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La représentation de l'écrivain dans l'oeuvre de Jacques Poulin

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1.1

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(2)

La représentation de "écrivain dans "oeuvre de Jacques Poulin

par

Nathaly Ledoux

Mémoire de maîtrise soumis àla

Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiII

Montréal, Québec

Juillet 1995

(3)

.+.

National Library of Canada

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(4)

RÉSUMÉ

Par l'analyse des figures intratextuelles d'écriture, ce mémoire fait apparaître le caractère autoreprésentatif qui marque l'oeuvre de Jacques

Poulin. En s'inspirant des trois niveaux d'analyse de l'autoreprésentation

établis par Janet M. Paterson, il montre que l'oeuvre poulinienne s'érige en véritable système.

Le fait qu'un auteur choisisse de mettre en scène un personnage-scripteur aux prises avec les difficultés de récriture s'avère de soi significatif:

ilsouhaite manifestement attirer l'attention du lecteur sur le discours littéraire présent dans son oeuvre. L'écrivain fictif révèle donc ainsi les conditions

concrètes de l'acte de création. Cette étude suggère que la présence de

figures auctoriales confere une complexité accrue au texte et soulève la

présence d'une théorie de l'écriture immanente à l'oeuvre poulinienne. Ce

mémoire montre également que si le discours de l'écrivain correspond à une

autothéorisation de l'écriture, celui du lecteur fonctionne en véritable mode d'emploi. Le lecteur fictif, en dévoilant sa conception de la lecture, indique de quelle manière l'oeuvre poulinienne entend être lue.

Enfin, ce mémoire suggère que si l'oeuvre poulinienne est parsemée de références littéraires, elle présente également de multiples références à

elle-même. Ces nombreux chassés-croisés indiquent que cette oeuvre constitue

(5)

ABSTRACT

This thesis analyses the intratextual literary symbols of Jacques Poulin's writings, and illustrates the autorepresentative characteristic of his production. Inspired by the three levels for the analysis of autorepresentation established by Janet M. Paterson. this essay demonstrates how Poulin's writings do, in faet, compose a system.

The author's choice to stage a character writer experiencing difficulties in his creative effort, is representative in itself: Poulin obviously wishes to attract the reader's attention to the literary discourse of his writings. The concrete circurnstances of the aet of creation are therefore revealed by the fictitious writer. This essay suggests that the presence of auetorial figures complexify the text and generate a theory of the act of writing inherent to Poulin's works. If it shows how the author's discourse corresponds to an

autotheorisation of the aet of writing, it also shows how the reader's

discourse works as instructions. The fictitious reader, by revealing his conception of the aet of reading, indieates how Poulin's novel's should be

read.

Finally, this essay suggests that Poulin's production is not only filled with literary referenœs, but also with nmnerous references to itself. This network. of autoreferences implies that Poulin's writing must be considered and studied as a whole.

(6)

TABLE DES MATIÈRES

Résumé... p. 2 Abstraet... p. 3 Remerciements... p. 7

INTRODUCTION

Du récit spéculaire au romancier fictif... p. 8

Les miroirs du lexie .

L "eCT/vam ace' . fi aumIroIr. . .

Jacques Poulin: une oeuvre qui se réfIéchil.. ..

p. 10 p.17 p.23

CHAPITRE PREMIER

L'écrivain fictif: romancier-narrateur et personnage-romancier... p.31

L· · · · f i i / I lecrlVam Icll e e roman ue ecrllure esqulSSee.II'" ' . .

L'écrivainfictifet le roman de 1'écriture accomplie .

p.33 p.44

CHAPITRE DEUXIÈME

L'écrivainfictif: unpersonnage au coeur double... p.S9 Le personnage.lecteur... p.61

(7)

CHAPITRE TROISltME

La mise en abymeel l'intratextualité comme procédés

d'autoreprésentation... p.81 Lamise en abyme... p. 86

L·intratextua[ilé... p.92

Conclusion... p. 98 Bibliographie... p. 109

(8)

(9)

REMERCIEMENTS

Je voudrais exprimer ma reconnaissance au professeur Jean-Pierre Boucher qui m'a suggéré ce sujet d'étude. Je le remercie également pour sa confiance, son appui et ses précieux conseils.

Merci à Lyne dont les connaissances de l'anglais m"ont été d"un grand secours.

Enfin, je tiens à remercier Jocelyn pour sa patience et son soutien tout

(10)

INTRODUCTION

Du récit spéculaire

au romancier fictif

La littérature s'adresse à soi comme subjectivité écrivante. ou elle cbercbe à ressaisir, dans le mouvement qui la fait naître. l'essence de toute littérature;etainsi tous ses fils convergent venlapointelaplus fine - singulière. instantanée, et pourtant absolument univenelle - , ven le simple acte d'écrire· •

En peinture, la réflexion de l'art sur soi relève depuis longtemps de la

pure convention. On accepte donc les références que font les peintres à des

oeuvres du passé - certains se pennettant même de les reproduire dans leur

toile! - ainsi que celles qu'ils peuvent faire à leurs propres oeuvres3, à leur

métier ou encore à eux-mêmes. Pardesjeux demiroirshabilementdisposés, il

arrive qu'un peintre réussisse à insérer sonautoportrait ou, mieux encore, à se

leprésenterpeignantjusternent la toile que l'on a sous les yeux. Les Ménines ~

1 FOUCAULT,Michel,LesMolui Inchoses.Paris,ÉditionsGallimard.coD.'TeI:'l966. p.313.

:

NousD'awasqu'à~mllbleaudeA Bruœ-PagèsiDIituIéRDphalIpis&1fiàLéonardde ~inci,dans IcqudfiauraIllIOII~La.Joœnde,maisson lIllldèIe.

J SeunIt dansUsP-.-,areproduituœp8lliedesatoileUn~aprës-midiàl'ikde laGrande Jalle.

(11)

Velazquez offre un excellent exemple de tous ces procédés4• Ici. «Velazquez ne s'y donne plus comme le centre fixe et invisible par soi-même. autour duquel s'organise le spectacle, ilimagine celui-ci àpartir d'un autre point de vue que le sien, il voit - et se voit - par les yeux d'autrui5». Ces phénomènes d'autoréférence et d'autoreprésentation. bien connus en art pictural. se manifestent également dans la littérature.

Parmi les oeuvres littéraires québécoises les plus autoreprésentatives. cene de Jacques Poulin nous intéressera particulièrement Chez cet auteur, l'autoreprésentation se manifeste notamment par la présence de nombreux écrivains fictifs. Cependant, avant d'aborder l'étude du personnage-écrivain dans l'oeuvre de Jacques Poulin, il nous faut préciser les assises théoriques de notre recherche et rappeler certains concepts qui nous seront utiles. Nous constaterons ainsi qu'André Belleau apparaît comme un des rares critiques littéraires ayant cru bon de se pencher spécifiquement sur le phénomène du personnage romancier. Beaucoup se sont intéressés à ce qu'on a nommé les «miroirs» du texte littéraire, la plupart ont reconnu l'existence du

personnage-écrivain, maispeu. comme nous le verrons, l'ont questionné sérieusement

• PourUDedescriptionetUDeanalysedélaiIIéesdecettetoile. voir Micbd FOUCAULT. «LesSuivantes>o•

.QRà,.p.19â31. .

, GEORGEL. PieneetAme-MarieLECOQ. La Peinturedanslapeinture. Paris.Editions Adam Biro. 1987. p. 192-193.

(12)

10

LES MIROIRS DU TEXTE

Lorsque l'on parle des miroirs d'un texte, on peut vouloir signifier trois

choses. Tout d'abord, que letexte réfléchit le monde réel. que «la littérature et

l'art sont le <<miroimdela vie sociale6», c'est-à-dire que letexteest mimétique? .

Cette idée del'oeuvre comme référence au réel a été con~~ pardenombreux

critiques8• Rappelons notamment les propos de Catherine Kerbrat-Qrecchioni

qui affirme, que bien que tout lecteur soit disposéà tomber dans le piège de la

fiction en confondant diégèse et

réalité.

il se doit de demeurer conscient

précisément du caractère fictionnel d'une oeuvre littéraire. Selon

Kerbrat-Orecchioni, un textedefiction ne réfère pasau réelmais plutôtàlui-même. La

littérature représente donc pour Kerbrat-Qrecchioni «un gigantesque trope

fictionnel9».

Par miroirs du texte, on peut également désigner le fait qu'un texte

réfléchit d'autres textes, c'est-à-dire qu'ily atraces dans une oeuvre donnée des

lectures de son auteur, c'est ce qu'on a appelé l'intertextUa1ité. En fait, pour

beaucoup de critiques. lephénomène d'intertextualité esttoujours présent dans

une

oeuvre.

Ainsi, selon Philippe Sollers. «tout texte se situe à lajonction de

• PLEKHANOV.CieoIBiiV~L:4rt",la.v,-".Paris.Êdilions.SociIIes.I9S3. p.265.

