LE THEATRE
M~GILL
UNIVERSITY
re'all"+e' u en ~ranee ou ' 1 es arama ur[Es ea t th ,. · c~1~ues ex1s~e~ · .L t en- gr<:;:1d no;nbre. Se travail est une etude sur Eenri Gheon,
celui qui se trouve ~ 1& t~te de cette vraie ren2iss~nce du t~e8.~re chretien, theatre oubliE de:nuis q_ua·~.re ou ci!:q
siecles. 8o~stEtant c;_u'c;,ucune oeuvre cri:;i:_:_ue d'ensemble
~'&"vait paru sur Gheon, et qu'on ne r:-.ouvc:it trouver sur s~~ oeuvre que quel~ues articles disperses dens diverses revues, nous avons con~u le projet de fc:ire un ex~ose de la
production artistique de ce dramatur[e contem?orai~.
La disrersion des Confr~res de la Fassio~ rar l'arr~t
d u 1 7 novem~re ~ 1548 , ava1 • t separe le heavre des :etes de ' ' t 'A+ A
1 'Eglise, et on peut d. ire que cette d.2te m0.rq_ue
officielle-ment la ~ort du drame reli[ieux. S'il survecut un peu de temus, c'est surtout en milieu ~rotestant dans les trag~dies b i b 1 i que s de Robe r t G ar ~ i-er et de :Je s 1~ e sure s , ma i s i 1 c e s sa d'@tre populaire. Le the~tre se laicisa et l'on mit desor-mais en sc~ne non plus 1 'histoire de Dieu mais les
ra ss ions
des hormnes. Cel8" continua au XVIIe si~cle sauf de ra.res et cel~bres exceptions: Polyeucte, Saint Genest, Estheret Athalie. Le XVIII8 si~cle se passa sc:_ns c.:_u'on vit aucun
on peut mentionner la mediocre Samaritaine de Rostand sans
oublier ~ Passion rimee
u
1HaLaucourt, drame chretien ecritsans inspiration ni beaut~.
Puis
ce fut letheAtre
deClaudel,
poete dramatique
profondement catholique, mais dontlea pi~ces d'une complex1~e ~h~ologique, d•une langue
lyri-que soumise
a
de myste~rieuses lois de r~rthme et cle :phoneti-que, ne pouvaient s'adresserqu'a
quelques esprits dignes de l'entendre. Seules quelques-unes de ces pieces, !'Otageet l'Annonce faite
a
Uarie ont finipar
toucher un peu plusqu'une elite.
Claudel accomplissaitune
revolutionrnais,
pour ainsi dire, dans l'abstrait. Avant la guerre, il
n'y
eut pas d1autres efforts sur le plan de la foi dignes de
beaucoup d'attention.
Telle etait la situation de l'art dramatique chretien
quand Henri Gheon, le vrai fondateur du theatre moderne sur
le plan chretien commen~a son oeuvre dramatique
d'apres-guerre. Nous disons son oeuvre d'apr~s-guerre, car la ri~ce,
les Trois ndracles de sainte Cecile, achevee le 30 aout 1919 n'est pas sa premiere piece, mais c'est la premiere par
ordre chronologique de ces maints essais dra.matiques
ou
les realites chretiennes jouent un role principal.Puisqu'il y a presque toujours une relation etroite
peut etre, tres souvent expliquee en grande partie au moins
par
celle-la, nous allons faire d'abord une courte etude biographique de Gheon et nous verrons que son evolutionlitteraire est intimement liee aux details de sa vie. Ceci fait, nous montrerons comment Gheon a retabli un "terrain de communion" dans une reunion de sentiments du public, des acteurs, et de l'&uteur. Ensuite, nous considererons les caracteristiques essentielles de son theatre sur le plan chretien. La derniere partie de notre travail con-sistera en une espece d'inventaire des principales repre-sentations de ses pieces. Cela nous permettra de constater par les resultats obtenus, que !'influence de Gheon s•etend par toute la France et au-dela merne.
Nous esperons que cet expose pourra rendre quelques services
a
tous ceux qui s'interessent au theatre contem-porain et qu'il leur montrera la place de celui queJacque~ Le Clercq appelle "le fondateur du drame moderne
catholique." (1)
--~---~~---~---~----~----~---(1) America, New York, Jacques te Clercq: Gheon, the
, ,
VIE ET EVOLUTION LITT~~IRE
Henri Gheon (Henri Vangeon) naquit
a
Bray-sur-Marne en 1875. Il fut eleve dans la religion catholique. Parmi seasouvenirs d'enfance il
n'y
ena
peut-etre pasde
plus cher que celui de la chambre rouge ou "le :petit Christ en ivoire jauni, cloue sur une croix d'ebene" et "la Vierge au manteau bleu, une reproduction de la celebre Assomption de Murillo" (1)presidaient, pour les prieres du soir, le petit groupe fami-lial que formaient sa mere, sa soeur, et lui. Le jour ou il fit sa premiere communion, acte qu'il appelle son "pacte so-lennel avec la joie:', fut, dit-il, le plus beau de sa vie,
"son extase puerile atteignait
a
la felicite divine." (2)Pourtant deux ou trois annees plus tard il vivait sur la terre sans Dieu et sans sentir le besoin de Dieu. Tout surprenant que soit ce fait, il s'explique cependant si on se rend compte de ce que fut son education. Il fit ses etudes secondaires
au
lycee de Sens, ou il avait chaque semaine une ou deux heures d'instruction religieuse qui d'ailleurs ennuyaient taus les eleves. Le bon aumonier au lieu d'offrir aux enfants un
----~-~~---~---~~---~~---~---~~----~-(1)
(2)
Henri Gheon: L'Homme ne de la guerre, Paris, Bloud et Gay, 1926, p. 7.
ou de l'histoire de l'Eglise, leur parlait de la theologie
en des termes trop abstraits pour
eux.
~omprenant peucette science, lee eleves fi~irent par cesser d'ecouter le ~retre. Les professeurs d'humanites ou de sciences au
con-traire leur ouvraient au meme moment toutes
a
la fois lea routes de la connaissance hurnaine. Le jeune Henri etudiaitpassionnement Descartes, Kant, Spinoza et Leibniz, Hegel,
Renouvier, Spencer, Darwin, Hartmann et Buchner. Si le Jeune homme avait trouve chez lui un antidote centre ces
systemes, si son pere avait pu lui parler de toutes les ve-rites et de toutes les beautes, issues des Livres et de la Tradition, il n'aurait peut-etre pas perdu sa foi. Mais
son pere etait impie, et quoiqu'il eut une preference
se-crete pour sa mere c'est le
pere
que le fils suivait.Il
faut noter pourtant que son pere ne fit jamais rien pour detourner le jeune homme de la religion. Sa
mere,
boule-versee par le choc qu'elle ressentit quand son fils luian-non~a un dimanche qu'il ne l'accompagnerait pas
a
la messe car il ne croyait plus, pria en silence pour son enfant, sentant instinctivement sans doute que ses argumentsne
feraient qu'agacer le jeune homme.
Le pere
mourut peuapres, mais le fils persista dans son incredulite. I l
tude paienne. Il y rencontra l'Art, la Beaute, ou il pen-sait "echapper au monde,
a
la fuite des jours, et surmonter un mediocre destin." (1) Il croyait fermement en l'liomme;il avait un a~ur enthousiaste de la vie comme Nietzche qui, nous dit-il, ne l'a pas forme mais qui est venu
a
point soutenir sa philosophie. Admirateur de Baudelaire le maitre ecrivain, il ne sentait cependant pas l'angoisse de ce poete, ni, dans le monde, cette lutte constante entre Satan et Dieu. Le peche n'existait pas pour lui. Il se rapprochait de l'ecole naturaliste. Indifferent au point de vue religieux, il ne l'etait pas cependant au point de vue politique. Il dit que c'est au moment de l'affaire Dreyfus qu'il se rendit compte soudain du prix qu'il at-tachait "au bon renom de sa patrie,a
ea gloire dans lemonde." (2) D'abord il se rangea dans le camp des revision-nistes, croyant que cette attitude etait d'accord avec
11honneur de sa patrie; puis suivant la meme evolution que
Peguy, il repudia cette secte, lorsqu'il fut convaincu que les nationalistes etaient ceux qui defendaient !'existence morale et materielle de la France. Ces preoccupations po-litiques ne lui fournissaient d'ailleurs le s~et d'aucune
---~-~---~~---~---~~---~-~---ibid., p. 16.
oeuvre d'art, car "quand il devint, en 189?, le critique
litteraire de l'Ermitage, il proferait de vigoureuses
pa-roles contre ceux qui melaient
aux
questions d'art leurso-pinions politiquee ou religieuses."
