Les psychothérapies comme expériences conscientes (I)
Le neurofeedback : de la cybernétique à la phénoménologie.
Jean Vion-‐Dury * et ** ($) Gaëlle Mougin * et ***
* Aix Marseille Univ., FRE CNRS 2006, PRISM « Perception, Représentations, Image, Son, Musique », 13009 Marseille, France.
** Unité de Neurophysiologie, Psychophysiologie et Neurophénoménologie, Pôle Universitaire de Psychiatrie, CHU Ste Marguerite, 13009 Marseille.
*** UMR CNRS/ENS, 8547 -‐ Pays germaniques-‐Archives Husserl -‐Transferts culturels, 45 rue d’Ulm -‐ 75005-‐Paris
($) : auteur correspondant
RESUME.
Le neurofeedback est de plus en plus utilisé en clinique, en particulier psychiatrique. La psychologie cognitive qui cherche à en expliquer les bases s’inspire largement du paradigme cybernétique, et fait reposer le neurofeedback sur le concept de conditionnement opérant, mais également d’apprentissage complexe.
Dans cet article, nous faisons une critique épistémologique de l’approche cognitiviste du neurofeedback, et tentons d’en déceler les difficultés en nous aidant de l’expérience de la pratique du neurofeedback dans un cadre clinique. Les notions de conditionnement opérant et d’apprentissage semblent peu opératoire dès lors que les patients changent de stratégie plusieurs fois pendant la cure. Par ailleurs, la présence du personnel infirmier est déterminante du point de vue des patients.
C’est par une approche phénoménologique concernant cette situation d’homme face à la machine que nous tentons d’aborder le neurofeedback du point de vue de la conscience et de la chair. Nous discutons l’importance de l’intersubjectivité dans ce processus thérapeutique qui fait intervenir les interactions entre un cerveau et un ordinateur.
Mots clés. Neurofeedback Cybernétique Conditionnement opérant Apprentissage Phénoménologie Conscience Psychothérapie Interfaces cerveau-‐machine. SUMMARY
Neurofeedback is increasingly used in clinical, particularly in psychiatry. The cognitive psychology, which seeks to explain its bases, is largely inspired by the cybernetic paradigm, and explains the neurofeedback by the operative conditioning, and skill learning concepts.
In this article, we propose an epistemological critique of the cognitivist approach to neurofeedback and we try to identify its difficulties by using the experience of neurofeedback practice in clinical practice. The concepts of operant conditioning and skill learning seem to be poorly operative since the patients change strategies several times during the course of the treatment. In addition, the presence of nurses is critical from the point of view of patients.
It is by a phenomenological approach concerning this situation of man facing the machine that we try to approach the neurofeedback from the point of view of the consciousness and the flesh (Lieb). We discuss the importance of intersubjectivity in this therapeutic process that involves the interactions between a brain and a computer.
Key words. Neurofeedback Cybernetics Operating Conditioning Skill Learning Phenomenology Consciousness Psychotherapy Brain-‐machine interfaces.
1) Introduction
Le neurofeedback (NFK) est une méthode employée dans de nombreuses pathologies comme le TDAH, les troubles du sommeil, les dépressions. Cette méthode n’est pas nouvelle, puisqu’elle est apparue en 1958, à
partir des techniques électroencéphalographiques [38]. En fait, le NFK doit être intégré dans le cadre plus
général du Biofeefback (BFK), qui inclut par exemple l’électrodermogramme [16], les cohérences
cardiaques, l’électromyogramme, c’est à dire toutes ces procédures utilisant la modulation consciente d’un paramètre physiologique.
Plusieurs raisons expliquent le considérable développement de cette thérapeutique: l’accessibilité et les
performances des ordinateurs actuels1, celui de programmes complets et versatiles, l’insuffisance souvent
avérée et la toxicité des traitements strictement médicamenteux, l’expansion des thérapies cognitivo-‐ comportementales et de remédiation cognitive qui apportent une vision alternative des prises en charge sur la base du conditionnement opérant et de la prise de conscience des possibilités de contrôle corporel (mindfulness), enfin l’appropriation croissante par le malade de ses traitements. Nous renvoyons à nos articles précédemment publiés pour plus de détails sur la réalisation et les conditions d’utilisation
clinique du NFK [29, 30].
Marzbani et coll. [27] distinguent 7 catégories de neurofeedback : a) le NFK basé sur la puissance spectrale de l’EEG, b) le NFK basé sur les potentiels longs corticaux (notamment la variation contingente négative), c) le NFK utilisant des systèmes délivrant une basse énergie électromagnétique (Low energy neurofeedback systems LEF) pour changer les rythmes des patients (NFK par neuromodulation), d) le NFK hémoencéphalique (HEG), analysant le débit sanguin cérébral par fNIRS (near infrared spectroscopy, spectoscopie du proche infra-‐rouge), e) le live score-‐Z NFK utilisant la comparaison continue de l’activité cérébrale du sujet avec des bases de données, f) le Low-‐resolution electromagnetic tomography (LORETA) NFK, basé sur le contrôle de la phase, des cohérences et de la puissance spectrale de l’EEG, et enfin g) le NFK par imagerie fonctionnelle par résonance magnétique , actuellement utilisé en recherche essentiellement .
