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Le film choral : étude des composantes cinématographiques, des particularités littéraires et de la réception théorique de certaines oeuvres emblématiques depuis Short Cuts (1993) de Robert Altman

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Academic year: 2021

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LE FILM CHORAL

Etude des composantes cinématographiques, des particularités

littéraires et de la réception théorique de certaines œuvres

emblématiques depuis Short Cuts (1993) de Robert Altman.

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en Littérature et Arts de la Scène et de l'Écran pour l'obtention du grade de maître es arts (M. A.)

DEPARTEMENT DES LITTERATURES FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2010

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Avec la parution de l'emblématique Short Cuts (1993) de Robert Altman, le film choral commence à se faire connaître davantage. Ce mémoire fait l'étude des éléments constitutifs du film choral, en le positionnant clairement par rapport à d'autres genres. La forme de ce type de film, où de multiples fils narratifs, thématiques ou stylistiques s'entrecroisent et où le montage alterné, tout comme le montage parallèle, occupent une importance de premier plan, n'est pas sans rappeler certains recueils de nouvelles, séries télévisées ou encore œuvres polyphoniques littéraires et musicales. Il s'agit d'un genre cinématographique de plus en plus populaire, où le spectateur est grandement sollicité. Tel que prôné par l'approche sémio-pragmatique, les œuvres chorales ne doivent pas seulement être étudiées du côté de la production. En regard de ces considérations, trois œuvres sont analysées : Babel (2006) d'Alejandro Gonzalez Inârritu, Cœurs (2006) d'Alain Resnais et Continental, un film sans fusil (2007) de Stéphane Lafleur.

SUMMARY

With the release of the emblematic Short Cuts (1993) by Robert Altman, an increase in popularity for hyperlink movies becomes evident. This type of film is composed of multiple leading characters, with parallel stories that are usually interwoven. Also, parallel editing often plays a crucial role. This thesis highlights the constitutive elements of hyperlink movies, by comparing them to other genres. One comparison features the organization of hyperlink movies, and how this organization shares a commonality with styles found in other media. These media include some styles of short stories, TV series, and also some polyphonic texts and music. Our analysis is broader reaching than just the production employed in these movies, since the viewer's experience is also considered, just like in the semio-pragmatic approach. Furthermore, three hyperlink films will be studied : Babel (2006) by Alejandro Gonzalez Inârritu, Cœurs (2006) by Alain Resnais and Continental, unftlm sans fusil (2007) by Stéphane Lafleur.

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier ma directrice Esther Pelletier pour son enthousiasme et son soutien dans les différentes étapes de ce mémoire. De même, je souligne la contribution précieuse des professeurs René Audet, Richard Saint-Gelais et Andrée Mercier pour leur apport à ma réflexion. Nos discussions, en début de parcours, m'ont grandement aidé. De même, les questions pertinentes de mes amis proches ainsi que l'intérêt qu'ils ont porté à mon sujet de mémoire ont fortement contribué à préserver ma motivation du début à la fin. En outre, je ne puis passer sous silence la contribution d'Aurélie Chevanelle-Couture pour ses commentaires avisés et constructifs. Finalement, je tiens à exprimer ma sincère gratitude à mes parents ainsi qu'à mon frère, qui m'ont toujours encouragé à aller jusqu'au bout.

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TABLE DES MATIERES

RESUME II

REMERCIEMENTS III TABLE DES MATIÈRES IV LISTE DES SCHÉMAS V INTRODUCTION 1 CHAPITRE I : ÉTUDE DES COMPOSANTES CINÉMATOGRAPHIQUES 8

1. QUELQUES PRÉCISIONS TERMINOLOGIQUES 9 2. CARACTÉRISTIQUES DU FILM CHORAL 13 2.1. MULTIPLICITÉ DE PERSONNAGES PRINCIPAUX 13 2.2. IMPORTANCE RELATIVEMENT ÉGALE DE CHAQUE PROTAGONISTE 17

2.3. PRÉSENCE D'UN DEGRÉ D'AUTONOMIE ENTRE CHAQUE HISTOIRE 19

2.4. UN LIEN UNIT LES DIFFÉRENTES HISTOIRES 21 2.5. LA PEINTURE DES EMOTIONS PRIME SUR L'ACTION 24

2.6. PRÉSENCE D'UNE FIN OUVERTE 25

3 . ART DU MONTAGE 2 7 4. FILM CHORAL ET FILM A SKETCHES 35

5. FILM CHORAL ET SÉRIES TÉLÉVISÉES 39 6. CAS DE FIGURE I : ANALYSE DU FILM BABEL 45

CHAPITRE II : FILM CHORAL ET PRATIQUES LITTÉRAIRES £2

1. TROIS TYPOLOGIES DU RECUEIL 53 1.1. SELON FRANÇOIS RICARD 53 1.2. SELON JEAN-PIERRE BOUCHER 54 1.3. SELON ANDRÉ CARPENTIER ET DENIS SAUVÉ 55

A. Pluralité 55 B. Discontinuité 56 C. Permutabilité 57 D. Superposition 58

2. TENSION ENTRE LE TOUT ET LES PARTIES 59 3. DIFFÉRENTES FAÇONS DE RELIER LES RÉCITS ENTRE EUX 62

3.1. UNITÉ THÉMATIQUE 63 3.2. STRUCTURE FORTE ET ENGLOBANTE 64

3.3. PARATEXTE 67 3.4. TRAVAIL DE REPÉRAGE ET D'INTERPRÉTATION 67

4 . CHRONIQUES DU PRESQUE RIEN 6 9

5. FIN OUVERTE 70 6. DOSTOÏEVSKI ET LA POLYPHONIE 72

7. POLYPHONIE ET PANORAMISME CHEZ Dos PASSOS 74

8. POLYPHONIE MUSICALE 76 9. CAS DE FIGURE II : ANALYSE DU FILM CŒURS 79

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2. IOUVE ET L'EFFET-PERSONNAGE DANS LE ROMAN 8 9 2.1. LE LECTANT 90 2.1.1. Le lectant jouant 91 2.1.2. Le lectant interprétant 95 2.2. LE LISANT 101 3. EFFET DE RETICULATION 1 0 8 4. RELECTURE GLOBALE 1 1 0 5. QUELQUES CRITIQUES 112 6. CAS DE FIGURE III : ANALYSE DU FILM CONTINENTAL, UN FILM SANS FUSIL 1 1 5

CONCLUSION 121 ŒUVRES CHORALES CITÉES 125 BIBLIOGRAPHIE 127

L I S T E D E S S C H E M A S

SCHÉMA 1 : Film choral et genres limitrophes 11 SCHÉMA 2 : Exemples de structures de récits 30 SCHÉMA 3 : Montage et temporalité dans Babel 50 SCHÉMA 4 : Force et organisation des liens dans Coeurs 82

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CHORAL, ALE : 1. adj. Qui a rapport aux chœurs. Des ensembles chorals ou choraux. CHŒUR : 1. Réunion de chanteurs qui exécutent un morceau d'ensemble (chorale).

2. Composition musicale destinée à être chantée par plusieurs personnes. 6. Réunion de personnes qui ont une attitude commune, un but commun.

- Le Nouveau Petit Robert, 2009

Le cinéma est un art paradoxal. D'un côté, lorsqu'on le compare à la littérature, par exemple, certains diront que ce média est pauvre. En effet, la lecture d'un roman permet au lecteur de s'imaginer une infinité de caractéristiques à propos des personnages, des lieux et des objets, et c'est la mise à profit dans la lecture de ce monde personnel et intérieur qui constitue l'un des atouts majeurs de la littérature. Le lecteur crée son univers mental unique, et chaque individu fera une lecture différente et imaginera l'univers fictif à sa façon. En ce sens, la littérature offre des mondes possibles infinis, à l'image de la théorie sur le sujet. En ce qui concerne le cinéma, on l'aura compris, une image vaut mille mots. En fait, un seul photogramme peut valoir un roman entier. Nul besoin de décrire ce que l'image montre. C'est d'ailleurs ce que mentionne Daniel Pennac dans Comme un roman : « Tout est donné dans un film, rien n'est conquis, tout vous est mâché, l'image, le son, les décors, la musique d'ambiance au cas où on n'aurait pas compris l'intention du réalisateur... [...] Dans la lecture il faut imaginer tout ça... La lecture est un acte de création permanente » (PENNAC 1992 : 27). D'un autre côté, le cinéma crée un effet de réalité plus grand qu'un roman, ce qui pousse le spectateur à s'identifier aux protagonistes évoluant sur l'écran. Ce sont des personnages qui parlent et agissent : il est possible de les percevoir, alors qu'en littérature, il faut les imaginer. Mais n'enlevons rien à la littérature : l'imagination d'un lecteur peut être très forte et ses images mentales aussi réelles que celles

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s'applique souvent de manière surprenante au cinéma, et vice versa.