(1)
Il a expos~ cettememe theorie dans des conferences. "L'ecrivain peut penser
ce qu'il veut, mais il ne doit pas precher des pensees.
S'il a des idees sur l'organisation sociale, qu'il ecrive
done un traite sur cette question, mais non un roman ou une
pi~ce de the~tre." (2)
C'est une theorie qu'il modifiera beaucoup avec le
temps. Quoiqu'il en soit, l'affaire Dreyfus eut pour effet de l'avertir de quelque chose de profond, de lui montrer
qu'il se rattachait
a
un ordre, paradoxe presquea
cetteepoque
ou
il se decrit lui-meme "un dilettante passionne~, (3) se laissant prendrea
toutes les chimeres de l'art et de la pensee d'avant-guerre: pragmatisme, impressionnisme, phe-nomenisme, etc. "Dans cette passion de changement, dans ces gestes impatients et incoherents qui rejetaient toutesles idees et les reprenaient si vite, tour
a
tour, ilper-
--~-~---~---~--~---~---~---(1)
(2)
(3)
Le Corres~ondant, Paris,
A.
Praviel: Un primitif de France, le 25 oct., 1924, pp. 186-187.--(Praviel Ie-connuta
l'Ermitage.) .Georges le Cardonnel et Charles Vellay: La Litterature contemporaine, Paris, Soc. du Mercure de France, 1905, pp. 94-98.
cevait le malaise des ames qui ont :perdu leur voie." (1) Il se reveillait en lui une certaine nostalgie--une nostal-gie qu'on a tort d'ap~eler tourment, car il nous dit e~ des termes tr~s precis qu'il ~e croyait "qu'en etat de b onheur. " ( 2)
Vers 1904, il avait commence 8" exercer le metier de medecin, non comme une vocatioYl irresistible, mais tout
simplement pour s'assurer une certai!'le independance, :pro-fessio~ qu'il exer~a consciencieusement d'ailleurs. Vers cette epoque son beau-frere mourut, laissant sa soeur avec deux petites filles. Sans reflechir aux sacrifices qui
nourraie~t s'ensuivre, ~. Gheon se constitua le n~re de cette fa~ille, acte qu'il n'appela jamais un sacrifice tant il aimait ces enfants.
Il cultivait la poesie et suivait de tres pres le mouvement litteraire inau£ur~ sous les ausuices de
l~aeterlinck, par ~~aurice de Faramond, Andre Gide, ffr2~cis
Viele-Griffin, Paul Fort, Claudel, etc. Il fit partie du group~ d'artistes qui fonda en 1~09 la Nouvelle Revue Frangaise. Son ami et maitre en ce te~~s-la etait Andre Gide dont il annliqua les principales idees ~ la r~novation
---~---~---~--~~~---~---~---~---{1)
(2}Revue des Jeunes, Paris, P. J·!Ioreau: ~"~. 1Ie:::1r i Ghe on ou l'Homme ne de la ~uerre, oct.-dec., 1024, ~p. 374-375. H.-Gheon:- L'Ho-mme
ne
de la guerre, p. 23.de l'art dram&tique dans un volu~e d'~tudes critiques: Nos
Dir~ctions (1911). M. Gh~on, dans 1 1avertisseme~t de ce
volume, montre bien qu'il aspirait
a
un ordre nouveau--ordre qui fait voir chez lui une nostalgia du classicisme. Les essais dont se com~ose ce livre se rattachent tausa
laquestion de l'equilibre--de l'equilibre entre la tradition et l'innovation dans l'art. L'auteur se re~dRit co~pte
des cette date que "la liberte apparente de l'art dissimu-lait de r~el1es et profondes contraintes. Voie detourn~e,
chemin couvert et secret, qui conduisait le poete affran-chi jusqu'au seuil de l'order chretien." (1)
Des l'enfance, Gh~on avait montre du gout ~our le
th~ltre, goOt herite sans doute de ses ~2rents et grands-parents eux aussi admirateurs de cet art. En 1911, on joua au theAtre des Arts sa ni~ce le Pain d'inspiration humanitaire, et en 1914 !'Eau-d~ Vie au Vieux-Co1ombier,
celle-ci d1inspiration nietzscheenne. Les deux portent
surtout l'empreinte de son ami Gide. Il revelait deja dans ces deux pieces un sen~ de l'art scenique et du mouvement dramatique. Le drame y voisine avec la come-die, melange que nous retrouverons souvent dans ses
oeuvres d'apres-guerre.
En 1912, il fit son premier voyage en Italie en com-pagrte de Gide. Ce fut une revelation pour M. Gheon. Il admirait tout, le paren et le chretien, mais ce qui l'at-tirait malgre lui, c'etait l'art chretien. Desormais
"l'oeuvre d'art qui n'est pas priere le de~oit." (1) Il adorait sans croire, il lui e~t suffi d'un pas pour re-trouver sa foi, mais 11 se contentait d'avoir elargi ses vues esthetiques. "Dans la pratique il garda sa serenite pa!enne." (2) Or, la souffrance vint troubler un moment cette paix. Sa m~re, sa compagne depuis toujours fut tuee dans un accident. A la ceremonie funebre lui, qui n'at-tendait de Dieu que joie et que magnificence, fixa sur
l'Eucharistie des yeux de defi qui niaient et blasphemaient •
.
Il n'aurait pas eu cette attitude s'il n'avait pas ete sipr~s de croire. Le paradis bleu et dore de Fra Angelica devint pour lui un r3ve de la "litterature". Chose etrange,
contradiction de son coeur et de sa pensee, tout en niant
~ieu, il croyait en la destinee celeste de sa mere. Il essaya de concilier dans l'Art ces paradoxes.
Au moment ou la guerre eclata en 1'014, il revenai t d'Athenes, apres avoir revu l'Italie. Exempte du service militaire
a
cause d'une certaine faiblesse de constitution,(1) Gheon: L'liomme
ne
de la guerre, p. 25. {2) A. Praviel, op. cit., p. 184.u.
Gheon s'engagea quand meme, et c'est d'abord comme me-decin de la Croix Rouge dans une petite ambulance du Nord, qu'il prit parta
la guerre. Pendant ces premiers mois, la pensee de la mort n'eveilla en lui aucun sentiment reli-gieux. Son seul souci etai t de ••se tenir bien u jusqu 'aubout--un souci esthetique--de dilettante.
Peu apres, il alla au front
a
Nieuport-Bains sur le bord de l'Yser, dans un groupe d'artillerie, en qualited' aide--major. La il se tr ouvai t ent oure de "la guerre im-pitoyable".
{1)
Chaque nuit pourtant il se confiaita
son lit sans aucune apprehension. Sa vie etait toujours en aanger, mais malgre le feu constant sous lequel il vivait, il jouissait d'une paix aveugle. Frappe par la beau"f;.e du paysage (11 avait devant lui une autre Algerie,
-.. ~~~\
la mer ~u Nora et la dune) il ouvrait "les yeux et les ,
;;.~....
-oreill~s pour enregis~rer au complet l'aspect imprevu du
dehors et les sentiments qu1 naissaient en lui." (2)
Pour bien expri:.ner SOil etaT, d 1
ame,
il n 'y a pas de meilleursmots que les siens: HLorsque je regarde derri~re moi, j'ai de la peine
a
concevoir l'aveuglement d'un tel vertige.Il devait comporter je ne sais quelle aspiration pantheiste exaltee par l'evenement. Si j 1avais ete tente de
prier,
{1) ~h~on: L'Homme
ne
de la guerre, P• 41.~oi paien, pr~voyant la conversion de mon ~me, quelle eOt
done ete ma pri~re? A peu pres celle-ci:
·•seigneur, en qui j e ne croi s ~as, pourquoi avez-vous
fait si beau le monde? Pourquoi nous avez-vcus faits si avides, si aptes, si joyeux et si glorieux devant lui? •••
Voici peut-etre le temps de
ma
mort et je n'ai d'yeux quepour la terre. Chaque instant que je vis me promet de ne
vivre plus. Et je le sais et j'oriente tout man ~tre vers
la vie et non vers la mort. Jama.is la vie ne me parut si
benne, quand je la sentais longue, profonde et sure sous mes pas.
