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Le régime de la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier à l'aune des droits fondamentaux, Interprétation des articles 15 et 16 de la directive retour par la Cour de justice de l'Union européenne

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Texte intégral

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le régIme de lA rétentIon des ressortIssAnts de PAys tIers en séJour IrrégulIer à l’Aune des droIts

fondAmentAux

Interprétation des articles 15 et 16 de la directive retour par la cour de justice de l’union européenne

Sofia VaNDeNBosCh

Assistante à l’Université de Liège

La Directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des res-sortissants de pays tiers en séjour irrégulier (1), dite « directive retour », constitue la pierre angulaire de la politique européenne de lutte contre la migration irrégulière. Il s’agit également du pre-mier instrument normatif européen à réglementer le régime de la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (2). Largement contesté lors de l’adoption de la directive, le siège de la matière git aux articles 15 et 16 de celle-ci.

L’objet de la présente contribution consiste à déterminer si une ligne directrice, le cas échéant protectrice des droits fondamen-taux, ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne lorsqu’elle interprète le régime européen de la réten-tion des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. À cette fin, nous décrirons, dans une première section, les modalités de la rétention prévues par la directive telles qu’interprétées par les juges de l’Union au gré des diverses questions préjudicielles

(1) Directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, JOUE, L 348 du 24 décembre 2008, p. 98.

(2) I. atak, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière et les droits

humains des migrants. Une étude de politiques de renvois forcés en France, au Royaume-Uni et en Turquie, coll. Mondialisation et droit international, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 303.

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sées par les juges nationaux. La seconde section sera consacrée à quelques considérations critiques concernant l’action de la Cour de justice en matière de protection des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers en rétention.

A. – Analyse descriptive du régime de la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier

Alors que la première sous-section énonce les conditions requises pour procéder au placement en rétention d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ainsi que les garanties procédurales qui l’accompagnent, la seconde sous-section envisage les modalités de la rétention de ces ressortissants.

1. Placement en rétention : des conditions

et des garanties

Aux termes de l’article 15, paragraphe 1er, de la directive, la rétention est l’ultima ratio de la procédure d’éloignement. Ainsi, elle sera uniquement prononcée dans les cas où aucune mesure moins coercitive ne suffit à obtenir le départ effectif et en particu-lier s’il existe un risque de fuite ou si le ressortissant de pays tiers concerné empêche la préparation du retour ; ces deux motifs de placement en rétention ne sont toutefois pas exhaustifs (3). Alors que la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas eu l’occa-sion de se prononcer sur le sens à donner au « cas où le ressor-tissant empêche la préparation du retour », elle estime dans un arrêt Mahdi, que l’absence de document d’identité, sans être, à lui seul, un élément déterminant, constitue un critère factuel qui peut être pris en considération pour déterminer s’il existe effectivement un risque de fuite (4). En tout état de cause, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier, au cas par cas, si un tel risque existe dans l’affaire qui lui est soumise (5). La réponse de la Cour de justice, dans l’arrêt Mahdi, peut décevoir en raison de son caractère vague alors que le risque de fuite constitue le motif de rétention le plus

(3) Ceci résulte des termes « en particulier » utilisés à l’article 15, § 1er, voy. à ce sujet

P. dumas, L’accès des ressortissants des pays tiers au territoire des États membres de l’Union

européenne, coll. droit de l’Union européenne – Thèses, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 270.

(4) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pts

n° 72-74. Le risque de fuite est également défini à l’article 3, § 7, de la directive. (5) CJUE (1re ch.), 6 décembre 2012, (Md Sagor), aff. C-430/11, pt 41.

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régulièrement invoqué par la législation des États membres (6). Il aurait dès lors été bienvenu qu’elle précise les critères objec-tifs qui permettent de conclure qu’il existe un réel risque de fuite. Néanmoins, la réponse de la Cour devrait tout de même conduire à la modification du droit national de nombreux États membres puisqu’en 2014, treize d’entre eux concluaient au risque de fuite lorsque le ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier ne four-nissait pas les documents nécessaires (7).

La directive est indifférente quant à la nature – judiciaire ou administrative – de l’autorité qui prononce la rétention. Cepen-dant, s’il s’agit d’une autorité administrative, un contrôle de la légalité de l’acte – même accéléré – doit pouvoir être assuré par une juridiction, en vertu de l’article 15, paragraphe 2 (8).

L’article 15, paragraphes 1er et 4, poursuit en énonçant que la rétention doit être aussi brève que possible et qu’elle ne peut être maintenue que s’il existe des perspectives raisonnables d’éloigne-ment. La durée maximale de la rétention est de six mois (9). Il est cependant possible de la prolonger jusqu’à 18 mois si le droit natio-nal le prévoit et si, malgré tous les efforts fournis par l’État membre pour exécuter la décision de retour, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison soit du manque de coopération du ressortissant étranger concerné soit de retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires (10).

