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Le rôle du décodage des émotions faciales sur le lien entre l'insensibilité et les difficultés avec les pairs à l'enfance

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Academic year: 2021

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Le rôle du décodage des émotions faciales sur le lien

entre l'insensibilité et les difficultés avec les pairs à

l'enfance

Mémoire

Yaëlle Halberstam

Maîtrise en psychologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Le rôle du décodage des émotions faciales dans le lien entre

l'insensibilité et les difficultés avec les pairs à l'enfance

Mémoire

Yaëlle Halberstam

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

L'insensibilité émotionnelle a été associée aux difficultés interpersonnelles, Cependant, cette association reste incertaine étant donné du rôle potentiellement confondant des conduites agressives. La capacité à décoder des émotions faciales peut entrainer des réponses inadaptées aux situations sociales. Cette capacité, aussi associée à l'insensibilité émotionnelle et aux difficultés interpersonnelles, pourrait moduler le lien entre ces deux dimensions. Notre étude tente d'évaluer l'association entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés interpersonnelles en contrôlant les conduites agressives et de vérifier le rôle modérateur de la capacité à décoder les émotions faciales.

Les mesures retenues ont été collectées en première année du primaire dans le cadre de l'Étude des Jumeaux Nouveau-Nés du Québec. Deux aspects des difficultés interpersonnelles, évalués par les pairs, ont été considérés : le rejet et la victimisation par les pairs.

On observe que l’insensibilité émotionnelle prédit le rejet, mais pas la victimisation par les pairs, et ce, même lorsque l’agressivité est prise en compte. Ceci montre l’importance des traits d’insensibilité émotionnelle comme prédicteurs du rejet par les pairs. En parallèle, la covariance entre ces traits et l’agressivité est importante et seule la notion d’agressivité prédit la victimisation. L’insensibilité émotionnelle et la capacité à reconnaître les émotions sont associées de façon unique au rejet et l’interaction entre ces deux variables n’est pas significative.

Ces résultats permettent de comprendre la nécessité de distinguer le rôle que joue l’insensibilité face au rejet et face à la victimisation car ces deux expériences différentes ne sont pas prédites par les mêmes traits de l’enfant.

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ABSTRACT

Callous-unemotional traits have been associated with interpersonal difficulties, however, this association remains uncertain given the potentially confusing role of aggressive behavior. The ability to decode facial emotions can lead to inappropriate responses to social situations. This ability, also associated with callous-unemotional traits and interpersonal difficulties, could modulate the link between these two dimensions. Our study attempts to evaluate the association between callous-unemotional traits and interpersonal difficulties by controlling aggressive behaviors and to verify the moderating role of the ability to decode facial emotions.

The measures selected were collected in the first year of elementary school as part of the Quebec Newborns Twins Study. Two aspects of interpersonal difficulties, peer-reviewed, were considered: peer rejection and victimization.

We observed that callous-unemotional traits predict rejection but not peer victimization, even after controlling for aggression, which shows the importance of the characteristics of insensibility in predicting peer rejection. In parallel, the covariance between these traits and aggression is important and only the notion of aggression predicts victimization. Callous-unemotional traits and the ability to recognize emotions are uniquely associated with rejection and the interaction between these two variables is not significant.

These results make it possible to realize it is necessary to distinguish between the role that insensibility plays in rejection and in victimization because these two different experiences are not predicted by the same traits of the child.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... iii

ABSTRACT ... iv

TABLE DES MATIÈRES ... v

LISTE DES TABLEAUX ... vii

REMERCIEMENTS ... viii

INTRODUCTION ... 1

Chapitre 1 : MÉTHODOLOGIE ... 11

Participants ... 11

Tâche de reconnaissance des émotions faciales ... 11

Mesure de l’insensibilité émotionnelle ... 12

Rejet par les pairs ... 12

Évaluation par les pairs de la victimisation ... 13

Agressivité ... 13

Traitement de données manquantes ... 14

Analyses ... 14

Chapitre 2 : RÉSULTATS ... 16

Analyses Descriptives ... 16

Associations bivariées ... 16

Quelle est l’association entre l’insensibilité et le rejet lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 16

Prédiction du rejet par les pairs par la peur, la joie, la colère et la tristesse lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 17

Quelle est l’association entre l’insensibilité et la victimisation lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ? ... 18

Prédiction de la victimisation par la peur, la joie, la colère et la tristesse lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 18

Modération par le décodage des émotions faciales du lien entre l’insensibilité et le rejet par les pairs lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 19

Modération par la peur, la joie, la colère et la tristesse du lien entre l’insensibilité et le rejet lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 19

Modération par le décodage des émotions faciales du lien entre l’insensibilité et la victimisation lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 19

Modération par la peur, la joie, la colère et la tristesse du lien entre l’insensibilité et la victimisation lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ... 20

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Limites ... 23 Contributions ... 25 CONCLUSION ... 28 RÉFÉRENCES ... 29 ANNEXES ... 37 Tableau 1 ... 37 Tableau 2 ... 38 Tableau 3 ... 39 Tableau 4 ... 40 Tableau 5 ... 41 Tableau 6 ... 42 Tableau 7 ... 43 Tableau 8 ... 44 Tableau 9 ... 45 Tableau 10 ... 46

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Statistiques descriptives Tableau 2 : Corrélations selon Pearson

Tableau 3 : Résultats du modèle de régression incluant le rejet comme variable dépendante Tableau 4 : Modèles de régression pour chacune des quatre émotions pour prédire le rejet Tableau 5 : Modèle de régression incluant la victimisation comme variable dépendante Tableau 6 : Modèles de régression pour chacune des quatre émotions pour prédire la victimisation

Tableau 7 : Résultats du modèle de modération incluant le rejet comme variable dépendante

Tableau 8 : Modèles de modération pour chacune des quatre émotions pour prédire le rejet Tableau 9 : Résultats du modèle de modération incluant la victimisation comme variable dépendante

Tableau 10 : Modèles de modération pour chacune des quatre émotions pour prédire la victimisation

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REMERCIEMENTS

La réalisation de ce mémoire n’aurait jamais pu être possible sans l’aide et le soutien de personnes que je tiens à sincèrement remercier.

Je remercie mon directeur de recherche, Michel Boivin, pour votre supervision durant cette année de maîtrise, mais aussi pour m’avoir donné la chance d’intégrer ce programme et d’immigrer au Québec. Merci à vous, pour nos entretiens si enrichissants et pour m’avoir permis d’évoluer dans le monde de la recherche scientifique grâce à votre transfert de connaissances et vos commentaires. Je ne doute pas un seul instant que votre enseignement me permettra de continuer à évoluer et progresser au doctorat sous votre supervision.

Merci à Nadine, pour tout le temps, le soutien et conseils que tu as pu me donner. Merci pour ta présence, ta disponibilité à la discussion et ton humour qui m’ont permis de prendre du recul et de garder le moral haut quand l’anxiété venait frapper à ma porte. Merci à Ginette, Bei, Hélène et Marie-Noëlle pour leur aide, leurs sourires et leur présence rassurante au laboratoire.

Merci à ma famille et à mes amis qui m’ont soutenue depuis le début. Ceux qui m’ont donné le courage de partir réaliser ce rêve et la force de tenir si loin d’eux.

Mes incroyables parents et ma sœur que j’aime plus que tout, vous m’avez toujours poussé à aller de l’avant et à être la meilleure version de moi-même. Bien que cela signifie partir loin de vous et accepter que cette distance nous brise une petite partie du cœur que l’on n’oublie jamais. Aucune de mes réussites n’auraient été possible sans vous.