À notre avis, il existe des œuvres particulièrement propices à faire participer activement le spectateur, œuvres qu'il est désormais convenu d'appeler des films chorals (ou films choraux). Ceux-ci possèdent une structure narrative composée de plusieurs tranches de vie indépendantes, mais qui doivent généralement s'entrecroiser d'une certaine manière dans la trame filmique. D'où vient le film choral ? Qui en est l'instigateur ? Comment a-t-il évolué au fil du temps ? Voilà autant de questions justifiant un bref historique. Faut-il remonter à l'époque de D.W. Griffith, avec Intolérance (1916), afin d'en découvrir la genèse ? Certes, ce film comporte quelques éléments propres au film choral, surtout en ce qui concerne le montage, mais nous croyons que le genre s'est officiellement établi avec la sortie du film emblématique Short Cuts (1993) de Robert Altman. Notons cependant quelques œuvres marquantes, antérieures à Short Cuts, ayant sans doute contribué à définir le genre : Grand Hotel (1932) d'Edmund Goulding, Dimanche d'août (1950) de Sergio Amidei, Nashville (1975) de Robert Altman, American Graffiti (1973) de Georges Lucas et Les uns et les autres (1981) de Claude Lelouch. Ces œuvres témoignent d'une tentative de réinventer la narration classique. Cependant, dans le cas de Grand Hotel, par exemple, les fils narratifs sont bien séparés au départ, mais ils se rejoignent tous vers la fin alors que l'histoire tourne autour du baron (John Barrymore), devenu personnage principal et moteur du récit. C'est un bel essai, un exercice de style en quelque sorte, mais ce n'est pas suffisant à notre avis. Grand Hotel ne s'affirme pas assez en tant que film choral, car la narration classique hollywoodienne, celle de « l'institution cinématographique dominante » (ODLN 1983b : 233), prend rapidement le dessus.

André Roy, dans son Dictionnaire général du cinéma, tente une définition du film choral : « Qualificatif récent donné à un film à plusieurs personnages et dont les rôles ont une égale importance (choral movie). Le film choral n'est pas un genre. [...] C'est Robert Altman qui remet au goût du jour le film choral [...]. La majeure partie des films à sketches sont des œuvres chorales [...]. Le film de guerre l'est très souvent [...] » (ROY 2007 : 181). Nous sommes plutôt sceptique à l'égard de cette définition - qui confond film choral et

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dire que le film de Robert Altman, Short Cuts, n'est peut-être pas le premier film choral, mais il est sans doute celui qui a soudainement éveillé le public et plusieurs réalisateurs à cette façon si particulière de faire un film1. Après sa sortie, une pléthore d'œuvres, tentant

tant bien que mal de s'en inspirer, ont fait leur apparition. Avant 1993, seules quelques œuvres isolées témoignaient des premiers balbutiements du genre. Mais à partir de cette

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date et jusqu'à nos jours, la croissance est devenue exponentielle et les expérimentations sur le genre ne cessent de surprendre. Selon Jurgen Mùller, « ce qui fait le charme d'une telle technique narrative est qu'elle mystifie le spectateur et l'envoie dans un labyrinthe d'images, ce qui donne l'impression de faire une incursion dans différents genres - allusion ironique au zapping qui caractérise nos soirées télévisées » (MÙLLER 2001 : 13). Plusieurs films majeurs ont fait leur apparition dans la décennie 90, comme Pulp Fiction (1994) de Quentin Tarantino, et certains réalisateurs adoptèrent avec enthousiasme la veine chorale, faisant de cette dernière leur marque de commerce. Pensons ici à Robert Altman, évidemment, mais également à Paul Thomas Anderson (Magnolia (1999)), à Alain Resnais (Cœurs (2006), On connaît la chanson (1997)), à Claude Lelouch (Les uns et les autres (1981), Il y a des jours... et des lunes (1990)), à Alejandro Gonzalez Inârritu (Amores Perros (2000), Babel (2006)), et à Danièle Thompson (Fauteuils d'orchestre (2005), Le code a changé (2009)). D'autres noms s'ajouteront probablement à cette liste non exhaustive, car le film choral est encore jeune et ses possibilités ne demandent qu'à être explorées. C'est pourquoi nous ne proposons pas de définition fermée, car elle risquerait de devenir rapidement désuète.

Soit, le succès de Short Cuts engendra à l'occasion « une kyrielle d'avatars plus insipides les uns que les autres » (MANDELBAUM 2007 : 1), et plusieurs films de la veine

1 C'est aussi l'avis de Suzanne Duchiron : « Robert Altman nous avait initiés au film "choral", Short Cuts en

étant sans doute le paradigme, en mettant en scène une multitude de personnages qui entretiennent tous un lien plus ou moins étroit entre eux, et coexistent dans le film au fil des multiples histoires qui s'y déroulent » (DUCHIRON 2006 : 1).

2 En effet, « on constate que le rêve d'un film choral, d'une fresque à la manière de Balzac ou de Zola, d'une

œuvre où motifs et personnages se croisent à travers différents intrigues rattachées ou séparées, habite de plus en plus le cinéma actuel » (BARON 2008 : 136).

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film choral et éviter de tomber dans les nombreux pièges qu'il tend aux néophytes. Habitué à la forme chorale, Robert Altman, pour Short Cuts, s'inspire librement de neuf nouvelles et d'un poème de Raymond Carver . Le réalisateur regroupe et réorganise ces neuf nouvelles, sans lien apparent entre elles au départ, afin de créer des échos ajoutant une certaine cohésion à l'ensemble. Cette œuvre de près de trois heures trace la vie d'une poignée de protagonistes dont les destins se croisent, souvent par hasard, à Los Angeles. Près d'une vingtaine de personnages, provenant de classes sociales très variées, voient leur vie bouleversée dans des chasses-croisés surprenants. Questionné sur son film et sur les liens entre les différents protagonistes, Robert Altman répond en donnant l'exemple suivant :

Somebody gets hit by a car and you stop and look in the street, and you think, "I don't want to see that", so you go the other way. But people who don't go the other way see more of that story, and the people who are actually involved in that story have another story. These things go on all the time, and it's the juxtaposition of these lives that makes Short Cuts interesting (ROMNEY 1994 : 10).

En effet, un des aspects très intéressants de ce film, comme de bien d'autres films chorals, est la possibilité de passer d'une histoire4 à une autre très facilement. Les

spectateurs sont ainsi témoins de la vie de plusieurs protagonistes, et cela se rapproche des liens présents dans la réalité. Robert Altman nous montre quelques tranches de vie en nous faisant comprendre combien les hasards sont importants. Une rencontre inopinée peut créer une réaction en chaîne, nous faisant alors prendre conscience que le monde est petit, que le degré de séparation entre chaque humain est infime. Dans le film, l'idée de communauté est également bien représentée par le tremblement de terre à Los Angeles touchant chaque personnage. Après Short Cuts, Robert Altman continua de naviguer dans ce qui serait appelé à devenir le gigantesque fleuve de la « choralité ». Que ce soit avec Prêt-à-Porter (1994), avec Gosford Park (2001) ou encore avec l'ultime Prairie Home Companion

Ces nouvelles et ce poème ont par la suite été réunis dans un recueil : Raymond Carver, Neuf histoires et un poème, Paris, Éditions de l'Olivier, 1993, 188 p.

Selon Mieke Bal, « une histoire est une série d'événements logiquement reliés entre eux, et causés ou subis par des acteurs. Un événement est le passage d'un état à un autre. Tout changement, aussi minime qu'il soit, constitue un événement » (BAL 1984 : 4).

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nouvelles approches, que nous étudierons.

Comme il existe de multiples façons de faire un film choral, il est difficile de formuler une définition immuable. Néanmoins, il est possible de dégager certaines récurrences. En ce sens, le chapitre I de cette étude porte sur les composantes cinématographiques du film choral. On y retrouve les caractéristiques qui, selon nous, doivent être présentes dans ce genre d'œuvre. Nous verrons qu'un film choral présente nécessairement une multiplicité de personnages principaux, d'importance relativement égale, et que chacun doit être lié d'une certaine façon aux autres. De même, généralement, la peinture des émotions occupe une place plus importante que l'action et la fin du film est ouverte, laissant une grande part d'interprétation au spectateur. Ces œuvres, où autonomie et cohésion cohabitent, mettent au premier plan le procédé du montage alterné, mais surtout celui du montage parallèle, puisque les deux contribuent grandement à provoquer des échos entre les différentes histoires. En somme, le film choral s'actualise et prend beaucoup de son sens à l'étape cruciale du montage. Afin de positionner clairement le film choral, nous établirons la différence avec le film à sketches et le film de groupe fortement homogène, deux genres limitrophes mais foncièrement distincts. En outre, nous ferons des parallèles avec certaines séries télévisées, qui ont une structure narrative complexe se rapprochant de celle des films chorals, ce qui nous aidera à saisir davantage les fondements de la choralité au cinéma. En terminant, nous procéderons à l'analyse du film Babel (2006) d'Alejandro Gonzalez Inârritu.

