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L' ironie dans la prose fictionnelle des femmes du Québec: 1960-1980

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(2)

L'ironie dans la prose fictionnelle des femmes du Québec: 1960·1980

par

Lur.ie Joubert

Thèse de doctorat soumise

à

la Faculté des études supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du diplôme de

Doctorat ès Lettres (Ph.D.)

Département de langue et Iittératur'a françaises Université McGiII

Montréal, Québec

août 1993

(3)

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(4)

RÉSUMÉ

Cette thèse étudie les diverses manifestations de l'ironie dans la prose fictionnelle des femmes du Québec de 1960 à 1980. Traditionnellement utilisée par les hommes, l'ironie s'inscrit peu à peu dans l'écriture au féminin, opérant un intéressant renversement de situation; plus souvent "objets" d'ironie, les femmes renversent les règles du jeu et deviennent "sujets" ironisants. La première partie de la thèse porte sur l'ironie explicite, c'est-à-dire celle qui se trouve dûment identifiée et déjà décodée pour le lecteur: l'auteure souligne, par exemple, une ironie du sort ou du destin, ou prête à un personnage donné une attitude, un sourire ou des propos ironiques. Cette ironie se trouve plus souvent dans les œuvres publiées au cours de la première décennie de notre corpus; elle constitue une étape importante dans l'écriture au féminin dans la mesure où elle permet aux auteures d'effectuer un apprentissage des ressourCGS ironiques et de les insérer dans leur création.

L'ironieexTiicitese concentre donc à l'intérieur du texte et requiert peu de compétence de décodage de la part du lecteur; celui-ci sera mis à contribution dans la deuxième partie de la thèse consacrée à l'ironie implicite, c'est-à-dire celle qui s'inscrit dans le texte sous trois aspects principaux: rhétorique, structural et chromosomique. L'ironie rhétorique relève de la connaissance de la langue et demande au lecteur le repérage de l'antiphrase, du sous-entendu, des métaphores et autres jeux de langage; l'ironie structurale repose sur le fonctionnement du texte et exige une aptitude à cerner tantôt la parodie, tantôt le choc constructionnel ou l'intertextualité; l'ironie que nous nommons chromosomique requiert un décodage spécifique établi en fonction du sexe de l'auteure.

(5)

Après cette deuxième étape. qui met en reliet le travail du lecteur dans le processus d'interprétation de l'ironie, la troisième et dernière partie expose les principales cibles de "ironie chez les auteures. Ce tableau des "victimes" complète notre étude en désignant les types de personnes, les institutions ou les idées susceptibles de provoquer la critique des écrivaines. Un tel éventail. qui comprend, entre autres, le clergé, l'éducation, la famille et l'étranger. tend

à

démontrer le dénominateur commun de tous les éléments visés: le Pouvoir. Le regard des auteures scrute les rapports de force sous toutes leurs formes: inspirées par leur "communauté de destin", qui fait d'elles, encore aujourd'hui, des personnes évincées des instances décisionnelles, les femmes proposent une vision différente du monde. L'ironie au féminin permet une lecture originale de leur contestation et leurs revendications .

(6)

AB5TRACT

This thesis explores the various manifestations of irony in prose-fiction by women in Québec from 1960 to 1980. Traditionally used by men, irony is gradually becoming more widespread in women's writing, which in itself is an interesting reversai: more often "objects" of irony, women now reverse the rules of the game and become ironizing ",;ubjects". The first part of the thesis investigates explicit irony; that is, irony which is duly identified and already decoded for the reader; for example, the author might emphasize an ironie fate or destiny for her characters, or might invest a character with an attitude, a smile, or remarks that are ironie. Explicit irony most often appears in works published during the first decade of our corpus; use of this form of irony constitutes a critical initial phase in women's writing because it enabled women authors to leam about the resources of irony and employ them in their work.

Explicit irony, therefore, operates within the text and requires minimal

competence in the reader for its decoding; the decoding of the text will play a central role in implicit irony, which will be focus of part two of the thesis. Implicit irony manifests itself in the text in three principal forms: rhetorical, structural, and chromosomic. Rhetorical irony emerges from knowledge of the language and requires the reader to identify occurrences of antiphrases, innuendoes, metaphors, and other types of word-games in the text; structural irony depends upon the inner-workings of the text and demands an aptitude for discerning instances of parody, structural paradox, or intertextuality; that form of irony which we have named chromosomic requirAs a specific decoding that is effected in function of the author's feminine gender.

(7)

,

Following part two, which highlights the reader's rôle in the process of interpreting irony, the third and final part reveals the principal targets of Irony ln the;::; women's writings. This tableau of 'victims" completds our study by identifying the types of persons, institutions, or ideas that provoke the criticism of women writers. Such a broad range of types, comprising the clergy, education, the family, and foreigners, among others, tends to point toward a commor denominator: Power. The authors scrutinize power relationships in ail their forms: inspired by their 'collective destiny", that ç.ersists, even today, in excluding them from positions of decision-making, women now propose a different vision of the world. Irony in the feminine permits an original reading of their struggle and their demands.

(8)

REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail d'écriture, je tiens

à

remercier Madame Annick Chapdelaine, ma directrice de thèse, pour S3 disponibilité, ses

encouragements et ses précieux conseils. Merci aussi

à

Christiane Mayer qui a effectué une lecture minutieuse de ces pages,

à

Isabelle Durand qui a procédé

à

la mise en page et

à

d'ultimes vérifications et

à

Peter Di Maso pour la traduction du résumé. Merci enfin

à

mon conjoint Marcel Olscamp pour sa patience et sa compréhension.

(9)

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION

1. L'écrilure des femmes--,- p.2

Il. L'ironie: essai de définition p.9

III. I.'ironie chez les femmes p.l1

IV. Le décodage de l'ironie: un défi p.i5 V. Les instances narratologiques p.18

VI. Le corpus étudié p.19

VII. Le découpage analytique p.24

PREMIERE PARTIE

L'IRONIE EXPLICITE OU L'ANTI-TROPE: LE TEXTE p.29

CHAPITRE 1: L'IRONIE OBJECTIVE p.3l

1.1 L'ironie du sort p.32

1.2 L'ironie animiste p.37

CHAPITRE 2: L'!RONIE INTERACTIVE p.42 2.1 Les générateurs d'ironie

2.1.1 L'ironie dure p.42

2.1.2 L'ironie indulgente p.46

2.1.3 L'ironie défensj';e p.49

2.1.4 Le qualificatif comme indice

d'intention p.55

2.2 Les victimes de l'ironie

2.2.1 La réaction

à

l'ironie p.60

2.2.2 L'ironie redoutée p.63

2.2.3 L'imperméabilité du personnage p.65

2.2.4 L'auto-ironie p.68

CHAPITRE 3: L'IRONIE MARQUÉE: TRANSITION ENTRE IRONIE EXPLICITE ET IRONIE IMPLICITE p.71

(10)

DEUXIEME PARTIE

L'IRONIE IMPLICITE OU LE LECTEUR MIS ÀCONTRIBUTION __ p.SO CHAPITRE 1: L'iRONIE RHETORIQUE OU LA CONNAISSANCE

DE LA LANGUE p.81

1.1 L'antiphrase p.S2

1.2 La comparaison et la métaphore p.S7

1.3 Le jeu de mots p.96

1.4 Le mot disjoncteur et le choc des styles p.l03

1.5 Le sous-entendu p.l09

CHAPITRE 2: L'IRONIE STRUCTURALE OU LA CONNAISSANCE

DU TEXTE p.115

2.1 Les échos constructionnels p.115 2.1.1 L'ironie circonstancielle responsable du

renversement --,._ _

-=--=-_ _

p.116 2.1.2 Le personnage comme catalyseur de

l'iro-nie situationnelle p.120

2.1.3 L'observation ironique du narrateur . p.122 2.2 L'intertextualité._--;,..- p.123 2.2.1 Le portique des noms propres p.125 2.2.2 Le recours à l'autre texte_ p.128