Laurine, ma confidente et mon pilier quel que soit le jour ou l’heure, tu as toujours été présente de près comme de loin, presque tous les jours depuis plus de 9 ans. Quoiqu’il

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arrive, quoi que j’aie à réfléchir ou à rédiger tu es là, prête à m’aider, me soutenir, me faire rire ou m’écouter pleurer.

Bien évidement merci à mes chers amis qui m’entourent des quatre coins de la terre (France, Israël, Canada et Nouvelle-Zélande) qui n’ont jamais douté de moi et ce, même lorsque j’étais la première à en douter. Chacun joue son rôle dans ma vie, une oreille attentive, des mots rassurants, des fous rires, des soirées où l’on oublie tout, voire même des moments de silences partagés et paisibles. Chacun joue ce rôle que je n’échangerais pour rien au monde.

Aucune belle réussite n’est effectuée par une seule personne et sans vous tous jamais je n’aurais pu être là où je suis actuellement et là où je serais demain. Merci.

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INTRODUCTION

La psychopathie est un trouble de la personnalité chronique caractérisé par un faible niveau d’empathie et qui serait présent chez 1% de la population générale (Hare, 2003). Les traits psychopathiques sont associés à un taux important de comportements violents, de tentatives de suicide dans la population générale (Coid, Yang, Ullrich, Roberts, & Hare, 2009) et à une criminalité élevée dans les populations antisociales (Leistico, Salekin, DeCoster, & Rogers, 2008). Au cœur de la dimension affective de la psychopathie sont les traits d’insensibilité émotionnelle (Herpers, Scheepers, Bons, Buitelaar, & Rommelse, 2014). Selon Frick, (2004) l’insensibilité émotionnelle peut se définir par trois dimensions distinctes : l’absence d’empathie (Callousness), l’absence de remords (Uncaring) et l’expression superficielle des émotions (Unemotional).

Bien que plus souvent documentée dans les populations dites à risque, l’insensibilité émotionnelle a été observée dans des échantillons populationnels ; ce sont donc des traits présents à des degrés divers dans la population générale (Frick, Cornell, Barry, Bodin, & Dane, 2003a; Frick et al., 2003b; Frick, & Ray, 2015; Kruh, Frick, & Clements, 2005). Les traits d’insensibilité émotionnelle découleraient du développement dévié des émotions de culpabilité et d’empathie (Blair, 2008; Salekin, 2002; van Honk & Schutter, 2006). La culpabilité est un sentiment causé par la transgression d'une norme morale ; avec la honte, la fierté ou l’embarras, elle fait partie des émotions conscientes permettant aux individus de réguler leurs actions (Baker, Baibazarova, Ktistaki, Shelton, & Van Goozen, 2012; Kochanska, Gross, Lin, & Nichols, 2002; Zahn-Waxler, Kochanska, Krupnick, & McKnew, 1990). L’empathie est une réponse cognitive et affective à l’état émotionnel de l’autre qui résulte de la compréhension et du partage de cet état émotionnel (Blair, 2005; Eisenberg et al., 2010).

L’insensibilité émotionnelle a été associée à l’agressivité physique et verbale (Fanti, Frick, & Georgiou, 2009; Frick, Ray, Thornton, & Kahn, 2014a; 2014b), aux comportements antisociaux et à des problèmes de conduite comme la délinquance ou le

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non-respect des règles (Kimonis, Frick, & Barry, 2004; Longman, Hawes, & Kohlhoff, 2016). Les comportements d’insensibilité émotionnelle sont observables tôt dans l’enfance et se renforcent avec l’âge. L’insensibilité émotionnelle serait donc un facteur de risque au sain développement des enfants, bien qu’il ne soit pas clair si elle précède, accompagne ou suit les conduites agressives. Les traits d’insensibilité émotionnelle peuvent être mesurés de façon fiable à l’âge scolaire (Frick, 2004; Hare, 2003) par les parents, les professeurs et par auto-évaluation. Waller et coll. (2015) regroupent un ensemble de questions sur ces comportements dès l’âge préscolaire et font valoir que l’insensibilité émotionnelle est mesurable tôt dans l’enfance grâce à des questions posées aux parents. Sur cette base, des différences individuelles liées à l’insensibilité émotionnelle émergent vers l'âge de 2 ou 3 ans. C’est à ces âges que se développent la capacité empathique (Eisenberg & Fabes, 1990), la notion d’aider les autres (Vaish, Carpenter, & Tomasello, 2010), mais aussi le mensonge et le déni conscient d’une transgression (Crossman & Lewis, 2006; Talwar & Lee, 2002) qui caractérisent le manque de culpabilité et d’empathie.

Des associations neurobiologiques robustes ont été obtenues entre les dimensions de l’insensibilité émotionnelle (faible culpabilité et empathie) et une sous-réactivité de l’amygdale face à des stimuli émotionnels (Lockwood et al., 2013; Sebastian et al., 2014; Yoder, Lahey, & Decety, 2016). L’activité de l’amygdale est liée à notre capacité de ressentir et de percevoir chez les autres certaines émotions. Une sous-réactivité de l’amygdale a été associée aux comportements agressifs, à une insensibilité à la peur, ainsi qu’à l’intrépidité face au danger qui se reflète par une prise de risques inconsidérés pour parvenir à ses fins. Certaines théories suggèrent que l’intrépidité peut inhiber le développement normal de la culpabilité et de l'empathie, et peut perturber le processus de socialisation des enfants (Frick & Morris, 2004; Frick, Ray, Thornton, & Kahn, 2014a; Kochanska, 1991). À l'appui de ces théories, Colins et coll. (2014) observent une association significative entre l’insensibilité émotionnelle et l'intrépidité dans la petite enfance.

Des trajectoires stables d’insensibilité émotionnelle ont été identifiées très tôt dans le développement, soit dès l’âge de 3 et 5 ans (Klingzell et al., 2016). Fontaine, Hanscombe, Berg, McCrory, & Viding (2016) ont observé quatre trajectoires distinctes du

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développement de l’insensibilité émotionnelle de 7 ans à 14 ans, soit deux trajectoires stables, une haute (qui regroupe 2.6% des participants) et une basse (72.7% des participants), une où le niveau d’insensibilité émotionnelle des enfants augmente au fil des ans (9.4%) et une où le niveau diminue (15.4%). Ils constatent que les jeunes qui avaient des niveaux élevés stables, croissants et décroissants d’insensibilité émotionnelle au cours de l'enfance présentaient des niveaux plus élevés d’agression physique à l'adolescence. Le niveau d’agression physique le plus élevé était observé pour les jeunes qui suivaient la trajectoire stable et élevée d’insensibilité émotionnelle. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Frick & Viding (2009) qui montrent que les enfants plutôt insensibles sont particulièrement à risque d'être impliqués dans des formes d'agressions violentes et graves. Les traits d’insensibilité émotionnelle semblent donc associés à la fois à des comportements agressifs et à des relations interpersonnelles difficiles.

Les traits d’insensibilité émotionnelle présentent également une héritabilité substantielle, c’est-à-dire que les différences individuelles dans la population pour ce trait à l’âge préscolaire et scolaire sont largement associées aux différences génétiques (Blair et al., 2005 (Henry, Pingault, Boivin, Rijsdijk, & Viding, 2016; Viding, Blair, Moffitt, & Plomin, 2005; Viding & McCrory, 2012). De même, les tendances agressives ou la manifestation de comportements perturbateurs à un jeune âge sont aussi fortement héritables (Boivin, Brendgen, Vitaro, Forget-Dubois, et al., 2013). L’étude de Boivin et coll. (2013) montre aussi que les difficultés avec les pairs sont aussi héritables à l’âge préscolaire et qu’une forte corrélation génétique (r = .82) existe entre les comportements perturbateurs et les difficultés avec les pairs, suggérant des bases génétiques communes à ces deux types d’expériences. Une association phénotypique modérée entre l’insensibilité émotionnelle et l’agressivité a été démontrée (Waller, Hyde, Baskin-Sommers & Olson, 2017). Les facteurs génétiques et environnementaux qui sous-tendent cette association restent toutefois à éclaircir.