7 Veitrà.cesujclErichAllERBACH.Mimais:laItptistnlotiondl!la rétJlili dans la/illirœll!'cc ., 'ak.

Paris.EdiIioasGaIIimInI.1968. 559JlIllCS..

1 D'aprèslenanatoIogueGéranIGenme.aucun n!cit nepeuciliÙltDrbistuirequ'ilnIClllIIe.«1\ nepeutquela

_ defIçcndêrro'Dée pI'él:a.

mv-.

etcIoaœrpli'làplusouIIIOÏIISd'IllusiondeaiÏiiiésiswquiestla

seuleDmésis ..uaiwe. pour _ nàsœlDqueetpd'iml!equela ...1Iion.oaIeouêc:rile,estUDlàitde

\eapaeetquele \eapae1Ï8Jifie'"iaiIer.»FigIns

m.

Paris.F4ilions

œ

ScuiI, 1972, p.I8S.

, Vàtt IW'W' MIl Dl eIIIÏ intitulé «Le talle litrérlâc: lXWHêféseuc:e. IUIO-iéfé.... ou léf'éseoc:e fielioe -1Ie"lt.dIIIslamue

T_.

llO.1.1982,p.27à49.

(13)

Il

plusieurs textes dontilestàla fois la relecture. l'accentuation. la condensation. le déplacement et la profondeur1o».

Enfin, par miroirs du texte on peut vouloir parler d'un texte qui se réfléchit lui-même. Une oeuvre littéraire est autoréflexive si elle présente un récit dans lequel est imbriqué un autre récitet que ces deux récits entretiennent des rapports de similitude. Lucien Dll1lenbach s'est intéressé àcephénomène de mise en abymell, qu'il a désigné par l'expression plus générique de (<récit spécullure» .. 12

Pour Dll1lenbach, il s'agit là d'un concept clé permettant (da construction mutuelle de l'écrivainetde l'écrit13». En se réfléchissant, le récit s'enrichit donc. Par ailleurs, Jean Ricardou voit dans la mise en abyme une fonne de contestation: (((...) la mise en abyme est avant tout la révolte structurelle d'un fragment du récit contre l'ensemble qui le contientl4».

n

précise qu'il existe trois formes de contestation. La mise en abyme conçue conune micro-récit peut,

par anticipation, révéler le récit global et, par conséquent, révéler la fin de l'histoire. Elle a également le pouvoir de se venger du récit premier en démontrant«quelafiction qu'il proposen'est rien d'autre que la dramatisation de [son] propre fonctionneOlentlS». Enfin, la mise en abyme peut provoquer

l'abolition du temps en ce sens qu'elle a la possibilité de s'attaquer au

'0 SOll.EltS. PbiIippe. «ÉaiIureelrévoIuIion>o.11Iiork d'et&fI!IflIJIe.Paris. Édilions duScuiI.con.0Poinl('196Il.

p.77.

'1 MarcAnsenacdéIinitCOIIIIIIesuitlalIClCionde miseCIlabyme:cFOIICIiond'uIl épisodelIIITlIIifdeslinéàreIIéIer

souslIIleformeréduiœ.CIlIDIpoial ilUlIlégiqueelpli"bomoIogieofeilsembledes _ (our lIieI des

_ >

defoeuvrecIIas lequelilsulSèe». G/osmirrpt'tIIÎIjWdela

cri.

e:tlI*»ipJfu/nt.VilleLas.De. ÉdirioasHunubiseHMH.1979.p. 29.

11 Lucien DIIIeabM:hlIIribuelacIécouw:rtedeceCIOIICtPllittérlire àAndré Gide.Enelfe!,GideUIÎlCIIIpWIlé cetameàIDIprocédéhéplcfiqnequic:oasisIeàiepiéseuluàl'inlérieard'ullbillion, enpluspetit, IeClllllClUrde cemèmebillion,

U DAu.ENBAcH.Lucien,Le/UcIt'l*"1trtrr:tsmi$lIT~mbeenabJ-.Paris. Édilions duScuiI.lm.p.2S

'4

RlCARDOU.JaD,PIobaIr.ulu_-.Paris.f6tinnsduScuil.I967.p.l81.

(14)

12

déroulement chronologique de la fiction. Jacques le fataliste serait à cet égard un exemple parfait

Selon Dll1lenbach, il y auraitdans un texte littéraire trois types de mises en abymel6: la «réflexion de l'énoncé», la «réflexion de l'énonciatioID> et la «réflexion du code». Par «réflexion de l'énoncé», Dllllenbach désigne les citations de contenu ou encore les résmnés ïntertextuels. La «réflexion de

l'énonciatiom> sesubdivisequant à elle en trois branches. Lapremière concerne

ce que Dllllenbach appelle la <<présentification diégétique du producteur du

récit», c'est-à-dire l'introduction de l'auteur implicite. Dllllenbach précise que le récit a alors troispossibilités:

1-feindre delaisserle responsable du récit intervenir en

son

nom propre; . 2-instituer

un

narrateur,

3-construire

une

figureauetorialeetlafaire endosserà

un

personnage.

Lesecondtypedemise en abymedel'énonciation est relatifà lamise en

évidence de la production ou de la réception, c'est-à-dire à la situation des

protagonistes. Quant au troisièmetype. il est la manifestation du contexte qui

conditionne ou a conditiOlUlé cette production - réception. C'est le récit du

récit

Enfin, le typedemiseen abyme qu'estla«réflexiondu code» contribue certainement à la mise en évidence de l'architecture du texte. Comme le

souligneDlI1Ieobadl:

C'estdire qa'CIl readut iatdligihle lemodede foadioaaemeI!t da réâtla

riIIaioDtalaeOe esttoajoana1lllÏmileeJlabymedacode.aIonqueœtte denaià'eapourClU8diiisdqwdel'ftSer ceprillcipede

foac_aelDellt-maiI_pourall1DtiiiÎ8!Uleta:Ieqais'yœaI'orme17•

16 LucieDDIIIeabKbUliIiaelescqa .f tcmiIeenëyaDetcn!lIelliœ>SIIIS dj....,icaappiienle. Afin

d'éviœrdeperpélDer_lés', ,.,.,._a'UIiIisenlasque Ieu:rmedecmileen~.

(15)

13

Dallenbach a donc permis un élargissement de la notion de mise en abyme. Nous pouvons en fait affirmer que

ses

théories ont donné naissance à un autre concept littéraire: celui de l'autoreprésentation. Ainsi donc. l'autoreprésentation, soit en les dénonçant, soit en les modifiant, soit en les contestant ou soit en les empnmtant tels quels. dérive des trois types de réflexions que l'on adéfiniSprécédemment En effet, prenons par exemple l'idée du texte référantauréel Selon les partisans de l'autoreprésentation, le lecteur de l'oeuvre autoreprésentative cherche à percevoir letravail du créateur plutôt qu'à identifier un référent À cetégard, Janet M. Paterson affirme qu'un «texte qui exhibe

sa

dimension littérale conteste la tradition de l'art comme processus

mimétique car, pour autant qu'il attire l'attention sur son fonctionnement, il

subvertitl'illusion référentielle18». Jean Ricardou pousse plus loin cette idée en

affirmant que «dans un texte. l'autoreprésentation est une activité d'antireprésentation19».

Par aillems, Catherine I<elbiat-Qrecchionni, bien qu'elle insiste sur l'importance du caractère fictionnel d'une oeuvre littéraire. s'oppose à toute théorie de lanon-référence. Selon elle, un texte réfère toujoms d'une certaine manière à un monde «posé hors langage». Autrement dit, puisqu'un texte ne renvoie

pas

au réel, il ne peut que référer à lui-même. Les mots <dutiD» et

«arbre» illustrent bien cette idée puisque bien que possédantun statutsemblable

- touslesdeuxré~ent àquelque chose - nousconstatonsque lepremier ne

désigne

pas

unobjetduréel

I l PATERSON,JaaetM..Aa.aifS jJOJtIifOd&mtsdansle _ qllibiœis,0lIawa,ÉAfitjgnsdesPreslesde

nIaMniIéd'Otiawa,1993.p.38.

(16)

14

Ainsi, l'autoreprésentation est relative à une oeuvre qui parle d'elle-même20• Janet M. Paterson s'est particulièrement intéressée àcette notion. Elle atlinne qu'une des caractéristiques du roman postmodeme se situe dans son caractère autoreprésentatif:

Marqué au niveau du discours par l'accumulation de procédés

autoreprésentatifs, dont la mise en abyme, la métaphore scripturale et les

réduplications, le roman postmodeme parle inlassablement de l'écriture, de la lecture, du travail critiqueet.d'une façon plUli générale de l'arr· •

Elle propose trois niveaux d'analyse de l'autoreprésentation d'un texte

littéraire. Selon elle, l'autoreprésentation se manifeste tout d'abord le plus visiblement au niveau de l'énonciation ou, plus précisément au niveau du narrateur, puisqu'un texte autoreprésentatifmet pratiquement toujours en scène un narrateur-écrivain. Lafigure auctoriale ainsi mise en place pennet au lecteur une connaissance accrue du producteur de récit fi s'agit du discours d'un écrivain fictif chargédereprésenter l'auteur véritable.