2.3 La parodie p.132

CHAPITRE 3: L'IRONIE CHROMOSOMIQUE OU LA CONNAISSANCE

DE L'AUTEURE p.141

3.1 Les enjeux narratologiques p.141

3.2 L'auto-ironie p.145

3.2.1 Les déterminismes de la condition

fémi-nine p.147

3.2.2 La récupération des mots p.155

3.3 L'ironie d'exclusion p.l58

3.3.1 Les parias féminins p.159 3.3.2 Les boucs émissaires masculins p.163

(11)

TROISIEME PARTIE

LES CIBLES DE L'IRONIE OU LA PRÉSENCE DE L'AUTEURE p.170

Chapitre 1: L'ÉGLISE p.172

1.1 La vie de couvent: la religieuse comme

héroïne p.173

1.2 La vie de couvent: la religieuse comme élément

d'ironie épisodique p.182

1.3 La contestation p.186

1.4 La remise en question de la .. parole ..

religieuse p.190

Chapitre 2: LA MÉDECINE p.196

2.1 Le corps: les .. organes.. p.196

2.2 L'esprit: la folie _p.199

Chapitre 3: L'ÉDUCATION p.204

3.1 Les traditions fustigées _p.204

3.2 L'institutrice p.207

3.3 La valorisation de l'ignoran::e: une ironie p.209 3.4 Le diplôme remis en question p.212

Chapitre 4: COUPLES ET FAMILLE p.215

4.1 Le mariage: l'attente et la désillusion p.215 4.2 Le couple illicite: l'amant ou la maîtresse p.222 4.3 La vie de famille et le divorce comme rupture

du pacte p.225

Chapitre 5: LES HOMMES p.230

5.1 Les certitudes de l'homme p.231

5.2 Les travers de la condition masculine p.236

5.3 La virilité p.239

Chapitre 6: L'ÉTRANGER p.243

6.1 Les Anglais p.243

6.2 La question linguistique p.245

6.3 Les Français et les Américains: portrait d'un

colonisé p.248

Chapitre 7: LA SOCIÉTÉ p.252

7.1 Les classes et les groupes sociaux p.252 7.2 Le gouvernement et les institutions p.256

7.3 La .. civilisation .. p.259

Chapitre 8: LE LITTÉRAIRE p.262

8.1 L'écrivain p.262

8.2 La poésie au pilori p.265

(12)

CONCLUSION

1. L'impossible bilan---,:-- p.269

II. Quelques interrogations p.272

III. Ironie des femmes et ironie des hommes p.275

IV.

ironie féminine et ironie féministe: même combat? p.2n

V. Le danger de l'universalité p.279

(13)

(14)

INTRODUCTION

1. L'écriture des femmes

- La femme ne [peut] par définition que sécrél'3r une littérature féminine -la littérature masculine étant la littérature tout court--, écrivait avec ironie Benoite Groult en 1972 (p.22), posant tout le problème de la reconnaissance et de la définition de l'écriture au féminin. Beaucoup de femmes et quelques hommes se sont penchés sur la question. Vingt ans plus tard, les études, assez nombreuses, scrutent les mUltiples facettes de l'écriture féminine et en font ressortir deux points principaux qui illustrent un constant paradoxe: le désir des femmes de voir leur travail reconnu par l'institution littéraire et la volonté d'affirmer une marginalité par rapport

à

cette même institution.

Les auteures déplorent de voir leurs œuvres confinées aux «ouvrages de dames. (Slama, 1981, p.51); leur écriture est perçue comme un supplément plus ou moins sérieux annexé

à

une littérature dite universelle mais qui est en réalité masculine. L'apport littéraire des femmes, en somme, «ne fait qu'ajouter

à

une littérature qui lui sert de terreau. (Duras, 1974, p.37) car leur contribution a longtemps été évaluée en fonction de ses rapports avec la littérature dominante dans une optique s'appuyant sur la conviction -that manhood is "normative" and womanhood somehow "deviant" or "special". (Russ, 1983, p.41)1. Théoriciennes et praticiennes de l'écriture rejettent cette marginalisation réductrice et soutiennent que «la culture dite féminine ne peut être traitée comme un cas

1Nous avons choisi de laisser telles quelles les citations en anglais; si ce choix peut rendre la lecture plus difficile, il nous sll<nble plus efficace dans le prOCflSSUS d'imtlt'prétation des textes américains.

(15)

particulier dont la culture masculine serait la généralité- (Collin. 1987. p.113). Corollairement. elles s'entendent pour conclure que. if women's experience is defined as inferior to. less importantthan. or "narrower" than men's experience. women's writing is automatically denigrated. (Russ. 1983. p.47-48).

La place de plus en plus importante que prennent les femmes2 •dans la littérature en particulier et dans la société en général. a provoqué la reconnaissance d'un changement important: "l'idéologie patriarcale a perdu son pouvoir universel de sonner vrai, de refléter la réalité dès que "l'autre" a pris la parole- (Zavalloni, 1987, p.13). Dans un étroit jeu d'interrelations, il est difficile de déterminer si les femmes ont écrit en pius grand nombre parce qu'elles s'affirmaient sur le plan social ou si c'est le pouvoir politique grandissant qu'elles sont en train d'acquérir qui leur a permis de définir leur parole. Là n'est pas notre propos cependant; nous constatons simplement que, parmi les femmes qui s'imposent en nombre croissant sur la scène littéraire, au Québec du moins, plusieurs manifestent des réticences

à

voir leur discours se fondre dans une entité englobante qui ignore leur différence.

Dès lors, on voit se dessiner deux avenues de prospection de l'écriture des femmes. L'une privilégie la "recherche [...] d'une spécificité féminine, notamment dans les thématiques et dans le langage des textes littéraires", l'autre se concentre sur une approche plus sociologique et "analyse "la femme comme lectrice"" (Saint-Martin, 1989, p.28). Pour le présent travail, nous faisons nôtre l'angle d'étude suivant, défendu par Lori Saint-Martin et stipulant que

la spécificité de l'écriture féminine se trouve moins dans une manipulation radicalement différente du langage (même si cette différence est essentielle

à

la pratique de certaines écrivaines) c;'J'en ce qui concerne,

2Ce mouvement est perceptible chez les femmes en OCcident, c'est·a·dire les Européennes el les Américaines, mais nous parlons ici plus spécifiquement des Québécoises.

(16)

d'une part. les sujets traités et. d'autre part, les conditions spécifiques de production et de réception des textes féminins [...

J.

C'est dire que les œuvres féminines sont déterminées par une culture des femmes en tant qu'expérience collective différente de celle des hommes. et qu'elles doivent être lues ainsi (Saint-Martin, 1989, p.31).

L'idée d'une "culture" féminine, récurrente chez les théoriciennes américaines et européennes, emprunte plusieurs appellations qui se rejoignent dans leur intention de signifier le "rapprochement". Russ parle de .the cultural minority of women- (1983, p.110), Lafontaine utilise les termes de l'. identité groupale liée à [l'] appartenance au groupe des femmes- (1987, pA7). Cette quête d'une identité autonome suppose la nécessité d'une résistance à la culture dominante. Duras remarque avec justesse à propos de toutes celles de son sexe: .Nous sommes dans l'opposition- (1983, p.34). Évincées du pouvoir jusqu'à tout récemment, les femmes ont eu à développer une vision du monde différente et divergente de celle des hommes. Cette constatation politique a généré l'hypothèse, défendue par Ti·Grace Atkinson, que .les femmes forment une classe et que cette classe est politique par nature, [etl jusqu'à un certain point artificielle- (Atkinson, 1975, p.41)3, c'est·à-dire fabriquée, décidée par les féministes et pas tout à fait "naturelle".

On a beaucoup contesté une telle optique de singularisation des femmes; Atkinson elle-même en a bien vite mesuré les dangers. Mireille Lanctôt, en parlant du .sujet féminine, fait orserver qu'il .ne travaille pas organiquement à la mise au pouvoir de "sa classe"- (1977, p.90): ainsi, la femme ne cherche pas à ·prendre la place· de l'homme puisqu'elle remet en question, au contraire, le jeu de pouvoir sur lequel reposent les fondements de la société actuelle. Elle reconnaît cependant son "statut· de dominée; au-delà de la complaisance 311 faut toutefois relever une distinction importante apportée par la traductrice dès le début de l'ouvrage: le mot "class" a une signifICation plus large (ln anglaisetrejoint les termes "catégorie" et "genre".