Les difficultés avec les pairs peuvent prendre la forme de victimisation et de rejet par les pairs, deux types d’expériences négatives. Selon Olweus (1994), la victimisation se définit comme l’expérience par l’enfant d’être victime d’actes d’intimidation, c’est-à-dire à un ensemble de comportements abusifs systématiques dans un contexte de rapport de

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déséquilibre de pouvoir. Ces comportements prennent typiquement la forme d’agressions physiques, verbales ou psychologiques par un ou plusieurs protagonistes dans le but de nuire psychologiquement à une victime. Si la victimisation se mesure par des actes ou des comportements, le rejet par les pairs reflète plutôt des sentiments négatifs de la part du groupe de pairs envers un enfant, sentiments qui peuvent ou pas se manifester envers l'enfant (Boivin, Hymel, & Hodges, 2001). Le cas échéant, ces sentiments se traduisent (ou pas, selon le contexte) par des moqueries excessives manifestes et des formes plus subtiles d'ostracisme et d'exclusion.

Les difficultés avec les pairs vécues à l’enfance prédisent une variété de problèmes négatifs à long terme, dont la dépression, la violence et l’échec scolaire (Fontaine et al., 2011; McDougall & Hymel, 2001; Parker, Rubin, Price, & DeRosier, 1995; Waller et al., 2017). Cependant les processus par lesquels ces expériences peuvent affecter le développement émotionnel de l’enfant et ses comportements sont encore largement méconnus (Boivin, Petitclerc, Feng, & Barker, 2010; Parker & Asher, 1987).

Le rejet et la victimisation de l’enfant par ses pairs ont été associés à une variété de comportements extériorisés (agressivité, irritabilité, impulsivité) et intériorisés (troubles émotionnels, anxiété, dépression) (Boivin & Hymel, 1997; Kochenderfer-Ladd & Ladd, 2001; Parker & Asher, 1987; Perry, Hodges, & Egan, 2001; Rubin, Bukowski, & Parker, 2008; Schwartz, Proctor, & Chien, 2001). Selon Frick (2004), l’insensibilité émotionnelle, qui est aussi associée aux conduites antisociales, est liée aux difficultés avec les pairs. Cependant, ce lien a été très peu documenté et reste incertain. Par ailleurs, les conduites antisociales, notamment les comportements agressifs, ont, dans plusieurs études sur différentes cultures, été étroitement liées aux comportements d’insensibilité émotionnelle (Essau, Sasagawa, & Frick, 2006; Fanti, Frick, & Georgiou, 2009; Kimonis et al., 2008). Ces études rapportent aussi que l’insensibilité émotionnelle est liée aux comportements d’intimidation et à un risque moindre de victimisation. Ce double patron d’association rend difficile l’évaluation de la contribution particulière de l’insensibilité émotionnelle aux difficultés interpersonnelles et souligne la nécessité de prendre en compte les conduites agressives. Les enfants qui manifestent des comportements agressifs ont en effet plus de risque de vivre des expériences de victimisation à l’âge préscolaire que les autres enfants

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(Barker et al., 2008). L’insensibilité émotionnelle, malgré son association avec les comportements agressifs, pourrait alors protéger les enfants des expériences de victimisation.

Outre la victimisation, Waller et coll. (2017) ont montré que les comportements d’insensibilité émotionnelle rapportés par les parents à l'âge de 3 ans sont modérément corrélés à l’autre volet des difficultés avec les pairs, notamment le rejet par les pairs à l'âge de 10 ans (rs = .20 – .38, p < .01). Par un modèle statistique acheminatoire, ils révèlent une contribution négative importante de l’insensibilité émotionnelle à l’acceptation par les pairs, une composante du statut auprès des pairs, et à l’agressivité. De plus, on observe que l’insensibilité émotionnelle prédit l’acceptation par les pairs même lorsque les conduites agressives sont prises en compte. En d’autres mots, il y a une contribution unique de l’insensibilité émotionnelle à la prédiction de l’acceptation par les pairs au-delà des conduites agressives. Waller et coll. (2017) suggèrent que la contribution de l’insensibilité émotionnelle à l’acceptation par les pairs est tout de même liée à l’agressivité. Ainsi, les enfants plutôt insensibles tendent à s’entourer d’amis agressifs, perturbateurs ou eux-mêmes rejetés par les autres (Kimonis et al. 2004). Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus par Fanti & Kimonis (2012) chez des enfants de 12 à 14 ans montrant qu’un haut score d’insensibilité émotionnelle est faiblement corrélé à la manifestation d’actes d’intimidation.

Les résultats de l’étude de Waller et coll. (2017) indiquent une association entre l’insensibilité émotionnelle et le rejet par les pairs à l’enfance. Cependant, les liens entre ces deux construits et l’agressivité pourraient expliquer leur association, soulevant la nécessité de vérifier laquelle, de l’agressivité ou de l’insensibilité émotionnelle, est directement associée au rejet par les pairs. La présente étude propose donc de documenter le lien entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs (rejet et victimisation) chez des enfants d’environ 6 ans, soit dès leur entrée en primaire, tout en prenant en compte les comportements agressifs manifestés par les enfants.

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pairs en se basant sur l’évaluation des professeurs ou des parents. Or l’évaluation des pairs est considérée comme plus valide pour identifier les enfants qui vivent des difficultés avec ces mêmes pairs (Cillessen & Rose, 2005; Kupersmidt & Dodge, 2004; Rubin et al., 2008). En effet, les camarades de classe sont à la fois des témoins directs et des acteurs des situations sociales en classe et à l’école et peuvent ainsi fournir des informations plus précises des expériences de leurs pairs (Boivin et al., 2013). Ainsi, en contrôlant les conduites agressives potentiellement associées à l’insensibilité émotionnelle et aux difficultés interpersonnelles, et grâce à l’évaluation par les pairs du rejet et de la victimisation, la présente étude propose une évaluation plus précise de la contribution de l’insensibilité émotionnelle aux difficultés interpersonnelles.

Selon les recherches antérieures, l’association entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs est modeste et n’est pas systématiquement observée dans toutes les études (Barker, & Salekin, 2012; Waller et al., 2017). Cela pourrait refléter un patron d’association plus complexe qui dépendrait d’autres caractéristiques de l’enfant. Une caractéristique a été associée à la fois à l’insensibilité et aux difficultés avec pairs : la capacité de décodage des émotions faciales. De fait, plusieurs recherches ont observé un lien entre une faible capacité de décodage des émotions faciales et l’insensibilité émotionnelle (Ezpeleta, de la Osa, Granero, Penelo, & Domènech, 2013; Kimonis et al., 2016). La difficulté de décodage des émotions faciales semble être une caractéristique associée de façon fiable à l’insensibilité émotionnelle indépendamment de l’âge des personnes étudiées (Blair, Leibenluft, & Pine, 2014). De même, une faible capacité de décodage des émotions faciales a aussi été associée aux difficultés avec les pairs (Dodge & Coie, 1987). L’association entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs pourrait donc dépendre des habiletés de décodage des émotions faciales de l’enfant. Ainsi, une bonne capacité de décodage des émotions faciales pourrait protéger l’enfant insensible dans ses relations avec les pairs ; à l’inverse, une difficulté de décodage des émotions faciale pourrait aggraver ses relations interpersonnelles. Pour ces raisons, nous proposons d’examiner le rôle de la capacité de décodage des émotions faciales en tant que modérateur potentiel du lien entre l’insensibilité et les difficultés avec les pairs chez les enfants.

