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L'intertextualité dans Neige Noire et Oslo

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Academic year: 2021

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L"INTERTEXTUALITE DANS NB/t';E M'IRE

ET OSLO

par

Nathalie PARENT

Mémoireo présenté à la

Faculté des études avancées et de recherches dans le cadre de l'obtention

du diplôme de Maîtrise en arts

Département de langue et littérature françaises université McGilt Montréal

mars 1991

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Ce mémoire est composé de deux parties,

La première partie est une étude du roman d'Hubert Aquin NeÎle noire qui met en évidenoe les possibilités romanesques qu'offre l1ntertextualité. On y voit comment la mise en abyme en tant que travail intertextuel s'articule autour du mythe d'Hamlet et comment oe mythe influenoe divers aspects du texte tels: le temps, les thèmes, les personnages, La deuxième partie du mémoire est un récit, Oslo, qui se construit dans un rapport intertextuel avec Nei8e noire La trame et le personnage principale du roman d'Aquin s'infiltrent dans notre récit de sorte qu'il s'établit entre oe dernier et Neige noire un lien mythique semblable à celui qu'il y a entre Neqe Doire et HI/DJ/eL

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ABSTRACT

This memoir is made of two parts.

The first part 1s a study of Hubert Aquin's novel Nf.igf. M,jl'~ that emphasize's th~ romanesque possibilities offered by intertextuality. One can see how the "mise en abyme" as an inœrtextual work, 15 welllink.ed

around Hamlet's nlyth, and how Ulis mytll. has influence various aspects ln

the text such as : Ume, themes and persons.

The second part of this memoir is a story, Oslo that builds up an

intertextual rapport with Neige Noire. The framework. and the principal character in Hubert Aquin 's novel infiltrate in our narrative in such a way that it establishes a mytical relation wiUl the story, as N~ig~M'JfiJ with

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L'intertextualité dans H~ig~ A(')j.f~ Bibliographie Oslo Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 1 21 24 38 50 57 70 80

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"L'originalité d'un récit est directement proportionnelle à l'ignorance de ses lecteurs. Il n'y a pas d'originalité: les oeuvres sont des décalques tirés de contretypes oblitérés qui proviennent d'autres "originaul" décalques de décalques qui sont des copies conformes d'anciens Caux qu'il n'est pas besoin d'avoir connus pour comprendre qu'ils n'ont pas été des archétypes. mais seulement des variantes. Une invariance cruelle régit la production sérielle des variantes qu'on a coutume de nommer des oeuvres originales",

Hubert Aquin

Cet eltrait de "Profession écrivain" est clair. Pour Aq uin, il n'y a pas d'oeuvre originale. la création n'est que transmission, Robert Richard fait en ce sens un rapprochement Entre l'écriture aquinienne et l'attitude postmoderne: "le post moderne ne fait jamais oeuvre de créateur mais toujours oeuvre d'interprète". ,Selon lui, un tel texte devient en quelque sorte un lieu d'enseignement où l'oeuvre enseignée subit de profondes transformations: "1'oeuvre enseignée subissant chaque fois la profonde altération, la radicale transmutation qui n'est que l'indice de son passage à l'état de loi du telte d'Aquin"2,

1 IUchard Robert. le corps loligul de 14licüoD. 1, corle roJll&tll1sguI chez Hubert Aguil1, Montréal. Beilione. coll. essais litUraires.l990. p. 113

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d'Aquin comme postmoderne. voyons romment, dans l'optique de l'intertextualité. s'articule le rapport de Neile noire. H6m/et

L'interteltuallté est un ooncept élaboré par Julia Kristeva qui a son origine dans ce que Mikhail Bakhtine a développé sous le nom de pensée dialogique.

BaJchtine soutient que le style du roman est un assemblage de styles, et que le langage du roman est un système de lansues :"le postulat de Ja véritable prose romanesque, c'est la stratüication interne du Jangage. la diversité des langages sociaux et la divergence des voix individuelles qui y résonnent"3 Il en découle le concept du dialoai$me, de la relation de chaque énoncé aux autres énoncés. C'est le polyHnguisme dialogisé qui est le véritable milieu de J'énoncé. c'est lui qui le forme. Dans chaque énoncé, on trouve une interaction entre sa parole. soi et celle de l'autre. L'intention d'un discours ou son orientation vers son objet touche à des liens dialogiques, à un réseau d'interactions car tout objet est dé;à spécifié, évalué ou contesté par des paroles étransères. Le mot renvoie donc à un ou plusieurs contextes dans lesquels il a vécu. Tout mot, toute forme sont peuplés d'intentions. Le mot est semi-étranger, il se situe entre la conscience individuelle et celle d'autrui.

Le texte peut devenir construction hybride. c'est-à-dire "un énoncé qui d'après ses indices grammaticaux et compositionnels appartient au seul locuteur mais où se confondent. en réalité, deux énoncés, deul styles, deul perspectives sémantiques"". L'hybridisation est une des trois catésories principales des procédés de création de J'imase du lansage. les autres étant l'interrelation dialogisée des langages et les dialogues purs.

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3 Bathtine Mithall. EsUJltiIJU811t tJJIori8 du l'OJ/lU. Paris, Editions Gallimard. 1978.

p.162

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Du polylinguisme (le discc,urs d'autrui dans le langage d'autrui) découle le concept de locuteur. C'est le locuteur qui donne au roman son discours idéologique original. son propre langage. Le locuteur est idéologue et ses paroles sont idéologèmes. c'est-à-dire qu'eUes présentent un point de vue sur le monde. Il y a une utilisation double des Cormes dialogiques: elles peuvent être soit reproduites dans les énoncés des personnages soit transmises par l'image du langage, L'image révèle les virtualités du langage donné, ses limites idéales. son sens total.

Pour Bakhtine, le dialogue des langages est celui des forces sociales, des temps. des époques. Par le dialogisme du langage, il y a unité d'une diversité :"Dans le roman se réalise la reconnaissance de son propre langage dans un langage étranger, la reconnaissance, dans la vision du monde d'autrui, de sa propre vision. Dans le roman s'opère une traduction idéologique du langage d'autrui, le dépassement de son étrangeté"'.

Julia Kristeva parle elle aussi de l'idéologème et elle emploie, pour le définir, les mêmes termes que Bakhtine. L'idéologème est

une fonction interteltueHe vue comme le recoupement d'un tel te avec l'ensemble teltuel :"Le recoupement d'organisation teltuelle (d'une pratique sémiotique) donné avec les énoncés (séquences) qu'elle assimile dans son espace ou aUlquels elle renvoie dans l'espace des teltes (pratiques sémiotiques) eltérieurs".6

De l'idéologème découle une fonction de non-disjonction que Kdsteva nomme le double. L'opposition née des recoupements d'un telte est ce qui provoque le traje'. romanesque. Il apparaît donc un enchaînement de déviations au-delà des pôles opposés. La négation

, Bakhtine, op. cit. p. 182

6 Iristevi. Julia. S~Jlliotik~. recl1erclJ~ pour UDe s6JlJlJJuyse. Paris. Editions du Seuil.

coll. Points, 1969, p.'3

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constitutifs du telle, il y a un accord d'écarts.

Chez [risleva,le mol littén\ire est un croisement de sUl'races teltuelles, un dialogue de plusieul's écritures que ce soit celle de l'écrivain, du destinataire, du personnage, ou ceUe d'un contexte actuel ou antérieur. L'étude des art!cul"tions du mot implique le langage et un espace. Cet espace teltuel est un volume où s'articule la signification par une jonction de différences. Trois dimensions se placent sur deUI ues. Horizontalement où les mots appartiennent au sujet de l'écriture et au destinataire, verticalement où ils appartiennent à un corpus antérieur ou synchronique.

Le dialogisme est coelÎstensif à des structures profondes du discours, c'est-à-dire qu'au-delà des rapports signifiant/signifié eliste un rapport entre le sujet de la narration et l'autre. le destinataire. Il met en place le concept de relation et vise une harmonie. tout en impliquant une idée de rupture, comme mode de transformation.

((risteva définit ainsi l'espace imertextuel: le signifié poétique renvoie à des signifiés discursifs autres. il se crée autour du signifié un espace textuel multiple dont les éléments peuvent être appUqués dans le texte poétique concret.