(17)

misérabiliste. il faut voir dans un tel constat sa volonté de réagir comme le font -ou devraient le faire- "t-outes les cultures marginalisées à quelque litre: celle des régions. celles des immigrés. celle des colonisés. ou ex-colonisés. celle des Noirs d'Amérique. celle même des Juifs- (Collin. 1987. p.114).

L'écriture devient alors un moyen d'affirmer cette volonté. Le débat sur la question d'une "identité-femme" et d'une "écriture-femme" continue toujours de soulever les passions. Encore aujourd'hui, alors que le féminisme tente de redéfinir ses buts et ses priorités. l'ambivalence reste perceptible: "l'écriture au féminin revendique à la fois sa dissidence et son appartenance au social et au culturel car si elle s'affirme comme "autre" ce n'est pas tant dans un souci d'isolement mais de réappropriation de l'univers- (Langevin, 1984. p.223). La remarque fait écho à celle de Gardiner qui rappelle, à un autre niveau. l'ambivalence, chez les femmes, du mot ,,"identity" meaning both sameness and distinctiveness- (Gardiner, 1981, p.347).

Nous avons conscience du caractère restrictif et arbitraire que peut receler une thèse portant sur la littérature des femmes. Le côté "artificiel" de celte catégorie, pour reprendre le mot d'Atkinson, ne nous échappe pas. De plus, jusqu'à un certain point, nous partageons l'opinion de Suzanne Lamy selon laquelle "il ne suffit pas d'un nom de femme sur la couverture d'un livre pour croire qu'il y a une écriture-femme- (1984, p.18). Cependant, le choix d'accorder à la

signature

4 une importance primordiale est motivé par le parti pris

4Louky Bersianik a déjà parlé du danger d'un tel pani pris: "Souvent (la lecturecr~iquel obén au code d'une interprétation attachéeàla signature de "œuvre. où clichés et étiquettes tiennent lieu devér~ableanalyse!... ] L'espace de la signature est déterminant pour les yeux du cr~ique. S'il voit que cet espace est occupé par le nom d'une féministe notoire, et si c'est pour lui.

consciemment ou pas. un lieu 'antipathique", il n'y all'a de sapanaucun désir de lecture, (1988. p.84-91). La question pour nous n'est pas de savoir si l'auteure est féministe ou non; dans un premier temps, la nécess~é de la distinction est sexuelle et non pas idéologique; dans un deuxième temps, il s'agit de voir en quoi le fM qu'il émane d't.ne femme influence la lecture du teXle.

(18)

suivant: nous estimons que les femmes, par leur position -ou devrions-nous dire leur im-position - politique, sociale et culturelle, ont une vision du monde différente de celle des hommes. Sur le plan littéraire, cette différence réside dans le fait que -these stories are ail told from the woman's angle, registering a feminized awareness of dislocation within the very Iiterary traditions in which they are writing. (Howells. 1987, p.6).

De même. Anne Brown mentionne que, dès la révolution tranquille. se dessine au Québec une distinction significative entre les préoccupations des écrivains des deux sexes: .On peut. à la lumière des écrits des femmes des années soixante, conclure que le "mal" dont souffrent les Québécois est identifié différemment selon que l'auteur est un homme ou une femme. (Brown. 1987. p,10). Dans l'écriture ou dans le quotidien, .au travers des particularités biologiques et physiologiques. l'identité féminine. se positionne donc différemment de l'identité masculine vis-à-vis de .Ia cohésion sociale., du .pouvoir et du langage. (Kristeva. 1975, p.22).• Les hommes et les femmes •. soutient Collin•• ne vivent pas leur "spécificité" culturelle de la même manière. (1987. p.113).

Il devi'3nt alors essentiel de faire la distinction entre écriture féministe et écriture féminine et de s'interroger sur la pertinence d'une telle nuance. Suzanne Lamy pose ainsi la question:

Aujourd'hui les voix sont assez nombreuses, diversifiées. pour qu'on puisse établir quelque typologie du féminin: écrits féministes. littérature féminine. texies de femme où

il

y a écriture, Multiples, ces écrits transmettent des éveils. des idées, utilisent des formes. des procédés. des types d'énonciation qui peuvent être répertoriés. étudiés. Mais de quel ·féminin" s'agit-il? Question piège (...) comment faire le partage entre ce qui relève du biologique et ce qui ressortit au culturel? (1984. p.12) .

(19)

Dans le cadre du prés"nt travail. nous privilégions le terme écriture au

féminin. rejoignant en cela de plus en plus de critiques féministes. qui. depuis

1980. expriment une nette tendance

à

fondre les deux qualificatifs. Lori Saint-Martin. par exemple. traite de -la littérature au féminin/féministe- (1989. p.97); Suzanne Lamy rapproche -féminisme et écriture au féminin- comment étant -devenus

à

la fois fait social et fait de langage -(1979, p.58).

Le terme "écriture féminine" a été exclu

à

cause de sa connotation stéréotypée. Le mot "féminine" est. en effet. souvent opposé à"masculin" dans le sens d'une complémentarité; or. remarque Nicole Brossard. cette -complémentarité [équivaut), dans un système patriarcal,

à

dire que la femme (complément) complète l'homme (sujet)" (Bersianik. 1988, p.18). 1\Y a donc une dévaluation de la féminité par rapport au pouvoir masculin. Gail Scott souligne aussi un autre effet réducteur du qualificatif "féminin";

Les philosophes mâles en nommant "féminin" cet espace nouvellement décodé de l'écriture

1...)

ont voulu qu'il reste "féminin" selon leurs termes,

à

savoir qu'il ne soit pas féministe. (Ce que les féministes ont bien sûr interprété comme une stratégie visant

à

enterrer le nouveau sujet-femme sous un autre palimpseste masculin.) (Bersianik, 1988, p.49).

La féminité est souvent définie comme un état de soumission et de dépendance qui s'oppose au féminismeS; l'adjectif,

à

notre avis, ne qualifie pas adéquatement la production des auteures québécoises. Le terme "littérature féministe" n'apparaît pas non plus tout

à

fait approprié car, comme le précise Lori Saint-Martin, le texte féministe est celui d'une auteure qui .relie explicitement sa propre production

à

la cause féministe" (1989, p.313). Or, dans les œuvres de Madeleine Ferron ou Michèle Mailhot, entre autres, on nu perçoit pas cette

SLes féministes étaient perçues, tout récemment encore, comme des femmes hommasses qui sacrifiaient leur féminité pour adopter des comportements "d'hommes", c'est·à·dire, principalemant,l'agressiv~é, la revendication et rautonomie.

(20)

évidence d'intention idéologique. Quoique bien différemment. l'appellation "féministe" se révèle aussi réductrice que la précédente.

En optant pour "l'écriture au féminin", nous éliminons alors l'obligation de situer l'auteure sur le plan idéologique6 . Ce choix se base aussi sur le fait que la critique féministe, par son parti pris d'analyser le texte en fonction du féminin, a annulé, jusqu'à un certain poi:lt. la nécessité de juger a priori si le texte :ast féministe ou non. Fait intéressant et paradoxal à remarquer: même Bersianik. féministe reconnue, adopte cette dénomination dans une entrevue avec Karen Gould:

En tant qu'écrivaines féministes, nous pratiquons quelque chose d'inédit qui s'appelle de "l'écriture au féminin" et qui est essentiellement une rupture d'identification avec le mâle, avec celui qui se considère comme la norme de l'humanité et de la condition humaine dont il exclut les femmes (1984, p.127).