'Seigneur, je ne m'explique pas ma joie. C'est
l'hiver, c'est la guerre. Y~is non, la vie ne fait que
sommeiller. 0 moment entre le sommeil et l'eveil ou la germination se decide! Le monde n'est pas
a
sa fin, il recommence et mon amour s'en veut rassasier. ~'ouvre mes yeux et tous mes sens ••• j'entonne une louange enthousiaste pour ce qui ne m'est plus de rien, si je le quitte, helas1••• et j'adore ce trap beau jour, sur quoi il ne m•est
plus permis de rien construire. ~e ne songe pas
a
demain,A
la tenebre qui m'attend; je me donne au plaisir qui vam'~tre repris, au monde dont le glas se fait entendre. Et
plus je sens l'un et l'autre precaires, provisoires et
a
les remplacer. L'instant me comble et me transporte. Je veux m'aneantir en lui.'Seigneur 1 pour me fa ire une ~tme si &.:::suree au milieu du pire danger, n'est-ce pas que la splendeur de ce jour deja me repond de la votre et mon ame deja ne vous a.-t-elle pas rejoint?'
Confusion de sentiments, me dira-t-on; c'est bien possible. Mais j'essaie d'expliquer mon cas." (1)
Voill le Gheon tel qu'il se d~crit au moment o~ il va faire la connaissance de Pierre Dupouey, ce lieutenant de vaisseau qui aura une si grande influence sur l'evolu-tion de ses sentiments,--evolul'evolu-tion qui orientera dans le sens catholique 1~ renovation du theatre poetique qu'il avai t entrepri se des ees debuts
a
la N.ouvelle RevueFran~aise.
C'est son ami, Andre Gide, qui avait parle
a
M.Gheon du Capitaine Dupouey et d'une rencontre possible au front. Dupouey apres avoir lu un livre de Gide l'a.vait recherche, et ils etaient devenus amis. Gheon avait appris par Gide que Dupouey et lui etaient attires par les memes choses. Leurs rappcrts ne furent ~i nombreux ni tres in-times; une lettre, et trois visites ou de l'aveu de Gheon
--~---~-~-~~--~---~--c~~~---~---(1) ibid.' pp. 45-47.
meme il ~'Y eut entre eux aucun fait decisif, aucune conver-sation capitale. Mais Dupouey selon les mots de Gheon
lui-m~me est, "l'annonciateur de la grAce~~
(1)
C'est sous !'influence de Dupouey que Dieu fait son oeuvre et "l'homme ne de la guerre" ressemblera peu au dilettante d'avant-guerre. Cette oeuvre se fait sans que Gheon s'en rende compte--elle se fait par-dessous. Gheon etait en ce moment "peu aiguille dans le sens chretien." (2)
I l ignorait meme la religion de Dupouey. Celui-ci etait un ami d'Andre Gide, un howne superieur, un artiste, un beau soldat; cela suffisait.
Quinze jours apres Paques, Gheon apprit un soir par une lettre venue de l'arriere que ce nouvel ami avait ete tue le samedi saint. Desespere, il partit pour aller sur sa tombe le lendemain mat in. La, il trouva 1 'aumonier qui lui parla de la saintete de Dupouey et qui lui montra une lettre de la femme du soldat, lettre qui decrivait si ad-mirablement l'esprit de sacrifice de son mari, que Gheon ne put "qu'ouvrir ses yeux et son coeur." (3) Des ce mo-ment il fut convaincu que le tres haut 1nystere qu'il avait devine derriere les yeux clairs de son ami, c'etait non
(1) ibid., p.
ao.
{2) ibid., p. 71. (3) ibid., p. 94.
~·h~roisme stoique avec tous ses exc~s d'amour et de
sa-crifice dans l'ordre humain, mais la saintete. "Ainsi," nous dit-il, "mon horizon trop born~ se desserre. Ainsi sur le haut lieu
ou
le meilleur de moi a coutume de se prosterner, sur le haut lieuou
l'on admire, un nouveau temple resplendit, partes beantes. A cote du temple de l'Art et des chefs-d'oeuvre,a
cote du temple del'Aeroisme et des sublimes actions, le temple de la Saintete." (1)
Le travail de la grace se fera lentement mais surement dans cette ame marquee du sceau Divin: chaque etape du recit de son retour
a
la foi de son enfance nous est ra-conte dans le livre l'Ho~ ne de la guerre. Huit longs mois se passent avant que pour la premiere fois depuis bientot vingt-cinq annees, Gheon n'approche de la Table Sainte pour renouveler "son pacte solennel avec laJOie". (2)
Tout ce temoignage est "une confession sincere, as-surement, ou le penitent n'a rien voulu celer, et s'est humilie sans menagement." (3) •••• C'est bien "l'homme ne de la guerre", mais on ne peut pas attacher une date
---~~~~~--~-~-~-~--~-~-~-~---~~-~-~~--~-~-~~---( 1) ibid. ' p. 100.
(2)
loc. cit., voir p.1.
precise
a
cette conversion. Les impressions d'enfance de· meurent toute la vie e~ peuvent avoir une influence sansegale dans la vie ue l·ho~~e. La mere de Gheon, sea etudes
litterai~es, son voyage en Italie, les pri~res de sa soeur
et de
ses deux enfants, Pierre Dupouey surtout, et la femmede celui-ci qui l'assista par ses conseils et par ses prieres, tout a eu sa part dans ce retour. Mais c'est la. guerre qui a ranime cette foi, c'est Dupouey dont Dieu
s'est servi comme instrument, et c'est de la guerre que date une
ere
nuuvelle dans la vie de Gheon. Est-iletonnant que ce converti se devoue specialement aux saints dans son oeuvre d'apres-guerre, lui qui, meme avant
d'en-trevoir au ciel un Fere, avait la conviction que son ami s'y trouvait et que cet ami etait un elu?
Deja
pendant la guerre,M.
Gheon commen~a son oeuvreedifiante
a
laquelle il arporta une experience, un talent, une imagination et un enthousiasme qui lui assuraient unimmense succes. Cette oeuvre ressemblait peu
a
celled'avant la guerre, car le drame de la guerre, nous dit-il, annula les autres drames et, sorti indemne de cette tuerie ayant retrouve la foi de son adolescense Gheon maintenant
"marchait sur un terrain sar,"
(1)
et son parti etait pris.---~-~-~---~~-~~--~---~-~-~---~-~---~~----~-.--(1)
Revue des Jeunes, Gheon: fuinze ans de theatre sur le plan chretien, 15 mai,935,
p:-680.---,
.
'Il avait fini dans les tranchees les deux prem1eres
parties des Trois miracles de sainte Cecile et le l~rtyre
de saint Valerien.
Ce qu'il y a da~s le coeur humain de plus srirituel
et de plus delicat est exprime avec une suavite et un
lyrisme extraordinaire dans les Trois miracles de sainte
Cecile. Mais c'est justement cette poesie verbale qui
fai-sait tort
a
la poesie rropre au theatre ou "le verber{gl~," connne le di t Gheon lui-meme, "ne vaut que dans la
mesure
ou
il suscite un concours accorde de pas, de gestes,d'attitudes, de silences, ~e chant, tout ce que le theatre
bourgeois moderne omet par d~finition." (1)
-
Les Troismiracles de sainte Cecile et le 1~:a.rtyre de saint Valerien
furent joues en janvier 1~21 deux jours avant la
presen-tation du Pauvre sous l'Escalier. C'est cette
tragi-comedie sacr~e, tiree de la vie de saint Alexis, dent le
sujet avait ete suggere
a
Gheon :par son ami Jean-PierreAltermann, qui decida de son. avenir au theatre,
car
c'estpar ce spectacle que ce dramaturge s'appretait
a
rejoindre le public vraiment populaire. Ce drame d'un style familieret
tres simple, libre et rythme, ou le tragique et lecomique se trouvent admirablement meles est tout
a
fait
adapte aux conditions materielles du "jeu''• et fut joue par Jacques Copeau et ses compagnons au Vieux-Colombier. Or, cette piece, de meme que les Trois miracles de sainte Cecile, quoiqu'elle s'adressat d'abord
a
un public choisi, attira grlce au ton direct et bon enfant de certainesscenes, un public plus vaste et plus populaire que l'au-teur n'av~it ose l'esperer. Gheon avait trouve le moyen d'atteindre le peuple. Cela fut "joint
a
un goOt sagement'
audacieux dans la mise en scene dent le souci d'une com-position architecturale et d'un mouvement regle avec soin devait beaucoup
A
Copeau." (1)C'est
a
cette epoque qu'a la suite d'une conversation avec Maurice Denis, le peintre chretien qui s'etait plaint de la mis~re du "theAtre de patronage" que Gheon ecrivit pour ces humbles treteaux la Farce du Pendu Dependu. Cette piece fut jouee presque immediatement au Theatre Balzac, puisa
Geneve, au Theatre de la Comedie et fut reprise dans plusieurs oeuvres et cercles,a
Paris, dans les provinces, en Suisse, en Belgique, cette fois devant son vrai public, un public de fideles. Ce fut alors que le mouvement dont Gheon reste touJours le chef se trouva lance.
