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L'insertion du concept de développement durable aux règles internationales et aux programmes nationaux et locaux de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel : regard croisé Québec - Maroc

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L’INSERTION DU CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT

DURABLE AUX RÈGLES INTERNATIONALES ET AUX

PROGRAMMES NATIONAUX ET LOCAUX DE

SAUVEGARDE DU PATRIMOINE CULTUREL

IMMATÉRIEL

Regard croisé Québec — Maroc

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l‘Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en Droit international et transnational

pour l‘obtention du grade de Maître en droit (L.L.M)

FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2013

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RÉSUMÉ

L‘intérêt porté à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel remonte aux années 1970 avec le premier instrument à vocation internationale visant la protection du Folklore, Opportunité d’assurer au plan international une protection du Folklore (1975). Jusqu‘à l‘adoption de la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003), plusieurs instruments se sont succédés faisant avancer la notion de ‗patrimoine culturel immatériel‘. Au même moment émerge le concept de ‗développement durable‘. Mais le lien qu‘entretiennent ces deux notions dépasse leur évolution simultanée. Cette étude aura pour objet d‘analyser l‘insertion du concept de développement durable dans les règles internationales de préservation du patrimoine culturel immatériel du début du XXe siècle jusqu‘à nos jours. Aussi elle se penchera sur les programmes nationaux et locaux mis en œuvre dans ce domaine par la province du Québec et le Royaume du Maroc.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... II REMERCIEMENTS ... VI INTRODUCTION ... 1 PARTIE PRÉLIMINAIRE : AUTOUR DES NOTIONS DE PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE ... 7 Section 1. La notion de patrimoine culturel immatériel ... 8 1. Le patrimoine culturel immatériel, une notion à appellation et définition complexes ... 8 2. Les concepts de ‗sauvegarde‘ et de ‗protection‘ rattachés à la notion de patrimoine culturel immatériel ... 14 3. Le patrimoine culturel immatériel entre ‗tangible‘ et ‗intangible‘ ... 19 Section 2. Le concept de ‗développement durable‘ et son rapport avec le patrimoine culturel immatériel ... 24 1. L‘émergence du concept de ‗développement durable‘ ... 24 2. Le concept de développement durable en lien avec le patrimoine culturel immatériel ... 28 Section 1 : L‘émergence du concept de développement durable dans la réflexion sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ... 42 1. La genèse de la réflexion sur le patrimoine culturel immatériel sous un aspect de ‗développement durable‘ ... 42 1.1 L‘anthropologie culturelle du début du XXe siècle en faveur de la transmission de la culture ... 43 1.2 L‘interdépendance du social et de la culture selon les conceptions anthropologiques du milieu du XXe siècle ... 45 1.3 Le patrimoine perçu comme processus nécessitant la participation des communautés selon les anthropologues de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle ... 47 2. L‘évolution de la notion de développement durable dans les instruments et initiatives internationaux de préservation du patrimoine culturel immatériel ... 48 2.1 Prise en compte minime de la philosophie du développement durable dans les prémisses de la réflexion sur la protection du folklore et de la culture traditionnelle et populaire dans les années 1970-1980 ... 48 2.2 Un rattachement progressif de la pensée sur la préservation du patrimoine culturel immatériel avec le développement durable dans les années 1990. ... 55 2.3 Une reconnaissance explicite de la contribution du patrimoine culturel immatériel au développement durable avant l‘élaboration de la Convention de 2003 ... 62 Section 2 : L‘insertion du concept de développement durable dans la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) ... 65

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1. L‘interdépendance de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et du développement durable prévue par la Convention ... 66 1.1 La signification de l‘inclusion du terme ‗développement durable‘ dans le texte de la Convention et sa portée ... 66 1.2 La philosophie du développement durable insérée dans la Convention ... 69 1.3 La pratique des États membres vers une inclusion du concept de développement durable dans les mesures nationales et locales visant à mettre en œuvre la Convention ... 75 2. Les enjeux sur le plan anthropologique et ethnologique de l‘inclusion du développement durable dans la Convention ... 84 2.1 Les difficultés soulevées par l‘insertion du développement durable au sein de la Convention de 2003 ... 85 2.2 La Convention de 2003 au service du caractère englobant du patrimoine culturel immatériel selon les anthropologues et ethnologues ... 86 DEUXIÈME PARTIE : LE CONCEPT DE DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS L‘APPLICATION DES RÈGLES DE LA CONVENTION SUR LA SAUVEGARDE DU PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL ... 91 Section 1 : La ‗perspective‘ de développement durable attribuée aux mesures nationales de préservation du patrimoine culturel immatériel ... 92 1. Les lois portant sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ... 92 1.1 La Loi québécoise sur le patrimoine culturel (2011) ... 93 1.2 L‘encadrement législatif de la préservation du patrimoine culturel au Maroc ... 104 2. Les initiatives gouvernementales relatives à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ... 114 2.1 Une perspective de développement durable incorporée aux mesures prises par le Ministère de la Culture et des Communications et de la Condition féminine du Québec pour préserver le patrimoine culture immatériel ... 114 2.2 Les actions entreprises par le Ministère de la Culture du Royaume du Maroc ... 123 Section 2 : L‘inclusion du concept de développement durable dans les programmes et politiques locaux de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ... 125 1. L‘action des villes québécoises et marocaines pour la préservation du patrimoine culturel immatériel sous la condition du développement durable ... 125 1.1 L‘affirmation des villes québécoises pour un développement culturel ... 126 1.1.1 L‘engagement des grandes villes québécoises dans la mise en œuvre de l‘Agenda 21 de la culture ... 126 1.1.2 Les politiques patrimoniales des villes de Québec et de Montréal ... 133 1.2 Une faible place accordée aux villes comme gestionnaires du patrimoine urbain marocain ... 136 2. Les programmes des organisations non gouvernementales pour la préservation du patrimoine immatériel au service du développement durable ... 138 2.1 L‘action du Conseil québécois du patrimoine vivant ... 138 2.2 L‘engagement de l‘association ArtSouk au Maroc ... 141

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3. La mobilisation d‘institutions muséales en faveur de la sauvegarde du patrimoine

culturel immatériel dans un cadre de développement durable ... 143

3.1 La Société réseau économusée du Québec ... 143

3.2 L‘écomusée berbère de la vallée de l‘Ourika, Maroc ... 145

CONCLUSION ... 147

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REMERCIEMENTS

J‘aimerais ici remercier toutes les personnes sans qui la réalisation de ce mémoire n‘aurait pas été possible.

Tout d‘abord, j‘aimerais exprimer ma reconnaissance à mes directeurs de recherche : ma directrice de recherche principale de la Faculté de Droit, Madame Véronique Guèvremont, pour sa disponibilité et sa supervision compétente et mon codirecteur du département d‘Histoire, Monsieur Mohamed Habib Saïdi, pour l‘aide apportée pour les thèmes reliés à l‘ethnologie.

Ensuite, j‘aimerais remercier le professeur Georges Azzaria et Monsieur Cyril Simard pour leur encadrement et leur soutien tout au long du mémoire et pour les multiples conseils pertinents donnés en la matière ainsi que le professeur Laurier Turgeon qui m‘a permis de débattre de mon sujet au sein de ses cours et m‘a fait part de son expertise d‘ethnologue.

Aussi, je tiens à saluer très chaleureusement les personnes qui m‘ont accueillie dans leurs bureaux ou pour qui je me suis activement investie aux fins de ma recherche-terrain. Au Québec : Antoine Gauthier, Karine Laviolette, Cyril Simard, Réjean Tardif, et tous les représentants des économusées du Québec.

