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La femme au cœur du dialogue des cultures dans Leon l'Africain /

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ProQuest Information and leaming

300 North Zeeb Raad, Ann Arbor, MI 48106-1346 USA 800-521-0600

(2)
(3)

par

LeïJa Ephrem el-Boustani

Mémoire de maîtrise soumisàla

FacuJté des études supérieuresetde la recherche En vue de l'obtention du diplôme de

MaîtriseèsLettres

Département de langue et littérature françaises Université McGiIl

Montréal, Québec

Août 2000

(4)

AcQuisitionsand BibliographieServices 385wtIingIanStrMt 08aw8ON K1A 0N4 can.a Acquisitions et services bibliOgraphiques 385.rueweIingtDn 0IIawaON K1 A 0N4 CIMda

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0-612-70283-9

(5)

The purpose of our thesis is to show the important role of the woman in the novelistic autobiography of Léon l'Africain. Inspired bytheDescription de / ·Afrique,

written by the famous arab geographer Moharned al-Wazzan ez-Zayyati, MaaJouf converted this autobiography toaquest of aman insearch of an identity exceeding the geographic, ethnic and religious boundaries. Ifhesucceeded in

am

ving to theend of his joumey, ifs mainly due to the contribution of the woman who is present Wlder different names and faces throughout the novel and who leads him to the diaJogue of cultures.

(6)

Le but de notre mémoire est de montrer l'importance du rôle de la femme dans l'autobiographie romanesque de Léon l'Africain. Inspirée de la Description de , 'Afrique du célèbre géographe arabe, Mohamed aI-Wazzan ez-Zayyati, cette autobiographie devient sous la plume de Maalouf celle de la quête d'un hommeàla recherche d'une identité dépassant les frontières des appartenances géographiques, ethniques et religieuses. S'il réussit àarriver au bout de son périple, c'est grâce àla précieuse collaboration de la femme, qui, présente d'un bout à J'autre du roman, sous des noms et des visages différents, le guideraafin qu'il participe vraiment au dialogue des cultures.

(7)

(8)

PREMIÈRE PARTIE: MANUSCRIT ET ROMAN

Premier Chapitre : La genèse

1

n

La femme dans le manuscrit

L'originalité d'Amin Maalouf

p. 14 p. 17

Deuxième Chapitre:

La

présence de l'homme

dansLéon / 'Africain

1

fi

Le patriarcat

L'homme, la femme: le partenariat

p.27 p.31

DEUXIÈME PARTIE: LES QUATRE VISAGES DE LA FEMME

Premier Chapitre: La femme-mère

1 II

Présence de la femme-mère

Caractéristiques de la femme-mère

p.44

p.46

Deuxième Chapitre:

La

femme musulmane

1 II

Présence de la femme musulmane

Caractéristiques de la femme musulmane

p.60

p.66

Troisième Chapitre : La femme esclave

1

Il

Présence de la femme esclave

Caractéristiques de la femme esclave

p. 72

p.

76

Quatrième Chapitre :

La

femme de pouvoir

1

II

Les pouvoirs traditionnels de la femme

La femme de pouvoir

p. 86 p.91

CONCLUSION: LA FEMME DANS LE DIAWGUE DES CULTURES

1

II

Les voyages : la femme dans l'initiation de 1'homme

La femme et son fils symboles du dialogue des cultures

p. 101 p. 111

(9)

Ce n'estpas«depuis toujours» que la Méditerranée a favorisé l'expansion du commerce, des idées, mais bien depuis que des communautés humaines se sont rassemblées sur ses rivesetque des échanges commerciauxetculturels existent. Dans l'Antiquité~les Phéniciens, les Grecs et les Romains - pour ne citer qu'eux - l'ont traversée pour envahir et dominer les différents pays qui la bordent. Au cours des siècles suivants, notamment au Moyen Âge, elle a continuéà véhiculer les hommes et leurs cultures.

n

n'est donc passurprenant que Léon l'Africain I~ait empruntée àson tour, découvrant ainsi, au fil des événements~ une dichotomie complexe, l'Orient et l'Occident, et les grandes religions monothéistes telles que le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam.

Bien que Léon 1"Africain/ ne soit pas I~œuvre qui a valuà Amin Maalouf la célébrité, jl nous semble cependant qu'elle mérite un intérêt particulier. D'abor~ parce qu'elle reconstitue et ce, grâce à une biographie fictive, l'histoire d'un homme qui a réellement vécu au XVIe siècle un destin étonnant. Ensuite, parce que cette histoire re/présente en filigrane la condition de la femme, ses problèmes et ses conflits au sein d'une société fortement hiérarchisée, théocratique et patriarcale. Enfin, parce que ce roman nous apparaît comme l'expression de l'interpénétration de plusieurs cultures. Mais avant d'analyser cette œuvre et de saisir toute l'importance de la dualité du personnage féminin, nous pensons qu'il serait intéressant de présenter, même brièvement, Amin Maalouf.

Né au Liban, en 1949, àBasta-BeYTouth2, l'auteur a grandi dans une famille

libanaise chrétienne. Son père, propriétaire d'un quotidien, lui lègue son amour pour la langue et la culture arabes. Après des études primaires et secondaires au collège Notre-Dame des Pères Jésuites où il perfectionne, outre l'arabe, le français - que les Libanais chrétiens considèrent depuis le«protectorat» du début du siècle comme une

1En effet, comme nous le verrons, c'estLe Rocher de Tanios qui vaudra à Amin Maaloufle prix

«Goncourt» .

2Pour nos sources biographiques, cf:«Les Grandes Interviews»,Jeune Afrique, nO 171 5, 18-24noV.,

1993, pp. 68-78;

Cf.«Amin Maaloufa lanostalgied'avant«Beyrouth»»,LaPresse, Montréal,23 sept., 1996; Cf«Entretien avec AminMaalouf»,LarevueduLiban, nOI903, 27 juillet -3aoû~ 1996;

(10)

seconde langue maternelle - et l'anglais, il étudie la sociologie

à

l'École Supérieure

des Lettres de Beyrouth. Par la suite,

il

fait ses débuts

dans

le journalisme et

à

partir

de 1971,

il

travaille

de

manière régulière au quotidien libanais,

«An Nahar ».

Quand la guerre éclate au Liban, il quitte son pays ensanglanté pour la France

il

s'établit en 1976. Il gagne alors sa vie en écrivant des articles pour divers

journaux tels

«Economia », «Jeune Afrique »et«An-Nahar arabe et international ".

En 1983,

il

publie

Les croisades vues par les Arabes,

le livre reçoit un très bel accueil.

Encouragé

par

ce premier succès, et

à

l'instar de Marguerite Yourcenar qui s'était

inspirée de l'histoire de Rome pour écrire

Les mémoires d'HadrienJ,

Maalouf, lui, se

tourne résolument vers l'histoire arabe, et rédige successivement ces trois premiers

romans:

Léon l'Africain, Samarcande,

et

Les Jardins de lumière.

Il nous semble

intéressant de noter ici les circonstances qui ont poussé Maalouf

à fixer son choix sur

Léon l'Africain. En fait,

il

s'apprêtait

à

écrire la biographie d'Ibn Battuta

4,

mais la

curiosité strictement religieuse de ce dernier le gêna; il lui préféra Léon l'Africain.

Incontestablement, l'illustre géographe arabe offrait à l'auteur la possibilité de mettre

en relief l'apport de la pensée arabe dans la culture occidentale.

Toutefois Maalouf ne s'intéresse

pas

uniquement au

passé

des Arabes. Il suit

l'actualité contemporaine. Sensible au problème du contrôle des naissances dans les

pays en voie de développement

età

la lutte des femmes,

il

se porte

à

leur défense

dans

Le premier siècle après Béatrice.

Les femmes trouvent en lui un défenseur de taille,

car

il

ne peut tolérer qu'on porte préjudice

à

leur liberté et aux droits qu'elles

réclament âprement.

Avec

Le Rocher de Tanios

en 1993, il reçoit le très prestigieux prix Goncourt.