Le chapitre II, quant à lui, présente certaines pratiques littéraires - principalement le recueil de nouvelles - afin de poursuivre le travail de catégorisation du film choral. Dans un premier temps, en étudiant certaines typologies de théoriciens québécois5, nous

rapprocherons le film choral des recueils de nouvelles présentant une certaine cohésion. Dans les deux cas, il y a irrésistiblement une tension entre le tout et les parties. Différents

5 Principalement celles de François Ricard, de Jean-Pierre Boucher, d'André Carpentier et de Denis Sauvé

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rappeler la manière dont les histoires plurielles qui composent un film choral sont elles-mêmes reliées. Parmi ces procédés unificateurs, on retrouve entre autres la présence d'une unité thématique, d'une structure forte et englobante, d'un discours paratextuel et d'un travail de repérage et d'interprétation qui incombe au lecteur. Dans un deuxième temps, nous créerons des rapprochements entre le film choral et certaines autres pratiques littéraires, mais également musicales. C'est ainsi que nous étudierons les caractéristiques de certaines œuvres appelées « chroniques du presque rien », comme le propose Anne-Marie Clément. De même, en littérature comme en musique, la polyphonie - notamment dans les œuvres de Dostoïevski et de Dos Passos - offre des pistes d'analyse intéressantes que nous explorerons grâce aux théories de Bakhtine et de Pierre St-Arnaud. Finalement, en regard de ces considérations, nous analyserons le film Cœurs (2006) d'Alain Resnais.

Notre troisième chapitre se concentre sur un acteur de premier plan : le spectateur. C'est en effet dans l'espace de la réception que le film choral s'actualise vraiment. L'approche sémio-pragmatique de Roger Odin soutient d'ailleurs en partie cette idée. Nous verrons tout d'abord quelques notions de sémiotique de Christian Metz concernant l'identification au cinéma. Ensuite, nous étudierons le film choral comme un dispositif, qui suscite différents types de lecture, en nous inspirant des attitudes de lecture proposées par Vincent Jouve, dans son ouvrage L'effet-personnage dans le roman. Le spectateur tente de trouver un sens, d'établir des liens devant l'œuvre qui lui est présentée ; c'est l'effet de reticulation. D y parvient souvent grâce à une relecture globale de l'œuvre, lui permettant d'avoir une vue d'ensemble sur cette dernière. En outre, nous présenterons quelques critiques formulées à propos du film choral en les commentant. Nous terminerons ce chapitre par une analyse du film Continental, un film sans fusil (2007) de Stéphane Lafleur, en nous concentrant sur l'étude de la réception.

Tout au long de ce mémoire, nous déterminerons donc de quelle manière il est possible de reconnaître un film choral. Nous tâcherons d'illustrer toute la singularité qui entoure ce nouveau genre, laquelle le rend si populaire depuis quelques années. En dégageant ses caractéristiques principales et en montrant qu'il s'inscrit en relation avec

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dans un art du montage. Comme peu d'ouvrages ont été publiés sur le sujet6, notre étude

vise à circonscrire le genre en établissant de multiples analogies avec des œuvres qui, à notre avis, sont de proches parents. Si un spectateur se sent généralement interpellé par les films chorals, qu'il s'y investit parfois de façon très active, c'est parce que ces derniers reposent sur sa participation. Tout est construit afin d'ouvrir des portes au spectateur, et la structure même de ces films renferme un paradoxe, une tension entre l'homogène et l'hétérogène, que nous nous proposons d'exposer.

6 On retrouve surtout des articles de périodiques, de même que quelques sources sur internet, et parfois la

notion est abordée de façon accessoire dans certaines critiques de films. De même, certains ouvrages traitant de Short Cuts abordent un peu la question, comme le collectif Lectures d'une œuvre : Short Cuts, Raymond Carver - Robert Altman, dirigé par Philippe Romanski ( 1999).

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ÉTUDE DES COMPOSANTES CINÉMATOGRAPHIQUES

Comment reconnaître un film choral ? L'entreprise peut s'avérer délicate, car le terme est désormais de plus en plus employé7, bien qu'il n'existe pas de balises ou de

définition complète. Nous proposons de définir le film choral en délimitant ses composantes de base, celles qui, selon nous, sont nécessaires au genre. Pour ce faire, nous nous sommes prêté à un travail d'observation, de repérage et de comparaison entre plusieurs œuvres chorales. Comme la documentation traitant du film choral est plutôt mince, nous avons également convoqué des travaux portant sur des notions et des formes voisines mieux documentées afin d'avoir de meilleures assises théoriques. Le film choral s'inscrirait donc dans une longue tradition d'œuvres similaires relevant des domaines littéraire et musical. Nous ne nous bornerons pas à trouver une définition fermée et définitive du film choral. Notre emploi du terme sera plutôt large, mais suffisamment précis pour bien cerner ce genre de film. Nous utilisons le terme « genre », car le film choral semble s'être établi en tant que genre, davantage qu'en simple procédé narratif. Certes, ce postulat peut être remis en question vu l'imbroglio théorique sur la question du genre8, mais

voici comment nous l'entendons : un genre peut être vu comme « la désignation large d'un ensemble de textes qui comportent des ressemblances assez prégnantes pour qu'à leur lecture s'impose et soit reconnue une structure typique propre à les mettre en rapport les uns avec les autres » (CANTLN 1998 : 130). De même, ces ressemblances peuvent se

7 Même si les origines du terme « film choral » demeurent nébuleuses, c'est tout de même celui qui reste le

plus usité. Certains autres qualificatifs seront présentés au fil de ce mémoire.

« De tous les champs dans lesquels s'ébat la théorie littéraire, celui des genres est sans nul doute un de ceux où la confusion est la plus grande » (SCHAEFFER 1986 : 179).

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bien précise et des caractéristiques formelles qui se retrouvent dans un nombre important d'œuvres peuplant le paysage cinématographique international depuis plusieurs années. De plus, certains théoriciens, comme Keith Booker, affirment : « one could identify Altman as the genre's founding father » (BOOKER 2007 : 12). Malgré l'effervescence autour du film choral, ses caractéristiques demeurent mal définies à ce jour. Il s'agit pourtant d'un genre de plus en plus reconnu par la critique9 et les spectateurs, un genre qu'il est possible de

différencier d'autres pratiques cinématographiques analogues, comme le film à sketches.

Il faut également savoir que le film choral peut être interprété de deux manières : du point de vue du fond et de la forme. Notre mémoire s'oriente davantage sur la forme chorale, l'aspect le plus connu et le plus largement répandu, dont les composantes principales seront définies dans ce chapitre. D'un autre côté, selon Michel Serceau, « un film réellement choral est un film dont le personnage-sujet est de bout en bout collectif » (SERCEAU 1999 : 174). Les exemples de ces films, où un personnage principal est en quelque sorte le messager de la société, sont beaucoup plus rares. Dans le collectif Lectures d'une œuvre (1999) dirigé par Philippe Romanski, Michel Serceau mentionne à titre d'exemple le film Riz Amer (1947) de Guiseppe De Santis. Nous proposons plutôt l'appellation film-convergence10 pour désigner ce type de film, afin d'éviter une confusion

avec le film choral que nous étudions.

1. Quelques précisions terminologiques

Avant de nous lancer dans la description des caractéristiques du film choral, il est à propos de situer le genre dans le paysage cinématographique actuel. De nombreuses appellations se rapprochent de notre objet d'étude, comme « film de groupe » (ou l'équivalent anglais ensemble film). Voici comment le terme est défini :

9 Le critique Romain Levern affirme même que : « le genre s'internationalise et s'enrichit d'ambiances de

plus en plus hétéroclites » (LEVERN 2007 : 10).

10 Le concept de convergence, défini comme l'« action d'aboutir au même résultat, de tendre vers un but

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The ensemble, or multi-plot, film follows a number of different protagonists as they each attempt to reach their goals or solve their problems. [...] Ensemble films are essentially subplots, which have to be connected without the benefit of a main plot to hold them together. These "mini-plots" have their own individual protagonists, conflicts and resolutions, but are not strong enough to carry the momentum of an entire film; they are simpler story lines, though not necessarily less dramatic. [...] Still, a core must be created to take the place of the main plot and to bring the mini-plots into an overall relationship (COWGLLL 2003 : 1).