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Savoir décoder les émotions faciales d’autrui est une compétence sociale importante qui module les interactions positives de la vie sociale quotidienne (Cutting & Dunn, 1999). Cette habileté est à la base de la capacité de comprendre les indices émotionnels et les émotions de ceux qui nous entourent. Selon Nowicki & Duke (1992, 1994), assigner et percevoir les émotions correctement est nécessaire au bon développement social et cognitif des enfants. Cette compétence est nécessaire pour adapter son comportement à la situation. Conséquemment, la capacité de décodage des émotions faciales peut se répercuter sur la qualité de l’intégration et de l’adaptation sociale (Hubbard & Coie, 1994; Lemerise & Arsenio, 2000).

La relation entre l’insensibilité émotionnelle et la difficulté à décoder les émotions faciales a été bien documentée. Les résultats semblent la confirmer pour les émotions de peur et de tristesse, mais aussi pour la joie et la colère. L’émotion de la peur est liée à l’activité de l’amygdale (Viding, Sebastian, Dadds, Lockwood, Cecil, De Brito, et al., 2012) ; son fonctionnement anormal chez les personnes insensibles expliquerait pourquoi la peur est l’émotion qui leur est difficile à décoder. Ces résultats portent à croire que l’insensibilité émotionnelle est liée à une moins bonne capacité de décoder des émotions précises plutôt qu’à une difficulté de décodage plus générale (Blair, Colledge, Murray, & Mitchell, 2001; Viding & Kimonis, 2015). Cependant, comme le rappelle Blair et coll. (2001), il faut porter attention au fait que l’émotion de peur est la plus difficile à reconnaître à tous les âges (Ekman & Friesen, 1976) et qu’il est donc important de considérer la possibilité d’un déficit plus généralisé à toutes les émotions.

Une méta-analyse de Dawel et coll. (2012) montre que l’insensibilité émotionnelle serait associée à une difficulté de décodage des émotions faciales généralisée (Dadds, Kimonis, Schollar-Root, Moul, & Hawes, 2017; Dawel, O’Kearney, McKone, & Palermo, 2012; Kimonis et al., 2016;). Dans le but de clarifier si le déficit de décodage des émotions est limité à certaines émotions ou non, ils ont identifié 26 études comprenant 29 expériences (N = 1376) impliquant six catégories d'émotions (colère, dégoût, peur, joie, tristesse, surprise). Ces études révèlent que les enfants insensibles ont une plus grande difficulté à décoder les émotions faciales spécifiques de la peur et de la tristesse, mais que cette difficulté est généralisée et affecte tout l’éventail des émotions faciales. De plus, ils

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observent que la difficulté de décodage des émotions faciales liée à l’insensibilité émotionnelle s’observe tant pour les jeunes enfants, les adolescents que les adultes. De fait, Kimonis et coll. (2016) observent des corrélations significatives d’ampleurs faibles à moyennes entre une faible capacité de décodage des émotions faciales et l’insensibilité émotionnelle à l’enfance. Comparativement aux enfants plus sensibles, les enfants plutôt insensibles seraient moins compétents à distinguer la colère, la peur, la joie et la tristesse. Ces corrélations se maintiennent lorsque les problèmes de comportement comme l’agressivité et des facteurs de confusion démographiques (échantillon, âge, sexe) sont pris en compte. Ces difficultés peuvent se répercuter sur l’intégration sociale des enfants insensibles.

Denham, McKinley, Couchoud, & Holt (1990) montrent une relation entre une mesure de compréhension émotionnelle, dont la capacité de décodage des émotions faciales, et le niveau d’acceptation par les pairs chez des enfants de seulement 44 mois. Les enfants sont moins populaires auprès de leurs pairs et à plus grand risque de difficultés interpersonnelles à long terme lorsqu’ils ne distinguent pas les émotions de peur, de colère, de joie et de tristesse. Miller et coll. (2005) ont utilisé de nombreuses mesures, dont le décodage des émotions faciales pour évaluer la compréhension émotionnelle générale des enfants à l’école primaire. Ils obtiennent des résultats qui s’accordent avec ceux de Denham et coll. (1990), qui ont mesuré le niveau de compréhension émotionnelle des enfants en demandant aux enfants d’identifier quelle personne présentait une émotion spécifique parmi la peur, la joie, la tristesse et la colère sur des visages fixes et dans des situations jouées par des marionnettes. Le niveau de compréhension émotionnelle mesuré prédit le nombre de désignations négatives, mais pas le nombre de désignations positives, de la part des pairs, de même que le nombre de désignations à titre de victime.

Par ailleurs, Leppänen & Hietanen (2001), n’obtiennent pas de corrélation significative entre la popularité des enfants telle que mesurée par sociométrie avec les pairs et leur capacité de reconnaître les émotions faciales. Ils ont toutefois utilisé une mesure basée uniquement sur des visages féminins dans leur tâche de décodage et y ont ajouté l’émotion neutre demandant aux enfants d’identifier laquelle des émotions entre joie, tristesse, colère, surprise, peur et de dégout était représentée. Plus récemment, Woods,

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Wolke, Nowicki, & Hall (2009) ont utilisé des visages des deux sexes et observé une relation significative entre le décodage des émotions faciales et la victimisation. Woods et coll. (2009) observent une relation positive significative entre le fait d’être la cible de victimisation physique et psychologique et une difficulté de décodage de toutes les émotions faciales, plus spécifiquement encore pour les visages exprimant la colère ou la peur.

Waller et coll. (2017) proposent une meilleure compréhension du lien entre l’insensibilité et les difficultés avec les pairs en étudiant la présence potentielle d’une variable modératrice. Ils ont ainsi observé une interaction significative entre l’insensibilité émotionnelle et les fonctions exécutives. Les fonctions exécutives sont nécessaires au contrôle de nos pensées, nos émotions et nos actions, et peuvent donc aussi sous-tendre la capacité cognitive du décodage des émotions faciales. Ses résultats montrent que l’insensibilité émotionnelle chez les enfants de 3 ans prédit le rejet par les pairs à 10 ans, mais uniquement lorsque les enfants avaient un bas niveau des fonctions exécutives. Waller et coll. (2017) proposent d’étudier les sous-fonctions spécifiques afin de vérifier si elles interagissent avec l’insensibilité émotionnelle à l’enfance. La capacité de décodage des émotions faciales est une capacité cognitive appartenant au sous-domaine des émotions. Conséquemment, la présente étude vérifiera le rôle modérateur du déficit de décodage des émotions faciales quant au lien entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés interpersonnelles.

La recension des écrits indique qu’une difficulté de décodage des émotions faciales des enfants est liée aux difficultés avec les pairs, tout comme le trait d’insensibilité émotionnelle est associé à la fois à un bas niveau de décodage des émotions faciales et aux difficultés avec les pairs. Nous proposons alors l’hypothèse que l’habileté de décodage des émotions faciales modère l’association entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs : l’association entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés interpersonnelles serait conditionnelle aux capacités de décodage des émotions de l’enfant. Ainsi, l’insensibilité émotionnelle serait plus fortement liée aux difficultés avec les pairs si elle s’accompagne d’une moins bonne capacité de décodage des émotions. À l’inverse,

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l’insensibilité émotionnelle serait plus faiblement associée aux difficultés avec les pairs si elle s’accompagne d’une meilleure capacité de décoder les émotions.