Comme il le noteS, pour écrire ce roman, il s'est inspiré d'une histoire vraie, le

meurtre d'un patriarche maronite

perpétré

en 1838

par

un certain Abou-Kichk

] A la suite d'une remarque de M. Renaud de Rochebrune parue dans les«Grandes Interviews»de la revueJeune Afrique,nous avons consulté à notre tour les notes de Mme Marguerite Yourcenar concernantLes Mémoires d'Hadrien. Chose curieuse, il semble que le personnage d'Omar Khayyam, poèteetmathématicien persan avait d'abordattiréson attention mais qu'elleyavait renoncé parce qu'elle ne connaissait pas assez son univers.

Cf«Les Grandes Interviews» JeuneAfrique,0°1715, 18 au 24 nov 1993, p. 75.

CfMarguerite Yourcenar,Les Mémoires d 'Hadrien,Nouvelle Édition, reweetcorrigée, Paris, Gallimard, 1971, p. 315.

4Jeune Afrique,op. cil.

(11)

MaaIouf qui, une fois son crime commis, se réfugie à Chypre avec son fils. Mais le père ne tardepasà être ramené au Liban

par

la ruse d'un janissaire de l'émir, oùilest exécuté. Dans ce fait divers qui peut sembler banal, nous découvrons cependant le channe, la magie et le symbolisme de la Montagne libanaise.

DansLes Échelles du Levant

paru

en 1996, il cherche à rapprocher une fois de plus rOrientetrOccident.

La

descente aux enfers d'üsseyrane est en réalité celle du Liban, un Liban meurtri par la guerre israélo-arabe de juin 1967, puis par celle qui oppose en 1975 les Libanais entre eux. Dès que

paraît

Les identités meurtrières, cet ouvrage se présente comme une« thèse» sur« les appartenances» et «les identités». Maalouf insiste sur le fait suivant: chaque individu porte en lui une multitude d'appartenances qui forment son identité.

Le

conflit naît quand une de ces « appartenances» se sent menacée, voire bafouée. La montée de l'intégrisme islamique et la guerre libanaise sont, entre autres, des exemples qui lui pennettent d'illustrer le conflit des appartenances6.

Il nous semble quedans l'ensemble de son œuvre, Amin Maalouf a su allier la sensibilité, le charisme de la poésie et de la culture arabes aux valeurs de la Francophonie définies par Xavier Deniau7 : «[... ] ouverture au monde extérieur, dialogue, accueil à la différence et préparation de l'avenir», dans un monde sans frontières. Bien que tourné vers l'Occident, Maalouf n'hésite pas à défendre avec ardeur la culture arabo-islamique, un peu comme l'avait fait quelques siècles auparavant Léon l'Africain.

Or, si nous comparons les deux écrivains, Léon l'Africain et Amin Maalou( nul doute que nous pouvons leur trouver plusieurs dénominateurs communs. On peut noter chez eux l'appartenance à une même région géographique (la Méditerranée), à une même langue (l'arabe) et à une même acculturation orientale/occidentale. De plus, les deux hommes ontété, l'un et l'autre, témoins de l'intolérance religieuse dans leur pays d'origine: le premier a fui les autodafés de l'Inquisition espagnole, et le second s'est réfugié en France pour ne

pas

assister davantage à la guerre fratricide libanaise. Toutefois, l'affinité la plus significative se trouve selon nous, dans l'éthique

6Amin MaaJout:Les identités meurtrières,Paris, ÉditionsGrassetetFasquelle, 1998,p. 17-41. 7XavierDeniau~laFrancophonie.Paris. Éditions P.U.f., 1983,p.21.

(12)

humaniste et cosmopolite, chère aux deux hommes.

n

nous semble qu'il serait temps àprésent de mieux éclairer le personnage de Léon l'Africain.

Léon l'Africains, de son vrai nom, El Hassan ben Mohamed al Wazzân ez-Zayyâti, est un lettré, un

fm

diplomate. Néà Grenadeàune date indéterminée, entre 1489 et 1495, il se réfugie à Fès avec toute sa famille laquelle a fui la capitale andalouse tombée aux mains des Rois Catholiques. Dans les médersas de l'ancienne capitale du Maroc, il apprend l'arabe -àtravers les versets coraniques -, arabe qu'il perfectionneà l'Université de Karaouiyne9.Très jeune, il travailleà l'hôpital des fous

de Fès, puis à l'âge de seize ans, accompagne son oncle chargé par le sultan d'une mission d'ambassade, auprès de l'Askia Mohamed Touré. Au cours de ce premier grand voyage, il s'initieà l'artde la diplomatie. fi prend goût aux voyages et devient par la suite, cet infatigable voyageur-diplomate qui visite entre autres, rEgypte, Constantinople et la Mecque.

Capturé Par des corsaires siciliens lors d'une escale, il est offert au

pape,

Léon X de Médicis. D'emblée, celui-ci est séduitparla personnalité de son prisonnier et le fait catéchiser avant de le baptiser de sa propre main! Désormais, Mohamed

aI-Wazzan s'appellera:Johannis Leo de Medicis (prénoms et nom du saint Père). Mais

l'histoire ne retient que celui de Léon / 'Africain. Pendant son séjour à Rome, tandis

qu'il apprend le latin et l'italien, il en profite

pour

enseigner

r'arabe.

Encouragé par son protecteur et grâceà sa prodigieuse mémoire, il rédige en italien son fameux livre

Description de l'Afrique. A Rome, ilest également témoin de la Réfonne et du sac de la capitale du Vaticanparles troupes de Charles Quint en 1527.

Autant reconnaître que cette personnalité hors du commun est vraiment fascinante. Dès lors, on comprend qu'Amin Maalouf ait voulu s'approprier le personnage historique. Avec audace et originalité, Hlui donne la parole en empruntant une fonne littéraire presque inconnue des auteurs arabes du Moyen Âge:

8Pour les sources biographiques concernant ElHassanben MohamedalWazzan ez-Zayyati,

cf.«Introduction de A Epaulard »,inLeon l'Africain,Descriptiondel'Afrique,Nouvelle édition traduite de l'italien parA Epaulard,Paris, Adrien Maisonneuve, 1956,p.V-XVII;

cf. «Notesurles Grands voyages de Léon l'Africain», Raymond Mauny,Hesperis, 3-4,p. 379-394.

9Cetteuniversité, unedes plusanciennesdu monde, doitsafondation àune femme; Fatima EI-Fihri.

CfOhita EI-Khayat,Lesfemmesdansl'UnionduMaghreb Arabe,Casablanca, (Maroc), Éditions EDDIF.p.36.

(13)

l'autobiographie. D'après ce que nous savons, à l'exception de l'écriture des textes mystiques, l'Islam ne connaîtpasl'autobiographie laquelle est favorisée surtout parla «confession», une caractéristique de la religion chrétienne. De plus, le « moi» de l'individu musulman - et c'est le cas de l'auteur de Description de l'Afrique - se confond avec le milieu social auquel il appartient,

«

il est tout au dehors, au sens littéralde l'expression 10».

Néanmoins, le roman de Maaloui: Léon l'Africain, constitué de quatre livres qui s'enchaînent, se présente du point de vue de la structure comme une vraisemblable autobiographie romanesque. Il faut noter que le narrateur précise ses intentions dans le pacte situé au début du roman. Il veut se confesser, ou plutôt «dresser le bilan» de son expérience arabo-européenne et ce, afin de servir de modèle à un meilleur dialogue des cultures.

n

se déclare même prêt à dévoiler son intimité et sa sexualité, chose assez surprenante pour un Arabe!

Dans le Livre de Grenade, il relate son enfance dans la capitale andalouse secouée par les bûchers de L'Inquisition. Dans le Livre de Fès, il raconte son adolescence: la découverte de l'amitié en la personnne de Haroun le-Furet, son premier voyage, sa premièrere relation sexuelle. Il y relate également son premier mariage et sa première réussite dans le monde des affaires. Le Livre du Caire, lui, est le livre de l'aventure amoureuse et de la vie politique du narrateur.

