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ESSAI SUR L'IMPARFAIT CONTEMPORAIN
Nicole Pourchot
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ESSAI SUR L1IMPARFAIT CONTEMPORAIN
L1Emploi da l-IImparfait chez Camus dans /'L1Etranger"
çP Nicole pourchot
Thèse présentée à la Faculté des Etudes Supérieures de llUniversité McGill en vue de l'obtent~on ,du
grade de la Maîtrise. es Arts (Linguistique)
'.
[) Département de Linguistique Université McGill Montréal Juin 1973©
Ni co 1 e 'Pourchot 1974~
, /' /•
•
RESUME
Cette th~se es~ une étude' systématique de la dLstribu-tion et des corrélatlons de l'imparfaLt; ,. on a tenté de redéfl-nLr ce temps auquel lès grammaires traditLonnelles attribuent tant d'emplois. Le roman "L'Etranger" de Camus a servi de
corpus; op a relevé toutes les cinq pages tous les Lmparfalts,
pU1S on les a classLflés et analy.sés. Au fur et à mesure de l'étude, on a constaté que l'imparfaLt était à la fOLS un temps' du passé et un aspect présentant suivant les cas un certain dé-séquillbre 'entre ces deux caracté,ristLques. Sa valeur fonda-mentale aspectuelle, ce n'est pas de marquer la"durée, nl,le prolongement d'une action, malS une actlon en cours dtaccom-pllssement. ~,
-...:.'\
Après avoir situé l'lmparfaLt dans le Françals contem-poraln, le premler chapitre présente la'ffiéthodologie, les
limltes de l'étude, les défihltions et les données. Le but d~ deuxlème chapltre est de sltuer l'lmparfaLt dans ~e système
temporel du Français, ce temps 'éta~ alors en corrélation avec
'\
r, des subordonnées et des lndicatLons lexlcales temporelles., Les Chapitres III, IV et V poursulvent l 'étude 'de ce temps en
corré-latlon avec les, structures mêmes de la phrase dans laquelle i l apparaît, c'est-à-dLre avec des complétlves, des relatives, des causales ou des conditionnelles; le Chapltre VI étudie l~lm
parfalt dans le contexte général et partLculièrement en relatlon avec les phrases précédant ou suivant immédiatement celle où il appariltt.
Ces analyses ont montré que l'imparfait ne se définit pas comme le temps de la simultanéité, de l'habitude, de la
~ description .• .'mais que c'est sa valeur aspeçtuelle fondamen-tale--donnant une vue analytique du
pro~è~--qui
le prédlspose àune grande variété d'emplois en relation ave~~le contexte et le contenu lexical des sémantèmes verbaux.
•
1
•
ABSTRACT
This thesis lS a systematic study of the distribution and the correlations of the "lmparfal t". ~e have tr ied to re-define this tense to which traditional grarnrnars attribute so many different uses. The corpus has been drawn f~om Camus's novel "L'Etranger". Every"imparfait" was extracted' from every fifth page and then analysed. As the study progressed, l t be-came apparent that the "lmparfalt" was both a past tense and an aspect and dependlng on the case, the characteristics of the ,one or the other were more prominent. Its fundamental aspectual value ls.not in ltS expresslon of the duratlon or thé prolonga-tlon of an acprolonga-tlon"but rather an action in progress.
41
H,avl.ng deflned the "l.mparfal.t" in contemporary French, the first·chapter then discusses the methodology, the limlts of the study, the definitions and the data. The alm of the second chapter is to character ize the "impar fai t Il Wl. thl.n the tense system of French ahd then to correlate i t with temporal subordlnate clauses and lexlcal time modlflers. Chapters III, IV and V study this tense in relation to the inner structure of the sentence ln which l t appearsl that is to say, in telatl.on to object-, ad]ectlve-, causatlve-, or "if"-clauses; the sixth chapter examines the "l.mparfal.t" in the geperal context and, especlally in relation to sentences lmmedlately preceding or
followlng the one ln which the "lmparfait" is used.
These analyses rev:eaied th~t the "imparfait" cannot, ~e defined as the tense of simultanelty, of habit, of description ••. -' but as an aspect, giving an analytic representation to the
r
actl.on process. It lS this which specifles the suitability of the "imparfalt" for a great variety of uses in relatlon with the context and the verbal 'lexical contents ••
..
•
1\ i '~Pitre
l " 1 l' IlIl /
1 ~ fTABLE DES MATIERES i INTRODUCTIO!r3' •
.
.
.
. . . .
.
.
1.0 1.1 1.2 1 ~~sentation
du chapltre SItuatlop de l'imparfaitPoint de vue des grammairiens et des Ilng?istes contemporains
li
1.2~1 Durée - répétltion - action qans
son déroulement
,
1~.2.2 Mise en cause de la valeur
tempo-( relIe de l'imparfalt
1,'
1.3'But de cette étude
1.4 'J~stiflcatlon du Ch01X du corpus
1
Il.4 .1
<1.4.2
l .4 .3'
EVl'ter erreurs' de la langue parlée tout en disposant d'un langage slmple
Eviter le passé simple
Eviter les dévlatlons s~ylistiques
1.5 Méthodologie., 1.6 Llmites de l'étude 1.7 1.6.1 1.6.2 \ structures de surface
L' i~parfai:t fait pa,rtie "d ',un
système ntfinitions
l 7.1 Grammaticallté et acceptabilité
1~7.2 Modalité d'action et asp~ct~
).
1.8 Les données
Classification
1.8.1
1.8.2 Constatations générales sur les;
léxèmes 4u corpus 1.9 Conclusion i i
,.
•
Page l '. -t / C'•
IIIII
•
L' IMPARFAIT EN CORRELATION AVEC CONJONCTIONS ET INDICATIONS LEXICALES TEMPORELLES • • • • • • 2.0 Présentation du chapitre
2.1 L'lmparf~lt est un temps du passé
2.2~Il n'y a pas d'isochronle entre une actlon au passé composé et une action à l'lmparfait
2.3 L'action à l'lmparfalt contlent dans son espace temporel 1ndéfinl l'espace temporel ponctuel de l'action au passé composé
2.4 2.5
Une actlon à l~imparfait peut n'être
----qu'engagee-psychologiquement
-"Quand" es t condi tionné ~ar l'espace temporel suggéré par le ~eFbe
2.5.1 Quand itératlf
,2.~.2 Quand: période de temps
2.6 Les lndlcations lexicales confirment les constata t'ions faites
2.6.1 Imparfalt est un temps du passé 2.6.2 Imparfalt marque une action
en cours
~,2.6.3 Imparfalt peut se rapporter à une
pérl.ode du passé
2.7 Les indlcations lexicales apportent quelques lndlcations supplémentalres
\
2.7.1 Imparfait et idée de soudaineté 2.7.2 Les limites du procès à l'lmpar~ait
'.
'2.8 Conclusion
,(
L' IMPARF AIT EN CORRELATION AVEC DES COMPI,ETIVES OU INTERROGATIONS INDIRECTES. • • • • • • •
3.0 Présentation du chapitre
~
3.0.<IJ. Justlfication de l'an~lyse slmultanée de ces deux sortes de'subordonnées
i i i
20 ,
•
Chapl.tre,1. :IV
•
3.0.2 Classl.fication des ~équences
3.0.3 Constatations générales
3.0.4 Prl.ncipaux points de l'analyse
3.1 ~onfirmation de~'constatations faites dans
le chapitre précédent
3.1.1 L'l.mparfait est un temps du passé 3.1.2 Pas de dl.fférence chronolog'l.que éntre
le passé composé et l'l.mparfal.t (actiop en cours, d'accomplissement) 3.1.3 Nécessité d'un point de repère
chronologique 3.2 Nouvelles constatatl.ons
,-3.2.1 L'imparfait Joue le rôle d'actualité du locuteur situé dans le passé
3.2.2 L'imparfal.t a le même schéma temporel que le présent
3.2.3 L'l.mparfait peut tradul.re dans le . . passé un certal.n futur
3,
h..4
L 'l.mparfait de l'l.ndicatl.f et lesverbes non factifs
3.2.5 Paralléll.sme entre imparfait et condLtionnel-temps
3.3 Conclu~10n générale sur le chapitre
J?