Ainsi, les féministes elles-mêmes, si l'on se fie au nous collectif de la citation, voient dans "l'écriture au féminin" la meilleure façon de désigner la subversion explicite ou latente des textes de femmes. En résumé, que les auteures s'affirment féministes ou non ne modifie pas le dénominateur commun de leurs écrits: ils peuvent être lus comme témoignages d'une vision spécifique du monde7.

6Au besoin. nous soulignerons les e,lets produits ou les formes adoptées par un tel choix idéologique.

7Nous tenons à préciser que la nuance que nous faisons entre écrit féministe et "au féminin" diffère de la nuance que l'on peut établir entre crifique féministe et crifique au féminin. Ces deux types de lecture se basent sur d'autres critères, résumés par Louise Dupré: -Lacritique féministe prend appui sur la théorie, alors que la critllue au féminin travaille en se basant davantage sur les œuvres. (1992, p.398). Nous nous réclarr,,,;,lS de celle dernière catégorie.

(21)

II. L'ironie: essai de définition Qu'est-ce que "ironie?

Est-ce un aspect du comique? La rencontre du fini et de l'infini? Un trait de caractère? Un principe transcendental? La "pression du contexie"? Un paradoxe? Du sarcasme? [...] L'altitude par excellence du poète? L'incarnation de l'absurde? L'autre visage de l'amour? (Yaari. 1988. p.3)

Voilà posée, dt:ls le départ. la difficulté de trouver une définition de l'ironie. Tour

à

tour comparée et opposée

à

l'humour. confondue avec le sarcasme et le persiflage, apparentée au cynisme et

à

la dérision, l'ironie semble insaisissable, propre

à

échapper

à

toute tentative de description.•Nous savons ce qu'est l'ironie aussi longtemps que personne ne nous demande de la définir-, rappelle judicieusement Almansi (1978, p.421). Les nombreux théoriciens qui se sont penchés sur le sujet ont chacun leur façon de la concevoir et de l'expliquer. Nous allons tenter de faire la synthèse des différents points de vue.

Dans leur recherche définitionnelle, les théoriciens procèdent fréquemment par la différenciation; ils établissent d'abord ce qu'est l'humour pour ensuite relever les points distinctifs qui le sépare de l'ironie. Nous allons ici nous inspirer de celte méthode. L'humour, selon Stora-Sandor. consiste en une attitude qui permet à l'être qui le pratique de -se soustraire aux déplaisirs de l'existence_ (1984, p.17). C'est en fait un bouclier, une arme de défense, une façon de se protéger contre le monde extérieur: l'humour est essentiellement empreint de sympathie et de tolérance caril -puise sa force de persuasion dans son indulgence même- (Daunais, 1988, p.91). Excluant d'office la méchanceté. il est une pure manifestation de -liberté intérieure- et dénote chez qui le pratique une aptitude très précieuse à -rire quand même- (Blondel, 1988. p.32) .

(22)

Alors que l'humour est .Ia plus individuelle des sortes de comiques-car· il ne requiert ni participalion d'autrui. ni échos. ni éclats- (Elgozy. 1979. p.19), l'ironie au contraire s'effectue toujours aux dépens de quelqu'un ou de quelque chose; elle comporte un ironiste et une victime, (Stora-Sandor. 1984, p.24). C'est donc une arme essentiellement offensive, jamais innocente, .trop cruelle pour être vraiment comique, (Jankelevitch, 1964, p.9), même si elle partage avec le comique, -dans l'esprit d'une approche plus abstraite-, un élément que l'on nomme .l'incongruité, (Yaari, 1988, pA7).

Elle recèle un fort potentiel d'agressivité et procède le plus souvent par antiphrase, cette .figure de rhétorique par laquelle on exprime le contraire de ce que l'on veut faire entendre, (Morier, 1961, p.217) et dont .l'intention générale [est) de révéler une "vérité' cachée par un 'mensonge" apparent- (Yaari, 1988, p.?). Cependant, cette agressivité ne s'affiche pas ouvertement, -l'ironie étant précisément par excellence ce qui permet, en proposant

à

l'interprétation un discours ambigu, le "dégagement" de l'agresseur,

à

l'abri de ce discours dont il s'absente. (Lafay, 1986, p.41). -Ironiser., ajoute encore Jankelevitch. -c'est donc tourner l'obstacle. (1964, p.109) et faire dériver les mots de leur sens propre. L'ironiste affirme apparemment sa supériorité sur ::llltnli C'lr l'ironie -serait une posture de classe dominante; l'étranger est celui qui ne rit pas de ce dont il faut rire, et inversement. (Hamon, 1982, p.166).

D'une façon beaucoup plus globale, l'ironie est une manière d'appréhender le monde, -a method of questioning. (Walker, 1990, p.24) qui amène le lecteur

à

s'interroger

à

son tour sur la signification d'un message. Elle se détecte

à

travers -la signalisation d'une différence ou d'une opposition entre l'effet attendu et l'effet produit. (Hutcheon, 1981, p.142). Elle se cache dans le texte lorsque les -affaires et événements sont l'inverse de ce que nous

(23)

présumions. une sorte de moquerie du résultat espéré ou approprié. la contradiction moqueuse entre promesse et accomplissement. ou entre apparences et réalité- (Alexander. 1969. p.441).

On peut la qualifier

à

l'infini: ironie sarcastique. satirique. romantique ou cynique; on peut aussi la désigner par la nature de ses manifestations: ironie du sort. ironie de la situation, ironie verbale. ou auto-ironie. On peut encore relever les emplois rhétoriques dont elle fait l'objet: métaphore. antiphrase ou jeu de mots. Les trois parties du présent travail. que nous exposerons plus loin. s'emploieront

à

analyser ies formes que prend l'ironie et le parcours qu'elle emprunte dans la prose fictionnelle des femmes du Québec. Il convient maintenant de souligner le caractère particulier d'un tel type de recherche.

III. L'ironie chez les femmes

L'ironie, selon Waelti-Walters,

[has] always been la waepon] of the strong used against the weak or against (temporarily) more successful equals. As such, it has been male territory for centuries, for women have never been sufficiently at ease in the world to be anything but ils victims (1982, p.114).

En effet. renchérit Suzanne Lamy, • pleureuse de profession, candidate brillante

à

l'état de victime, la femme a excellé dans la plainte- (1979, p.81) et a constitué de tout temps .Ia cible favorite des satiristes- (Stora-Sandor, 1984, p.79). Les hommes ont toujours tiré un profit énorme de celle évidente vulnérabilité qui confirmait leur impression de puissance. Le recours

à

l'ironie témoigne d'une volonté de manifester une agressivité envers quelque chose ou quelqu'un; or, jusqu'au début des années soixante, les auteures québécoises,

(24)

.fidèles alJX valeurs traditionnelles, [...1semblent concevoir leur écriture comme une forme d'apostolat leur permettant de procurer des lectures saines et agréables

à

divers types de lecteurs- (Gaudreau, 1984, p.43), d'où l'absence d'ironie dans leur écriture.

Cependant, les femmes qui -avaient tendance

à

idéaliser leurs personnages et

à

les Insérer dans un cadre édulcoré-, peu

à

peu -rompent avec la tradition. La colère, la haine et la vengeance font leur apparition dans certains romans- (Gaudreau, 1984, p.60). En parallèle avec ces manifestations d'agressivité. l'ironie devient un moyen de revendication. C'est pour les auteures une façon de défier le discours dominant (Walker, 1990, p.44). Le recours

à

l'ironie témoigne d'une contesléltion des valeurs traditionnelles et implique - [a] recognition that the structures that cause and perpetuate women's oppression are arbitrary and therefore subject to change- (Walker, 1990, p.27-28).

L'ironie est puissante car elle permet aux femmes, traditionnellement ·objets" d'ironie, de renverser les règles du jeu et de devenir "sujets· ironisants: - No longer objectified. the new writers have no need to seek themselves in endless games with mirror and reflections- (Waelti-Walters, 1982, p.90). Arme masculine, l'ironie va servir aux femmes

à

poursuivre la quête de leur identité et

à

devenir -maîtresses- de leur texte. Elle leur donne aussi la possibilité de s'opposer

à

l'autorité, car l'ironie - [s'exerce et trouve son] sens par rapport

à

la loi-; c'est -le mouvement qui consiste

à

d(ipasser la loi vers un plus haut principe pour ne reconnaître

à

la loi qu'un pouvoir second- (Deleuze, 1971, p.82 et 86).

