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Liberté, responsabilité et utilité : la bonne foi comme instrument de justice contractuelle

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Liberte, responsabilite et utilite : la bonne foi comme

instrument de justice contractuelle.

par :

Marie Annik Gregoire

Institut de droit compare Faculte de droit Universite McGill

Decembre 2007

These soumise a l'Universite McGill afin de satisfaire en partie les exigences d'obtention du diplome de doctorat en droit civil (DCL)

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1 * 1

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M

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Resume

Notre etude consiste a degager les principes directeurs du droit des obligations quebecois, plus particulierement sa composante contractuelle. Nous tentons d'etablir une forme d'analyse qui aura pour but de definir et de legitimer les preceptes de justice qui devraient guider 1'intervention judiciaire au sein des relations contractuelles.

Dans le cadre de cette etude, nous identifions certains principes comme fondamentaux dans la theorie contractuelle: la justice commutative, la commutativite contractuelle, les droits subjectifs et les interets legitimes. Nous etablissons les rapports qui existent entre chacune de ces notions fondamentales pour conclure que pour s'averer conforme aux principes de justice commutative, la commutativite contractuelle ne doit pas etre basee sur une equivalence monetaire des prestations mais sur le respect d'une norme fondee sur la coexistence paisible des droits et interets. II s'agit en quelque sorte d'une normalisation des rapports contractuels qui cessent d'etre purement subjectifs. Cette constatation entraine plusieurs consequences : l'ajout des circonstances de 1'execution et 1'extinction du contrat, et non plus de sa seule formation, au possibility de controle judiciaire, une meilleure legitimation d'un tel controle et la reconnaissance de la bonne foi comme instrument privilegie d'une commutativite contractuelle plus juste. D'ailleurs, la derniere partie de notre these est consacree a l'examen pratique des interventions judiciaires basees sur la bonne foi afin d'illustrer les principes exprimes dans l'etude.

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Abstract

This thesis outlines the guiding principles of obligations law in Quebec, more particularly its contractual component. We are trying to establish a model of analysis that will seek to define and legitimize the precepts of justice that should guide judicial intervention in contractual relationships.

As part of this study, we identify certain principles that are fundamental in the theory of contract: notably, commutative justice, contract commutability, subjective rights and legitimate interests. We establish the relationship between each of these basic concepts to conclude that to be consistent with the principles of commutative justice, contract commutability shall not be based on a monetary equivalent of benefits but on the respect of a standard based on peaceful coexistence of rights and interests. It consists therefore of a normalization of contractual relations which ceases to be purely subjective. This finding leads to several inferences: the addition of the circumstances of the execution and termination of the contract, rather than simply its creation, to the possibilities of judicial review, a better legitimization of such review and the recognition of the principle of good faith as a privileged instrument for a fairer contractual commutability. Moreover, the last part of our thesis is devoted to examining judicial practice interventions based on good faith in order to illustrate the

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TABLE DES MATIERES

R E M E R C I E M E N T S J V 1. INTRODUCTION : L'ETUDE DETERMINANTE DES ASSISES DU DROIT

PRIVE COMME FACTEUR DE JUSTICE 1 2. LES CARACTERISTIQUES ESSENTIELLES DU LIEN CONTRACTUEL. 12

2.1. Un lien prive d'obligations 12 2.2 L'interet des parties : le droit des obligations est-il vraiment juste et

utile? 15 2.3. Les principes de justice regissant le droit des

obligations contractuelles et extracontractuelles 31 2.4. La normativite de la justice commutative en droit des obligations : 47

2.4.1. La justice commutative en responsabilite civile 47 2.4.1.1. La theorie d'Ernest Weinrib sur l'equilibre normatif 58

2.4.1.1.1 La notion de perte normative 58 2.4.1.1.2 La justice commutative et la violation d'un droit: quelles sont

les sanctions appropriees ? 68 2.4.1.2. Conclusion sur la justice commutative en responsabilite civile 82

2.4.2 La justice commutative et la relation contractuelle : 85 2.4.2.1. Les assises essentielles d'une theorie contractuelle 87

2.4.2.1.1 Le role de la volonte au contrat > 89

2.4.2.1.2 Une commutativite objective 112 2.4.2.1.2.1 L'evolution de la commutativite contractuelle de

subjective a plus objective 119 2.4.2.1.2.2. Conclusions sur revolution de la commutativite

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2.4.2.1.3. Une commutativite normative 143 2.4.2.2. Le lien entre la liberte et la commutativite contractuelle 147

2.4.2.2.1 La condition prealable a l'imposition d'une commutativite

objective : l'inegalite des parties 153 2.4.2.2.1.1 L'inegalite non fautive 154 2.4.2.2.1.2 L'inegalite fautive 158 2.4.2.3. Le role du raisonnable dans la commutativite contractuelle 160

2.4.2.4. Perspectives et conclusions concernant une commutativite

contractuelle plus juste 165 3 . LA COMMUTATIVITE OBJECTIVE ET LES DROITS SUBJECTIFS 1 7 8

3.1 La reconnaissance du concept de droit subjectif. 181 3.2 L'exercice d'une prerogative dans l'interet de son titulaire 194

3.3 Le droit subjectif: source d'exclusivite 214 3.4. Des limites sociales a l'exercice du droit subjectif 217

3.4.1 Le droit subjectif: incarnation du droit objectif 217

3.4.2 Le droit aux profits en situation de liberte 233

3.4.3. Le role de l'interet dans le droit subjectif. ....243

3.5. Conclusions concernant la commutativite objective et les droits

subjectifs .260 4. LA BONNE FOI : UNE LEGITIMATION DE L'INTERVENTION

JUDICIAIRE ET DE LA COMMUTATIVITE OBJECTIVE 2 6 3

4.1 La definition de la bonne foi 265 4.1.1 La bonne foi et la theorie dite du « solidarisme contractuel» 281

4.1.2. La bonne foi et les contrats dits « relationnels » 290

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4.2.1. La fonction interpretative 296

4.2.2. La fonction completive 308

4.2.2.1 L'obligation d'information 325

4.2.3. La fonction limitative 343

4.2.3.1. L'abus de droit en droit du travail et l'octroi de frais

extrajudiciaires pour abus de procedures : des exceptions a la regie ? .351

4.2.3.1.1. L'abus du droit de congedier 352 4.2.3.1.2 Les honoraires extrajudiciaires 355 4.2.3.2. Conclusions sur la fonction limitative de la bonne foi 358

4.2.4. La fonction adaptative 359

4.3 Conclusions sur la bonne foi comme instrument legitime d'intervention

judiciaire et de reconnaissance de la commutativite objective 376

C O N C L U S I O N 3 7 9 B I B L I O G R A P H I E G E N E R A L E : 3 9 0 1. DOCTRINE 390 A-Ouvrages et theses 390 B- Articles ..396 C-Dictionnaires 405 2. JURISPRUDENCE 407 A-Jurisprudence quebecoise et canadienne 407

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REMERCIEMENTS

Que d'annees passees a rechercher, rediger, lire et relire. Celles-ci ont ete marquees par plusieurs evenements d'importance et par de nombreux decouragements et encouragements. Sans le soutien expres de nombreuses personnes, je doute que mon projet de these aurait connu un tel aboutissement... II me faut premierement souligner l'importante aide financiere qui m'a permis de me consacrer a mes recherches. J'ai ete a ce titre particulierement choyee! Ainsi, je tiens a remercier pour leur generosite, le Fonds Wainwright de la Faculte de

droit de l'Universite McGill, l'Universite McGill (Bourse de redaction de la Principale), le CRSH, le FQRSC, ainsi que le Bureau du personnel enseignant (Bourse de perfectionnement) et la Chaire Jean-Louis Baudouin en droit civil de l'Universite de Montreal.