L'IMPARFAIT EN CORRELATION AVEC LES RELATIVES, LES CAUSALES ET LES CONSECUTIVES • • • • • • 4.0 Présentation du chapl.tre
...
4.0.1 Ju~tification de l'analyse simul-tanée des relatl.ves, causales et consécutives
4.0.2 Classification de~ relatives 4.0.3 Classification des causales et
consécutives
4.0.4 Constatatl.ons générales
4.0.5 principaux points de l'analyse 4.1 Similitudes avec les complétl.ves et les
subordonnées temporelles
page
1 "
Chapitre
•
y
•
4.1.1 Modalité d'action
4.1.2 Coïncidence ch~onologique entre le passé composé et l'imparfait
4.2 L'imparfait et les valeurs des relatives.-J' causales et consécutives
4.2.1
4.2.2
Valeur déterminative (propositions
relat~ves)
valeu~ explicat1ve (propositions relatives, causales et consécut+ves) 4.3 L'imparfait d'habitude
4.3.1 Analyse de phrases
4.3.2 P01nt de vue des·grarnmair~ens.
4.~.3 Les 1ndications lexicales et les
not1ons d'hab1tude 4.4 ConclUS1on
L'IMPARFAIT EN CORRELATION AVEC LA CONJONCTION
"S'I"
5.0 Présentation rlu chapitre et des données 5.1, Les effets de sens de "si"
~{
5.f.l Dans les subordonnées non
condit~onrwlles
5.1.2 Dans les subordonnées
condition-nelles •
5.2 Analyse d'une phrase conditionnelle 5.2.1 Substitutions et présuppos~tions
5.2.2 La séquence verbale paraît inva-riable dans le système hypothétique 5.2.3 Phrases hypothét1ques et phrases
contenant des complétives
5.3 Analyse de propositions introduites,par "comme 51"
v
.;
•
""""w ...'
•
Chapitre
/
5
.4
'Discussion et exposé de l ' explicat~o'n des phrases hypothét~ques d'après les principes gUill'aumiens5.5 Conclus~on
Page •
VI L'IMPARFAIT EN CORRELATION AVEC LE CONTEXTE
r
.
,
\
VII 'C? ENERAL. . . .,. . .. .
. . .
.
. . . .
• • ~l3B 6.0 Présentation du chapitre 6.0.1 Les données 6.0~2 Constatpt~on généralePrincipaux po~nts du chapitre
6.1 lo~ de l'~mparfa~t dans le réci~ au
mposé marque un arrêt ou un
ralen-6.1.1 lyse de phrases
6.1.2 Comparaison du schéma temporel de
l'~mparfa~t et du passé composé
6.2, Effets de cet arrêt ou de ce ralentissement
6 .~2.1 Effet descriptif
6.2.2 Effet explicat~f
6.3 L'imparfait narratif: exposé 6.3.1 Caractér~stiques
6.3.2 Conditions d'emploi
6.3.3 Explicat~ons données par les grammairiens 6.4 Conclusion CONCLUSION • •
. .
.
.
.
.
.
. .
. .
7.0 Présentation du chapitre 7.1 constatation~ générales 7.1.1 Rôle du contexte7.1.2'L'imparfait est un temps du passé
vi
• • • • • .. 158
•
o
\
•
~
VIII' 7.1 .3 7.1.4 7.1.5 Un seul imparfaitIl n'exprime pas ,la durée Rôle des complétives
.\
Valeur fondamentale ses conséquences 7.2.1 Sa valeur 7.2.2 Conséquenèes \.
:7.3 Tableau des emplois
de l'i~parfait et
7.4 Limites et ouvertures de cette étude BIBLIOGRAPHIE.
.
.
.
.
.
.
.
.
. .
.
.
( vii " ) J 163 "•
'.
•
..
• Q CHAPITRE l INTRODUCTION 1:0 présentàtion du chapitre.J
Après avoir situé l'imparfait dans le français moderne,
--,
on donnera, dans ce chapltre, les pOlnts de vue des 11ngulstes et
/
des grammairlens contemporalns, puis on présentera l'étu~e, s~s
limites, la méthodologie, l'explicatlon d~ la termlnologle em-ployée et les ~onnées.
~/.-=î.
.
~1.1 situation de l'imparfalt. 1
L
çaise,
L'lmparfalt, qui appara!t dès le début de la période
frkn-pr~sente
des fo:mes et des valeurs variables suivant les dialectes et les époques, et ce n'est qu'au début du XVIIe slècle que Maupas et Oudin, d'après Brunot (1926, p. 773), \établirent~
\
une dlstinction très nette entre l'imparfait et le p~ssé simple,' entre une action de longue durée .et une action de courte durée; et depuis, ce temps n'a cessé de prendre de l'extension pour de-e venir un des plus employés du français moderne, l'un des plus caractér istiqu~' et· "l'un des plus riches aussi en significations
•
•
•
\
2
délicates" (Le Bidois, 1967, p. 437, par. 721). Il a été le su-jet de ,très nombreuses études ~t i l peut paraître téméraire de
"
\
s'y attaquer a nouveau. Plus d'une quarantaine de'nuançes 'et
,0
de qualificatifs lUl ont' été attrlbués si bien que la confuslon
,
>."? ", ' règne dans beaucoup d' espr i ts--et en particulier dans celui des "
.
Q
.
'étrangers qu~ ont des dlff lcul tés à en sais ir les' flnes valeurs. ,
C'est pourquol 11 ne paraît pas inutile de réaborder la question qu'OR voudrait mOlns complexe, plus expllcite en partant de la
,distrlbut~on de oe tèmps et de ses occurrences dans le discours
qui peut être un lieu prlvllégié de découverte.
1.2 Point de vue des rarnmalrlens et des lin ulstes contem oralns .
l .,2 .1 Durée - répétl'tlon - actiol1 dans son déroulement - slmultanéité.
L'imprécis~on règne. Comment certalns critiques
11ttérai-res analysent-ils l'lmparfalt? Ils sont embarrassés pour exprimer la valeur artistique de ce temps fréquemment utilisés par certains romanciers du XIXe siècle, protongement de la durée, répétition, co!ncidences d-actions dans le passé:
\
Un état qui se prolonge est indiqué par l'impar-fait . . . et cet éternel imparl'impar-fait •.. do~c, cet ,imparfait si nouveau 'dans la littérature'change
entièrement l'aspect des choses ..• il sert à rapporter non seulement les paroles mais toute la vie des gens. L'Education Sentimentale l
iDe Gustave Flaubert .
•
/
"
•
3
est un long rapport de toute une "vie sans que les personnages prennent pour ainsi dire une part active à l'action (proust, 1927, p. 197). L'imparfait sert à prolonger la durée et
l'irnrnob11ise en quelque sorte sous les yeux du lecteur (Brunetière, 1883, p. 84).
Lanson y voit
une action passée
d~~
durée cotnclde avecune autr~ act10n éga t passée ou bien [ ... ]
une action souvent répétée ou prolongée [ . . . ] rl exprime l'hqbitude ou la qualité. rl est le temps pittoresque de notre langue (cité par H. cattanès, 1939-l940).