Le procédé dialogique entre les discours est selon Kristeva plus marqué dans les textes de la modernité où il se hisse même au rang de loi: .. Pour les textes poétiques de la modernité c'est, pourrions-nous dire, sans elagérer, une loi fondamentale: ils se font . en absorbant et en détruisant en même temps les autres teltes de , l'espace interteltuel. ,,'

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A l'intertextualité Kristeva donne cette définition première :"tout texte se construit comme mosaique de citations. tout telle est absorption et transformation d'autres textes"s.

A un niveau élémentaire, l'intertextualité est donc citationnelle. elle est référence déclarée à d'autres textes. Mais plus on en approfondit l'étude. plus elle se révèle omniprésente dans le texte. Elle se retrouve dans les codes culturels. dans les procédés du texte (mise en abyme), puis dans chaque mot et même au-delà du mot avant que s'établisse le rapport signifiant/signifié. L'intertextualité couvre donc une vaste étendue. ses tentacules envahissent tout et s'agrippent avec force. C'est qu'à la source elle procède d'un univers de pensée qui soutient la littérature moderne: la pensée dialogique. Comme le dit Kristeva, "l'intertextualité est à la base de la structure intellectuelle de notre époque"9. Cette conception entraine le rejet de tout ce qui relève du monologique, c'est-à-dire d'une structure unique établie en rapport de hiérarchie et monopolisante. La référence au social est évidente et peut entraîner la déconstruction de tout système basé sur l'univocité.

Cette répercussion sur le social n'est pas l'unique voie de l'éclatement des paramètres de l'intertextualité qui s'ouvre aussi sur l'inconscient. Si le rapport dialogique est essentiellement le rapport d'une voix à une autre voix, cette autre voix peut en effet être l'inconscient de la première voix. Par cette notion de l'insconsient, c'est un univers infini qui s'ouvre et se déploie perpétuellement.

Dans les procédés textuels rattachés à l'interteltualité. on retrouve la mise en abyme. Au-delà de sa dimension paradigmatique. la mise en abyme peut. comme les synecdoques. se

8 Kristeva. op. cU., p.8'

9 Kristeva. op. cit., p. 112

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qui compriment et restrf:ignent la signification de la fiction; les ( généralisantes (transpositions) qui font subir au telte une elpansion sémantique. Le mythe, comme l'elplique OaUenbach, permet cette elpansion sémantique: "Quand au mythe, fût-il attiré dans l'orbite de l'allégorie, il ne perd ja mais tout à fait ses caractères originels: <symbole développé en fl)rme de récib. il donne à penser et irréaHse au profit d'un Signifié inépuisable la teneur de l'histoire''.lo

Un telte peut intégrer la mise en abyme soit en un seul "bloc", soit en J'ench4s~ant ou en la soumettant à diverses occurrences. Le problème essentiel de la mise en abyme se pose en termes de temporalité narrative. C'est le déroulement narratif comme segment qui est affecté par la mise en abyme, c'est la chronologie de l'histoire qui est mise en cause: "teUe contraction (l'histoire dans J'histoire) ne va pas, répétons-le, sans mettre en cause l'ordre chronologique lui-même: "incapable de dire la même chose en même temps qu'eUe, l'analogon de la fiction, en le disant ailleurs, le dit à contretemps et sabote par là même l'avancée successive du récit".Jl

Toute mise en abyme est anachronie. EUe crée un contretemps. Dàl1enbach distingue trois types de mise en abyme qui correspondent à trois modes de discordance entre deux temps: la prospective (réfléchit avant terme l'histoire à venir), la rétrospective (réfléchit après coup l'histoire accomplie) la rétro-prospective (réfléChit l'histoire en découvrant les événements antérieurs et les événements postérieurs à son point d'ancrage dans le récit). Le recours au mythe comme mise en abyme est une facon de masquer la redondance de celle-ci. Mais cela doit se faire en se conformant au code du vraisemblable du récit. La mise en abyme pourvoit le récit d'un leitmotiv. Si eUe remet en cause le récit unitaire, elle est aussi un facteur d'unification: ... la mise en abyme unique qui coupe en

10 Dallenbacb Lucien. Interterteet8utoterte. Paris, Po6tique num6ro 27,1976, p. Z86 Il Ibid, p. 287

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deul et par là même con' este un récit unitaire. les réflexions multipliées ou divisées. dans un récit voué à l'éparpillement. représente un facteur d'unification dans la mesure où leurs morceaul métaphoriquement aimantés se rassemblent et compensent au niveau thématique la dispersion métonymique"J2. La mise en abyme apporte au récit sa richesse polysémique, elle objective J'action réfléchie et relève d'une temporalité qui lui est propre, qui neutralise le temps de l'histoire.

Dans Neige nojr~ la mise en abyme comme travail interte:ltuel s'articule autour du mythe d'Hlmlel. La temporalité chez I\quin est ainsi mise en cause par J'utilisation du mythe qui introduit dans son roman le temps sacré. Le temps sacré a une temporalité différente du temps mortel: "on pourrait dire de lui qu'il ne coule pas, qu'il ne constitue pas une durée irréversible. C'est un temps ontologique par excellence, toujours égal à lui-même, il ne change ni ne s'épuise; le temps sacré se présente sous l'aspect paradoxal d'un temps circuliiire, réversible et récupérable, sorte d'éternel présent mythique que l'on réintègre périodiquement par !e truchement des rites"13. Comme le fait remarquer Mircea Eliade, pour l'homme religieux le temps mortel peut être périodiquement arrêté par l'insertion, au moyen des rites, d'un temps sacré ou mythique qui est qualitativement différent du temps profane. En se référant à un mythe (en Je racontant ou en y faisant allusion), on réactualise en quelque sorte le temps sacré: " le mythe est censé se passer dans un temps intemporel, dans un instant sans durée ... Par le simple fait de la narration du mythe, le temps profane est -au moins symboliquement- aboli: conteur et auditoire sont projetés dans un temps sacré et mythique ... un mythe arrache l'homme de son temps

à lui, de son temps individuel, chronologique, historique ... le mythe implique une rupture du temps et du monde environnant; il réalise une ouverture vers le Grand Temps vers le Temps sacré"J1; Accéder

12 DaIJenbach, op. cit.. p.291

13 Eliade Mireea. le 58cnet le jJ/'Ofultl, Paris, Editions Gallimard, coll. Idées, 196~,

p.61.

14 Eliade Mireea. ImqtJs tJI symboles. Paris. Editions Gallimard, coll. Tel, 1 ~2. p.7S

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historique.

C'est bien ce à quoi on assiste dans Neile Doire. Le temps mortel fait place à un temps sacré lorsque Sylvie et Nicolas quittent Tromso pour se diriger vers le nord. C'est là le début du tempus

t:fJoûnuIIUJD: "il doit (le spectateur), comme Nicolas et Sylvie qui

s'accrochent aux rembardes du Nordnorge, ressentir le vertige de celui qui. s'éloignant de la mesure du temps, fait son entrée dans une grisante instantanéité"". Comme le soleil qui se fige au-dessus de l'horizon, le temps s'arrête et ne marque plus le passage du jour et de Ja nuit. Nous entrons dans le temps sacré, le temps du sacrifice: "Entre leur départ pour Je Svalbard et le retour de Nicolas à Trondheim après l'accident de Sylvie. le temps ne bouge pas ainsi que l'indiquent l'arrêt de toutes les pendules et de tou~: les chronomètres dans la vitrine de l'horloger et l'énigme de la lecture du rime"'6.