On peut également analyser l'autoreprésentation d'un texte au niveau de l'énoncé, c'est-à-dire au niveau de la narration. À l'intérieur même de la

narration, le critique pourra différencier des procédés d'autoreprésentation relevantdela diégèse tels lamise en abyme, la réduplication et l'enchâssement, les métaphores et les figurations; ainsi que des procédés relevant du code tels la

parodie, l'intertextualité, les structures desurfonnalisation, les jeuxdusignifiant

,. PourJean RicanIou roeum:lIIlOrepréseIIIne seCOIIlCDIe pasde parlerd'dle-même. ScIonlui. ilest possible depenlMlirdansun _ lathéoriedece _ Cestcequ'illlOJJlJJJerllJJlOlhéorisat ns'agiten làit cI'uné - . _ lilléraiJe qui apporte une rélIecion sur son CIIIlIdère ...epi*,"'jf En ce sens,

rllJlOlbéolisaliondevientundesaspedSde1'aulorepëse'"'ion. Voiràcesujet:RlCARDOU.Jean. op.cil..

p.\Sà2S.

(17)

15

et le champ lexical. Autrement dit tout le discours awa tendance à paner sur la construction d'lUle oeuvrelittéraire.

Enfin, on peut identifier l'autoreprésentation dans Wl texteencoreWlefois

au niveau de l'énonciati~ mais cette fois ils'agira plutôt de son récepteur. En effet, l'autoreprésentation est également visible au niveau du narrataire:!2. Le lecteur fictiffaitalors partie intégrante du récit Le dernier roman de Poulin. La

Tournée d'aulOmne23, offre unrécit essentiellementcentré sml'acte delecture. Janet M Paterson précise bien l'importance du rôle que joue le lecteur fictif:

Legeste. le grand geste.qui .'inscrit(lenarrataire)à .'iDStar du aarrateur-écrivaia et à .'iastar éplemeDt des multiples formes de réflesivité dans

.'éIlODœ. le situe d'uae faÇGD déliaitive dans le double du double de l'écriture.OU,plus précisémeatdaas ce cas.dansledouble du double dela

réceptioa dutextelittéraireu •

Janet M. Paterson propose d'ilIustter ces trois niveaux d'analyse de l'autoreprésentation ainsi25:

t-tNONCIATIONJNARRATEUR (L'auteur)

2-tNONCÏ'JNARRAnoN (L'oeuweIitt&aift)

(1)cIqèIe a)aûIealabyme

b)ridaplkltioaetenc"hemeat c)lMtapboreI d)fIpndoas (D)œde a)parodie b)iDla1eila_ c)stnIdIU'eIde1IIIf0l'lllllilad0a d)jea dasipillMt e)dlllaplaicIl ~tNONCIAnoNJNARRATAIRE

:z2 FrancSc:IucrewepDsn. . .que«Ie~f!atlelecteurdéjàCIlpliee.celuiqueletexIe.créé pour

lui-mêmeetquim'est dèslorsétraDgeD. FrancSCHUEIŒWEGEN.«LeTexte du1'llIIUIIÎre». TaRt110.5-6. 1986-1987. p.219.

23 POUUN..1Icques.LaTOIImhd~. MoatréIlÊdiIionsLeméIc, 1993. 208 PIIJeS. Désormaisle SaleTDAseraUIiIiIé.direclemeatsuMdespasesciIées:demême pour lesallial'OIIIIIISdePoulin. :u B!id.. .34.

15 - p

(18)

16

Ainsi, le texte autoreprésentatif a pour but de présenter la construction même du récit, et, ce faisant, il doit mettre en place un producteur de récit ainsi que son récepteur. Linda Hutcheon a bienperçul'importance nouvelle accordée au narrataire. En effet, elle affinne que l'auteur d'un texte autoreprésentatif se doit d'être conscient de la présence obligée du lecteur. Elle va même jusqu'à comparer l'activité créatrice de l'écrivain avec le rôle du lecteur qui «prend les motsdel'auteuretfabrique à son tourWluniverslittéraire26».

Bien entendu, on pourrait opposer aux propos des théoriciens de

l'autoreprésentation le fait que Lucien Dallenbach avait déjà, dans sonétudede la mise en abyme, accordé toute son importance au narrateur-écrivain ainsi qu'au lecteur fictif. Cependant, ilresteque Dallenbach n'y avaitw que des doublesde

l'écrivain réeletdulecteur réel De plus, Dallenbach voyaittrois possibilités de

mise en abyme (celle de l'histoire, celle de l'auteur, celle de l'écriture) pouvant exister indépendarmnent les unes des autres. Ce que les partisans de

l'autoreprésentaton apportent de nouveau, c'est la conception de l'oeuvre littéraire en tant que système. Une oeuvre autoieptésentative ne se contentepas de mettre enscène \Dl auteur écrivant 1Dltexte, elle présente plutôt Wl écrivain

réfléchissant sur l'écriture d'une oeuvre littéraire, 1Dl écrivain conscient de sa

pratique scripturale. Ainsi, le terme d'autoreprésentaton est moins limitatif

puisqu'il permet de parler du caractère systématique d'une oeuvre littéraire.

Autrement dit, l'autoreprésentatoo s'intéresse non pas seulement à la petite

histoiIe contenue dans la grande histoiIe et à leur rapport de similitude, mais

plutôt à tous les miroiIs d'une oeuvre, à tout ce qui peut réfléchir l'oeuvre tant

(19)

17

dans son aspect raconté que racontant critiqué que critiquant lu que lisant. Comme le souligne Paterson:

Régie par une surdétermination maximale selon laquelle chaque paradigme est multip1ement motivé et multiplement nécessaire, l'autoreprésentation inscrit la fiction dans ce vaste espace langagier où le texte, comme dit Foucault. ne cesse de«Serecourber dans un perpétuel retour surSOp.Z7 •

Aussi., la mise en abyme est-elleperçue par Janet M. Paterson non pas comme \Utsynonyme d'autoreprésentation. mais lUliquement comme 1'00de ses procéùés.

L'ÉCRIVAIN FACE AU MIROIR

La condition préliminaire de toute oeuvre littéraire est la suivante: la personne qui écrit doit inventer ce premier personnage quiest l'aateur de l'oeuvre21•

Platon dansLaRépublique catégorise deuxtypes de récits: le «récit puo> et la (<[Dimésis». Par «récit pm», Platon désigne tout récit dans lequel l'auteur intervienten son nom propre. sans l'intention de faire croire que c'est \Ut autre

que lui qui parle. À l'opposé, par «mimésis», il entend le genre de récit dans lequel l'auteur nous donne l'illusion que c'est \Ut autre que lui qui raconte

Z7 PATERSON•.JIaetM..JII2,SÎl..p.33. .

(20)

18

l'histoire. On constate donc que d'ores et déjà la question relative au responsable du récit seposait

Cette distinction entre l'écrivain et celui qu'on nomme aujourd'hui le

narrateur est toujours aussi débattue. fi n'y a pas si longtemps~ les critiques

s'opposant à une analyse de type sainte-beuvienne rejetaient toute idée de correspondance entre le "narratelU' et l'autelU'. Cependant, depuis quelques années, polU' les théoriciens de la littérature, le narratelU' n'est plus totalement éloigné de l'autelU',ilest son représentant, celui que l'auteur charge deraconter.

Onne cherche évidemmentpas parlààremettre en cause lUle évidence: dans un

textelittéraiœ, le lecteur esten présencede l'auteurréel (son nom et souventsa

photo sont SlU'laCOUVerbJI'edu livre) qui met en scènemlnarrateurchargéde le représenter entantque raconteurmaisnon entantque personne. Autrement dit, le «je»dunarrateur n'est sanscontreditpasle «je»del'écrivain.

Cependant, de ce raisonnementquinous semble somme toute assez~

des questions surgissent. En effet, sans revenir au type de critique d'un Sainte-Beuve, on peut se demanderjusqu'à quel point l'on doit ignorer l'auteur dans l'étude de son oeuvre puisque «chacun sait que le romancier construit ses

personnages, qu'il le veuille ounon,le sache ou non, àpartirdeséléments de sa propre vie, que seshérossont des masquesparlesquels ilseraconte etse rêve

)29

(... ».

Beaucoup dethéoriciens depuis Platon etSainte-Beuvesesontintéressés

à la nallatologie. Ainsi, pour certains, le narrateur n'est qu\me image transformée de l'auteur, il est «un personnage de fiction en qui l'auteur s'est

(21)

19

métamorphosé30». D'autres critiques. rejetant l'idée de l'auteur devenu fiction.

préferent parler du narrateur commedela représentation de l'auteur:

Le narrateur. dans le roman. n'estpasune première personne pure. Ce n'est jamais l'auteur lui-même littéralement.