Rien d'étonnant à cette impréc1s1on de vues quand on con-, s1dère la d1vergence d 'op1n1ons plus grande et plus subtile. en-core qU1 règne chez les gramma1riens et }es lingulstes. Pour beaucoup d'entre eux, la valeur fondamentale de l'imparfait est de marquer la durée. Selon Le Bido1s (1967, p. 427, par. 721), 11 offre la particular1té de toujours énoncer l'action sous l'as-pect de la continu1té, ce qu'approuve F. Brunot tout en admettant qU"il '.'s'emploie
auss~'actions
instantanées"l (1926, p. 778) et, qu'il marque la contemporané1té dans le passé, c'est-à-dire la simultanéité de deux actions dans le passé; ce que conteste,
:1
WarnaQt (1964) qui voit attribuer à une forme verbale des valeurs qu'elle ne,possède pas; en effet, dans l'exemple suivant:
lpeut-il exprimer à la fois la durée et des actions ins-tan ins-tanées? '
•
•
"8 heures sonnaient 'quand il se leva It
la simultanéité n'est ~as due à l'imparfait mais au léxème
"quand", dit-il, car celle-ci subsiste si l'on remRlace l'impar-falt par le passé simple: ~
"8 heures sonnèrent quand il se leva"
Pour lui, l'imparfait évoque seulement la durée. De son cOté, Imbs (1968) précise que
l'imparfait exprime le temps continu (la durée indéflnle) sur lequel notre intelligence découpe les moments où se produisent les événements, la caractéristique de ce continu es~ qu'il n'a de SOl nl commencement ni fin à moins que son terme ne SOlt lndlqué dans le contexte (p. 90).
Grevlsse (1964, par. 716) constate aUSSl que l'actlon à l'impar-fait est lnachevée au moment du passé auquel se rapporte le sUJet parlant, mais i l ne mentlonne pas si cette actlon peut aVOlr une limlte en son début. Par contre, l'équlpe des auteurs de la
"Grammaire Larousse du Français Contemporaln" (1964, par. 485) abonde dans lè sens de Imbs. {
Si donc, pour certains, l'imparfait est vu comme Jxprimant la/durée d'une action, pour d'autres, 11 est vu comme exprimant
,
une action dans son déroulement (Cattanès, 1939-1940), ou n'ayant pas d'autres fonctions que la simultanéité (Bargy),l ce que nie Larochette (1969a) pour qui la simultanéité n'est pas une
lCité par Larochette, 1969 a.
•
•
5
caractéristlque de ce te~ps du passé, et dans ce sens il rejolnt le point de vue de Warnant (1964). Regula (1958) juge la ques-tion plus complexe, et Sl la valeur originelle de ce temps est de traduire "une portlon du passé", cette valeur ne sufflt pas
"à éclalrcir tous les' cas", aussi propose-t-ll de renoncer à une formule simpliste.
1.2.2 Mlse en cause de la valeur temporelle de l'imparfait.
Continulté, durée sans limites, action inachevée dans le P?ssé, portlon du passé, action passée vue dans son déroulement, toutes ces nuances ne mettent-elles pas en cause· la' valeur tempo-relle de l'imparfait? C'est blen à cette conclusion qu'arrlvent certalns lingulstes. Damourette et Plchon (1936) consldèrent l'lmparfalt comme un "toncal" (c 'est-à-dir~ différent-Q.u "noncal", le mOl-icl-maintenant), tout en le' voyant comme un présent mais 'dans le passé, servant à effectuer"l'évaslon de la sphère
"moi-lci-main'tenant-réel" ; l ' imparfal t 1722);
et~t
(1964) prolongeest tm "irréel présent" (par. cette opinion en affirmant que la différence qui sépare le présent de l'imparfait tient à
~
.
la manière dont on envlsage le procès, on ne peut clatser l'irn-parfait parmi les temps du passé, c'est l~ passé actualisé dans sa durée. Analyse peu diffétente de celle'de Sten (1952) qui ajoute que Sl pn était contemporain des actions exprimées à
•
•
l'imparfait, elles seraient au présent, "le présent n'est pas
s~nonyme de ma~ntenant, mais c'est le temps de maintenant". L'imparfait est-11 un temps du présent dans le passé ou n'est-il pas un temps? Quand un auteur emploie l'imparfa~t
,
(Grobe, 1967-1968), il attire davantage l'attention sur un cont1-nuum temporel de l'act1on considérée indépendamment de ses rela-tions chronolog1ques. A. Henry (1954) ne dit pas autre chose en aff1rmant que l'imparfa1t est la forme verbale qui fait oub11er le plus facilement ses attr1buts chronologiques'~ Vinay et
Darbelnet (1971) ont-ils r~ison de dire que ce que les
grammai-res scola~res cons1dèrent comme un temps est en réalité un
as-pect?
l'imparfa~t indique que l'action est présente
ou simultanée avec une act10n ou un temps dans lesquels le locuteur n'est pas présent~du tout
(p. 132).
On re]01nt iC1 l'étude très 1ntéressante et exhaustive de Robert Martin (1971) (dont les théor1es s'inspirent de Guillaume [19,69J) sur l'emploi des temps narrat1fs (temps du passé) en moyen fran-çais", posant la question de l'aspect dans ses rapports avec la
\
catégot~& du temps. Pour lui, l'imparfait marque une action en
cours d'accompl~ssement,
la durée vécue dans le processus qui lui est propre et qui consiste dans l'incessante
transformation d'une parcelle d'avenir en une parcelle du passé (p. 71).
7
•
Il est indissociable de l'aspect imperfectif, et ce qui le dif-férencle des autres temps du passé, du passé simple et peut-être au]ourd'hul du passé composé c'est plutôt une questlon aspectuelle que temporelle.1.3 But de cette étude.
Devant un
te~éventa>l
d'op>nions et de déf>nitions, qui tantôt se contr~disent, tantôt se complètent ou se nuancent,il est tentant de refalre le pOlnt sOl-même et d'étudier systéma-tiquement distributlon et corrélations de ce temps en françals moderne, en partant de données 'réelles en dlscours.
Il est évident que toute étude d'un fait Ilngulstique peut se révéler d'une complexité inflnle; en effet, même Sl la Ilnguistique pour faire une étude scientifique du langage humaln,
,
se fonde sur l'observatlon des faits, la tentation est grande de qultter le domaine de l'observatlon lmpartïale: d'autre part, la langue étant un code, un instrument de communication, la d+~versité des moyens que l'homme emploie au niveau du discours est , étonnante. On tentera pourtant de dégager dans cette étude les traits pertlnents pour d~couvrir les tendances essentielle~ de ces forme et contenu verbaux dans la langue d'usage~-on ne peut parler lCl de règles, vu les limites du corpus--et de les
compa-•
rer aux conclusions de Robert Martin (1971) qui parait avoir fait w•
•
8
la plus complète et la plus récente analyse sur ce problème en moyen fra~çais, en partant du français moderne.
1.4 Justificat10n du cho1x du corpus.
On
a
choisi d'étud1er l'1mparfait dans le roman de Camus, "L'Etranger" pour les raisons suivantes:1.4.1 Tout en désirant fa1re cette étude à partir d'un corpus en frança1s standard, 11 fallait partir d'une oeuvre éérite pour apporter plus de rigueur à l'analyse et pour éviter les
phrases souvent agrammaticales de la langue parlée; il fallait une oeuvre dont la langue était reconnue correcte et s1mple par la collectivité francophone.
1.4.2 D'autre part, tout en choisissant une oeuvre 11t-téra1re, on voulait éV1ter, dans le but 'de faire une étude plus claire et plus simple, d'analyser l'imparfait en corrélàtion à
la f01s avec le passé composé et le passé s1wple, ce_dernier
ayan t dis paru de 1 a langue d 0 us age et étant remp!c épar d 0 au tres
..,
temps du passé; cette dispar1tion ne semble pas affecter la com-mun1cation, du moins d'après ce que di~ Shogt (1964):
Le passé simple n'exprime plus rien que la langue ne puisse exprimer à l'aide du passé composé et de l'imparfait (p. 16) .