Dans

la capitale de l'Egypte, le protagoniste vit en effet une passion intense auprès de la princesse Nour, et se voit chargé d'une mission diplomatique très importante auprès du Grand Turc. Enfin dans le Livre de Rome,c'est un Léon l'Africain assagi par l'âge etparla double expérience (orientale et occidentale) que nous retrouvons. A quarante ans, il a «atteint le bout de son périple11»et se prépare au grand départ: la mort. Mais auparavant, il

veut léguer à sonfils~son autobiographie et son expérience personnelle.

Dans son roman, il nous semble qu'Amin Maalouf suit avec une précision extrême les événements historiques de l'Espagne~ du Maghreb, de l'Égypte et de l'Italie, événements qui ont eu lieu entre les années 1489 et 1527, mais il donne libre cours à son imagination pour tout ce qui concerne la vie intime de son personnage

10Mikhaêl Bakhtine.Esthetique ft roman.Paris, EditionsGallimar~ 1975.p.281.

(14)

principal.

Dans

les quatre livres, nous découvrons un authentique personnage fictif en quête d'une identité qu'il cherche, nous n'en doutons point, essentiellementà travers des pays et des femmes. N'écrit-il pas dans le pacte :

«

Mes doigts ont écarté mille voiles, mes lèvres ont fait rougir mille vierges, mes yeux ont vu agoniser des villes et mourir des empires»12?

Si dans cette phrase tirée du roman, nous relevons une allusion au monde de l'invraisemblable et de l'imaginaire, au monde des contes des Mille et Une nuits, la métaphore désigne, elle, sans l'ombre d'un doute, la Femme! Quelle place occupe-t-elle dans ce roman? Pourquoi la retrouve-t-on sous des noms différents (Salma, Mariam, Sarah, Fatima, Hiba, Noor, Maddalena), au cours des principales étapes de la vie du protagoniste (Grenade, Fès, Toumbouctou, le Caire, Rome)? Est-elle uniquement«la voilée », «la vierge» qu'il fait «rougir

»,

recluse au fond du harem, objet de plaisir qu'il prend puis qu'il abandonne? Que veulent dire les paroles de Sarah-la-Bariolée: «Pour nous, femmes de Grenade, la liberté est un esclavage sournois, l'esclavage une subtile liberté.»13? Quelle part d'originalité individuelle, l'auteur apporte-t-il dans l'expression du thème de la femme?

Dans ce mémoire, nous ne souhaitons ni faire valoir quelque parti-pris féministe, ni retracer l'histoire de la femme arabe en remontant les temps et les siècles. Nous voulons, en nous appuyant surLéon /~fricajn, répondreà cette série de questions et montrer, dans la mesure du possible, que les différents personnages féminins ne sont que l'actualisation d'un seul et même fait, celui de la «réalité» romanesque de la femme

arabe.

Nous tenterons donc de mettre en évidence l'existence de deux paramètres dichotomiques repérables dans la personnalité féminine: un état d'infériorité, d'apathie, d'ignorance, etde subordination contrastant de manière frappante avec un autre état d'indépendance, d'activité, de force et de volonté qui confèreàla femme un ascendant la projetant souvent au coeur de l'action. Nous essaierons aussi de mettre l'accent sur l'univers symbolique du persoMage féminin dans le roman. Mère, amante, épouse, soeur ou même esclave, elle semble transcender son quotidien. Elle fait briller une lueur d'espoir, une double promesse : celle de son évolution lente mais sûre vers l'émancipation et l'égalité des sexes,

12Id.p. 10. U Id.p. 15.

(15)

transfonnant sa relation avec l'homme pour qu'elle devienne comme le prévoyait Rilke«une relation conçue d'humain à humain, non plus d'homme à femme14»; celle encore, de la possibilité du dialogue des cultures, l'Orientale (l'Arabe) et l'Occidentale.

Aussi notre mémoire comportera-t-il deux grandes parties. Dans la première, nous consacrerons un chapitre à «la genèse» de Léon l'Africain. Nous tracerons d'abord lesgrandstraits de la femme tels qu'ils sont présentésdans la Descriptionde

l'Afrique. Nous essaierons ensuite de définir l'originalité créative d'Amin Maalouf

lorsqu'il traite ce thème. Dans un deuxième chapitre, nous ne perdronspasde vue que le roman est l'autobiographie d'un homme, adressée à un autre homme et écrite également par un homme! Celui-ci est donc omniprésent et la femme yest décrite, essentiellement, telle qu'il la «voit»! Nous analyserons donc le patriarcat dans le roman afin de mieux comprendre le rôle joué parla femme dans les sociétés islamo-arabe, chrétienne et juive. Nous rappellerons que les trois religions monothéistes qui nous intéressent sacralisent le pouvoir de l'homme et du même coup placent la femme dans un état d'infériorité faisant d'elle, en général, un être dominé et soumis. Néanmoins, si dans le roman, elle a été asservieparl'homme, n'est-ce pasaussi grâce àlui qu'elle s'affranchira de sa tutelle?

La deuxième partie de notre mémoire est spécifiquement consacréeà l'analyse de la femme dans le roman Léon / 'Africain.

À

la fois «Déméter» et «Vénus», ensorceleuse et magicienne, l'homme vénère la femme, la désire, la cherche ardemment et la craint. Objet de plaisir sexuel, il découvre que cette «Autre» qu'il croit dominer~ échappe à son pouvoir de mâle. Elle n'est pas cette « femelle» dont 1~immanence ne s'explique queparrapportà lui, mais un«être» transcendant capable de s'affirmer malgré les contraintes où la société semble vouloir la confiner. Chacune des conquêtes féminines du protagoniste, associée au nom d'une ville, a un parfum différent et lui réserve une surprise nouvelle: alors qu'il croit s'approprier la ville et la femme, il les perd toutes également... Dans cette deuxième partie, nous montrerons donc la multiplicité du visage féminin. Pour y arriver, nous classerons les femmes du roman~ selon les paradigmes suivants: la femme-mère, la femme-musulmane, la femme-esclave et la femme de pouvoir.

(16)

Dans le premier chapitre de cette seconde section, nous tenterons d'analyser les caractéristiques de la femme-mère. Parce qu'elle engendre la vie, la femme-mère domine l'homme qui lui voue un respect profond car elle lui est indispensable pour assurer sa survie. Nous nous arrêterons sur la fertilité qui la déifie, et la stérilité qui est vécue comme une tare, une malédiction! Dans le roman, il n'est donc pas étonnant que toutes les femmes - à partHiba - soient«mères». Par ailleurs, la femme-mère s'affirme comme la«voix» qui perpétue l' histoire des peuples et

des

nations. Par la voix de Salma, elle rapporte en effet les principalesétapes de la Reconquista, la chute humiliante de Grenade après 777 années de domination musulmane; Sarah raconte, quant à elle, la barbarie et l'injustice de l'Inquisition Espagnole, l'exode des Juifs et des Musulmans; Nour s'insurge contre les Ottomans lors de la prise du Caire; Maddalena dénonce les abus du clergé lors de la Papauté des Médicis. Mémoire vivante, la femme-mère sauvegarde d'abord et transmet ensuite, de génération en génération le patrimoine constitué de coutumes et de mœurs, pour qu'il reste intact à travers les temps et les lieux et continue à marquer les grands moments de la vie: la naissance, le mariage, la mort.

Dans le deuxième chapitre, nous traiterons du thème de la femme-musulmane. Cette figure domine dans le roman comme en témoignent les personnages: Salma, Hiba, Mariam, Fatima, Nour qui sont toutes musulmanes. Par ailleurs, si certaines sont juives telles que Sarah·la..Bariolée, ou chrétiennes telles que Warda et Maddalena, cela ne nous empêchera pasde les évoquer, car elles ont vécu en Espagne à l'époque de la domination islamo..arabe et en ont adopté les coutumes et les mœurs. Nous essaierons de montrer que la femme musulmane est représentative de l'espace socioculturel dont elle fait partie. Nous dégagerons donc les traits communs qui la caractérisent, sur le plan du«paraître

».