<_)

D est une fICtion. mais parmi ce peuple de personnagesfICtifs.tous naturellementà la troisième personne. il estlereprésentant de l'anteur. sa «perso_J1•

Si nous nous permettons d'insister sur cette frontière (bien qu'elle puisse sembler mince) divisant les deuxconceptions du personnage-narrateur c'est qu'il nous importe de souligner le fait que le narrateur est bien distinct de l'auteur: il

est un personnage fictif que l'auteur invente dans le seul et unique but de le

rendre responsable durécit, l'auteurnes'autofictionnalise pas. Cependant, il est

vrai que les fonctions du narrateur sont similaires à celles de l'auteur. Gérard Genetteena identifié cinq.

Premièrement, le narrateur apourfonction denarrer, c'est lui qui raconte.

n

a également pour fonction d'organiser le récit En effet, il est l'instrument permettant à l'auteur d'ordonner les événements du récit selon une peispective précise. C'est aussi le narrateur qui sert d'instance communieattice en ce sens

qu'il s'introduitentielepersonnageetle1~2 .Laquattièmeetla cinquième

fonctions dunarrateursontrespectivement lafonction d'attestation (le narrateur indiquesessources)etlafonction idéologique. relativeàson discours explicatif etjustificatif. MaisGenettepréciseque «cette répartitionencinq fonctions n'est certespasà

recevoir

danslDlesprit detroprigoureuse étanchéité:

aucune

de

ces

catégories n'est toutàfait pure et sans connivence avec d'autres, aucune saufla

30 KAYSEIt. wClIfglqr.O<Quiraconlele_?lt.P«dqw.1IO.4.1970.p.504.

3\ BUTOR.MicbeI.

œm..

p.76.

32 ...~ ~ le .. • o . il obIipIoiI . du

DUWI c:ompaae reca:l'-'w'++,e • unecoaveBIItIOIlou ya a œ MtroIS persoIDa verbe:le _ quillIClllIIerhisloire(lecje»),leIeclcurquila&t(le _ )et le peillOll 8 dont011raconIe

(22)

20

première n'est tout à fait indispensable (...)33». Ainsi devons-nous considérer ces fonctions avec un certain degré de relativisme puisqu'il existe différents typesdenarrateW'S, chacun occupant certaines fonctions plus que d'autres.

Wayne C. Booth distingue trois typesdenarrateW'S. Il y a tout d'abord les simples observateurs; ce sont les narrateW'S non représentés. On les retrouve plus particulièrementdans les récits à la troisième personne. Cependant, même si le «je» racontant est absent, nous n'ignorons pas. en tant que lecteurs, qu'il existe lme force médiatrice et transfonnatrice. Autrement dit, il est clair que derrière lm «il»

se

cache toujoW'S le <<je» du narrateur.

Butor va

même jusqu'à

direquele <<je» dunarrateurn'estpasautrechose que l'addition d'un <<je»etd'lm «il»34 . Philippe Lejeooe affirme

pour sa

part que <de

recours

à la «non-personne» qu'est la troisième personne fonctionne ici comme lme figure d'énonciation à l'intérieur d'lm teXte qu'on

continue

à lire conune discoW'S à la premièrepersoone35».

Le second type de narrateUIS., que Wayne C. Booth appelle les agents narrateUIS.,

ne

fait que raconter l'histoire

sans

y tenir de rôle. Enfin, les

nanateurs conscients d'eux-mêmes COllespondent aux nanateurs représentés. Us

deviennent ainsi personnages de l'histoire qu'ils racontent Nous avons alOtS

affaire.

le plus souvent, à lm récit à la première personne. Jean Rousset s'est particulièrement intéressé à ce type d'écrits. Selon lui, dès lOtS qu'un texte présente

une narration

au <<je»,

on

peut en quelque sorteconclure que le récit

se

raconte lui-même. En effet, en devenant personnage le foyer visuel

se

trouve alors à passer à l'intérieur du récit Le

nallaœur

conscient de son existence » GENETTE.Géard,SJ;iL.p.263.

34 Pour

r.

b·'0nnedes pUlUD5,wir:MicbeIButor.

œ.m..

p.81à 83.

(23)

21

comme personnage de l'histoire qu'il raconte devient maître de tout l'univers romanesque. Rousset précise:

Tout en se distingwmt de l'auteur. le personnage chargé de la narration se voit doté d'une partie des poDVoin de l'écrivain; c'est lui qui écrit et organisele récit: sansêtre à proprement parler un auteur il est quelqu'un qui tientlaplumeetse rend maître non seulement dela narration. mais de tout l'univen du roman;ilordonnelemonde autour de lui. il se rait centre" •

Cependant, il est regxettable que Roussetnese soit davantage penché sur le narrateur-écrivain et

son

discours sur l'écriture. Qu'en est-il en effet d'un

auteurqui non seulement donne la responsabilité du récit à un personnage., mais lui assigne en plus le métier d'écrivain? En agissant

ainsi.

un auteur ne peut être dupe de son propre geste et est vraisemblablement conscient de l'interprétation quiserafaite deson oeuvre. André Belleau remarque fort justement que :<le fait qu'un écrivain choisissedeposerlmpersonnage comme écrivain s'avère de soi et à son niveau signifiant il y a là une forme d'insistance réflexive qui n'est pas

• ( )37

umocente ." ».

fi est fort étonnant de constater que André Belleau soit l'un des rares

critiques à s'êtrepenché spécifiquement

sur

le

cas

du personnage-écrivain. Pour

ce critique. la problématisation de l'écrivain fictif permettait non seulement l'étude d'ml type de personnage mais offrait surtout le saisissement de tout lm discours. Car pour Belleau, <depersormage-écrivain, quelsquesoient

son

ou ses rôles

sur

le plan desévénements.meten cause le récit connne discours littéraire:

par lui, lalittératureparle d'elle-même, le discours s,autorétère3B».

36 ROUSSET.1cIID.NGn:i.œ,_aJtI.Paris,Édilioas JoséConi.\973,p.\27.

37 BELLEAU,André. LeRDmandtrficIi/.Québec.Édilioas Les PlasescleruniwniléduQuébec.\910. p.SI. 31 Ibid.p.23.

(24)

22

Belleau a identifié trois types de roman mettant en scène un écrivain

fictif. Le premiertype qu'il nomme roman du code est celui «où la position du personnage-écrivain dans le récitet celle du narrateur dans le discours signalent la dominance du rapport de la littérature au contexte social39». Le roman de la paroleréfere quant à lui au texte privilégiant le rapport de la littérature au sujet Ce type de roman affiche une certaine dichotomie puisqu'il présente une possibilité de l'écriture chez l'écrivain racontant alors que l'écrivain raconté fait face à une impossibilité de l'écriture40• Le troisième type, BeDeau le nomme le

roman de l'écriture. Celui-ci contextualise un héros vivant l'écriture. C'est le <<vécrire» de Jacques Godbout Autrement dit, il ne s'agit plus d'un écrivain agissant dans le récit mais d'un écrivain écrivant Nous voilà face à une métamorphose du narrateur, puisque comme le précise André Belleau: «vivre manifestement l'écriture au lieu de faire mine d'écrire la vie, c'est sortir de ce qu'on a nommé l'ère de la représentation41». Voilà ce qui mérite selon lui de l'intérêt Et c'est ce qui nous intéresseradansl'oeuvre de Jacques Poulin: <d'étude des diversesfigures et modalités d'Wle écriture42».

•W ..B!is!..p.60.

... AgnesWhitIieIdaégaIttnentélabIia:IlCdistinction. En • selon eUe.un romanderomanciercompoI1e

foR:émel~deuxromanciers: le romanciernarrateuretlepersoanageromancier. Voir Le.k(u) illOl:lllDifl!,

Québec, EditionsLesPressesderunNersitéLaval,1987.

., BELLEAU.André, op.ciL.p.IS.

(25)

23 JACQUES POULIN: UNE OEUVRE QUI SE RÉFLÉCHIT

Une constante se dégage des études critiques de l'oeuvre poulinienne. En effet, la plupart des critiques affinnent que les romans de Jacques Poulin parlent inlassablement d'écriture. Figurant au centre de cette oeuvre, la thématique de l'écriture occupe conséquemment une place prépondérante dans les divers essais. D'un point de vue chronologique, il est intéressant de constater que ce n'est qu'à partir duCoeur de la baleine bleue que l'on a souligné \"importance de la représentation de l'écriture chez Poulin. Bien que Jean Éthier-Blais ait mentionné dans sa critique de Mon cheval pour un Royaume que Pierre, le

héros, était écrivain, cette observation reste sans grande signification",3. Jean Éthier-Blais n'y voyait manifestement qu'un détail relativement banal de la vie du protagoniste, aussi blUtai que le fait de fréquenter les cafés. Même chose avec André Major qui compare Jimmy à un poète: «Et tout enfant est un poète, un créateur d'images, un constructeur d'univers, un amoureux fou du monde et de tous ces mystères44». Major souligne ici l'esprit créatif de Jimmy, son côté rêveur: maisilne considère aucunement Jimmy comme une figure de l'écrit

Cest avec Le Coeur de la baleine bleue que s'éveille l'intérêt de la critique universitaire pour l'oeuvre de Jacques Poulin.4S Ce troisième roman de Poulin, présentant un personnage s'affirmant comme écrivain etréfléchissant sur l'écriture, indique clairement la voie aux chercheurs. Ce roman permetà Pierre Morency d'affirmer, telle une parole prophétique: «Ton livre est un document sur

43 É1HIER-BLAIS.Jean.ttMondrnulpour",,~dt:J~ Poulin"./A:/Xvoir.1ICIIlIrcdi30juin1967.

p.IS.