C'est pendant l'arrêt du temps mortel, du temps mesurable. que Sylvie va être sacrifiée. Le retour de Nicolas à Trondheim est d'ailleurs significatif de cet arrêt du temps mortel. Transporté dans un temps mythique et sacré. il a perdu toute notion du temps: "le voyage dans le Svalbard se trouve ramené à une non-existence et se situe davantage dans une dimension onirique et mythique de laquelle Nicolas semble tout juste émerger lorsqu'il s'enquiert, auprès du commis à la réception de l'hôtel Linnea, de la date et de l'heure"l7 . La mort de Sylvie est en fait une volonté de mettre fin au temps mortel. Sylvie est l'incarnation de la durée: "Elle est l'origine et le terme de toutes les successions, et le symbole allusif de la durée"18. Par la mort de Sylvie, c'est le temps continu qui est arrêté et le temps sacré qui entre en jeu.

l, Aquin Hubert. N6i161JOÜ'6, Editions Pierre Tisseyre, Montréal, 1974, p. 69

16 Mocquais, Pierre-Yves. HulJerl AfJuiJl ou J. fJullll iDl6rroJ/lpue. Montréal, Editions Pierre Tisseyre, 1985 p. 174.

17 Mocquais. op. cit.. p. 181 18 A ' qum, op. tlt., . p. 51

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Le temps continu ou le temps mortel est toujours présenté négativement chez Aquin: "une éponge souillée par toutes les entreprises qu'il semble enoourager et qu'il enterre, les unes après les autres, dans un même bain de tristesse... ce fleuve est un cimetière rapide"19. Tuer Sylvie. image du temps oontinu, c'est aussi tuer le temps et tuer la mort: "la mort de Sylvie devient paradoxalement négation de la mort ... la vision suspensive du temps exprime l'aspect bénéfique de la mort de Sylvie"20 . Tuer Sylvie c'est avoir accès au temps sacré et fixer dans l'éternelle instantanéité la pureté de l'amour:"Tuer pendant le voyage de noce, c'est le renversement le plus bouleversant de l'amour; l'inauguration est transformée en fin absolue"21.

C'est après la mort de Sylvie, à son retour à Trondheim, par sa rencontre avec Eva, que Nicolas reprend lentement la maîtrise du temps. La maîtrise du temps et d'Eva permet à Nicolas de créer: "A partir de cet instant, la maîtrise du temps, des choses et bientôt de la création se trouve indivisible de la maîtrise d'Eva. En fait, c'est grâce

à l'emprise totale de Nicolas sur Eva que peut s'effectuer le passage du temps transitif au temps immanent de la joie et de l'amour dont l'avènement est essentiel à l'élaboration du processus créateur"22 .

Nicolas reprend, en effet, avec sa maîtrise du temps, l'écriture de son scénario. Comme si le sacrifice l'avait libéré du temps mortel.

Le sacrifice, selon Eliade. peut en effet être créateur de vie. C'est là un mythe extrêmement répandu dans diverses sociétés et

19 AquiJl. op. dt .. p. 1)7

20 Iqbal. Fraaçoise. Hubert Af/uiD /"OIIJUC';'r, Ouébec. Les Presses de l'université Laval. coll. Vie des Lettres québécoises.t978. p. 236

21 Aquin, op. dt. p.217

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mythe de la création s'articule abui:"la création ne peut se faire qu'à

partir d'un être vivant qu'on immole", Cette création, précise Eliade, s'applique à divers aspects de la vie: "L'idée rondamentale est que la Vie ne peut naître que d'une autre vie qu'on sacrifie; la mort violente est créatrice en ce sens que la vie sacrifiée se manifeste sous une forme plus éclatante à un autre niveau d'elistence"23 ,

Le sacrifice de Sylvie fait redémarrer le processus créateur chez Nicolas, L'écriture semble en fait pallier au temps mortel, elle déjoue le temps mesurable: "Le temps me dévore, mais de sa bouche, je tire mes histoires, de sa sédimentation mystérieuse, je tire ma semence d'éternité"24, N'est-ce pas là une volonté de transcender le temps mortel? N'est-ce pas là la quête du sacré: "Enfuyons-nous vers notre seule patrie 1 Que la vie plénifiante qui a tissé ces fibrilles, ces rubans arciformes, ces ailes blanches de l'âme, continue éternellement vers le point oméga que l'on n'atteint qu'en mourant et en perdant toute identité, pour renaître et vivre dans le Christ de la Révélation"25, Comme l'elplique Mocquais. c'est l'écriture qui dans

Neige noire devient l'objet de la quête, Le recours à une écriture cinématographique joue sur la linéarité du texte et met à profit les ressources de la technique cinématographique, C'est une tentative de maîtrise du temps qui s'effectue ici par une restructuration de la temporalité:"la maîtrise du temps est une des conditions primordiales à l'aboutissement de cette quête .. , une tentative de retour à un temps primordial assimilé à celui. idéal, de la Création, Le scénario de film, au niveau de l'énonciation et par l'intermédiaire des procédéS techniques qui lui sont propres, constitue une tentative de maîtrise du temps à la fois parallèle à celle de la diégèse et complémentaire de cette dernière"26,

.f 23 Eliade, Miree •. My/JJes. dY8sellllyst8ns, Paris, Editions Gallimard, coU. FoUo essais. '&- 1957,1'.226.

24 Aquin, op. dt., p. 26.

25 Ibid, 1'.26.

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L'écriture en tant que telle, qu'elle soit cinématographique ou romanesque, entretient un rapport privilégié avec le temps ou l'absence de temps. Ecrire c'est, comme le dit Maurice Blanchot, se livrer à la fascination de l'absence de temps. Le temps de l'absence de temps est un temps sans présent, sans présence, sans fin, sans commencement, sans avenir: "En lui ce qui apparaît. c'est le fait que rien n'apparaît ... comme s'il n'y avait des êtres que par la perte de l'être ... (le renversement) nous renvoie constamment à la présence de l'absence, mais à cette présence comme absence, à l'absence comme affirmation d'elle-même. affirmation où rien ne s'affirme, où rien ne cesse de s'affirmer, dans le harcèlement de l'indéfini"27.

Mais cette absence de temps n'est pas nécessairement rattachée à la notion d'éternité. Ce temps est en fait un temps mort, un temps réel où la mort est présente, et cesse d'arriver. Dans ce temps de l'absence de temps, écrire c'est jouer le risque de la perte d'identité: "Ecrire, c'est disposer le langage sous la fascination et, par lui, en lui, demeurer en contact avec le milieu absolu, là où la chose redevient image. où l'image, d'allusion à une figure, devient allusion à ce qui est sans figure et, de forme dessinée sur l'absence, devient informe présence de cette absence"28.

Cette absence de temps propre à l'écriture peut-elle se rattacher au temps sacré associé au mythe? Il est intéressant de remarquer que dans Neqenoire les scènes qui à proprement parler sont associées directement au rite sacrificiel sont révélées non pas au fil du ['écit lui-même. mais bien par l'écriture du scénario de Nicolas et par les dialogues entre les personnag;3s du roman. Les scènes du meurtre et de manducation sont volontairement éclipSées du récit. Elles sont, en fait, inelistantes dans le récit et ne sont dévoilées que par l'entremise d'un telte autre, un telte qui dans la réalité du personnage de Nicolas se veut une fiction à caractère autobiographique: "le lecteur se trouve assujetti à un phénomène de

27 Blanchot Mau.ric:e. l'es"",, /il14rw1n. Paris, Editions Gallimard, coll. Id6es, p.23

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pressent l'horreur derrière la version officielle de l'accident ... 29 La

mort de Sylvie n'est révélée que parce que Nicolas est arrivé à la fin de son scénario.

On le voit, la temporalité dans Neqe noire est affectée de diverses manières. D'abord par l'utilisation de la mise en abyme qui affecte la chronologie du récit, puis par la référence au mythe qui introduit la notion du temps sacré et mine le temps mortel, puis enfin par J'écriture eUe-même qui comme objet de la quéte ou comme technique cinématographique affecte la linéarité. On assiste à Ja mise en place d'un réseau complexe où il y a interpénétration, surimpression, à la f'lis dans la forme et dans le fond, d'un jeu sur le temps.

Au-delà de ce jeu, l'utilisation du mythe d'Hamlet se lie intimement à l'oeuvre entière d'Aquin. Neige noire est sûrement l'oeuvre qui fait le plus clairement allusion à Hllm/et mais, selon l'étude de Gunhild Lund Madsen, c'est toute l'oeuvre d'Aquin qui est en relation avec Hllmlel. Cette présence dramatique commence avec

Proch6in épisode: "L'oeuvre romanesque d'Aquin semble donc se dérouler. de Prochain épisode à O/Jombrt! comme une tragédie en cinq mouvements dont Prochllin épisode serait le prologue (j'exposition), Trou de mémoire le noeud, le développement du oonflit, l'Antiphonaire, la crise, Neige noire le tournant Ua péripétie) et finalement O/Jolllbre qui serait le dénouement du drame"30 .