En résumé, les objectifs de la présente étude sont 1) de vérifier le lien entre les traits d’insensibilité émotionnelle et les difficultés interpersonnelles à l’enfance lorsque les conduites agressives sont prises en compte et 2) de vérifier dans quelle mesure la capacité de décodage des émotions faciales affecte cette association. Sur la base des résultats de recherche, nous émettons l’hypothèse 1) que l’insensibilité émotionnelle sera corrélée au rejet par les pairs et à la victimisation et 2) que le rôle prédictif de l’insensibilité émotionnelle quant aux difficultés avec les pairs variera selon le niveau de décodage des émotions faciales. Pour une meilleure évaluation de la contribution de l’insensibilité émotionnelle aux difficultés avec les pairs, ces hypothèses seront testées en prenant en compte les associations attendues avec les conduites agressives.

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Chapitre 1 : MÉTHODOLOGIE

Participants

Les participants furent recrutés à la naissance, entre novembre 1995 et juillet 1998 dans le cadre de l’Étude des Jumeaux Nouveau-nés du Québec (ÉJNQ), une étude longitudinale en cours constituée d’un échantillon de jumeaux de la grande région de Montréal au Canada (Étude d’origine : N=622 paires de jumeaux ; Boivin, et al., 2013). Toutes les procédures furent approuvées par les comités d'éthique de l'Université Laval et de l'Hôpital Sainte-Justine ainsi que par les commissions scolaires des écoles participantes. La majorité des familles participantes (84%) sont d’origine européenne et l’accord parental fut obtenu de tous les parents des participants. La zygotie des jumeaux de même sexe fut évaluée par une leur ressemblance physique (Goldsmith, 1991) et par génotypage, lesquels concordent dans 96% des cas (Forget-Dubois et al., 2003). Cependant, le caractère génétiquement informatif de l’échantillon n’a pas été utilisé dans le cadre de cette étude. Pour la présente étude, le nombre de données disponibles varie entre 811 (rejet et victimisation), 829 (insensibilité et agressivité), 879 (décodage des émotions faciales) et 1032 (sexe) enfants en première année du primaire.

Tâche de reconnaissance des émotions faciales

La capacité à reconnaitre les émotions faciales a été évaluée chez les enfants de première année avec le sous-test visuel du Diagnostic Analysis of Nonverbal Accuracy

Scale 2 (DANVA-II; (McClure et al., 2003; Nowicki & Carton, 1993). Le sous-test original

est composé de 32 photos d’enfants et d’adultes représentant les émotions de la joie, la tristesse, la colère et la peur et il montre une cohérence interne et une fiabilité acceptable (Nowicki & Carton, 1997, 1993). Pour certaines photos, les résultats ne présentaient aucune variance et ont alors été retirées. Ainsi, pour la présente étude, 29 visages au total ont été utilisés : 15 visages d’adultes et 14 visages d’enfants. Chacune des émotions a été représentée à la fois par des enfants et des adultes. La technique de réponse fut adaptée pour les enfants de première année et la tâche fut informatisée. Ainsi, les enfants assis face à un écran observaient des photos d’acteurs exprimant une des quatre émotions du test, affichée chacune pour deux secondes, et répondaient à l’aide d’un clavier sur lequel les

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quatre émotions étaient identifiées. Un score élevé signifie un bon niveau de compréhension des émotions faciales.

Mesure de l’insensibilité émotionnelle

L’insensibilité émotionnelle a été évaluée par les professeurs sur la base des dimensions de base de l’insensibilité émotionnelle proposée par Lahey, (2014) ; les traits d’insensibilité émotionnelle furent évalués par 5 items coté sur une échelle de Likert à 3 points (0 = Jamais ; 1 = Parfois ; 2 = Souvent / Toujours) : L’enfant a été insensible aux sentiments d’autrui ... N’a pas semblé coupable après avoir mal agit ... A manipulé ou utilisé les autres ... N’a pas tenu ses promesses ... Ses émotions semblent superficielles. Certains items viennent de l’Inventory of Callous-Unemotional Behaviors de Frick (2004) qui est la mesure la plus détaillée des comportements d’insensibilité chez les jeunes. D’autres items proviennent de l’Antisocial Process Screening Device (APSD ; Frick & Hare, 2001). Le score d’insensibilité émotionnelle représente la moyenne de ces cinq items. Un score élevé signifie un haut niveau d’insensibilité émotionnelle chez l’enfant. Cette mesure fut utilisée et validée dans Henry et coll. (2018a; 2018b).

Rejet par les pairs

Les pairs dont les parents ont consenti à la participation reçurent un album contenant une photo de chacun des enfants de leur classe. Les enfants devaient encercler la photo de leurs trois camarades de classe préférés pour le jeu (nomination positive) et des trois camarades avec qui ils aimaient le moins jouer (nomination négative). Le nombre total de nominations positives et négatives a été calculé séparément pour chacun des participants puis standardisé pour chaque classe afin d’obtenir un score d’appréciation positif (Liked-Most ; LM) et négatif (Liked-Least ; LL). Selon les critères de Coie, Dodge, & Coppotelli, (1982), le score LL a été soustrait au score LM, créant ainsi un score de préférence sociale. Le résultat obtenu fut inversé, indiquant alors les difficultés avec les pairs, tel qu’un haut score obtenu dans cette échelle représente le rejet par les pairs tandis qu’un bas score montre une préférence sociale. Cette procédure, largement utilisée dans les trente dernières années, représente une évaluation valide de la qualité des interactions des enfants avec leurs pairs (Boivin, et al., 2013; Ladd & Kochenderfer-Ladd, 2002; Rubin et al., 2008).

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Évaluation par les pairs de la victimisation

La victimisation par les pairs a été évaluée au moyen de nominations par les camarades de classe de l’enfant. Les pairs sont considérés comme une source valable d'identification des victimes de violence entre pairs (Boivin et al., 2013 ; Juvonen, Nishina & Graham, 2000). L’album de photos décrit précédemment fut réutilisé pour demander aux enfants d’encercler les photos de deux enfants de leur classe qui correspondent le mieux aux descripteurs positifs et négatifs. Ces énoncés étaient lus à haute voix par l’un(e) des deux assistant(e)s de recherches, tandis que l’autre assistant(e) vérifiait que les réponses des enfants ne soient pas lues par les autres. Deux critères adaptés de la sous-échelle de victimisation de l’inventaire modifié du Peer Nomination Inventory (Perry et al., 1988) furent retenus dans la présente étude : “Il / elle se fait le plus souvent crier des noms par les autres enfants” et “Il / elle est souvent poussé(e) et frappé(e) par d'autres enfants, il / elle reçoit les coups”. Bien qu’il n’y ait que deux items, cette mesure est fiable parce qu’elle est basée sur de multiples répondants (e.g., Hodges et al., 1997; Perry et al., 1988; voir aussi les arguments de Boivin et al., 2013). Le nombre total de nominations par les camarades de classe obtenu par item fut calculé pour chacun des participants, standardisé dans la classe et transformé en moyenne sur les deux items pour obtenir un score de victimisation évaluée par les pairs.

Agressivité

Les comportements agressifs ont été évalués par les professeurs en première année (Boivin et al., 2013) qui devait répondre à 10 items selon une échelle de Likert à 3 points (0 = Jamais ; 1 = Parfois ; 2 = Souvent / Toujours): Au cours des 6 derniers mois, l'enfant (a) s’est battu; (b) a encouragé d'autres enfants à choisir un enfant en particulier; (c) a réagi de manière agressive lorsqu'il a été taquiné; (d) a essayé de dominer les autres enfants; (e) a réagi de façon agressive lorsqu'il a été contredit; (f) a fait peur aux autres enfants pour obtenir ce qu'il / elle voulait; (g) s’est énervé et s'est battu lorsque quelqu'un l'a blessé accidentellement; (h) a réagi de manière agressive lorsque quelque chose lui a été enlevé; (i) a attaqué des gens physiquement; ou (j) a frappé, mordu ou donné des coups de pied à d'autres enfants. Le score d'agression représente la moyenne des réponses de 8 items minimum (alpha de Cronbach de .91).