Cette définition, qui n'est pas sans rappeler la notion de Network Narratives de David Bordwell (BORDWELL 2006 : 72), présente presque tous les éléments constitutifs du film choral : pluralité de personnages principaux évoluant dans des sous-intrigues distinctes, mais unies d'une certaine manière. De même, « un film conventionnel raconte l'histoire d'un ou deux personnages principaux, un film de groupe celle de plusieurs individus. Le film conventionnel a peu de protagonistes auxquels le spectateur va s'identifier tandis que le film de groupe doit maintenir l'intérêt du spectateur pour toute une série de personnages » (MÙLLER 2002 : 215). D semblerait donc que film choral et film de groupe soient deux appellations désignant le même objet. Nous n'en sommes pas si sûr, car en plus de citer des œuvres chorales de Robert Altman comme exemples, l'auteur mentionne les films The Breakfast Club (1985) de John Hugues et The Big Chill (1983) de Lawrence Kasdan. Ces deux œuvres, à l'instar de Mars Attacks ! (1996) de Tim Burton, ou encore de Little Miss Sunshine (2006) de Jonathan Dayton et Valerie Farris, mettent de l'avant l'idée de communauté, et s'il est vrai qu'il y a une multitude de protagonistes, il n'y a cependant pas assez d'autonomie entre les histoires pour que ces œuvres soient chorales. Il s'agit, ni plus ni moins, de récits mettant en scène plusieurs protagonistes, chacun évoluant dans de très minces sous-intrigues interdépendantes qui forment un noyau (core) très homogène. Si les sous-intrigues ne sont pas assez développées et autonomes, comme dans ces cas de figure, qu'une idée de communauté ressort davantage et que les personnages forment un groupe uni, il s'agit donc d'un film de groupe fortement homogène . A l'opposé, si les sous-intrigues sont autonomes au point qu'elles forment plusieurs films indépendants au sein d'une œuvre, il s'agit d'un film à sketches. Voici donc notre postulat : les films chorals sont des films de groupe, se situant à mi-chemin entre

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l'homogénéité de l'intrigue (films de groupe fortement homogènes), et l'hétérogénéité totale des parties (les films à sketches). Contrairement au film à sketches, il doit y avoir des liens entre les multiples histoires, mais ceux-ci ne doivent pas être trop marqués dans un film choral. Nous tâcherons d'ailleurs de nous prononcer sur la nature de ces liens dans la présente étude. Ainsi, si tous les films chorals sont des films de groupe, tous les films de groupe ne sont pas, à notre avis, des films chorals. Il y aurait donc lieu de scinder le concept de film de groupe en deux. Nous avons schématisé notre conception du film choral dans le tableau suivant, en citant quelques exemples remarquables pour chaque cas.

SCHÉMA 1 : Film choral et genres limitrophes

Film de groupe (ensemble film)

Film à sketches

Film de groupe fortement homogène

Breakfast Club The Big Chill

8 Femmes St. Elmo's Fire Little Miss Sunshine

Mars Attacks ! Ocean's Eleven L'Auberge espagnole Boogie Nights Clue Short Cuts Magnolia Crash Coeurs

Continental, unfilm sans fusil Le goût des autres

21 Grammes Friends With Money

American Graffiti Husbands and Wives Syriana Snatch Babel Amores Perros Nine Lives Cosmos Paris, je t'aime Coffee and Cigarettes

New York Stories

Ainsi compris, le film choral pourrait même être interprété comme étant un sous-genre du film de groupe. Toutefois, comme nous l'avons vu, nous croyons davantage que le film choral est un genre en soi, partageant plusieurs caractéristiques avec le film de groupe.

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Ce schéma nous permet également d'observer qu'il existe plusieurs types de films chorals, qui peuvent tendre soit du côté de l'homogénéité ou de celui de l'hétérogénéité, dépendamment des liens entre chaque sous-intrigue. Nous avons relevé quelques exemples que nous avons inscrits au bas du tableau, et les flèches indiquent vers quel côté ces œuvres chorales penchent davantage. Dans ce schéma, nous utilisons le terme hyperlink movie, tel que proposé par Alyssa Quart, dans son article Networked (QUART 2005 : 48). Elle utilise cette expression pour qualifier le film choral Happy Endings (2005) de Don Roos, et nous croyons que ce terme serait l'équivalent anglophone du film choral - et non pas « choral movie »12 tel que proposé par André Roy (ROY 2007 : 181). Le critique de cinéma Roger

Ebert a également contribué à la diffusion du terme hyperlink movie en l'utilisant pour décrire le film Syriana (2005) de Stephen Gaghan :

A recent blog item coined a term like "hyperlink movie" to describe plots like this. [...] The term describes movies in which the characters inhabit separate stories, but we gradually discover how those in one story are connected to those in another. "Syriana" was written and directed by Stephen Gaghan, who won an Oscar for best screenplay adaptation for "Traffic," another hyperlink movie. A lot of Altman films like "Nashville" and "Short Cuts" use the technique. Also, recently, "Crash" and "Nine Lives" (EBERT 2005 : 1).

La différence avec la définition du film de groupe est bien mince, mais les exemples cités par Ebert sont tous des films strictement chorals. À notre avis, Syriana est un film choral, à tendance plutôt unificatrice, penchant davantage vers l'homogénéité, mais sans être un film de groupe fortement homogène. En effet, ce film présente de multiples personnages (un prince, un agent de la CIA, un avocat, deux travailleurs au chômage, etc.) reliés de près à une intrigue complexe entourant l'industrie du pétrole. Plusieurs histoires parallèles sont unifiées par une thématique commune forte (les jeux de pouvoir et la corruption), et une cohésion d'ensemble ressort, bien que plusieurs personnages principaux ne se croisent jamais. Malgré cette forte cohésion, chaque personnage, chaque histoire

12 Si l'appellation choral movie paraît appropriée et naturelle - il s'agit de la traduction littérale de « film

choral » - les occurrences de ce terme sont quasiment nulles. En revanche, le terme hyperlink movie nous apparaît clair et davantage reconnu par la critique. Le lien avec le concept d'hyperlien est ici expliqué : « [...] multiple narratives intertwine in a single film, allowing (and requiring) viewers to jump about in time within a story and from one story to another much in the way they jump about among websites on the Internet » (BOOKER 2007: 12).

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garde tout de même son indépendance - ce qui est vital dans le cas du film choral. Les diverses trames narratives sont suffisamment soutenues et autonomes, contrairement à The Breakfast Club et à Ocean's Eleven, par exemple. Après avoir brièvement situé le genre, nous examinerons à présent ses caractéristiques fondamentales. D faut savoir que les éléments présentés ci-dessous s'additionnent, et que plus on en retrouve dans un film, plus ce dernier aura une forte tendance chorale et moins il tendra vers les genres limitrophes précédemment identifiés. De même, les chapitres subséquents serviront à préciser notre pensée, en poursuivant le travail de caractérisation et de comparaison du film choral.

2. Caractéristiques du film choral

2.1. Multiplicité de personnages principaux

Short Cuts est un film choral « dans la mesure où il ignore, avec la hiérarchie des personnages, la notion de personnage principal. Il l'est plus encore en ce sens qu'il fait éclater l'ordre et la hiérarchie des points de vue » (SERCEAU 1999 : 173). Avec ses 22 personnages, il n'est pas surprenant que l'on parle ici d'œuvre pluri-narrative13. Mais il

n'est certes pas nécessaire qu'un film choral possède absolument une vingtaine de protagonistes principaux. En vérité, il s'agit plutôt de dissocier le film choral des films où il n'y a souvent qu'un héros central, sujet de toute focalisation. Dans la majorité des films, nous retrouvons fréquemment un personnage principal et un certain nombre de personnages secondaires. Souvent même, deux héros peuvent coexister, pensons à Persona (1966) d'Ingmar Bergman, à Rush Hour (1998) de Brett Ratner, à Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry ou à Moulin Rouge ! (2001) de Baz Luhrmann. Néanmoins, la frontière entre les héros et les seconds rôles est clairement définie. On ne saurait voler la vedette aux héros. Il est par ailleurs très aisé de reconnaître ces derniers dans ce type de film, car l'histoire tourne nécessairement autour d'eux et les autres personnages, adjuvants ou opposants, ne servent habituellement qu'à les supporter ou à les importuner dans leur « quête ». Dans le cas du film choral, une multiplicité de personnages principaux doit

13 «Short Cuts est pluri-narratif. [...] Chez Altman, la narration se complique: il y a, à des niveaux

d'occurrence et à des niveaux dramatiques différents, plusieurs histoires, dont les fils se frôlent, se croisent ou se coupent » (SERCEAU 1999 : 173-174).