A Neige noire Madsen associe le quatrième acte d'Ham/el,

soit le voyage d'Hamlet en Angleterre, sa rencontre avec Fortinbras et la mort d'Ophélie. C'est là la trame du roman: le voyage de Nicolas

29 M ocqU&lS, op. cal. . p. , l'M. J

30 Gunhild Lund Madsen. HuheriAl/um.l)u-.ind'Huzlel m6moire de maJtrise. universit6 McGill. Montr6a1.1983. p.l3.

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(Ramlet) et de Sylvie (Ophélie) au Spitzbergen dans le pays

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mythique de Fortinbras (Eva) et la mort de Sylvie.

L'interteltualité dans Neige noire apparaît aussi sous des aspects plus elplicites: on y retrouve des citations d'H611Jlel

présentées comme telles, puis d'autres intégrées au texte d'Aquin et transformées par les personnages. Ainsi, dans le texte d'Aquin, Nicolas dit: "Malheur à moi d'avoir vu, de voir, ce que j'ai vu, ce que je voisl"31. C'est là l'elclamation d'Ophélie à l'acte III, scène 1 de la pièce de Shakespeare. Ces pnrases bien qu'extraites d'HI/mIel sont présentées comme celles de Nicolas. Il y a ici un bon elemple d'interteltuaiité comme absorbtion et transformation d'un telte. Hamlet est le personnage que Nicolas a désiré jouer comme comédien; à son arrivée à Magdalenefjorden, il récite quelques vers de Shakespeare. A ce passage précis, Léon-Gérald Ferland, dans sa thèse sur Aquin, fait remarquer qu'il y a erreur d'Aquin quant à la transcription du telte de Shakespeare. L'elpression three-and-twenty years est traduite par trente-trois ans: "Tenez, voici un crâne. Ca fait trente-trois ans qu'il est en terre", "Here's a skull now; this skull hath Iain you; the earth three-and-twenty years". Léon-Gérald Ferland émet plusieurs hypothèses pour elpliquer cette erreur: on peut y voir une tentative de l'auteur de simuler une "pseudo-infidélité de la mémoire de Nicolas, ou une volonté de l'auteur de souligner la non-importance de la notion de temps. Peut-on suggérer, connaissant l'omniprésence du sacré dans Neige noire, qu'il y a peut-être là allusion à l'âge du Christ. Ce qui rejoint l'hypothèse de Robert Richard qui voit la mort de Sylvie comme le symbole de la Crucifixion. 32

Il est intéressant de voir les liens entre les personnages de Ja pièce et ceUI du roman. La relation coupable de Sylvie l'associe

tantôt à Gertrude et tantôt à Ophélie. C'est pour mettre fin à cette relation qu'eUe tente de se suicider par la noyade comme Ophélie. En

31 Aquin, op. cit.., ,.27 32 Richard, op. cil. p.97

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Sylvie s'associe à Gertrude et est coupable de la souillure. Sylvie. le double d'Ophélie, détient dès le début le rôle néfaste: "II est éloquent que la première association de Sylvie à l'héroïne shakespearienne. au début du récit, se rapporte à la féminité nocturne et redoutable par une filiation de la chevelure et de la pieuvre"33 . Comme le souligne Madsen, chez Nicolas. l'identification à Hamlet se fait avant le voyage en Norvège: "avant le voyage Nicolas est "comédien", imitateur, s'identifiant à des personnages d'H6J1J/e/: Fortinbras. HoraUo. Hamlet et Ophélie. Or après le voyage, Nicolas ne iiendra plUS qu'un rôle: celui de créateur du scénario. Son périple se dessine donc comme une quête d'unité. de réconciliation avec lui-même"34 . Neige noire

est. en effet. le récit d'une quête. une quête d'absolu qui, selon Pierre-Yves Mocquais, est facilement identifiable à la quête du Graal. Cette quête implique une triple recherche: recherche de soi (de la dimension inconsciente de l'être), recherche de sa propre complémentarité (de la réunification du principe masculin et féminin vers l'harmonie et la plénitude de l'être idéal androgyne). recherche du sacré, de l'absolu (d'une essence divine qui transcende l'existence humaine et donne sens à la vie). Le voyage vers le Spitzbergen est un voyage vers un lieu mythique, vers l'image retournée de l'Undersacre, un lieu près du pôle nord, plongé dans la lumière, placé en dehors de l'espace et du temps: "Il est marquant que le paysage élu. composé de lu mière, de mer et de montagnes, rallie à son enseigne la c:course lente vers l'absolu), propre au cheminement de l'acte créateur. l'immersion dans une enclave, caractéristique de la rentrée en soi et du voyage intérieur, et le sentiment d'elaltation attribuable à la prolimité du sacré"35 .

Cette unification de soi, Nicolas tente d'abord de la réaliser par la catharsis du théâtre et de Hamlet. Cette tentative échouant, c'est par l'acte créateur qu'il poursuit sa quête. Cette décision de Nicolas, de se consacrer exclusivement à sa production cinématographique, marque une volonté de s'accaparer le pouvoir de

33lqbal. op. cil. p. 237

3" Gunhild Lund. op. cit.. p.67 35 Iqbal. op. cit.. p.20f6

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fascination du mythe: "Nicolas falsifie et transCorme HII1J/el en l'insérant dans son scénario peut-être pOIJr s'accaparer (comme Aquin lui-même) du pouvoir fascinateur, immortel. du ténébreux prince"" . Le choil de ce médium est tout à Cait approprié car l'image elerce la Cascination. Comme l'elplique Maurice Blanchot. voir suppose la distance. la séparation. mais. lorsque la manière de voir implique un contact. c'est-à-dire lorsque l'image touche. alors nait la fascination: "le regard est entrainé. absorbé dans un mouvement immobile et un fond sans profondeur. Ce qui nous est donné par un contact à distance est l'image. et la fascination est la passion de l'image"37 .

L'image est, en fait, omnir.résente dans NeÎle noire qui se présente davantage sous la forme d'un scénario que d'un roman. L'utilisation de cette forme sous-entend un détachement, une distance facilement identifiable à un certain pouvoir: "le scénario n'est pas. comme le roman. le jouet du récit qu'il contient; il n'est qu'un regard posé sur le déroulement des actions. ou plutôt. un espace où s'inscrit -sans que celui qui voit soit nécessairement impliqué-le développement d'un univers"38 . Il Y a dans HeiNe noire.

au niveau de la forme. une volonté de maîtrise, mais, comme le souligne René Lapierre. cette réappropriation est vaine: "HeiKe noire

n'arrive ainsi ni à la dénomination. ni à la désignation. ni même à l'assouvissement: ce roman s'enflamme au contraire dans une célébration absolue du désir"39 . Le texte semble se perdre dans son propre vertige. dans sa propre fascination: "ce dernier telte. dans une tentative à la Cois admirable et dérisoire d'accéder à la maîtrise de son discours et de son désir. cède à sa propre fascination"-iO .

36 Gunhild Lund, op. cit., p.117

~" 37 Blanchot, op. cit. p.2'

''» 38 Lapierre René. l ïJll'liD~'rtI c"ptitMontr6a1. Les Quinze. coU. Prose exacte, 1981,

p.115

39 Ibid., P .134 40 Ibid. p.135

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(

l'image d'un conflit et la résolution imaginée de ce dernier, Les situations mythiques sont des projections de conflits psychologiques et le héros mythique est une projection de l'individu en proie à ces conflits. L'individu contraint par des interdits sociaul ou moraul ne peut réaliser les actes qui le libèreraient de ses conflits. Par procuration, il confie donc l'elécution de ces actes à un héros. Les situations dramatiques mythiques sont, comme le dit Caillois, des "cristallisations de virtualités psychologiques". Le béros devient, par projection, celui qui résout les conflits et viole les prohibitions. Mais l'individu ne peut se contenter de simples projections; à cette identification virtuelle, il veut substituer l'acte. et c'est pourquoi Je mythe appelle le rituel: "le mythe apparaitl-il) le plus souvent doublé du rite, car si la violation de l'interdiction est nécessaire, elle n'est possible que dans l'atmosphère mythique. et le rite y introduit l'individu ... l'individu se trouve dramatisé et devient ainsi le héros, le rite réalise le mythe et permet de le vivre."41 .