.. MAJOR.André,«Àlandltitbedelabonnetadi co.Le /Xvoir.22 mars 1969.p. 15.

., Notonsd'ailleursquelarevueNon!jHdeille en1972unlUllérospécia1surJacquesPoulin.(Non!.110.2.

(26)

24

l'acte d'écrire (...)016». Gabriel1e Poulin voit pour sa part dans le personnage de

Noel le double de Jacques Poulin: Noe~ c'est le personnage devenu l'auteur du

Coeur de la baleine bleue. Elle souligne que Poulin va plus loin encore en

«concédantà ce personnage fietifla paternité de ses deux premiers romans47».

Faites de beaux rëves amène les littérateurs à concevoir l'oeuvre

pouIinienne comme un tout. Encore une fois, mais avec beaucoup plus

d'acharnement, les thèmesprésents dans lesromans antérieurs refont surface: la

douceur,lamort, le rêveet,bien entendu,lafabulation. Pour FrançoisRicard, le

premieràavoir identifié ce phénomène, chacun des romans de Jacques Poulin

constitueunfragmentdetoutel'oeuvre:

LisaDt SOlIderaierlivre,e'est UDpeucomme si ROUS relisious aussi ses livres

p~ts. puisquetoute DOtI'eatteatioa, par-delà l'oeuvre particulière, se porte ven l'aDivers global de l'écJivaia. doat ceneoeuvre D'estpour aiusi direqu'uue aouveIIeimageou qU'UD Douveaufragment'" •

LaparutiondesGrandes maréesconfirmelesproposdeFrançois Ricard.

Ce n'est plus laléc:urrencedes thèmes qui fascine désormais les critiquesmais

le personnage-scri. Gabrielle Poulin affirme que les héros de Jac••,....s

Poulinseressemblent, quetousentretiennentunrapportàl'écriture, que«1.:ddy

Bearpourraits'appelertout aussi bienJimmyouNoelouAmadou (...

t

9». Lise

Gauvin souligne quant à elle qu'il ne s'agit plus ici d'une conception

... MORENCY.Pierœ,«Leplus grIIId _ dela WIedeQuibecouIearesàJqIesPouIimo.Nad, 110.2,

1972,p.55.

... POVLIN.GIIlridIe,«lAC_delabtzldne lJIewc1eJacquesPculiD,un _ Pésb.Relations.no. 371.

IIIIÏ1972.p.154.

.. R1CARD.FlIIIÇOÏI,cJ... PouIia:cIelaœ.-àlamorllt.LibrrIr,110.9S-96.-9 .I.e116 ..àe1974, p.97-1OS.

.. POULIN.GIIlridIe,cLtsGI-*s- * sdeJacquesPllUIiDou lagenèseenblIIIdes1 • , •&Iation.r,

(27)

2S

métaphorique de l'écriture, mais «de l'acte d'écrire conçu comme artisanat et métierexigeanro».

Pour la première fois, on parle de l'importance de l'intertextualité chez Poulin. Dans son étude génétique des Grandes marées. Jean Levasseur mentionne que l'intertextualité chez Poulin ne réside pas simplement en la mention d'autres textes littéraires; Poulin ne se contente pas de référer aux oeuvres d'autres écrivains, il renvoie également le lecteur à

ses

propres oeuvres

antérieures. Laurent Mailhot remarque que les romans de Jacques Poulin sont

remplis de livres, que tous les personnages ontaffaiœaux livres. Mais bien plus.

Les Grandes marées soulèvent selon lui la question du livre et de la place qu'il occupedansnotre société:

Ni Nouveau RoIlllUlo ni antil'OlIIlUIo ce livre fragmentaire ettotal pole non

seaIemeatlaquestion du récitet deses l'Optares, maiscelledu livre dans le livreetdans lemonde.deson aveair. de ses marges" •

Lorsque Volkswagen bluesparait, lacritique québécoise nedouteplus de la place que prendra désonnais l'oeuvre de Jacques Poulin dans la littérature québécoise. Avec

ce

roman.

la n:présentation de l'écriturefigure1ittf..'l'lI1ement au centre de l'oeuvre

pouIinierme.

La

revue

Études françaises

con-.acre alors un

numéro completà JacquesPoulindanslequel plusieurs essaisétudient lafigure

de l'écrit chez Poulin. Jack Waterman devient chez Jacques Poulin le romancier-fietifpar

excenence.

D'ailleurs,

ce

nomdeJack Waterman a généréà

lui seul plus d'une intetplétatioo onomastique. Certaines &OCiations se font

presque naturenementdans l'espritdu lecteur: «.Jack» renvoie d'unepartàJack

,. GAUVIN,Lise,cUllnoixcIiIcRle».Le DnIllir.29avril1978, p.33.

51 MAILHOT. 1.IIIIaIt. cBHothèqnel iIlBS'

.b....

le livre

œ.

cple1qnel _ cpwNr[li.... l"-Itts fiilllf'bn,1IOlXVIII.1III.3.bMr1983.p.92.

(28)

26

Kerouac dont leSur la roule a vraisemblablement inspiré le roman de Poulins2

et,d'autre part, à Jacques Poulin lui-mêmes3; «Waterman» rappelle quant à lui la marque de commerce des fameuses plwnes, ce qui amène Laurent Mailhot à affinner qu'il s'agit là «d'un nom de plwne, littéra1emenr-' ».

Pour Giacomo Bonsignore, la principale réussite de Volkswagen blues

réside dans le fait que Jack Waterman nous apparai't à la fois comme personnage agissant dans le roman et comme écrivain-fictif: pennettant ainsi à Jacques Poulin de «représenter sa conception de l'écriture en l'actualisant à traVers tout l'universconstituéetpas seulement dans les llinitesdupersonnage-écrivainsS».

Jacques Michon suggère quant à lui que, dans Volkswagen blues, le but du voyage n'est pas tant Théo que <de parcours lui-même avec lequel se confond le récit entrain de s'écrire sous nos yewê6». Plusieurs partagent cette idée du voyage comme symbole de l'écriture chez Poulin. Selon J()Dllthan Weiss, l'acte créateur tel que présenté dans Volkswagen blues, c'est-à-dire sous forme d'exploration, «impliqueladécouverte dupourquoide l'écritureS7».

Mais selon Jean-Pierre Lapointe. l'écriture chez Poulin ne se conçoitpas

sans les constanklSréférences aux auttes oeuvres de la littérature. Ainsi, dans

Volkswagen blues, plusieurs écrivains américains participent à l'oeuvre, allant

,. JacquesPoulinconfirmecetteidée:«On acomparéV~n bluesau livrecieKerouac,Ontheroad.

Ce n'estputoutà faitfiux. d'aiIIewslebérosciemonlivrene se nommepuJackpour rien». Régis

TREMBLAY.«LesHorizonséJarBiscielaIittéralurequébécoise».LeSoIril.7juillet 1984.p.Dl.

" FnnçoisHéberts'emp cl'adliin...que«larcansp~lion estlnIIlSjl&Ienle.

a

s'laitde 1acques PouIin». FrançoisHËBER.T.«Dcuxllllilresislllsdeftunaurdu_.Le~. 1211111Ï 1984.p.25.

,. MAILHOT.Laurmr.«Volbtq; 3bIwsde 1acquesPoulin.etlIIIIeSbisIoiaes

amaicailar.

OwrlrleIim.

ÉdjrioasHcxIgone.coIL'EssIisLiuaailes:"l992,p.307.

" BONSlGNORE.Gial:omo.«JacquesPoulin:uœ ''u:eplionderécrillR>t.ÉIIIdGfiilltÇt1l#s.21. 110. 3.biver

1985-1986, p.21.

36 MICHON. Jlclllles.cHeunuxqui _ _tl1ysIe...Volx&/ttItIfP,vol XI.110.1••_ 1985.p.

135-139•

3'7 WEISS.,IcM!wn «Une1ecluIelIbéricainedeVoIb«QP bIws». ÉllldGfiilltÇt1l#s.volXXI.110. 3.biver

(29)

27

même jusqu'à devenir personnages du roman~8. Lapointe constate que les romans de Jacques Poulin entretiennent de nombreu.x liens avec les romans américains.

n

affirme cependant que, «si parenté il

y

a, elle résiderait plutôt

dans une notion del'écritme que dansl'imitation textuelle proprement ditë».