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coexister, créant ainsi de multiples sous-intrigues, de nombreux itinéraires (JOUVE 2001 : 83). Plusieurs termes illustrent d'ailleurs fort bien cette idée de pluralité : on parle parfois de kaléidoscope (CAMY 1999 : 23), de fresque polyphonique (LEFEBVRE 1999 : 237), de toile de personnages (web) (SALEH 2000: 37), de mosaïque (CLÉMENT 2005 : 48) ou encore de microcosme (FABRE 1999 : 114). C'est, par ailleurs, cette idée de multiplicité de personnages principaux qui est souvent illustrée sur les affiches de films chorals, comme en témoignent les trois premiers exemples suivants, mais également sur les affiches de films de groupe fortement homogènes :

Dans 27 Grammes (2003) d'Alejandro Gonzalez Inârritu, nous voyons, également divisés par trois bandes horizontales, Sean Penn, Naomi Watts et Benicio Del Toro.

Dans Love Actually (2003) de Richard Curtis, dix personnages se retrouvent dans des cases d'égale grandeur et ceintes d'un ruban rouge, rappelant que chaque histoire se déroule dans la période des fêtes. L'idée de mosaïque ressort très bien sur cette affiche.

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Dans Que Dieu bénisse l'Amérique (2006) de Robert Morin, nous voyons tous les personnages principaux dans leur lit, sans que l'un d'eux ne se démarque du lot.

En ce qui concerne le film de groupe fortement homogène 8 Femmes (2002) de François Ozon, nous retrouvons les huit protagonistes gravitant autour du titre. L'accroche « L'une d'entre elles est coupable. Laquelle ? » laisse présager une intrigue unique impliquant un crime.

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Dans le film de groupe fortement homogène L'Auberge espagnole (2002) de Cédric Klapisch, l'idée de communauté est bien représentée par la mosaïque illustrant tous les protagonistes. Dans ce film, le personnage de Xavier (à gauche), évolue dans la trame narrative la plus prononcée, celle autour de laquelle gravitent les autres personnages principaux.

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La fresque et la mosaïque sont donc des procédés visuels fort utiles pour illustrer la « choralité » d'un film. Généralement, en voyant ce genre d'affiche, nous supposons qu'il

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s'agit d'un film de groupe, où il y aura plusieurs protagonistes. Dans ces exemples, nous remarquons que le nombre de protagonistes varie d'un film à l'autre, ce qui mène aux questions suivantes : combien de trames narratives différentes doivent se retrouver dans un même film pour le qualifier de choral ? Y a-t-il un minimum de personnages principaux nécessaire ? Nous croyons que la présence de trois protagonistes suffit à répondre au premier critère concernant la multiplicité des personnages principaux. Pensons aux films 21 grammes (2003) et Amores Perros (2000), tous deux réalisés par Alejandro Gonzalez Inârritu, où cette limite est respectée (avec, respectivement, Sean Penn, Naomi Watts et Benicio Del Toro dans le premier, et Emilio Echevarria, Gael Garcia Bernai et Goya Toledo dans le second). Nous hésitons fortement à établir la limite à deux personnages, car beaucoup de films non chorals présentent deux protagonistes, souvent reliés à une même quête. Nous abondons dans le sens de David Diffrient, qui, lorsqu'il y a deux histoires qui se répondent et qu'un effet de symétrie est créé, préfère l'appellation film portmanteau14, ce

qui se distingue du film choral. Du reste, en musique, on parle de duo pour un chant à deux voix, et non pas de chœur. Il y a donc l'exigence d'un nombre minimal, mais aucune limite quant à la quantité maximale de personnages. De même, dans un film choral, le nombre de trames narratives ne doit pas nécessairement être équivalent au nombre de personnages principaux. Le film Magnolia, par exemple, propose neuf trames narratives pour douze personnages principaux. Cela dit, au moins deux trames narratives soutenues15 doivent se

retrouver dans ces œuvres, sans quoi nous serions en présence d'un film de groupe fortement homogène. Le film Snatch (2000) de Guy Ritchie, en est un bel exemple, car les personnages principaux sont reliés soit à l'intrigue entourant le vol d'un diamant, soit à celle concernant le match de boxe, et aucune n'a préséance sur l'autre. À l'instar du précédent film de ce réalisateur, soit Lock, Stock and Two Smoking Barrels (1998), les personnages ne sont pas individuellement indépendants, car chacun fait souvent partie d'un groupe (les quatre amis devant trouver de l'argent rapidement, les vendeurs de drogue, les

14 «The term portmanteau [...] refers to a large leather suitcase that opens into two hinged compartments

folding out symmetrically. My use of the word "portmanteau" [...] embrace only those episodic films that are broken into two, relatively equal, halves (regardless of the number of directors involved) » (DIFFRIENT 2005 : 9). À titre d'exemple, Diffrient propose, entre autres, les films Chungking Express (1994) de Wong Kar Wai et Storytelling (2001) de Todd Solondz.

15 Le terme est ici à modérer, car dans un film choral, ces trames narratives ne sont pas toujours faciles à

identifier, l'action relevant souvent de la subtilité de la peinture des émotions. Néanmoins, il n'y a pas qu'une seule grande « intrigue » à laquelle viennent se greffer tous les personnages.

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deux voleurs...). Ainsi, ces films rassemblent plusieurs petits groupes de personnages principaux dont le destin est lié, comme autant de films de groupe fortement homogènes au sein d'une œuvre chorale.

2.2. Importance relativement égale de chaque protagoniste

Les personnages doivent, outre leur multiplicité, être d'égale importance, ou, plus justement, être d'importance relativement égale. Cette caractéristique découle directement de la première que nous avons énoncée. Le film choral « [...] multiplie les protagonistes principaux à un point tel que la hiérarchie entre personnages principaux et secondaires est jetée à bas. Pour apprécier l'audace que représente la disparition de cette hiérarchie, il ne faut pas perdre de vue que le système hollywoodien crée un écart abyssal entre le statut de star et celui de second rôle » (MOUREN 1999 : 40). Il est donc impossible qu'un film choral ne montre qu'un personnage principal, car il en faut plusieurs qui passent environ le même temps à l'écran, ou, du moins, plusieurs dont le rôle narratif est comparable en terme d'importance. De même, un nombre relativement égal d'aventures ou de péripéties doit arriver à chaque personnage. En ce sens, l'importance de l'un ne doit pas être accrue parce qu'il est impliqué dans davantage d'événements, faisant ainsi trop pencher la balance de l'intrigue de son côté. Cela aurait pour conséquence de reléguer les autres personnages à l'arrière-plan, ou, comme c'est le cas pour certains films de groupe fortement homogènes, de créer un noyau (core) autour de la trame narrative d'un personnage en particulier. Cependant, le réalisateur d'un film choral peut décider de mettre davantage de sensationnalisme dans une histoire afin de la faire contraster avec les autres. Prenons Babel (2006), où l'histoire au Maroc, avec le coup de fusil et les troubles qui s'ensuivent, est davantage turbulente que celle de l'adolescente japonaise. Du moins a priori, car lorsqu'on repense au film, l'histoire de l'adolescente sourde est aussi troublante que les deux autres, mais à un autre niveau, plus sensible et personnel. De plus, la notion d'égalité ne concerne nullement le statut ou la classe sociale des personnages. Qu'ils soient riches ou pauvres, hommes ou femmes, mariés ou célibataires, cela importe peu. En fait, bien souvent, le film choral montre un échantillon varié de la société. Dans Short Cuts, par exemple, « l'éventail des niveaux sociaux est assez large, mais à l'intérieur de la classe moyenne » (CUROT

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1999 : 150). Un personnage peut, de prime abord, se démarquer du lot, mais la place et l'importance des autres doivent être sensiblement les mêmes pour qu'il soit possible de parler d'un film choral. Nous pensons ici à Fauteuils d'orchestre (2006) de Danièle Thompson, où Jessica, interprétée par Cécile de France, semble au départ être la vedette du film, mais où nous découvrons rapidement que chacune des histoires parallèles, évoluant dans le monde du spectacle, a autant d'importance que la sienne. À titre de contre-exemple, nous ne croyons pas que L'Auberge espagnole (2002) de Cédric Klapisch soit un film choral, car bien que l'idée de communauté soit très présente dans le film, le personnage de Xavier (Romain Duris) occupe une place prépondérante, ce qui relègue tous les autres personnages « principaux » au second plan. Nous hésitons également à placer Boogie Nights (1997) de Paul Thomas Anderson sous la bannière chorale. Contrairement à Magnolia (1999), où tous les personnages sont sur un relatif pied d'égalité, ici, le personnage de Dirk Diggler (Mark Wahlberg) occupe le plus de place à l'écran (en terme de temps, mais également en terme d'importance dans l'histoire : il est le moteur du récit). Néanmoins, dans ces deux exemples, l'idée de groupe, de communauté unie prévaut, ce qui évite une distinction trop marquée entre rôle principal et rôles secondaires. L'Auberge espagnole et Boogie Nights seraient donc davantage des films de groupe fortement homogènes, car chaque sous-intrigue, possédant une relative autonomie, est annexée à celle du personnage central, devenu un noyau (core) rassembleur, provoquant ainsi une forte homogénéité.