(6) EMN (2014), La détention et les alternatives à la détention dans le contexte des

poli-tiques d’immigration, Bruxelles, p. 4.

(7) COM(2014) 199 final du 28 mars 2014, partie IV, pp. 18-19.

(8) Art. 15, § 2, de la directive. Contrairement au recours prévu à l’article 13, § premier, il s’agit ici d’un simple contrôle de la légalité de la rétention. Néanmoins, dans la mesure où l’article 15 instaure le respect des principes de proportionnalité et de nécessité comme conditions de fond, le contrôle juridictionnel portera sur ces deux éléments. De la sorte, il se rapproche davantage d’un contrôle en opportunité. Ceci constitue une avancée impor-tante par rapport à la législation de nombreux États membres, voy. à ce sujet J.-Y. carlier, « La “directive retour” et le respect des droits fondamentaux », Europe des libertés, n° 26, 2008, pp. 18 et 19. Contra, voy. l’arrêt rendu par la Cour de cassation belge le 10 juin 2015, P. martens, « Privation de liberté d’un étranger en séjour illégal et contrôle des juridictions d’instruction », note sous Cass., 10 juin 2015, JLMB, 2015/29, pp. 1362 et s.

(9) Art. 15, § 5, de la directive. La durée maximale de la rétention, particulièrement longue, a attiré les foudres de la doctrine. En ce qui concerne le droit de la Convention euro-péenne des droits de l’homme, l’article 5, § 1er, al. f, n’établit pas de délais maximaux pour

la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. En conséquence, la Cour européenne des droits de l’homme procède à un examen de proportionnalité de la durée de la rétention au cas par cas, en fonction des spécificités de l’espèce.

(10) Art. 15, § 6. Le délai de la rétention peut donc être prolongé au-delà de six mois, indépendamment de tout comportement préjudiciable imputable au ressortissant d’un pays tiers, voy. I. atak, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière et les droits

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Tant la décision de placement en rétention que la décision de pro-longation de celle-ci doivent être rendues par écrit en indiquant les motifs de droit et de faits pertinents (11). Dans un arrêt Kadzoev, la Cour précise qu’il existe, outre la limite temporelle absolue que constitue le délai maximum de rétention de 18 mois, une seconde limite temporelle, relative celle-ci : Il s’agit de la condition posée au paragraphe 4 de l’article 15 selon laquelle il doit exister des pers-pectives raisonnables d’éloignement. La Cour définit cette notion comme une réelle perspective que l’éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais de rétention maximaux autorisés (12). Lorsque le juge constate, dans un dossier particulier, qu’il n’existe pas de perspective réaliste qu’un ressortissant de pays tiers soit éloigné dans ce délai (13), il doit le relaxer immédiatement. De même, la rétention n’est légale qu’aussi longtemps que l’État re-cherche activement à procéder à l’éloignement effectif du ressor-tissant (14). Dès lors que l’État ne mène plus la procédure avec la diligence requise, la rétention ne se justifie plus (15). Cette exi-gence suppose, selon nous, que l’administration puisse faire état d’éléments concrets justifiant les démarches entreprises et que celles-ci se succèdent sans interruption dans la procédure (16).

La rétention devra faire l’objet de réexamens à intervalles réguliers, soit ex officio soit à la demande de l’intéressé. Ces

ré-et en Turquie, op. cit., p. 327. Contrairement aux conditions énoncées pour placer un

res-sortissant de pays tiers en rétention, les deux circonstances mentionnées à l’article 15, § 6, dans lesquelles la prolongation de la rétention au-delà de six mois est possible sont énoncées limitativement.

(11) Alors que la directive fait clairement état de ces exigences concernant la décision de placement en rétention, c’est la Cour de justice qui étend cette exigence formelle, élémentaire dans un État de droit, à la décision de prolongation de la rétention, CJUE (3e ch.), 5 juin 2014,

(Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pt 44.

(12) CJCE (Gde. ch.), 30 novembre 2009, (Saïd Shamilovich Kadzoev), aff. C-357/09 PPU, pt 65.

(13) Par exemple, s’il apparaît clairement depuis le début de la procédure que les docu-ments de voyage ne pourront être obtenus dans le délai maximum de rétention ou encore en application du principe de non-refoulement.

(14) Cette exigence, qui n’a pas été explicitement consacrée par la Cour de justice mais qui découle du libellé de l’article 15, § 1er, al. 2, est consacrée dans le septième principe

direc-teur du Conseil de l’Europe, voy. Conseil de l’Europe, Comité des ministres, « Vingt principes directeurs sur le retour forcé », doc n° CM(2005)40, 4 mai 2005.

(15) Art. 15, § 1er, al. 2, de la directive retour. La Cour européenne des droits de l’Homme

parvient à la même conclusion, voy. Cour eur. D.H, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 113 et Cour eur. D.H., A. et autres c. Royaume-Uni, 19 février 2009, § 164.