Lapointe souligne ainsi que <d'influence stylistique d'Hemingway. sa notion instinctive de l'esthétique littéraire, trouvent de nombreux échos dans la conception que se fait Poulin de l'écriture60». D'ailleurs, n'est-il pas le seul écrivainprésent danschacun des huit romansdePoulin?

Maurice Lachance soulève quant à lui l'idée que les scripteurs pauliniens entretiennent un rapport d'inquiétude face à l'écriture puisqu'ils ne peuvent souffiir l'étatdesolitude nécessaire à lacréation.

n

affirme à cet égard:

Lesproblèmes delacommUDleatioaetc:eusde l'écriture sout liésdaula vie de ces penoDDageS-écrivaiDS. Et pent-être même que l'écriture demeure impossibletllDtque l'édIlIuge avee l'autre ue sefaitpas'I •

Les problèmes relatifs à la communication occupent une grande place

dans l'oeuvre de Poulin. Depuis la parution du Viera chagrin., beaucoup de

critiques se sont penchés sur le phénomène de la communication littéraire.

Ainsi,AnneMarieMiragliaaffirme:

L'écriture teUe qu'elleest représeDtéeclau les romau de Jacques Poulin évoque ...mmeat le tWme de la lecture: ces deus tWmes soat

eu Illie11emeDt~carilscoDStitaeDtdeus~d'uue seule

etmêmeprobMm'tIque -celle de lacommUDic:atioD1itléraire6Z•

51 EncIfet..appdonsqueI8dtW--..etlaGnmdeSIuIaeIIeRüCOiItid4récrivlinSIIII BdIow __ qui ils

idm. 'quelquesmots.

" LAPOINTE.1eIn-Piene.«SurlapisIeamédcaiue:leSliII4desU!lëlda:esliIIéraiIescIaas

rOCllm!

deJacques PouIin».Voircf:ItrIt1IJrS, vol. XV.110.1. _ 1989. p. 24.

'" ~.p.27.

61 LACHANCE, MIuriœ, ..Une (oudeux)wixcIaasro..,beslle».ÉIIGtsfiœapi:lG, vol. XXI, 110. 3.

ta-1985-1986,p.59.

(30)

28

Il semble donc que le centre d'intérêt de la critique pour l'oeuvre de Poulin ait amorcé Wl déplacement de l'étude de la représentation de l'écriture, l'intérêt de la critique se dirige désormais vers celle de l'acte de lecture. Selon Blanca Navarro Pardinas le personnage deJim«fonctionne conune Wlesorted'allégorie de l'acte de lecture63». Jacques Poulin lui-même semble confinner cette nouvelle voie de la recherche puisqu'il précise que «c'est le lecteur - plus exactement la mémoire du lecteur - qui, Wl eenain temps après la lecture -achève letravaildel'écrivain64».

Ainsi, bien que soulevée à maintes reprises, la question de la

représentation de l'écritme dans les

romans

de Poulin nécessite désonnais qu'on l'envisage en tant que discoms; discoms d'écrivains fictifs menant inéluctablement vers tme autotbéorisation de l'écritme et de la lecture. Notre

étude

propose

donc de démontrer que l'oeuvre de Jacques Poulin se présente comme son ptopre mode d'emploi, qu'elle s'érige en véritable système dans lequel le lecteur n'a d'autres choix que de se soumettre aux indications de

l'écrivain-person En affirmant les lois qui la gouvernent, l'oeuvre poulinieone figure œrtainement parmi les

oeuvres

les plus autoreprésentatives qui soient.

Aussi, afin dedémontrer le anc:tère foncièrement auroreprégentatjfdes

romans

de Jacques Poulin,

nous

diviserons notre étude en trois chapitres qui

6J NAVARRO PARDINAS.8IIDca.LaRqADtlIItIIionde la1«aftcircJacqwsPœ/in,tbèIedecIoc:uxat.

u...siII!McGII,1992, p.SO.

.. OUEU.ET.FIaIIÇClÏI,cEDIreweIMICJacquesl'aIIin».NtdtBIant:Ite,110.45... r iCl~

(31)

29

correspondront chacun à un des trois niveaux d'analyse établis par Janet M.

Paterson. Dans le premier chapitre qui portera sur le narrateur et sur sa fonction

d'énonciation, nous analyserons les différentes figures auetoriales présentes chez Poulin, ce qui nous pennettra, d'une part d'observer l'évolution du

romancier-fictif et, d'autre part, de dégager sa conception de l'écriture. Nous serons alors

en mesure d'affinner que la présence dans le texte d'une figure auetoriale

consciente de sa pratique scripturale confere une complexité accrne au texte

puisqu'en «acceptant de s'en faire théoricien, le praticien devient autre .

(théoricien)etdavantage lui-même (praticien)6s».

Dans le second chapitre, nousconstateronsque le personnage-écrivain ne

sauraitexisterchez Poulinsansla présencedansle textedupersonnage-lecteur.. Arme Marie Miraglia affinne même que <de scripteur poulinien ne semble

capable d'entretenirde(apports intimes qu'avec un personnage lecteur»66. Mais

cette figure du lecteur ne se limitep~ à tenirle rôle de récepteur. En effet, la

communication littéraiIe s'établit chez Poulin dans un perpétuel «jeu

illocutoire»67. Nous démontrerons par ailleurs que la figure de l'écrivain ainsi

que celle du lecteur ne sont ~ les seuls «participants»" de cette

communication littéraiIe. En effet, si le personnage écrivain affiche

conslaWlilent seslectures. c'est parcequ'ilestéminemment conscientque

celles-ciparticipentàlaproductiondeson oeuvre.

6S RlCARDOU.Jeaa.gsu;i(,.p.19. 66 MIRAGUA.AmIeMarie,mI&it.p.60.

67 NousempnmlOIIS _ exp s"011i AsnësWdIdieIdquiat1inneque raclelIImIifappelleiœlilllbla_la

péseaœ dIasIetClltedu locuIaIretdesonco-IoaIleur.d'oùrexp "011«.ie(u)iIJon"Oi'D. Voir50Il0lIVI1Ip OP.cil

61 NousempruaIOlIScetteexp '011i AmIeMIrieMirIgIiaqui conçoit"écrilurec:ommeélaIIluœf _

(32)

30

Enfin, nous analyserons deux procédés d~autoreprésentation présents dans l'oeuvre poulinienne: lamise en abyme et I~intratextualité. Nous verrons qu'outre les références que fait Poulin à d'autres auteurs~ il <<s~autoréfere» constamment Dès lOIS, il s'agira de concevoir le texte poulinien <<s'affichant

comme son propre lecteur»69.Ceréseau decoicidences indique que }'oeuvre de Poulin forme lDl tout et que le lecteur~ s~il veut faire lDle lecture efficace, doit établirles correspondances entre chacundesromans.

Bref, l'étude del'autoreprésentation dans l'oeuvre de Jacques Poulin aura pourobjetde révéler qu'il s'agit d'un système complexe manifestant une capacité à se désigner conune lieu de communication littéraire impliquant différents participants.

(33)

CHAPITRE PREMIER

L'écrivain fictif: romancier-narrateur

et personnage-romancier

L'écrivain fictif poulinien est généralement défini par la critique comme un être solitaire dont le recours à l'écritme aspire à \'exploration et à la découverte de lui-même. S'il écrit c'est qu'il est «à la recherche d'une quiétude qui ne va jamais de soi. Ni misanthrope, ni sauvage, mais solitaire: il ne fuit pas les autres, mais

se

tientàl'écart, tout simplement'». Cependant,

bien que la plupart ait constaté dans l'oeuvre de Poulin la présence des

nombreuses figmes de l'écrir, peu semblent avoir été intéressés tant par leur

évolution dans l'oeuvre que par leur conception de l'écritme. Le présent

chapitre vise donc à situer chronologiquement le personnage-écrivain dans

l'oeuvre de Poulin, à définir ses relations à l'écritme et à dégager ses

perceptions del'actecréateur.

1 CHASSAY. Jem-fruçois, «IJdJocIuc:lio. Us Grtmtln

moms.

MonaéII. Éditions BibIiolbëque québécoiseo1990.p.7.