Pour y arriver, nous montrerons que le prénom féminin est bien la marque d'une appartenance ethnique. Renforcé

par

un surnom, le prénom constitue également un repère facile et important permettant de retracer aisément les figures féminines à travers les quatre livres du récit. En outre, nous expliquerons comment le prénom donne plus de transparence au personnage, caril semble d'une ~ correspondre au rang social de chacune des femmes et, d'autre part,exprimer un symbole. Le portrait physique retiendra également notre attention. Malgré une parcimonie voul ue dans la

(17)

description, certains détails caractérisent la femme-musulmane de cette autobiographie, notamment la

beauté

et le parfum considérés comme des symboles sexuels.

Dans un troisième chapitre, nous tenterons de

définir

la femme-esclave. Certes l'esclavage et la libené sont des notions complexes, car tout dépend des critères etdes

époques utilisés pour juger de tels concepts. S'il est

vrai

que l'esclavage a été durant de longs siècles une réalité socio-économique, nous l'analyserons, quant à nous, tel qu'il est vécu par les femmes du roman. Ce vécu est d'ailleurs biel' défini par la phrase de Sarah-la-Bariolée1S• Les femmes jugées «esclaves», selon les nonnes sociales du Moyen Âge, ne sont-ellespasrelativement les plus libres, et, les «Horra» (les libres) plutôt «esclaves » de leur condition et de leur liberté? Ne faut-il pas méditer ces propos?

Après un bref rappel de l'histoire de l'esclavage dans le Maghreb arabe etdans

l'Europe du Moyen Âge, nous opposerons tout d'abord les femmes-libres, c'est-à-dire les épouses légitimes, musulmanes (Aicha, Salma, Fatima) aux esclaves (Soraya ou Isabelle de Solis, Warda, Hiba), afin de préciser quelles étaient les prérogatives des unes et des autres. Mais, la problématique de l'esclavage et de la liberté étant, à nos yeux, liée directement à «l'être» de la femme-musulmane, nous essaierons de montrer ensuite que, dans le roman Léon l'Africain, certaines femmes sont des êtres

soumis acceptant avec fatalisme et déterminisme d'assumer leur rôle de femelle,

«d'objet sexuel » auprès de l'homme. Considérées comme de perpétuelles mineures par la constitution socio-économique en vigueur au Moyen Âge arabe, ces femmes sont complètement dépendantes de l'homme. Nous mettrons donc en lumière les problèmes auxquels elles sont confrontées dans leur vie: l'excision, le mariage, la bigamie, le divorce et le voile.

Notre quatrième chapitre sera consacré «aux pouvoirs» de la femme. Nous préciserons d'abord le sens de ce syntagme.Ensuite, nous essaierons de retrouver dans le roman les pouvoirs traditionnels de la femme. Enfin, nous tenterons de déterminer les principales caractéristiques de la«femme de pouvoir».

(18)

L 'histoire ancienne des Arabes relate

certes,

la témérité de certaines femmes qui ont tenu effectivement les rênes du pouvoir telles Balltis, la reine de Sa'" Zénobie, la reine de Palmyre,ettant d'autres. Deson côté, l'histoire de L'Espagne du Moyen Âge retient la figure de deux femmes déterminées qui ont joué un rôle important dans les événements de leur pays: Isabelle, reine d'Espagne,etAicha, mère de Boabdil, dernier sultan de Grenade. Ces deux femmes énergiques, tout en demeurant dans l'ombre de leur époux, se sont pourtant affirmées

par

la force de leur caractère. Aussi, dans le roman, retrouvons-nous les vestiges de

ce

passé. Certaines femmes, telles Hiba (l'esclave), Nour (la princesse Circasssienne), Mariam (l'innocente victime de Zerouali) cachent sous leur apparence frêle, souvent émouvante, une volonté farouche, un sens de l'organisation et de la logistique, une activité débordante et un désir insoupçonné d'indépendance. Néanmoins, c'est dans le sillage de l'homme qu'elles participentàla lutte politique de leur peuple!

Toutefois ne faut-il pas chercher également le pouvoir de la femme dans le rôle initiateur qu'elle joue auprès de l'homme? Non seulement elle le met au monde mais elle accompagne ses premiers pasdans la vie. D'abord adolescen~ensuite jeune homme, enfin adulte ne l'initie-t-elle pasàla vie sociale,à la sexualité,àl'amour,à la politique et au dialogue des cultures? Aussi, nous semble-t-il que larépétitio~dans le roman, d'un même scénario: voyage! amour/ départ, n'est pas gratuiter La quête de

«l'Autre »féminin, la reconnaissance de son altérité dans ce qu'elle a de différent, ne correspondent-elles pas au conflitetà la lutte que vit le protagoniste dans la recherche de son identificationàl'une ou l'autre des cultures? Ayant enfin trouvé LaFemme ne réalise-t-i1 pas son vœu le plus cher: accroître le dialogue des cultures? Son fils ne serait-il pas la concrétisation de l'ouvertureàun monde sans frontières?

Notre conclusion cherche àfaire le point sur les voyages initiatiques de Léon l'Africain, voyages au cours desquels il rencontre des femmes différentes, et acquiert une expérience et une sagesse qui font de lui un autre homme. Qu'il sillonne les déserts d'Afrique à dos de chamea~ qu'il traverse la Méditerranée à l'ombre des voiles des barques ou prisonnier au fond d'une cale, qu'il emprunte «une felouque» pour la descente du Nil, ce

«

nomade» s'arrête toujours dans une cité idéogramme. Quelle que soit la durée de son séjour dans la ville

«

escale», il vit avec passion un amour et une union qui se terminent d'une manière irrémédiable par un départ!

(19)

Toutefois le mariage célébréà Rome, au cours duquel cet homme musulman/chrétien épouse une femme juive/chrétienne, sous l'égide protectrice du Pape, nous apparaît symbolique de l'union des peuples et des religions!

En ce qui concerne notre méthode d'analyse, elle sera essentiellement thématique. Nous utiliserons d'abord l'histoire littéraire et ce, afm de reconstituer, dans la mesure du possible, la vérité historique sur laquelle s'appuie le récit de Léon

l'Africain, ce qui nous permettra d'établir un parallèle entre le texte initial, Description de l'Afrique et celui de Maalouf. Ce parallèle nous serviraà mieux cerner les métamorphoses apportées dans le roman. Les modifications souvent subtiles que nous relèverons au niveau des détails témoigneront de l'originalité de l'auteur qui, dans son désir de répondre aux exigences de l'authenticité et du vrai, fait preuve d'une belle créativité. Nous nous référerons égalementàl'histoirederEspagne musulmane et du Maghreb médiéval afin de mieux dégager les figures importantes - tant masculines que féminines - qui ont marqué l'histoire de ces deux régions.

Grâce aux travaux de certains sociologues français et arabes - Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter, Claude Lévy-Strauss, MansourFahmy, Ghita el-Khayat et Fatima Memissi - nous détenninerons avec exactitude les caractéristiques sociales arabo-musulmanes et occidentales relatives à cette éPOque. Nous voulons démontrer que Maalouf utilise avec talent une forte documentation historique et sociologique pour mettre en scène et/ou créer des figures féminines - mères, sœur, épouses, amantes - indispensables au roman autobiographique.

Une autre méthode, inspirée en grande partie de Todorov et de Barthes nous a aidée d'une part,àsaisir la structure du roman qui correspond dans l'ensembleàcelle de rautobiographie classique et, d'autre part, àdéfinir la présence et les rapportsdes différents personnages. Par ailleurs, nous regrettons de ne pas avoir pu nous appuyer sur des ouvrages critiques relatifs à Maalouf. Il n'yen a pas. Nos recherches n'ont abouti qu'à des interviews accordées parl'auteur lui-même à l'occasion de la parution de l'un ou de l'autre de ses romans. Pour pallieràcet inconvénient, nous avons abordé le thème de la femme dans Léon / 'Africain à travers des études critiques de certains romans français. Nous pouvons citer à titre d'exemple: Élude thématique et structurale de l'œuvre de Maupassant de Micheline Besnard Coursodon, Le grand

(20)

Meaulnes ou l'initiation manquée de

Léon Cellier, sans oublier l'œuvre de Charles

Mauron,

Des métaphores obsédantes aumythepersonnel.

