à

Julien. Cette activité exige avant tout que les p:trticlJ?élIlts se dissocient du ronde réel et s'isolent dans un système où les l i.mi tes sont bien choisies et clairement définies. or Julien est incapable ùe séparer lUl ITOnde de l'autre. Ceci dpparaît alors qu'il s'est senti Obligé de fuir le château de ses pa.rents: en voulant lIli:illler La javeline avec les écuyers, le "Jeu" provoque presLiue La l1ürt Je Bd mère. Bien plus tard encore, lorsque Julien tente de s' éV<lder pdr ld 1JeIlsée dans un ronde rêvé où i l serait seul maître de son destin, il ne peut s'empêcher de se remérrorer les chasses de Sd Jeunesse, qui d'abord semblaient sans conséquences, et ilrunédiaternent cela se transtornl8 en lUle obsession de carnage infini où i l se voit "cOirune notre vère Adam au milieu du Paradis, entre toutes les bêtes ... "(S4), et i l Lui suffit alors d' allonl::Jer le bras pour les faire I(ourir. 11 ne s' ayi t donc pas du tout d'lUl Jeu pour Julien, puisqu'il en éprouve une ~rande crdinte. Cette crainte lui vient de ce fait qu'il ne peut s'empêcher d'dsscxier

un élément réel au ronde imaginaire qu'il évoque: "Ues princes de ses amis l'invitèrent

à

chasser. Il s'y refusa touJours, croyant lJar cette sorte de pénitence, détourner son ffi:llheuri car i l lui semulait Liue ùu

53. M. Benveniste, tiré de Roger Caillois, L' homme et le sacré, (Éditions Gallimard, 1950) p. 210.

54. Trois Contes, p. 635.

(36)

-meurtre des animaux dépendait le sort de ses parents. Mais il souffrait de ne pas les voir, et son autre envie devenait insupfJOrtable • Il (55 )

'l'ant que cette obsession profonde haoitera Julien, i l lui sera iI1lfX)ssible de trouver la paix intér .ieure. Il a tenté, en se mariant, en s'établissant dans une vie ordonnée, de se créer une image de paix, une sorte de f'.l'11'oole d' haroonie extérieure, dans l'espoir que cela se répercuterai t ensuite en lui. Mais, corrune nous l'avons vu plus haut, Julien est incapable d'accepter une valeur s~rubolique, et bientôt, ses an':)oisses lon':)temps refoulées reoontent

à

la surface, quand son besoin de chdsser devient trop fort: et quand i l voi t des animaux rÔder autour du château, il n'y tient plus.

La seconde chdsse fantastique est le préambule de l' ini tiation finale de Julien, et préfi':)ure le vrai combat du héros qui lui permettra de terrasser le oonstre de l'Obscurité !-Our accéder enfin

à

la lumière. Tout le passage se déroule, cOlrune i l se doit, de nuit, nuit qui dure d'ailleurs depuis le début de la première chasse, alors que les pa t tes du coq on été fauchées. Cette nui t s'aChèvera nomentanément, à la fin de la deuxième chasse, alors qu'à nouveau un

<-'Oq annonce le jour: "Le chant d' un coq vibra dans l'air. lJ' autres y répondirent; c' étai t le Jour" (5b) • L' impuissan-::e de Julien tout au long de la chasse, ainsi que

sa

capi tulation ù~vant une nort inuninente

55. id., p. 636. Sb. id., p. 641.

(37)

(If ••• Il ferma les yeux, attendant sa Ilort") (57), siljnalent le premier-acquiescement du héros aux forces qui l'environnent: "Un lXJuvoi r

supérieur détruisait sa force; et, fOur s'en retourner chez lui, i.l rentra dans la forèt." (5t3)

Désormais, .Julien sait qu'il n'est plus invincible, et cette humilité nouvellement acquise lui permettra finalement de subir U1\l~ épreuve qui comfOrte pour lui un réel dan':jer, et qui constituerd en tai t son épreuve de ,passage. Inra du retour au châtedu, i l pénètre il. nouveau dans l'obscurité, bien que le Jour soit déjà levé. c'est ici qu'aura lieu le dernier rite de son .i.nitiation: "Les vitraux <.jdrnls de plomb oDscurcissaient la pâleur de l'aube. Il (59) lJans cette pénombre,

Julien accomplit finalement la prédiction du grand cerf et il tue ses parents.