Dans tous les cas le principe général du neurofeedback est le suivant (figure 1A) : le dispositif enregistre un signal biologique d’un sujet (activité EEG, IRMf), en extrait une variable pertinente (par exemple la puissance spectrale de l’activité alpha), la transforme en un signal détectable par le sujet (un histogramme, un bateau dans une course de bateaux, une montgolfière). Le sujet doit se débrouiller pour trouver les stratégies lui permettant d’optimiser la variable ainsi transformée et présentée, selon une consigne cohérente avec les besoins thérapeutiques. Cette variation de la variable générée de manière volontaire par le sujet constitue la boucle de rétroaction (ou feedback). Par ailleurs il convient de noter l’importance -‐ souvent signalée -‐ d’un thérapeute qui encourage et aide le patient à effectuer la tâche et valide les adaptations stratégiques requises.
Notons également, qu’il existe deux types du neurofeedback : le NFK explicite, dans lequel le sujet observe le signal directement corrélé au paramètre biologique et le NFK implicite dans lequel le signal n’est pas
directement présenté au sujet, mais ce sont les détails d’une scène ou d’une autre tâche qui varient [27].
Il ne nous revient pas ici de détailler ces différents protocoles et modalités de neurofeedback, car le but de cet article est de réfléchir à l’aspect épistémologique et phénoménologique de cette méthode, en partant d’un constat et d’une hypothèse forte.
Le constat est que, malgré les théories de psychologie cognitive actuellement supposées décrire et comprendre le processus de neurofeedback, on ne comprend absolument pas comment cette chose étrange qu’est le contrôle volontaire d’une activité physiologique en elle même impalpable et inconsciente, bien que représentée, peut avoir lieu, même si on peut lister des « fonctions » cognitives ou nerveuses nécessaires à sa réalisation.
L’hypothèse forte est que le neurofeedback peut être compris comme une thérapie qui, par le dispositif utilisé, module la conscience que le sujet a de son expérience dans le monde et, par conséquent, ce que les
phénoménologues2 appellent l’être-‐au-‐monde et aux-‐autres. Ainsi, dans cet article, nous détaillerons la
notion de l’impact de la procédure de NFK sur les modalisations de la conscience comme nous en avions
posé les bases récemment [48]. Cette position est proche de celle de Ey, qui considère les troubles
1 Ce qui n’était évidemment pas le cas lors des années de la création du NFK.
2 Il s’agit ici de la philosophie phénoménologique, notamment développée par Husserl et Heidegger ainsi
mentaux comme intimement liés à des déstructurations ou des désorganisations de la conscience [10, p.
72-‐75].
Par ailleurs, notre position épistémologique soulignera le caractère contextuel des théories scientifiques, qui sont toutes produites dans une époque à laquelle des développements scientifiques et techniques
spécifiques ont lieu. C’est l’approche constructiviste des théories scientifiques [23] qui n’ignore ainsi pas
le caractère transitoire des différentes théories, voire l’importance des modes et des groupes de pression
dans la vie scientifique [5].
2) Neurofeedback et paradigme de la cybernétique de premier ordre.
En 1948, un psychiatre anglais, W.R Ashby également cybernéticien [15], établit dans ses travaux des
analogies entre la structure du cerveau humain et celle des machines, en particulier en ce qui concerne le mécanisme de rétroaction ou « feed back ». Il invente un dispositif permettant d’expérimenter le processus de recherche automatique d'un équilibre par tout système abandonné à lui-‐même : c'est le premier « homéostat ». Le principe général est présenté en figure 1B. C’est celui du thermostat du four de la cuisinière. Le mot lui même de feedback apparaît dans les années 1950, c’est à dire en pleine expansion de science des automates programmables, aussi appelée cybernétique. Le terme cybernétique, formé à partir du grec κῠβερνήτης (kubernêtês) « pilote, gouverneur », a été proposé en 1947 par le mathématicien américain N. Weiner, pour promouvoir une vision unifiée des domaines naissants de l’automatique, de l’électronique et de la théorie mathématique de l’information en tant que « théorie entière de la commande et de la communication, aussi bien chez l'animal que dans la machine ».
La cybernétique est ainsi la « science qui utilise les résultats de la théorie du signal et de l'information pour développer une méthode d'analyse et de synthèse des systèmes complexes, de leurs relations fonctionnelles et des mécanismes de contrôle, en biologie, économie, informatique etc. » (Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, CNRTL). La cybernétique est née de la seconde guerre mondiale quand il s’est agi de guider des missiles vers une cible précise en utilisant des ondes radios, qui en elles mêmes étaient régies, dans ce contexte, par la théorie du signal et de l’information. Celle-‐ci avait été notamment développée par Shannon dans les laboratoires Bell. Il proposa d'utiliser un système de codage entre la source et le canal de transmission ainsi qu'un décodeur entre le canal et le récepteur, en utilisant
dans le canal des mots composés de symboles élémentaires de durée finie [14]. Shannon, à, l’instar de
Turing, est un des pionniers de l'intelligence artificielle.