Le critère de l'égalité peut s'avérer problématique lorsque vient le temps de sélectionner un acteur ou une actrice s'étant démarqué dans un film choral ou dans un film de groupe fortement homogène. Ces types de films mettent de l'avant l'idée de communauté. Tous sont des héros, et comme la plupart des cérémonies de remise de prix ne récompensent qu'un meilleur acteur et qu'une meilleure actrice, il est difficile de trancher. C'est précisément ce qu'affirme le critique de cinéma Leonard Maltin : «When there's a true ensemble with a lot of good performances, it's hard to single out one without insulting the others » (LEVY 2003 : 121). D est donc ardu, dans un film de groupe avec de multiples protagonistes de statut relativement égal, de déterminer lequel devrait remporter un Oscar, par exemple. À ce sujet, le producteur Adam Fields rappelle l'une des bases du cinéma

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hollywoodien, soit l'importance de la distinction entre rôle principal et secondaire : « Your screen time in an ensemble film is reduced. A beautiful girl in a room full of models won't stand out as much as a beautiful girl alone. If your only goal is to get an Academy Award, star in a one-man show» (LEVY 2003: 121). Cela dit, ce ne sont pas toutes les organisations qui sont récalcitrantes envers le film de groupe : « Year after year, the casts of large-ensemble pictures are entirely ignored because the Academy doesn't know what to do with ensembles. The only organization that formally acknowledges the importance of collective acting to a film's overall impact is the Screen Actors Guild (SAG), which has a separate category for Best Ensemble » (LEVY 2003 : 121). Du reste, on remarque parfois d'autres exceptions, comme au festival de Cannes de 2006, où la palme de la meilleure actrice a été attribuée à l'ensemble des actrices du film Volve r (2006) de Pedro Almodovar. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un film choral, mais plutôt d'un film de groupe fortement homogène, cela démontre tout de même une certaine ouverture de la part des jurys.

2.3. Présence d'un degré d'autonomie entre chaque histoire

Chaque personnage principal, peu importe le nombre, doit être le héros de sa partie, de son histoire : « everyone stars in their own film, if only for a while » (OLSEN 2000 : 28). Une pluralité de protagonistes, dans un film choral, implique une pluralité d'intrigues et de trames narratives. Cette précision est de première importance, car si nous considérons seulement les deux premiers critères que nous avons établis à propos du film choral, un très grand nombre de films entreraient alors dans cette catégorie. En fait, c'est principalement l'autonomie de chaque histoire, de chaque sous-intrigue qui sert à distinguer le film choral du film de groupe fortement homogène. Par exemple, // était une fois dans l'Ouest (1968) de Sergio Leone, présente quatre protagonistes d'importance relativement égale (Frank, Cheyenne, Harmonica et Jill McBain). Cependant, chacun est relié à la même histoire, à la même intrigue entourant l'expansion du chemin de fer sur la propriété des McBain. De même, le film Ocean's Eleven (2001) de Steven Soderbergh n'est pas un film choral, mais bien un film de groupe fortement homogène, car les onze protagonistes sont tous reliés à l'intrigue centrale concernant le vol de trois casinos à Las Vegas. Ainsi, les sous-intrigues des films de groupe fortement homogènes sont souvent bien minces et ne possèdent pas

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suffisamment d'autonomie. En outre, plusieurs films catastrophe présentent de multiples protagonistes évoluant dans diverses sous-intrigues, mais ces dernières ne sont souvent pas très développées, car tous les personnages convergent vers le même but et doivent souvent s'entraider pour y parvenir. Dans Independence Day (1996) de Roland Emmerich, dans VAventure du Poséidon (1972) de Ronald Neame et dans Deep Impact (1998) de Mimi Leder, tous les personnages perdent en quelque sorte leur individualité pour un dessein commun plus grand (généralement, il s'agit de la survie ou de la résistance). Dans un film choral, un degré d'autonomie entre chaque histoire est donc nécessaire. Nous ne proposerons pas un calcul de ce degré d'autonomie, car il varie d'un film à l'autre et son appréciation est très subjective. Théoriquement, il serait possible de prendre chacune des histoires qui composent un film choral et de créer autant de films sémantiquement autonomes à partir de celles-ci. C'est pourquoi des films comme The Breakfast Club (1985) de John Hugues, ou encore 8 Femmes (2002) de François Ozon ne sont pas, à notre avis, des films chorals, mais bien des films de groupe fortement homogènes. Dans 8 Femmes, nous retrouvons huit protagonistes, d'importance relativement égale, toutes unies par des liens serrés, mais chacune est reliée à la même intrigue concernant le meurtre de Marcel, seul homme du film. En isolant un personnage des autres, il perd toute signification, l'itinéraire ou la sous-intrigue dans lequel il se trouve n'étant pas assez soutenu pour créer un film autonome.

Résumer un film de groupe fortement homogène est généralement une entreprise aisée. Mais lorsqu'on tente l'exercice avec un film choral, il n'est pas rare de rencontrer certaines embûches. C'est d'ailleurs une bonne façon de distinguer ces deux genres. En effet, synthétiser un film choral en tâchant de ne rien omettre de chaque sous-intrigue est une tâche parfois complexe. Le résumé présent sur la jaquette du film Le goût des autres (2000) d'Agnès Jaoui illustre très bien l'absence d'intrigue centrale : « C'est l'histoire d'un chef d'entreprise qui rencontre une actrice qui est amie avec une serveuse qui rencontre un garde du corps qui travaille avec un chauffeur qui conduit une décoratrice qui est la femme du chef d'entreprise qui voudrait être ami avec des artistes... ». Chaque personnage a sa propre histoire, ses problèmes et ses buts, et chacun représente une pièce de puzzle dans le film.

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2.4. Un lien unit les différentes histoires

Marie-Laure Ryan, dans son article « The Modes of Narrativity and Their Visual Metaphors »16, se charge de la colossale tâche de définir les différents types de narrativité

qui existent dans la littérature. L'un d'eux, « Braided Narrativity », s'applique merveilleusement à la narration si particulière du film choral : « This type of narrative follows the intertwined destinies of a large cast of characters. The text presents no global plot, but a number of parallel and successive subplots developing along the destiny line of characters. A subplot is a series of events in which several destiny lines are tied together » (RYAN 1992 : 373). Ainsi, nous retrouvons de multiples histoires reliées d'une façon ou d'une autre. Comme il n'y a pas d'intrigue globale (caractéristique vitale de la plupart des films à narration simple et des films de groupe fortement homogènes), c'est la force et la diversité des sous-intrigues qui alimentent le récit. Afin de rendre le tout cohérent, ceux-ci se croiseront à la manière de fils tissés dans une tapisserie - c'est par ailleurs la métaphore qu'utilise Marie-Laure Ryan. La tapisserie ainsi créée forme un ensemble qui unit les histoires, avec un fil soit très serré, soit plutôt ténu et abstrait. Les diverses parties sont donc jointes par un lien d'ordre narratif, thématique, stylistique ou poétique. Présentons, en vrac, quelques-unes des techniques utilisées pour unir les histoires.

Les personnages d'un film choral peuvent évoluer au sein d'un même milieu -Robert Altman semble d'ailleurs avoir repris le concept classique d'unité de lieu (Los Angeles dans Short Cuts (1993), un ancien manoir dans Gosford Park (2001) et un théâtre dans Prairie Home Companion (2006)) - ou être éparpillés aux quatre coins du globe (pensons à Babel (2006) d'Alejandro Gonzalez Inârritu, par exemple). Pour le film The Rules of Attraction (2002) de Roger Avary, le collège Camden est le lieu qui unit les trois protagonistes impliqués dans un singulier triangle amoureux. Ainsi, les personnages peuvent se connaître ou non. Dans certains films chorals comme Friends With Money (2006) de Nicole Holofcener, les quatre héroïnes sont d'excellentes amies et se retrouvent

16 Marie-Laure Ryan, « The Modes of Narrativity and Their Visual Metaphors », dans Style, Vol. XXVI, n° 3

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fréquemment ensemble, mais toutes ont la même importance individuelle. Pensons également à Happiness (1998) de Todd Solondz, où trois sœurs vivent des situations pour le moins perturbantes. À l'opposé, des films comme Bobby (2006) d'Emilio Estevez, Crash (2004) de Paul Haggis ou 21 Grammes (2003) d'Alejandro Gonzalez Inârritu, nous présentent une pluralité de personnages qui ne se connaissent pas au départ, provenant de classes sociales variées, mais dont les destins se croiseront inéluctablement. Partons de l'idée que si les personnages se connaissent et qu'ils évoluent dans le même milieu, les liens risquent d'être davantage serrés, mais ce n'est pas vrai dans tous les cas.