(16) Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme, Manuel de droit européen en matière d’asile, de frontières et d’immigration, disponible à l’adresse suivante : http://fra.europa.eu/sites/default/files/handbook-law-asylum-migration-borders-2nded_fr.pdf, p. 170.

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examens peuvent être assurés par une autorité administrative, sauf en cas de rétention prolongée. Dans ce dernier cas de figure, l’intervention d’une autorité judiciaire est nécessaire, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, de la directive. La Cour, interrogée dans l’arrêt Mahdi, sur l’interprétation à donner à la notion de « rétention prolongée » affirme que toute prolongation de la réten-tion au-delà de six mois doit être considérée comme telle (17), de sorte que l’examen de la décision de prolongation de la rétention au-delà de ce délai ne peut être effectué que par un juge (18). De plus, il ressort du même arrêt que ce contrôle judiciaire doit être de pleine juridiction, c’est-à-dire que le juge examinera, tant en fait qu’en droit, la régularité de la procédure mais également les conditions de fond justifiant la rétention initiale (19) d’une part et la prolongation de celle-ci, d’autre part. Pour ce faire, il pourra s’appuyer sur le dossier administratif mais également sur tout autre élément de preuve qu’il aura pu recueillir, en ce compris les déclarations du ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier. À l’issue de cet examen, le juge judiciaire saisi pourra prononcer une mesure moins coercitive, voire relaxer le ressortissant de pays tiers concerné (20). Cette nouvelle exigence posée par la Cour de justice représente une garantie importante puisqu’elle assure un contrôle juridictionnel complet de la rétention, lorsque celle-ci a duré plus de six mois (21).

En ce qui concerne plus particulièrement les conditions qui doivent être rencontrées pour prononcer la prolongation de la ré-tention en raison du manque de coopération du ressortissant de pays tiers, c’est-à-dire en raison du premier motif énoncé au

(17) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pt

n° 42.

(18) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pt

n° 43.

(19) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pts 61

et 62. Il doit dès lors s’assurer qu’il n’existait pas d’autres solutions, moins contraignantes que la rétention et qu’il existait un risque de fuite du ressortissant d’un pays tiers ou que celui-ci empêchait la préparation de son retour. De même, il vérifie que l’éloignement était envisageable dans une perspective raisonnable et que l’administration, depuis le début de la procédure, a agi avec la diligence requise afin de procéder à celui-ci.

(20) M.-L. Basilien-gaincHe, « Detention under control. A deceptive upheaval? , Com-ment on CJEU, 5 June 2014, Bashir Mohamed Ali Mahdi, C-146/14 PPU », EU law analysis, juin 2014, disponible sur eulawanalysis.blogspot.be//2014/06/marie-laure-basilien-gainche. html (dernière consultation mars 2016).

(21) En 2014, il apparaissait que seul le droit de dix États exigeait une intervention judiciaire pour prolonger la durée de la rétention, voy. EMN, La détention et les alternatives

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graphe 6 de l’article 15, la Cour établit, dans l’arrêt Mahdi, que l’autorité chargée de statuer sur la question doit d’abord constater que la procédure d’éloignement dure ou a duré plus longtemps que prévu (22). Ensuite, elle examine le comportement du ressortis-sant de pays tiers lors de la période de rétention initiale afin de déterminer s’il a refusé de coopérer avec les autorités à l’exécution de l’opération d’éloignement. Si tel est le cas, un lien de causalité doit pouvoir être établi entre le refus de coopération et les retards subis. En l’absence d’un de ces trois éléments, aucun manque de coopération susceptible de justifier la prolongation de la mesure de rétention ne pourra être établi (23).

Enfin, tôt ou tard, la rétention du ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier doit prendre fin. Lorsqu’il n’existe plus de pers-pectives raisonnables d’éloignement dans le délai de rétention maximal autorisé ou lorsqu’une des conditions énoncées par la di-rective n’est plus remplie, il convient de relaxer immédiatement le ressortissant de pays tiers, en vertu de l’article 15, paragraphe 4, de la directive. Néanmoins, son statut n’est pas régularisé pour autant, ce qui ne cadre pas exactement avec l’économie de la direc-tive, qui consiste, rappelons-le, à éloigner du territoire les ressor-tissants de pays tiers qui ne disposent pas de titre de séjour valide. En toute logique, lorsqu’un ressortissant ne peut être éloigné dans les délais fixés, et qu’il est, en conséquence, relaxé, il devrait être régularisé puisque, à défaut d’éloignement, il est amené à rester sur le sol européen. Dans l’arrêt Mahdi, la Cour, en se fondant sur le considérant n° 12 de la directive, impose aux États de fournir à ces ressortissants une déclaration écrite de leur situation afin qu’ils puissent justifier, en cas d’arrestation par les autorités, leur présence sur le territoire alors qu’ils ne disposent pas d’un titre de séjour valable. Elle refuse en revanche de considérer la faculté énoncée à l’article 6, paragraphe 4, d’accorder un titre de séjour autonome aux ressortissants inéloignables comme une obligation contraignante pour les États (24). La Cour, à défaut de respecter l’économie de la directive, est fidèle à son esprit, et estime que

(22) En effet, si le ressortissant de pays tiers a été placé en rétention pour une période de six mois et qu’il semble nécessaire aux autorités de prolonger celle-ci au-delà du terme alors que la procédure d’éloignement n’a enduré aucun retard, cela revient à reconnaître qu’il n’existait pas de « réelles perspectives d’éloignement » au sens de l’article 15, § 4.