A partir de cette époque, et notamment dans les laboratoires Bell, allait se développer cette cybernétique qui allait inspirer de manière considérable le cognitivisme, c’est à dire une version de la psychologie qui
considérait la pensée comme un calcul [7, 8] : ce fut à l’origine du premier paradigme des sciences
cognitives, à vrai dire abstrait et théorique et ne requérant pas la présence d’un organe biologique comme
le cerveau: le paradigme computationnel représentationnel [12, 45]. Cette cybernétique initiale a été
appelée cybernétique du premier ordre.
Retenons qu’une grande partie des neurosciences cognitives et de la psychologie cognitive s’appuient sur cette théorie de l’information et, d’ailleurs, il suffit de lire les anciens livres de neurophysiologie et les comparer aux ouvrages actuels pour voir que la notion d’influx nerveux a été quasiment éliminée au profit de celle d’information. Même si le paradigme computationnel-‐représentationnel a été remplacé par le paradigme connexionniste émergent, puis dans certains cas par le paradigme énactif, faisant notamment
intervenir les notions d’énaction, d’autoémergence et d’autopoièse, de cognition incarnée [11, 40, 43,
44] il reste encore bien ancré dans la psychologie cognitive. A ce propos, on ne peut qu’être pour le moins étonné de voir que dans les années 1950-‐2000, la cognition était pensée sur un mode typiquement théorique et dans un modèle qui était celui de l’ordinateur, sans que l’organe cerveau ne soit pris en compte en tant qu’organe. Cette désincarnation constitutive des sciences cognitives, et qui reste, on le verra, caractéristique des modèles explicatifs du neurofeedback, pèse sur la psychologie cognitive comme une chape de plomb en définitive rarement interrogée, ne serait-‐ce que par crainte de retrouver, par exemple, des intuitions de la psychanalyse et d’être obligée d’en prendre en compte les observations fondatrices.
Ainsi, actuellement on peut dire que la conception majoritaire du paradigme des neurosciences cognitives présente les caractéristiques suivantes : a) le système neurocognitif est un système informationnel, constitué de circuits (des réseaux de neurones) fonctionnant comme s’il s’agissait d’une sorte d’ordinateur
très complexe, en référence avec les théories du signal ; b) les activités psychiques restent largement localisées dans des structures cérébrales (c’est la neuropsychologie étayée par les études d’IRMf), mais ce localisme est très modulé par la conception de larges réseaux diffus avec des points centraux (hubs) ; c) les réseaux de neurones réels (et non pas formels) sont évolutifs dans le temps en fonction de l’apprentissage ou des nécessités et la notion de modularité, au sens initial informatique, est désormais largement abandonnée ; d) les réseaux neuronaux apprennent (connexionnisme-‐émergent) et fonctionnent de manière dynamique (non linéaire) voire chaotique ; e) des comportements (nouvellement créés) émergent de l’activité de ces réseaux.
Pour en revenir au neurofeedback, on voit que le schéma général de la figure 1B est parfaitement superposable à celui de la figure 1A et que, dans le propre terme de neurofeedback, on a déjà l’idée de l’homéostat, d’un système avec rétroaction.
3) Le modèle de psycho-‐ingénierie du neurofeedback.
Si l’on observe le développement actuel du NFK, on remarque que, d’une part et très logiquement, et en raison même du principe de rétroaction, les psychologues qui tentent de le comprendre s’insèrent dans le paradigme de la cybernétique, mais pas seulement. Comme les méthodes de thérapies cognitivo-‐ comportementales de première et seconde génération (hors les méthodes de pleine conscience), le NFK est également pensé selon le schéma du conditionnement opérant. D’autre part, parce que le cerveau du paradigme cybernétique est modélisé comme un système de traitement de l’information, parce que les machines de NFK sont des ordinateurs et parce qu’également il y a une forte émergence des interfaces cerveau-‐machine (BCI : brain computer interfaces), le neurofeed-‐back concerne également les ingénieurs
informaticiens développant ces BCI dont le NFK est en quelque sorte un exemple assez simple [2]. C’est
ainsi qu’une revue récente dont nous nous inspirerons partiellement dans ce texte, apparaît sous le titre « A psychoengineering paradigm for the neurocognitive mechanisms of biofeedback and neurofeedback »
mettant en évidence le double paradigme d’étude du NFK : la psychologie cognitive et l’ingénierie [13] .
A) Le conditionnement opérant.
Dès le début de sa mise en évidence, c’est le conditionnement opérant qui a servi d‘explication principale au NFK. La notion de conditionnement vient de Pavlov, à propos de sa célèbre expérience sur le chien
salivant au son de la cloche dans la fin des années 1890 [35]. Henri Piéron définira le comportement en
1907 comme « les manières d'être et d'agir des animaux et des hommes, les manifestations objectives de
leur activité globale [24]. Mais c’est Watson qui en 1913 inventa le terme de behaviorisme. Pavlov, comme
Piéron, avait une conception psycho-‐physiologique des comportements. Or le behaviorisme ne s’intéresse pas à la physiologie nerveuse car Watson considère le système nerveux central comme étant seulement un organe intégré dans le corps. Pour les behavioristes le système nerveux, intégré à l’organisme est une boîte noire dont on ne cherche pas à comprendre ou même décrire le fonctionnement. Il n’y a là dedans aucune physiologie et donc aucune psychophysiologie.