C'est ce à quoi on assiste dans Nei8e noire. Le meurtre de Sylvie est en fait un rituel sacrificiel: ... un sacrifice rituel... l'inceste initial, l'emplacement analogue à l'enclos sacré (refuge sur un plateau surplombant la baie Magdalena), la position d'immolation de la jeune femme (étendue et liée en crucifiée, à la manière d'une victime sur l'autel de l'offrande), l'attitude éthérée de l'officiant, la conformité aUI rites (présence du feu et des onctions, action de répandre et d'absorber le sang, manducation), le retour à J'eau par l'ensevelissement dans les neiges éternelles... il y a là une pOlarisation d'éléments qui corroborent cette hypothèse .... 2 • Le meurtre de Sylvie permet à Nicolas d'anéantir la souillure et de retrouver la pureté de l'amour: "Par l'immolation de Sylvie Nicolas redonne à l'amour, en déliant le fil nouant du Destin, sa qualité de sentiment éJationneJ qui pemet de vieillir à J'intérieur «de la durée de la personne aimée' .... 3 •

... CaHloisRo,er. lelllyt/Jeell'JJoJ/Ullt1, Paris. Gallimard. coll. Id6es, 1938, p.26

42 Iqba1. op. dt.. p.23'

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L'insertion d'Hamlet permet à Neige Doire de s'approprier le pouvoir de Cascination du mythe et de s'ouvrir ainsi sur le sacré. Le rituel sacrificiel est en soi rattaché au sacré: "A propos du sacrifice, j'écrivais: la victime meurt, alors les assistants participent d'un élément que révèle sa mort. Cet élément est ce qu'il est possible de nommer avec les historiens des religions, le sacré. Le sacré est justement la continuité de l'être révélé à ceUI qui filent leur attention, dans un rite solennel, sur la mort d'un être discontinu ... Du sacrifice à l'érotisme, très présent dans Neqe Doire. il n'y a qu'un pas à Cranchir. En eCCet, selon Georges Bataille, le sacrifice est, par la chair, lié à l'érotisme: "Ce que l'acte d'amour et le sacrifiee révèlent est la chair. Le sacrifice substitue la convulsion aveugle des organes à la vie ordonnée de l'animal, Il en est de même de la convulsion érotique: elle libère des organes pléthoriques dont les jeux aveugles se poursuivent au delà de la volonté réfléchie des amants .... 5 , La chair, selon Bataille, excède les limites, dépasse la volonté et s'oppose aux interdits, La présence importante de l'érotisme dans Neige Doire

est, en ce sens, un désir de Cranchir les limites, de sortir de soi, de s'abîmer pour ~e perdre; en Cait, il s'agit d'un désir de mort.

La quête d'absolu dans Neige noire culmine dans la scène finale entre Eva et Linda, Ce sont ces deux personnages qui, selon Pierre-Yves Macquais, accèdent aUI trois niveaux de la quête (réalisation de soi, réunification des contraires et production de l'être total, unité en Dieu), C'est dans cette scène qu'il est fait expHcitement allusion au sacré, L'emploi d'un vocabulaire lyrique associé au divin indique clairement que l'érotisme de cette union devient alors mystique, c'est-à-dire volonté d'abolir la discontinuité pour se fondre en Dieu, Dans cette communion qui mène les personnages vers l'Undensacre. Heu mythique d'un espace-temps absolu, il y a suspension du temps. continuité et fusion de la vie et de la mort, là où l'érotisme a son sens profond: "La vie est accès à l'être: si la vie

~ est mortelle. la continuité de l'être ne l'est pas, L'approche de la

...

.. .. Bataille Georges. ll1roUSllle, Patis, Editions de Minuit, coU. Arguments, 1~7, p. 92

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( mort. En premier lieu. le trouble érotique immédiat nous donne un sentiment qui dépasse tout. tel que les sombres perspectives liées à la situation de l'être discontinu tombent dans l'oubli. Puis au delà de l'ivresse ouverte à la vie juvénile. le pouvoir nous est donné d'aborder la mort en face. et d'y voir enfin l'ouverture à la continuité inintelligible. inconnaissable qui est le secret de l'érotisme"'" .

c.

Par l'utilisation de ~ragments du telte de Shakespeare Aquin fait d'HI/JJ/el le matériau de son telte. De plus Hlm/el enchâsse

NeiKe noire tout comme NeiKe noire l'enchâsse. Il semble. en effet. y avoir entre ces deul teltes un perpétuel jeu de va-et-vient. Le recours au mythe d'Uamlet est la mise en abyme qui perturbe l'ordre chronologique du récit. La réfection du roman par le telte emprunté est montrée elplicitement dès le début du livre par la représentation d'Hamlet non pas au théatre. mais, à la télévision. Et c'est ici l'image qui entre en scène. Par la présence de l'image que ce soit dans la pièce télévisée, par l'écriture du film de Nicolas ou par la forme écrite du roman qui est celle du scénario. il y a un visible envahissement de l'image et avec elle. on l'a vu, apparaît la fascination. L'image tout comme le mythe fascine. Bien qu'il semble y avoir appropriation de la fascination du mythe, il n'y a pas appropriation de la fascination de l'image. La fascination devient un retour sur soi, une fascination de l'image, mais de l'image de soi; regardant l'autre c'est soi que l'on regarde. Tout comme le film de Nicolas est autobiographique, le roman en se servant d'Uamlet ne renvoie qu'à lui-même. Hlm/el est le miroir de NeiKe noire tout comme HeiNe noire se veut le miroir d'HIJDJlel

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Dans le texte de création de ce mémoire de maîtrise, s'établit un rapport intertextuel avec N~ig~ .n~?jrc9; C'est d'abord en empruntant une partie de la trame du roman, soit la croisière sur le Nordnorge, que nous avons élaboré ce texte. Puis, nous avons choisi de donner à notre personnage principa11e prénom du héros d'Aquin pour créer un rapport d'identité proche de la gémellité ou du double. Cette identification passe du simple rapport d'homonyme à la hantise, à l'obsession. En faisant de N~ig~ J1~?jr~ un récit mythique tout comme N~.iK~ .tJt?jr~ le faisait avec H..,ml~t nous voulions que le Nicolas de N~ig~ n,,?J'r~ envahisse l'lmaginaire de notre propre Nicolas. Celui -ci, peu à peu entrainé dans la trame de N~.ig~ nt.?J'r~

devait en arriver à une perte d'identité ou à une projection dans le personnage imaginé du roman d'Aquin. C'est ainsi qu'à certains endroits dans le texte notre persormage dit des extraits de N~Jg~

nt?J'r~ Certaines scènes sont aussi emprun~s à N~ig~ Ot?jrt9, dont la scène du sacrifice de Sylvie qui ~st reprise presqu'intégralement, et jouée par notre personnage comme si celui-ci devenait le comédien qu'est le personnage d'Aquin. Dans le texte même, certains extraits d'Aquin sont insérés et absorbés et ces emprunts se font de plus en plus fréquents vers la fin du récit. Nous avons voulu ainsi jouer sur le rapport réalité/imaginaire de façon à ce que notre personnage bascule dans la fiction et revive la scène du meurtre. C'est par une volonté bien modeste de donner une dimension sacré à notre récit que nous y avons intégré le lyrisme mystique d'Aquin et que nous avons établl tout ce rapport intertextuel

Pour Aquin, comme nous l'avons cité en exergue, "il n'y a pas d'originaux". Tout texte est un jeu de décalques, une reproduction d'anciens faux. Plus qu'un simple outil d'écriture l'intertextualité est inhérente à la recherche même d'Aquin. Elle devient une approche, une manière de voir et de concevoir l'écriture et ses enjeux. Le jeu inœrtextuel enveloppe et infiltre le texte, il est incessant et

souterrain, il s'immisce dans le roman pour le dérouter, rouvrir, le

disloquer. Il ouvre le texte sur une autre voix qu'est un autre texte. Mais cet autre texte le renvoie aussi à lui-même. C'est dans ce

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(

un autre puis revient à lut pour mieux repartir, comme une quête qui ne voit jamais sa fin, comme un rituel amoureux : "Elles ne se laissent pas, pourtant elles se reprenent toujours"47. Cette dernière scène résolument mystique de N~ji~ J'1 .. ?jr~ appelle à la relecture et avec elle apparaît la découverte de l'infini du texte, de ses multiples réseaux, de ses complexes enchâssements. Elle ouvre sur le sacré et surtout sur la présence de la voix, de l'autre voix. L'intertextualité, on l'a vu, permet d'instaurer un rapport dialogique d'une voix à une au~re voix, la voix de l'inconscient. Selon Robert Richard, cette voix est chez Aquin la voix de Dieu: · ... cette voix ttansnarrative -voix du lecteur indénombrable, voix de la marge, voix du sujet objectif-quelle est-elle sinon la VOlX de Dieu «Dieu seul est devant et

autour» ... On ne peut s'empêcher d'effectuer le rapprochement avec l'énoncé de Lacan : «Dieu est inconscient» ... Ce Dieu inconscient est mort, comme le Père primitif. Et comme lui, il a été intériorisé, il est «passé en dessus» où il devient appe1"48 .