Au Maroc : Said Aozou, Sadek Er-Rouane, Khalid, Driss Khrouz, Nazha Goundiz, Abdelati Lahlou, Laura Lallement, Malek Leghrairi, Zoubida Mseffer, Mustapha Nami, Miri Rahma, Romain Simenel, Ahmed Skounti, Ouidad Tebba.

Un grand merci également aux amis qui m‘ont accompagnée sur le terrain que cela soit dans la province du Québec ou au Maroc : Alexandre Camire Guay, François Genest, Suzie Michaud (dans la province du Québec), Andréanne Boucher Poulin (au Maroc).

Enfin, ceux qui m‘ont supportée moralement soit par la relecture ou le suivi actif de ce travail, méritent des remerciements : Thomas Alexandre, Patrice Alexandre, Tomy Deschênes, Claire Joachim, Nicholas Jobidon, Sylvia Lacaisse, Ivana Otasevic.

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INTRODUCTION

La directrice générale de l‘UNESCO, Irina Bokova, soulignait le 3 décembre dernier, à l‘occasion de la septième session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l‘UNESCO, l‘effort des États membres pour la mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003). Les initiatives entreprises par ces derniers « démontrent le formidable effet de levier du patrimoine immatériel pour l‘inclusion sociale, la créativité, le développement durable », selon elle. Se référant à l‘évaluation de leurs Rapports périodiques par le Comité intergouvernemental1, la Directrice générale affirmait l‘intérêt de concilier la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel aux objectifs de développement durable. Son allocution renvoie à une longue réflexion qui démarre au sein de l‘UNESCO dès les années 1970.

La nécessité de préserver les cultures traditionnelles et populaires se ressent dans les années 1950 au moment de l‘accession à l‘indépendance de nombreux pays. Exprimant le désir de créer une Société reflétant l‘identité de ses nouveaux habitants, les États réfléchissent à des moyens pour protéger leurs traditions. Deux décennies plus tard, la Communauté internationale s‘interroge sur des mécanismes assurant la protection du Folklore. Le document Opportunité d’assurer au plan international une protection du Folklore (1975)2 est établi dans cette voie. Mais, ce n‘est que dans les années 1980, avec la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire (1989), que la « culture traditionnelle et populaire » est visée par un texte juridique. À partir de ce moment, de nombreux instruments juridiques et initiatives internationaux se succèdent et font évoluer la réflexion sur ce que l‘on nomme au début des années 2000, le ‗patrimoine culturel immatériel‘. Le premier traité définissant cette notion et encadrant l‘action des États en la

1 Son excellence Irina Bokova, Discours de la Directrice générale de l‘UNESCO, à l‘occasion de la 7ème session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, UNESCO, 3 décembre 2012.

2 Opportunité d’assurer au plan international une protection du Folklore, Doc. off. Comité de la Convention de 1971 1ère sess, annexe, Doc. NU B/EC/XI/II-IGC/XR.1(1971)/15 (1975) Opportunité d’assurer au plan

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matière est la Convention de l’UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003). En vertu de cet instrument, le patrimoine culturel immatériel désigne des « pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire … transmis de génération en génération, … recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire … »3. La Convention de l‘UNESCO rajoute dans la définition de ce patrimoine culturel sa conformité avec le ‗développement durable‘. Le patrimoine culturel immatériel, visé par la Convention, doit, entre autres, répondre à cette exigence pour être qualifié comme tel. Un lien entre le patrimoine culturel immatériel et le développement durable de dessine alors à travers ce traité.

Le premier instrument de droit international à rendre compte des effets néfastes de l‘Homme sur l‘environnement et à insérer les objectifs environnementaux dans le processus de développement est la Déclaration de Stockholm (1972)4. Mais ce texte n‘évoque que le ‗développement‘ et aucune allusion expresse n‘est faite au développement durable, lequel concept apparaît avec le Rapport Brundtland (1987). En vertu de celui-ci, le développement durable a pour visée « de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité de satisfaire ceux des générations futures »5. Ce concept évolue par la suite pour être érigé en trois piliers grâce à l‘apport de la Déclaration de Johannesburg (2002)6 . La conciliation des dynamiques économiques, sociales et environnementales permet dorénavant d‘atteindre le développement durable. Pour y parvenir, les principes de développement durable, sont définis et répondent, pour beaucoup, à l‘idéologie du patrimoine culturel immatériel.

Le concept de ‗développement durable‘ et la notion de ‗patrimoine culturel immatériel‘ évoluent donc en parallèle et de manière simultanée. Mais ce constat ne suffit pas à

3 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 17 octobre 2003 Convention sur le PCI à l‘article 2.1.

4 Déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement, Doc. CNUE (1972) Déclaration Stockholm.

5 Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement « Notre avenir à tous », Doc. off. AGNU, 42ème sess., Annexe, Doc. NU A/42/427 (1987) Rapport Brundtland.

6 Déclaration de Johannesburg sur le développement durable, Rés. CNUED 1, 17ème séance plén., Doc NU A/CONF.199/20 (2002) Déclaration de Johannesburg sur le développement durable.

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exprimer le lien qui se tisse entre les deux notions. De nombreux textes relatifs à la préservation du patrimoine culturel immatériel incorporent le concept de développement durable. Il convient de s‘interroger sur la portée de cette affirmation. Dans quelle mesure le concept de développement durable s‘insère dans les mécanismes de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel ? Pour répondre à cette question, les principes de développement durable, lesquels mettent en œuvre le concept de développement durable, seront identifiés et constitueront le cadre à cette analyse.

Une réflexion sur deux niveaux a été jugée nécessaire aux fins de cette étude. Tout d‘abord, on se demandera comment le développement durable est inséré dans les règles internationales de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Une pensée conciliant le développement durable et le patrimoine culturel immatériel émerge dès le début du XXe siècle et donne un cadre à la Convention de 2003. Préalables à ce traité, plusieurs initiatives internationales sont, en effet, menées pour préserver le patrimoine culturel immatériel et font ressortir la philosophie du développement durable. L‘apport de ces travaux, qu‘ils soient juridiques ou ethnologiques, est fondamental dans le sens où ceux-ci font évoluer la réflexion relative à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en l‘inscrivant progressivement dans un processus de développement durable. On examinera ensuite les politiques et programmes nationaux et locaux visant à respecter l‘esprit de cet instrument. Un regard croisé entre le Québec et le Maroc permettra de constater l‘incorporation du développement durable au sein des stratégies nationales et locales de préservation du patrimoine culturel immatériel.

Les programmes novateurs mis en place dans ces deux régions en matière de préservation du patrimoine culturel immatériel dans un cadre de développement durable ont confirmé indubitablement cette sélection. Aussi, il est intéressant d‘étudier la politique patrimoniale du Royaume du Maroc, pays en développement partie à la Convention de 2003, en parallèle aux programmes mis en œuvre par le Québec, lequel n‘est pas lié par ce traité. Il convient de préciser ici que notre projet ne présentera pas une approche de droit comparé entre la province du Québec et le Royaume du Maroc. Les politiques patrimoniales en vigueur dans les deux régions seront analysées de manière parallèle et non pas dans un but de

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confrontation. De cette manière, nous parlerons de « regard croisé ». Il est aussi à noter que, compte tenu du refus du Canada d‘adhérer à la Convention, le Québec n‘est pas contraint de la mettre en œuvre, mais il a néanmoins choisi de s‘inspirer du texte dans l‘élaboration de ses lois et ses mesures nationales. Dans le cas précis de cette province, l‘analyse portera donc sur les mesures entreprises par cette dernière, non pas pour se conformer, mais plutôt pour respecter l‘esprit de l‘instrument juridique international.