L'utilisation de l'ironie féminine est subversive, -beaucoup plus que sa contrepartie masculine- (Stora-Sandor, 1992, p.179), puisqu'elle devient l'expression de l'assurance d'une certaine supériorité, comme nous l'avons

(25)

mentionné. chez une catégorie de personnes traditionnellement maintenues à l'écart du pouvoir. L'emploi relativement nouveau de l'ironie par les auteures québécoises leur permet donc de toucher à "certaines rubriques. autrefois négligées.. et particulières à la condition féminine comme .oIe travail domestique. les rapports amoureux. le "sexisme ordinaire". enfin quantité de sujets abordés par les femmes entre elles et jadis considérés de l'ordre du privé .. (Langevin.

1990. p.8).

Le fait de "sexuer" l'ironie nous oblige à ouvrir une parenthèse sur le genre8 du lecteur. Si nous prenons le parti d'étudier des textes écrits

exclusivement par des femmes pour les raisons déjà énumérées. ne devrions-nous pas en principe tenir compte du sexe de celui ou celle qui est appelé(e) à décoder le texte? La critique féministe. celle des Américaines en particulier, s'est penchée avec attention sur cette question et a mis en relief les obstacles auxquels se heurtent les femmes. non plus dans le processus d'écriture. mais cette fois dans celui de la lecture. Les principaux théoriciens dans le domaine, Jauss. Iser et Eco. évoquent la nécessité de la participation d'unlecteur; selon la

critique féministe, le choix masculin. soi·disant représentatif de la neutralité, est en fait le symbole du dominant. ce que corrobore Schweickart: • Feminists insist that the androcentricity of the text and its damaging effects on women readers are not figments of their imagination- (1989. p.33). Obligées de conquérir leur place dans l'écriture. les femmes doivent apparemment aussi revendiquer le droit

à

leur "lectLore". Dans un processus d'affirmation parallèlE;, elles découvrent le pouvoir de l'écriture et aussi. élément non moins négligeable.• [their] essential role in the process of reading- (Schweickart. 1989, p.33).

- - - _

..

_---

.. - .

8.The terms "gender" and "sexual difference" for example, are often used interchangeably ln feminist writing- (Showaiter, 1989. p.3).

(26)

Il aurait été extrêmement intéressant de mesurer la différence de l'impact de l'ironie des femmes sur un lecteur et une lectrice. Comment. en termes de pouvoir, un "dominant" réagirait-il au discours d'une "dominée" qui utilise les moyens du "dominant"? L':;onie étant une manifesta!ion d'agressivité. il y a tout lieu de croire que celle des femmes s'attaquera d'abord aux tenants du pouvoir, qui sont, encore majoritairement de nos jours, des hommes. Alors que la lectrice va éprouver un sentiment de communion, apparenté au .rire d'accueil-, avec les propos et les prises de position des auteures, le lecteur ne risquo-t-il pas de se sentir plus directement visé, raillé par une ironie d'exclusion selon des termes empruntés à Lucie Olbrechts-Tyteca (1974, p.13)?

Malgré l'intérêt de la question, nous nous astreindrons à prendre un

parti pris chromosomique de l'angle de l'auteure seulement, c'est·à-dire que nous

évaluerons l'ironie comme un message connoté 9 par la spécificité sexuelle de

l'auteure et envoyé à un lecteur10 masculin ou féminin qui le décodera justement en fonction de cette spécificité. Nous nous appuyons sur la certitude que .Ie récepteur d'un message adopte une attitude de décodage très différente selon qu'il connait le locuteur ou le groupe idéologique dont il se fait le porte-parole. (Kerbrat-Orecchioni, 1978, p.32) et que le sexe de l'auteure, dans l'interprétation de l'ironie, s'ajoute

à

ce facteur de conditions de lecture.

9La lecture sera connotée, croyons-nous, parce que, dans une certaine mesure, la prise en considération du sexe de l'auteure donne au texte ,un statut spécial" et parce que, de notre point du vue. ,la modalM d'affirmation [du texte)'astspécifique" (Kerbrat-Orecchioni, 1977, p.18). 10Nous employons le mot "auteure' parce que le corpus est constitué exclusivement d'œuvres de femmes. Cependant, nous utiliserons "lecteur", "narrateur extérieur" pour éviter des irritants comme "Iecteurltrice, narrateur/trice" qui alourdiraient le texte.

(27)

IV. Le décodage de l'ironie: un défi

L'ironie semble ardue

à

définir: elle est tout aussi difficile

à

déceler et à décoder. On la perçoit sans nécessairement parvenir à la nommer. Hamon explique bien ce malaise: l'ironie. dit-il, est

partout et nulle part. dans les discours et hors des discours, dans les attitudes et les gestes, voire dans le monde, dans des situations objectives ou dans l'Histoire. Entre le "je ne sais quoi" qui tient lieu d'analyse et la dilue. et la conviction (qui empêci'p. l'analyse) qu'étudier les faits d'ironie c'est la "détruire" ou la "perdre", la recherche en la matière n'est guère allée très loin (Hamon, 1982, p.165-166).

Les théoriciens s'entendent en effet sur le risque de passer à côté de l'ironie ou de la découvrir là où elle n'est pas: .commen [sic) pouvons-nous comprendre correctement (c'est-à-dire comme ironique) un texte ironique, sans l'avoir déjà compris de prime abord comme ironique?- (Allemann, 1978, p.392). Celta inquiétude fait écho à celle de Booth: .How, then. do you and 1recognize -often with great sureness- an ironic invitation when we see one?- (Booth. 1974, p.49).

Il faut évidemment une certaine vigilance danci la lecture et une aptitude à capter les mots ou les techniques "d'alerte", c'est-à-dire les structures de phrases ou les compositions sémantiques susceptibles de laisser filtrer l'ironie de l'auteure. Booth s'est longuement altardé à classifier ces indices d'ironie. Nous les résumons ici à partir du texte original:

1. Straighttorward warnings in the author's own voice: a) in tilles b) in epigraphs c) other direct clues 2. Known error proclaimed: a) Popular expressions

b) Historical fact

c) Conventional judgment 3. Conflicts of faC1s within the work

4. Clashes of style

(28)

En définitive, on peut s'attendre à ce qu'un texte soit ironique si l'on croit percevoir, entre autres, une opération de contraste, une rupture dans le style, une -destruction de l'illusion- (Allemann, 1978, p.387) entretenue jusque-Ià dans le texte ou ou encore une falsification d'expressions, d'idées reçues ou de faits vérifiables. L'ironie se ressent dans l'effet de surprise qu'elle crée chez le lecteur et par le doute qu'elle insinue dans son esprit en lui faisant mesurer -[the] unmistakable confllct between the beliefs expressed and the beliefs [he) holds

and{suspects]the author of holding - (Booth, 1974, p.73). Ainsi, dans un premier temps, les techniques d'alerte mentionnées plus haut servent

à

éveiller les soupçons du lecteur et

à

attirer son attention sur -la contradiction entre les propos tenus, et ce que l'on croit savoir du locuteur et de ses systèmes d'évaluation- (Kerbrat-Orecchioni, 1978, p.31).

A partir de ce moment, le lecteur est prêt

à

assurer la -recon~,~uction­ du sens du texte pour vérifier s'il y a bien ironie. Encore une fois, nous recourons

à

l'analyse de Booth pour établir les quatre étapes de cette reconstruction:

Step one. The reader is required to reject the literai meaning.

StepIWo. Alternative interpretation or explanations are tried out -or rather, in the usual case of quick recognition, come f100ding in.

Step three. A decision must therefore be made about the author's

knowledge or beliefs.

Step four. Having made a decision about the knowledge or belief of the

speaker, we can finally choose a new meaning or clustE'r of meaning with which we can rest secure (Booth, 1974,p.10-~2).