Loin de nous l'idée de crOire que nons avons réussi, par le recours à N~jCt9 n .. ?jr~ à déboucher sur le sacré ou à réactual1ser le

mythe d'Hamlet (ou d'Aquin). Notre récit se veut un exercice de lecture et d'écriture par lequel nous avons pu à la fois entrer dans un espace qui nous fascinait et mesurer nos limites.

47 Aquin, op. cit. , 1).216 48 Rich8J'd, op. cit. 1).95

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1

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(28)

Chapitre 1

Le dernier étudiant franchit la porte de la salle de cours. Un crayon tombe de son coffret. Nicolas voit le crayon rouler sur le plancher de tuiles sales. Il fait un geste de la main pour interpeller l'étudiant qui l'a échappt. Mais son mouvement reste en suspens. L'étudiant sort. Nicolas regarde le crayon qui continue de rouler et qui s'arrête contre la patte d'une chaise.

Nicolas met ses notes de cours dans une chemisel et empUe

MS trois livres par ordre de grandeur. Il commence à effacer le tableau noir derrière lui et s'arrête à un des dessins qu'il a tracés. Il lit : " archipel de Svalbard". Il répète en étirant les syllabes : Sval. .. bard .... Ce nom n'a pour lui aucune résonance. C'est pourtant lui qui a écrit au tableau. Nicolas essaie de se souvenir de l'instant où il a tracé ces lettres. Sa mémoire flanche. Le geste, il s'en souvient comme de quelque chose de lointain, il en a une image floue. Il se rappelle la sensation de la poudre de craie sur ses doigts. Il sait que la craie a (;assé à un moment et qu'elle a crissé sur la surface du tableau. Il sait qu'il a eu un frisson et qu'un murmure est venu des étudiants. Qu'avait-il dit concernant ce nom? Il essaie de se souvenir d'un moment avant ou après ~e mot, de ce qui a amené ou suivi ce mot. Rien. Il essaie de se souvenir du début du cours. De quoi avait-il parlé en entrant? De quoi avait-il parlé pendant tout le cours? Nicolas a un trou de mémoire. D'un coup rapide, il efface Svalbard. Il regarde ses notes. C'est le deuxième cours sur les archipels, il devait parler de l'archipel de Mingan, en avait-il parlé ? Nicolas n'a que Svalbard dans la tête, il veut comprendre d'où vient l'erreur. Il ne connaît pas d'archipel de ce nom et aucun dont le nom s'y apparente. Il a donné un cours sur un archipel qui n'existe pas.

Nicolas lève les yeux vers le fond de la classe, il voit toutes

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"

interrompu pour lui faire remarquer son erreur. L'ont-ils seulement écouté? Il en conclut qu'il peut leur raconter n'importe quoi, ce qu'il avait d'ailleurs remarqué depuis quelques années déjà.

Il prend ses livres sous son bras, et il marche dans la classe entre les bureaux. Il ramasse le crayon contre la patte de chaise. Il souffle dessus, une boule de poussière s'en détache et tombe lentement sur un bureau. Nicolas glisse le crayon dans la poche intérieure de son veston. Il se retourne pour gagner la porte et s'aperçoit dans la fenêtre. Il fait noir à l'extérieur. La main toujours enfoncée dans sa poche, Nicolas hésite un instant puis ressort le crayon qu'il pose sur un pupitre. Il s'avance vers la fenêtre pour se voir de plus près. Les fenêtres donnent sur une ruelle. Un camion à

ordures y est stationné et compresse des déchets dans un bruit d'enfer. Deux éboueurs, des sacs verts entre les mains, attendent que la benne s'ouvre pour lancer leur fardeau dans la bouche béante de l'engin. Une neige fine commence à tomber. Nicolas regarde un flocon qui s'agrippe à la fenêtre, il en compte les pointes, deux, quatre, six. Six comme le sceau de Salomon 11 observe le visage foncé de son reflet et ce cristal étoilé qui colle à la vitre juste devant sa pupille. Il a un flocon dans l'oeil. Il s'admire un moment, se fait un clin d'oeil et sort de la classe. Il oublie sa chemise sur le bureau.

Ses talons claquent et résonnent dans le corridor désert. Il met la clef dans le trou de la serrure et ouvre. Il entre et pose le pied sur des travaux que des étudiants ont glissés sous la porte de son bureau. 11 laisse une empreinte sur l'un d'entre eux. Il prend le travail et fait disparaître la trace à l'aide d'une gomme à effacer. Sur sa table des dossiers sont entassés. Nicolas dépose ses livres sur le tas. Il ouvre grande la fenêtre pour chasser l'odeur de moisissure. Il s'assoit. Devant lui, dans sa bibliothèque, il y a des livres spécialisés de biologie mal ine, d'océanographie et de vieux journaux. Nicolas se dit qu'il devra bien un jour trouver le temps de mettre de l'ordre là-dedans. Il fait pivoter sa chaise à roulettes et se retrouve face au mur. Le blanc jauni de la peinture est caché par les petits papiers collés et le grand calendrier qui y sont épinglés. A la date

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d'aujourdbui, 22 février, une note est écrite au feutre rouge: réunion du département 5:00h. Nicolas jette un coup d'oeil à sa montre.

n

est 5:20h. Avant de sortir, 11 ramasse les travaux au pied de la porte et les dépose sur sa chaise parce que sa table est trop encombrée.

Il descend au salon des professeurs. Il entre discrètement. Le président de l'assemblée s'interrompt. :

-Justement Nicolas, on vous attendait pour discuter du point trois à l'ordre du jour.

-Excusez mon retard ... je ...

- Nous avons reçu la lettre que voici de l'université de Christiana à Oslo.

On tait passer la lettre à Nicolas.

- Il s'agit d'un poste de chercheur pour la session d'été. Le

département a pensé à vous. - A moi?

- Une partie des frais sera payée par le fond de recherches de l'université.

- Je ...

- Vous avez jusqu'au 5 mars pour répondre.

Nicolas regarde la lettre. Il veut encercler la date de réponse mais son stylo n'a plus d'encre.

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Après la réunion, il rentre chez lui.

Sébastien et Etienne se jettent sur son dos au moment où 11

enlève ses bottes. Il perd l'équilibre et les deux gamins se moquent de lui. Nicolas reste étendu de tout son long, il fait le mort. Les deux garçons lui prennent chacun un bras et tirent d(t toutes leurs forces, Ils réussissent à le soulever un peu, puis le lâchent. Etienne se roul~

sur Nicolas et Sébastien lui tire les jambes. La bousculade dure un moment puis les garçons épuisés s'affalent.

Une odeur de poulet à la citronnelle flotte dans toute la maison. Nicolas se lève, va vers la cuisine et pousse un soupir d~ satisfaction. Marie est assise à son bureau derrière une pile de livres et de dictionnaires. Elle écrit. Nlcolas regarde par-dessus l'épaule d~ Marie et l'embrasse sur la joue:

- Elle avance cette thèse?

Elle fait une grimace. Il lui présente la lettre.

- Ils veulent que j'y aille ...

Il prend un air découragé.

- Tu sais comment ils sont ces vieux schnot;ks, ils font toujours faire le travail par les plus Jeunes.

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.. Mais c'est bien, Oslo en ~éanographie, c'est très réputé . .. Justement,. je ne serai jamais à la hauteur .

.. Voyons

- Je ne peux pas te laisser seule, avec les enfants.

Elle rifléchit .

.. Tu sais, il est bien temps que Michel s'en o<:cupe un peu, après tout c'est lui le père. Je peux m'arranger avec lui et on partagera la garde, ce ne sera pas la première fois .