Aux côtés des réflexions juridiques relatives à l‘insertion du concept de développement durable aux mécanismes de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, une réflexion est menée sur cet aspect par les anthropologues et les ethnologues. L‘apport de ces chercheurs est primordial dans la mesure où ils sont pionniers de la pensée sur le patrimoine culturel immatériel. S‘inspirant des théories émanant des folkloristes du milieu du XIXe siècle, ils se sont questionnés au courant du XXe siècle sur la nature du patrimoine. Leurs travaux sont fondamentaux pour notre étude, car il donne une application concrète aux problèmes soulevés sur le plan juridique au regard du patrimoine culturel immatériel. Par le biais de leur approche ethnographique7, ces chercheurs sont plus proches des préoccupations des communautés locales concernant la perpétuation des traditions et des savoir-faire.

La démarche méthodologique empruntée à cette étude diffère selon qu‘elle est située sur le plan international, national ou local. Alors que dans un premier temps, un examen des textes pertinents sur le patrimoine culturel immatériel et le développement durable a fondé essentiellement notre recherche et lui a donné un aspect plus théorique, une expertise a été menée, dans un second temps, sur les terrains québécois et marocain. Le déplacement dans ces régions s‘est avéré nécessaire afin de recueillir des preuves matérielles pour notre analyse.

Trois axes d‘étude ont été choisis aux fins de notre analyse. Une partie préliminaire viendra, tout d‘abord, clarifier les termes de ‗patrimoine culturel immatériel‘ et de ‗développement durable‘ afin de montrer le rapport que ces deux notions entretiennent entre elles. Nous examinerons ensuite, dans le cadre d‘une première partie, l‘insertion du

7 Sylvaine Camelin, Sophie Houdart, L’ethnologie, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2010, à la p 4 : l‘ethnographie consiste à « rendre compte d‘observations recueillies sur le terrain et à  collecter des faits ».

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concept de développement durable au sein des règles internationales de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Cette étude démarrera au début du XXe siècle avec la réflexion menée par les anthropologues et les ethnologues sur le patrimoine culturel immatériel. Plusieurs instruments internationaux portant préservation du patrimoine culturel immatériel et qui ont précédé l‘adoption de la Convention de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel en 2003, seront aussi analysés. Sur le fondement de ce dernier traité, le Royaume du Maroc et la province du Québec établissent des stratégies nationales et locales alors que le devoir de transposition impute à la première région et non pas à la deuxième, laquelle n‘est pas liée par la Convention de 2003. Prises dans une perspective de développement durable, ces mesures seront examinées dans une seconde partie.

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PARTIE PRÉLIMINAIRE : AUTOUR DES NOTIONS DE PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL ET DE DÉVELOPPEMENT DURABLE

« Le patrimoine culturel est non seulement un instrument de paix et de réconciliation, mais aussi un facteur de développement »8 rappelle en 2002 M. Koïchiro Matsuura, dans le cadre de l‘Année des Nations Unies pour le patrimoine culturel. L‘ancien Directeur général de l‘UNESCO appelle ainsi au renouveau du concept de patrimoine culturel9. Alors qu‘en 1945, le patrimoine était pensé comme un élément au service de la liberté et du respect de tous les peuples10, d‘autres préoccupations découlent de cette notion de nos jours. Une nouvelle perspective du patrimoine culturel apparaît : son lien avec le développement durable.

Le « patrimoine culturel immatériel » (ci-après PCI) est visé par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l‘UNESCO (2003). Il s‘agit du premier instrument juridique contraignant qui définit la notion. Cet héritage doit « être conforme … à l‘exigence … d‘un développement durable »11. Le lien que pose ce traité et qui est,

d‘ailleurs, suggéré antérieurement par d‘autres textes internationaux12, mérite une attention particulière. Qu‘entend-on par ‗sauvegarder le PCI ?‘, que suppose le ‗développement durable‘ ? Une analyse minutieuse de ces notions est, en effet, primordiale afin de démontrer la relation qu‘elles entretiennent.

8 UNESCO, Communiqué de presse 2002-18, « Année des Nations Unies pour le patrimoine culturel : priorité à la réconciliation et au développement » (2002).

9 Les réflexions autour du patrimoine ont démarré en 2002, alors que cette année a été baptisée par l‘ONU « Année des Nations Unies pour le patrimoine culturel ». Voir Rapport du Directeur général de l’UNESCO

sur l’Année des Nations Unies pour le patrimoine culturel 2002 et son suivi, Doc. UNESCO (2002).

10 Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 16 novembre 1945 à l‘article 1.

11 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1.

12 L‘évolution de la notion de développement durable dans les instruments internationaux relatifs à la préservation du patrimoine vivant préalables à la Convention sur le PCI (2003), supra note 3, sera abordée dans la Première partie, Section 1. 2.

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Section 1. La notion de patrimoine culturel immatériel

Alors qu‘une volonté se fait ressentir au sein de la communauté internationale de préserver un patrimoine vivant, plusieurs difficultés surgissent. La première complexité réside dans l‘appellation de ce patrimoine. Il a fallu, en effet, plusieurs années pour parvenir à la dénomination de ce patrimoine, le ‗ patrimoine culturel immatériel‘. Il convient d‘établir, en deuxième lieu, le type de protection adapté à cet héritage. Doit-on, tel que la Convention de 1972 sur le patrimoine mondial le prévoit, ‗protéger‘ ce dernier ou bien ‗le sauvegarder‘ ? Alors qu‘envisagé, à premier égard, dans une optique de différenciation avec le patrimoine matériel, il convient enfin de revenir sur cette distinction.

1. Le patrimoine culturel immatériel, une notion à appellation et définition complexes

Le concept de « patrimoine culturel immatériel » est l‘aboutissement d‘un long processus. Préoccupée dans les années 1950 par les traditions orales africaines dont la survie était menacée13, la communauté internationale lance un débat autour d‘un nouveau type de patrimoine : le patrimoine intangible. Mais la réflexion sur ce dernier arrive tardivement. C‘est uniquement dans les années 1970 que celle-ci démarre de manière effective à l‘UNESCO au moment de l‘élaboration de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 197214. Certains États proposent de soumettre le patrimoine immatériel au régime de protection du patrimoine mondial, culturel et naturel15. Même si cette suggestion n‘est pas retenue, force est de constater que la sauvegarde du PCI suscite un intérêt à cette période.

13 Consultation internationale du Programme de l’UNESCO, patrimoine immatériel - Nouvelles perspectives Consultation du Programme de l’UNESCO, Annexe V, Doc. off. UNESCO CLT/ACL/93/IH/01 (1993) à la p 2.

14 Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, 16 novembre 1972 Convention

du patrimoine mondial.

15 Janet Blake, Elaboration d’un nouvel instrument normatif pour la sauvegarde du patrimoine culturel

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Du fait de la menace d‘évanouissement pesant sur le patrimoine immatériel, la communauté internationale réfléchit à un moyen de protéger ce type de patrimoine qui vise à la fois les arts populaires, le folklore et les savoirs traditionnels. Préserver cet héritage dans un cadre de droit d‘auteur a été la première voie empruntée. Le gouvernement bolivien propose, en effet, en 1973, d‘ouvrir un débat sur la protection internationale des arts populaires et du patrimoine culturel au titre de la propriété intellectuelle. Le rejet de cette proposition16 ne ralentit pas la réflexion autour du patrimoine vivant. L‘UNESCO et l‘OMPI travaillent en étroite collaboration de 1978 et 1982 pour établir un cadre de protection des expressions du folklore et aux savoirs traditionnels. Mais, il été convenu en 1978 que ces deux organisations auraient des fonctions différentes dans ce cadre. L‘UNESCO serait en charge de la sauvegarde générale. La protection au titre de la propriété intellectuelle serait du ressort de l‘OMPI17. Dans ce contexte sont élaborées les Dispositions types de législations nationales sur la protection des expressions du folklore contre leur exploitation illicite et autres actions dommageables (1982)18. En 1984, les deux organisations réfléchissent ensemble, sur le fondement de ces dispositions, à un traité encadrant la protection du folklore. Considérant les écarts importants des législations relatives au droit d‘auteur d‘un État à un autre, ce nouvel instrument ne fut, en revanche, pas adopté19.