•
•
, {
9
pour éV1ter autant qu~ possible la corrélation de l'im-parfait avec l'un et l'autre de ces temps du passé, le choix du corpus devait donc porter sur un récit en forme de d1scours plu-tôt que sur un récit histor1que. En effet, comme le constate Benvéniste (1959), les temps des verbes ne s'emploient pas comme
les membres d'un système unique, ils se s1tuent en deux systèmes d1stincts et complémentaires: l'histolre et le dlscours l (ce n'est pas la même dlstinctlon que la langue écrite et la langue
..
)parlée). Dans l'un, l'intervention du locuteur est généralement exclue, et l'historlen n'emploie nl "je" ni "tu", et sont employés
~
le passé slmple, l'lmparfalt et le plus-que-parfait; dans l'au-tre, on suppose un locuteur st un audlteur, le passé slmple est exclu et le registre des temps verbaux est beaucoup plus large et plus proche de la langue fonctionnelle en oppositlon à la langue littéralre; c'Est "L'Etranger", écrit à la première personne et au passé composé qui a paru le plus! adéquat à rempl1r cette fonc-tlon de récit sous forme de dlscours.
1"11 faut entendre discours dans sa plus large extension: toute énonciation supposant u~ locuteur et un auditeur, e~ chez le premler l'lntention d'influencer l'autre en quelque manière ..• "
(dlscours oraux de toute nature et de tout niveau .•. masse des écrits qui reproduisent des dlscours oraux ou qui en empruntent 1e tour et les fins: correspondances, mémoires, théatre . . . ), "bref, tous les genres où quelqu'un s'adresse à quelqu'un, s'énonce comme locuteur et organise ce qu'il dit dans la catégorie de la personne"
•
/
•
1.4.3 nalssance, par
Ce roman présp~tait un autre avantage: la recont les linguistes et les crltiques littéraires, de, l'absènce d'expression de l'affectivité de l'auteur, et ceci per-met de supposer que les déviatlons stylistiques sont rares. 'En parlant du style de l'Qeuvre, Barrera-Vidal (1968) remarque qu'il est un exercice d'objectivité et de détachement comme après tout
le tltre l'indlque, et Wandruszka (1966) y constate une impres-sion de banalité, de lourdeur 'dans l'emplol constant des formes
"
composées, impresslon voulue par Camus pour donner ainsi au récit plus èe slmpllcité, de spontanéité et une couleur mOlns 11ttéraire.
C'est pour ces raisonE('~ue cette oeuvre a paru remplir au
\
mieux les condltions qu'on s,imposait.
1.5 Méthodologie.
On a relevé toutes les clnq pages (en commençant à la
~age 8 de l'éditlon Gallimard dans la collection du Livre de
poche-univirsité Paris, 1968) s'élève à
jS7.
tous les i~parfaits dont le total
Font partie de ce nombre les verbes "être" à l'imparfait suivis d'un participe-adjectif non accompagné d'un complément
'9
d'agent (syntagme v.erbal souvent considéré comme résul tatif et non passif):
Exemples: "C'est un peu 'comme si maman n'était pas morte" (p.8) "J'ai vu, tout d'un coup, que les vis de la bière
•
0-
'
-)•
IlTous ces lmparfaits ont été numérotés puis classés: les huit premières catégories considèrent l'imparfalt en rapport avec
la structure même de la phrase dans laquelle 11 apparaît; la neuvième considère l'imparfalt en rapport avec le contexte géné-raI et partlcullèrement celul qul précède ou SUlt lmmédlatement
la phrase dans l~quelle 11 apparaît:
l . 2. 3 • 4'. 5. 6. 7. . 8. 9.
imparfait en corrélatlon avec de~ subordonnées temporelles lmparfalt en corrélation avec des indications lexlqales lmparfalt en corrélatlon avec des complétlves
',-lmparfalt en corrélatlon avec des lnterrogatlves indirectes imparfait en corrélation avec des subordonnées relatives '" imparfalt en corrélation avec des subordonnées
circonstan-clelles autres que les clrconstanclel1es de temps ~
lmparfait en corrélatlon avec des verbes non flnls lmparfalt en 'corrélatl0n avec des phrases elliptiques imparfait en corrélatlon avec le contexte (lndépendantes
lso1ées, coordonnées, séquence).
-Certalnes phrases complexes peuvent apparaître dans
plu-•
sieurs catégorles, comme par exemple la phrase suivante:
'1\
"ü'al vu qu'elle portalt un bandeau qUl falsalt le tour de la tête" (p. 13)
qui apparaît dans la catégorle de l'lmparfalt en corrélation avec '.
,
le~ complétives, et dans la catégorle de l {imparfait en corréla-tion avec les relatives.
----J
~~sque l'analyse l'a permls et en temps opportun, 9n a
regroupé ces catégories, par exemple les interrogatives
indir~c-tes et les complêtivès, les subordonnées temporelles et les indi-catlons lexicales, les rela~ives et les causales eL consécutives. On a d'abord étudié les cas où l'imparfait est en corrélation avec
••
f
•
le système de la phrase (le Chapitre II place l'imparfait dans le système verbal du français, l'ordre des Chapitres 'III, IV et V a été ensuite déterminé d'après la fréquence des
occurren-~ ces des d~fférentes structures en corrélation avec l'lmparfait),
pu~s on a étudié le cas où l'~mparfait est en corrélat~on avec
le contexte extérieur à la phrase elle-mêmè (Chapitre VI) . Les tests de substitutlon ont été falts sur toutes les phrases du corpus présentant les mêmes structures, mais n'ont
été retenues pour les résultats de l'analyse que des ph&ases-types
~t ~~lt/'
résentantl,
né:çal.
des réact~ons 'déviantes du comportement
gé-1.6 L~mites de l'étude.
1.6.1 Cette étude est généralement limltée aux structu-re$ de surface. On ne fera appel aux structures profondes que dans la mesure- où elles pourront .expliquer certalns faits lin-guistlques ou désamb~gu!ser certalnes phrases. On n'a pas tenté
lC~ de retrouver, à partlr des structures de surface, les em-plols de l'imparfalt pour découvrlr les particularltés syntaxl-ques des
~léments
dont les phrases réelless~
composent, comme dans les exemples SUlvants donnés par Larochette (1969b):Exemple: "Je cherche la femme muette" (= qui était muette) qui s'oppose à:
"Je cherche une femme muette" (= qui ,est muette ou = qui soit muette) •
•
•
Exemple:
13
"
"Je me sentis devenir malade"
=
je devins malad~, je le sentis, ou- je devenais malade, je le sentis.
D'autre part, on ne s'est in~éressé aux verbes non finis 'en structures' de surface ~e lorsqu'ils étaient en corrélation
avec un 1mparfait; ces verbes non f1nis peuvent être des 1nfi-nitlfs ou des gérond1fs comme dans les phrases sUlvantes:
"J'ai entendu en même temps le directeur me- d1re que la voiture attendait sur la route" (p. 23).
"Il siffla1t en descendant" (p. 73).
1.6.2 Cette analyse cherche à se limiter à celle de l'imparfait, malS il est impossible d'isoler ce temps du système
,
verbal dont il fait partie. l'emploi de l'imparfait tvec
De nombreux problèmes impliquant d'autres temps ont été soulevés
1.
ici, et l'exp11ca~ion n'a pu toujours être tentée, vu Ies limi-tes de l'étude. Rien d'étonnant à cette remarque si l'on en croit Henry (1954) "qui affirme que l'imparfait dépend plus que n'importe quelle autre forme verbale" de facteurs extrinsèques: situation syntaxique, rÔle' de certains éléments sémantiques, ser-vitudes grammaticales •
•
1.7 néflnitions.1.7.1 Agrammaticalité et acceptabillté.