.. Ça ne t'ennuie pas .

.. Ça ira ; je pense que c'est une offre que tu ne peux pas refuser.

Nicolas tourne en rond dans la pièce .

.. J'hésite encore, tu sais comment ça se passe. On doit se taper toutes les soirées officielles, sourire, être gentil et taire le beau. Je déteste ça .

.. Enfin... c'est ta décision.

A la blague, elle ajoute:

.. La vraie raison, c'est que tu es pantouflard et que tu commences à devenir un vieux schnock toi aussi.

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"'f-4,

Nicolas s'arrête et regarde Marie. Il cherche à répliquer mais resté muet. Il sort et va dans son bureau. Il s'assoit dans son fauteuil Louis XV. Il joue avec ses boutons de manchette. Marie

entre. Blle s'avance, lui passe la main dans les cheveux.

- Tu boudes?

- Non ... tu as raison je suis un vieux schnock.

Bll~ sourit

- Juste un tout petit peu... allons, changer d'air ça peut te faire du bien; depuis quelque temps je te trouve plutôt morose.

- Je sais, je suis fatigué.

- Allez viens souper, le poulet va être trop cuit.

Elle le prend par la main, Ilia suit et la prend par le cou. Il dit:

- Est-ce que tu t'ennuierais de moi ?

Elle ne répond pas.

A table, les enfants sont excités. Nicolas croit que c'est là l'annonce d'une tempête. C'est ce que les maîtresses d'école disaient

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(

lorsqu'il était petit. Le souper à peine terminé, les deux garçons entraintnt Nicolas dans la salle de jeux. Une piste de course est installée sur le sol. Etienne place les voitures à la ligne de départ. Sébastien prend un pistolet et en donne un à Nicolas. Tous les trois s'assoient en indien autour de la piste, pistolet en main. Les deux garçons font vrombir les moteurs de leur voiture. Sébastien regarde son trère, qui lui lait un signe de tête. Sébastien dit à Nicolas:

- C'est toi qui dis "go ". - D'accord, vous êtes prSts?

Les garçons se dressent sur leurs genoux.

- Oui.

-Ok.

- A vos marques, prêts, un, deux, trois, go 1

Les petits bolides de plaStique détalent, les gamins crient pour les encourager. Sébastien a la jaune numéro 2, Etienne a la verte numéro 9. Les voitures tournent vite et suivent toujours le même trajet en huit. Nicolas tixe sa voiture, la rouge numéro 12.

Elle garde sa vitesse et roule sans déraper. Nicolas lutte contre le sommeil. Sa ~te penche imperceptiblement vers l'avant.

Après plusieurs tours, Marie entre dans la pièce, elle jette un coup d'oel1 à Nicolas. Il se lève.

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Les garçons protesœnt. Nicolas range les petiœs voitures de course. Marie prend les deux garçons par le cou.

- Allez, au lit.

Nicolas revient s'asseoir dans la cuisine et siroœ un thé

refroidi. Marie fait couler de l'eau dans l'évier pour laver la vaisselle. Nicolas l'arrête :

- Laisse, c'est à moi à faire ça, va plutôt écrire.

Elle laisse tout en plan et va vers son bureau. Elle passe à

côté de Nicolas et lui donne un baiser sur la tête.

Il finit son thé et met une cassetœ dans le magnétophone : Ricercari de Gabrielli. Nicolas apprécie les tâches ménagères parce qu'elles lui permettent de se reposer, de ne penser à rien.

Quand tout est bien propre, Nicolas s'assoit et regarde s'U n'a rien oublié. Si seulement son bureau pouvait être aussi ordonné que la cuisine. Il renverse la tête vers l'arrière et s'appuie contre le mur. 11 écoute la musique. Il se dit que l'auto-reverse est une invention ingénieuse.

Il ferme les yeux et se laisse emporttr par le rythme de la musique. Les images défilent devant ses yeux. Il voit la salle de cours où il enseignait aujourd'hui. Il marche au fond de la classe

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(

(.

derrière tous les étudiants. La plupart sont attentifs aux parolts du professeur. Ils prennent des notes et reproduisent sur leurs feuilles les dessins que le professeur fait au tableau. Nicolas regarde quelques copies. Puis, il prend place sur un Siège libre près des deux étudiantes les plus sexy du groupe. EUts n'écoutent pas le professeur, elles se passent des messages sur de petits bouts de papier. Nicolas se dit qu'elles ont compris qu'il y a beaucoup plus amusant que les cours. Il leur sourit et leur fait signe qu'il veut lire les messages, mais elles ne le voient pas. Il prend un des papiers que l'une vient de faire lire à l'autre. Ce n'est qu'une feuille blanche. Il se lève et marche vers l'avant de la classe. Il se faufile entre le professeur et le tableau de peur de distraire les étudiants. Personne ne l'aperçoit. Il est surpris du phénomène. Il fait des signes de la main pour se faire remarquer. Personne ne réagit. Il tape sur l'épaule du professeur pour lui parler. Celui-ci ne se retourne pas, mais passe sa main sur son épaule comme pour chasser un moustique. Nicolas est ravi de se savoir invisible.

Il s'assoit sur la chaise du professeur qui maintenant fait des dessins au tableau. Il explique la configuration de l'archipel de Svalbard. Nicolas l'écoute distraitement, il regarde les étudiants travailler. Les dessins terminés, le proftsseur se rassoit. Nicolas se tève précipitamment pour ne pas être écrasé. Il voit le visage du professeur, ce visage est le sien. Le cours tire à sa tin. Le double de Nicolas, tout en œrminant son explication, ~ amasse ses notes de cours, en fait un paquet et les glisse dans une chemise. Nicolas l'écoute :

- Quoi qu'il en soit, ce que je vous ai enseigné aujourd'hui n'a aucune valeur. L'archipel de Svalbard n'existe pas... mais vous pourrez y rêver dans votre lit ...

Une main se pose sur l'épaule de Nicolas. Il ouvre les yeux, un large sourire aux lèvres. C'est Marie :

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- Tu pourras rêver dans ton 11t mon amour, il est tard, viens te coucher.

Nicolas et Marie sont étendus. Marie lit Soleil noir, le dernier Kristeva. Nicolas regarde le plafond. Marie insère son signet et ferme son livre. Nicolas la voit déposer le bouquin sur la table de chevet et dit:

- Je ne sais pas comment tu tais pour lire ça avant de dormir. - ça m'endort jusœment, c'est mieux que de tixer le platond.

Nicolas bougonne. Marie éteint la lampe.

- Arrête de penser à cette lettre et dors; demain tu auras les idées plus claires, la nuit porte conseil.

Elle se couvre de l'édredon en plumes d'oie. Elle tourne le dos à Nicolas et s'endort, en respirant profondément. Nicolas l'observe, puis 11 lève les yeux au plafond. Il compte les tuiles.

A une heure du matin, Nicolas n'a toujours pas trouvé le sommeil. Il se dit qu'il n'aurait jamais dû refaire le plafond en tuile. Avec sa manie de tout dénombr6'r, il est devenu insomniaque. Impatient, il enfile sa robe de chambre et va au salon.

Dehors une fine poudreuse tombe et s'amoncelle sur le balcon. Nicolas s'arme d'une pelle. Il déblaie le balcon

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(

(

énergiquement pour se réchaufftr. Son pouls s'accélère .. il est essoufflé. Une douleur le terrasse au côté gauche, ses jambes fléchissent. D'une main, il s'agrippe à la rampe, dtl'autrt, il se tient les côtes. Il reprend son souffle puis entre. Il marche le dos voûté. Les paroles de Marie résonnent dans sa tête "tu commences à devenir un vieux schnock".

Nicolas sent que son corps ne le suit plus comme avant. Sa forme physique s'est détériorée ces derniers mois. Il s'allonge sur le sofa du salon et le mal s'atténue. Après un moment, il se dirige vers sa Chambre. Il passe devant celle des enfants. Il regarde par la porte entrebâillée. Les deux petits sont endormis dans leur lit en forme de voiture. Nicolas entre à pas feutrés. Il s'assoit sur le lit d'Etienne, le plus jeune. Il ramène la couverture de ratine rouge sur la petite épaule. Ille borde. Il caresse le front du bambin. Etienne ouvre les yeux. Il voit Nicolas et esquisse un sourire. D'une voix endormie, il dit:

- Il n'y a personne dans tes yeux.