L‘UNESCO se lance ainsi dès les années 1980 dans un long travail de terminologie. Tantôt qualifié de « culture populaire et traditionnelle »20, « folklore »21, « patrimoine oral et

16 L‘ajout d‘un Protocole sur la protection du folklore à la Convention universelle sur les droits d’auteur fut réclamé par le gouvernement bolivien. La protection de l‘art populaire au titre des droits d‘auteur a été mal reçue par la communauté internationale, laquelle a rejeté ce texte. Voir Angelica Sola, « Quelques réflexions à propos de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » dans Jares A.R Nafziger, Jullio Scovazzi, ed, Le Patrimoine culturel de l’humanité, La Haye, Académie de droit international de la Haye, 2008, 487 Angelica Sola, « réflexions » à la p 492.

17 Burra Srinivas, « The UNESCO Convention for the Safeguarding of the Intangible Cultural Heritage » dans Jares Nafziger A.R, Jullio Scovazzi, ed, Le Patrimoine culturel de l’humanité, la Haye, Academie de droit international de La Haye, 2008 529 Burra Srinivas, « The UNESCO Convention » à la p 531.

18 Dispositions types de législations nationales sur la protection des expressions du folklore contre leur

exploitation illicite et autres actions dommageables, Doc. off. UNESCO et OMPI CPY-85/WS/30 (1982)

Dispositions sur la protection des expressions du folklore.

19 Noriko Aikawa, « Panorama historique de la préparation de la Convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l‘UNESCO » (2004) 56:1-2 Museum International 137 Noriko Aikawa, « Panorama historique » à la p 138.

20 Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire, Rés. CG, Doc. off. CG NU, 25ème sess., 32ème séance plén., Annexe I. B (1989) aux pp 249-253 Recommandation sur la culture

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immatériel »22, « patrimoine vivant »23, « propriété culturelle et intellectuelle », « patrimoine ethnologique »24, le patrimoine étudié est difficilement identifiable25. Face à la variété de textes invoquant cet héritage, priorité a été donnée par l‘UNESCO de rédiger un instrument international contraignant portant uniformisation du concept de patrimoine vivant.

La chercheure Janet Blake a été mandatée par l‘UNESCO en 2000 pour mener une étude sur ce sujet à la lumière de la Convention de 1972. Elle expose ses travaux à l‘occasion d‘une Table Ronde à Turin26. Aux fins de son analyse, elle choisit d‘identifier le patrimoine visé : le ‗patrimoine immatériel‘ et propose des lignes directrices à l‘UNESCO pour la rédaction d‘une définition27. L‘appellation ‗patrimoine culturel immatériel‘ a été, par la suite attribuée par l‘organisation internationale dans le cadre d‘une réunion relative à la terminologie de ce patrimoine en juin 200228. L‘ensemble de ces travaux a abouti à la

21 L‘antiquaire W.S Thoms est le premier à évoquer et définir le « folklore » en tant que « croyances, coutumes, superstitions, traditions, rituels, littératures orales qui représentent des coutumes transmises par oral » dans The Athenaeum, London Journal, 1846. Voir définition de N. Belmont dans Michel Izard, Pierre Bonte, Abélès Marion, dir, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, PUF, 2000. s.v. « folklore » ; voir aussi Centre CIOFF Suisse pour le « Forum Suisse pour le patrimoine culturel immatériel »,

Terminologie relative à la culture traditionnelle et aux expressions du patrimoine culturel immatériel, www.cioff.ch/doc_fr/PCI_Terminologie_F.pdf, page consultée le 24/11/11 ; voir enfin les Dispositions sur la protection des expressions du folklore (1982), supra note 18 où le terme ‗Folklore‘ est encadré de manière

juridique par l‘UNESCO et l‘OMPI.

22 Règlement relatif à la proclamation par l’UNESCO des chefs d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de

l’humanité, Déc. EX/SR.14, 155ème sess., Annexe, Doc. off. UNESCO (1998) aux pp 10-16 Proclamation des chefs d’oeuvre.

23 Wim Van Zanten, « A la recherche d‘une nouvelle terminologie pour le patrimoine culturel immatériel » (2004) 56:1-2 Museum International à la p 38.

24 Les « pratiques culturelles traditionnelles », aujourd‘hui reconnues comme PCI, sont désignées comme relevant du « patrimoine ethnologique » par Jean Du Berger, « Le patrimoine vivant, le concept et l‘action » (1990) 13:2 Annuel de l‘ethnologie 23 à la p 26 ; voir aussi Jean-Louis Tornatore, « Du patrimoine ethnologique au patrimoine culturel immatériel : suivre la voie politique de l‘immatérialité culturelle » dans Chiara Bortolotto, dir, Le patrimoine culturel immatériel. Enjeux d’une nouvelle catégorie, coll ethnologie de France, cahier n°26, Paris, Maison des sciences de l‘homme, 2011, 213 aux pp 213-214. L‘expression de « patrimoine ethnologique » est souvent utilisée en France pour désigner les missions relatives à ce patrimoine.

25 Janet Blake, Elaboration, supra note 15 aux pp 7-8.

26 Rapport final sur la table ronde internationale : « Patrimoine culturel immatériel-définitions opérationnelles », Doc. off. UNESCO (2001).

27 Janet Blake, Elaboration, supra note 15 aux pp 10-12.

28 Wim Van Zanten, dir., Glossaire patrimoine culturel immatériel, La Haye, UNESCO, 2002 Wim Van Zanten, Glossaire.

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rédaction finale de la définition du PCI donnée par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003) de l‘UNESCO29.

On entend par "patrimoine culturel immatériel" les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire — ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d‘identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. (…)30 (nos soulignés).

Plus précisément, le patrimoine culturel immatériel désigne :

(a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel

(b) les arts du spectacle

(c) les pratiques sociales, rituels et évènements festifs

(d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l‘univers (e) les savoir-faire liés à l‘artisanat traditionnel31. (nos soulignés).

Défini de manière large par l‘UNESCO, le PCI doit être compris comme un patrimoine au service de deux éléments : un élément subjectif et un élément objectif32.

Identifié de manière subjective, le PCI est ce que les communautés, individus et groupes reconnaissent comme tel. Cette caractéristique du PCI est au cœur du concept et constitue d‘ailleurs un élément de distinction avec la Convention de 1972, laquelle ne fait pas mention des communautés qui pourraient se prévaloir de l‘esprit d‘un lieu. Sur ce point, la Convention de 2003 diffère également de la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire de 198933 où le champ d‘application de la « culture

29 La Convention sur le PCI (2003), supra note 3, ajoute à la définition donnée par le Glossaire les termes « expressions », « espaces culturels », « groupes », « interaction avec la nature », « développement durable ». 30 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1.

31 Ibid à l‘article 2.2.

32 Angelica Sola, «réflexions», supra note 16 aux pp 494-495.

33 Daphné Voudouri, « Une nouvelle convention internationale relative au patrimoine culturel, sous le signe de la reconnaissance de la diversité culturelle : la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » (2004) 57:103 RHDI 103 à la p 120.