Ensuite, je ne peux passer sous silence les contributions essentielles de mes deux directeurs de recherche, le doyen Nicholas Kasirer et le professeur Adrian Popovici. lis ont su me guider et m'interesser a des pensees, des auteurs ou des philosophies que je croyais inaccessibles. Je leur en suis vraiment reconnaissante et j'espere que j'aurai a nouveau 1'occasion de travailler avec de si grands esprits! Un merci special a mes collegues doctorants. Dans l'isolement de la redaction d'une these, votre support informel m'a ete d'un grand reconfort. Sebastien, Marie-Pierre, Caroline, Catherine, Isabelle, Patrick et Mohammad, pour ne nommer que ceux-la, j'espere que vous vous reconnaissez! Un merci aussi a mes etudiants qui, au fil des annees, par leur enthousiasme ont su me prouver que j 'avais fait les bons choix et que le sacrifice en valait la peine!

Merci aussi a mes amis qui ne m'en veulent pas de les avoir un peu negliges dans ma folie doctorale... Un merci particulier a Catherine qui n'a jamais refuse que nous discutions de ma these et a Dimitra pour avoir verifie ma traduction anglaise. Merci au professeur Hugues Parent pour m'avoir bien explique que mes etats d'ame etaient des etats normaux de doctorant... Merci aux professeurs Didier Lluelles et Diane Labreche pour leur support inconditionnel.

Un merci particulier a Denise Rochon pour sa patience surhumaine, sa grande intelligence et son... perfectionnisme! Ses enseignements iront bien au-dela de cette these... elle m'a ete tres precieuse.

Finalement, un merci tres special a ma famille, Benoit, Catherine et Juliette pour m'avoir epaulee, encouragee et parfois enduree durant toutes ces annees. Je vous' adore!

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«l'equite veut qu'a des cas identiques, on applique des principes juridiques identiques »

Ciceron - Topiques IV-231

1. Introduction : L'etude determinante des assises du droit prive comme facteur de justice.

Des les premieres minutes d'un cours de droit des obligations, un etudiant apprend qu'un contrat se forme generalement par l'echange des consentements des parties. On schematise le principe du consensualisme par la terminologie de la « rencontre des volontes ». Celle-ci veut que les parties s'entendent sur les elements essentiels du contrat et scellent ceux-ci par la manifestation reciproque de leur consentement. Ce processus complete, le contenu contractuel serait immuable sauf par une nouvelle rencontre de volontes ou par l'effet de la loi.

En d'autres termes, tout etudiant en droit apprend que les preceptes de la theorie de l'autonomie de la volonte gerent encore les relations contractuelles en droit quebecois.

Pourtant, le meme etudiant se fera expliquer que la theorie de l'autonomie de la volonte est le plus souvent denoncee pour les injustices qu'elle entraine. Cependant, du meme souffle, ses professeurs critiqueront toute intervention judiciaire dans la relation contractuelle. lis invoqueront la securite juridique, la

stabilite contractuelle et le risque de mettre en peril la commutativite subjective

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resultant de la volonte des parties. Le respect de la liberte des parties veut que Ton respecte leur volonte. Or, la combinaison de ces mises en garde et de la denonciation de l'injustice contractuelle denote clairement un conflit de valeurs dans ces enseignements.

On peut penser que conscient d'une telle contradiction, le legislateur a voulu proposer une solution lors de 1'adoption du nouveau Code civil du Quebec. Avec la reconnaissance et la codification de certaines notions - telle la notion de bonne foi - a premiere vue, a caractere moins egoi'ste que les valeurs preconisees par la theorie obligationnelle traditionnelle, on peut penser que le legislateur a fait le pari de favoriser la justice contractuelle. Si tel est effectivement le cas, il devient de plus en plus imperatif de s'interroger sur les consequences concretes d'un tel choix legislatif sur 1'ideologic fondamentale du droit des obligations contractuelles et extracontractuelles.

Bien sur, a priori un tel questionnement suppose qu'une telle ideologic existe. Le droit des obligations est-il un exemple d'amalgames heteroclites sans aucune coherence intrinseque ? Cela serait peu probable etant donne les nature et structure reconnues d'un Code civil. Alors, si effectivement le Code civil comporte des principes directeurs internes2, nous croyons que ces assises meritent

d'etre identifiees pour verifier 1'impact des nouvelles normes codifiees.

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Aussi etrange que cela puisse paraitre, peu d'auteurs civilistes se prononcent a ce sujet, du moins aussi clairement que le font certains auteurs issus d'une autre tradition juridique. Cela peut probablement s'expliquer par le fait qu'il est presume, comme nous venons de le mentionner, que le Code est dote d'une structure coherente ou les dispositions s'interpreted les unes par rapport aux autres en vertu de principes directeurs decoulant de l'etude et l'analyse de ces memes dispositions . Malheureusement cette absence de debat entraine une consequence importante : les principes directeurs du Code civil sont peu etudies. On s'en tient aux banalites, en affirmant par exemple que le Code privilegie la protection du plus faible dans le cadre des relations contractuelles, sans expliquer ce qui justifie une telle protection.

Un des principes fondamentaux de la justice est certainement de traiter les cas semblables de fa?on semblable4. Mais si Ton interprete les dispositions du Code

civil sans tenir compte de ses structure et coherence internes, qu'est-ce qui nous permet d'assurer une interpretation uniforme et logique des regies de droit ? Identifier et expliquer les principes directeurs du Code civil s'avere fondamental puisque si les dispositions de celui-ci s'interpreted effectivement les unes par rapport aux autres, en connaissant ces principes fondamentaux, on evite une interpretation et une application arbitrages des regies de droit y contenues. On

3 Ibid-, Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, 2006 QCCA 1437, [2006] R.J.Q. 2633 au para.

131 [Ciment du St-Laurent].

4 Stephen A. Smith, Contract Theory, Clarendon Law Series, New York, Oxford University Press,

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evite certaines contradictions et incoherences5 puisque les acteurs du droit

deviennent conscients des limites ceinturant l'application des regies de droit prive.

Si l'on fait defaut d'identifier et d'assurer le respect des principes directeurs du Code civil, le succes ou le rejet d'un recours de droit prive devient une pure question d'opinions personnelles du juge traitant le dossier. On se retrouve alors avec autant de decisions qu'il peut etre difficile d'incorporer ou d'expliquer dans le cadre de la theorie civiliste quebecoise et qui sont, fort a propos, denoncees comme telles! C'est ainsi que l'application des regies de droit devient arbitraire. Or, une telle situation doit etre evitee pour maintenir la justice et la confiance dans 1'administration du droit.

Parce qu'il s'agit d'un des principaux preceptes codifies au Code civil du Quebec, la demonstration de la presente these demande de se pencher particulierement sur l'obligation de bonne foi dans la formation, l'execution et l'extinction de l'obligation. L'interpretation de cette notion par la jurisprudence peut laisser le juriste quelque peu abasourdi. D'ailleurs, plusieurs semblent suggerer qu'il ne peut resulter de l'application de cette notion que des jugements bases sur le cas par cas, sans coherence entre eux. D'autres, au contraire, ont une interpretation inverse qui se veut modificatrice des principes traditionnels du droit des contrats. Ainsi, s'il semble clairement admis que cette notion de bonne foi implique des devoirs d'information, de cooperation et de loyaute, une certaine doctrine

5 Ernest J. Weinrib, The Idea of Private Law, Cambridge, Harvard University Press, 1995

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autorisee, n'hesite pas a y constater une transformation de la theorie generale des obligations, et particulierement, sa branche contractuelle, de la vision classique -ou le contrat est per<?u comme la conciliation d'interets egoi'stes - en celle -ou ce meme contrat est, au contraire, per?u comme une oeuvre de cooperation entre des

f\ 7

contractants unis par des liens de solidarity et animes d'un esprit altruiste . Meme la doctrine quebecoise sur cette question semble etre attiree par une telle conception de la notion de bonne foi en droit des obligations .

Pourtant, lorsqu'on 1'examine de plus pres, toute cette doctrine semble se contredire elle-meme en insistant sur le role de cette meme bonne foi comme gardienne des liberies individuelles et du libre exercice des droits mais aussi comme gardienne des interets de son cocontractant. C'est alors que Ton retrouve des remarques comme celle voulant qu'il faut favoriser un esprit de collaboration et de loyaute mais en tenant compte de la nature humaine, c'est-a-dire une nature egoi'ste. On exige loyaute et collaboration mais on reconnait que T on ne peut

6 Eric Savaux, « Solidarisme contractuel et formation du contrat» dans Luc Grynbaum et Marc

Nicod (dir.) Le solidarisme contractuel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 2004, 43 a la p. 44; Anne-Sylvie Courdier, Le solidarisme contractuel, These de doctorat en droit, Universite de Bourgogne, 2003 [microfiches] (il faut cependant noter que cet auteure rejette la bonne foi comme principe permettant d'actualiser ce lien de solidarity entre les contractants); Catherine Thibierge-Guelfucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », [1997] R.T.D. civ. 357 a lap. 362.