Si le le thème de la femme nous intéresse particulièrement

dans

le roman, c'est

parce qu'il nous entraîne au coeur du dialogue des cultures, dialogue si important

aujourd'hui comme hier pour favoriser la paix. Grâce

à

ce mémoire, nous espérons

y

(21)

PREMIÈRE PARTIE

(22)

Chapitre 1

La genèse

Nul doute que pour mieux saisir le personnage féminin, dans le roman autobiographique Léon l'Africain d'Amin Maalou( il est important de retourner au document qui lui a servi de source première, c'est-à-dire la Description de l'Afrique de

Hassan

al Wazzan ez-Zayyati. Une comparaison des deux ouvrages devrait nous permettre de repérer et d'établir un grand nombre de ressemblances,

portant

notamment sur les voyages et la vie du personnage éponyme en général et sur la femme en particulier. Dans ce chapitre, nous essaierons tout d'abord de déterminer dans quelle mesure le géographe s'est intéressé à la femme. Ensuite, nous nous demanderons comment Amin Maalouf, en empruntant à son prédécesseur certaines informations s'en distingue en traitant le thème de la femme.

La femme dans le manuscrit

Comme nous l'avons indiqué dans notre introduction, Hassan al-Wazzan a rédigé de mémoire la Description de / 'Afrique. Il y décrit les différentes régions de cette partie du monde ainsi que les coutumes et les mœurs des nombreuses tribus qui la peuplent. En homme de savoir, il tientàexprimer la vérité«historique». «Mais j'aurai auprès de tous l'excuse de mon rôle d'historien, lequel est tenu de dire sans égards la vérité des faits ...16»écrit-il, dans le chapitre intitulé «Défauts et choses

blâmables chez les Africains ». Cette revendication d'impartialité a valu au manuscrit d'être considéré par les africanistes et les sociologues comme une référence importante sur l'Afrique du Moyen Âge.

Certes, le géographe interrompt souvent son discours «ethnographique» par des digressions se rapportantàsa vie d'ambassadeur et

à

ses nombreux voyages, mais nullepartil ne mentionne le nom de sa mère, ceux d'une prétendue sœur ou encore de ses épouses éventuelles. On peut affinner avec certitude qu'aucune femme intimement connue n'est évoquée dans ce document. L'auteur est bien de la lignée des grands

(23)

voyageurs et chroniqueurs de son époque (Ibn Battuta, Ibn Iyasss, Ibn Khaldun) lesquels affichent tous une pudeur presque totale pour tout ce qui touche à leur vie intime età leur sexualité.

Toutefois, s'il évoque la femme, danssonmanuscri~c'est principalementdans le cadre des coutumes et des mœurs. ni'assimile au groupe social auquel elle appartient.

La

couleur de son teint (clair/foncé), ses rondeurs physiques (seins, croupe), sa beauté ou sa laideur, son élégance, la richesse de ses vêtements, de ses bijo~ son amabilité avec les étrangers sont autant de signes révélateurs du degré de «culture» atteint parla tribu. Àmaintes reprises, nous pouvons lire, des appréciations générales: «les femmes (de telle ou de telle tribu) sont très bellesl' »,

«

grasses»18,

«gracieuses, aimables/9» , ou encore«elles sont laides comme le diable20».

Sensible à la beauté féminine, il obéit néanmoins à la règle de discrétion chère aux Arabes. Aussi, le physique de la femme, considéré comme un élément intime que l'on est tenu de voiler aux étrangers, n'est-il jamais décrit. Par contre, il s'intéresse de près à tout ce qui la «couvre», c'est-à-dire aux vêtements, aux bijoux et au maquillage, signes «visibles» de richesse et d'opulence. Il n'est donc pas étonnant que le géographe leur réserve de longues descriptions minutieuses21 qui nous portent à penser que, loin de se contenter d'observer objectivement la femme ou encore de recueillir à son propos des « informations» comme il le fait pour décrire certaines parties de l'Afrique22, il aurait très probablement connu de manière

assez

intime, au

moins l'une d'elles, la femme .. surtout la femme arabe - ne pouvant se dévoiler que devant son époux ou ses enfants!

Les rapports sexuels tels qu'ils sont vécus dans les nombreuses tribus africaines retiennent également son attention. L'auteur note l'ambivalence extrême de la femme dans les relations sexuelles. Chez les Chaouis -bergers des plaines et des montagnes de Berbérie -, elle jouit d'une liberté totaleàtel point que:

17Id.pp.7., 77. 81,94, 133. 142, 148, 149 IlIbid. 19Ibid. 20Id.p. 153. 21Id pp.41,42.84, 149,208. 22Id p.9.

(24)

Toutes les jeunes filles. avant de semarier~ peuvent avoir des amants et savourer lesftuitsde

I~amour.Lepèremême fait le meilleur accueil à l'amant de sa fille et le frèreàcelui de sa sœur, si bien qu'il n'est pas de femme qui apporte sa virginitéà son mari. Ilestvraique dès qu~une femmeestmariée, ses amants ne la poursuivent plus mais vont à une autre23.

Dans la ville de EI-Madina, les femmes se montrent plus discrètes

dans

leurs relations : «Les femmes de cette ville sont très belles et très blanches. C'est bien volontiers, quand elles le peuvent, qu'elles accordent leurs faveurs aux étrangers, sans qu'on en sache rien24. ».En revanche, on constate qu'à Mecnase, ville non éloignée de Fès, elles sont non seulement voilées, mais ne veulent pas être vues pour ne pas susciter la jalousie de l'époux qui peut se montrer violent. Elles sortent donc la nuit:

Les femmes des gentilhommes De sortent pas de leurs maisons, sauf la nuit. Elles ont le visage couvertetne veulent être vuesnivoiléesnidévoilées parce que les hommes sont très jaloux et même dangereux quand il s'agit de leurs femmes25.

À Fès, les relations sexuelles avant le mariage sont selon toute vraisemblance prohibées, car si le marié découvre que sa feoune n'est pas vierge le jour de ses noces il peut rompre le mariage :«Si par aventure, l'épouse n'a pas été trouvée vierge~ le mari la rendà son père età sa mère. C'est une très grande honte pour eux (...

f6

». La virginité de la jeune fille ou«'irid» étant un symbole d'honneur poUf la famille, la coutume voulait qu'un linge souillé de sang de l'hymen témoigne publiquement de cette virginité. Quelques siècles plus tard, Pierre Guichard se penchant sur la conception de l'honneur chez les anciens Arabes note également la même caractéristique :«concrètement, l' honneur est défini par un certain nombre de faits, d'éléments «matériels» qui pennettent de vérifier si l'honneur est intact ou no~ comme la chasteté de la femme.27».

Par ailleurs, dans son manuscrit, le géographe note les occupations auxquelles s'adonnent les femmes de nombreuses tribus africaines. Certaines OCCUPations sont

23Léonl'Afiicai~op. cit.p.64. 24Idp. 131.

2.SId.p. 177.

26Id.p.211.

27PierreGuichard~ Structures sociales«orientales» et (( occidentales»dans /'Efpagnemusulmane. Paris. Mouton, 1977,p.93.

(25)

certes traditionnelles, telles que moudre le grain, puiser l'eau, filer la laine28.D'autres occasionnelles : assurer la protection des voyageurs en cas de conflits29•encourager

parleur présence les combattants30, mutiler les prisonniers de guerre31, prendre partà

des complots politiques32 et même, tuer

par

intérêt personnet33• Il n'oublie pas non plus de souligner le caractère indéPendant de certaines femmes égyptiennes et leur goût prononcé pour la promenade à dos d'âne. Quant àl'instruction des tilles, elle semble absente dans presque toutes les régions d'Afrique.