En analysant les phrases du corpus, on aura l'occaslon
,
d'utlilser les termes d'agrammaticalité et d'acceptabillté. Pour 'décider Sl une phr'ase est grammaticale ou non, i l ne s'aglt pas
lci de se référer un1quement aux grammalres normatives; on re-prendra plutôt la conception des grammair1ens génératistes qu1 estlment nécessalre de se référer à l'lntultion des sUJets par-lants (Ruwet, 1968, p. 387); ce qUl assure du caractèr'gramma-tical d'un énoncé ce n'est pas, pour Chomsky, la catégorle soclale des personnes qUl ont tendance à l'employer nl les Clrconstances dans lesquelles il est prlnclpalement employé; c'est un )uge-ment lntultif, fondé sur des règles lntériorlsées au cours de
D
l'apprentlssage de la langue que tous les membres d'une même com-munauté linguistique portent sur lui; on n'entend pas formuler une appréciatlon malS une observation (Ducrot et Todorov, 1972, pp. 165-166). Le fait que le style de Camus dans cette oeuvre
~
SOlt banal et obJectif nous évite d'avoir à décider de cas d 1
ano-malles sémantiques (humanisation d'objets lnanimés par exemple)
J
dont le cas ne risque pas de nous intéresser loi, mais qui, tui-varit la concept10n
gén~atiste,
pourraient être considérées comme•
semi-grammati~a~es. On partira du fait que les phrases écrites•
hi '( 1•
15par Camus sont des phrases grammaticales dans la mesure où elles correspondent au français standard tet qu'il est généralement parlé ou enseigné.
On parlera "d'acceptabilité" de phrases lorsqu'on sera en présence de deux variétés du français, chacune décrite par une grammaire particulière, mais toutes les deux en usage et jugées acceptables et naturelles, bien que certains risquent de ne pas toujours être d'accord. On essaiera autant que possible de se fonder sur un sentiment commun à toute la collectivité; toute-fOlS, entre deux variétés de phrases, 11 semble y aVOlr un "no man's land" à propos duquel personne ne peut se p:t"ononcer avec assurance, et les notions de degré de grammaticalité des règles restent floues (Ducrot et Todorov, 1972, p. 168).
On parlera de p}{rases "inacceptables" lorsque des phrases, même grammaticales, ne sont pas admlses par la communauté franGo-phone, comme la phrase suivante (cf. 2'.2),:
*"Quand je l'ai rencontré, je ~uis sortl de chez moi".
1.7.2 Modalité d'action et aspect.
Ces deux termes ou expressions reviendront souvent au "
cours de cette
anal~e.
On a constaté dans toute la littératQre traitant des aspects verbaux lexicaux et grammaticaux une grande complexité et confusion (Guillaume, 1969; Shogt, 1964; Yvon,•
1951~ Pohl, 1964 ~ Garey, 1957; Duchacek, 1966; Piffard, 1964; Valin, 1964; Martin, 1971; Ivanescu, 1957); toutefois, on a adopté la conception de Ma~tin, la plus claire et la plus_. J
~loglque,
conceptlon insplrée partiellement de Guillaume et re-prlse aUSSl par'Roch Valin, P1ffard et Garey- Cette conceptlon,.
part de la dl~tlnctlon"falte par ,.Guillaume (1969) entre "temps expllqué" et "temps impllqué":
Le verbe est un sémantème qUl' impllque et explique le temps . . . (pp.
47-48).
~ v
Le temps "expllqué" est le temps dlvisible en moments dlstlncts":
o
,
) ,passé, présent, f~tur, que le dlscours attribue au verbe; 11
relève de la chronologle; de' lUl procède donc l~·dlvlslon des
épo-'"
'" ques temporelles. Le temps "impliqué" est le temps qu.e le verbe
~, emporte avec SOl par déflnltion, qui lUl est inhérent; celui-ci
1
se tradult leXlcalement et grammaticalement, il se tradult lexica-lement en effet: "Marcher': éveille dans l'esprit l'idée d'un
•
procès dont' l'actlon peut se prolonger indéfiniment et est réelle1 ".. , '
, \
quelque so~f le temps employé, c'est un verbe à tendance ~imperfec- '; t;J.ve, l.J1dlquantl procès "sans terme flxe" (Klum cité par Martirl",
t' , \1 .1
1971,
~j.
56), t ndis qu'un verbe à~endance
perfective indique un ,procès à ""terme fixe" .et. 11 ne dévient réel qu'une fois atteinte la limlte flnale, qui n'est pas prolongeable; et l'actlon une
.'
fois réallsée, ne peut être que recommencée, tel le verbe "s\,rtir".
(Ma'rtin, 19,71, p. 59) . A ces tendances aspectuelles perfective ou•
•
(
17
, ).
imperfectlve, on peut·en ajouter d'autres: inchoative (com-mencer à)~ itératlve (sautiller) ... ~~t aspect lexical du temps impliqué du verbe, c'est la "modalité d'action" ~u.l.
s "oppose à ce qu'on appellera "aspect", c'est-à-dire la traduc-tion de l'aspect granunatlcal du "temps lmpliqué", soit l'.accom-pli, l'inaccoml'.accom-pli, la conception globale du procès que l'esprit parcourt dès son début, jusqu'à la fin sans s'y arrêter, ou, au contraire, la saisie
pu
procès dans sa durée intérieure.1.8 Les données.
1.8.1 Classification.
Les léxèmes verbaux apparaissant dans le corpus ont été classés s~ivant leur modalité d'action: tendance perfective, impetfectlve ou itérative ltendances l~s plus pertinentes pour cette étude) . Les léxèmes semi-auxiliaires ont été classés à
1
-.
part, car employés comme 't'ers, leur tendance se neutralise. "
.
,.--.
•
CLASSEMENT-DES LEXEMES SUIVANT LEUR MODALITE D'ACTION
J
Tendance im-perfective Tendance per;fective Tendance semi-. " semi-. semi-. . " ,'!Iotal 1terat1ve auxl.ll.a1resêtre: 94 couper relYondir aller avoir: 35 partir sauter pouv,?ir autres: 105 fl.nir rejaillir vouloir (attendre fermer ..• battre falloir
pleurer devoir
danser
''-.,... porter ... )
Occurrences 234 88 4 31 357
N.B. Les léxèmes ont été classés suivant la modalité d'action que comporte le~r signification dans le corpus.
1.8.2 Constatations général€s.
Cette classifl.cation permet de constater que:
- le léxème, à tendance imperfective, manl.feste pour l'imparfait une affinité particulière: sa fréquence est deux fol.s et demie plus élevée ~è pour le léxème perfectl.f;
le verbe "être", à tendance imperfective par excellence puis-qu'il exprime un état qui dure, est d'une très grqnde fréquence et représente ~O% de l'ensemble des léxèmes imperfectifs. Ceci
"
laisse à penser que la modalité d'action du léxème a une inci-dence importante sur le choix du te~ps grammatical i
-.1 "~1
- i l parut difficile de classer certains léxèmes verbaux qui sem-blent de tendance perfective au' passé composé et qui, sous
19
•
l'influence de l'imparfait s'oriente vers une certaineim-
~,..->-perfectivi té; soit "je voyais" n'est pas éloigné de "je con-templais", alors que "j'ai vu" se rapproche davantage de '~j 'ai
~
remarqué". Les temps grammaticaux semblent donc exercer sur la modalité d'action du léxèm~ une influence qui n'est pas né-gligeable;
•
le classement parut diffic~le également dans le cas de modal~té
..