Plus encore, Watson refuse toute référence à la conscience et l’étude des états mentaux, considérés, en tant que tels, comme inobservables. Seuls les comportements, visibles, sont susceptibles d’analyse scientifique, objective. Dès lors, le comportement sera l’équivalent d’une réponse à un stimulus et le couple stimulus-‐réponse constituera une notion centrale du behaviorisme.
Alors que le reflexe conditionnel pavlovien constitue un conditionnement « répondant » dans lequel le comportement est déterminé par le stimulus qui précède, le conditionnement opérant, découvert par
Skinner dans les années 19303, est déterminé par le stimulus qui le suit, en d’autres termes par la
récompense ou la punition. Sera introduite alors la notion de renforcement positif (on applique un stimulus agréable) ou négatif (on enlève un stimulus désagréable) et de punition positive (on applique un stimulus désagréable) ou négative (on enlève un stimulus agréable). Ce conditionnement opérant (avec les renforcements positifs ou négatifs) est considéré comme à la base des processus d’apprentissage chez
l’animal et de constitution de la personnalité chez l’homme [24].
Très classiquement, on considère que les procédures de NFK mettent en jeu un conditionnement opérant, dont la récompense est la réussite de la tâche (faire gagner à un jeu), même si cette récompense est
3 En fait c’est Thordike qui, en 1898, avait observé un type de comportement résultant de l'effet qu'il
purement psychologique ou symbolique. Il est alors logique de penser que le neurofeedback étant basé sur un apprentissage du contrôle d’un paramètre biologique, l’évolution de celui-‐ci est en définitive le marqueur d’un apprentissage comportemental.
B) Les modèles du NFK chez l’homme.
Il apparaît cependant évident que le neurofeedback, même s’il est régi par le conditionnement opérant est, chez l’humain, un apprentissage plus complexe que simplement celui du rat dans sa cage, ne serait-‐ce que parce que le conditionnement opérant est un processus implicite ne faisant pas intervenir les processus réflexifs (figure 2). Afin de décrire ces caractères plus complexes, les modèles psychologiques du NFK en
clinique ont dû utiliser d’autres concepts, provenant en général des sciences cognitives [13] .
Le modèle biomédical utilise les notions d’autorégulation psycho-‐physiologique et d’autocontrôle dans le but de corriger des anomalies d’un fonctionnement cérébral déviant, l’autocontrôle permettant une
calibration du système nerveux4. L’acquisition des compétences s’opère selon deux processus: la
discrimination comme aptitude à la perception d’une variable interne et la self-‐maintenance5 comme
capacité à affecter une variable biologique et la changer dans une direction donnée. Dans d’autres modèles l’accent est mis sur les processus bottom-‐up et top-‐down. Le conditionnement opérant régi plutôt par des processus bottom-‐up et les apprentissages complexes (skill learning) régis plutôt par des processus top-‐
down permettent d’améliorer les compétences de self maintenance et de discrimination. Il semblerait que
le NFK implicite interagisse principalement avec le système de bottom-‐up, alors que le NFK explicite interagisse d'abord avec le système top down. En d’autres termes se pose, dans le NFK, la question de la part réflexive ou non réflexive de l’activité consciente.
Un autre modèle, le modèle SORC (SORC = Stimuli, Organism, Variables, Responses, Conséquences) considère que le comportement d’un organisme est modulé par le feedback environnemental, qui est une conséquence de son action. La conséquence de l’action, dans le cas particulier du NFK, est le signal de récompense dont l’interprétation comme récompense dépend de la motivation du sujet.
C) L’apprentissage au cœur du processus de NFK ?
En fait le neurofeedback, loin d’être ce une sorte de réflexe cortical sophistiqué, est pensé, de plus en plus comme un apprentissage complexe (skill learning ; apprentissage de compétences) intégrant les
nombreux processus cognitifs nécessaires à ce type d’apprentissage [2] . Il implique des processus et des
étapes non linéaires. En ce sens il est possible de concilier les théories de l'apprentissage comportemental et celles de l’intégration des schèmes développementaux (Piaget) du point de vue connexionniste, les schèmes émergeant des processus plus simples comme les divers conditionnements. Les renforcements augmenteraient les processus d’intégration des schèmes.
Bien évidemment les émotions sont largement impliquées dans les processus d’acquisition du NFK (et la pratique chez les patients le montre tous les jours). La mémoire est évidemment largement sollicitée. On y intègre la notion d’empan mnésique (memory span) comme limite de la mémoire de travail lors de l’exécution d’une tâche. Une autre notion de la psychologie cognitive est également évoquée dans l’apprentissage du NFK, la notion d’agentivité : l’agentivité est un sentiment de contrôle d’évènements extérieurs par sa propre action (« je suis en train de faire quelque chose qui génère une action »). La fluence, expérience subjective de la facilité ou de la difficulté à accomplir une tâche mentale, c’est à dire
donnant une perception du contrôle de soi est liée à l’agentivité [2, 13].