2 AcepRJllOSGillesMII'lXlctenoœ: cO'liJJeursonD'estpasunVIlIÎpenclIIIIIp.unpent"1i.complice

deJacquesPoulin.sina ne selMe dequeIqucfaçonàla~tibuJaIrice». Gilles~dac:ques Poulin: bistoires de _ .Li~elcirr:ol r 'PJœS>EditionIL~coll"Esuislittérailet

(34)

32

Avant d'aborder l'étude de l'écrivain fictif dans les romans de Jacques Poulin, il convient de distinguer deux types d'écrivains-personnages. En effet, l'oeuvre poulinienne présente une distinction bien marquée entre les romans ayant pour narrateur un romancier et ceux dont le narrateur met en scène un écrivain. Nous appel1erons romanciers-narrateurs les écrivains fictifs

du premier type, et personnages-romanciers ceux du second type. Cette

distinction nous permettra, d'une part de considérer la fonction d'énonciation du romancier-narrateur ainsi que sa conception de l'écriture à l'intérieur même de sa pratique scripturale, et d'autre part de dégager la conception de la création littéraire du personnage-romancier, mais cette fois à travers le récit d'une instance narratrice hétérodiégétique.

Notre analyse des figures auctoriales chez Jacques Poulin s'inspirera de l'ouvrage d'André Bel1eau dans lequel celui-ci distingue trois types de romans présentant un écrivain fictif(le roman du code, leroman de fa parofe

et leroman de /'écriture)3. Toutefois, l'étude d'une oeuvre particulière, telle que cel1e de Jacques Poulin, exigera, cela va de soi, une nouvel1e définition de ces concepts théoriques, voire même une nouvel1e terminologie. En effet, bien que nous nous inspirions fortement de ces concepts, nous ne souhaitons pas appliquer intégralement les théories de Belleau4, - ce qui reviendrait à

réduire la littératureà un art achevé et immuable - , mais bien démontrer que certaines des caractéristiques marquant l'évolution du personnage-écrivain québécois se retrouvent chez Poulin.

) BELLEAU,Andrë.OP.dt..

• RappelonsqueBelleau aélabIicesconccptsàpartird'un corpus d'oeuvreslittenIiresquébécoises parues

entremilneufcentquaranteetunetmilneufcentc:iaquanle-huit. alors que lesrom&IISdeJaeques Poulin

(35)

33

L'écrivain/ieti(etle roman de l'écriture esquissée

Le roman du code, nous dit Belleau, signale la présence d'un

personnage-écrivain dont le rapport àla littérature joue surtout au Tliveau d'un

contexte socio-historique donné. Autrement dit, ce type de roman considère

la vie littéraire comme Une simple fonction sociale. Cependant, Belleau

précise:

Ou remarquera qu'il y est peu questiou de la littérature eu taut qu'eutreprise esthétique où le Iaugage est d'abord voulu pour lui-même et dout l'issue apparait liée de façou esseutielle au destiu d'uusujer •

Puisque l'intérêtde notre analyse se situe essentiellement au niveaude

l'acte de création, nous retiendrons uniquementdecette définition l'idée d'un

personnage-écrivain conservant une certaine distance face à l'écriture. De la

notionde roman de la parole, nous emprunterons l'idée que «l'écrivain y est

assez fiublement dénoté (...), le plus souvent connoté à des degrés divers6».

Nous appellerons romansde l'écriture esquissée les romans dans lesquels la

figure auetoriale ne prend que raœment la phune, n'exprimant ainsi que très

vaguement sa conception de la création littéraire. Ainsi. les personnages

principaux de ces romans seront-ils de deux types: ou bien ils rempliront les

mêmes fonctions qU'lmécrivain, sansen avoir le titre, ou bien, s'ils s'avouent

écrivains. ils se rangeront au niveau des personnages secondaires, ou encore

ils neserontpratiquementjamais en situation d'écriture.

Mon chevalpour un royaume, le premier roman de Poulin, illustre

parfaitementcettecatégorie qui comprend égalementJimmy, Le Coeurde la

5 BELLEAU.André,gg.,s;it..p.60.

(36)

34

baleine bleue, Faites de beaux rêves ainsi que Les Grandes marées. Ces oeuvres se distinguent des romans ultérieurs qui présentent des personnages aux prises avec les difficultés de l'écriture, des personnages qui réfléchissent sur l'actedecréationlittéraire.

Ce premier roman de Jacques Poulin a pour narrateur Pierre, le

personnage central de l'histoire. Ce narrateur autodiégétique agit ainsi

comme organisateur du récit, mais il agit également en tant qu'écrivain. Cependant, ce n'est pas Pierre qui en infonne le lecteur. En effet, par le biais·

d'un dialogue, unautrepersonnage, le délégué, nous apprend que le narrateur

est romancier: «Votre héros a des idées intéressantes sur la Révolution

tranquille. Très intéressantes» (MCPR, p: 23). Cette phrase que prononce le

délégué joue en fait une double fonction: en plus d'infonner le lecteur que

derrière le «je» du narrateur se cachel'autem même du récit qu'il a sous les

yeux, elle constitue une habile mise en abyme. En effet, cette phrase nous

révèle les événements à venir: Pierre qui travaille pom le

FLQ

va poser une

bombe., et c'est au moment où cette bombe va exploser qu'il va questionner

son

existence, confirmant ainsi

son

caractère fictif: «Ne suis-je qu'un être

inventé»(MCPR,p. 19O)?

Personnage responsable de la narration de Mon cheval pour un

royaume, etbien qu'il pratique le métier d'écrivain, Pierre ne se trouve pom

ainsi dire jamais comme tel en situation d'écriture. En fait, à un seul

moment, il prend crayon et papier comme s'il s'apprêtait à

écrire.

mais la

description métaphoriquedesadémarche démontreque

son

écrituredemeure

trèsincertaine:

Je prndlle caa). . . . lJ'8I crayoa de boisA la

..me

UTOIIdie; je raipileavec . . . cuit JetI'lIcedess'pes grlepapier.a...nl et

(37)

35

un peu distraitement. des cercles, des ligues droites, des courbes. Cest un stratagème. une sortede piègeà idées. D'abord imprécis, le dessin peu à peu m'impose une forme. C'est prévu. Il me resteà le compléter. Comme résultat. le plus souvent. le deuin représente une femme. .l'étudie longuement cette femme. attentifà surprendre son caractère. L'esquisse d'un récit se dessine. Mes idées commenc:eDt à s'ordonner: d'autres penonnages s'ajoutent; l'bistoire se précise. Finalement. j'écris un conte presque d'un senl jet et je dondau le lit du calécbier (MCPR, p. 55-56).

Cette citation est fort révélatrice de la façon dont Pierre considère la création. Lorsqu'il entreprend d'écrire une histoire, ses premières lignes ne

sont pas celles d'un texte mais d'un dessin. Les instruments et la démarche

semblent importer plus que le résultat En effet, une fois ses personnages

esquissés, l'histoire paraît s'écrire d'elle-même. Or, comme nous le verrons,

chez tous les autres personnages-écrivains de Poulin, l'écriture tend plutôt à

être laborieuse. Aussi a-t-on l'impression que le personnage de Pierre se

ment à lui-même et que, par conséquent, il ment au lecteur. Mais peut-être

est-ce l'une descaractéristiques des écrivains fictifs pouliniens; le personnage

deJimmy ne se vante-t-il pas d'être «le plus grand menteurdetoute la villede

Québec»?

Dans Jimmy, les allusions faites à l'écriture sont de loin plus

nombreuses que dans le premier roman de Poulin. Les récits d'histoires sont

en effettrès fréquents. Jimmyaffirme qu'il n'aime pas toutes les filles, qu'il

n'aimeque «celles qui racontent des histoires»(J,p. 9) Et lorsque Jimmy suit

Papou à l'Hôtel-Dieu où ce dernier pratique la psychanalyse, il affirme que

«toute la journée., Papou écoute des histoires derrière son bureau en

demi-lune» (J, p. 19). D'ailleurs, Jimmy se considère lui-même comme un grand

(38)

36

Quand je raconte quelque cbose, je me metsà penserà destas de cboses plus intéressantes que les miennes et tu pourrais jurer, à les entendre. qu'elles sont vraimentarrivées et moi-même je pourrais le jurer aussi (J,

p.35).

Bien que Jimmy se plaise dans le rôle du conteur ainsi que dans celui du narrateur du roman. il ne constitue pas comme tel un écrivain-personnage. En effet, l'écrivain fictif dans ce roman ce n'est pas le narrateur mais un

personnage secondaire, c'est-à-dire Papou qui écrit un livre sur l'écrivain

Ernest Hemingway. Cette figure de l'écrit reste assez fatblement dénotée

puisqu'en

aucun cas

nous n'assistons à son activité d'écriture. Jamais, non

plus, Papou n'exprime sa conception

œ

l'écriture, pas plus qu'il ne révèle

celle d'Hewingway. D'ailleurs seule l'écriture du vieil Hemingway

l'intéresse. Et encore. lorsque Papou adopte la personnalité de ce grand

écrivain, ce n'est pas en tant qu'écrivain, mais en tant que chasseur: Un matin, tu es assis bleD tranquille devatlt le foyer en traiD de parler doucement avec le cllanoiDeet tout d'un coup le vieu Hemingway

lui-même. avec a fameDIebarbe grise,son fusil et tout, se met à descendre l'escalieràla place de Papou.Tu es assis là avec le Chanoine et levieu

Hemingwaypassedevanttoi,usezpris pour quetu l'entendes respirer,Il

te alue en IeYaat ligtrement le boat du ClUlon etIlouvre la porte pour alleràla chuse(J,p.87).