---~---~---~-~----~-~---~--~-~~---~~---(1)
La Revue federaliste, Lyon, Henri Mancardi: Mes Rencontres avec Henri Gheon, jan.-fev., 1927,---PP• 104-105.CHAPITRE II
,
RET.ABLISSEMENT D' Uli "TERRAIN DE CG:MMUNION"
Nous lisons dans les Annales de la Jeunesse catholique ce mot de Copeau: "Il n'y aura de theatre nouveau qu'au moment ou l'homme de la salle pourra murmurer les paroles de l'homme de la scene, en meme temps que lui et du meme
coeur que lui."
(1)
Le theatre est par essence un terrain de communion. Les grandes epoques de l'art dramatique, en Grace, au temps d'Eschyle et de Scphocle, dans la France du moyen
age, en Angleterre sous Elizabeth, dans la periode classique sous Louis XIV, sont des epoques
ou
le theatre reunit toute une societe, petrie des memes sentiments, acceptant les memes principes patriotiques, moraux, religieux. La poesie dramatique fran~aise, aussi ancienne que l'epopee ou que la chanson de geste, s'est pleinement developpeea
la fin du moyen age et l'immense po:pularite du theatre auxve
siecle s'explique en grande partie par le fait qu'il y avait alors un public uni. La bourgeoisie nombreuse,
--~---~--~---~---~---~---~---~---(1)
H. Gheon: Jeux et Miracles pour le peuple fidele, Paris, Edit1ons de la Revue des Jeunes, 1922, vol. I, p. 14. (Phrase de Jacques Copeau rapportee parJacques Prenat dans les Annales de la Jeunesse catholique.)
riche, influente, goute les representations, mais aussi les petits-fils des anciens serfs, devenus artisans. Tous,
au-teurs, acau-teurs, spectaau-teurs, se retrouvent avec une a~e
eo~-mune aux representations des mysteres et des miracles. Le
terrain de communion dont parle Jacques Copeau existait dono
dans le theatre populaire chretien du moyen age.
Or, les conditions ont change. Une salle de spectacle
n'abrite pas de nos jours un public uni. Il y a "d'une part
un grand public, composite et amorphe, prive de toute
con-viction ou divise jusqu'a l'hostilite sur les principes--et d'autre part un public dit d'e1ite plus curieux de formes
qu'avide de substance." (1) Les dramaturges ont autant de
chances de perdre que de gagner dans ce jeu de hasard qu'est devenue la rratique du theatre.
Gheon fut convaincu que tous 1es novateurs depuis Antoine, Copeau, Dullin, Jouvet, Baty, Pitoeff, Cocteau,
Courville, etc., "m~me Copeau qui s'effor~ait avec son ecole de creer pour l'acteur un centre de culture universelle,
taus auraient considere avant tout le theatre en soi,
technique du dialogue, technique du jeu, techni~ue de la
scene, independamment de la matiere du drame,
independam-{1)
Revue des J~unes, H. Gheon: ~uinze ~ de theatre ~ment aussi du public."
(1)
Il faut noter ici que si la com-munion avec le public n'a pas ete le premier objectif deCopeau, (bien que ce soit une forte conviction chez lui,) ses jeux ont parfois atteint cet echange dent devrait vivre le theAtre. Citons quelques mots de Copeau lui-m~me: "Nos jeux ont souvent obtenu, naturellement, cette adhesion du public, ces instants de co~~union parfaite entre la scene et la salle qui sent les so~~ets du theatre." {2)
Gheon, qui avait l'avantage de se placer du point de vue catholique a trouve ce terrain de communion tant cher-che dans "le :peuple fidele "· lTous avons vu conrnent il fut invite
a
composer des pieces pour les treteaux de colleges et de patronages afin de les debarrasser de l'encombrement seculaire de pieces deplorable$ ou mediocres. La Farce du Pendu Dependu qui avait clairement mo~trea
Gheon un public demeure assez simple pour s'y plaire, fut suivie d'autres pieces du meme ordre: le ~orta
Cheval, Aventures de Gilles, le Di t de 1 '1-Iomme, Saint 1~aurice .QE 1 t Obeissance, etc. Cespieces furent representees sur diverses scenes d'oeuvres tant
a
Paris qu' en :!J.rcvince, et memea
1' etranger devant un auditoire de deux ou trois cents fideles. C'etait peut-etre---~---~---~-~
(1) Revue des Je~nes, H. Gheon: Les Com;pagnons de Fotre-Dame, oct.-dec., 1924, p. 407.
(2) Jacques Copeau: Souvenirs du Vieux-Colombier, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1931, p. 118.
peu de chose que de monter des pieces devant une societe
chretienne en raccourci. Sans doute Gheon n'oubliait-il
pas que la Cleopatre de Jodelle etait une tragedie de
college, qu'Athalie et Esther furent composees pour les de-moiselles de Saint-Cyr; mais ce qui est certain, c'est qu'il
voyait dans ces spectateurs, "les uns sans lettres et les
autres lettres, les uns naifs, les autres avertis, toutes
les classes et aussi tous les
ages,
enfants, adultes,pay-sans, artipay-sans, petits et grands bourgeois, professeurs, voire meme artistes ••••• en un mot, (il voyait) un peuple,
le peuple, tout entier nourri de la meme foi."
{1)
L'auteur n'etait pas le seul
a
voir que ce terraincommun avait ete trouve. Dans un article du Corre-snondant A. Praviel dit: "Son oeuvre degage un parfum d'ingenuite
a
peu pres inaccessible aux auditoires ordinaires desthea-tres, mais qui s'impose tout de suite au peuple de France.
3'en ai eu directement la preuve aux diverses
representa-tions en province." (2) Il cite alors le snectacle
l
Pibracde la Bergere ~ nays des loups. "Du venerable archeveque de Toulouse, qui presidait, aux derniers gamins des
pa-tronages, une !me co~~une s'etait reconstituee. Ce
primi-tif nous avait rendu notre mentalite primitive." (2)
(1)
(2)
Revue des 3~unes, H. Gheon: Quinze ~ de theatre ~
le plan chretien, 2e partie, le 15 juin,
1935,
p. 819.Ce ~ui se faisait dans les premieres annees devant un :public restreint et local, se fait aujourd'hui parfois de-vant des multitudes, voire des milliers de spectateurs. Ainsi, par exemple, le Y~stere de l'I~vention de la Croix
joue en septembre 1932
a
Ta.ilcremo!'lt en Belgique attira une foule enthousiaste s'elevantA
15,oco
personnes. Ici, sans nul doute, Gheon parvinta
faire surgir un grand courant de foi populaire. Son public se mela certainement au jeu de ses acteurs. ,.Le !:4Ystere de la Croix par la representation du Christ suivant le douloureux chemi~ du Calvaire fittomber
a
genoux des spectateurs emus. Le spectacle se ter-mina par une procession de tous les acteurs et spectateurs~la chapelle du Christ ... (1) Il ne s'agit pas dans ce chapitre d'enumerer les diverses representations de ses oeuvres; nous voulons insister ici sur ce fait que Gheon a trouve le terrain choisi que lui et bien d'autres dra-maturges s'accoraent
a
considerer essentiel pour lethea-tre, ce -cerrain d'echange et de communion ou les dra.mes se jouent dans l'ame des spectateurs, avec eux, et non seulement devant eux.. Son public done n'est plus au-jourd'hui limite comme il etait en 1921 quand la plupart
---~---~---~---(1) Lettre inedite, ecrite le 5 janvier 1937, par Tiom
Thomas Becquet, superieur des Benedictine de Tancremont,
de ses oeuvres se jouerent dana des salles de college et de patronage; c'est vraiment maintenant un public vaste, le peuple fidele, le milieu catholique
pur.