Mais également ce qui est au centre du NFK, comme de tout apprentissage, est la motivation. Celle-‐ci peut être externe (récompense externe) avec cependant le risque d’aversion ou de sentiment d’une contrainte
et la motivation interne, maximale quand la récompense est congruente avec la motivation. La
récompense intrinsèque est dite flow state (état de flux) correspondant à une bonne balance entre la difficulté de la tache et la maîtrise de la compétence. Il est donc importance d’atteindre ce flow state dans
le NFK ; le flow state implique une cognition d’ordre supérieur et les processus attentionnels [28] . En
4 La notion de calibration fait clairement référence au fait que le système nerveux est pensé comme un
système de mesure, une machine.
5 La traduction de self maintenance serait l’auto-‐maintenance, ce qui nous ramène à l’homéostasie et à
réalité le NFK peut être considéré comme un type de jeu sérieux : l'utilisateur «joue» avec sa variable biologique par le biais d'une interface et c’est de ces jeux sérieux qu’est née la notion de flow state . Le flow
state est un état où on est agréablement et complètement absorbé dans une activité orientée vers des
objectifs avec une attention hyper-‐focalisée. Le flow se produit lorsque le traitement de l'information
correspond aux aptitudes de l'utilisateur et quand la tâche devient un défi réalisable (ni trop frustrant, ni
trop ennuyeux). Le flow peut être mesuré par l’échelle de flow de Jackson et Marsh [37]. La figure 3
propose un modèle intégrant quatre composantes, dans une optique de psychologie cognitive.
4) Remise en cause du modèle de psycho-‐ingénierie du neurofeedback
Pour autant, cette conception cybernétique du neurofeedback et son inscription dans une ingénierie du conditionnement opérant et de l’apprentissage n’est pas satisfaisante et ce pour diverses raisons.
A) Seconde cybernétique et implication de l’observateur.
Elle n’est d’abord pas satisfaisante du point de vue de la cybernétique elle même. D’une part il semble assez problématique de réduire le comportement humain à ce schéma de boucles pour autant qu’elles aient une validité autre que conceptuelle et, d’autre part, la cybernétique initiale (parfaite pour les machines à laver) a évolué vers la cybernétique de second ordre promue par Von Foerster, Morin et tous
les tenants des sciences de la complexité [1, 31].
La cybernétique de premier ordre est une cybernétique des systèmes observés qui : a) postule la séparation du sujet et de l’objet lequel est considéré comme un élément du monde extérieur, b) repose sur les concepts feed-‐back, d’homéostasie, d’information, de circularité, de contrôle, de régulation, de stabilité ou instabilité dynamique, d’oscillateurs, de points fixes, d’attracteur, de finalité, de but, de projet.
En revanche la cybernétique de second ordre est une cybernétique des systèmes observants, incluant les boucles autoréférentielles initiées par l’observateur ; elle fait en sorte que les concepts de la première cybernétique opèrent dans le processus d’observation lui même, et considère que l’observateur est impliqué dans le monde qu’il décrit, qu’il construit et transforme peu ou prou, ce qui fait que la description devient en partie une auto-‐description. Pour ces raisons de non-‐séparation entre observateur et sujet observé, cette seconde cybernétique est appelée également épistémologie quantique.
Le paradigme connexionnisme–émergent comme le paradigme énactif s’éloignent de la cybernétique de premier ordre et s’inspirent de plus en plus de la cybernétique de second ordre. Une des caractéristiques de cette approche de la complexité est l’emphase mise sur l’analyse des positions en première ou seconde
personne, versus la position en troisième personne [6], c’est à dire sur une description de l’expérience (et
non de l’expérimentation) du point de vue de celui qui la vit. Or on voit bien que, dans les modèles proposés plus haut, le sujet qui effectue le NFK n’est pas interrogé puisqu’on le décrit comme un système abstrait schématisable.
B) Quel cerveau pour le neurofeedback ?
Le modèle informatique, dans lequel l’information est pensée comme suite de 0 et de 1 générant un signal diffusant dans des câbles (les axones) formant une circuiterie plus ou moins rigide même si elle est capable de modifications dénommées plasticité cérébrale, s’approprie les résultats de l’électrophysiologie nerveuse, qui par définition étudie le transfert de l’électricité dans le système nerveux. A nouveau nous retrouvons un paradigme très proche de l’ingénierie et permettant de penser un support à l’éclosion d’une intelligence artificielle.