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traditionnelle et populaire » ou du « folklore » (en anglais) y est plus réduit34. En effet, la définition issue de ce dernier instrument ne vise que le résultat d‘une capacité créatrice et non pas l‘activité de l‘Homme35. Dans cette Recommandation, l‘accent est mis sur le produit résultant d‘un individu ou d‘un groupe que la communauté validerait comme faisant partie de son patrimoine et ferait perdurer par imitation. Cette définition s‘inscrit ainsi dans une logique de propriété intellectuelle où le résultat de la création importe plus que l‘activité humaine36.

Un grand intérêt est ainsi accordé aux communautés et groupes culturels dans l‘identification du PCI. Il convient, néanmoins, de s‘interroger sur ce que la Convention de 2003 entend par ‗communautés‘, ‗groupes‘ et ‗individus‘. En vertu du Glossaire patrimoine culturel immatériel, dénué certes de force contraignante, la communauté désigne « les individus qui se sont dotés d‘un sentiment d‘appartenance à un même groupe. Ceci peut se manifester par exemple par un sentiment d‘identité ou un comportement commun, ainsi que par des activités et un territoire »37. Le rattachement au sol et la sensation de partager la

même culture font de ces individus une ‗communauté‘. Le terme ‗groupes‘ proposé par la Convention est très voisin de celui de ‗communautés‘. Il se rapporte à un rassemblement homogène de personnes. En revanche, le sentiment de ‗solidarité‘ entre celles-ci ne paraît pas authentifier spécifiquement un groupe38. Les ‗individus‘ ont, également, « le cas échéant » un rôle dans l‘identification du PCI39. La Convention de 2003 paraît accepter, mais de manière occasionnelle, que des personnes prises individuellement puissent

34 En vertu de la Recommandation sur la culture traditionnelle (1989), supra note 20, « la culture traditionnelle et populaire  « folklore » dans le texte anglais est l‘ensemble des créations émanant d‘une communauté culturelle fondées sur la tradition, exprimées par un groupe ou par des individus et reconnues comme répondant aux attentes de la communauté en tant qu‘expression de l‘identité culturelle et sociale de celle-ci, les normes et les valeurs se transmettant oralement par imitation ou par d‘autres manières. Ses formes comprennent, entre autres, la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes, l‘artisanat, l‘architecture et d‘autres arts ».

35 Janet Blake, Elaboration, supra note 15 à la p 11.

36 On prendra pour acquis dans ce projet que PCI et propriété intellectuelle sont deux notions distinctes. Le rapport entre PCI et propriété intellectuelle ne fera donc pas l‘objet de développement dans ce mémoire. 37 Wim Van Zanten, Glossaire, supra note 28. Cet instrument identifie trois types de communautés : la « communauté autochtone », la « communauté culturelle » et la « communauté locale ». Voir aussi en ce sens Janet Blake, Elaboration, supra note 15 à la p 53.

38 Clémentine Bories, Le patrimoine culturel en droit international. Les compétences des Etats à l’égard des

éléments du patrimoine culturel, Paris, Fondation Marangopoulos pour les droits de l‘homme, A. Pedone,

2011 Clémentine Bories, Le patrimoine culturel en droit international à la p 51. 39 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1.

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reconnaître les éléments du PCI présents sur le territoire. La référence aux individus comme entités pouvant identifier le PCI sur le territoire rappelle, très certainement, aux « Trésors humains vivants »40, lesquels émanent d‘une personne vivante41.

Malgré cette différenciation terminologique et la difficulté qu‘elle occasionne, c‘est la dimension humaine du PCI qui nous préoccupe42. L‘Homme est au cœur de la conception de cet héritage et n‘est pas uniquement un garant de son expression43. Les individus désignent le PCI, mais également le créent. La Convention de 2003 précise en effet que les communautés et groupes le génèrent44. De cette manière, ce patrimoine, « héritage des peuples »45 confère un sens à ces communautés qui l‘ont produit. C‘est ce que la Convention de 2003 évoque par « sentiment d‘identité »46 attribué à la communauté. Les individus, porteurs de tradition, se sentent appartenir à une communauté en détenant, désignant et transmettant une création, un savoir ou une connaissance.

Le PCI est également appréhendé de manière objective. Cet héritage est à la fois résultat de créations (pratiques, représentations et expressions déterminées), de connaissances (de la nature et de l‘univers), mais aussi de savoir-faire artisanaux inspirés de la tradition47. L‘aspect « traditionnel » des savoir-faire mérite une attention particulière. Il n‘est pas

40 Voir Directive pour l’établissement de systèmes nationaux de « Trésors humains vivants», en ligne : UNESCO http://www.unesco.org/culture/ich page consultée le 02/02/12 à la p 3. Les « Trésors humains vivants sont des personnes qui possèdent à un haut niveau les connaissances et les savoir-faire nécessaires pour interpréter ou recréer des éléments spécifiques du patrimoine culturel immatériel ». Ce type de programme constitue un mécanisme de sauvegarde du PCI que la Convention sur le PCI (2003) supra note 3, reconnaît.

41 Leila Lankarani, « L‘avant projet de Convention de l‘UNESCO pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel : évolution et interrogations » (2002) 48 AFDI 624 Leila Lankarani, « L‘avant projet de Convention » à la p 638.

42 Clémentine Bories, Le patrimoine culturel en droit international, supra note 38 aux pp 44-53.

43 Ibid à la p 45. « Plutôt que de dire que le patrimoine culturel a l‘homme pour titulaire, mieux vaut parler de

rattachement humain pour faire référence aux groupes culturels et aux individus pour lesquels ce patrimoine

fait sens, qui l‘ont créé et qui occupent une position privilégiée à son égard ». 44 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1.

45 L‘ethnologue, Bernard Genest désigne le patrimoine immatériel vivant comme tel dans Sophie-Laurence Lamontagne, Le patrimoine immatériel. Méthodologie d’inventaire pour les savoirs, les savoir faire et les

porteurs de traditions, Québec, Les publications du Québec, 1994 Sophie-Laurence Lamontagne, Le patrimoine immatériel  à la p XV.

46 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1. 47 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.2.

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rattaché au critère d‘ancienneté, mais « plutôt au mode d‘acquisitions et d‘utilisation »48 des créations, des connaissances et des savoirs. Le contexte socioculturel dans lequel a lieu la transmission de ces éléments objectifs a, d‘ailleurs, toute son importance et permet de déterminer ce que la Convention entend par « traditionnel » dans le cas des savoir-faire.

La Convention de 2003 pose ainsi une définition vaste et complexe du PCI qui nécessite d‘être précisée. Plusieurs interprétations émanant de divers courants de pensée doivent être réunies afin de l‘éclaircir. Au-delà des considérations juridiques, celles issues de l‘anthropologie, ethnologie sont primordiales aux fins de compréhension de la notion de PCI. Et ce, d‘autant plus que la définition donnée par la Convention de 2003 rejoint celle donnée par les anthropologues de la « culture »49. D‘après l‘anthropologue E.B Tylor, la culture désigne un « ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, les mœurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l‘Homme vivant en société »50. L‘Homme et l‘environnement dans lequel il vit, comme le rappelle la Convention de 2003, sont au cœur de la définition. Le rattachement humain qui caractérise le PCI permet de comprendre dans quelle optique doit être envisagée sa sauvegarde.