Nicolas reste figé. Cette phrase lui donne un coup au coeur. Il demande à Etienne ce qu'il a voulu dire, mais l'enfant est déjà retombé dans un sommeil profond. Nicolas prend la main d'Etienne. Elle est minuscule dans la sienne. Il en baise la paume. Il colle la petite main contre sa joue et écoute le souff1& paisible de l'enfant. Il reste longtemps ainsi.

Dans sa chambre, Nicolas enlève son pyjama. Il s'habille et prend soin de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller Marie. Il ne la quitte pas des yeux tout en enfilant son jean et son pull de laine. Avant de sortir, il s'approche d'elle. Ses longs cheveux noirs qu'elle porte toujours en chignon sont étalés sur l'oreiller. Nicolas les touche du bout des doigts. Ils sont soyeux. Nicolas soulève l'édredon.

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Marie soupire sans se réveiller. Elle est vêtue d'une chemise de nuit en soie bleue. Nicolas la déboutonne, pose sa main à plat sur le ventre de Marie. Il glisse sa main doucement vers le plelus solaire et entre les seins. La main s'arrête sur le cou et encercle la gorge. Nicolas serre légèrement, puis un peu plus fort, il attend que Marie réagisse. Elle porte une main à sa gorge. Il lâche prise. Il voudrait la désirer.

Nicolas met ses bottes et son long manteau de cachemire marine. Il sort sous la neige. Les flocons sont maintenant plus gros et tombent lentement. La neige assourdit le moindre bruit. C'est une bonne bordée. Les trottoirs sont couverts de plusieurs centimètres. Les rues sont désertes. Les flocons collent au manteau de Nicolas qui devient blanc. Il cale son chapeau de fourrure un peu plus sur ses oreilles, penche la tête et garde les yeul sur ses bottes qui foulent la neige fraîche. En moins d'une heure, il se rend de Notre-Dame-de-Grâce jusqu'au belvédère du Mont Royal. La neige a diminué d'intensité. Nicolas sort un vingt-cinq sous qu'il met dans des jumelles. Il observe les édifices qui restent illuminés dans la nuit. Il espionne les appartements pour voir s'il n'y aurait pas une jolie fille dans une chambre ou dans une douche qui comme lui ne trouve pas le sommeil. C'est peine perdue, les jumell~s ne sont jamais assez puissantes. Il les tourne vers les lumières qui scintillent le long du Saint-Laurent. La minuterie des jumelles s'arrête. De l'avant-bras, en tenant la manche de son manteau, Nicolas déblaie la neige du muret de ciment qui encercle le belvédère. Il s'y appuie. Il voit le petit parc en bas. Les arbres sont courbés sous le poids de la neige. Nicolas regarde le ciel. Les flocons tombent en tourbillon sur lui. Cela l'étourdit. C'est ce qu'il aime. Comme il reste immobile, le froid se fait plus cru et il eom menee à grelotter. La tête enfonçée dans les épaules, les mains au fond des poches, il s'isole un peu plus du monde. L'air est sourd, mais léger. Il n'y a que lui et ces flocons qui voltigent dans l'indigo d'un ciel de nuit.

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J

Dans la poch. dt son manttau, Nicolas touche dts doigts la lettre de l'Univereité <l'Oslo qu'U a prise sur son bureau avant de

partir. ilia s,rr. dans son poing, i11',ntend se froisser. Il prend l, ch,min du r.tour.

A la maison, Nicolas est transi. Il cherche sa veste de laine. Il fait 1. tour des pièces de la maison .t la trouve final.m.nt dans son bureau, suspendue au dossier d. sa chaise de travail. Ilia met. Soign.usement, il ajuste l.s poignets de son chandail et de sa Vtstt. Il tst devant un des murs de sa bibliothèque. Il voit qu'un de ses livres d'art est rangé tête .n bas. C'est un livre sur Munch. Ille sort pour le replacer. Des photographies s'en échappent .t tombent sur le tapis. Nicolas se penche pour les ramasser. Il en regarde une, puis une autre. C. sont des agrandissements 6 par IOde photographies de fjords, de montagnes et de collines norvégiennes. Il St souvi.nt qu'un ami, dont le nom lui échappe, lui avait envoyé ces photographies. Il les prend avec le livre et va au salon. Il ferme derrière lui les portes vitrées. Il pousse légèrement un fauteuil contre le mur afin de dégager le centre de la pièce devant le foyer. Il étend les photographies sur le plancher de bois verni, il y en a plus d'une dizaine. Il les dispose méthodiquem.nt en mosaïqu •. Une fois toutes ces photographies étalées, il marche autour d'eUes. Il les regarde de loin, de près, en examine chaque détail. Il va vers le chariot où st trouvent ses bouteilles d'alcool, St verse un v.rre, s'avance vers 1. foyer et roule du papier journal en bâtonnets qu'il met sous la grille de fonte. Il met deux bûches et du bois d'allumage sur cette grille. Avec un briquet, il fait flamber le papier. En peu de temps, les flammes s'attaquent au bois. Ce bols d'érable est sec, il éclate, des flammèches s'éteignent hors de l'âtre. Nicolas ferme le rideau de métal. Il s'assoit devant son feu de foyer et sirote un Chivas Regal. Il se laisse hypnotiser par le mouvement des flammes bleues et jaunes. Il y devine des formes. Il laisse vagabOnder les idées qui lui vienn.nt à l'esprit. Il se réchauffe. Il se calme. Il étend les jambes. D'une gorgée, il finit son verre. Il est légèrement saoul. Un sourire au coin des lèvres, il pose son v.rre sur la dalle de brique de la cheminée et st laisse choir de tout son long sur la

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regarde, le bras tendu au-dessus de lui. Il voit une rive déserte où s'avance dans la mer un large quai de béton. Au loin, l'eau se perd entre des îles et des presqu'îles, c·est un archipel au mi1i~u d'un fjord où se dressent des pics enneigés.

Nicolas jette un coup d'oeil à la fenêtre. La neige ne tombe plus sur Notre-Dame-de-Grâce mais sur Oslo.

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Chapitre 2

Nicolas entre dans l'immense placard où leUnge nt suspendu sur trois des côtés. Il monte sur un tabouret et s'étire jusqu'à la tablette au -dessus des cintres. Il agrippe la poignée d'une valise de toile vertt. La petite bordure de plastique de la valise est collée à la tablette dont la peinture s'écaille. Il tire. Un nuage de poussière vole. Nicolas toussotte étouffé par le petit nuage gris. Il sort sur le balcon arrière et s&Coue vigoureusement la valise. Il défait le fermoir et ouvre. Un noeud papillon dépasse d'une des pochettes internes. Il le prend. C'est un noeud qu'il portait lorsqu'il était étudiant. Nicolas le garde dans sa main et place la valise sur le large rebord de la rampe du balcon. ilia laisse ouverte pour l'aérer.

L'air du printemps est encore frais, mais le soleil brûle. De son balcon au troisième, Nicolas a une vue plongeante sur les toits avoisinants. Il peut voir les rues du quadrilatère. Au loin, il voit la rue Côte-des-Neiges embouteillée comme d'habitude. Les chauffeurs sont nerveux, ils klaxonnent et font vrombir les motturs. Des hommes et des femmes marchent d'un pas rapide. C'est l'heure du lunch. Une petite chatte d'espagne est couchée sur un puits de lumière, Nicolas sourit de voir cette petite bête se faire chauffer au soleil tandis que tout autour les gens s'affairent. C'est ce qu'il a toujours aimé des chats 1 cette façon qu'Us ont de se foutre de tout

et d'être occupés à ne rien faire. Nicolas lève le visage vers les rayons du soleil et ferme les yeux. La chaleur effleure sa peau et tranquillement le caresse comme les doigts d'une femme: la lumière inonde chacune de ses pores. Nicolas ouvre à peine la bouche et les rayons brûlent ses lèvres. Il sort sa langue et goûte à la chaleur. Il agrippe ses mains à la rampe de bois brun. Le bois est pourri et mou. Ille serre et ses doigts s'y enfonçent légèrement. Ses mains puissantes traversent le bois. Il sent sa peau qui bronze et la chaleur qui le pénètre. Il transpire, des gouttes glissent sous ses

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