(23) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pt

n° 82.

(24) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pts

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celle-ci « n’a pas pour objet de régir les conditions de séjour sur le territoire d’un État membre des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier à l’égard desquels une décision de retour ne peut pas ou n’a pas pu être exécutée » (25). Bien que la Cour consacre un début d’existence juridique à ces individus qui ne sont ni éloi-gnables ni régularisables, le twillight status dans lequel ils se trouvent risque donc de perdurer, entrainant son lot d’insécurité et de privation de droits élémentaires.

2. les conditions de la rétention : des principes posés

par la directive

Lorsque les autorités d’un État estiment, dans les circonstances énoncées ci-dessus, qu’il est nécessaire de maintenir un ressortis-sant d’un pays tiers en séjour irrégulier en rétention, les conditions de celles-ci doivent être conformes tant à la législation nationale qu’à la Convention européenne des droits de l’homme et au droit de l’Union, en ce compris à la Charte des droits fondamentaux. Plusieurs sources juridiques non contraignantes sont également prises en considération pour apprécier les modalités de la réten-tion. Il s’agit notamment des Vingt principes directeurs sur le re-tour forcé du Conseil de l’Europe, des Règles pénitentiaires euro-péennes (26) et des rapports rendus par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) (27). En effet, la raison d’être de la rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier est très diffé-rente de celle d’un délinquant dans la mesure où il n’a pas commis de fait répréhensible, si ce n’est de chercher une vie meilleure sur le territoire d’un État membre de l’Union en violation de ses règles de séjour. Les conditions de la rétention doivent donc être adaptées en conséquence.

(25) CJUE (3e ch.), 5 juin 2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU,

pt n° 87.

(26) Conseil de l’Europe, Comité des ministres (2006), Recommandation Rec(2006)2 du

Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes, 11 janvier

2006. L’intérêt de cet instrument dans le cadre de la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier est toutefois limité dans la mesure où celle-ci doit s’effectuer, en règle gé-nérale, dans des établissements spécialisés, c’est-à-dire en dehors du système pénitentiaire. (27) Conseil de l’Europe, Comité des ministres, Vingt principes directeurs sur le retour

forcé, doc n° CM(2005)40, 4 mai 2005, voy. Agence des droits fondamentaux de l’Union

euro-péenne et Cour euroeuro-péenne des droits de l’homme, Manuel de droit européen en matière

d’asile, de frontières et d’immigration, disponible à l’adresse suivante : http://fra.europa.eu/

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En vertu de l’article 16, paragraphe 1er, de la directive retour, la rétention s’effectue en principe dans un centre spécialisé. Par exception, toutefois, elle peut avoir lieu dans un établissement pénitentiaire mais, dans ce dernier cas, les ressortissants de pays tiers sont séparés des prisonniers de droit commun (28). La Cour de justice a eu l’occasion d’affirmer le caractère absolu de l’inter-diction de mêler prisonniers de droit commun et ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans un arrêt Thi Ly Pham (29) dans lequel elle estime que la circonstance qu’un ressortissant de pays tiers consente expressément à rester avec des prisonniers ne permet pas aux États membres de déroger à leur obligation aux termes de l’article 16 (30). À notre estime, cette exigence de séparation des prisonniers de droit commun et des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier doit s’entendre strictement et commande dès lors, au minimum, la création d’une unité spéciale, complètement séparée du reste du centre pénitentiaire (31). En revanche, la Cour est moins catégorique concernant l’exigence que la rétention ait lieu dans un centre spécialisé. Dans un arrêt

Bero et Bouzalmate, elle estime certes que la rétention dans un

établissement pénitentiaire constitue l’exception et, de ce fait, est de stricte interprétation mais elle n’énumère toutefois pas les cir-constances ou les conditions auxquelles ce régime d’exception est applicable (32). Elle se limite à répondre sobrement au cas

(28) En 2014, la Commission relevait que neuf États membres ne respectaient pas l’obli-gation de séparer les prisonniers de droit commun des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, voy. COM(2014) 199 final, 28 mars 2014, partie IV, p.23.

(29) CJUE (Gde ch.), 17 juillet 2014, (Thi Ly Pham contre Stadt Schweinfurt, Amt für

Meldewesen und Statistik), aff. C-474/13.