2. Les concepts de ‗sauvegarde‘ et de ‗protection‘ rattachés à la notion de patrimoine culturel immatériel

La Convention de 2003 pour la sauvegarde du PCI l‘évoque dans son intitulé. Le PCI est un patrimoine qu‘il convient de ‗sauvegarder‘. Ce terme a été préféré de celui de ‗protection‘, lequel est trop vaste pour encadrer ce type de patrimoine51 et s‘adapte davantage au

48 Janet Blake, Elaboration, supra note 15 à la p 53.

49 Sur le lien entre la définition anthropologique et la définition du PCI donnée par la Convention sur le PCI (2003), supra note 3, voir notamment Chiara Bortolotto, « Participation des ―communautés‖ dans la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Vers un nouveau paradigme patrimonial ? » dans Ahmed Skounti, Ouidad Tebba, ed, De l’immatérialité du patrimoine culturel, Marrakech, Bureau régional de l‘UNESCO à Rabat et Equipe de recherche Culture, patrimoine et tourisme de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université Cadi Ayyad, 2011 40 à la p 40.

50 E.B. Tylor, Primitive culture : Researches into the Development of Mythologie, Philosophy, Religion,

Language Art, Londres, 1871 dans P. Bonte, dir, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, PUF,

2000. s.v « culture » à la p 192.

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patrimoine matériel52. Dès l‘élaboration de la Convention de 2003, il a été, en effet, jugé plus adapté de choisir une expression qui rendrait compte du caractère intangible de ce patrimoine. S‘inspirant de la Recommandation de 1989, laquelle vise la ‗sauvegarde‘ des cultures traditionnelles et populaires, les rédacteurs de la Convention ont voulu, par ce terme, mettre l‘accent sur la continuité de ce patrimoine et sur le milieu culturel, économique et social qui le caractérise53. Le caractère ‗négatif‘ de la ‗protection‘, laquelle est prévue habituellement ‗contre‘ des menaces de tous types, s‘accommode mal, en outre, à un patrimoine qui ne prend en compte que des « actions positives »54. Alors que la protection est engagée en cas de dommages naturels ou humains causés à des biens contribuant à leur redonner leur aspect antérieur, la sauvegarde vise directement l‘humain dans son rôle de transmetteur de savoir aux générations suivantes55.

Dans le même sens, le Glossaire de 2002 du PCI n‘est pas favorable à l‘utilisation du terme ‗protection‘ pour le PCI. Selon ce texte, la ‗protection‘ vise des « mesures destinées à empêcher que certaines pratiques sociales et représentations subissent des préjudices »56. Il rappelle surtout que cette notion peut ne pas être applicable à tous les aspects du PCI. « Par conséquent, dans le cadre de cette future convention, l‘adoption du terme sauvegarde est avalisée »57. L‘action de sauvegarde touche ainsi majoritairement le PCI. La référence exceptionnelle à la protection tient, très certainement, à son rapport avec les autres instruments internationaux. La Convention de 2003, par son lien avec la Convention de

52 Chiara Bortolotto, « Le trouble du patrimoine culturel immatériel » dans Chiara Bortolotto, dir, Le

patrimoine culturel immatériel. Enjeux d’une nouvelle catégorie, Paris, Maison des sciences de l‘homme,

2011, 21 Chiara Bortolotto, « Le trouble du patrimoine culturel immatériel » à la p 27. ; le terme « protection » a été, en effet, utilisé par la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit

armé, 14 mai 1954, la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, 14 novembre 1970 et la Convention du patrimoine mondial, 16 novembre 1972.

53 Janet Blake, Commentary on the UNESCO 2003 Convention on the safeguarding of the intangible cultural

heritage, Leicester, Institute of Art and Law, 2006 Janet Blake, Commentary à la p 23.

54 Ibid.

55 Ahmed Skounti, Ouidad Tebbaa, « Patrimoine mondial et patrimoine culturel immatériel, le problème de la double connaissance de l‘UNESCO : cas de Marrakech » dans Ahmed Skounti, Ouidad Tebba, ed, De

l’immatérialité du patrimoine culturel, Marrakech, Bureau régional de l‘UNESCO à Rabat et Equipe de

recherche Culture, patrimoine et tourisme de la Faculté des Lettres et des Sciences humaines, Université Cadi Ayyad, 2011 45 Ahmed Skounti, « Patrimoine mondial et patrimoine culturel immatériel » à la p 51.

56 Wim Van Zanten, Glossaire, supra note 28. 57 Ibid.

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1972 sur le patrimoine mondial58, précise à quel moment la ‗protection‘ du PCI sera envisagée59. Détacher ‗la sauvegarde‘ de la ‗protection‘ traduit la volonté des rédacteurs de la Convention de mettre en place un mécanisme de préservation du PCI au service du durable60.

Il convient de préciser ce que la Convention de 2003 entend alors par ‗sauvegarder le PCI‘. « On entend par "sauvegarde" les mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel »61 (nos soulignés).

On comprend, par cette définition, que la sauvegarde est un moyen au service de la régénérescence du patrimoine, de sa continuité, car elle en assure sa ‗viabilité‘. Le but est de préserver le PCI de manière à garantir sa survie perpétuelle et non pas le figer voire le muséifier comme la protection l‘exigerait. Le PCI doit ainsi évoluer et par conséquent s‘adapter au contexte social62, historique63, naturel64 qui l‘entoure. Tenir compte de cet environnement est ce qui lui confère son caractère vivant65. Il faut donc avoir à l‘esprit que le PCI doit être sauvegardé en tant qu‘il évolue selon les mœurs, les coutumes et l‘espace qui l‘entourent tout en reprenant les traditions issues des générations antérieures. Le PCI doit ainsi être envisagé selon une vision globale prenant en compte un ensemble de facteurs66. En ce sens, cet héritage est également au service du patrimoine naturel67 en tant

58 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 3.

59 Les biens culturels auxquels se réfère la Convention sur le PCI (2003), supra note 3, en tant qu‘ils transportent un message culturel digne du PCI, renvoient aux mécanismes de protection. Sur le lien entre biens culturels et PCI, voir 1.3.

60 Chiara Bortolotto, « Le trouble du patrimoine culturel immatériel » voir supra note 52 à la p 27. 61 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.3.

62 Sophie-Laurence Lamontagne, Le patrimoine immatériel, supra note 45 à la p 8 : le PCI est créé est recréé par la communauté si bien que cela confère un sentiment d‘identité culturelle « qui donne … « une valeur d‘usage » à ses éléments ».

63 Ibid à la p 7 : connaître l‘histoire dont s‘inspirent les créations, connaissances et savoir-faire permet de « reconnaître leur continuité ».

64 Ibid : le PCI doit tenir compte du milieu naturel, lequel caractérise son espace de représentation. 65 Ibid à la p 7.

66 Barbara Kirshenblatt-Gimblett, « Le patrimoine immatériel et la production métaculturelle du patrimoine» (2004) 56:1-2 Museum International 52 Barbara Kirshenblatt, « Le patrimoine immatériel et la production métaculturelle du patrimoine » à la p 54.

67 Voir Convention du patrimoine mondial (1972), supra note 14 à l‘article 2 : le patrimoine naturel désigne des « monuments naturels », des « formations géologiques » et des « sites naturels » qui ont « une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique, scientifique » ou « de la conservation ».

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que ce dernier s‘inscrit dans un milieu particulier et s‘adapte aux normes environnementales68. Certains chercheurs vont jusqu‘à dire qu‘il s‘inscrit dans un écosystème, lequel est formé par une communauté d‘être vivant69. Le mode de vie qui entoure l‘expression du PCI est garant de sa régénérescence et donc de sa sauvegarde. Pour assurer la viabilité du PCI, seuls les éléments prenant en compte la globalité de ces composantes devront, par conséquent, être transmis.

La Convention de 2003, reprenant la Recommandation de 198970, énumère ensuite les mesures pouvant être prises au titre de la sauvegarde, telles que :

l‘identification, la documentation, la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l‘éducation formelle et non formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine71.