Toutes ces démarches tendent

à

confronter l'auteure

à

ses propos afin de mettre au jour sa stratégie ironique. - Le rOle du lecteur-, explique H!Jtcheon, -consiste

à

compléter la communication qui a son origine dans l'intention de [l'auteure)- (1978, p.472) et

à

décoder l'intention cachée du message.

(29)

Malgré toutes ces précautions. il subsiste toujours pour le lecteur un risque d'ignorer une ironie. si flagrante soit-elle pour l'auteure qui la met en texte ou pour un autre lecteur. Celui-ci peut décider de s'en tenir au sens littéral. passant outre les mots ou techniques d'alerte: car.• if the reader thinks the same. how can he detect irony? (Booth. 1974. p.77). Kerbrat-Orecchioni fait aussi remarquer le danger d'un dérapage volontaire dans .Ies comportements de décodage.; le lecteur peut s'amuser

lire ironiquement un texte dont [on sait) pertinemment qu'il n'a pas été voulu tel. (1980, p.113). L'ironie est aussi circonstancielle et mouvante: des passages peuvent avoir été écrits sérieusement et être lus comme ironiques avec le recul du temps. Dans le cas de l'ironie spécifique aux femmes, qu'arrive-t-i1 lorsque l'auteure se moque d'une opinion généralement émise par les hommes et qu'elle est lue justement par un lecteur partageant cet avis?

Ce sont là les enjeux de l'écriture ironique que nous aident à discerner les théories analytiques de Booth, même si elles sont fortement contestées par Almansi, comme en fait foi la citation suivante:

Malgré le titre prometteur du livre de Wayne Booth, A Rhetoric of Irony [...) une telle rhétorique n'existe pas et ne saurait exister [...JAu cœur de l'ironie, il y a un principe d'incertitude. [...)11 est simplement impossible de prouver que certaines affirmations ironiques sont ironiques (Almansi, 1978, p,421).

Le risque de mal interpréter un texte persistera toujours: c'est pourquoi tous les extraits proposés ici comme exemples d'ironie sont sujets

à

caution. Ils ont été sélectionnés avec circonspection

à

partir des définitions précédemment données de l'ironie. Au besoin, nous préciserons

à

nouveau les raisons qui nous font voir ces passages comme ironiques.

(30)

V. Les instances narratologiques

D'un point de vue narratologique, dans une étude sur l'ironie, aux questions genettiennes ..qui voit?» et ..qui parle?», il faut ajouter ..qui ironise?» Il importe, en effet, de tenir compte du producteur d'ironie. S'agit-il d'un trait ironique décoché par un personnage à un autre et relaté par le narrateur extérieur? Ou d'une remarque ironique que l'auteur implicite fait sur un personnage à l'intention du lecteur? Il existe, selon Garon-Bonneau, une ..ironie d'auteur» et une .. ironie de personnage» (1989, p.25) et chacune crée des réseaux de complicité de lecture: tantôt le narrateur se moque d'un personnage secondaire ou du héros, tantôt le héros raille un autre protagoniste; dans un cas comme dans l'autre, le lecteur est, dans un premier temps, sollicité pour décoder l'ironie et, dans un deuxième temps, choisit de se rallier à l'une ou l'autre des parties.

L'ironie émane de l'ironiste; c'est une évidence. L'ironiste. toutefois. peut être le héros. le protagonisie. un personnage secondaire ou l'auteur implicite (Lindvelt. 1981, p.21). Nous étendrons ce registre jusqu'à inclure l'auteure concrète-explicite: nous estimons que dans la littérature au féminin, étant donné le grand nombre d'œuvres homodiégétiques, très souvent les voix de la narratrice et de "auteure se superposent et se fondent en une seule instance. Même les textes hétérodiégétiques, lorsqu'abordés sous "angle de l'ironie, semblent livrer un message étroitement lié aux idées de l'auteure et non plus d'un narrateur fictif. Nous nous éloignons ainsi de la position de Lindvelt stipulant que • l'idéologie de l'œuvre littéraire est celle de l'auteur abstrait. (1981, p.27) seulement.

(31)

Nous reviendrons. dans la deuxième partie. sur ces enjeux narratologiques lorsque nous aborderons plus précisément le décodage de l'ironie en fonction du sexe de l'auteure. Nous verrons. entre autres. la récurrence. dans la littérature au féminin. du procédé du roman "autobiographique", c'est-à-dire ces .textes de fictions dans lesquels le lecteur peut avoir des raisons de soupçonner. à partir des ressemblances qu'il croit deviner, qu'il

y

a identité de l'auteur et du personnage. (Lejeune, 1975. p.25).

VI. Le corpus étudié

Le corpus des œuvres étudiées s'étend de 1960 à 1980: ces deux décennies nous semblent particulièrement représentatives des orientations qu'a empruntées au Québec l'écriture des femmes. Anne Brown et Uette Gaudreau. dans leurs thèses respectives, se sont attardées à la période de 1960 à 197011 ;

à la lecture de ces travaux, on constate que la révolution tranquille a favorisé en partie l'éclosion de la littérature au féminin en plus d'inciter les femmes à inscrire leurs préoccupations dans leurs textes:

L'opposition entre le passé et le présent sert de toile de fond à ces récits: le passé et ses valeurs souvent responsables de l'aliénation actuelle ou bien la tristesse d'un présent où les valeurs du passé ne sont plus respectées. Dans les romans de femmes, cette remise en question s'articule souvent par rapport au rOle qu'on réserve aux représentantes de leur sexe dans la société (Gaudreau, 1984, p.45-46).

Même si .Ies efforts de modernisation sont encore timides, sauf dans le cas d'une minorité d'auteures. (Gaudreau, 1984, p.48) , on voit se profiler certaines caractéristiques de l'écriture des femmes qui tendent à privilégier .la

11Lielte Gaudreau a étudié le corpus féminin de1940à 1965mais son analyse déborde ce cadre pour donner un aperçu intéressal11 de taUleslesannées soixante.

(32)

narration

à

la première personne et la poétisation du récit- (Gaudreau, 1984, p.49). Les années soixante-dix, pour leur part, seront déterminantes: on parlera d'·éclatement- et des .années chaudes du féminisme- (Collectif Clio, 1982, p.474): .l'exploration de [l'] univers féminin se fera lentement au cours de ces années et, pour y accéder, il faudra d'abord démolir cette vision presque exclusivement masculine dans laquelle les femmes sont habituées

à

se trouver-(Collectif Clio, 1982, p.476). En littérature, le mouvement des femmes se traduit ainsi:

Women are stating their right to have bodies. feelings, action and a language with which to describe themselves in their own value system. And in the stating of the right the reappropriation is taking place. As a result, a naw level of discourse is emerging which redefines the significance oftrad~ional women's images (Waelti-Walters. 1982, p.89).

Ces deux décennies marquent la venue en plus grand nombre des femmes à l'écriture et l'éclatement de leur parole. Depuis les années quatre-vingt, le mouvement féministe s'est fait plus silencieux et l'écriture au féminin a pris de nouvelles tangentes en produisant des textes -qui n'évacuent pas le féminisme comme certains l'ont cru, mais l'absorbent. l'interrogent, le font évoluer. (Saint-Martin, 1990, p.13). Cependant, nous avons jugé plus prudent d'arrêter notre analyse au seuil des années quatre-vingt afin de ne pas alourdir un corpus déjà assez imposant.

Pour que ce corpus, bien que solide et représentatif des différentes tangentes des écritures de femmes au Québec, ne se perde pas inutilement dans des avenues périphériques de notre littérature, nous avons délimité des critères spécifiques fixés à partir de la consultation d'ouvrages de référence qui tendent à l'exhaustivité: le Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, le Dictionnaire des auteurs de langue française en Amérique du Nord, Livres

(33)

et auteurs québécois. et les répertoires bibliographiques de la Bibliothèque nationale.