(30) Dans le cas qui est soumis à la Cour, Mme Pham a accepté, en signant un document

en ce sens en langue allemande alors qu’il est établi qu’elle ne parle pas l’allemand, d’être placée avec des prisonniers de droit commun. Les gouvernements allemand et néerlandais avancent que Mme Pham souhaitait avoir des contacts avec ses compatriotes et que, dans la

mesure où l’obligation de séparation vise à protéger le ressortissant d’un pays tiers, celui-ci peut y renoncer à condition d’être dûment informé des droits dont il dispose.

(31) Voy. en ce sens également, I. majcHer, « The EU Returns Directive and the Use of Prisons for Detaining Migrants in Europe », Eu law analysis, 2014, disponible sur eulawa-nalysis.blogspot.be/2014/07/the-eu-returns-directive-and-use-of.html (dernière consultation mars 2016).

(32) CJUE (Gde ch.), 17 juillet 2014, (Adala Bero contre Regierungspräsidium Kassel (C-473/13) et Ettayebi Bouzalmate contre Kreisverwaltung Kleve, (C-514/13)), § 25. Le Pro-cureur général Y. Bot l’y invitait pourtant expressément, en se référant aux situations par-ticulières énoncées à l’article 18 pour justifier une dérogation à la rétention dans un centre spécialisé uniquement « s’il existe des motifs exceptionnels et légitimes, tels que ceux qui se-raient tirés de l’état de nécessité, exprimant sans contestation possible que la mise en balance des intérêts impose cette solution », Conclusions de l’avocat général Y. Bot, du 30 avril 2014, dans les affaires jointes Thi Ly Pham et Bero et Bouzalmate (C-473/13 et C-514/13), pt 136.

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pèce qui lui est soumis et considère que la structure administrative d’un État fédéral ne peut justifier une dérogation au principe de la rétention dans un centre spécialisé (33). Des précisions auraient pourtant été les bienvenues : en 2014, la Commission relevait que la moitié seulement des États membres plaçaient systématique-ment les ressortissants de pays tiers dans un centre de rétention spécialisé (34).

Le paragraphe 2 de l’article 16 de la directive énumère les garan-ties auxquelles les ressortissants de pays tiers ont droit sitôt qu’ils sont placés en rétention. Ainsi, ils doivent pouvoir contacter, à leur demande, un représentant légal, les membres de leur famille ou encore les autorités consulaires compétentes (35). Des soins médi-caux sont prodigués aux personnes qui en ont besoin et le centre de rétention doit veiller à rendre accessible le règlement d’ordre intérieur applicable (36). Afin de s’assurer que l’ensemble de ces garanties sont observées, l’article 16, paragraphe 4, accorde la pos-sibilité pour des organisations nationales, internationales ou non gouvernementales de visiter les lieux de rétention, le cas échéant, sur autorisation. Ces garanties, consacrées par la directive, n’ont, à ce jour, pas fait l’objet de questions préjudicielles de sorte que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme consti-tue, sur ces points particuliers et, plus généralement, en ce qui concerne les conditions matérielles de la rétention, un cadre de référence plus utile (37).

B. – Analyse critique de l’action du juge à l’aune des droits fondamentaux

La Cour de justice, lorsqu’elle interprète la directive retour dans le cadre du contentieux préjudiciel qui lui est soumis, indique le sens à donner aux dispositions de celle-ci, en ce compris aux

(33) CJUE (Gde ch.), 17 juillet 2014, (Adala Bero contre Regierungspräsidium Kassel (C-473/13) et Ettayebi Bouzalmate contre Kreisverwaltung Kleve, (C-514/13)), pts 28-30.

(34) COM(2014) 199 final du 28 mars 2014, précité, p. 23.

(35) Le caractère non automatique de ces droits, en ce qui concerne la prise de contact avec les autorités consulaires, peut s’avérer salutaire dans le cas où le ressortissant fuit précisément les autorités de son État.

(36) Art. 16, §§ 3 et 5.

(37) Nous n’analyserons pas, dans la présente contribution, les garanties spécifiques qui entourent la rétention des personnes les plus vulnérables, c’est-à-dire les personnes malades, victimes de mauvais traitement ou encore les mineurs d’âge, dont le régime de rétention est fixé à l’article 17 de la directive.

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positions relatives au régime de la rétention. Il paraît dès lors intéressant d’examiner si les juges de Luxembourg adoptent une posture particulière au regard des droits fondamentaux lorsqu’ils répondent aux questions préjudicielles relatives à la rétention po-sées par les juges nationaux (deuxième sous-section). Le contexte dans lequel s’inscrit le régime de la rétention, à savoir celui de la directive retour, est bien entendu déterminant à cet égard (pre-mière sous-section).

1. le contexte dans lequel s’inscrit le régime européen

de la rétention

À l’heure actuelle, la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier n’est prohibée par aucune norme de droit inter-national, pas même en ce qui concerne les personnes les plus vul-nérables (38). Tant le Conseil de l’Europe que l’Union européenne considèrent que le droit des États de réglementer souverainement le séjour sur leur territoire comprend la possibilité de priver les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier de liberté dans certaines circonstances (39). Loin de faire figure d’exception, la rétention est d’ailleurs devenue, pour de nombreux États, un véri-table outil de gestion de la migration irrégulière, ces derniers y recourant presque systématiquement (40).