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Traitement de données manquantes

Nous avons appliqué une analyse de données manquantes pour les variables incluses dans l'étude avec le module Missing Value Analysis de SPSS. Afin de vérifier le patron de nos données manquantes on applique un test de Little (Little & Rubin, 2002; Scheffer, 2002) qui vérifie la différence entre les moyennes et covariances observées et imputées. Le test de Little fut non significatif (c2 = 14.888, Ddl = 15, p = .459), indiquant un patron entièrement aléatoire (MCAR pour missing completely at random) de données manquantes pour ces variables (Tableau 1). Cependant l’échantillon de l’ÉJNQ dans son ensemble a subi de l’attrition, c’est-à-dire une perte de familles participants à l’étude entre la naissance des enfants à leur suivi en première année. Cette attrition est associée au statut socioéconomique, un schéma courant dans les études longitudinales (Forget-Dubois & al., 2009). En considérant ces analyses, nous avons considéré les données manquantes comme se conformant à un patron aléatoire (MAR, pour missing at random).

Analyses

Les statistiques descriptives, l’analyse de données manquantes et le calcul des corrélations bivariées ont été réalisées sous IBM SPSS Statistics version 24. Afin de vérifier le lien entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs en contrôlant l’agressivité nous avons testé des modèles de régression à l’aide de Mplus version 7. Nous avons ensuite vérifié si on observait une modération par le niveau de décodage des émotions faciales de l’association entre l’insensibilité et les difficultés avec les pairs par des analyses de régressions en incluant un terme d'interaction (Insensibilité x Capacité de décodage des émotions faciales (CDÉF)) dans le modèle. Pour une meilleure compréhension de nos résultats d’analyses, nous avons vérifié si on observait une modération du lien entre l’insensibilité émotionnelle et le rejet et/ou la victimisation par certaines émotions en particulier plutôt qu’avec le score total du test de reconnaissance des émotions faciales. Nous avons alors ré-effectué les analyses avec la peur, la joie, la tristesse et la colère séparément. Pour les modèles de régression et modération, nous avons pris en compte les données manquantes à l’aide d’un estimateur robuste de maximum de vraisemblance (MLR). Cette technique d’estimation permet de conserver toutes les données observées pour obtenir la meilleure estimation possible des paramètres du modèle, présumant un patron MAR. Nous avons pris en compte les facteurs confondants suivants :

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sexe de l'enfant et comportements agressifs en première année. Nous obtenons ainsi 1032 enfants de première année pour lesquels nous avons au moins une donnée pour ces analyses. De plus, les données des jumeaux de chaque paire n’étant pas considérées indépendantes, nous avons modélisé leur covariance en indiquant la famille comme cluster. Nous avons appliqué en parallèle une méthode d’intervalles de confiance « bootstrapped », ce qui augmente la puissance de détection de notre paramètre de modération. L’estimateur robuste et la technique du « bootstrap » ne peuvent être combinés, mais nous avons observé des résultats similaires à égaux avec les deux méthodes. La méthode cluster est rapportée dans les résultats.

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Chapitre 2 : RÉSULTATS

Analyses Descriptives

Le Tableau 1 présente le nombre total d’enfants, les moyennes, les écarts-types, l’échelle de mesure et le niveau d’asymétrie de chaque variable en première année du primaire. Nos analyses descriptives montrent des moyennes très faibles d’agressivité (.27, sur une échelle de 0 à 2) et d’insensibilité émotionnelle (.24, sur une échelle de 0 à 2). L’indice d’asymétrie de ces variables compris entre -2 et 2 est considéré comme acceptable en dépit du fait que l’on observe une forte concentration de scores nuls. On obtient aussi une répartition équivalente du nombre de filles (50.7%) et de garçons (49.3%) dans l’échantillon. Une transformation logarithmique en base 10 sur les variables d’insensibilité et d’agressivité qui sont les plus asymétriques, n’a pas amélioré la distribution. Nous avons donc décidé de conserver les données brutes.

Associations bivariées

Le Tableau 2 présente les corrélations phénotypiques de Pearson entre les construits. Tel qu’attendu, on observe une corrélation positive forte (r = .71) entre l’insensibilité émotionnelle et l’agressivité et une corrélation positive faible (r = .25) entre la victimisation et le rejet. L’insensibilité émotionnelle montre une association significative positive avec le rejet (r = .37) et la victimisation (r = .29). De plus, contrairement à ce qui a été observé dans d’autres études, l’association entre la victimisation et le décodage des émotions faciales est non significative. Enfin, on observe une faible corrélation négative (r = -.14) entre l’insensibilité et le décodage des émotions faciales, ce qui signifie qu’un haut niveau d’insensibilité est associé à une moins grande capacité de décodage des émotions. De plus, la capacité de décoder la peur, la joie, la colère et la tristesse, considérée séparément pour chaque émotion, montre une corrélation faible négative avec l’insensibilité et le rejet, mais n’est pas associée à la victimisation.

Quelle est l’association entre l’insensibilité et le rejet lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ?

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Le Tableau 3 présente les résultats de l’analyse de régression multiple qui inclut le rejet comme variable dépendante et les variables du sexe, d’agressivité, d’insensibilité et de décodage des émotions faciales comme variables indépendantes. Ces analyses ont été effectuées en retenant un niveau alpha de .05. Le modèle de régression explique globalement 21% de la variance (r2 = .21, SE = .03), ce qui est fortement significatif (p <

.001). Le but de l’analyse est de documenter le lien entre l’insensibilité émotionnelle et le rejet par les pairs en prenant en compte les comportements agressifs, la capacité de décodage des émotions faciales et le sexe des enfants. On observe dans le Tableau 3 que ce lien est significatif (b = .12, p ≤ .02), c’est-à-dire que l’insensibilité émotionnelle prédit le rejet par les pairs en première année du primaire au-delà du sexe, de l’agressivité et de la capacité de décodage des émotions faciales. De même, la capacité de décodage des émotions est un prédicteur unique significatif (b = -.18, p < .001) du rejet par les pairs. L’insensibilité émotionnelle et la capacité à reconnaître une émotion sont donc associées de façon unique au rejet. Le sexe est un prédicteur significatif du rejet, le bêta négatif (b = -.10) signifiant que les filles sont moins rejetées par leurs pairs que les garçons. On remarque aussi que l’agressivité est associée plus fortement au rejet que l’insensibilité, bien que les deux soient des prédicteurs significatifs dans le modèle.

Prédiction du rejet par les pairs par la peur, la joie, la colère et la tristesse lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement

Le Tableau 4 présente les analyses de régression multiple qui incluent le rejet comme variable dépendante et le sexe, l’agressivité, l’insensibilité et selon l’émotion visée, la capacité de décoder la peur, la joie, la colère ou la tristesse comme variables indépendantes. Ces analyses ont été effectuées en retenant un niveau alpha de .05. Les résultats des analyses de régression expliquent un peu plus de 18 % de la variance du rejet par les pairs, ce qui est fortement significatif (p < .001). Le Tableau 4 révèle que quel que soit le modèle, l’insensibilité émotionnelle et la capacité de décoder chaque émotion considérée sont des prédicteurs significatifs du rejet par les pairs. De fait, on observe une prédiction modérée pour l’insensibilité (b ≥ .15) et pour chacune des émotions (b ≥ -.07).

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Quelle est l’association entre l’insensibilité et la victimisation lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement ?