À

Fès, seuls les garçons apprennentàlireetàécrire à travers le Coran34.

Enfin,

si la femme paraît exclue des

professions publiques, l'auteur note pourtant sa présence dans deux métiers vieux comme le monde: la prostitution3Set la prédiction del'aveni,J6~

L'originalité d'Amin Maalouf

Comment Amin Maalouf a-t-il utilisé cette gigantesque fresque humaine? En faisant de Léon l'Africain le narrateur et le protagoniste de son roman autobiographique, il

«

s'est approprié» la Description de ['Afrique. Dès lors, il s'est permis de puiser largement non seulement dans les grands événements de la vie du géographe, mais surtout dans les traits caractéristiques socioculturels relatifs à la femme, essentiellement : l'aspect nettement patriarcal de la société, la séparation qui va jusqu'à une sorte d'exaspération du monde masculin et du monde féminin, les coutumes observées lors des cérémonies de mariage et de funérailles, la discrétion légendaire des Arabes pour tout ce qui concerne le physique de la femme, la claustration et le voile, la clitoridectomie, l'instruction réservée aux garçons, et même le caractère indépendant des habitantes du Caïre. Rien n'a été oublié.

Il est plus que probable que Maalouf ne se soit pas contenté du manuscrit de Hassan al-Wazzan et qu'il ait dû consulter d'autres travaux portant sur la condition de la femme dans l'Espagne musulmane et le Maghreb médiéval, car il a développé, dans son roman, des caractéristiques absentes de la Description de ['Afrique. Par exemple

21Léonl'Africain,op. cil.pp. 73,80, 147.

29Idp.73. JOId.p. 42. 31Idp. 150. 32Id.p.120. 33Idp.82. 34Id p.215. 35Id pp.65, 191,203. 36Id p.217.

(26)

la soumission de la femme, le concubinage ou la répudiation. Nous n'essaierons

pas,

bien sûr, de remonter la filière de toutes les sources, notre but n'étant

pas

de jouer au détective. Mais, il nous semble important de relever que les nombreux traits socioculturels empruntés à son prédécesseur puis utilisés dans le cadre du roman autobiographique, ne répondent pas au même but envisagé par le géographe. Toutefois, parce qu'ils sont vérifiables et souvent similaires au document de

base,

ces traitsrendent le personnage féminin « maaloufien » non seulement plus vraisemblable mais plus convaincant. Il suffit qu'un certain nombre de faits nous paraissent vrais chez un personnage pour que nous acceptions d'emblée le reste. A cela., il faut ajouter évidemment la touche personnelle, créative de l'auteur. Essayons de comprendre commentils'y est pris.

Maalouf a tissé la toile de fond de son livre en y profilant de manière suggestive des femmes tirées de l'histoire de l'Espagne musulmane: Isabelle la Grande, Aicha., sultane de Grenade (que l'auteur appelle Fatima dans le roman), Isabel de Solis, plus connue sous le nom de Soraya. Grâce à leur aura, ces femmes rendent, Pafosmose, plus vraisemblables les principaux personnages féminins du roma~créés et remodelés à partir de la réalité sociale de l'époque, essentiellement

«individualisés».

En fait, il est intéressant de noter que l'auteur a d'abord personnalisé les principales femmes du roman en octroyant à chacune d'elles un prénom qui, connotant un milieu géographique précis, constitue «un opérateur taxinomique du personnageJ7». Nous verrons, dans les chapitres suivants, comment les prénoms et les noms sont choisis en fonction «d'une hannonie entre le signifiant du personnage et son signifié38»,harmonie pouvant soit être confonneàla réalité morale et physique de la femme, soit répondre à une professio~àun métier donné, soit au contraire être en rupture et souligner un rapport d'ironie.

Pour renforcer«l'individualisation » des personnages, l'auteur a ensuite établi une «chaîne» parentale, matrimoniale, ou simplement sociale qui pennet de lier, d'une part, les femmes du roman entre elles et, d'autre part, de les rattacher au

37PhilippeHamo~LePersonnelduroman: le système des personnagesdeDISles Rougon-Macquart

d'Emile Zola,Genève, Droz, 1983.p. III.

(27)

I-

I

-narrateur

de

cette biographie imaginaire. Ces liens, tout comme les noms et les prénoms, sont vraisemblables et contribuent à la création de personnages réels et convaincants. Virginia Woolf: reprenant une citation d'Arnold Bennett, n'écrit-elle pasjustement dansL'Art du

roman

J9:

La base du roman c'est la création des personnages, et rien d'autre [... ] La langue compte, l'intrigue compte, l'originalité de ]a vision compte. Mais rien de tout cela ne compte autant quele pouvoir qu'ont les personnages denous convaincre. Si les personnages sont réels, le roman aura une chance; s'ils ne le sont pas, l'oubli sera son lot.

Enfin,

pour ne pas heurter la susceptibilité arabe, soucieuse de soustraire la

femme aux regards des étrangers, Maalouf ne la décrit jamais minutieusement. Ingénieux, il sait esquisseràpartir de quelquestraits fugitifs une silhouette mouvante mais signifiante, certes voilée, mais caractérisée

par

un détail physique précis, le plus souvent une odeur ou la couleur d'une chevelure ou même celle du teint, créant ainsi l'illusion de la réalité du personnage.

Comme la plupart des traits socioculturels développés dans le roman, seront abordés ultérieurement, et pour ne pas nous répéter, nous relèverons, dans la suite de notre chapitre, l'originalité de Maalouf dans l'appropriation de certaines figures féminines à savoir: les maquilleuses, les accoucheuses-exciseuses, les pleureuses et les devineresses. Bien que nous les considérions, dans le roman, comme des personnages secondaires, ces figures sont toutefois importantes dans la réalité, car elles sont présentes invariablement dans les grands moments qui marquent la vie de toute femme, notamment lors des mariages, des accouchements et des décès. Elles font donc partie intégrante du paysage social arabo-musulman traditionnel.

Comment Maalouf a-t-il procédé pour introduire ces personnages secondaires? Il est intéressant de noter, en tout premier lieu, l'anonymat de ces femmes. Cet anonymat ne contredit nullement la personnalisation évoquée un peu plus haut. Bien au contraire! Dans tout groupement humain limité, la tribu, le village, le bourg, le hameau, le quartier, la rue, tout le monde se connaît ou presque. On peut donc souvent se passer de nom et de prénom pour désigner la femme qui remplit, dans ce milieu

(28)

social étroitunmétier considéré exclusivement féminin. C'est ce que Maalouf illustre à merveille.

II ne nomme pas tant eUes sont populaires les maîtresses de cérémonie :

«

habilleuses, coiffeuses et épileuses40» qui s'affairent à attifer Fatima, le jourde son mariage. D'ailleurs, peut-on oublier ces matrones présentesà toutes les noces? Pour comprendre l'importance du rôle qu'elles jouaient, il faut garderà l'esprit que dans la société arabe, foncièrement ségrégative, elles constituaient d'une part, un lien indispensable entre les différents harems où se mijotaient les transactions matrimoniales et où se colportaient les potins mondains et, d'autre part, elles remplissaient la délicate fonction de veiller à l'éducation sexuelle de toute jeune mariée. Ace propos Ghita el...Khayat écrit justement :

Les Nagafates [étaient] des maîtresses de cérémoniechargéesd'orchestrer tous les rituels des fêtes, les tenues des mariées, les déroulements des fiançailles et des mariages. Elles maquillaient et coiffaient la mariée, lui dictaient avec compétence et agressivité ce qu'elle devaitetsurtout ce qu'elle ne devait pas faire."J

Aussi, Fatima sembie-t-elle suivre les conseils de ces entremetteuses fort influentes. Comment expliquer autrement les pleurs, l'évanouissement lors de la première nuit des noces42, puis l'invitation assez hardieà l'acte sexuel -«ne veux-tu

pas visiter ma petite soeur43?» -, le lendemain même? Ne faut-il pas y voir l'enseignement traditionnel transmis par ces femmes sur les obligations et les restrictions auxquelles doit se confonner toute jeune mariée, en d'autres termes ce qu'elle«doit faire et ne doitpasfaire »? Deplus, Maaloufn'oublie pasde signaler la présence de l'indispensable «voisine44» qui doit se charger de happer puis de brandir «le précieux linge» imbibé de sang, preuve irréfutable de la virginité de la jeune fille. Nul besoin d'ajouter un nom ou un prénom au substantif«voisine». précédé du déterminant«la»; «la voisine »est suffisamment explicite!