Le reve dont il etait obsede depuis ses debut~~le scuci ambitieux de rendrea
l'art scenique ce qui lui manquait le plus selon lui: non seulement la grandeur, mais aussi la simplicite,l'ouverture, cette prise directe sur
un
public total,po-pulaire au plein sens du mot, lequel n'est pas le grand public,"(l)--se realise
a
maintes reprises aujourd'huide-vant
une societe specifiquement chretienne.Si la popularite du theatre au xve siecle s•explique en partie par le fait qu'il y avait alors
un
public uni, il s'explique aussi par le caractere des acteurs. Au moyen age, surtout en province, des acteurs benevolesetaient recrutes dans toutes les classes de la societe sans qu'on exigeat d'eux de preparation professionnelle artistique. C'est ainsi que nous voyons clerge, noblesse
(parfois), bourgeoisie, clercs, ecoliers, artisans, etc., tous se coudoyer en pleine liberte pour jouer ces mysteres. Aujourd'hui ceux qui montent sur la scene pour interesser,
instruire ou amuser le public sont ordinairement des
(1)
Revue des Jeune~, H. Gheon: Qu~nze ~ de theatre~ le plan chretien, lere part1e, le 15 mai, 1935, PP• 679-680.
artistes du m~tier. Tel n'est pas le cas pour ceux qui JOUent les pieces de Gh~on. Ses acteurs tout en n'~tant pas de la profession, ne sent pas pour cela m~diocres.
Laissons parler Gh~on lui-m@me. "Quand aux acteurs, je les
.
'a1 vus a l'oeuvre. Je ne veux contrister personne, ma.is telle de mes pieces a ete mieux interpret~e par les jeunes
gar~ons ou les jeunes filles de tel colle6e ou de tel pa-tronage, qu'elle ne l'a ou ne l'aurait ete par des pro-fessionnels moyens. Vous n'imaginez pas ce qu'on peut tirer d'eux--ou d'elles, moyennant un peu de travail."
{1)
Et encore: "Nous eumes des deboires: nous connumes des reussites. A l'honneur de ceux qui nous les permirent par un accueil et une collaboration fort meritoires en ce
temps-lA, je tiens
A
en rappeler trois: celle des Aventures de Gilles au college Saint-Aspais, du Mort ~ Cheval au:patronage Saint-Roch, et de Saint liaurice
.£!!
1 'Obeissance au patronage Notre-Dame-de-Lorette. J'affirme que ces trois spectacles etaient dignes d'etre presentee au public le plus exigeant." {2) En 1924, quatre ans apr~s lapresentation de la Farce du Pendu Dependu Gheon ecrivit:
---~-~---~--~---~-~-~---~--~---~---(1)
Henri Gheon: Jeux et Miracles ~our le Eeuple fidele, vol. I, p. 18.--(2)
Revue
des ~eunes,Henri Gheon:
Quinze
ansde theatre
~ le plan chretien, 2e partie, le 15
juin;-1935,
"Le mouvement s'etend par toute la France et au-dela; les acteurs benevoles se multiplient et se perfectionnent.n
(1)
Celui qui connait Henri Gheon associe immediatement avec son nom Les Compagnons de Notre.-Dame et les Com:pagnons de Jeux. C'est ici le moment d'en parler. Les resultats du mouvement lance par Gheon avaient en quelques annees depasse tous ses espoirs. Aussi en 1924, lui sembla-t-il qu'il restait encore quelque chose
a
tenter. Profitant,
de ses experiences avec Jacques Copeau et ses "Copiaus" au Vieux-Colombier, Gheon decida de faire sur le plan religieux
un
effort analoguea
celui de Copeau sur le plan laique. C'etait de reunir les meilleurs acteurs qui s'etaient re-veles par leur talent, leur amour de l'art et leur foi en une compagnie, et de les porter peut-etre en provinceet
a
l'etranger afin d'encourager les groupes locaux et destimuler leurs progres. Ainsi furent fondees avec le con-cours d'Henri Brochet les Compagnons de Notre-Dame, cette troupe d'amateurs ayant pour devise: "Pour la foi par l'art dramatique. Pour l'art dramatique, en esprit de foi." (2) Leur premiere representation comprenait un
petit acte d'Henri Brochet--1! Pauvre qui mourut nour avoir porte ~ gants, et deux pieces de Gheon--la Parade du
---~-~----~-~~-~~~~~-~-~----~--~~-~~-~-~~~-~~~~-~-~---(1)
Revue des Jeunes,H.
Gheon: Les Compagnons deNotre-Dame, oct.-dec., 1924, p. 408. (2) ibid., p. 410.
Pont-au-Diable et Sai~t :r~urice ~ l'Obeissance. Ce pre~ier
spectacle fut joue mar1i le 19 fevrier 1925 au Vieux-Colombier
ou
le nouveau directeur, :.~. Jean Tedesco main-tenait son theatre sur le plan etabli par Jacques Copeau.Pour mieux nous rendre compte de l'es~rit de ces acteurs, etudions quelques articles du reglement inte-rieur de la compagnie.
I
"Le groupe des Compagnons de Notre-Dame est fonde, en esprit de foi 'pour la louange de Dieu et !'exaltation de ses Saints par le moyen de l'art, sur le t~eatre.• Il
ne jouera que des ·~neces
.
' chretiennes ayant un caract~red'art. •••••
Le groupe se recrute exclusiveme~t parmi des acteurs non-professionnels, de foi et de pratique catholiques: leur concours sera gratuit.
Par exception, le groupe pourra faire appel
a
des comediens professionnels, mais dent la foi et la pratiquecatholi~ues seront sures.
Il se place so~s la protection de la Bienheureuse Vierge 1~arie, Reine du ~iel.
l i
••••• Dieu tient
A
~tre bien servi. Ils songeront qu'ils onta
defendre sa cause devant un publica
demi-profaneet que la defection partielle ou totale d'un seul risquerait de co~promettre cet~e cause et m~me de ruiner l'effort corn-m.un. •••••
I I I
••••• on
se servira de chacun suivant ses moyens. ~.~a1s,adoptant une methode qui a permis au Vieux-Colombier de former une troupe homogene et equilibree, nous posons en principe ici qu'il n'y a pas de roles secondaires, que tous doivent ~tre etudies avec la m~me conscience, rendus avec le m&me soin. Tel qui aura tenu un r8le capital dans une
pi~ce pourra ~tre appele et, en ce cas, devra se trouver prat
A
tenir un r81e efface dans une autre pi~ce. Et dut , . t
res e, rec1proquemen • Chacun aura l'occasion de donner toute sa mesure. •••••
IV
••••• Le gage de notre r~ussite--spirituelle, esth~tiQUe
et materielle--est expressement notre foi. Afin de no~s
maintenir sur ce plan, une 1:esse de Communion reunira fraternellement, avant chaque «saison" les Compagnons de
~rotre-Dame. De plus, avant et apres chaque repetition et representation, ils reci teront en commun un r-a.ter et un AVe.n --(1)
---~-~-~--~--~~---~-~--~-~---~-~~--~~--~--~----(1)
Ren1e des Jeunes, H. Gheon: Reg1ement int6rieur,L t ' t . t :'1 , , •
es ac eurs e a1en a.es e~·aployes, des etud1a.:1ts, des
artiste~, des professeurs, tous benevoles et qui donnaie~t
de leurs forces et de leurs loisirs dans un es~rit
d'abne-gation admirable. ~ous renvcyons le lecteur au dernier
chapitre pour voir que cette compagnie, par ses nombreuses tournees, initia
a
son mouvemen~ la province et ~eme l'e-tranger, surtout la Eelgique.~n 1 Z25 Henri Gouhier autrefois chro~1icueur ~ drama t iaue ~
de la Revue des Jeunes, actuellement professeur
a
l'uni-versite de Lille et collaborateur de la Revue des Cours et et des Conferences dit au sujet de l'interpretation faite
- -
~par ces Compagnons: "Leur privilege, c'est de ne jouer ni pour la gloire ni rour l'argent: s'ils jouent une farce,
'
c'est pour s'amuser et ils s'amusent sur la scene com..."lle
les spectateurs dans la salle; s'ils jouent un drame sacre, ils ne font aucun effort pour :para.itre emus; ils savent
ce qu'ils disent et ils y croient."