Le Tableau 5 présente les résultats de l’analyse de régression multiple qui inclut la victimisation comme variable dépendante et les variables du sexe, d’agressivité, d’insensibilité et de décodage des émotions faciales comme variables indépendantes. Ces analyses ont été effectuées en retenant un niveau alpha de .05. Le modèle de régression explique globalement 22% de la variance (R2 = .22, SE = .03), ce qui est fortement

significatif (p < .001). Le but de l’analyse est de documenter le lien entre l’insensibilité émotionnelle et la victimisation en prenant en compte les comportements agressifs, le décodage des émotions faciales et le sexe des enfants. On observe dans le Tableau 4 que ce lien est non significatif (b = -.07, p ≤ .18), c’est à dire que l’insensibilité ne prédit pas la victimisation en première année du primaire au-delà du sexe, de l’agressivité et de la capacité de décodage des émotions faciales. En d’autres termes, la covariance entre l’insensibilité émotionnelle et l’agressivité est importante et seule l’agressivité prédit la victimisation (b = .46, p < .001). De même, la capacité de décodage des émotions ne prédit pas le niveau de victimisation (b = -.04, p ≤ .29). Le sexe, quant à lui, est un prédicteur significatif de la victimisation, le bêta standardisé négatif (b = -.15) signifiant que les filles sont généralement moins souvent victimes que les garçons.

Prédiction de la victimisation par la peur, la joie, la colère et la tristesse lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement

Le Tableau 6 présente les analyses de régression multiple qui incluent la victimisation comme variable dépendante et le sexe, l’agressivité, l’insensibilité et selon l’émotion visée, la capacité de décoder la peur, la joie, la colère ou la tristesse comme variables indépendantes. Ces analyses ont été effectuées en retenant un niveau alpha de .05. Les résultats des analyses de régression expliquent globalement 22% de la variance de la victimisation, ce qui est fortement significatif (p < .001). Le Tableau 6 révèle que quel que soit le modèle, l’insensibilité émotionnelle et la capacité de décoder chaque émotion considérée ne sont pas des prédicteurs significatifs de la victimisation.

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Modération par le décodage des émotions faciales du lien entre l’insensibilité et le rejet par les pairs lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement

Le Tableau 7 présente l’analyse de modération effectuée par un modèle de régression multiple avec un terme de modération. Ce modèle identifie l’insensibilité émotionnelle comme variable indépendante, le rejet comme variable dépendante et le niveau de décodage des émotions faciales comme variable modératrice. Nous avons testé un score d’interaction insensibilité x capacité de décodage des émotions afin de vérifier s’il ajoute à la variance expliquée par les prédicteurs principaux. L’interaction est non significative (b = .27, p ≤ .14), ce qui signifie que l’association entre l’insensibilité émotionnelle et le rejet par les pairs ne varie pas selon la capacité de décoder des émotions.

Modération par la peur, la joie, la colère et la tristesse du lien entre l’insensibilité et le rejet lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement

Les analyses de modération ont été effectuées par un modèle de régression multiple avec un terme de modération (cf. Tableau 8 en annexe). Ces modèles identifient l’insensibilité émotionnelle comme variable indépendante, le rejet comme variable dépendante et tour à tour, le niveau de décodage de la peur, de la joie, de la colère et de la tristesse ont été inclus comme variables modératrices. Nous avons testé l’interaction insensibilité x score émotion afin de vérifier s’il ajoute à la variance expliquée par les prédicteurs principaux sur la relation entre l’insensibilité émotionnelle et le rejet. Aucun des modèles effectués ne montre une interaction insensibilité x score émotion significative (p ≥ .11).

Modération par le décodage des émotions faciales du lien entre l’insensibilité et la victimisation lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement

Le Tableau 9 présente l’analyse de modération effectuée par un modèle de régression multiple avec un terme de modération. Ce modèle identifie l’insensibilité émotionnelle comme variable indépendante, la victimisation comme variable dépendante et le niveau de décodage des émotions faciales comme variable modératrice. Nous avons testé l’interaction insensibilité x capacité de décodage des émotions sur la relation entre l’insensibilité émotionnelle et la victimisation. L’interaction est non significative (b = -.21,

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p ≤ .23), donc l’association entre l’insensibilité émotionnelle et la victimisation ne dépend

pas des niveaux de décodage des émotions faciales.

Modération par la peur, la joie, la colère et la tristesse du lien entre l’insensibilité et la victimisation lorsque l’agressivité est prise en compte statistiquement

Les analyses de modération ont été effectuées par un modèle de régression multiple avec un terme de modération (cf. Tableau 10 en annexe). Ces modèles identifient l’insensibilité émotionnelle comme variable indépendante, la victimisation comme variable dépendante et tour à tour, le niveau de décodage de la peur, de la joie, de la colère et de la tristesse ont été insérés comme variable modératrice. Nous avons testé l’interaction insensibilité x score émotion sur la relation entre l’insensibilité émotionnelle et la victimisation. Cependant aucun des modèles testés ne montre une interaction significative insensibilité x score émotion (p ≥ .21).

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Chapitre 3 : DISCUSSION

L’objectif premier de la présente étude était d’évaluer l’association entre les traits d’insensibilité émotionnelle et les difficultés interpersonnelles en considérant l’influence possible de la capacité de décodage des émotions faciale et contrôlant l’agressivité et le sexe des participants. Le second objectif était de vérifier le rôle modérateur de la capacité à décoder les émotions faciales quant à l’association entre les traits d’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs.

Premièrement, on observe sur le plan bivarié que les traits d’insensibilité émotionnelle sont associés positivement avec l’agressivité, la victimisation, le rejet et négativement avec la capacité de décodage des émotions faciales. Ces résultats sont en accord avec les résultats obtenus dans le domaine des traits d’insensibilité émotionnelle (Fanti, Frick, & Georgiou, 2009 ; Kimonis et al., 2016; Waller et al., 2017). Cependant, tandis que de nombreuses études observent un lien entre la victimisation et la capacité de décodage des émotions faciales (p. ex., Woods et al. 2009), cette association n’est pas significative dans la présente étude.

Deuxièmement, on observe que lorsque l’agressivité est prise en compte, les associations entre d’une part les traits d’insensibilité émotionnelle et d’autre part le rejet et la victimisation par les pairs diffèrent. Ainsi, tel qu’attendu, nous observons que les traits d’insensibilité émotionnelle sont négativement associés au rejet par les pairs. Par ailleurs, nous observons une absence d’association entre les traits d’insensibilité émotionnelle et la victimisation par les pairs. Cela signifierait que les traits d’insensibilité émotionnelle sont des prédicteurs des expériences de rejet mais non de victimisation. Ces résultats infirment nos hypothèses qui postulaient que des associations similaires seraient observées entre les traits d’insensibilité émotionnelle et les différentes facettes des difficultés interpersonnelles.

Troisièmement, contrairement à ce qui était postulé, la capacité de décodage des émotions faciales ne modifie pas l’association entre l’insensibilité émotionnelle et les

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difficultés interpersonnelles, telles que mesurées par le rejet et la victimisation par les pairs. Ce résultat infirme notre hypothèse d’interaction et indique que la relation entre l’insensibilité émotionnelle et les difficultés avec les pairs est la même pour les enfants avec un déficit de décodage des émotions faciales et pour ceux qui montrent une bonne capacité de décodage.

Ainsi, les résultats montrent que les traits d’insensibilité émotionnelle sont un facteur de risque chez les enfants pour l’expérience négative de rejet, mais pas pour celle de la victimisation une fois la prise en compte de l’agressivité et du sexe de l’enfant. Cela signifie que les traits d’insensibilité émotionnelle pourraient être un frein à l’adaptation sociale de l’enfant à l’école (Waller et al., 2017). Les comportements induits par l’absence d’empathie, de culpabilité et de peur (Frick 2004) pourraient entrainer une certaine marginalisation de l’enfant, sans toutefois que cela se traduise par des comportements manifestement hostiles à son égard. Cet enfant pourrait possiblement être considéré comme « différent » et hors norme par les autres car il ne réagit pas comme eux face à ces émotions, ce qui freine son intégration au groupe. Toutefois, les résultats de la présente étude ne démontrent pas de lien causal et on ne peut donc pas affirmer que ce sont les traits d’insensibilité émotionnelle qui entrainent le rejet par les pairs ; il est aussi possible qu’à l’inverse le rejet vécu par l’enfant à l’école soit un facteur du développement de ces traits. En d’autres mots, l’enfant, parce qu’il est moins exposé aux interactions sociales à l’école, développe une absence d’empathie, de culpabilité et de peur.