Après ce dernier rite, le héros accède enfin

à

la lumière. C'est sa femme qui la lui apporte, mettant ainsi un terme

à

l'dveu<.jlement inconscient de JUlien, en l'extrayant du ronde de la nuit et en le projetant dans la pleine lumière de la conscience: " Le teipage du meurtre l'avait attirée. D'un lar<.je coup d'oeil, elle comprit tout, et s'enfuyant d' horreur laissa tomber son flambeau. I l le ["amassa." (60)

57. id.,

p.

639. 58. id. , p. 639-640.

59.

id., p. 641-60. id. , p. 642.

(38)

-1

C'est grâce au flambeau que Julien se rendra compte de la portée réelle de son geste, car i l pense jusque-là avoir tué sa fenune et un prétendu amant. Sartre nous le fait remarquer en notant que Julien croi t voir le fantôme de sa femme à la porte de sa chambre, et non sa fenune en ~hdir et en ns. La lumière lui dévoilera brusquement la vérité.

Ce n'est qu'en commettant la Faute que Julien peut enfin accéder à la <.X>nscience et s~ libérer de son inconscient. La rupture, défini ti ve cet te foi s, permet au héros de trouver son Ivbi, c'est-à-dire, selon Jung, "que l'éveil de la conscience-ego affaiblit progressivement le rapport intime de l'enfant à la mère, et permet donc à la conscience de s'opposer à l'inconscience, ce qui engendre la différentiation de l'ego et de la mère, permettant aux particularités

individuelles de venir au Jour."(61}

Si l'on considère que le premier chari tre du conte insistait surtout sur .. l' en tance " de JUlien, c'est-à-dire le temps de l'inconscience, on peut voir qu'à la fin, lorsque Julien fuit le château paternel, i l n'a pas encore accédé

à

la conscience, mais qu'il en reconnaît seulement la condition. Par contre,

à

la fin du deuxième chapitre, Julien a totalement quitté le rronde de l'inconscience, et devient donc un être "in-divise": i l atteint son "Je": il peut désormais dire: "Je suis ooi, maintenant J'existe. Auparavant les choses m' arri vaient ... Il Maintenant, c'est lui qui les veut (62) .

bl. carl Gustav Jung, 'l'he Archet s and the Collective Unconscious, (Princeton University Press, vol. 9, 1969 , p. 102.

(39)

LE SALUr

Pour accomplir son individuation, l'étape qui lui reste à frdnchir esl celle d'un ordre plus élevé où, plutôt que de vivre dans une furme consciente seulement axée sur le "l'bi", c'est-à-dire où l'on choisit sciemment certaines choses aux dépens d'autres choses, il se iJ'isse justement de choisir pour accéder à la totalité. Le" l'bi" se définit par l'opposition du "Je" avec la nature. C'est ce qui lui dOlme sa puissance et lui permet de se distinguer. En ce sens, le "l'bi" reste détaché de la nature, ce qui l'empêche d' Y participer entièrement. La

dernière étape de la vie de Julien l'amènera

à

recréer l' hélrllYJllie initiale de laquelle i l est venu et qu' il a, depuis, oubliée. Ce taisant, il lui sera possible d'accéder au "Soi". Jung explique (lue le "Soi" "est une entité "sur-ordonnée" au rvni. Le Soi embrélsse non seulement la psyché consciente, mais aussi la psyché inconsciente, et constitue de ce fait une personnalité plus ample[ ...

J.

Le Soi est aussi le but de la vie, car i l est l'expression la plus complète de ces combinaisons du destin que l'on appelle un indivictu."(63)

t>our atteindre ce but ultime, .Julien devra une tois de plus quitter son foyer pour errer seul. 11 laisse derrière lui ses l~rents rrorts, sa femme et tous ses biens, et jusqu'à ses sélndales(64). La

63. id., p. 462.

64. Pierre 1-1a.rc de Biasi, "Un conte à l'orientale; la tentation de l'Orient dans la "Légende de saint Julien l' Hospitéllier", Romantisme, no.34, 1981, p.64-65. Dans son artic1.e, M. dl.! Biasi note certaines subtilités de Flaubert en approtondisSc1l1t ld

signification de quelques éléroonts symboliques. A profOs des sandales, il établit un rapfX)rt avec les sandales d'l!Jllpédocle.

Figure

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