"
d'act~on différente su~vant l'emploi du verbe à :la forme
affir-mative ou à la forme négative, par exemple:
s'arrêter (tendance nettement perfective)
ne pas s'arrêter (tendance nettement imperfective ""
où le léxème se rapproche de "con tinuer ") .
1.9 Conclusion. Il.
Les bases étant posées, les généralités, les explications ..l'étant données, on procédera à l'analyse proprement dite de
l'im-parfait dans le corpus proposé.
-.
•
CHAPITR~ II
L'IMPARFAIT EN CORRELATION AVEC CONJONCTIONS ET INDICATIONS LEXICALES TEMPORELLES
/
2.0 Présentation du chapitre.
Dans ce chap~tre, on se propose de situer l'imparfait dans ~e système temporel du français; pour cette analyse, on
étu-I
dlera la corrélation de l'imparfait avec les subordonnées tempo-relIes, subordonnées qui apparaissent fréquentes dans la langue française tradltionnelle et qui pourtant s ' avèr.ent rareschez
1 (
Camus, (huit occurrences), du moins dans le corpus qu'on s'est donné. Cet auteur semble éviter autant que possible les subor-données clrconstancielles pour simplifier so~ style au maximum; de ce fait, i l sera difficile de généraliser. Mais les phrases contenant des indications lexicales permettront alors d'appuyer les constatations faites. Pour plus de clarté dans l'analyse, Qn étudiera séparément subordonnées et indications lexicales tem-porelles.
1
•
•
. < .
,.
21
.
Bien que les phrases du corpus aient été classées sui-vant le caractère de la ~onjonction temporelle, il est apparu logique de les analyser simultanément.
Les séquences. rencontrées sont les suivantes:
- avec des cdnJo~ctions temporelles ponctuelles (quand, lorsque)
V (imparfa~t) + quand + V (imparfait) (une occurrence)
Quand + V (passé composé), V (imparfait) (une occurrence) V (imparfait) + quand + V (passé composé) (une occurrence)
de~ conJonct~ons simultanées (ainsl que) pendant que} V (imparfait)
+
pendant que+
V (imparfait) (uneoccur-rence) V (passé composé) + pendant qU1<.,·
t
V (imparfait) (trolsoccurrences) - avec des conJonct~ons dites de signlfication a~pectuelle
chaque fois que + V (imparfait) + V (imparfait) (une oc-currence) Les constatations que l'analyse permet de fa~re et qui
/
seront exposées dans ce chapitre sont les suivantes:
1. l'lmparfait est un temps du passé et ne présente pas de déca-lage chronologique av~c le passé composé; .
2. il n'y a pas d'isochronie entre une action au passé composé et une action à l ' imparfai t ; . , v
3. l'action à l'imparfait contient dans son espace temporel lndéfini l'espace temporel ponctuel de l'action au passé com-poséi
4. une action à l'imparfait peut n'être qu'à pelne engagée ou seulement engagée psychologiquement;
5. la signification de "quand" est .,çonditionnée par l'espace ' ; r temporel suggéré par le v~s;'" '.
•
.,...
•
6. les indications lexicales temporelles confirment les cohsta-tations faites;
of 7. les indications lexicales temporelles apportent quelques
informatlons supplémentaires quant aux limltes de l'action à
l~imparfait.
2.1 L'impar{a~ est un temps du passé et ne présente pas de
décalage chronologique avec le passé composé.
Soit une des phrases du corpus:
1.0 "Quand Je l'ai rencontré, 11 était en train d ' insulter son chien" (p. 43).
Pour tout francophone, cette phrase signifie qu'au moment où le narrateur, Meursault, est arrivé, il (Salamano, colocataire de Meursault) était occupé à lnsulter son chien; l'action était déjà en cours au moment de son arrlvée; on ignore quand cette ac-tion d'insulter a commencé, on ignore aUSSl si l'arrlvée du nar-rateur lia interrompue. La conjonction "quand" a un aspect ponctuel, elle suggère un espace temporel extrêmement limité et signifie: "au moment où".
Ici, deux actions se passent dans une période qui précède le présent du narrateur, l'une est au passé composé, l'autre est à l'imparfait. D'après le contexte, Meursault se remémore en pri-son sa Vle d'homme libre.
Dans la phrase 1.0, l'imparfait ne s'associe ni avec le présent ni avec le futur:
•
•
23
*1.1 Quand je le rencontre, i l était en train d'insulter son chien
*1.2 Quand Je le rencontreral, il était en train d'insul-ter son chien.
Pour que ~es phrases soient grammaticales, il faut que les deux actions se passent dans la même période chronologique, et que lion ait soit. deux présents, soit deux futurs:
1.3 Quand je le rencontre, i l est en train d'lnsulter
.
son chien1.4 Quand je le rencontrerai, il sera en train d'insul-ter son chien,
soit un lmparfalt et un passé composé comme en 1.0. L'lmparfait est donc un temps du passé au même titre que le passé composé.
Remargue:- Pour que 1.3 SOlt vraiment acceptable, il serait préférable que lui soit adjointe une indicatlon lexlcale telle que "touJours".
D'autre part, ~consldérons une autre phrase du corpus:
, 2.0 "Le silence était complet quand elle a eu fini" (p. 138). (où "el'le" déslgne Marle qui Vlent de répondre à l'inter-rogatolre du pro~ureur) .
La valeur sémantique de "flnir" , lntroduit par "quand" impllque ùne action antérieure à celle de la proposltion princi-pale.
Le passé surcomposé marque donc ici une
~orité
rapport à 1 1 imparfait, de même qu'fl marque une antérioritérapport au passé composé dans la phrase suivante:
)
2.1 Le silence a été complet quand elle a eu fini.
par par
•
o
.,
Puisque 2.0 et 2.1 sont deux phrases acceptables, il n'y a pas de décalage chro~ologlque entre le passé composé et l'imparfait.
2.2 Il n'y a pas d1isochronie entre une action au passé composé et une action à L' imparfal t.
-L'absence de décalage chronologique entre une action au passé composé et une actlon à l'imparfalt ne signifle pas qu'il y ait isochronie entre les deux actlons. Contralrement à celle au passé composé, l'action à l'lmparfalt marque une action en cours d'accomplissement.
Soit une variante de la phrase 1.0:
1.5 Quand je l'ai rencontré, Je sortais de chez mOl.
Les actlons de ces deux verbes se passent chronologique-ment parlant à la même époque, leur modalité d'àction
(1.7.~)--,
c'est-à-dlre l'aspect lexical du temps impliqué--est'~ peu près identique, mais les temps qul les marquent/leur donnent une va-leur aspectuelle différente: l'une est déJà commencée, elle est en cours quand l'autre survient~ 11 Y a simultanéité, momenta-nément seulement, entre les deux actions y
C'est cette constatation de simultanéité temporair,e de deux actlons, l'une à l~imparfait, l'autre au passé composé, qui
falt dire à plusieurs grammairiens (Sensine, 1951; Brunot, 1926) que l'imparfalt est le temps de la simultanéité; mais celle-ci
•
'f
•
25
.n'est-elle pas marquée plutôt par le morphème "quand", dit Warnant (1964). En effet,' soit la phrase:
1.6 Quand je l'ai rencontré, 11 a lnsulté son chien. ,\
Ici, 11 n'y a pas d'imparfalt, et la simultané~é sub-siste. La phrase slgnifie que c'est au moment précls où le nar-rateur est sorti que Salamano a lnsulté son chlen; ces deux actions sont vérltablement simultanées, car ~lles ont commencé en même temps, alors que dans la phrase 1.5, une partie de l'ac-tion est déJà accomplle lorsque l'autre survient. On pourrait également aVOlr des actlons slmultanées au futur: \
\
1.7 Quand i l lnsultera son chien, je le caresseral. On est tenté de donner raison à Warnant: en effet, l'espac'e déliml té par "quand" + passé composé suggère un espace ponctuel qui marque le moment de coïncidence de deux actions.