Mais une autre communauté de chercheurs en neurosciences a une conception complétement différente de ce cerveau électrique. Les neurochimistes travaillent sur la structure intime cellulaire du tissu cérébral, un sol gel-‐diffus, formé d’éléments variables et évolutifs, constitué d’unités interconnectées soit point(s) à point(s) (neurones) soit de manière diffuse (glie), extrêmement riche en protéines et lipides de toutes sortes et animé de flux internes (flux axonaux) dont les déplacements sont probablement l’origine d’informations largement ignorées. Le modèle alternatif au cerveau-‐ordinateur que nous proposons se rapproche plus de la « soupe au pistou » que des circuits électroniques. Un cerveau « soupe au pistou » est un cerveau ni représentationnel, ni computationnel, sans disque dur donc sans stockage de type mémoire informatique, sans indexation, insaisissable par les neurosciences. C’est un cerveau à fonctionnement holiste. Si nous filons la métaphore, à chaque moment, et dès le début de la cuisson de la soupe au pistou, ce sont toutes les transformations acquises par tous les composants (haricots, courgettes tomates, pâtes…) au fur et à mesure que celle-‐ci progresse. Dans ce processus, chaque fragment de légume est
« mémoire » des autres et de lui même à chaque instant. Il y a bien évidemment des structures stables (les haricots par exemple) mais ce que l’on voit en permanence dans la cuisson, c’est une forme globale changer jusqu’au moment où l’on rajoute la « pommade », d’ail, d’huile d’olive et de basilic. Le cerveau « soupe au pistou » est fondamentalement un cerveau gestaltiste. La métaphore de la soupe au pistou est une métaphore anti réductionniste qui convoque obligatoirement une épistémologie de la
complexité [22] sans que cette conception soit incompatible avec celle de réseaux câblés, en quelque sorte
superposés à cette forme sans cesse évolutive, dans le sens des transformations silencieuses [19].
C) Quelles boucles ?
Le NFK est pensé dans les modèles actuels selon une boucle régulatrice d’un couple stimulus-‐réponse, ou de manière plus sophistiquée dans la figure 3, d’un couple objectif-‐résultats.
Mais dans le contexte pathologique (TDAH par exemple) les choses ne semblent pas si simples. Tout d’abord, le lien entre le symptôme trouble attentionnel et la variable physiologique rapport thêta/bêta par exemple n’est ni simple ni univoque. On ne peut dire qu’en corrigeant le rapport thêta/bêta, on corrige corrélativement le trouble attentionnel et le TDAH.
Ensuite, si le modèle de la figure 3 permet de bien intégrer la modification consciente de la variable physiologique, il n’est pas certain que ce soit en soi un apprentissage. En effet, quand on interroge les patients à l’issue d’une cure de 20 séances de NFK, ces derniers signalent que, au cours de la cure, ils ont changé de stratégie plusieurs fois (le plus souvent 3 ou 4 fois dans une cure de 20 séances) pour arriver au meilleur résultat. En d’autres termes, il n’ont pas appris une routine, un geste unique, ils ont découvert des possibilités multiples dont certaines plus adéquates pour arriver au résultat positif de la cure. Cette recherche de stratégies et d’amélioration des stratégies, constitue une seconde boucle interne au sujet.
La question se pose alors de savoir si l’amélioration clinique est liée à la modification réussie de la variable EEG, et / ou à ce travail très particulier de plasticité psychique (et sans doute cérébrale) qui consiste à rechercher des stratégies, à en changer et, le cas échéant à les combiner. Un argument est en faveur de la seconde hypothèse. Quand nous comparons l’évolution a priori favorable des paramètres électrophysiologiques en terme d’évolution de la variable thêta/bêta à l’augmentation de la qualité de vie après la cure, nous observons qu’il n’y a strictement aucune corrélation entre la réussite du feedback à chaque séance en tant que telle à partir de ces paramètres et l’amélioration de la qualité de vie et des performances cognitives. Cette dissociation entre l’efficacité du feedback au jour le jour et les bienfaits de la cure nous semble de nature à remettre en cause le modèle conventionnel. Très logiquement l’amélioration clinique et donc la diminution de la symptomatologie sont « décorrélées » de l’évolution de la variable physiologique.
Pour ajouter un peu de confusion dans ce tableau, nous avons observé que les patients accordent autant d’efficacité à la présence d’un personnel infirmier qui anime et accompagne la séance qu’au dispositif informatique de neurofeedback. Ceci d’ailleurs constitue un argument fort pour que les cures de NFK soient pratiquées dans des conditions de psychothérapie.
Ainsi la question se pose de ce qui agit dans le NFK. Et à notre sens ce n’est pas la boucle régulatrice de la variable en elle même, ce sont les modifications de la disposition d’esprit nécessaire à l’établissement du feedback qui conduisent à l’amélioration clinique, indirectement. C’est un changement de regard et de présence quant au monde, c’est à dire en fait un changement de la conscience.
5) De l’apprentissage à l’interprétation.
Dès lors que l’on observe des changements de stratégie au cours de la cure, nous avons vu que la notion d’apprentissage comme étant au cœur du NFK doit être modulée.
Nous faisons la proposition que le NFK requiert un apprentissage mais ne repose pas sur lui. Il repose sur un processus proche de l’interprétation. En musique par exemple, dans un premier temps, il faut apprendre les notes du morceau, les doigtés, et donc avoir initialement une approche technique. Mais on sait que, une fois le morceau appris, un nombre considérable de manières de le jouer va se présenter à soi en fonction de l’humeur, du son de l’instrument ce jour là, etc. Et donc l’interprétation est à chaque fois différente. Qu’est ce que l’interprétation sinon le permanent changement de stratégie face à un défi technique pour un résultat le meilleur possible ? Dès lors, en quoi est-‐ce différent du processus de NFK dans lequel l’apprentissage est celui de l’appareillage et du contexte et le changement de stratégies, des manières d’interpréter différemment les moyens d’obtenir le changement dans la conscience que génère
le neurofeedback ?