7 Denis Mazeaud, « Solidarisme contractuel et realisation du contrat» dans Luc Grynbaum et

Marc Nicod (dir.) Le solidarisme contractuel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 2004, 57 a la p. 69 [Mazeaud, « Solidarisme »].

8 Voir Charles D. Gonthier, « Liberty, Equality, Fraternity : The Forgotten Leg of the Trilogy, or

Fraternity : The Unspoken Third Pillar of Democracy » (2000) 45 R.D. McGill 567 notamment a la p. 579 et s. Brigitte Lefebvre, La bonne foi dans la formation des contrats, Cowansville, Yvon Blais, 1998 a la p. 41[Lefebvre, Bonne foi]; Brigitte Lefebvre, « Liberte contractuelle et justice contractuelle : le role accru de la bonne foi comme norme de comportement», dans Developpements recents en droit des contrats (2000), Service de la formation permanente, Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 2000,49 [Lefebvre, « Liberte »].

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exiger un comportement vertueux ou angelique9. Difficile de s'y retrouver!

Devant ces propos en apparence contradictoires, on peut s'interroger et se demander ce qui empeche cette doctrine a aller au bout de sa pensee et de ses ambitions. Pour quelles raisons ne peut-elle pas faire serieusement la demonstration que la loyaute et la collaboration contractuelles peuvent, en certaines circonstances, obliger une partie a renoncer a ses interets pour favoriser ceux de son cocontractant ? Y aurait-il une theorie contractuelle en filigrane qui les empecherait d'avancer aussi loin dans la theorie solidariste ou de fraternite contractuelle ? Malheureusement, aucun, a notre connaissance, ne repond clairement a cette question. II semble done que nous soyons condamnes a devoir nous contenter de sous-entendus.

II est aussi interessant de noter que meme la jurisprudence semble se soumettre a une certaine ideologic implicite dans sa definition de la notion de bonne foi. Ainsi, dans 1'interpretation et l'imposition de cette notion, les tribunaux insistent particulierement sur les circonstances et la situation respective des parties contractantes pour imposer a l'une d'elles les devoirs qui semblent justifies. L'importance accordee a une partie desavantagee par les circonstances est

9 Lefebvre, « Liberte », ibid, a la p. 61; Denis Mazeaud, « Loyaute, solidarity fraternite: la

nouvelle devise contractuelle ? », dans L 'avenir du droit, melanges en hommage a Franqois Terre, Paris, Presses universitaires de France, 1999, 603 notamment a la p. 604 [Mazeaud, « Loyaute »]; A. Pousson, « Morale et droit du travail», dans La morale et le droit des affaires, Actes du colloque organise a l'Universite des Sciences Sociales de Toulouse le 12 mai 1995, Paris, Montchrestien, 1996, 53 qui a la p. 68 declare au sujet des loyaute et bonne foi impregnant le contrat de travail: « l'angelisme n'est pas de mise, il n'est pas exige que chacun des contractant qu'il aime l'autre « comme un frere » [les italiques apparaissent au texte original]; Alain Benabent, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport fran^ais) », dans La bonne foi (Journees louisianaises-1992), Travaux de l'Association Henri Capitant, t. 23, Paris, Litec, 1994, 291 qui a la p. 293 denonce l'enthousiasme excessif d'une conception angelique du contrat.

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probante. Les arrets Banque nationale du Canada c. Soucisse10 et Banque

nationale du Canada c. Houle" en sont des exemples frappants. Dans ces affaires, on insiste beaucoup sur l'attitude insouciante de la Banque a l'egard des interets de ses clients et cautions de ceux-ci, ce qui permet au plus haut tribunal d'imposer a la Banque des normes comportementales exigeant une meilleure collaboration avec sa clientele afin de proteger les interets de cette derniere.

Pourtant, meme lorsqu'elle enonce un principe d'application generate fonde sur la bonne foi en matiere contractuelle, la Cour supreme prend la peine d'y joindre des criteres d'application veillant a reiterer et insister sur l'obligation de chacun a veiller prudemment a ses affaires. Ainsi, dans l'arret Banque de Montreal c. Bail12, la Cour insiste sur le fait qu'on ne pourra imposer une obligation de

renseignement a l'une des parties que lorsque le creancier de cette obligation de renseignement aura ete dans 1'impossibility de se renseigner lui-meme ou aura ete berne par sa confiance legitime en la personne du debiteur de l'obligation de renseignement. Cette condition a par ailleurs ete interpretee par la suite comme obligeant les parties a «obtenir l'aide et l'assistance necessaires pour evaluer les risques et les implications du contrat »13. Le but avoue de cette condition

d'application est de donner a l'obligation de renseignement un role de « reequilibrage au sein du droit civil »14, mais sans ecarter l'obligation de chacun

d'etre le meilleur gardien de son interet propre. Or, en examinant ces propos des

10 Banque nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339 notamment a la p. 357 [Soucisse]. 11 Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122 [Houle]

12 Banque de Montreal c. Bail, [1992] 2 R.C.S. 554 notamment a la p. 586 et s. [Bail]

13 2328-4938 Quebec inc. c. Naturiste J.M.B. inc., [2000] R.J.Q. 2607 (C.S.) au para. 139 (REJB),

appel rejete sur requete, 2005 QCCA 356.

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tribunaux, on peut s'interroger a savoir si l'insistance de ceux-ci sur l'autonomie et la responsabilite individuelle de chacune des parties, tout en admettant des obligations, au premier regard contradictoires, fondees sur une certaine reconnaissance des interets d'autrui, est la manifestation d'une ideologic visant a favoriser une plus grande justice contractuelle.

Si, effectivement, les discours de la doctrine et de la jurisprudence sont le reflet d'une ideologic promouvant une plus grande justice contractuelle, il semble important de bien en identifier les caracteristiques afin que la notion de bonne foi en matiere contractuelle puisse se developper en harmonie avec cette ideologic. Nous ne pouvons nous resoudre a laisser cette notion a la seule justification de l'analyse au cas par cas. Les juges sont de plus en plus appeles a se prononcer et a interpreter cette notion et malheureusement, en 1'absence de balises, certaines de ces decisions peuvent se reveler mal fondees et ainsi favoriser l'arbitraire plutot que la justice. Nous avons aussi mentionne, dans un ouvrage precedent, que la notion de bonne foi a tendance a multiplier les obligations imposees aux parties et qu'il peut paraitre de plus en plus difficile de respecter et d'analyser les tenants et aboutissants de cette notion tant ses ramifications peuvent etre nombreuses15.

Devant ce fouillis annonce, peut-etre est-il temps d'identifier le fil conducteur de ces analyses, si fil conducteur il y a.

15 Voir le tableau « Phenomene de l'arbre normatif de la bonne foi » dans Marie Annik Gregoire,

Le role de la bonne foi dans la formation et I'elaboration du contrat, Collection Minerve, Cowansville, Yvon Blais, 2003 aux pp. 24-25.

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Ainsi, est-il necessaire que la Cour d'appel du Quebec16 souligne l'aspect

imperatif du devoir de bonne foi ? Au meme titre, que pouvons-nous conclure de son rappel a l'ordre quant a la necessite de demontrer un prejudice avant d'exiger la sanction de ce meme devoir de bonne foi17 ? Une meilleure comprehension de

certains principes directeurs de la relation contractuelle aurait-elle permis d'eviter de tels debats ? Ces precisions dans 1'interpretation du devoir de bonne foi n'allaient-elles pas de soi ? C'est ce que nous voulons tenter de demystifier dans le cadre de cette etude.