Deux contre-épreuves permettent de vérifier que l'action à l'lmparfàlt est bien une actlon en cours d'accomplissement.
Contre-épreuve 1: La phrase 1.5 n'accepte pas deux passés composés:
\ "
*1.8 Quand je l'ai rencontré, je suis sortl d~ chez mOl.
est
inaccePt~le,
car même si Blen que grammaticale, 1.8les actions sont simultanées, l'une conditlonne l'autre sémanti-\ quement parlant. La rencontre est conditionnée par la sortie et non la sortie par la rencontre. Il faut d'abor4 engager
'-,
•
l'action de sortir pour pouvolr engager l'action de rencontrer, c'est pourquoi il faut récrire 1.8:1.9 Je l'a1 rencontré quand je suis sorti.
Ce fait est intéressant en ce sens qu'll prouve que,dans 1.5, l'action de sortir à l'imparfait est déjà engagée au moment de la rencontre, sinon la rencontre ne peut pas aVOlr lieu.
Contre-épreuve 2: "être en train de" marquant une actl0n en cours d'accomplissement ne s'associe pas au passé composé.
Dans la phrase 1.0, on constate que le sémantème verbal marqué par l ' imparfai t est très nettement imperfectif: "être en train de" signlfle que l'action est en cours. Remplaçons l'im-parfait par le passé composé:
*1.10 Quand je l ' a i rencontré, il a été en train d'1nsul-ter son chien.
Cette phrase est 1~poss1ble alors que 1.6 est tout à falt acceptable: ~
1.6 Quand Je l'ai rencontré, i l a lnsulté son chien.
Si 1.10 est inacceptable, c'est que la modalité. çt'.action/, dù syntagme "être en train de" est indépendante de toute limite finale. Il est imperfectif par déf~nition et n'accepte le passé composé en aucun cas. Est inacceptable aussi:
*1.11 Il a été en train de dormir (d'attèndre, de partir,
•
•
27
Une actlon dans son déroulement, en cours d'accompllsse-ment, ne peut donc s'exprimer au passé composé puisqu'il y a in-compatibilité entre "être en traln de" et ce temps.
2.3 L'actlon à l'lmparfait contient dans son espace temporel lndéfini, l'espace temporel ponctuel de l'action au passé ~omposé.
SOlt une autre variante de 1.0:
.'
1.12 Quand Je l'ai rencontré,il lnsultait son chien.
il
Sous l'influenc~ de l'lmparfait (1.8.2) ce verbe s'orlente vers une certaine imperfect,lvité. Le procès du verbe n'est pas llmlté, l'action peut se prolonger lndéfinlment, elle n'a ni com-mencement nl fin, les lnsultes peuvent se multlplier à l'envi, malS, par contre, dans:
1.13 Quand 11 a lnsulté son chien, Je dormais
l'action d'insulter est Ilmltée dans le temps, et même Sl elle a une certalne durée, elle se place entlèrement dans l'espace tem-porel consacré à dormir sans en occuper tout l'espace indéfini.
Les remarques faites en 2.1, 2.2 et 2.3 se résument dans
• .-1 -'0) le schéma SUlvant: nj Ul 0 r-i III \Q) E 0) ~ 0 n4J CJ s:: '0 0 '(1) ~
g
Ul Ul::s
0) nj O~ ~i l était en trafn d'" sulter son chien
---~
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-partie accomplie IMP partie inaccomplie de l'action de l'action
•
•
Ce schéma se l i t de la façon suivante:
i
L' imparfa1. t exprime le procès en cou·rs d' accomplisse-ment vu d'une façon analyt1.que, ce qui lui permet de receV01.r une incidente au passé composé; la partie inaccomplie du
pro-~
cès à l'imparfait se réalisera ou ne se réalisera pas, peu im-porte. L'imparfait n'e~t donc pas le temps de la simultanéité, mais c'est sa coloration aspectuelle qui le préd1.spose à cettt fonct1.on: le fa1.t perçu ou conçu s1.multanément se greffe surI le déroulement d'une action.
2.4 Une action à l'imparfait peut n'être qu'à pe1.ne engagé'€: ou seulement engagée psychologiquement.
Une telle act1.on n'apparaît pas dans le corpus, malS elle est S1. fréquente dans la langue qu'on a jugé nécessaire d'aborder la question 1.ci. Il est très possible d'imaginer une
,
telle act1.on dans ~ne variante de 1.0:
1.14 Quand 1.1 a insulté son chien, je sortais.
D'après les constatations fa1.tes précédemment, on peut très bien concevoir que le narrateur soit en train de sortir, l'action peut être vue en cours d'accompl1.73sement et engagée-.
Ce genre de structures a donné lieu à de nombreuses con-troverses. Le Bidois (1967) nie ici toute s1.multanéité, c'est une "fausse simultanéité", dit-il. En effet, dans l'exemple
•
•
1.15'
29
Je sortais quand vous êtes arrivé ( ... mais je ne suis pas sorti)
le locuteur ne sortait pas réellement, il étalt seulement sur le ' pas de la porte. L'imparfait marque iCl le fUtUE, dit-il, le successif dans le plan du passé. Imbs (1968, p. 92) quallfle cet
imparfait d'imparfait de "tentatlve",l "Je sorta'is" évoque unè action déJà en-cours, au mOlns d'lntentl0n, et qUl n'a pu s'en-gager ~ntièrement à la suite d'un événement imprévu.
Peu importe, dit Warnant (J964) que l'actlon ne se SOlt pas réallsée, l'imparfait se justlfle lci parce que l'actlon est engagée psychologlquement sinon déJà physiquemont et matérielle-ment (avolr déjà enfl1é son manteau, par exemple) .
Si l'~n accepte que l'lmparfait est vu d'une façon séca~te
(volr schéma
~.3),
la portion de l'accompli peut être extrêmement petlte, et très grande la partle à accornpllr" qui peut même 'nejamals se réaliser. On est donc tenté d'approuver Warnant à con-dltlon de donner au léxème "sortir" une définition sémantique beaucoup plus vaste que slmplement celle de "passer le pas de la
lwagner et Pinchon (1962, par. 436), eux, parlent d'impar-fait "d'immlnenèe". Le Bidois (1967) parle aussi d'imparfait de~~ "tentative": i l exprime une action qu'on a tenté de mener à bonne fin sans y parvenir:
"je cherchais à persuader" ou "les pleurs qu'il ,retenait coulèrent un moment" (par. 723) .
Ma~s l'idée de tentative, ~ci, paraît exprimée par le sémantème
vef~a+ ~t non par l'imparfait.
•
0.
•
30 .t.
porte". Quoiqu'il en soit, on aura l'occas~on de revenir sur cette question dél~cate à propos de l'imparfait et du présent dans l 1 analyse des complétives (3.2.3) .
....
2.5 La s~gnificat~on de~quand" est condit~onnée par
l'espace temporel ;wggéré par la verbe.
"
On a remarqué que s~ l'apt~on est vue globalement, dans
"
sa totalité, elle est au passé composé et "quand" s~gn~fie "au C"!'""'"'
moment où" (2.2)7 ce morphème perd son caractère ponctuel em--."ployé avec l'imparfait:
,)
- si l'action à l'~mparfait se réfère à une pér~ode donnée du passé, "quand" prend un caractère ~tératifi
,
- si l'act~on à l'~mparfai~ est vue en cours d'accomplissement, "quand" sign~~ie "pendant que".
/
2 . 5 .1 "Quand" prend un caractère itératif, soit une autre variante de 1.0:
1·.16 Quand je rencontrais Salamano 1 i l était en train
d'insultèr son chien.