40Amin Maalouf,op.cil.p. 249.

41Ghita EI-Khayat,op. cil.pp. 82-83 . 42Amin Maalou( op. cil. p. 249.

4JId.p. 252.

Onretrouve l'expression«ma petite sœur» désignant l'intimité d'une femme, dans une histoire grivoise rapportée par Léon l'Africain dans LaDescriplion

œ

l'Afrique(cf pp. 307-308). .... Amin Maalou( op.cil.209.

(29)

Par ailleurs, dans le roman, nous retrouvons également les «accoucheuses» dans le

Livre de Grenade

etdans

Le livre du Caire.

Une lecture comparative des deux passages relatifs àces femmes permet de souligner des points communs que nous ne saurions expliquerparle simple hasard du choix des mots. Dans le premier livre cité, nous lisons les phrases suivantes:

Mon père courut chez notre voisinHamza,tambourina à sa porteetle pria d'avertir sa mère, une vieille darne digne, pieuseetd'une grande habileté de l'imminence de l'aœouchement. [... ] On disait qu'elle avait la main heureuseetqu'elle avait fait naître plus degarçonsque de filles·'.

Alors que dans le second livre, nous relevons ce qui suit :

De tous les jours qu'Allah a créés, c'est

ce

vendredi-làetaucun autre que Nour choisit pour ressentir les douleurs de l'accouchement. Je dus sortir en rampant, me faufiler à travers mon jardin pour appeler une sage-femme du voisinagea qui n'accepta de se déplacer qu'au bout

d'une heure de supplication. et à prix d'or: deux dinars si c'est une fille, quatre si c'est un garçon46•

Ces deux passages se ressemblent de manière assez évidente. Pourquoi? Parce qu'ils présentent un personnage connu publiquement - la sage-femme - dont les caractéristiques sont bien définies. Les adjectifs sélectionnés dans l'un et l'autre des deux textes: «vieille», «digne », «pieuse », «d'une grande habileté », « sage-femme »,«voisine» répondent aux nonnes de l'éthique de l'accoucheuse, et suffisent commecu"icu/um vitœ. En fait, ce métier requérait des aptitudes morales précises, et parconséquent, ne pouvait être rempli

par

n'importe quelle femme. Si l'on se réfère encore à Ghita El Khayat, les laveuses de mortes, les accoucheuses auxquelles on assimile les exciseuses devaient/doivent être des femmes «totalement abstinentes47», pures de tout contact sexuel, à l'exemple des religieux et des religieuses dans la religion chrétienne. Cette qualité, ne se retrouvant que chez les femmes âgées

-«sorties du cercle de la sexualité48»-. justifie certainement le choix des adjectifs: vieille, digne et pieuse.

4SId. p. 19.

46Id.p. 359.

47Ghita EI-Khayat,op.cil. p. 84. 41Id. J). 87.

(30)

De plus, le désir ancestral des Arabes, d'avoir surtout une progéniture mâle, exigeait de lapartde l'accoucheuse non seulement«une grande habileté », mais aussi

une

qualité professionnelle

assez

contraignante, celle «d'avoir la

main

heureuse49

».

En ajoutant

à

son compte plus de naissances de garçons que de filles, elle était non seulement plus sollicitée mais encore mieux rétribuéeso. MaaIoufconnaît sûrement cette qualitéqui faisait la renommée des sages-femmes de la Montagne libanaise. On comprend donc pourquoi il la souligne

dans

le roman. Enfin, il était important que l'accoucheuse soit

«

une voisine », car le «voisinage» constitue le témoignage irréfutable des qualités morales (abstinence, piété, sagesse) et professionnelles (avoir la main heureuse) de la sage-femme.

Les «pleureuses» font également partie de la société arabo-musulmane du Moyen Âge. Aussi est-il normal que Maalouf s'y soit intéressé. Toutefois, si nous jetons un

coup

d'œil

au

texte du manuscrit de Hassan

al-Wazzan

intitulé: «Autres coutumes observées dans les fêtes,· Manière de pleurer les morts51 », le géographe signale la présence des pleureurs et non celle des pleureuses. Lors du décès d'un mâle de la famille, ou de celui de la mère, - toutes classes sociales confondues - la coutume voulait qu'on ait recours aux lamentations et aux cris de ces «hommes habillés en femmes52», se joignaient cependantàeux les femmes du défunt:

Lesfemmes, quand vientàmourir le mari, ou le père, ou la mère, ou un frère de l'une d'elles, se réunissent, habillées de vêtements grossiers. Elles se barbouillent le visage avec la suie qu'elles prennentaux marmites. Elles font venir ces sales individus qui circulent habillés en femmes. CeuxooCi munis de tambourins carrés dont ils jouent improvisent des vers tristes et larmoyants à la louange du mort. A la fin de chaque vers. les femmes poussent des criset se lacèrent la poitrineetlesjoues,sibien que le sang couleenabondance. Elles s'arrachent aussi les cheveuxenhurlantetengémissant53.

49AminMaaJouf,op. cil. p. 19.

~Nous-même étant d'origine libanaise, lors de notre séjour dans les montagnes du Kesrouan - Mont-Liban - nous nous sommes rendu compte,endiscutant avec les femmes d'un certainâge,que le fiùt d'avoir ou non«la mainheureuse» avait largement contribué à la réputation de plus d'une sage-femmedela région.

.sILéonl'Africai~ op. cil.,pp. 212 -213.

52Id. p.213.

(31)

Maalouf reprend sensiblement la même description:

Chaque fois qu'il (Astaghfirullah) se taisait s'élevaient les hurlements disgracieux: des pleureuses au visage barbouillé de suie, aux cheveux ébouriffés, aux joues griffées jusqu'au

sang,tandis que dans un coin du patio les pleureurs habjJIés en femmes,rasésde prèsetfardés, agitaient fébrilement leurs tambourins carrés".

On reconnaît facilement les similitudes qui se trouvent dans les deux textes :

«le visage barbouillé de suie», «les joues» meurtries, couvertes de «sang »,

«

les cheveux ébouriffés », arrachés,

«

les pleureurs habillés en femmes », «les tambourins carrés ». Toutefois, Maalouf apporte une variante, discrète mais magistrale, au thème. Alors quedans laDescription de l'Afrique, ce sont les proches parentes du défunt ou

de la défunte qui s'adonnent à la mise en scène macabre, elles deviennent, sous la plume de Maalouf, «des pleureuses» c'est-à-dire des femmes de métier, donc connues.

Néanmoins, il est intéressant de noter que, dans de telles circonstances, la femme, enlaidie, peut, contrairement aux règles de la bienséance musulmane, s'exposer aux yeux de tous les assistants. Il semble que la suie et le sang qui couvrent son visage remplissent la fonction du voile et la dissimulent aux regards indiscrets. Par ailleurs, Maalouf ne se contente pas de souligner, à travers, «les pleureuses» une coutume sociale; il est surtout sensible àtous les effets scéniques qui, dans certains pays arabes, transfonnent la mort en spectacle. Aussi, a-t-il reproduit la structure même de la pantomine dans le texte déjà cité. En effet, tout y est: les acteurs maquillés et habillés (les pleureuses couvertes de suie, cheveux ébouriffés et les pleureurs habillés en femme)/ la scène (le patio)/ le jeu scénique (les hurlements, les griffures et l'agitation des tambourins) et la musique de fond (les psalmodies du cheikh et le bruit des tambourins)! les spectateurs (les Grenadins de Fès).