Parce qu'ils n'ont pas acces a la structure d'un Code civil et travaillent consequemment avec un systeme de droit en apparence plus heteroclite, ce debat est beaucoup plus important au sein de la doctrine de nos voisins de common law. Parce que la coherence est beaucoup moins evidente lorsque le systeme de droit est inductif et decoule d'une serie de decisions judiciaires formant au fil du temps un corpus de regies de droit, beaucoup d'auteurs de common law ont etudie et emis des opinions sur les theories fondamentales expliquant le droit prive et justifiant son aspect normatif. Parmi ceux-ci on retrouve notamment Stephen A. Smith et Ernest J. Weinrib dont les theories et explications influenced les presentes reflexions. Nous etudierons done certaines idees particulieres de ces auteurs, non pas dans un but d'effectuer une etude de droit compare entre le droit civil et la common law, etude qui va au-dela de cette these, mais pour inspirer une grille d'analyse des rapports obligationnels et specialement les rapports

16 Voir Trust La Laurentienne c. Losier (15 janvier 2001) Montreal, 500-09-007838-998, J.E.

2001-254, REJB 2001-22029 (C.A.) [Losier]

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contractuels. Certains pourront nous reprocher cette acculturation juridique des idees de ces auteurs mais nous croyons pour notre part qu'au-dela des exemples de recours fondes sur la common law qu'offrent ces auteurs pour illustrer leur pensee, la rationalite qui se degage de celle-ci est plus qu'inspirante pour les civilistes recherchant la justice et la coherence en droit prive.

Par la meme occasion, nous souhaitons aussi mentionner qu'a l'instar de la majorite de la doctrine quebecoise, dans le cadre de notre etude, nous utiliserons souvent des idees emises par des auteurs frangais, beiges ou suisses au meme titre que celles emises par des auteurs quebecois. Nous l'avons fait lorsque la parente entre les ideologies des systemes de droit respectifs permettait un tel rapprochement. Ceci dit, encore une fois, il faut recevoir ces idees dans un esprit d'acculturation et d'adaptation et non dans une perspective de droit compare. Nous l'avons specifie, notre etude se limite au droit interne quebecois. Par contre, nous tenons a aj outer que cela ne nous empechera pas a 1'occasion de puiser certains exemples du droit etranger ou international.

Ces precisions faites, examinons certaines idees ayant inspire notre demarche. Le professeur Smith qualifie d'interpretative (en traduction libre) une theorie qui a pour vocation de demontrer l'intelligibilite du droit, c'est-a-dire, d'effectuer la demonstration des notions et principes sous-jacents permettant une comprehension intrinseque de ce droit18. Elle doit repondre, toujours selon le

professeur Smith, a deux questions fondamentales, resumees sous les vocables

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analytique et normative, soit: quelles sont les principales caracteristiques de ce droit et pourquoi lui donne-t-on une force obligatoire19 ?

Telle se veut l'inspiration de notre demarche. Nous voulons analyser ce que nous considerons etre les caracteristiques essentielles d'une relation contractuelle en droit quebecois. Suite a cet examen, nous tenterons de determiner comment la notion de bonne foi peut s'inscrire dans la nature intrinseque ainsi identifiee de l'obligation contractuelle pour favoriser une plus grande justice entre les parties.

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2. Les caracteristiques essentielles du lien contractuel.

La caracteristique premiere de tout lien contractuel est d'etre un lien createur d'obligations. Nous jugeons done important d'etudier en premier lieu les particularites d'un tel lien. Nous serons ensuite en mesure d'etudier comment se traduit la justice contractuelle au sein de ce lien particulier.

2.1. Un lien prive createur d'obligations

En droit civil, l'obligation peut etre definie comme un lien de droit unissant deux personnes et par lequel le debiteur est tenu d'executer une prestation envers le

90

creancier sous peine d'une sanction juridique . En resume, il faut reunir les elements minimaux suivants pour etablir une relation obligationnelle : les sujets (parties), une prestation et une sanction legale. Ces elements devront done etre au coeur de notre developpement theorique, puisqu'une theorie ne tenant pas compte de ces elements serait deconnectee de la notion meme d'obligation21. La relation

obligationnelle unit une personne et une autre volontairement par un lien de droit contractuel ou involontairement par un lien de droit extracontractuel.

20 Centre de recherche en droit prive et compare du Quebec, Dictionnaire de droit prive et lexiques

bilingues: Les obligations, Cowansville, Yvon Blais, 2003, s.v. «obligation» [CRDP, Obligations]; Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e ed. par

Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vezina, Cowansville, Yvon Blais, 2005 au no. 16 et s.; Jean Carbonnier, Droit civil: les obligations, t. 4, 22e ed., Presses universitaires de

France, Paris, 2000 au no. 7 et s. [Carbonnier, Obligations]-, Didier Lluelles et Benoit Moore, Droit des obligations, Montreal, Themis, 2006 au no. 4 et s.; Henri, Leon et Jean Mazeaud et Francois Chabas, Legons de droit civil: les obligations : theorie generate, t. 2, vol. 1, 9e ed.

par Francois Chabas, Paris, Montchrestien, 1998 au no. 1 [Mazeaud, Obligations\.

(23)

Lorsqu'elles s'entendent sur le contenu d'un contrat, les parties peuvent y etablir toutes les modalites de leur relation en autant que celles-ci soient conformes a la loi . Grace a la reconnaissance juridique que fait le droit positif de cette entente, ces modalites seront consacrees et devront etre respectees par les parties, sans, le plus souvent, d'autres interventions de l'Etat . Comme le souligne la professeure Louise Rolland, « un contrat peut rester a la peripheric du droit etatique sans que sa nature juridique ne s'en trouve alteree. »24 En d'autres termes, le droit reconnait

des effets au contrat et les parties n'ont pas a le faire sanctionner expressement par les tribunaux pour qu'il acquiere une force obligatoire. C'est pourquoi le droit des obligations est un droit qualifie de prive.

Nous pourrions penser qu'un tel droit prive est moins concerne par les aspirations de justice que le droit public. En effet, quand une relation juridique ne concerne que des parties privees, est-il vraiment possible que le droit puisse se soucier de la justice de cette relation ? Pour quelles raisons le droit se preoccuperait-il de la justice dans une relation juridique privee entre personnes aptes et consentantes ? Ces questions sont au coeur meme de la contradiction que nous avons souleve en introduction et pourraient expliquer la resistance de certains juristes face a

j

l'intervention judiciaire au sein de la relation contractuelle. Si Ton accepte aisement que des principes de droit objectif viennent regir les liens obligationnels de nature extracontractuelle, il semble plus difficile d'admettre que ces memes

22 Et certains diront a l'ordre public, qui pour nous est inclus dans la loi, voir les articles 1373,

1411 et 1413 C.c.Q.

23 Louise Rolland, « Les figures contemporaries du contrat et le Code civil du Quebec », (1999)

44 R.D. McGill 903 a la p. 905 [Rolland, « Figures »].

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principes puissent regir le droit contractuel, a 1'exception, bien sur, de la limite fixee par l'ordre public. L'aspect volontaire de la relation contractuelle exclurait que la commutativite de cette relation puisse faire l'objet d'un examen objectif par une tierce partie. Cette conclusion nous permet d'affirmer que, meme si Ton s'en defend, la justice contractuelle est encore con?ue comme une justice subjective dont 1'economic est fixee par les parties et doit etre respectee ainsi sous peine de creer une injustice.

Toutes ces preoccupations qui renvoient a 1'intelligibility du droit, telle que definie par le professeur Smith, meritent que Ton s'y attarde. Naturellement, nous sommes consciente que notre demarche semble donner a la notion de justice une grande importance au sein du droit positif. Pourtant, cette idee n'est-elle pas reservee aux tenants de droit naturel ? II faut presumer que non puisque cette notion est au coeur de nombreux debats juridiques, meme positivistes. Dans un tel contexte, la question pertinente nous apparait plus etre comment la notion de justice peut-elle s'integrer au droit positif. Nous soup?onnons que la demarche pour repondre a cette question nous permettra d'identifier une certaine intelligibility du droit des obligations. Pour nous inspirer dans cette demarche, nous garderons en tete la definition suivante que donne l'auteur F r a n c i s Geny a la justice:

« Au fond, le droit ne trouve son contenu, propre et specifique, que dans la notion du juste, notion primaire, irreductible et indefinissable, impliquant essentiellement, ce semble, non pas

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seulement les preceptes elementaires de ne pas faire tort a personne (neminem laedere) et d'attribuer a chacun le sien (suum cuique tribuere), mais la pensee plus profonde d'un equilibre a etablir entre des interets en conflit, en vue d'assurer l'ordre essentiel au maintien et au progres de la societe humaine. »25

Cette definition donne a l'interet un role central. En effet, il nous semble impossible d'eviter cette notion dans line etude visant a proposer une plus grande justice contractuelle. Elle fera done l'objet d'une preoccupation constante tout au

long de notre analyse.