Ainsi, ce qui se passe dans les deux cas et qui semble commun, c’est une modification de la conscience,
plus précisément une modalisation [19] différente, c’est à dire un contenu qui varie, s’organise autrement,
comme les formes d’un kaléidoscope. Ce changement de forme de la conscience peut alors se penser comme un changement de la forme globale du sol-‐gel cérébral, incluant également les processus électrophysiologiques, mais aussi les changement de configuration protéique, d’ARN messager, de densité de récepteurs, de variation de flux axonaux dans l’entièreté de la masse cérébrale.
6) Pour une phénoménologie du neurofeedback.
Dans le contexte de psychologie cognitive qui voit naître des théories explicatives sur le neurofeedback, et indépendamment des études proprement cliniques, peu de mentions sont faites d’une approche phénoménologique dans ce type de thérapie. Plusieurs types d’intégration de la phénoménologie peuvent être cependant décrites qui, de manière croissante, vont mettre l’emphase sur l’incarnation de l’expérience de neurofeedback.
A) Neurophénoménologie du neurofeedback.
Dans l’approche neurophénoménologique telle que pensée par Varéla, deux articles utilisent les rapports
en première personne via l’entretien d’explicitation [41] visant à décrire les vécus de conscience pré-‐
réflexifs. Dans le premier, qui implique un neurofeedback à partir d’un signal venant d’électrodes cérébrales implantées et nommé brain TV, il s’agit de décrire les corrélations entre les enregistrements
intracérébraux et les états mentaux ou des processus cognitifs [18, 21]. L’autre publication propose de
réaliser le lien entre la neurophysiologie et les rapports en première personne dans les études de neurofeedback, mais en décrivant plus un programme de travail possible et l’intérêt potentiel de telles approches plutôt qu’en réalisant une phénoménologie de l’expérience de ce que c’est que de faire une
séance de neurofeedback [3].Ces deux contributions, orientées par les expérimentations empiriques des
neurosciences présentent à la fois les avantages et les limites des approches neurophénoménologiques. Une limite majeure à notre sens de la neurophénoménologie est la mise sur un plan d’égalité de l’expérimentation neuroscientifique, forcément réductrice, et de l’expérience consciente vécue infiniment riche, sous le terme de « contraintes mutuelles génératives ». Cette mise à égalité ne peut satisfaire le phénoménologue, surtout si cette posture fait partie d’un projet, de nature largement idéologique, de naturalisation de la phénoménologie. On peut résumer ce débat en disant que pour le neurophénoménologue, neuroscientifique par formation, ce seraient les neurones qui génèreraient la conscience ; dès lors il semble légitime de rechercher comment lesdits neurones génèrent cette conscience et la possibilité secondaire de la phénoménologie. Mais pour le phénoménologue (même s’il est neuroscientifique), la conscience est à l’origine de toute connaissance. Pour avoir le concept de neurone, il faut avoir une conscience réflexive. Sans celle-‐ci, les neurones n’existent pas. Et donc c’est la conscience qui crée les neurones : la conscience est « l’amont effectif de chaque investigation et de chaque attribution
de sens à l’action » [4, p. 19]. De plus l’approche neurophénoménologique, pour attirante qu’elle soit ne
peut concerner, en l’état de nos moyens, qu’un très petit nombre de situations expérimentales.
B) Le chiasme neuro-‐expérientiel.
Avant tout, pour le sujet, le neurofeedback est une expérience consciente complexe, assez différente d’une expérience qui ne fait pas intervenir un dispositif numérique. La spécificité de cette expérience est bien
décrite par Bitbol sous la forme d’un chiasme neuro-‐expérientiel [4]. Ce chiasme neuro-‐expérientiel est
élaboré par Bitbol à partir de l’expérience du « touchant-‐touché » originalement décrite par Husserl dans
les Ideen II, puis largement reprise et développée par Merleau-‐Ponty [28]: par le NFK nous vivons notre
cerveau comme touchant-‐touché. « Il est vrai que le concept Merleau Pontien de « chair » a été modelé à l’image d’une expérience immémoriale : celle du nœud qui lie ce corps appréhendé (ce corps-‐ci et non pas ce corps là-‐bas) à l’expérience qui l’appréhende. Mais il peut aisément être extrapolé vers une expérience plus spécifique, plus récente, et plus lourdement tributaire de technique d’imagerie ou d’exploration
fonctionnelle : celle du nœud neuro-‐expérientiel » [4, p 553]. Mais en fait, le cerveau « peut-‐être vu, senti
touché par moi à condition que je dispose d’un appareillage… » [4, p 563] et ce truchement est le dispositif
de neurofeedback. Notons qu’il s’agit plus que de la simple vision de son cerveau par exemple dans une image d’IRM anatomique. Car, dans le cas du NFK, comme dans le cas du touchant-‐touché des mains, il y a mouvement, en l’occurrence des activités électriques, ou des activations (dans le NFK par IRM
fonctionnelle).