Étrangement,malgré le fait que Papou représentelavéritable figure de

l'éait dans ce roman, c'estle discours de Jimmy qui révèle une conception

de la créarlon littéraire. En effet, lorsqu'il explique comment il conçoit le

récit d'histoires, indubitablement nous pouvons affirmer qu'il s'agit d'une

métaphore de l'écriture: «Tu commences une histoire ordinaire, puis tout à

coup tu pars à la dérive, tu ne sais plus où tu vas te ramassM', pom être

(39)

37

quelque chose» (J, p. 82). Même s'il ne prend jamais la plume. il demeure tout de même <<l'auteuo> des lignes que nous avons sous les yeux. le «je» du

narrateur. Il représente donc un écrivain qui s'ignore, un écrivain en

devenir7•

Pour Jimmy, l'invention d'histoire, ou encore l'écriture, relève d'une

perte de contrôle, comme si l'histoire s'auto-engendrait: «Ce qui arrive, dans

une histoire, tu commences à raconter ça, tu pars à la dérive comme un

radeau sur le fleuve ettune sais plus du tout oùtuvas te ramasser» (J, p. Il).

En plus d'énoncer la conception de l'écriture deJimmy, cette phrase annonce

la fin du roman: les pilotis de la maison céderont et la maison partira à la

dérive sur le fleuve avec Jimmy comme pilote. Cela n'est pas sans évoquer

son passage à la création littéraire. Notons par ailleurs que pour Jimmy,

l'objet-livre constitue une maison. En effet, lorsque Papou est couché sur la

plage avec un livre sur la tête, Jimmy lui dit «Ton livre, çafait une maison»

(J, p. 27). Lafin du roman suggère donc l'écriture même du roman que l'on

vient de lire. Ce rapprochement entre livre et maison se retrouve également

dans les autres romans de Poulin, notamment dans Le Coeur de la baleine bleue. Noe!, le romancier-narrateur de ce roman, n'affinne-t-il pas qu'une «histoire c'est comme une maisoll» (CCB, p.4S).

Mais Noel s'apparente également beaucoup aupersormage-écrivain du

premier roman de Jacques PoulinB• Ainsi, comme dans le cas de Pierre,

, Eneffel. JacquesPoulinIIOUSlJIPieiid quele perscllIIII8tldu Y"1ftŒchagrin est II1II _ queTIIIIlII)' devenuécrivIin: cEDécriYIIltLA ~7aœcItagrln.fllVlis\IDpeuI~wlpi 'ond'écrire _ versionlduIte deTIIIIlII)',etc'estpourcellellIisoaquej'aidonDéleprénomcie TanIII _ ...fiiüÇOÏs0ueIIct.

qp sjt.p.42.

1 Acepropos.S -DemenvoitcIIDLA

e-

delabtlklne bIcw«laiepJ'ÏIe8iiJeIlÏIIiepoéliquecie MolfdtnaI , . , . .lU)Il ii ». S -DemeJs. «lA

e-

de 111bt*InebIan,Livru et _ _

(40)

38

écrivain fictif de Mon cheval pour un royaume. c·est par la voix d'un

persoMage secondaire que ron apprend que Noêl est écrivain. Lors d'une conversation avec le docteur Grondin où ce dernier affirme avoir lu tous les

livres du narrateur, le lecteurest informé du métier pratiqué par Noe!. Mais,

cette fois, le dialogue, en plus de nous apprendre que Noel est écriv~

introduit «la question du Pourquoidel'écriture9»:

- Pourquoi écrivez-vou! demaDda-t-ii brasquemeDt. (_) - Pour Depasme leDtir coupable. (_)

- Pourquoi ua homme eomaaeae:e-t-ilà éerire! - PeDtooêtre parce qu'il a du malàvivre(Ces.Po20).

Ainsi, petit à petit la conception de l'écriture ainsi que l'activité

d'écriture s'installentdansl'oeuvredePoulin. Noê~ lorsqu'il prend laplume,

ne dessine pas, mais écrit bel et bien une histoire. Et cette histoire, il ne la

cache pas aulecteur,bien au contraireill'insèredansle récit Or, le hérosde

cette histoire ressemble étrangement au personnage de Jimmy: il porte le

même prénom et s'exprime de la même façon. Le lecteur a dès lors

l'impression que Noel est l'auteurdeJimmy. À ce propos, Gabrielle Poulin

affinne que Jacques Poulin «conc[ède] à ce personnage fictifla paternité de

ses deux premiers romans:Monchevalpour un royaumeetJimmy /0».

PourNoe~ rorigined'un roman ne correspond pas au premier mot que l'on ~ mais àla sensation de le sentir bouger en soi Voilà pourquoi il

affectionne tantla pill'ae d'André Breton: <<Partir pour le pôle intérieur de

(41)

39

enfoui en lui. Il a même l'impression que quelqu'un d·autre. àl'intérieur. lui

dicte les mots à écrire:

J'avais fini par m'en remettre à cet étranger installé au creux de moi-même, qui voyait tout d'une autre manière, et laseule responsabilité que je m'attribuais encore, c'était d'être \à, présent, prêt à transcrire les volontés parvenues jusqu'à moi (CCB,Po 41).

Ainsi donc. Noel partage avec le personnage de Timmy ridée que

l'écriture équivautà une perte de contrôle. L'histoire échappe à son auteur.

elle constitue parfois même une menace. Puiser panni les événements de sa

propre vie devient menaçant puisque la fiction risque alors de sombrer dans

l'autobiographie. Aussi, après le départ d'Élise, Noel réalise que si son

histoire n'avance plus, c'est que la distance entre le narrateur et l'écrivain

n'existe plus: «D'habitude on la sent, c'est une présence rassurante. Ça

permetàl'auteur de rester lui-mêmeetde continuer» (CCS. p.181). Jacques

Poulin affirme. àce propos, que lorsqu'on écrit, on s'inspire des événements

de sa propre vie que l'on modifie afin que l'histoire ait l'air plus vraie11•

Sans vouloir affirmer que le personnage de Noel c'est Jacques Poulin

lui-même.peut-êtrepouvons-nous introduire l'hypothèse que Poulin a ressenti lui

aussi cetteperte de distance etque c'est laraison pour laquelle il a choisi de

fairepassersa narration du «je» au «il».

Ainsi, après avoir écrit trois romans de romanciers-narrateurs, Poulin

débute une série de trois romans de personnages-écrivains, Faites de beaux

rêves, Les Grandes marées. et Vo/kswagen blues, où est présent unnarrateur

Il LAPOJNTE. J_PieneetYws11Iomu.«Emretien avecJ..:ques PouIin». Voix&/.-ga, vol xv.

(42)

40

hétérodiégétique. Indubitablement, le choix de l'une ou l'autre des personnes grammaticales n'est jamais innocent chez Poulin:

La questioa du «je» et du «i!» est pour moi ua problème très importaat.

À cbaque fois. c'est ua cauchemar. Je fais des essais peadaat des mois. (_) Je a'arrive pasà cboisir eatre les deux, et pourtaat, le résultat est très dift'éreat, car lonque j'utilise le cci!». je m'abstieas d'aller daaslatête du narrateurlZ•

Ce qui signifie que le narrateur, n'étant pas participant de la

représentation fictionnelle, n'agit que comme observateur, il n'est DI

«l'auteur» du roman,ni l'organisateur du récit, autrementdit, «il n'avoue pas

sa relation avec les événements narrés, qui sont supposés n'être racontés par

personneI3». De cette manière, le texte n'est plus l'écriture du narrateur,

c'est le contexte dans lequel l'écrivain fictif évolue qui devient une véritable métaphore de l'écriture.

Ainsi, Faites de beaux rêvesmet en scène un trio d'amis venus assister

à une comse automobile au Mont-Tremblant Parmi ces personnages,

Amadou est certainement le personnage principal de l'histoire. fi évolue dans

un milieu où les récits et inventions d'histoires sont fréquents. Le roman se

trouve ainsi «ouvert sur Wle multiplicité de récits, sur un univers discursif

sans fin14». Comme pour le petit Jimmy, Amadou préfère les filles qui

racontent des histoires. Aussi est-il fort inquiet lorsqu'il s'aperçoit que

Limoilou semble s'en désintéresser: «Complends-tu ça? dit le commis. On

dirait queLili n'a plus envie de raconter des histoires» (FDBR, p. 123). Ce

changement chez Limoilou semble agir dans le roman comme un signe

u M.p.14.

U ROUSSET.J-.op sjt. p.16.

•• DEMERS.~«Bn ciadetendreJI!.over. ouJIIl:qUCSPoulinconteurlO.É:IIIdnfrtJnt;tdses. voLXXI.

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