2.2 L'interet des parties : le droit des obligations se fonde-t-il vraiment sur le juste et 1*utile ?

II est interessant de constater que, bien que plusieurs auteurs civilistes positivistes ne discutent pas directement de cette question, la plupart d'entre eux tiennent pour acquis que le droit des obligations suppose un equilibre et une certaine justice dans les echanges qu'il implique26. L'utilite la plus souvent reconnue au droit des

obligations est de permettre l'echange de biens, richesses ou services entre les

25 Francois Geny, Science et technique en droit positif: nouvelle contribution a la critique de la

methode juridique, t.l, Paris, Recueil Sirey, 1914 au no. 16 [Geny, Science, t.l].

26 Voir generalement a cet effet, la these de Laurence Fin-Langer, L 'equilibre contractuel, coll.

(26)

97

personnes . Generalement, l'etre humain n'est pas auto-suffisant et depend, dans la satisfaction de ses besoins, de l'activite des autres. Or, c'est par l'interaction et les echanges canalises par le droit des obligations que l'etre humain accede aux biens et services offerts par les autres membres de la communaute. Le droit des obligations a aussi pour consequence d'assurer une certaine protection aux droits dont une personne est titulaire en lui assurant une certaine indemnisation en cas de non-respect de ceux-ci . Consequemment, le droit des obligations edicte, pour plusieurs auteurs, les regies favorisant les echanges et le credit en procurant a ces transactions une securite juridique pouvant etre sanctionnee29. Nous l'avons

mentionne, une fois conclu, le contrat doit en principe etre respecte sous peine de sanctions juridiques. C'est notamment, selon plusieurs, parce qu'il sanctionnerait le respect de la parole donnee lors de ces echanges que le droit des obligations

• • OA

favoriserait ces relations . En protegeant de tels echanges, on favoriserait l'epanouissement collectif et la richesse sociale .

Cependant, meme si en cela on peut dire que le droit des obligations, et particulierement le droit contractuel, comporte une utilite sociale, nous croyons qu'il regit essentiellement des rapports prives entre individus, qui acceptent de s'y

27 Paul-Andre Crepeau, « La fonction du droit des obligations » (1998) 43 R.D. McGill 729 a la p.

732 et s. [Crepeau, « Fonction »]; Lluelles, Moore, supra note 20 au no. 120;

Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 368. 1

28 Voir notamment les articles 1457 et 1458 C.c.Q.

29 Jacques Ghestin, Traite de droit civil, la formation du contrat, 3e ed., Paris, Librairie Generate

de Droit et de Jurisprudence, 1993 au no. 248 et s. [Ghestion, Traite]

30 Ibid, aux nos. 249-250; James Gordley, « Contract Law in the Aristotelian Tradition » dans

Peter Benson (dir.), The Theory of Contract Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 265 a la p. 266; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 41; Francois Terre, Philippe Simler et Yves Lequette, Droit civil, Les obligations, 9e ed., Paris, Dalloz, 2005 au no. 438. 31 Crepeau, «Fonction », supra note 27 a la p. 732 et s.

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soumettre dans leur interet propre plutot que dans un quelconque interet social. Personne ne se dit en concluant un contrat: « Voici ma contribution a la richesse collective de la societe dans laquelle je vis». On conclut un contrat essentiellement pour satisfaire ses besoins et desirs personnels32 et, meme si nous

reconnaissons que d'autres motivations peuvent parfois expliquer le comportement humain, la satisfaction de ses interets correspond certainement a l'etat d'esprit privilegie qui regne dans le monde du contrat33. Tout expose

credible tentant d'identifier les caracteristiques de la relation contractuelle doit done refleter cette dimension importante34.

II faut cependant noter que cette vision liberate du droit des obligations ne fait pas l'unanimite chez les auteurs35. Dans le debat auquel se livrent plusieurs auteurs

entre les theories solidariste et individualiste du contrat, certains auteurs se

32 Courdier, supra note 6 au no. 53 et s.; Philippe Delebecque et Frederic-Jerome Pansier, Droit

des obligations: Contrat et quasi-contrat, 2e ed., Paris, Litec, 2001 au no. 261; Lluelles et

Moore, supra note 20 au no. 1997; Judith Rochfeld, Cause et type de contrat, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 311, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1999 notamment au no. 81.

33 Rochfeld, ibid. auno. 81.

34 Francois Ost, Droit et interet, vol. 2, Bruxelles, Facultes universitaires Saint-Louis, 1990 a la p.

13.

35 Voir notamment Emmanuel Gounot, Le principe de I 'autonomic de la volonte en droit prive :

contribution a I'etude critique de I'individualisme juridique, Paris, Ed. Arthur Rousseau, 1912 a la p. 388 et s., ou l'auteur denonce cette vision du droit, qu'il qualifie d'individualiste, en specifiant que le droit vise aussi a imposer une certain minimum de moralite sociale et que cette doctrine de la « coexistence » est plus ou moins la negation de toute vie sociale et solidarity entre les humains. II faut noter cependant que la plupart des exemples qu'il fournit pour appuyer ses dires sont tires du droit criminel (adultere, attentat k la pudeur, pornographie, etc...) et sont done essentiellement du ressort du droit public. Or, en ce qui concerne le droit prive, nous croyons que meme les dispositions qui ont pour but d'exiger une certaine morality contractuelle, comme Particle 1375 C.c.Q. peuvent etre envisagees comme des dispositions venant gerer l'exercice de la liberte avec celle des autres pour eviter des conflits. En ce sens, le droit peut etre envisage comme definissant les frontieres de la zone d'exercice d'une liberte s'exprimant sans limite afin d'assurer la « coexistence des libertes» et de ce fait, la coexistence des droits et interets individuels. Comme nous le verrons, nous sommes d'avis que la sauvegarde d'une veritable liberte contractuelle est malheureusement absente dans la theorie individualiste, telle qu'interpretee a notre epoque.

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reclamant de l'ecole solidariste sont d'avis que la solidarite entre les humains est la valeur primordiale a privilegier. Le droit, des obligations devrait ainsi refleter cette mission sociale . Malheureusement, a notre avis, ces auteurs ont une vision un peu trop angelique des rapports obligationnels et confondent l'ideal moral a atteindre avec la realite psychologique de l'etre humain. C'est l'interet personnel

•yn

qui motive Taction des personnes . Une analyse des preceptes du droit contractuel doit refleter cette realite concrete et ne pas seulement etre con?ue comme une vision idealiste, mais irrealiste, des rapports humains.

Ce dernier commentaire peut paraitre anodin, mais il est selon nous d'une grande importance. Beaucoup d'auteurs contemporains justifient l'obligation, et plus particulierement l'obligation contractuelle, par des theories que nous qualifierons « d'utilitaires ». L'obligation est analysee en fonction de ses buts ou objectifs, que ceux-ci soient reels ou virtuels, plutot qu'en fonction de ses composantes intrinseques. Ainsi, dans ces theories utilitaires, on fonde la legitimite du lien d'obligation en expliquant que ce dernier est dote d'une utilite sociale au sens large du terme. II en est d'ailleurs ainsi de plusieurs theories fondees sur une analyse economique du droit. Selon celles-ci, le lien d'obligations est envisage comme un instrument de developpement de bien-etre collectif, telles que la prosperity economique ou la repartition des richesses. Cela pourrait expliquer que

36 Voir un resume de ces pretentions dans une etude tres bien faite sur la question par Marc

Mignot, « De la solidarite en general et du solidarisme contractuel en particulier ou le solidarisme contractuel a-t-il un rapport avec la solidarite ? », [2004] R.R.J. 2153.