Contrairement à nos attentes, compte tenu de l’agressivité, les traits d’insensibilité émotionnelle ne sont pas associés à la victimisation par les pairs. En d’autres termes, seule l’agressivité mesurée chez l’enfant prédit son risque de vivre des expériences de victimisation par les pairs. Les expériences de victimisation, qui relèvent d’un rapport de force déséquilibré, relèvent par définition d’un contexte conflictuel, possiblement agressif, ce qui n’est pas le cas du rejet (Boivin, Hymel, & Hodges, 2001; Olweus 1994). Il semble alors vraisemblable que l’agressivité joue un rôle plus marqué dans la prédiction de la victimisation par les pairs, diminuant ainsi l’importance des traits d’insensibilité émotionnelle.

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Enfin, la capacité de décodage des émotions faciales ne modifie pas l’association entre l’insensibilité émotionnelle et le rejet ou la victimisation par les pairs. Cependant, bien que nos résultats n’aient pas démontré le patron de modération attendu, nous hésitons à conclure que cette habileté ne joue aucun rôle dans ce lien. D’une part, plusieurs études ont rapporté le rôle de cette habileté dans l’adaptation sociale de l’enfant (Denham et al., 1990; Dodge & Coie, 1987; Leppänen et al., 2001; Miller et al.,2005) et d’une autre part, un lien a été démontré de nombreuses fois entre un déficit de décodage des émotions faciales et l’insensibilité émotionnelle à tous âges (Blair et al., 2012; Dadds et al., 2017; Dawel et al., 2012; Ezpeleta et al., 2013; Kimonis et al., 2016). Ces résultats antérieurs nous incitent à penser que la capacité de décodage des émotions facial à un rôle à jouer dans l’association étudiée. Il est possible cependant que notre interprétation d’une interaction vraisemblable soit erronée ; d’autres études seront nécessaires pour confirmer ces résultats négatifs.

En somme, si les études antérieures suggèrent qu’une bonne capacité de décodage des émotions faciales pourrait protéger l’enfant plutôt insensible dans ses relations avec les pairs, les résultats nous permettent uniquement de conclure à un possible rôle protecteur direct d’une meilleure capacité de décodage des émotions faciales (colère, peur, joie et tristesse) pour le rejet. Tel que vu plus haut, le rejet reflète l’aptitude de l’enfant à intégrer un groupe ou non, ce qui n’est pas le cas de la victimisation par les pairs. Une bonne capacité de décodage des émotions faciales aiderait l’enfant plutôt insensible à s’intégrer socialement et diminuerait son risque d’être rejeté (Crick, & Dodge, 1994), mais ne serait alors pas liée aux expériences de victimisation par les pairs. Ce qui est cohérent avec nos résultats. Par ailleurs, ces associations sont valides pour tout notre échantillon et non uniquement les enfants plutôt insensibles : ce serait donc un facteur de protection pour l’ensemble des enfants. Ainsi, nos résultats montrent que la capacité de décodage des émotions faciales est associée à un moins fort rejet par les pairs (et à une plus grande popularité) en général.

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Afin d’interpréter correctement les résultats de ce mémoire il est essentiel de considérer la méthode utilisée et ses limites. En premier lieu, un temps de mesure unique pourrait s’avérer insuffisant pour observer le rôle du décodage des émotions faciales dans le lien entre les traits d’insensibilité et les difficultés avec les pairs. Il est possible que cette habileté joue un rôle, à partir ou avant un certain âge uniquement, et que notre échantillon d’enfants d’environ huit ans ne permette pas de l’observer. Une analyse longitudinale qui permet de suivre le développement d'un échantillon par la prise en compte de données à différents temps de mesure semblerait alors plus adaptée pour observer des résultats significatifs. De plus, il est possible qu’une limite de puissance pour tester des associations soit en partie responsable des résultats non-concluants car les résultats observés sont marginalement significatifs. C’est-à-dire qu’un échantillon plus grand ou une échelle de mesure plus précise pourrait permettre d’obtenir des résultats significatifs.

Les associations sont petites, ce qui est normal pour les phénomènes assez rares dans un échantillon populationnel, comme les traits d’insensibilité émotionnelle. De fait, notre échantillon populationnel représente donc moins les enfants plutôt insensibles, la moyenne d’insensibilité émotionnelle étant très faible. Un échantillon clinique avec un degré plus élevé d’insensibilité émotionnelle aurait possiblement permis une meilleure représentation de la situation des enfants insensibles. Dans la population générale, le score d’insensibilité n’est pas fréquent, et quand présent il est considéré comme une valeur extrême. Au contraire, dans un échantillon clinique, de tels scores seraient plutôt normaux. En effet, dans un échantillon clinique nous observerions plus de fréquence des symptômes et plus variabilité des différents niveaux d’insensibilité des enfants. Les recherches futures pourraient reproduire cette étude avec un échantillon montrant une meilleure variabilité et fréquence des traits cliniques afin d’observer plus précisément les associations et la modération présentement supposées des traits d’insensibilité émotionnelle à l’enfance.

Les traits d’insensibilité émotionnelle et l’agressivité sont très fortement corrélés et donc se recoupent largement (environ 50% de variance partagée) et ce bien qu’il n’y ait aucune redondance des items entre les deux mesures. La disparition de l’association entre les traits d’insensibilité et la victimisation pourrait être due au trop grand recoupement entre les deux mesures. En effet, cela couperait trop de variance au niveau de la variance

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partagée et cela aurait alors pu influencer l’interprétation. Il est probable que les construits et les comportements qui y sont rattachés soient fortement associés entre eux tel que le souligne l’étude de Frick, Ray, Thornton, & Kahn (2014b). De plus, le fait que les enfants aient été évalués par la même personne, en occurrence leur professeur(e) d’école, peut avoir entrainé un biais de l’évaluation, c’est-à-dire une tendance à répondre de façon similaire à toutes les questions de l’évaluation des comportements négatifs de l’enfant. Ce biais peut avoir influencé le niveau d’association entre les construits d’insensibilité émotionnelle et d’agressivité. Il faut cependant noter que toutes les échelles évaluées par les professeurs ne sont pas si fortement associées. Nous aurions un avantage à avoir l’évaluation d’autres personnes autour de l’enfant : parents, gardien(ne)s etc.

Il semblerait donc que la limite principale de la présente étude soit la mesure d’insensibilité, bien qu’elle ait été validée à l’enfance avec un échantillon populationnel (Henry et al., 2018a; 2018b). Avec peu d’items inclus dans la mesure (5 items) et la forte association avec l’agressivité, notre mesure pourrait ne pas être assez spécifique chez des enfants d’environ huit ans. Si tel est le cas, notre mesure ne permettrait de différencier assez clairement les caractéristiques des traits d’insensibilité à ceux de l’agressivité. Il est probable qu’à un temps de mesure unique, le questionnaire présentement utilisé ne soit pas assez valide sur ce qui est évalué bien qu’il est été créé dans le but de mesurer les traits d’insensibilité émotionnelle. Les considérations proposées ci-dessus, soit étudier notre échantillon de façon longitudinale et croiser les informations de plusieurs évaluateurs permettraient une meilleure compréhension de la situation des enfants.

Contributions

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