Cette phrase est parfaitement acceptable, si, dans le contexte. elle se réfère à une période donnée dans le passé ou suppose un point de repère chronologique:
1.17 Quand je
,.in
rencontrais Salamano, i l était toujours d'insulter son chien .•
•
31
La nécess1té d'un point de repère est due au fait que l'imparfait donne une image sécante de l'action n'ayant, ni commencement ni f1n; de ce fait, une phrase ne contenant que des 1mparfaits est impossible à s1tuer dans le temps sans au-cune 1ndication lex1cale parallèle.
D'autre part, l'incidente subordonnée (quand
+
imparfait) n'est plus cOns1dérée comme ne se produisant qu'une seule fois,1
ma1s comme une actlon se reproduisant dans le passé chaque fois que le narrateur rencontrait Salamano. On constate ainsi qué
l'lmperfectlv1té de l'imparfalt n'est pas compatible avec lt es -pace llmlté et ponctuel du morphème "quand" et que d'une telle associatlon nait un effet d'itération, et 1.17 est l'équivalent de:
1.18 Chaque fois que je le rencontrals~ i l était en
~raln d'insulter son chien.
C'est ce même emploi de l'imparfait qui apparaît dans une autre phrase du corpus:
3.0 "Ma1s chaque fOlS qu'il parlait, le sang de sa blessure faisait des bulles" (p. 83).
(Raymond le souteneur et colocataire de Meursault vient d'être blessé sur la plage par l'Arabe).
Ici, on assiste à une réitération explicite du procès de la subordonnée et' du procès de la prlncipale. "Imparfait d'habitude",'''imparfait de r(!pétition" disent les grammairiens;
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.'
on aura l'occasion de revenir ultérieurement sur cette question pour l'approfondir (4.3).
2.5.2 L'action est vue en cours d'accomplissement, Il quand " signifie "pendant que". So~t la phrase suivante:
1
4.0 "Il était commode quand maman était là" (p. 33). ("il" représente l'appartement).
L'~nterprétation de cette phrase est la suivante: tout le temps ~e sa mère éta1t là, l'appartement était commode. On se réfère donc à une période du passé qui donne le point de repère jugé nécessaire P?ur la phrase
,dans la phrase que des 1mparfaits. Le
1.16 quand n'appara~sseft \
morphème '~quand" 1 suiv~
de l'imparfa1t ne suggère plus un espace lim1té, mais une pé-riode de temps si large que l'imparfa1t s'y inscrit sans qu~ sa valeur aspectuelle en S01t changée, et "quand" équivaut alors à
.P" '
"pendant que". Les 'deux ~mparfai ts dans cette même phrase font assister à un déroulement parallèle de deux procès et 4.0
signifie:
']
'4.1 Il était commode pendant que maman était là.
Remplaçons l'imparfait dans la principale par un passé
compo~é:
4.2 Il a été commode quand maman était là.
Cette substitution modif1e le sens de la phrase de la, façon suivante: le fait qUe cèt appartement ait été commode ne
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couvre plus forcément toute la durée du séjour de la mère. La
.
commodité de l'appartement est vue globalement, et par suite peut devenlr incldente, au cours du séjour de la mère.
Remarque: Dans le cas où n'apparalssent que des lmparfaits dans une même phrase, le choix de l'emploi de ce temps dans
la prlnclpale peut dépendre du contexte; il ne trouve pas forcément.toute sa justlfication au sein de la
phrase même; 'icl, on tente seulement d'expllquer ou de de justlfler les emplols de ce temps en corrélatlon avec les conjonctions temporelles. L'imparfalt en
corrélation avec le contexte sera étudlé ultérieurement (Chapltre VI) •
,
On retrouve dans le, corpus une phrase équivalente à 5.1:
5.0" . . . et elle avançait à la force des bras pendant que je l'aidals en battant des pieds" (p. 78).
(Marie nage en compagnie de son ami Meursault) •
"Pendant que" est une conjonction temporelle d~ simulta-néité, et dans cette phrase, la subordonnée exprime une période de temps dont la durée est très vagu~; étant donné la valeur aspectuelle de l'lmparfait, cette conjonction devrait avoir des afflnités particulières pour ce temps, affinités qui ne sont pas éVldentes dans le corpus puisque "pendant que"
+
imparfait n'ap-paratt que quatre fois. Dans trois cas, on a la séquence:Passé composé
+
pendant que+
imparfait /•
'. ,1/
/
1 11
1
6.0'~endant que mon avocat continuait à parler, la
trompette d'un marchand de glace a résonné jusqu'à moi" (p. 153).
(Au_ cours de la plaidoirie de son avocat, Meursault perçoit les bruits de la rue) .
Ce cas dlffère de 5.0 par le fait que la proposition principale s'inscrit d'une façon ponctuelle dans l'e~pace de temps de dlmenslons indéfinies- représenté par l'oraison de l'avocat. Cette con]Onctlon sltue en elle l'actlon du verbe prlncipal, et celle-ci joue le rôle d'incidente par rapport à l'action du verbe de la subordonnée, elle trouve ses limites dans la pérlode lndéfinle marquée par "pendant". Tout conunen-talre sur cette phrase re]Olnt les constatations précédentes, et vaut également pour les phrases contenant les verbes classés 171, 172, p. 83, et 207, p. 103.
Remarque: A ces phrases où apparalssent deux imparfaits, l'un dans la proposition princlpale, l'autre dans la propo-sition temporelle, on peut adjoindre des phrases où des imparfaits sont en corrélation avec des gérondlfs
(deux occurrences dans le corpus). 7.6 "Il slfflait en descendant-II (p. 73).
(Meursault et Marie attendent un colocataire, Raymond, avec qui ils doivent passer la journée du dimanche: Ils l'entendent fermer sa porte et siffler en des-cendant l'escalier).
"!o-S.O "J'étouffals en criant tout ceci" (p. l7Sf.
(Sensation qu'éprouvait Meursault au cours de sa révolte dans la prison en présence de l'aumônier).
L'action exprimée par le gérondif et celle exprimée par le verbe principal sont simultanées et l'agent des deux actions
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,
est le même. L'imparfait et le gérondif font assister à un dé-rouleme1t parallèle de deux procès. Une des structures
sous-jacentes de 7.0 et 8.0 pourrait être celle-ci:
tandis qu-e pendant que i l sifflait j'étouffais S2 '
~
il descendait je criais ceci2.6 Les indications temporelles lexicales confirment les constatations faites précédemment.
"
2.6.1 L'imparfait est un temps du passé (2.1).
Une seule phrase du corpus contient une indication lexi-cale tempore~le confirmant cette constatation que l'imparfait est un temps du passé:
9.0 "Hier, c'était samedi et Marie est venue comme nous en étions convenus" (p. 53).
•
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2.6.2 L'emploi des1adverbes "déjà" e,t "encore" conf ir-, ment que. l'imparfait marque une action en cours d' accomplisse-'
ment (2.2).
L'adverbe "déjà" marque la précocité d'un procès et celle-ci peut concerner deux réalités différentes, soit le procès lui-même, soit le moment du procès. Les deux occurren-ces de ~et adverbe dans le corpus lllustrent les deux cas.
SOlt la phrase SUlvante:
10.0 "Il Y avait déjà deux heures que la journée n'avançait plus" (p. 88).
(Le soleil, la chaleur accablante incommodent le narrateur Sl bien que son crlme ne serait que la résultante mécan~que d'événements accidentels et de sensatlons passlvement reçues) .
En 10.0, "déjà" marque un procès partiellement accompll au moment où i l est saisi, procès accompli depuis deux heures, qui peut durer encore, mais on ne se prononce pas sur la partie inaccomplle du procès. Le schème de langue de l'adverbe se
,1
superpose dans une "parfalte adéquation" (Martin, 1971, p. 255) à
celu~ des temps imperfectifs, et à ce "déjà" correspond le même