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certains auteurs analysent la relation contractuelle comme une societe ou chacun des « associes » est investi d'une mission a l'egard d'autrui.

y

Effectivement, il semble possible de fonder la legitimite de 1'institution qu'est le contrat sur un fondement d'utilite sociale. Nous sommes prete a conceder que si le droit positif sanctionne et donne force obligatoire aux contrats prives c'est parce que le contrat est con^u comme un instrument privilegie d'echanges et de creation de richesses. Cependant, a notre avis, le bat blesse lorsqu'il s'agit d'appliquer ce principe de legitimation de 1'institution en general a chacun des contrats en particulier puisqu'en insistant sur la seule mission sociale du contrat, on occulte toute la dimension de satisfaction d'un interet personnel.

II nous semble alors que ces auteurs effeetuent un raisonnement a l'envers. On tente de faire passer une mission sociale de bien commun a des contrats individuels. Ces theories comportent des failles qui se resument par les questions suivantes: l'obligation, prise individuellement, se con^oit-elle sans une quelconque utilite sociale ? Cette utilite sociale peut-elle faire l'objet d'une evaluation judiciaire concrete au cas par cas ? Si oui, quelles sont les consequences liees a l'absence d'une quelconque utilite sociale pour un contrat particulier ?

En d'autres termes, il s'agit de verifier si les principes legitimant l'existence generate du droit des obligations contractuelles, tels que conQus par des fondements teleologiques de nature purement sociale, peuvent par ailleurs definir

(30)

1'intelligibility d'une relation contractuelle particuliere. II s'agit done d'etudier si I'application quotidienne et individuelle des principes de la theorie des obligations contractuelles se fonde sur l'etude de la relation particuliere des parties ou sur une mission sociale d'utilite publique. Or, nous sommes d'avis que, hormis peut-etre le cas d'un contrat qui contreviendrait clairement a l'ordre public et qui pourrait, de ce fait, etre presume « nuisible » socialement, l'utilite sociale d'un contrat particulier peut difficilement faire l'objet d'une evaluation concrete.

Lorsque l'on discute de l'utilite sociale du contrat, on ne peut eviter d'etudier une theorie contractuelle fort populaire aupres des auteurs civilistes contemporains, soit la theorie du juste et de Futile du professeur fran^ais Jacques Ghestin . Ainsi, le professeur Ghestin affirme que le fondement de la force obligatoire du contrat

-2Q

« se deduit de son utilite sociale et de sa conformite a la justice contractuelle. » Selon cette theorie, le droit objectif reconnait des effets au contrat, acte juridique decoulant de la rencontre de volontes individuelles, parce que celui-ci comporte une utilite sociale et a la condition qu'il soit juste. La simple utilite individuelle n'est pas suffisante pour constituer un fondement a la force obligatoire des contrats40 parce que si l'on acceptait que la simple utilite pour chacune des parties

prise individuellement puisse etre suffisante, comment pourrait-on expliquer que

38 Voir generalement a ce sujet, Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 223-282; Jacques Ghestin,

« L'utile et le juste dans les contrats », D. 1982.chron.l [Ghestion, « Utile »].

39 Jacques Ghestin, « La notion de contrat», D. 1990.chron.147 a la p. 149 [Ghestin, « Notion »]. 40 Ghestin, « Utile », supra, note 38 a la p. 4 ainsi que Ghestin, Traite, supra, note 29 au no. 228.

(31)

le contrat puisse s'averer inutile individuellement mais tout de meme etre sanctionne par le droit positif ?41

Pour eviter cet ecueil, le professeur Ghestin fonde la force obligatoire sur l'utilite sociale - bien qu'il ne mentionne pas comment un contrat inutile socialement pourrait ne pas etre dote d'une force obligatoire. Nous l'avons deja souligne, est souvent affirme le constat selon lequel la force obligatoire du contrat favorise les echanges economiques. De plus, les regies contractuelles dites d'ordre public permettent au legislateur de s'assurer d'une certaine repartition des richesses ou du respect de certaines valeurs ou politiques de direction sociale42. On peut penser

aux conditions minimales imposees dans le cadre de contrats de travail ou a 1'interdiction absolue des contrats de mere porteuse43. C'est en ce sens que le

contrat est considere comme etant utile socialement44. Cependant, le « contrat»

dont il est question ici n'est pas le contrat individuel conclu par deux parties donnees mais l'institution du contrat ou si l'on prefere, la notion de contrat prise dans son ensemble. C'est cette utilite collective, jointe a la necessite aussi d'un contrat juste, qui justifie et rend legitime la creation de l'obligation resultant de la relation contractuelle. Pourtant, presentement, le droit des obligations contractuelles se soucie peu de l'aspect de justice du contrat. Une fois que le contrat est considere comme legalement conclu, cette justice est presumee et ne peut etre contestee au nom de la securite des transactions qui est envisagee

41 Ghestin, Traite, Ibid, au no. 228.

42 Michelle Cumyn, La validite du contrat suivant le droit strict ou I'equite : etude historique et

comparee des nullites contractuelles, Coll. « Minerve», Cowansville, Yvon Blais, 2002 notamment au no. 343 et s.

43 Article 541 C.c.Q.

(32)

comme un aspect important de la mission sociale du contrat. Pourtant, comme le mentionne la professeure Brigitte Lefebvre, « [n]e pas reconnaitre que le contrat doit egalement avoir une utilite particuliere ne conduit-il pas a cautionner et a valider le contrat en tant qu'outil possible d'exploitation ?45 »

A notre avis, cette fa?on d'appliquer les preceptes de la theorie du juste et de l'utile est insuffisante parce qu'elle omet le respect des interets individuels. II est exact que l'institution contractuelle vise l'augmentation generate des richesses mais le contrat individuel vise le bien-etre d'un individu en particulier46, d'ou

l'importance que le contrat soit aussi juste. D'ailleurs, le professeur Ghestin lui-meme, alors qu'il nie que le caractere utile du contrat puisse referer a une utilite individuelle, mentionne que la valeur supreme de notre societe est le « bien de la personne humaine »47. Alors que l'utilite se rapporte a la mission sociale, l'aspect

de justice doit etudier la specificite de la relation contractuelle prise individuellement48. Dans les societes liberates, on presume que le bien collectif

passe d'abord par le bien individuel. «Laisser aux individus un pouvoir d'initiative dont ils recueilleront les fruits sous forme d'avantages personnels est un moyen de les faire collaborer a la recherche du bien commun. »49 Ainsi,

Ghestin lui-meme admet que le bien commun passe par la satisfaction des interets de chaque personne.

45 Brigitte Lefebvre, « La justice contractuelle : mythe ou realite ? » (1996) 37 C. de D. 17 a la p.

21 [Lefebvre, « Mythe »].

46 En ce sens, nous apprecions cette citation qui con?oit le contrat comme un «instrument de

conversion d'une situation initiale, ressentie comme imparfaite, en une situation finale jugee plus desirable. » Rochfeld, supra note 32 au no. 1. '

47 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 250. 48 Cumyn, supra note 42 au no. 341. 49 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 250.

(33)

L'utilite sociale, telle que definie par Ghestin, ne peut etre que presumee puisque, concretement, il apparait tres difficile de juger de l'utilite sociale de chaque contrat en particulier. II nous semble fort difficile d'analyser au moment present l'impact social d'un contrat specifique puisque cet impact est souvent le resultat d'un ensemble de circonstances futures et a l'interieur desquelles le contrat etudie n'est le plus souvent qu'un atome parmi tant d'autres. On se retrouve ainsi avec un critere qui n'a dans les faits aucune chance d'application pratique. D'ailleurs, il est interessant de noter que dans les exemples qu'il donne de l'application du principe de l'utilite du contrat, Ghestin doit analyser des notions qui relevent de la relation concrete et particuliere des parties, plutot que d'une mission d'utilite sociale du contrat qui serait exterieure a cette relation. II en est ainsi par exemple de la qualite du consentement ou de Pimportance des besoins individuels satisfaits grace au contrat. Or, comme le demontre habilement la professeure Michelle Cumyn, ces elements de la theorie contractuelle relevent plutot de la justice contractuelle que de son utilite sociale50. Cela expliquerait notamment que les

vices de consentement se sanctionnent par une nullite relative plutot qu'une nullite absolue. Ainsi, meme dans une analyse strictement basee sur le principe de l'autonomie des volontes, on ne peut ecarter 1'analyse de 1'aspect de justice entre les parties, meme si au fil des epoques, plusieurs auteurs ont souvent tente de reduire au minimum un tel controle.