Ce peut également être le hasard, un accident ou un objet commun qui unit des protagonistes n'ayant apparemment aucune raison de se connaître. Le coup de feu dans Babel, l'accident de voiture dans Amores Perros, le cœur dans 21 Grammes, le violon dans Le Violon Rouge (1998) de François Girard et l'assassinat de Robert Kennedy dans Bobby (2006) ne représentent que quelques exemples. En outre, dans le film 11 y a des jours...et des lunes (1990) de Claude Lelouch, les personnages principaux subissent l'influence de la pleine lune, de différentes manières, et ont des ennuis dus au changement d'heure. Les multiples histoires qui peuplent ce film interagissent entre elles, s'influencent mutuellement. Une réplique du film résume d'ailleurs très bien cette idée : « Maintenant il fait partie de notre histoire et nous on fait partie de la sienne. On ne sait jamais les traces qu'on laisse ».

D'une manière plus subtile, le lien peut également être d'ordre thématique. À cet effet, « l'alternance entre les personnages, l'interruption d'une intrigue par une autre contribuent à créer des rapprochements, des contrastes ou des échos signifiants, à établir des liens causaux ou des analogies » (FABRE 1999 : 107). Les personnages évoluant dans chacune des différentes intrigues cherchent souvent la même chose, vivent des émotions similaires ou connaissent un malheur semblable17. Ainsi, nous pourrions dire que les

personnages d'un film choral sont au service d'une thématique unificatrice. Citons, entre autres, la recherche de l'amour dans Cœurs (2006) d'Alain Resnais, la solitude dans

17 Notons cependant que l'inverse est également possible : des effets de contraste peuvent être produits en

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Continental, un film sans fusil (2007) de Stéphane Lafleur, la sexualité et l'amour dans Shortbus (2006) de John Cameron Mitchell et la vie quotidienne après les attentats du 11

septembre 2001 dans The Great New Wonderful (2005) de Danny Leiner. Pour le film Nashville (1975) de Robert Altman, « [...] the setting for [this] film, is like an arena in which politics and country music intermingle as the uniting factor » (SALEH 2000 : 27). L'art du réalisateur consiste ici à dissimuler cette thématique, en la laissant planer doucement au-dessus des multiples histoires, afin de ne pas produire un film trop démonstratif. C'est ce qui fut parfois reproché à Crash (2004) de Paul Haggis, où l'enchevêtrement des histoires se transforme en manifeste très moralisateur sur le racisme : « Unfortunately, the film's message (racism is bad, stereotyping is simplistic) is itself something of a cliché, while the film tends to reduce all social differences to ethnic ones, ignoring other important elements » (BOOKER 2007 : 20).

Mentionnons également que divers procédés, souvent employés à l'étape de la post-production, peuvent contribuer à unifier les différentes parties. C'est le cas, entre autres, de la musique. Le réalisateur de Magnolia, Paul Thomas Anderson, a fait appel à la chanteuse Aimée Mann, seule interprète de la bande sonore du film : « There are nine différent plots, but I wanted to make sure it didn't feel like a vignette movie18. So having one voice to

unify it all seemed a good idea » (OLSEN 2000 : 27). Également, dans le film American Graffiti (1973) de Georges Lucas, où quatre amis (Curt, Steve, Terry et John) vivent leur dernière nuit avant le début de leur première année au collège, la musique rock omniprésente ajoute une cohésion à l'ensemble. Un élément extradiégétique, comme la musique, peut donc unifier des éléments épars. De même, un traitement de l'image particulier, comme le noir et blanc très contrasté avec la présence ponctuelle de certains éléments colorés dans Sin City (2005) de Frank Miller, Robert Rodriguez et Quentin Tarantino, crée une cohésion (qui, à elle seule, est moins importante qu'un lien narratif ou thématique). De même, pratiquement chaque plan contenu dans les films Nine Lives (2005) de Rodrigo Garcia et Code inconnu (2000) de Michael Haneke constitue un plan séquence, ce qui crée une certaine homogénéité. Il arrive aussi qu'un type de montage particulier crée une structure venant unir les fragments. Entre autres, le montage parallèle « permet de

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construire un univers narrativement cohérent : malgré le morcellement spatial, malgré la discontinuité temporelle, l'analogie est à la base de cette forme particulière de montage » (YAZBEK 2008 : 121). Evidemment, ces différentes catégories de liens ne sont pas étanches et elles peuvent s'additionner. Un film choral peut très bien présenter, par exemple, des personnages d'une même famille, liés par une thématique dominante et avoir une bande son composée par un seul artiste. Il serait par ailleurs intéressant de voir jusqu'à quel point un film choral peut pousser la notion de lien, en possédant tous ces éléments unificateurs, mais sans jamais devenir un film de groupe fortement homogène.

2.5. La peinture des émotions prime sur l'action

Le film choral est généralement un film d'acteurs et non d'action. Alissa Quart, dans son article Networked (2005), écrit : « Like Altman and Rudolph, Roos is dependant on actors acting ». Puisque les films chorals « renoncent à la dramatique conventionnelle, ils doivent pouvoir s'appuyer sur des acteurs de qualité. Il s'agit, dans le meilleur des sens du terme, de cinéma d'acteurs » (MULLER 2001 : 197). Dans bien des cas, on a l'impression que les films chorals sont des films où il ne se passe pratiquement rien. Bien que certains fassent mentir cette affirmation par la présence de multiples scènes d'action rocambolesques19, cela est loin de représenter la majorité. Robert Altman, dans ses films,

prône d'ailleurs cette idée : « [He] has decided to depict a society of extraordinary ordinary people whose paths cross accidentally : the characters meet, socialise but none are outstanding heroes. [...] This trait is typical to his films » (FABRE 1999 : 28). D'ailleurs, le réalisateur va jusqu'à affirmer : « la structure profonde de mes films c'est une organisation de sentiments » (CAMY 1999 : 33). La vie quotidienne de personnages a priori « ordinaires », fait souvent l'objet des films chorals. Comme il n'y a pas d'intrigue globale, mais bien différents points de vue présentés dans plusieurs histoires relativement autonomes, le film choral est « le seul à permettre un point de vue sur le monde qui ne soit pas manichéen avec des héros et des seconds rôles. Il met l'humanité dans ce qu'elle a d'essentiel et de commun en avant, et non plus ce qui la sépare » (LEVERN 2007 : 9). Cela dit, certains autres types

19 Babel, Pulp Fiction, Sin City et Crash, par exemple, ainsi que la plupart des films chorals de Guy Ritchie.

Ou encore l'improbable The Air I Breathe (2007) de Jieho Lee, avec la course contre la montre, les accidents de voiture, le vol de banque, la mafia...

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de films - majoritairement européens - pensons à Persona (1966) et à Cris et chuchotements (1972) d'Ingmar Bergman, ou encore à Pierrot le fou (1965) de Jean-Luc Godard, ne présentent pas de bons ou de mauvais personnages. Es les laissent plutôt vivre sans les juger. Dans cette même lignée, les films chorals vont généralement à l'encontre des films d'action, où l'attention du spectateur est dirigée vers l'intrigue principale et les nombreuses péripéties. Interrogé sur sa manière d'écrire, le scénariste de Babel, Guillermo Arriaga, répond ceci : « My main concern is to tell human stories, not to send a message. I don't want to have a movie about ideas, but a movie about emotions » (MOTSKTN 2006 : 60). Les émotions humaines sont donc souvent au cœur des films de type choral, et la pluralité d'acteurs contribue à montrer diverses situations. Dans Love Actually (2003) de Richard Curtis, par exemple, de même que dans le film Valentine's Day (2010) de Garry Marshall, chaque personnage est une sorte d'allégorie des diverses formes que peut prendre l'amour. De même, le film « Carnages, constitué d'un ensemble de tranches de vie charriant une dizaine de personnages, est un film choral, censé décliner une certaine idée de la communauté des hommes dont chacun serait une manière d'illustration » (CHAUVIN 2002 : 87). On regarde un film choral pour se divertir, certes, mais surtout pour observer un microcosme, un échantillon de la société et pour se laisser surprendre par les multiples liens qui apparaissent entre les histoires. La peinture des émotions prime donc sur l'action20, et

cela est confirmé par le fait que les films chorals comportent généralement une fin ouverte.