{1)
Gheon lui-meme,quelques mois apr~s la fond~tion de sa com~ag~ie 1isait
d'eux: "8ertes' des comediens non-profess j_ onnels ne
eauraient songer
a
rivaliser avec les hommes du metier.Mais ils apportent sur la scene cette naivete, cette
fra!cheur, cette verdeur que les professionnels mettent
tout leur talent
a
retrouver. Puissent nos "Compagnons" en conserver la fleur intacte1 Nous ne sommes pas de ceux qui croient que la nature peut suppleera
la science. Mais la science s'acquiert et la foi aideA
l'acquerir."(1)
Et en 1925 dans la Preface du Comedien et la Grace l'auteur disait: "Taus les jours nous voyons de jeunes ames s'ouvrir, en assumant devant les spectateurs l'ame de sainte Germaine, de saint Gilles ou de saint Maurice. Nos comediens non professionnels ont opte: ils sont nour
l'abandon au :personnage, quand celui-ci du mains les de-passe en vertu, en heroisme et en amour de Dieu. Nous les remercions publiquement ici: ils ont inspire cet
ou-vrage." (2)
Le 16 avril 1927, M. Paul Garcin dans un grand Journal de theatre ouvrit une enquete: Existe-t-il ~ renaissance du Theatre Chretien? et il le commen~a par le paragraphe suivant: "Les lecteurs de Comoedia connaissent les Com-pagncns de ~Tctre-Dame. Q,u'un ecrivain tel que 1~. Gheon· ait decide de cc~sacrer presque tout son temps au theatre chretien, qu'une troupe comme celle des Compagnons de
Notre-Dame ait
ete
creee pour interpreter les oeuvres de(1)
(2)
Revue des Jeunes, H. Gheon: Les Compagnons de Notre-Dame, oct.-dec., 1924, p.
4Io:--H. Gheon: Le comedien et la Grace, Paris, Librairie Plon, 1925,-preface
xx.--ce theatre, voila des evenements qui ne sauraient laisser indifferents tous ceux que l'histoire du theatre en France interesse." (1)
Les difficultes etaient assez nombreuses: celles
d'argent, de recrutement; course errante de salle en salle. Les necessites de la vie etaient inevitables: service
mili-taire, voyages d'affaires, maladies, mariage et meme entrees au monastere, comme c'est le cas de Claude Just, aujourd'hui Dominicain et dramaturge, qui fut le Mathurin du Pont-au-Diable et le portier du Pauvre sous !'Escalier.
Le dernier grand spectacle joue par ces Compagnons fut le Mtstere du Rei saint Louis, donne
a
la Sainte-Chapelle le 8 et 9 juin 1931. Mais l'oeuvre ne s'arreta pas la. Gheon, oblige de renoncera
la direction de cette troupe passa la torchea
so~ ami Henri Brochet, qui fonda les Compagnons de Jeux. "Le 24 du meme mois, ecrit Brochet, dans la salle de la rue Falguiere (celle ou Xavier de Courville et Mme. Rivain poursuivaient l'effort que l'on sait) un groupe de travail se constituait, au sein des Compagnons de Notre~Dame et, en presence de Gheon, nous primes !'engagement de ne pas laisser perir l'oeuvre •••••~--~---~---~---~---~~----~---~--~~---~
(1) Nous n'avons pas eu acces
a
ce journal et nous citonsce paragraphe d'un article: Notes sur le Theatre chretien par Henri Gouhier, publie dans-ra Revue des Jeunes, juill.-sept., 1928, p. 217.
qui lui tenait tant au coeur."
(1)
Ces nouveaux Compagnons de Jeux ont continue dans un esprit identique l'oeuvre deleurs predecesseurs, poussant plus loin, sur le meme terrain, la technique adoptee par les premiers. Citons quelques
mots de Gheon qui leur donne son avis et leur confie ses ouvrages: "Ils me sont aussi chers que mes anciens
Compagnons. Ils representent aujourd'hui une force qui ne saurait que croitre; car en depit des traverses les pires,
ils n'ont pas essaye d'echapper un seul jour aux exigences que j'avais posees en redigeant le reglement initial; ils
l'ont applique strictement, plus strictement qu'il ne
m'etait possivle de le faire, et le souci de la precision
dans le jeu, de l'exactitude dans le rythme, de l'harmonie dans la plastique, de la justesse dans l'expression, regle
tous leurs efforts et toutes leurs recherches ••••• je
n'i-magine pas qu'on puisse interpreter avec plus d'emotion et de style le Chemin de la Croix que j'ai ecrit pour eux, ni avec plus d'entrain, de liber~e et de mesure mon Noil sur la Place. Aucune troupe, nulle part, professionnels ou
amateurs, ne m' a donne au·ssi pleine satisfaction." {2)
Liso~s ce qu'en dit
P.
Lievre dans son article paru~
---~~-~~--~--~-~~-~---~---·~-~~-~-~--(i)--~~;;~-~;~-~e~nes,
Henri Gheon: Quinze ans de theatre ~ le plan chretien, 2e partie, le15
juin, 1935,PP• 825-826.
dans le Mercure de France: "Il (Gheon} etait soutenu par cinq cornediens que l'on dit amateurs. Je veux bien le croire, mais je ne vois guere de difference entre eux et leurs confreres de la nrofession ••••• Ils font la quelque
chose qui nous touche i~finiment, parce qu'ils le realisent grace aux :plus simples ressources du theatre ... (1) Ces
acteurs etaient en effet les Compagnons de Jeux pour les-quels Gheon ecrivit specialement le Noe! ~ la Place. (2)
Ces Compagnons de Jeux jouerent le ~~stere de
l'Invention de la Croix
a
Tancremont en Bel~ique avec le concours de Mme. Suzanne Bing, de l'auteur, {Gheo~ joua le role de l'Empereur Constantin) et des Compagnons de Saint Lambert (ces derniers--une troupe suscitee par lesCompagnons de Jeux). L'esprit dont tous ces acteurs furent animes est bien decrit da~s une lettre re9ue de Dom Thomas
--~~----~---~---~-~~-~---~~---~--~-~--~---~---~---~----~~~·~
(1)
(2)
:Mercure de France, Paris, P. Lievre: Noel sur la Plac·e,
----
- - - . . ... le ler mars, 1935, pp. 360-361.Dans la note qui precede la piece le No~l sur la Pla~e, ou les Enfances de Jesus, Paris, Blot, 193~Gheon
ecrivit: "Ecrit-specialement pour les Compagnons de Jeux d'Henri Brochet qui gardent la tradition et con-tinuant l'effort des Compagnons de Notre-Dame avec une conviction, une perseverance et un talent que le
succes a couronnes, le Noel sur la Place a ete monte et cree par eux sousla directionde P. J. Delbos sur la scene du Theatre Arlequin le 4 janvier 1935.
L'auteur considere comme un devoir de proclamer qu'il ne pouvait souhaiter une interpretation plus
juste, plus vivante, plus harmonieuse et les en felicite de tout coeur."
Becquet. "Les r~p~titions, les jours de spectacles o~ 30, 60, 150 jeunes gens et jeunes filles travaillent dans un
meme esprit de foi
a
une oeuvre de foi, sont des heuresinoubliables pour les acteurs. Chacun y est simple, joyeux,
, , ,
genereux: evidemment un peu tout y concourt; mais sans aucun doute d'avoir donne tous ensemble, si souvent avec
repetition, et puis dans la sincerite et !'exaltation que produit la scene en plein air, les memes verites fondamen-tales. Cela impressionne au dernier poin~. Comme le
disaient des choristes de Tancremont, tout recemment, quand
ceux de Tancremont se retrouvent, d'abord ils se sourient
et puis seulement se disent 'bonjour' marquant par
la
la joie de se ran~eler des jours vraiment heureux car benis.Des acteurs professionnels qui ont travaille avec nous ces pieces de Gheon nous ont dit leur admiration de
l'auteur, de son oeuvre, de l'esprit qui anime les ex~-cutions, et taus les participants.