(34)

Une des grandes caracteristiques du droit des obligations est de creer un lien entre deux personnes particulieres51. Le creancier ne peut exiger l'execution de la

prestation que d'un debiteur particulier. En ce sens, le droit des obligations est un droit essentiellement bipolaire52. Par exemple, le demandeur dans une action en

responsabilite civile extracontractuelle poursuit le defendeur pour 1'injustice propre qui a ete commise envers lui, sans se faire le representant du public ou de la societe53. Meme en presence de plusieurs personnes, ce rapport bipolaire reste

identique puisque le lien personnel debiteur-creancier demeure54 entre chacune

des personnes impliquees dans la relation et agissant en son nom propre. La notion de solidarite entre debiteurs est d'ailleurs fondee sur ce principe. On permet a une partie de representer 1'autre en une sorte de mandat reciproque55

mais chaque partie demeure une partie distincte dans son lien avec le creancier, expliquant notamment le principe de la repetition conjointe entre les parties solidaires56. Les elements justificatifs de l'obligation doivent done refleter cette

particularity de bipolarite, ce que ne font pas la plupart des theories a caractere purement economique ou utilitaire.

51 C'est ce qui fait dire aux professeurs Lluelles et Moore que « [s]i la personne n'est tenue que de

maniere gen^rale, sans avoir en face d'elle un creancier individualist, il n'y a pas d'obligation, du moins pas au sens du droit des obligations. » Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 29. Voir aussi Courdier, supra note 6 notamment au no. 106, pour qui cette relation particuliere fonde l'existence d'un lien de solidarite entre les parties au contrat.

52 Weinrib, Idea, supra note 5 notamment a la p. 56 et s.

53 Ibid, a la p. 143.

54 D'ailleurs cela ressort de l'article 1373 qui definit l'objet de l'obligation.

55 Jean Pineau, Danielle Burman et Ser'ge Gaudet, Theorie des obligations, 4e £d. par Jean Pineau

et Serge Gaudet, Montreal, Themis, 2001 au no. 390.

(35)

Un autre aspect qui nous semble fatal pour ces theories purement utilitaires, est lie a ce que le professeur Stephen Smith appelle, en traduction libre, la necessite de transparence57. En resume, ce critere exige que la theorie soit en echo avec la

conception que les praticiens du droit se font de 1'institution. II exige que les concepts, vocabulaires et raisonnements soient en harmonie avec ceux qu'utilisent

fO

les juristes . En d'autres termes, elle consiste a se questionner de la maniere suivante: en ce qui concerne les theories utilitaires, est-ce que les juges, les praticiens du droit et les contractants eux-memes justifient leurs propres actions juridiques en droit prive en fonction d'une utilite sociale ou en fonction d'une relation privilegiee ? Cet element de transparence permet de s'assurer que les elements theoriques par lesquels on veut justifier et expliquer la relation obligationnelle ne soient pas en quelque sorte desincarnes, c'est-a-dire sans aucun lien avec la pratique, au sens large du terme.

L'actualite judiciaire nous permet de constater 1'importance d'un tel critere. Ainsi, suite a la reforme du Code de procedure civile, en 2003, plusieurs principes avances dans cette reforme rencontrent de la resistance, tant de la part des avocats que des membres de la magistrature. Par exemple, les audiences de gestion ordinaire, la contestation orale et la regie de la proportionnalite sont peu utilisees ou suscitent malaises et inconforts chez les praticiens du droit. Une des hypotheses avancees pour expliquer cette resistance est que ces mesures sont

57 Voir sur la definition qu'il fait de ce critere, Smith, supra note 4 aux pp. 25 - 37 et le

developpement particulier qu'il fait de ce critere, en ce qui concerne les theories utilitaires, aux pp. 132-136.

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«etrangeres aux moeurs judiciaires traditionnelles. »59 On con9oit done

Fimportance du respect de la culture juridique, ou si l'on prefere la transparence. D'ailleurs, il est fort a parier, qu'un processus de defense orale aurait eu beaucoup plus de facilite a s'implanter dans un domaine de common law, tel que le droit criminel, ou la tradition concilie beaucoup plus facilement l'absence de supports ecrits.

Mais la transparence est-elle aussi importante en droit des obligations puisque la majorite des regies se retrouvent au Code civil ? En ce sens, le professeur Smith soumet un argument qui est a notre avis fort convaincant et que nous nous permettons de reprendre ici60. En droit prive, lorsqu'un juge condamne une partie

a payer a 1'autre des dommages-interets - qu'ils soient contractuels ou extracontractuels - on peut s'interroger sur les principes qui sous-tendent une telle condamnation. Interrogez des juristes et la majorite vous repondront que ces dommages sont octroyes afin de compenser le prejudice qu'a subi le creancier suite a un acte fautif - delit ou inexecution contractuelle - commis par le debiteur. On condamne d'ailleurs le debiteur a payer un creancier particulier plutot que faire porter ce fardeau a la societe. II apparait done clair que les juristes per9oivent cette obligation de reparation en fonction d'un lien particulier entre deux parties. L'exigence de transparence ordonne consequemment que l'on respecte les particularites d'un tel lien.

59 Louis Baribeau, « Les audiences de gestion : reagir avant qu'il ne soit trop tard » Le journal du

Barreau (15 fevrier 2005, vol. 37, no. 3) 1. L'auteur resumait ainsi les propos tenus par 1'Honorable juge Robert Pidgeon, juge en chef associe de la Cour superieure.

(37)

Les fondements a caractere public ont peu d'impact sur la particularite de la relation obligationnelle. Pour s'en convaincre, comparons cette meme condamnation a des dommages avec la condamnation a une amende en droit penal. Cette derniere condamnation ne se con^oit pas en fonction d'un lien particulier entre l'auteur du delit penal et sa victime. Les buts avoues d'une telle condamnation sont la punition et la prevention par l'exemplarite d'une telle sanction. Ce sont clairement des buts a caractere social et 1'ensemble de 1'institution du droit penal reflete ces caracteres. L'indemnisation de la victime dans le cadre de cette condamnation a un caractere secondaire61 et d'ailleurs cette

victime n'est pas partie au processus judiciaire et ne participe au recours intente par un representant de l'Etat qu'en qualite de «temoin-victime ». L'amende payee par l'auteur de l'acte criminel sera remise a la societe en general plutot qu'a la victime. On constate done une difference importante entre les pratiques du droit prive et du droit penal. Une theorie analysant les fondements de ces types de droit doit tenir compte de ces particularites puisque celles-ci sont le reflet de valeurs sous-jacentes et en assurent la transparence et 1'intelligibility. A ce titre, mentionnons qu'il est particulierement significatif que des lois imposant des valeurs ou politiques sociales meme en matiere contractuelle, et que Ton pourrait consequemment qualifiee de «mixtes» puisqu'elles concernent tant l'utilite sociale que la justice individuelle du contrat, ne se contentent pas le plus souvent de sanctionner une contravention par un recours de nature privee, tel que

61 D'aiileurs, cette indemnisation est plutot le mandat d'un organisme fonde a cette fin soit 1'IVAC

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l'annulation du contrat ou l'octroi de dommages-interets. On y retrouve aussi des amendes, suspensions de permis ou autres sanctions qui refletent la nature publique de la politique legislative62.