La Convention de 2003 introduit ainsi la notion de ‗protection‘ comme mesure de sauvegarde. Seulement, le mécanisme de protection, comme le précise le Glossaire de 2002, ne s‘applique pas à tous les éléments du PCI72. De plus, ce document a décidé de mettre entre crochets la référence à la protection comme mesure de sauvegarde73, de manière à en souligner son détachement. L‘inclusion du terme ‗protection‘ dans la définition sur la ‗sauvegarde‘ tiendrait, très certainement, au rapport qu‘entretient la

68 Barbara Kirshenblatt, « Le patrimoine immatériel et la production métaculturelle du patrimoine », supra note 66 à la p 54 : « le patrimoine naturel, conceptualisé en termes d‘écologie, d‘environnement, et selon une approche systématique propre une entité vivante, fournit un modèle qui permet de considérer le patrimoine immatériel comme une totalité, …, et qui permet d‘estimer la valeur immatérielle d‘un système vivant, qu‘il soit naturel ou culturel ».

69 Voir dans le même sens Mariannick Jadé, Patrimoine immatériel, Perspectives d’interprétation du concept

de patrimoine, Paris, L‘Harmattan, 2006 Mariannick Jadé, Patrimoine immatériel à la p 97 où elle évoque la

protection d‘un « écosystème » comme « exemple du patrimoine culturel immatériel ».

70 La Recommandation sur la culture traditionnelle (1989), supra note 20, reconnaît l‘identification, la conservation, la préservation, la diffusion et la protection comme mesure de sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire.

71 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.3. 72 Wim Van Zanten, Glossaire, supra note 28.

73 Ibid : Wim Van Zanten estime que la sauvegarde désigne une « adoption de mesures destinées à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel. Ces mesures comprennent l‘identification, la documentation, la

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Convention de 2003 avec la Convention de 1972 et son inspiration de la Recommandation de 198974.

Plusieurs types de mesures sont donc au service de la sauvegarde du PCI. Mais c‘est sa transmission qui nous intéressera plus particulièrement, car cette notion est au cœur de l‘identification du PCI et de sa sauvegarde. Les éléments objectifs du PCI sont créés par les individus et sont transmis aux générations suivantes, comme l‘indique la Convention75. Le rôle que détiennent les communautés dans la perpétuation des savoirs est essentiel, car son renforcement permet la viabilité du PCI. Les individus, en tant qu‘ils ont été sensibilisés de manière consciente ou inconsciente à une connaissance, une création ou un savoir-faire, vont les faire perdurer dans un contexte qui leur est familier. En effet, le porteur de tradition « vit ce qu‘il "sait" et pour cette raison ne sait pas que ce faisant il élabore le patrimoine vivant et qu‘il en est l‘âme »76. Maître de la sauvegarde du PCI, ces « transmetteurs »77 vont régénérer le fruit de leur apprentissage, mais en fonction du mode de vie qui les entoure, lequel est primordial dans l‘identification du PCI comme nous l‘avons signalé précédemment. La participation active des communautés est ainsi primordiale pour la mise en valeur du PCI. C‘est, d‘ailleurs, une condition de la protection du patrimoine culturel en général78. Toutes les composantes du patrimoine culturel impliquent un rôle accru des individus « qui leur donnent leur sens »79. Mais la Convention de 2003, laquelle formule explicitement l‘implication de la communauté culturelle, donne force à ce critère80.

74 La Recommandation sur la culture traditionnelle (1989), supra note 20, prévoit à son article F. la protection de la culture traditionnelle et populaire.

75 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1 : « ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, … » (nos soulignés).

76 Sophie-Laurence Lamontagne, Le patrimoine immatériel, supra note 45 à la p 10.

77 Aux prémisses de la protection du Folklore par l‘UNESCO, le terme d‘ « agent transmetteur » était choisi pour désigner les individus qui faisaient perpétuer leur création, connaissance ou savoir. Voir Jean Paul Guibbert, « Pour que vive le Folklore », le Courrier (1985) à la p 24.

78 Manlio Frigo, « Cultural property v. cultural heritage : « A battle of concepts » in international law ? » (2004) 86:854 IRRC 367 à la p 377 : « to provide legal protection for the cultural property concerned, it may be of great importance to ascertain the link with a specific community. This would require clarifying to which cultural heritage the property is assumed to belong ».

79 Clémentine Bories, Le patrimoine culturel en droit international, supra note 38 à la p 51.

80 La Convention sur le PCI (2003), supra note 3, consacre son article 15 exclusivement à la « participation des communautés, groupes et individus ».

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Le rôle des communautés est donc essentiel à la sauvegarde du PCI à la fois sur le plan de la perpétuation d‘un héritage que pour la communauté elle-même. Les individus ne transmettent pas uniquement un savoir, une création ou une connaissance. Ils communiquent un message culturel, une histoire. En tant qu‘il est porteur de sens et d‘« intérêt culturel » pour eux, l‘élément du PCI pourra être reconnu comme un « signifiant culturel »81. Dans ce contexte, un sentiment d‘identité culturelle se développe au sein de ce groupe, lequel est fondement de l‘identification du PCI82. Par le partage de traditions au sein d‘une même communauté, les individus se sentent appartenir à une même nation, à un même peuple, à une même culture. Tous ensemble, ils construisent le PCI. Et par l‘identité culturelle que ce partage leur confère, ils sont les garants de la viabilité et donc de la sauvegarde du PCI.

Cependant, le transfert d‘un message culturel s‘effectue bien souvent dans un espace matériel ou par l‘entremise d‘un objet tangible.

3. Le patrimoine culturel immatériel entre ‗tangible‘ et ‗intangible‘

Avant que la communauté internationale n‘encadre la protection du Folklore avec la Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire de 1989, tous les textes internationaux étaient relatifs à la préservation du patrimoine matériel, la référence au caractère immatériel d‘un élément étant bien souvent sous-entendue83. Ne pas prendre en compte les composantes immatérielles dans la protection du patrimoine matériel est illogique pour la chercheure Janet Blake impliquée dans l‘élaboration de la Convention de 200384. Selon elle, ces deux patrimoines ne doivent pas être dissociés tant la dimension immatérielle est inhérente à l‘élément matériel85. Comment, en effet, détacher un

81 Clémentine Bories, Le patrimoine culturel en droit international, supra note 38 aux pp 54-57. 82 Convention sur le PCI (2003), supra note 3 à l‘article 2.1.

83 Janet Blake, Elaboration, supra note 15 à la p 9 : la Recommandation sur les principes internationaux applicables aux fouilles archéologiques (1956) évoque les « sentiments suscités par la contemplation et l‘étude d‘œuvres du passé ».

84 Ibid.

85 Ibid à la p 80. Au moment de l‘élaboration de la Convention du patrimoine mondial (1972), il avait même été suggéré d‘intégrer le patrimoine immatériel au sein du patrimoine mondial, culturel et naturel.

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« rituel (patrimoine immatériel) du lieu où il se déroule (patrimoine matériel ou naturel) et des objets, instruments ou masques qui sont indispensables à sa réalisation ? »86. Lier les deux patrimoines aurait, d‘ailleurs, un avantage sur le plan juridique. Les soumettre aux mêmes règles garantirait une protection plus efficace et plus étendue étant donné la forte popularité de la Convention de 1972 et son vaste champ d‘application87.