Le spectacle se termine par une procession de tous les
acteurs et spectateurs
a
la chapelle du Christ. LeMtstere de la Crcix--avec son admirable chemin de
Croix--a fCroix--ait tomber
a
genoUJC bien des s:pectateurs. Gheonlui-meme a pleure souvent en le voyant representer." (1)
(1)
Lettre citee ' • da
la page ' 'di ~ • 20. d Dom T~omas Becquet,m ' .L t i l l '
super1eur es Eene c~1ns e 1ancremonL, a rava e
Gaston Baty et Rene Chavance dans leur livre Vie de l'art theatral disaient:
"Un
art dramatique n'est grand que lorsque le poete, les interpretes et 1es spectateurs en sont ensemble les officiants." (1)oh
peut-on trouver de nos jours un meilleur exemp1e de ce terrain de communion que dans le theatre de Gheon? Cet echange reciproque est une realite, car l'auteur, les acteurs, et les spectateurs s'unissent entre eux sur une meme conception de la vie et de la destinee.(1)
Gaston Baty etRene
Chavance: Vie de 1'art theatra1, Paris, Librairie Plon, 1932,r.
294-.-CHAPITRE III
LES CA..Tt.ACTERISTIQUES DE soN
THE!TRE
cHRETIENDans la Pr~face de sa premi~re s~rie de Jeux et Miracl~~
pour !~ peuple fidele 1922, Gh~on montre bien son desir de faire mieux connaitre les saints, convaincu que ses contem-porains s'interessent
a
eux, (car ils les prient encore)mais qu'ils ne les connaissent pas bien. "Le jour
ou
chaque paroisse de France, pour la fete de son patron, pourra donner sur la place, apres l'office, un beau 'miracle' en son hon-neur, que ceux qui seront la---car je n'y serai plus, sans doute---daignent pensera
moi, si tant est que personne aitgard~, en ce temps lointain, le souve~ir de son pr~sent
effort." (1)
Nous verrons to~t
a
l'heure que ce theatre chretien tel qu'envisage par notre dramaturge est divers et varie co~~ela vie elle-meme. En 1920, parlant du debut d'une production dramatique qui devait etre prodigieusement feconde, Henri
Gheon s'exprimait ainsi: "Le terrain commun etant par definition catholique, il semble que nous ~ossedions, des
a
present, tout un gisementa
exploiter de sujets neufs, quoique fort anci~ns, dedaignes, jusqu'ici par tous ~os
---~-~--~----~-~~~~-~~--~~-~---~~---~~~-~-~----~~--(1) H. Gheon: Jeux et l[iracles ;eour le -peuple fidele,
auteurs: les traditions relig1euses ue nos provi~ces, la
legende et les miracles de nos saints, l'histoire
chre-tienne de la France et du monde.u
(1)
Il constate d'ailleurs qu'il n'est pas seul dans son
effort pour retablir ftle va-et-vient" entre le ciel et la terre, et que les saints connaissent un renouveau de faveur
au:pres des ecrivains e~ du r.ublic: 1es ha.giographies sont
A
la mode, rlusieurs noe~es trouvent dans ce merveilleux1 eur . . ~· J_ 1 '1 . 1 t• 1"
..J-lns--clra~.~lon, e_. es pe er1nages se mu..L 1p 1env. Ces
her os d' autrefois' suJ ets aux memes tentc:.t i ens et aux
m~mes faiblesses que nous, eurent aussi
A lutter avant de
meriter leur couronne de gloire, e~ c'est par eUX QU€Gheon va mettre Dieu plus ?res de nous. (Peut-etre se
souvient-il toujours de la secheresse de ses instructions religieuses au lycee.)
:·;a~1 s un e conference f 2 it e 1 e 4 f evr i er 1 S 2 6 , Ghe on
disait: "Sur le plan heroique de le:, sai:1tete, 1 'homme
n'est pas seul: il y a lui, sa nature complexe et 'Jieu."(2)
Et encore: "Les saints ferment une s~rie de paliers entre 1 'horrune et Dieu, ils ne s ont pas fc-' its pour montrer 1 'ab ime
entre Dieu e: 1 'hom.me, mai s :pour le co~:nbler." ( 2)
---~~---~--~---~---~--~---~~
{1)
( 2)J. Ca1vet: Le Renouveau catho1ioue, Paris, ?. Lanore, 1927, p.
375:-Revue des Jeunes, ilenri Gouhier: Notes sur le Theatre chr~tien, juil1.-sept., 1928, p. 220.
L'auteur d'un ar-:icle publie dans le s-·~ec:o_tor (Londres) le 24 avril 1926
a
propos de la mise e~ scene au theatre Y~1ngsway c1e la merveilleuse histoire du jeun~ Bernard de :Menthon disr._i t: Je ne sais pas si1.:.
Gheon al'intention d'ecrire pour le theatre une serie des Acta Sanctorum. Si cui, il decouvrira quelque chose de
decon-cer~-ant, en choisissa!lt les sai:::1ts. G'est <;ue, malgre les differences de detail, tous ces heros SO!lt de la meme
trempe. Saint Alexis, pe:;.:: exem:ple, da:ns le Fauvre sous l'Escalier, quitta sa femme le jour de son ma.ri&~e pour revenir quelques annees plus tard vivre et mourir €tranger dans sa maison :paternelle. Saint Bernard lui aussi, res-ut sa mission divine au moment embarrassant de ses
fian-~ailles ••••• Et inevitablement--si faible est l'etre humain entre les murs d'un theatre--qu'une brande partie de la sympathie qui va d'abord au sDint lui-meme, est accordee bientot aux amir qui l'im:plorent, qui se metten: en travers de lui, qui ne le comprennent· pas, mais qui eux sont tout
a
faita
notre portee.Une seconde obj~ction qui se :pose lorsque d'un saint on fait le heros d'un drame, c'est ~ue, par definition, un saint sera humainement parlant trop eloigne de nous et qu'il ne sera qu'une marionnette mue par une ficelle
divine." (1)
Il suffit de penser aux nombreux exemples de drama-turges, meme protestants, trouva~t des sujets emouvants dans la vie des saints pour voir que cette critique
n'a
guere de place aujourd'hui. Cito~s dans la litterature anglaise,
T.
s.
Eliot: MUrder in the Cathedral, Bernard Shaw: Saint Joan, Lawrence Housman: Little Plays ~ Saint Francis. Le christianis~e est essentiellement dra-matique. Gheon, en optant pour les sai~ts ne se cond~~apas
a
un jeu de marionnettes et de ficelles divines.Ainsi n'a.-t-il pas hesite
a
puiser dans les resso~1rcesdu passe: moyen age, xvrre siecle espagnol, theatre cla.ssique. Sur son nlan chretien, "l'inve::-Iticn du dra-maturge, reduite pour une part dans l'expression des pas-sions de l'amour, decouvre
tout un
champ inexplore de l'~mehumaine, celui de la naivete, de la saintete et du mer-veilleux. Ses sacrifices sont amplement payei3 par
d'i!1-comparables richesses dont i l mspose seul: car aucun
d'entre ses confreres ne pourra comme lui evoquer les purs, les sai~ts, les Anges, les Puissa~ces celestes. 3n
re~on-~ant au ttmonde n ( ce n' est pas renoncer
a 1
'l'lo~e) il gagne
~--~--~~---~----~---~~~~---~---~---~--~----(1}
Traduit du: Spectator, London, signe R. J. TheMarvelous History of St. Bernard, le 24 avril~926,
tout un univers et par surcro!t un paradis." (1)
Regardons mainte~a~t ce coin de l'univers qui s'ouvre deva~t nous dans le th~ltre de Gh~on. Dans ce cha~~ neu explore D8r les ecrivains de yrofession, nous avons des drames depassant la puissance creatrice d'un artiste con-somme. Les saints deviennent grace
a
lui, quelque c~ose de plus que des statues installees dans leur ~iche ou que des etres telle~ent idealises qu'ils sont inimitables. Nous les voyons, creatures CO$~€ nous, malgre 1eurs erreurs,leurs faib1esses, 1eurs hesitatio~s et leurs luttes s'elever jusqu'A la saintete, mais nous ne perdons pas contact avec 1 'htrn8_~ite. Taus se ressemb1ent en un :point: ils se sou-mettent
a
une volon~e superieure au prix de sacrificeshero1ques. , ¥ Mais cela mis
a
part, nous retrouvons chez eux ces vertus et ces faiblesses qui caracterisent les etres qui nous entourent.La _piece les Trois miracles de sainte Cecile est la premiere par ordre chrono1ogique de ces maints essais dra-matiques ou 1es realites chretiennes jouent un role
yrin-cipal. L'auteur n'a rien ajoute aux faits que nous savons deja sur la vie et sur le martyre des :yersonnages Lnportants
---~---~---~---~~---~-~----~-~---~-(1)
Revue des J"eunes, H. Gheon: guinze ans de theatre sur le L'l:-;n chretien, 2e partie,le
15 jui:1,l935, p. 820.de la piece, de sainte Cecile, de saint Valerien son
enoux,
de sa.int Tiburce frere de celui-ci. L'histoire esttoute faite dans les deux tomes de Dom Guer~~ger: Sai~te Cecile et la societe romaine aux deux pre~iers siecles. L'emotion de surprise n'est ja-na_is le :pri-:Ici:'Pl objet de l'art de Gheon. Certes, nous savons en lisant la vie de
sainte Cecile que Valerien, Tiburce, et la jeune femme ont remnorte la palme de la victoire. Dans le drame de Gheon, tout cela est ecrit avec soin et amour. Gheon disait que dans cette piece "la IJOesie verbale tenait encore tron de :place." {1) l'Iais si cela est vrai, il n'en est pas moi~s
vrai aussi que l'artiste nous a fait le portrait d'une heroine qui partage notre condition. Il se peut que l'on ne se sente pas assez de force ?OUr imiter cet etre d'eX-ception quand elle dit
a
son mari--"Ami, si vous m'a.imez, qui ttez-moi sans regret 1 u (2) et encore-- "Dieu nous meta
l'epreuve: Avant de nous unir, il exige la preuve d'une fidelite qui resiste
A
la mort." (3) ou encore, lorsquetoujours impassible elle dit en renvoyant Valerien et Tiburce:
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(1)
(2)(3)
Revue des Jeunes, H. G~eon: Quinze ans de theatre sur le ulan chretien,lere :partie, le---r-5
mai,
1935, p • 6'SI • d . t ;.., , . 1n:.