Les œuvres retenues répondent donc à plusieurs conditio.1s qui relèvent à la fois de l'origine de l'auteure. de la maison d'édition et du genre littéraire proposé. Ainsi, l'auteure doit être Québécoise de lieu - résidente-ou

de naissance c'est·à·dire qu'elle es~ identifiée, d'une façon ou d'une autre. à la

littérature d'ici. Alice Parizeau, par exemple, dont les racines polonaises sont bien connues. fait partie de l'éventail des femmes ayant contribué à l'émancipation de l'écriture au féminin au Québec. A l'inverse, Anne Hébert, de son lieu d'exil, continue de s'affirmer comme Québécoise. Plus douteux était le cas d'Antonine Maillet; nous avons choisi de ne pas l'inclure dans ce corpus à cause de l'évidente appartenance de Maillet à l'Acadie, tant d'un point de vue géographique que thématique.

Pour figurer dans ce corpus, chaque auteure doit avoir publié au moins deux œuvres de crée.tion Iittéraire12 , tous genres confondus, de préférence à l'intérieur de la période qui nous intéresse; ce critère, qui peut sembler restrictif, a pour but d'éliminer les noms vite oubliés de celles qui n'ont pas vraiment marqué la littérature, de donner une chance à celles qui pratiquent la prose épisodiquement, parmi d'autres genres exercés, et de ne pas négliger les femmes qui amorcent leur carrière

à

la fin de notre période d'études.

Les œuvres retenues constituent des ouvrages complets de prose fictionnelle dans une maison d'édition québécoise reconnue; ont donc été écartés tous les textes et nouvelles parus dans différentes revues ou les œuvres éditées

12Nous considérons qu'un auteur "mértte" ce nom il partir du momem où il publie sa deuxième œuvre.

(34)

à compte d'auteure ainsi que les collectifs. Évidemment. il ne nous appartient pas de mesurer la reconnaissance institutionnelle accordée aux éditeurs; ici encore. le DOLa et le DALFAN ont fixé les balises pour nous.

De plus, certaines auteures, Denise Bombardier et Suzanne Jacob entre autres, ont été pubiiées en France mais sont incluses dans le corpus; leur lien d'appartenance, celui de la naissance, ne fait pas de doute. Pour d'autres qui font aussi partie de notre étude, comme Monique Bosco, les publications françaises sont antérieures

à

leur arrivée au Québec. D'une façon très générale, il a été aussi tenu compte de la productivité de chaque écrivaine. Un premier roman

à

compte d'auteure a·t·i1 été suivi de nombreux autres chez des éditeurs reconnus? Ce facteur indique, bien sûr, une forme de consécration institutionnelle assez significative pour l'étude des ouvrages en question.

Parmi tous les types d'écritures possibles, on a privilégié l'examen de la pl Jse fictionnelle, soit essentiellement la nouvelle, le conte et le roman. Cependant, les années soixante·dix ont quelque peu complexifié la sélection des œuvres en annulant les référents traditionnels de la définition générique. Comme le fait remarquer Liette Gaudreau, au tournant des années soixante,

dans certains textes

à

caractère plus moderne, il existait un flottement dans les structures narratives (beaucoup plus flexibles), ce qui rendait les démarcations habitu911es entre les séries littéraires beaucoup moins évidentes (Gaudreau,1984,p.76).

En ces années qui annoncent la mort du genre13,il devient de plus en plus épineux de procéder

à

une quelconque catégorisation du texte. Les bibliographes ont une fois de plus cautionné la présente sélection. Les volumes portant des mentions bibliographiques hybrides telles "poésie et prose" ou

,3Voirlesdeux mméros delaNouvelle Barre du Jourquiportent ce litre.

(35)

encore "textes, dessins et proses" ont été mis de côté. Pour respecter enfin les paramètres de la prose de fiction, même si ce choix nous prive malheureu-sement de textes influents, il a fallu aussi soustraire les "récit pOétique'4", "prose poétique", "récit-essai", "théorie fictive", les cahiers, les narrations de contes et légendes traditionnels, les journaux intimes et les autobiographies.

Les appellations spontanées comme vérité", ou "roman-témoignage" nous sont apparues, après une lecture attentive, comme un moyen élégant de publier des transpositions d'histoires vécues et ont subséquemment été rejetées, Tous ces choix demdurent arbitraires surtout si l'on considère que les femmes, comme nous l'avons mentionné, ont, depuis les années soixante, privilégié le roman au "je" narrateur: or, .Ie "je" du destinateur féminin se pose comme "je" dans sa tentative d'être remis au monde" (Lanctôt, 1977, p.60) réduisant la marge entre la narration de fiction et la description du réel. Cette incursion dans les genres littéraires s'est révélée très instructive: elle a permis de mesurer combien aléatoires et circonstanciels peuvent être les critères de dénomination du genre littéraire, Témoin ce livre de Gabrielle Poulin, Cogne la caboche, publié en 1979 avec la mention "Récit" et repris en 1990 sous l'appellation "Roman",

14Liette Gaudreau souligne unfa~ éditorial intéressant à la lin des années soixante: "II semble qu'une nouvelle forme d'expression plus spécifique aux femmes (si on en cro~ la cr~ique de l'époque)so~en train de se développer: leréc~poétique" (Gaudreau, 1984, p.80). Elle ajoute un peu plus loin, dans une note en bas de page: "A chaque fois qu'un roman "poétique" parait, la

cr~ique l'inscrit dans un courant I~éraire" féminin" et cite Anne Hébert, Marie-Claire Blais et

Suzanne Paradis comme modèles du genre (Gaudreau, 1984, p.l 01). La critique semble vouloir confiner les femmes dans la poésie, terme qui peut prendre une connotation péjorative ou réductrice. Lucie Robert, dans "La Naissance d'une parole féminine dans la littérature québécoise" (1987, p.99-110), fa~ état de l'indifférence dans laquelle ont baigné des femmes comme Medjé Vézina. La poésie est considérée comme "peu subversive" lorsque pratiquée par des femmes, Sera~-i1 extravagant de voir dans l'obstination de la cr~ique à qualifier de

(36)

Enfin. not. e corpus ignore volontairement le roman policier. la littérature de science-fiction. la littérature pour enfants. adolescent~ et "adultes-enfants". les publications des maisons et collections spécialisées comme par exemple les éditions Select. la collection "Poche romantique". "Intermondes" ou "Présence du futur". Notons que la para-littérature constitue un champ de recherches aux possibilités infinies et qu'elle n'est pas dépourvue d'ironie: toutefois, dans l'optique qui nous intéresse. elle élargirait indûment l'éventail des œuvres

à

analyser. éventail qui compte. malgré toutes ces restrictions et ces critères de sélection. quelque deux cents œuvres.

VII. Le dé,:oupage analytique

Les nombreux ouvrages théoriques consacrés

à

l'ironie démontrent que chaque théoricien privilégie un angle de la question: les uns, Sperber et Wilson, Kerbrat-Orecchioni, se concentrent sur l'ironie verbale et ses stratégies illocutoires: d'autres, Bourgeois et Yaari. s'attardent

à

l'ironie dite romantique et. paradoxale qui dépasse la simple rhétorique pour toucher la finalité même de la littérature. Certains élaborent des méthodes de repérage et de classification de l'ironie. comme Booth et Muecke. ou privilégient une réflexion philosophique sur le phénomène. comme Jankelevitch ou Kierkegaard. Il n'est pas facile, dans un tel foisonnement de points ae vue et de conceptions divergentes. d'amalgamer en un tout cohérent et complet les multiples avenues qu'emprunte notre analyse. Nous avons donc procédé

à

un découpage analytique qui s'appuie sur trois pivots principaux.

La première partie est consacrée au repérage et

à

la classification des différentes manifestations de l'ironie explicite. Par ce terme. nous entendons

(37)

toute ironie qui s'affiche telle. c'est-à-dire qui refuse de Jouer sur l'ambiguïté. Ainsi. lorsqu'une auteure écrit qu'un personnage donné en regarde un second avec une "ironie méprisante". elle utilise l'ironie explicite. L'intérêt du lecteur est constitué en partie, nous l'avons mentionné. du défi qu'il se lance à lui-même de comprendre l'ironie lorsqu'il en "pressent" la piésence. Cette ironie explicite émousse donc le plaisir du décodage puisque l'auteure, en obéissant au -principe de coopération- (Grice, 1979, p.61

l,

c'est-à-dire en étant - [clair(+ et "sans ambiguïté-, indique au lecteur la façon exacte de lire le texte.