2.6. Présence d'une fin ouverte

Dans un film choral, il n'y a habituellement pas de commencement ni de fin, mais bien un long milieu : « In a genre whose form has been described as "an indefinitely expandable middle" lacking beginning or end, the viewers as well as the characters are trapped in an eternally conflictual present » (DILLMAN 2005 : 146). Le spectateur a l'étrange impression qu'une caméra a pris sur le vif des fragments de la vie quotidienne de plusieurs personnes, habitant la même ville ou non. Ces fragments de vie entrecroisés, pendant un temps bien défini, représentent l'essence du film choral. Bien souvent, comme il

20 Cette affirmation est basée sur l'observation de plusieurs films chorals, mais, comme nous l'avons dit, toute

action n'est pas proscrite. Dans la majorité des cas cependant, force est d'admettre que l'action n'occupe pas une place prédominante.

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n'y a pas de grand conflit, il n'y a rien à résoudre, et donc la fin triomphante n'a plus sa place. En quelque sorte, « cette accumulation darwinienne, qui génère l'éclatement du récit en une sorte de puzzle organisé, sonne le glas des fins célébrées comme d'ultimes temps forts » (CAMY 1999 : 30). On s'éloigne généralement des films narratifs hollywoodiens et de leur « clôture réconciliatrice (le happy ending, forme de deus ex machina pour que s'achève l'œuvre) ou cathartique (l'accomplissement, la destruction, la perfection du tragique, la mesure du "Tout est accompli") » (BERTHOMIEU 2006 : 118). On ne retrouve donc pas de « récit téléologique » (CLÉMENT 2004 : 109) en soi, mais bien des instants. D faut chercher ailleurs ce qui fait la force du film, et cela se retrouve souvent, comme nous l'avons vu, dans la justesse et l'intensité du jeu des acteurs. Ces films nous font dire que, malgré tout, la vie continue, même si nous ne sommes pas témoins de la suite des événements : « The film shows us pieces of a puzzle, which we see at random but the puzzle remains unfinished as the characters' lives move on, despite the earthquake, death and break-ups » (SALEH 2000 : 39). Le spectateur peu habitué aux films chorals peut parfois avoir l'impression de demeurer sur sa faim, car il n'y a pas de conclusion apportant des réponses satisfaisantes quant au sort des protagonistes. Des questions, donc, plus que des réponses, sont soulevées par le film choral. À titre d'exemple, dans Embrassez qui vous voudrez (2002) de Michel Blanc, à la fin, nous n'avons aucune idée si Elizabeth reverra Lili, ou si Véronique acceptera de redonner son bébé à Emilie. Beaucoup de questions restent en suspens et le spectateur a une grande part d'interprétation - et parfois de déduction - à faire. Mais quelquefois, il s'agit simplement de contempler les tranches de vie, avec leurs anecdotes amusantes ou leurs secrets bien gardés, d'un microcosme au quotidien, en se laissant surprendre au passage par les liens inattendus unissant chaque histoire.

Après avoir étudié les six caractéristiques qui, selon nous, doivent généralement se retrouver dans un film choral, il convient de préciser que certaines d'entre elles ne sont pas indispensables. À notre avis, pour qu'un film se place sous la bannière chorale, il doit absolument posséder les quatre premières caractéristiques énoncées, concernant davantage la forme du film. Le film choral se situe toujours dans une zone de tension paradoxale : d'un côté, il doit y avoir une autonomie suffisante des parties pour éviter de basculer dans

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le film de groupe fortement homogène, où la force des sous-intrigues se trouve grandement diluée, et d'un autre côté, ces parties doivent être suffisamment liées entre elles afin de ne pas se retrouver avec un film à sketches, trop hétérogène. Certes, le film choral peut tendre vers ces genres limitrophes, mais la tension est absolument nécessaire à l'existence du genre. En ce qui concerne la peinture des émotions et la fin ouverte, ces éléments se retrouvent presque toujours dans les films chorals, mais nous pourrions concevoir un film de ce genre y dérogeant quelque peu. Sm City (2005) de Robert Rodriguez, Frank Miller et Quentin Tarantino, par exemple, présente plusieurs scènes d'action violentes et chaque histoire possède une fin relativement fermée, mais nous croyons qu'il s'agit tout de même d'un film choral, tant les liens (narratifs, mais également esthétiques et thématiques) sont présents. Nous avons également remarqué un autre élément commun à ces films : la place prépondérante accordée aux montages alterné et parallèle. La manière d'agencer les fragments détermine le succès ou non du film, et cela s'avère encore plus en présence d'un film choral.

3. Art du montage

Être monteur d'un film choral constitue un défi logistique de taille. Les différentes trames narratives, qui parfois se multiplient à outrance, doivent s'enchevêtrer sans devenir chaotiques. Il est primordial d'avoir une idée claire des liens entre les différentes histoires afin de ne pas s'embrouiller à l'étape cruciale du montage21. Dans la majorité des cas, les

histoires s'interrompent à des moments souvent inattendus pour revenir ponctuellement, parfois de manière surprenante. Bref, il s'agit d'une sorte de course de relais narrative entre les différentes histoires. Dans Short Cuts, « la narration est régie de bout en bout par le principe du montage alterné » (SERCEAU 1999 : 174). Il va sans dire que ce principe22

s'applique à la grande majorité des films chorals. En effet, chaque histoire doit être

21 À l'occasion, il arrive que le scénario soit écrit de façon non-linéaire, que le scénariste ait le découpage

final en tête, comme l'affirme Guillermo Arriaga : « When I'm writing, I say I have to cut here, I have to go to another place. I was writing a story, and then I stopped and began writing the other one [...]. By instinct, stop here, and talk about this, and stop here » (MOTSKIN 2006 : 58).

22 Le montage alterné est le montage de deux actions se produisant simultanément (dans le cas du film choral

cependant, il s'agit toujours d'au moins trois), alors que le montage parallèle est une juxtaposition d'éléments sans lien temporel, mais pouvant faire ressortir des thématiques communes.

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interrompue afin d'alterner avec plusieurs autres, pour revenir plus tard. Ainsi, en présence du « montage alterné, le mélange de deux actions différentes exige du spectateur qu'il retienne son attente par rapport à la première action pour en suivre une seconde [...]. Cet effet provoqué sur le public a été adéquatement nommé le "suspense" » (GUNNING 1984 :

137). Notons que dans le cas du film choral, il ne s'agit pas simplement de deux actions différentes qui alternent (ce qui est le cas de la majorité des films), mais bien d'un nombre parfois considérablement supérieur. Ainsi, les multiples histoires (au moins trois) et tranches de vie qui composent un film choral se relayent de diverses manières, ce qui crée la dynamique particulière de ce type de film. L'effet de suspense produit est parfois très puissant et explique peut-être en partie la popularité des films chorals. En outre, le montage alterné permet la multiplication des ellipses :

Ce n'est pas pour simplement assurer la continuité narrative de l'ensemble qu'Altman utilise le montage alterné (et parfois le montage parallèle). Ce mode traditionnel de présentation simultanée de différentes actions a dans le principe pour rançon la multiplication des ellipses : la perception et la réception de chacune des histoires (et avec elles l'implication que peut y avoir le spectateur) est interrompue : on passe sans solution de continuité, sans motivation dramatique, à une autre action (SERCEAU 1999 : 177).

Nous ne souscrivons pas tout à fait à l'affirmation de Michel Serceau à propos des œuvres chorales d'Altman. En effet, s'il est vrai que les coupes peuvent sembler aléatoires ou non motivées - elles le sont très souvent, car tout ne doit pas nécessairement être justifié - nous croyons que les différentes histoires se répondent par un habile jeu d'échos23. Ainsi,

plusieurs coupes sont imaginées à l'avance ; il y a une motivation dramatique. Les scènes et les personnages se répliquent et donnent un sens à ce qui pourrait autrement paraître chaotique. Il semble que plusieurs coupes se font à des moments clés, principalement pour provoquer un effet de suspense et pour bâtir des ponts entre les histoires. Bien sûr, une grande part de hasard est nécessaire, car ce ne sont pas tous les plans qui sont placés dans un ordre prédéterminé. En fait, beaucoup de rapprochements sont imaginés par le spectateur. De même, une séquence peut se retrouver à un endroit sans lien apparent avec

23 Cependant, dans le cas du film Code inconnu (2000) de Michael Haneke, les coupes entre chaque histoire

semblent tout à fait erratiques et aléatoires elles se font souvent au milieu d'une réplique ou d'une action -et une impression générale de zapping en ressort.

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