Gheon: Les Trois miracles e sa1n e '.Jec1 e,Nouvelle edition, Paris, Blot,-r929, p. 117. ibid.' p. 118.
Vous ne laissez ici qu'une ame dans la fete;
Plus vite vous marchez et plus tot je vous suis; Beni soit Dieu si vous ne rentrez pas icil"
(1)
AU moins on peut com:prendre son coeur de fenrne q_uand, aya::1t
envoye so~ mari et son frere Tiburce au martyre, elle se plai~t devant Dieu.
"Mon Pere, votre nom se fige e~tre mes levres: Votre regle est de fer, j'en ai le corps brise. Ahl que de
ma
froideur et dema
fermeteVotre compassion your un temps me releve.
Mes freres sent ~ vous; que voulez-vous de plus? Je vous les ai remis, et ma besog~e est faite. Permettez-moi, Sei~~eur, de detourner la t~te
Afin de mesurer les biens que j'ai perdus.
Seule en face de vous, me faut-il fei~dre encore? N'ai-je pas bien cele
a
vos deux serviteursLa
verite sur la misere demon coeur? •••--Ils sont partis ••• Sei6~eur! mes larmes me devorent. Ohl de grace, daignez desserrer votre mainl
~on coeur contr~int pese
a
mo~ flanc com~e une pierre; Il veut battre aujourd'hui d'un battement hl~ain,Il veut faiblir ••• et sa vertu le d~sesp~re.
Ce n'est pas que j'oublie en quel lieu doit finir
~on veuvage d'un temps, ni dans quelle all~£resse;
M:ais qu'il est malaise d'epouser l'avenir
Quand l'horreur du nresent de toutes parts vous presse1 V ~
--Seig~eur, je reviendrai vous demander secours Quand le d~laissement exc~dera mon Ame •••
: •• ~cartez-vous de moi, je ne suis qu'une femme
oui
~ rannell~ ..1: -""A
grands oris tout un ' - ' nass~ -= d'amour." (2)-~---~---~---~---~----~---~---~-~---~--~---(1) ibid., pp. 124-125. {2) ibid., p. 130.
Dieu met des saints partout et de toutew sortes et Gheon s'est plu
a
nous en faire connaitre une grandeva-ri~t~. En 1323, il ~crivait dans la Pr~face de sa deuxi~~e serie de Jeu~ et Miracles pour le peupl~ fidele que l'ac-cueil qu'avait regu sa premiere serie avait depasse ses esperances. Ainsi n'hesitait-il ~as
a
continuer ses ef-forts pour "retablir ce va-et-vient" e~tre le ciel et la terre par le portrait des sai~ts, exploitant volontiers le fends legendaire chretien de telle ou telle province.Dans la Bergere ~ Eays des loups nous avons un tout autre genre de sainte, et "jamais sai~te ne fut celebree avec plus de verve."
(1)
La
pastorale veridique, touchante et merveilleuse est tres simple: c'est l'histoire d'unet ·t
r·
11 · ' t ' A..~- ' 1· 'pe 1 e 1. e qu1, ~ersecu ee par une maravre, neg 1gee par un pere sa~s volonte, garde ses moutons dans le froid et dans la misere tout en menant une profonde vie i~terieure.
Elle est douee des quatre graces d'humilite, de pauvrete, de souffrance, et de charite. Souvent, elle passe la nuit
a
la norte sur un fagot pres de ses ~outons, sans avoir rienmange;
mais elle en souffre quand meme, et quand par-fois sa pei~e devient trap lourde, elle pleure devant son ami Jeannot sa~s expliquer cepe~ds~t la raison de ses
---~-~---~~---~---~~---~---~~---(1) Revue des ~eunes, H. Gouhier: Propos ~ le theatre, jan.-mars, 1926, p. 434.
larmes. "Il ~'est pas mauvais que je pleure. Les ::pleurs,
ga n'est jamais ~erdu; ••• ~a va ou les coeurs sont trap durs, je suppose.w (1) Le plus dur pour Germaine c'est d'avoir de bans sentiments ~our Dame Cousin sa maratre qui la persecute. Ses tentations centre la vertu de charite sont frequentes et fortes, et l'enfant repete souvent qu'elle
devrait aimer Dame Cousin-puisqu'elle remplace sa propre
mere. Mais ces mots lui echappent: ".Je ne l'aime pas assez, 'Qien sur," {2) confesse-t-elle humblement. Jependant,
elle fait de son mieux pour etre bonne e~vers celle qui
lui cause tant de souffrnaces et elle ne s'epargne pas pour lui plaire. La charite de l'enfant s'exerce surtout envers les ~al~1eureux, meme quand cela peut tourner mal pour elle,
car la petite voit vraiment 1ans les pauvres le Christ lui-meme. ~uand Dame Cousin trouve un vieux mendiant dans
l'e-table, Germaine qui avait donne
a
ce malheureux un bout de pain, le ·reste de son souper, et lui avait montre cethumble abri, repond simplement
a
sa maratre ~ue si un homme a faim, on doit lui donnera
manger, et que s'il afroid, il faUt lui donner un gite. Dame Cousin, furieuse, pousse Germaine vers l'etable ou elle devra passer la. nuit. Cette incommodite n'est rien pour la bergere; seulement elle
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(2)
H. Gheon: La Bergere au pays des 1ouns, Paris, Editions de la Revue~es Jeunes-,-1923, p. 71.
raconte le lendemain
A
~eannotqu'A
cause de ce pauvre qure1le cherche toujours, e11e a manqu~ la Eesse qui est :pour elle nl'affaire d'importance". (1) Et ainsi 1es sacri-fices continuent, sacrisacri-fices heroiques, fortifiant jour parjour ses quatre tres hautes et en meme temps tres simples vertus. Ainsi Gh~on a fait revivre l'enfance naive de
sainte Germaine chere specialement aux habitants de Pibrac. Gheon s'est, de son propre gre, limite
a.
1&, :peinture des passions, mais n'admettant pas que les passions de l'a-mour dent s'occupent la plupart des dramaturges scient le tout de la vie, il trouve ses themes ailleurs. Cette fois dans le Comedien et la. Grace, c' esta
la vie de saintGenes qu'il s'adresse. Gh~on hesita
a
reprendre le sujet de Rotrou, puis se decida. On sait que dans l'oeuvre de 1 'auteur du XVIIe siecle, le celebre acteur :paien Gene.s seconvertit en inter:pretant le role d'Adrien le martyr apres avoir ete. interrompu par une voix du ciel et so:mme de se faire chretien. L'i~tervention divine se produit
a
l'acte deux, mais nous ne devinons pas la pensee secrete de Genes avant l'acte cinq, quand il la yroclame. Rotrou nouspre-sente le ccmedien comme un :raien ?rrais ne s•occupe pas de
nous faire connaitre humainement son heres. Gheon i!lsistant