La directive s’inscrit dans cette perspective générale. En rédui-sant le phénomène migratoire à la dichotomie entre le séjour ré-gulier et celui qui ne l’est pas (41), elle justifie l’emploi de tous

(38) A. desWaef et V. van der plancke, « À quand la fin de l’enfermement des mi-grants? », J.T., 2012, p. 627.

(39) Voy. not. Cour eur. D.H., arrêt Saadi c. Royaume-Uni, du 29 janvier 2008, § 64. (40) I. atak, L’européanisation de la lutte contre la migration irrégulière et les droits

humains des migrants. Une étude de politiques de renvois forcés en France, au Royaume-Uni et en Turquie, op. cit., pp. 304 et s. La Cour européenne des droits de l’homme tente

d’effectuer une recherche systématique des solutions alternatives qui existent dans le droit des États membres. Parmi celles-ci, nous pouvons mentionner l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, l’obligation d’établir un hébergement dans un lieu défini par les autorités ou encore l’obligation de remise de passeports et de documents. Bien que ces mesures sont plus adaptées dans de nombreux cas, il ne faudrait pas, sous prétexte qu’elles constituent une alternative à la rétention, faire l’économie de l’examen du respect des prin-cipes de nécessité et de proportionnalité lors de leur application. S’il ne s’agit effectivement pas de mesures privatives de liberté, elles constituent à tout le moins des restrictions à la liberté de circulation des personnes concernées, garantie à l’article 2 du quatrième protocole additionnel à la CEDH, voy. Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et Cour européenne des droits de l’homme, op. cit., p. 158.

(41) La directive ne s’applique en principe qu’aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (voy. art. 2 de la directive).

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les moyens nécessaires pour éliminer la source de l’irrégularité, c’est-à-dire pour éloigner les ressortissants de pays tiers sans titre de séjour du territoire de l’Union. La directive met ainsi sur pied une procédure organisant l’éloignement des ressortissants de pays tiers dont l’efficacité constitue l’un des objectifs centraux. Moyen-nant le respect du principe de proportionnalité, la rétention de-vient alors un « mal nécessaire » afin de préserver l’intérêt général – qui s’accommode mal des situations irrégulières – au détriment d’intérêts particuliers – la liberté des ressortissants de pays tiers. Néanmoins, en démocratie, la liberté demeure la règle et la pri-vation de celle-ci l’exception. Dans la mesure où la détention d’une personne constitue une entrave majeure à sa liberté personnelle et à son droit, socle de tous les autres, d’aller et de venir, le régime de la rétention des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier doit être assorti d’un ensemble de garanties matérielles et procédu-rales visant à éviter l’arbitraire. Or, le titre V de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qui fonde la compétence de l’Union en matière d’immigration, ne contient aucune disposition protectrice des droits fondamentaux des ressor-tissants de pays tiers (42). Il incombait donc à la directive retour de garantir ces droits, ce à quoi elle s’emploie en mentionnant à de nombreuses reprises la nécessité d’en assurer le respect.

Cependant, le consensus auquel sont ainsi parvenus les législa-teurs européens en vue d’assurer un équilibre entre cet impératif de protection des droits fondamentaux d’une part et celui d’effec-tivité de la procédure de retour d’autre part s’assimile davantage à un cadre commun vers lequel les États sont appelés à converger plutôt qu’à un instrument véritablement contraignant, tant les concepts utilisés sont vagues et laissent une importante marge d’appréciation aux États (43). En particulier, l’article 15 relatif à la rétention a été l’un des plus débattus et des plus polémiques lors de l’adoption de la directive (44). En conséquence, il existe actuellement de fortes variations au niveau de la mise en œuvre pratique de cette disposition (45).

(42) A. WiesBrock, « sources of law, regulatory processes and enforcement mechanisms in EU migration policy : the slow decline of national sovereignty », 20 MJ 3, 2013, p. 425.

(43) Ibid., pp. 424-425.

(44) Fundamental Rights Agency (FRA), Report Detention of third-country nationals in

return procedures, Forword of Morten Kjaerum.

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Dans ce contexte plutôt ambigu, l’action de la Cour de justice de l’Union européenne se fait d’autant plus attendue. La méthode d’interprétation adoptée par la Cour au fil des différents arrêts qu’elle a rendus dans le domaine de la rétention fera l’objet de la prochaine section.