Dans ce cas, pourquoi s'y attarder? Parce que cette étape représente une première prise de contact cruciale avec l'ironie comme moyen de communication: nous croyons qu'en insistant sur le fait ironique les auteures québécoises cherchent surtout à bien se faire comprendre et à éviter toute équivoque quant au message qu'elles veulent transmettre au lecteur. En effet, si l'on regarde la production de prose fictionnelle chez les femmes, on remarque que, toutes proportions gardées puisqu'il y a eu beaucoup plus de publications dans le segment 1970-1980 du corpus étudié, l'ironie explicite se trouve concentrée surtout dans la période 1960-1969 qui correspond à l'arrivée des femmes en plus grand nombre sur la scène littéraire. Comme si elles essayaient dans un premier temps d'apprivoiser l'ironie, les femmes l'ont d'abord incluse dans leur narration comme marqueur, c'est-à-dire comme élément de la phrase traditionnelle qui conduit

à

un décodage quasi automatique de l'intention narrative.

Cette partie explore par la suite les nombreuses nuances que prêtent les auteures

à

l'ironie, révélant ainsi la conception qu'elles en ont. Nous constaterons que certaines auteures déplorent l'impuissance ressentie face à l'ironie du sort, tandis que d'autres établissent une gamme assez large des

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intensités de l'ironie et des situations dans lesquelles elle trouve place: nous verrons aussi que l'explicitatior de "ironie est en fait une façon d'en illustrer le fonctionnement, comme on ouvre une horloge pour en comprendre le mécanisme.

En définitive, l'ironie explicite se concentre à l'intérieur de l'œuvre puisqu'elle ne remet jamais en question la compétence du lecteur. Sa mention15 dans le texte concerne uniquement le narrateur, les personnages et, quelquefois, l'auteure. Aussi, ce type d'ironie prend le lecteur comme complice mais jamais comme cible d'une attaque qui oppose et confronte uniquement les composantes

internes du texte; c'est une technique qui touche l'univers exclusivement

romanesque. Enfin, nous terminons cette première partie par l'ironie marquée, celle que l'on souligne par un traitement typographique spécifique et qui sert de point de transition entre les ironies explicite et implicite .

Dans la deuxième partie, le lecteur voit son rôle se complexifier et ses compétences de décodage mises à contribution. A travers des exemples qui illustrent les principaux réseaux de manifestation d'ironie implicite, rhétorique, structural et chromosomique, nous allons tenter da repérer les divers emplois de ce trope. Nous étudierons d'abord l'ironie rhétorique, c'est-à-dire celle qui présuppose une connaissance de la langue dans la mesure où, si les mots ne sont PèlS compris, il y a incapacité tantôt d'interpréter une métaphore, tantôt de repérer le mot d'alerte, tantôt encore de saisir les indices qui permettent de reconstruire l'ironie.

15Nous employons lemotmention dans un sens beaucoup plus simple que ne le lont Sperber et Wilson (1978, p.399·412); en fait, le mot mention, dans notre optique, signifie simplement le fait d'incorporer le mot 'ironie' ou ses dérivés dans le texte littéraire. Parallèlement, le mot emploi, Qui sert de complémentàla mention chez ces mêmes autel>rs, sera utilisé ici comme synonyme de l'ironie inscrite .

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Dans un deuxième chapitre. nous verrons l'ironie structurale qUI requiert une connaissance du texte et du contexte. c'est-à-dire une "reconnaissance" de structures déjà en place dans le texte. Ces structures. justifiées et expliquées plus loin. peuvent être d'ordre parodique. intertextuel ou constructionnel. Enfin. dans le dernier chapitre de cette deuxième partie. nous nous attarderons à l'ironie que nous nommons chromosomique à cause du lien direct entre l'interprétation et le sexe de l'auteure, lien qui oriente d'une façon très précise le décodage du texte et des enjeux narratologiques.

L'analyse de l'ironie implicite démontrera que les femmes ont assimilé certaines techniques de l'ironie et commencent à les exploiter avec de plus en plus de bonheur. Indice d'une certaine maturité. le recours à l'ironie chez les auteures laisse supposer qu'elles sont prêtes maintenant à faire confiance au lecteur et

à

prendre un risque inhérent

à

l'ironie, soit celui d'être interprétées au premier degré et de voir ainsi s'annuler le potentiel contestataire de leur texte. D'un point de vue strictement stylistique, l'ironie implicite tend à prouver que les auteures maîtrisent suffisamment l'écriture pour incorporer l'ironie à leur discours sans avoir constamment

à

la signaler au lecteur. Enfin, la forte présence de l'ironie implicite, perpétuel mouvement du texte au lecteur, reflète d'une façon générale l'énergie et le dynamisme des auteures qui ne craignent plus de "sortir" de leurs œuvres pour confronter, par lecteur interposé, le reste de l'univers.

La troisième partie déplacera légèrement le point de vue pour se concentrer sur l'intrusion de j'auteure dans le texte et identifiera les cibles principales de l'ironie des écrivaines québécoises. Ce tableau des "victimes" contribuera

à

compléter notre étude de l'ironie en insistant sur les types de personnes, les institutions ou les idées qui font l'objet des critiques des écrivaines. Notons que, dans cette partie, nous avons choisi d'annuler la

(40)

distinction entre narrateur et auteure; nous nous permettons de relier directement le choix de la cible

à

la pensée personnelle de l'auteure en dehors de toute justification narrative. Ce parti pris offre l'avantage de brosser un portrait général des sujets de protestation des femmes

à

travers deux décennies de leur histoire littéraire.

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PREMIERE PARTIE

L'IRONIE EXPLICITE OU L'ANTI·TROPE: LE TEXTE

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PREMIERE PARTIE

L'IRONIE EXPLICITE OU L'ANTI-TROPE: LE TEXTE

Tous les ironologues' s'accordent pour dire que l'ironie, afin de mériter ce nom, doit essentiellement contenir une part d'ambiguïté qui amène le lecteur

à

effectuer un travail de décodage pour en saisir le sens et comprendre l'intention réelle d'un auteur. De plus, l'ironie est considérée comme un des principaux tropes qui sont par définition, .des figures par lesquelles on fait prendre

à

un mot une signification qui n'est pas précisément la signification propre de ce mot. (Du Marsais, cité par Angenot, 1979, p.214).

Nous verrons plus loin los figures que peut emprunter l'ironie pour se faire entendre comme trope. Dans la présente partie, toutefois, nous allons d'abord effectuer une analyse qui pourrait apparaître en complète contradictior. avec cette définition globale de "détournement" du sens qui caractérise le trope, d'où le choix de présenter, dans un premier temps, une certaine forme d'ironie

anti-tropique . En effet, l'ironie que nous appellerons explicite est celle, comme

nous l'avons souligné fi.: introduction, que l'auteure décide de nommer concrètement dans son œuvre. Éliminant, pour le lecteur, la nécessité de se livrer

à •

un "calcul interprétatif" toujours plus ou moins sujet

à

caution. (Kerbrat-Orecchioni, 1986, p.39), l'ironie explicite permet

à

j'auteure d'établir avec précision les • circonstances de l'énonciation. (Ducrot, 1970, p.91).

Lever l'. ambiguïté. ou l'. ambivalence essentielle.

à

l'ironie (Muecke, 1978, p.480) suggère au lecteur comment lire et interpréter le texta. Le procédé le prive en même temps de la satisfaction d'avoir bien saisi l'ironie car -rien n'est

, .Ce terme, utilisé pour la première fois de façon ironique par Wayne C. Booth dans Carleton Miscellany (1961), estàprésent, ironiquemoant, utilisé sans ironie. (Muecke, 1978, p.478).

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