Alors que le cerveau est le grand absent de n’importe quel sentir, « le cerveau est réalisé comme chair lorsque dans des conditions d’auto-‐contrôle neurophysiologique, un simple geste à prolongement instrumental suffit à susciter toutes sortes d’affects, d’activités mentales, ou de figures sensori-‐motrices »
[4, p. 563]. Et c’est peut-‐être là que la comparaison au chiasme de Merleau-‐Ponty peut être discutée : alors que dans une expérience sensorielle chaque main touche et est touchée, dans le neurofeedback, il s’établit en réalité, une relation avec une représentation du cerveau. La trace neurophysiologique n’est qu’un reflet lointain et terriblement déformé de l’activité cérébrale, pas même une esquisse, tout au plus un indice. En d’autres termes, le cerveau ne se touche pas lui même sinon par métaphore, c’est à dire indirectement, par le biais d’un signal de lui-‐même.
Alors que Bitbol propose que « notre expérience se fait chair, chair étroite sensorielle ou chair élargie
neuronale » [4, p. 563-‐564], il semble bien que l’incarnation dans le touchant-‐touché du neurofeedback ne
soit pas du même ordre que celle d’une expérience sensorielle. Il s’agit là de quelque chose de très nouveau et de particulièrement saisissant et qui pose la question majeure du phénomène de déploiement de la chair en tant que telle. En fait, à y regarder de plus près, il semble que ni le simple contact sensoriel ni une interaction virtuelle (BCI) ne peuvent résumer l’incarnation d’une expérience pas plus que le déploiement de la chair comme telle. En réalité, dans une interaction homme-‐machine, la chair tente bel et
bien se phénoménaliser en cet « entre » [20] mi humain mi robot, mais il s’agit d’une chair autre,
neuronale certes, trouvant son fond en un nœud neuro-‐expérientiel, mais plutôt neuro-‐machinale, c’est-‐à-‐ dire médiée par un dispositif qui ne peut pas ne pas la modifier intrinsèquement, en son essence même. Autrement dit cette « chair » qui se manifeste est-‐elle encore une chair à proprement parler ou est-‐elle tout autre chose ?
Si l’on va plus loin, ce que montrent les situations de neurofeedback, « ce n’est pas tant la dépendance des contenus de conscience à l’égard de leur « base neuronale » que le contraire, à savoir la dépendance du fonctionnement neuronal à l’égard de modifications intentionnelles des états mentaux ou des contenus de
conscience » [4, p 569]. Nous avons d’ailleurs dans ce sens pu réaliser une expérience étonnante, qui
consistait chez un sujet sain, pour lequel on pratiquait un EEG standard, à modifier son activité alpha en la regardant à l’écran et en la dessinant simultanément sur une feuille de papier. Plus encore, en demandant au sujet de dessiner des pointes épileptiques sur le papier, il a été possible d’obtenir sur le tracé à l’écran
des activités plus complexes, mixtes et parfois clairement angulaires (épileptiformes) [9, p. 174 et
suivantes]. Ceci souligne l’effet des modifications des états mentaux (intentionnels ou non) sur le fonctionnement neuronal. Il apparaît déjà que ce qui manque aux approches de psychologie cognitive décrites ci-‐dessus c’est une réflexion sur les états mentaux induits par la procédure de NFK et leurs effets sur les paramètres physiologiques.
Si l’on va plus loin encore, « dans le cas de l’articulation neuro-‐expérientielle, […], si l’un des niveaux est objet pour la science neurophysiologique, l’autre niveau [celui de la conscience] ne représente rien de moins que la pré-‐condition pour que quoi que ce soit acquière le sens d’objet. Mieux, l’autre niveau entrelacé recouvre le phénomène présent de l’entrelacs, faisant entrer celui-‐ci dans une sorte de résonance ou de jeu de miroir ouvert dans lequel le connaissant est happé par ce qu’il cherche à
connaître » [4, p 573].
C) Le moment du neurofeedback comme expérience.
Alors que la psychologie cognitive s’intéresse aux fonctions cognitives, la philosophie de l’esprit aux états mentaux qui sont de nature à modifier les états cérébraux (et ici nulle position dualiste ou moniste n’est prise), la phénoménologie de l’expérience consciente va s’intéresser non plus à ce que c’est que ce chiasme neuro-‐expérientiel, mais à ce qui s’est phénoménalisé dans la vie consciente du sujet en train de participer à un protocole de neurofeedback. Il s’agit alors de poser la question « qu’est ce que cela fait de faire une expérience de neurofeedback ? » paraphrasant ainsi la célèbre question de Nagel « Quel effet cela fait-‐il
d’être une chauve-‐souris » [33].
Différentes méthodes d’introspection peuvent être utilisées et parmi celles-‐ci l’entretien d’explicitation de
Vermersch [42]. visant à explorer les contenus pré-‐réflexifs de l’expérience consciente, comme l’ont fait
Petitmengin et Lachaux à propos du dispositif de Brain TV, dans une optique neurophénoménologique