2. le rôle d’interprétation du régime de la rétention

par le juge de l’union

La confusion entre politique migratoire et questions sécuri-taires, toujours plus palpable dans le discours des États membres, contribue à renforcer la dynamique de durcissement à l’égard du séjour irrégulier, et en conséquence, à intensifier l’usage du pouvoir coercitif (46). Or, l’interprétation que donne la Cour aux articles 15 et 16 de la directive est susceptible d’impliquer des conséquences majeures sur les régimes nationaux de la rétention ; à la faveur d’un dialogue entre deux juridictions, l’une nationale, l’autre internationale, les États membres sont ainsi confrontés à de nouvelles obligations qui ne rencontrent pas nécessairement leurs objectifs migratoires restrictifs (47). Dans ce contexte, la Cour, aux prises entre les enjeux sécuritaires et les impératifs de protection des droits fondamentaux, semble principalement soucieuse de faire passer ses jugements pour acceptables au sein des États membres (48). Elle se considère avant tout comme la garante de l’application uniforme et adéquate du droit matériel de l’Union (49) et veille davantage à consolider l’acquis commu-nautaire qu’à se poser en défenderesse systématique des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

(46) Y. afia kramo, « The european union’s response to irregular migration and the problem of criminalisation », NJECL, 2014/1, pp. 27-28.

(47) M.-L., Basilien-gaincHe, « La démocratie et les limbes : le confinement des immi-grants dans un espace public juridictionnalisé », in Y.-C. zarka (dir.), Repenser la démocratie, Paris, Armand Colin, 2010, pp. 296 et 297.

(48) Y. afia kramo, « The european union’s response to irregular migration and the problem of criminalisation », op. cit., p. 47. Ceci pourrait témoigner de la sensibilité de la Cour à l’égard de la crise de légitimité que traverse l’Union à l’heure actuelle et a fortiori dans un domaine au cœur des prérogatives régaliennes de l’État.

(49) G. de Búrca, « After the EU charter of fundamental rights: the court of justice as a human rights adjudicator? », 20 MJ 2, 2013, p. 182. À cet égard, l’intention des pères fondateurs de l’Union européenne a, sans nul doute, son importance. Ceux-ci n’ont jamais eu à dessein la création d’une juridiction chargée de la protection des droits fondamentaux, à l’instar des cours constitutionnelles nationales, voy. L. azoulai, « Le rôle constitutionnel de la Cour de justice des Communautés européennes tel qu’il se dégage de sa jurisprudence »,

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En conséquence, elle n’interprète pas automatiquement la direc-tive dans le sens de la protection la plus large possible des droits fondamentaux de ces derniers.

À titre d’exemple, alors que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a valeur de droit primaire depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Cour se montre réticente à faire usage de celle-ci dans l’interprétation qu’elle donne à la direc-tive (50). Pourtant, l’article 51 de la Charte rend celle-ci opposable aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Bien que le concept de « droit de l’Union » pose quelques difficultés, les actes juridiques émanant d’un État dans un domaine réglé par une directive sont incontestablement concernés, de sorte que les dispositions nationales relatives au régime de la rétention des res-sortissants de pays tiers tombent dans le champ d’application de la Charte (51). De plus, celle-ci s’applique, à quelques exceptions près, tant aux citoyens européens qu’aux ressortissants de pays tiers, en ce compris en séjour irrégulier, et certaines de ses disposi-tions, telles que l’article 6 consacrant le droit à la liberté, l’article 3 garantissant le droit à l’intégrité et, enfin, l’article premier qui consacre la dignité humaine se révèlent d’un intérêt particulier dans le cadre de la rétention. Pourtant, alors même que l’avocat général voire le juge a quo font expressément référence à certaines dispositions de la Charte, notamment dans l’arrêt Mahdi, la Cour préfère se rattacher à la lettre de la directive et, dans le silence du texte, aux droits fondamentaux en tant que principes géné-raux (52). Ceux-ci font certes partie du droit de l’Union en vertu de l’article 6, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne (TUE) et ils ont une valeur supérieure au droit dérivé mais ils demeurent inférieurs, dans la hiérarchie des normes européennes,

(50) Alors que la Charte a aussi un rôle interprétatif du droit secondaire de l’Union, voy. V. depaigne, « La Charte des droits fondamentaux : un socle autonome pour la protection des droits dans l’Union européenne », J.D.E., 2015, p. 105.

(51) A. Bailleux, « Les droits de la défense et les (autres) droits fondamentaux devant les juridictions de l’Union européenne », Contentieux de l’Union européenne. Questions

choi-sies, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 58 à 60.