Le critere d'utilite sociale est insuffisant pour decrire la realite pratique et la particularite d'un lien contractuel specifique. En ce sens, il ne respecterait pas le critere de la transparence. Quand a-t-on vu un juge analyser la validite d'une relation contractuelle en fonction de l'utilite sociale ? Encore moins a-t-on vu un juge annuler un contrat sur cette base. Certains pourraient alors argumenter que l'utilite sociale se retrouve sous le vocable du respect de l'ordre public et des bonnes moeurs. Meme si cet argument n'est pas denue de sens, une analyse plus approfondie de ces notions demontre qu'elles sont surtout invoquees pour apprecier la nature socialement inacceptable d'un comportement plutot que l'utilite sociale d'un contrat particulier.

Nous le verrons, lorsqu'un juge intervient au contrat, c'est generalement l'aspect de justice qui retient son attention. Meme lorsqu'il analyse un vice de consentement, le juge sera sensible au prejudice subi par la partie dont le consentement a ete vicie. Ces inconvenients, de meme que le comportement des parties, influenceront necessairement la decision du juge. Dans un tel cas, il est question des particuliarites de la relation des parties et non plus d'utilite sociale . Si le vice de consentement n'etait pas lie a la situation particuliere des parties,

62 Voir par exemple les articles 277- et suiv. de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q. c.

P-40.1 [L.P.C.]

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comment pourrait-on justifier que l'erreur inexcusable ne puisse constituer un vice de consentement64 ?

Ainsi, il semble bien qu'une veritable etude des fondements de l'obligation contractuelle doive tenir compte des deux composantes de celle-ci: son utilite sociale, qui releverait du droit strict65 et qui ne se preoccuperait pas de 1'etude du

lien particulier cree entre les parties et sa justice, pour laquelle il faudrait proceder a l'analyse de ce lien particulier en soupesant les interets en presence.

Pour bien saisir la nuance qui existe entre le droit strict et la justice, on peut examiner les regies de formation du contrat. Le consensualisme implique que le contrat se forme par l'offre et 1'acceptation66. II s'agit d'une analyse purement

mecanique dont la presence fait presumer le lien contractuel. Le juge ici se contente d'un role d'interpretation et d'application du droit strict. De meme, lorsque le legislateur prevoit des regies formalistes, le juge se contente de verifier si celles-ci ont ete respectees, sans se soucier de la justice du contrat. Ces regies refletent souvent la volonte du legislateur de proteger certaines parties jugees plus vulnerables. Elles sont done le reflet de certaines orientations politiques ou economiques. Leur presence ou leur absence temoignera de l'existence ou non du contrat. Par exemple, le defaut de conclure un contrat de mariage par acte notarie entrainera sa nullite absolue67.

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64 Art. 1400 C.c.Q. 65 Cumyn, supra note 42. 66 Art. 1385 ets. C.c.Q. 67 Art. 440 C.c.Q.

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Par contre, le droit a toujours repugne a s'en tenir a la simple application abstraite du droit strict sans verifier si 1'application effective et concrete de ses regies n'avait pas des effets pervers pour l'une ou l'autre des parties. Dans certains cas, le legislateur a expressement identifie certains de ces effets nuisibles pour mieux les encadrer au nom de l'interet social. La legislation veillant aux droits des travailleurs, locataires ou consommateurs en est un bon exemple. Dans d'autres cas, le legislateur a prefere confier cette fonction de veiller a la justice du contrat au pouvoir judiciaire, a meme d'evaluer l'impact concret de l'application de normes juridiques abstraites et generates. Le role du juge cesse alors, malgre ce qu'en disent la majorite des civilistes, d'etre un simple interprete du droit strict. II devient alors l'arbitre de la relation des parties au nom des principes de justice applicables qui se doivent d'etre lies a la satisfaction des interets personnels des contractants puisque ce sont ceux-ci qui expliquent la motivation de ceux-la a conclure le contrat. En d'autres termes, il devient l'arbitre de la justice contractuelle.

C'est ce deuxieme aspect des fondements contractuels qui fera l'objet de la presente etude. Nous voulons tenter de degager les preceptes essentiels de la justice contractuelle afin d'eviter que l'arbitre d'une relation contractuelle ne devienne lui-meme source d'arbitraire. Comme le mentionne certains auteurs, « souvent cet arbitraire resulte d'une absence de methode »68 et nous croyons

68 Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; voir aussi au meme effet: Courdier, supra note 6 au no.

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done a l'utilite d'etablir des parametres d'analyse. Pour ce faire, nous tenterons d'identifier certaines caracteristiques fondamentales des deux grandes sources d'obligations que sont les obligations contractuelles et extracontractuelles. Nous esperons que cette etude permettra de legitimer une demarche qui est souvent denoncee comme une atteinte a l'immutabilite contractuelle et done a la securite du contrat.

Dans les sections suivantes, nous constaterons que la relation contractuelle dans le contexte d'economie liberate s'appliquant au Quebec repose sur des principes de justice commutative. Nous tenterons d'identifier les elements de cette justice appliquee a la relation particuliere des parties afin de determiner les principaux criteres d'intervention du juge. Nous discuterons de meme de la legitimite d'une telle intervention.

2.3. Les principes de justice regissant le droit des obligations contractuelles et extracontractuelles

Les caracteristiques du lien etroit entre les deux parties impliquees dans la relation obligationnelle nous permettent d'affirmer qu'a premiere vue ce droit releve plus de la justice commutative que de la justice distributive69. Alors que la justice

69 Thomas D'Aquin, Somme theologique, traduction fran?aise par M. S. Gillet, Paris, Revue des

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distributive vise la juste repartition d'une masse de biens entre les personnes d'une societe donnee en fonction de criteres determines70- le cas le plus frappant

dans nos societes modernes est certainement la repartition de la richesse publique en fonction des revenus d'une personne- la justice commutative, dans sa definition

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traditionnelle, s'attache a la forme equilibree de leurs echanges . Or, dans son inspiration, le droit des obligations cherche la justice dans les echanges de biens, que ces echanges soient volontaires - l e contrat par exemple - ou involontaires, par

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les regies regissant la responsabilite civile extracontractuelle . Les principes de la justice commutative conviennent done mieux a la relation en droit des obligations que ceux de la justice distributive. Ainsi, parce que les biens, selon la justice distributive, suivent la proportion qu'indiquent les rapports de chaque personne en fonction des autres -par exemple du plus honnete au moins honnete-cette justice distributive tente d'equilibrer non pas les prestations reciproques des parties mais de proportionner la prestation a certaines caracteristiques identifies du sujet. Elle implique 1'etude du statut de la personne par rapport a un groupe ed. , Paris, Presses universitaires de France, 1998 au no. 228; Weinrib, Idea, supra note 5; Victoire Lasbordes, Les contrats desequilibres, t. 1, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000 au no. 77. II faut noter que certains auteurs voient cependant une justice distributive dans certains actes precis de droit prive, tel que le contrat de partage (qui par ailleurs n'est pas un contrat nomme en droit civil quebecois), mais reconnaissent que la majeure partie des actes ou situations juridiques de droit privt reinvent plutot de la justice commutative : notamment, Jean Carbonnier, Droit civil: Introduction, Les personnes, La famille, I'enfant, le couple, Paris, Presses universitaires de France, 2004 au no. 51 [Carbonnier,

Introduction]. Voir aussi Cumyn, supra note 42 notamment au no. 341 et s. Pour une definition de ces termes voir: CRDP, Obligations, supra note 20 s.v. «justice », «justice commutative » et«justice distributive »;

70 Xavier Dijon, Droit naturel: Les questions du droit, t. 1, Paris, Presses universitaires de

France, 1998 a la p. 341; Pierre Kayser, « La justice selon Aristote », [ 1996] R.R. J. 313 aux pp. 316-317; Stephen R. Perry, « On the Relationship Between Corrective and Distributive Justice » dans Oxford Essays in Jurisprudence, (2e), Oxford, Oxford University Press, 1973, 237 aux pp. 237-238; Ernest J. Weinrib, « Corrective Justice in a Nutshell », 52 U.T.L.J. 349 [Weinrib,« Nutshell»].

71 Dijon, ibid, a la p. 339; D'Aquin, supra note 69, Ha - Ilae, quest. 61, art. 2; 72 D'Aquin, ibid. Ha - Ilae, quest. 61, art. 3; Seriaux, supra note 69 au no. 228.

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