Néanmoins, malgré la tendance à l‘assimilation des deux types de patrimoine, ceux-ci ont été distingués d‘un point de vue terminologique et idéologique au moment de l‘élaboration de la Convention sur le patrimoine vivant. Réfléchissant à l‘incorporation du PCI dans la Convention de 1972, Janet Blake relève un ensemble d‘incohérence sur le fait de lier systématiquement les deux types de patrimoine. Le terme « patrimoine immatériel » ressort pour la première fois du Programme de proclamation de chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité (1998) et traduit la volonté de détacher le patrimoine vivant de manière explicite du cadre de protection du patrimoine matériel88. Aussi, ranger la catégorie du PCI au sein de la Convention de 1972 n‘a pas lieu d‘être si on se tient à l‘esprit du PCI. Ce dernier ne s‘exprime pas uniquement à travers des bâtiments, sites, monuments ou autres éléments du patrimoine culturel matériel, sa manifestation peut, et c‘est ce qui est majoritairement le cas, être indépendante de lieux à caractère exceptionnel89. Reconnaître comme étant élément du patrimoine immatériel uniquement ceux dont l‘expression se réalise sur un site, réduirait la portée du PCI et leur donnerait un aspect davantage cultuel. Comme nous l‘avons développé précédemment, le PCI s‘identifie au-delà de son rapport au

86 Chérif Khaznadar, « Patrimoine culturel immatériel : les problématiques » dans Jean Duvignaud, Chérif Khaznadar, dir, Le patrimoine culturel immatériel, les enjeux, les problématiques, les pratiques, Paris, Maison des cultures du monde, Babel, 2004, 51 à la p 53.

87 Par cette distinction entre PCI et patrimoine matériel, plusieurs communautés craignent que leurs éléments, relevant du PCI, soient menacés. Elles considèrent que la protection du PCI est plus difficile à appréhender que celle concernant le patrimoine matériel : Janet Blake, Elaboration, supra note 15 à la p 9. Aussi, le fait que la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel concerne de nombreux Etats et vise un nombre important d‘éléments seraient un atout à la préservation du PCI, laquelle aurait un champ de sauvegarde plus étendu (ibid à la p 80).

88 Janet Blake, Elaboration, supra note 15 à la p 9 : cette volonté de séparer PCI du patrimoine matériel s‘affirme d‘ailleurs depuis 1970-1980 lorsque la réflexion sur la préservation de la culture traditionnelle a démarré (voir développements précédents sur la notion de patrimoine culturel immatériel 1.1).

89 C‘est le cas dans de nombreux Pays en voie de développement d‘Afrique, d‘Asie, d‘Amérique Latine. Intégrer la sauvegarde du PCI dans la Convention du patrimoine mondial (1972) correspondrait ainsi à une conception « eurocentrée » du patrimoine culturel ( voir ibid à la p 80).

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sol, il véhicule avant tout une histoire commune à plusieurs individus et garantit un sentiment d‘identité culturelle à ces derniers.

La rédaction finale de la Convention de 2003 accorde néanmoins une place non négligeable au patrimoine matériel dans la mesure où le PCI comprend « les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés » (nos soulignés). De cette manière, les lieux où est voué un culte, rituel ou autre élément du PCI, font partie intégrante du PCI90.

L‘appellation et le champ d‘application distincts des deux patrimoines ne sont donc pas sans rappeler leur interaction. Le patrimoine immatériel et le patrimoine matériel peuvent coexister en tant qu‘ils sont « interdépendants » selon les termes du Préambule de la Convention de 2003 et la Déclaration d‘Istanbul de 200291. Il n‘y a pas lieu, en effet, de dissocier l‘esprit de ces deux types de patrimoine qui ont recours, dans certains cas, l‘un à l‘autre pour s‘animer. Le PCI a souvent, mais pas de manière non plus récurrente, besoin d‘une empreinte physique pour s‘exprimer de même que le patrimoine matériel nécessite une dimension immatérielle pour être visible92. Les Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial (2011) 93 insistent sur l‘« attribut immatériel » d‘un bien culturel aux fins de reconnaissance de son authenticité contribuant à son inscription sur la liste du patrimoine mondial.

90 Wim Van Zanten, Glossaire, supra note 28 considère que les « espaces culturels » sont des « espaces physiques ou symboliques où les individus se rencontrent pour présenter ou échanger des pratiques sociales ou des idées ». Un espace du patrimoine mondial de l‘UNESCO peut donc se retrouver également élément du PCI en tant qu‘il est un lieu dédié à la création, connaissance ou savoir comme c‘est le cas pour la place Jemma El Fna à Marakech au Maroc à titre d‘exemple.

91 Voir Préambule de la Convention sur le PCI (2003), supra note 3 au para 3 ; voir aussi UNESCO, Communiqué final, « Le patrimoine culturel immatériel, miroir de la diversité culturelle » (2002) Déclaration d’Istanbul. Cette Déclaration rappelle qu‘il faut « prévaloir une approche globale du patrimoine culturel, qui rend compte du lien dynamique entre patrimoine matériel et immatériel et de leur profonde interdépendance ».

92 Son excellence Luxen Jean-Louis, « La dimension immatérielle des monuments et des sites avec référence à la liste du patrimoine mondial de l‘UNESCO », 14ème Assemblée générale et symposium scientifique de l‘ICOMOS, La mémoire des lieux : préserver le sens et les valeurs immatérielles des Monuments et des Sites, Zimbabwe, 27-31 octobre 2003.

93 Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, Doc. off. Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel UNESCO, Doc. UNESCO WHC.11/01 (2011).

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Selon le type de patrimoine culturel et son contexte culturel, on peut estimer que les biens satisfont aux conditions d‘authenticité si leurs valeurs culturelles … sont exprimées de manière véridique et crédible à travers une variété d‘attributs, y compris : … la langue et autres formes de patrimoine immatériel94.

Le même « attribut immatériel » est également une condition pour la reconnaissance de la valeur universelle exceptionnelle d‘un bien culturel95. La dimension immatérielle requise pour un bien culturel est néanmoins un critère qu‘il convient de lier avec d‘autres afin de conférer au bien en question une valeur exceptionnelle.

Le Comité considère qu‘un bien a une valeur universelle exceptionnelle … si ce bien répond au moins à l‘un des critères suivants. En conséquence les biens proposés doivent : …

(vi) être directement ou matériellement associé à des évènements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (le Comité considère que ce critère doit de préférence être utilisé conjointement avec d‘autres critères96 (nos soulignés).

Même si l‘aspect immatériel ne peut constituer une exigence en soi permettant d‘octroyer à un bien culturel une valeur universelle exceptionnelle, sa simple mention explicite dans ce texte relatif à la Convention de 1972 atteste d‘un lien pertinent entre les deux types de patrimoine. Un site, un monument ont besoin, entre autres, de recevoir des éléments du patrimoine immatériel pour être inscrits sur la liste du patrimoine mondial.

Ainsi, même si sur le plan terminologique les deux types de patrimoines répondent, à première vue, à des idéaux différents et sont régis par deux Conventions distinctes, cette « séparation n‘en est pas moins méthodologique. Ce ne sont, en vérité, que les deux versants d‘une même réalité »97. Dans cette perspective, le terme « métamatériel » est parfois utilisé pour désigner le PCI98. Et la double protection, assurée par la Convention de 1972 et celle de 2003, qui toucherait un espace culturel, lequel est un lieu d‘expression

94 Ibid au para 82.

95 Ibid au para137 pour un bien en série. 96 Ibid au para 77.

97 Ahmed Skounti, « Patrimoine mondial et patrimoine culturel immatériel » supra note 55 à la p 55.

98 Jean-Michel Leniaud, « Du matériel à l‘immatériel : vers une nouvelle conception du patrimoine » dans Benhamou Françoise, Cornu Marie, dir, Le Patrimoine culturel au risque de l’immatériel, Enjeux juridiques,

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