(52) La juridiction bulgare qui interroge la Cour dans l’arrêt Mahdi propose une lecture combinée de l’article 15, §§ 3 et 6, et des articles 6 et 47 de la Charte (CJUE (3e Ch.), 5 juin

2014, (Bashir Mohamed Ali Mahdi), aff. C-146/14 PPU, pt 31). L’avocat général propose, quant à lui, de lire l’article 15, §§ 2 et 3 de la directive, en combinaison avec l’article 47 de la Charte. La Cour ne suivra aucune de ces suggestions. De même, les références à la Charte – et notamment à l’article 1er de celle-ci qui consacre le principe de la dignité humaine – de

l’avocat général Y. Bot dans les conclusions qu’il rend dans les affaires Thi Ly Pham et Bero

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à la Charte (53). De même, alors que la jurisprudence de Luxem-bourg en matière de rétention se révèle respectueuse de la Conven-tion européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par les juges de Strasbourg, la Cour ne se réfère pas aux arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme (54). Enfin, dans l’ar-rêt Thi Li Pham, la Cour s’abstient de faire une référence à une décision du Comité de torture qui condamne déjà l’Allemagne en ce qu’elle place les ressortissants de pays tiers avec les prisonniers de droit commun, alors que l’Avocat général avait expressément fait mention de celle-ci dans ses conclusions générales (55).

Des arrêts analysés, il ressort que la Cour s’est saisie du conten-tieux concernant la rétention de manière prudente. Elle se retient de « faire jurisprudence » et tranche l’affaire qui lui est soumise en se gardant autant que possible d’en déduire un enseignement à portée générale. Le manque de précision qui entoure les arrêts de la Cour concernant les conditions du placement en rétention et la prolongation de celle-ci laisse dans l’ombre les exigences de néces-sité et de proportionnalité qui constituent pourtant les garanties les plus importantes de la directive au regard du régime de la réten-tion (56). Ainsi, si pour d’autres aspects de la directive, tels que la criminalisation du séjour irrégulier ou le contenu du droit d’être entendu, la primauté accordée par la Cour à l’objectif d’effectivité de la procédure de retour sur la protection des droits de l’homme a pu être critiquée, dans le domaine de la rétention, c’est davantage la réserve dont fait preuve la Cour qui pose question.

Ainsi, elle n’a pas fait preuve de l’audace nécessaire à la créa-tion d’un ordre juridique nouveau dans lequel les droits fondamen-taux seraient au cœur du débat. La rétention des ressortissants de pays tiers, à défaut d’être remise en question dans son principe, puisqu’elle est consacrée par la directive, aurait à tout le moins pu être marginalisée. Or, on voit que ceci n’est pas le cas : La Cour ne crée pas l’impulsion nécessaire pour y parvenir mais s’inscrit dans la dialectique sécuritaire dictée par les États. Pourtant, l’utilité de

(53) S. Janssens et P. roBert, « Le droit d’être entendu en matière d’asile et migration : perspectives belge et européenne », RDE, n°174, 2013, p. 388.

(54) J.-Y. carlier et L. leBoeuf, « Droit européen des migrations Chroniques », J.D.E., 2015, p. 121.

(55) Conclusions de l’avocat général Y. Bot, du 30 avril 2014, dans les affaires jointes

Thi Ly Pham et Bero et Bouzalmate (C-473/13 et C-514/13), pt 107.

(56) M.-L. Basilien-gaincHe, « Immigration Detention under the Return Directive: the CJEU Shadowed Lights », EJML, vol. 17/1, Leyde, Brill Academic Publishers, 2015, p. 114.

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la rétention à l’aune de l’efficacité de la procédure de retour n’est étayée par aucune donnée chiffrée, comme en atteste le récent rap-port sur la rétention du réseau européen des migrations (57).

Tout en gardant à l’esprit ce qui vient d’être exposé, nous ne pou-vons cependant ignorer que l’adoption de la directive retour et son interprétation par le juge de l’Union ont également eu des retombées positives dans un domaine profondément souverainiste où les droits fondamentaux sont rapidement relégués au second plan. L’interpré-tation, par la Cour de justice, des articles 15 et 16 de la directive, contribue en effet à renforcer le droit de l’Union et à contenir l’action des États membres, dont certains font preuve d’un repli identitaire manifeste, dans les limites de l’État de droit. Ainsi, les arrêts ren-dus dans les affaires Kadzoev, Mahdi, Bero et Bouzalmate et Thi Ly

Pham, toutes quatre concernant le régime de la rétention, permettent

de nouvelles avancées – quoique limitées mais réelles –, des libertés fondamentales des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

conclusion

Les évènements internationaux récents entraînent des dépla-cements de population importants et des centaines de milliers d’individus franchissent chaque année les frontières externes de l’Union, sans nécessairement se conformer aux exigences euro-péennes et nationales en la matière. En raison notamment de la crise économique et financière que traversent les États membres et du discours sécuritaire qui prévaut actuellement, ces déplace-ments massifs tendent à augmenter le nombre d’individus concer-nés par un retour forcé. En conséquence, le contentieux relatif à la rétention porté devant la Cour de justice de l’Union européenne est amené à s’intensifier. Dans ce contexte, l’action de la Cour au regard des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier revêt une importance toute particulière et pour-rait permettre à Luxembourg de devenir une enceinte privilégiée où ces ressortissants de pays tiers pourraient faire entendre leur voix concernant le respect de leurs droits fondamentaux.

(57) EMN (2014), La détention et les alternatives à la détention dans le contexte des

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