De

plus, en poète, il résume cette manière incongrue et particulière de percevoir la mort, dans l'oxymore :

«

Une tète, la mort. Un spectacleSS».

Enfin, Maalouf s'est approprié le thème des «devineresses»,car - comme les entremetteuses, les accoucheuses et les pleureuses -, elles font également partie du

'4Amin Maalouf, op. cil.p. 139. " AminMaalou(op.cit. p. 139.

(32)

paysage social du Moyen Âge arabe. Notons qu'avant lui, le géographe avait déjà relevé cette pratique dans un chapitre du

manuscrit,

intitulé les

Dev;";6,

où l'on peut lire ce qui suit :

On les (les devins) divise en trois groupes.

Le premier se compose des devins qui pratiquent

r

art de la géolD8JlGie, en traçant des figures [... ].

Lesecond groupeestcelui des devins quimettentde l'eau dans une terrine vernisséeet jettent dans cetteeau une goutte d'huile. Celle-ci devient translucideetles devins disent y voir ainsi que dans un miroir des bandes de diables arrivant les uns après les autres [...]. Certains de ces diables cheminentparvoie d'eau. les autres par voie de terre. [...]Cesdevins mettent panais la terrine entre les mains de quelqueenfantde huit à neuf ansetlui demandents'il aw tel ou td démon et l'enfant, qui est naïf: répond: «Oui» [.. .]. Beaucoup d'insensés ont une telle confiance encesdevins qu'ils dépensent chezeuxénonnément d'argent.

Latroisième catégorie de devins comprend des femmes [...]sahacat. cequi a le sens du mot latinfricatrices. Et en vérité, elles ont cette maudite habitude d'user l'une de l'autre, ceque je ne peux exprimerparun terme plus décentS7.

Maalouf a cependant remodelé le thème en y ajoutant sa touche personnelle. D'abord, il a individualisé « le second groupe de devins» souligné dans le passage que nous venons de citer. Ce groupe devient, sous sa plume, « Oum·Bassar» dont la renommée dépasse «le souk des parfumeurs»), vu qu'elle est la voyante attitrée du sultan de Fès. L'auteur l'a ensuite située dans

un

cadre assez précis:

[...] elle (Oum·Bassar) habitait une maison aussi modeste que la nôtre, située. dans le soukdes parfumeurs, au fond d'une étroite galerie à arcades.IInoussuffitd'écarter unetenturepoury entrer. Une servante noire nous fit asseoir dans une petite pièce. avant de nous conduire, au bout d'un sombre couloir, dans une salle légèrement plus grande. Oum-Bassarétaitassisesur un immense coussinve~les cheveux couverts d'une écharpe de même couleur, ourlée de fils dorés, avec derrière le dos une tenture murale représentant les vingt·huit tabernacles de la lune etdevant elle une table bassesurlaquelle étaitposéeune terrine vernissées8:

Le lecteur a donc l'impression de connaître le personnage, mais il n'en est rien! Car que sait-on exactement de son physique? de son âge? de son visage? de la couleur de ses yeux? Rien... Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette femme

56Léonl'Africain,op. ct. pp. 216 - 220.

" Id.p.217.

(33)

conserve malgré le prénom qui l'identifie un anonymat certain. En fait, « Oum-Bassar» n'estni un prénomniun nom, mais une sotte d'étiquette connotant le métier du Personnage. Ce surnom péjoratif se rencontre dans la plupart des pays arabes désignantparextension toute femmequiprétend«voir» l'avenir. Étymologiquement,

«

Oum» signifie «mère», et, dans

«

Bassar» on retrouve la racine du verbe «bassara» qui veut dire «voir», prédire l'avenir. Signalons rapidement que ce procédé d'identification est courant chez les Arabes, il permet de personnaliser une femme tout en lui conservant son anonymat. Nous y reviendrons plus longuement dans le chapitre que nous avons consacréà

«

la femme musulmane».

Quant aux «sahacat», ces devineresses aux moeurs «spéciales», s'il est vrai que Maalouf s'approprie le texte de son prédécesseur, il y apporte toutefois une variante importante. Dans le manuscrit, nous lisons :«la troisième catégorie de devins comprend des femmes ( appelées) sahacar9». Maalouf a «singularisé»ce pluriel.

La

figure principale de cette confrérie de lesbiennes s'apPelle, dans le roman, «al Arnira», la Princesse.

Je me souviens aussi d'avoir entendu parler, dans le salon d'al-Amira, la Princesse.

C'était un singulier personnage. Veuve d'un cousin du sul~verséedans toutes les sciences occultes, eHe avait fondé une étrange confrérie, uniquement formée de femmes, certaines choisies pour leurs dons de voyance, d'autres simplement pour leurbeauté ...60

Bien plus qu'un nom ou qu'un prénom, «al-Amira» est plutôt un titre, une identification sociale. D'ailleurs, ce personnage est bien défini par des liens sociaux matrimoniaux « veuve d'un cousin du sultan», et par son savoir « versée dans toutes les sciences occultes». De plus, nous croyons que ce titre souligne l'ironie d'un certain rapport prénom/métier pour accentuer l'état de déchéance morale de cette femme, qualifiée à juste titre de «singulier personnage»). Toutefois, la personnification du personnage s'arrête là! Nous ne savons rien de plus sur cette «Princesse ) sauf que ses acolytes étaient toutes «grasses )) et surtout «dévoilées )), fait considéré extrêmement impudique de lapartd'une femme!

59Léonl'Afri·cal~op.Clt.. p.216. 60Amin Maalou( op.cil.p. 134.

(34)

Àbienypensert on peut trouver d'autresfigures féminines secondairesdansle

roman de Maalouf. Par exemple, on pourrait citer la voisine inconnue qui sauve Salma du déluge61, ou encore la gouvernante de la princesse Nour, appelée Khadra62chargée

de garder l'enfant de sa maîtressedans le plus grand secret. Maalouf utiliseà l'égard des deux femmes citées plus haut le même procédé d'identificatio~soit l'anonymat Comment s'appelle cette «voisine»1 Salma ne le sait mêmepas! Notons que quatre détails suffisent à décrire cette femme: «une voix63», «un foulard rayé64», «une main6S

»

qui remue et« un voile blanc66

»

jeté sur un visage! Quant à la gouvernante, Khadra, si l'auteur la personnalise en lui donnant un prénom, il ne la laissepas moins dans l'anonymat. Le lecteur apprend simplement que c'est «une vieille paysanne grasse et débonnaire67».

Il semble que, pour satisfaire aux exigences de «l'authentique» et du «vraisemblable», Maalouf emprunte souvent à son prédécesseur des traits socioculturels concernant la femme arabe. Toutefois dans son œuvre, il apporte une somme de connaissances personnelles, aUiées à un sens profond de la poésie et de la créativité. Sa maîtrise des nonnes sociales qui régissent le monde féminin arabe se manifeste autant dans «l'anonymat» que dans la «personnalisation» des femmes, dans la représentation de coutumes traditionnelles voire de certains métiers féminins, et dans l'emploi d'un lexique spécialisé. Maalouf a su recréer des personnages dont la force de vérité s'apparente àcelle des documents historiques. Cette équivalence du

«vrai» offre au lecteur non pas tant le plaisir de découvrirC~ qu'il ne sait pas, mais de confronter plutôt ce qu'il sait et ce qu'il lit. Du même coup, l'autorité de l'auteur s'en trouve confinnée.

Àprésent, ilapparaît bien difficile d'aborder le thème de la femme dans Léon / 'Africain

sans

nous arrêter d'abord sur «le pouvoir de l'homme» dans la société arabo-musulmane, société qui était/est connue pour son patriarca~ son endogamie et sa théocratie. 61Id.p. 26. 62Id.p. 324. 63Id p.25. 64Id, p.26. 65Id.p.26. "Id.p. 26. 67Id p.324.

(35)

CHAPITRER

Laprésence de l'homme dans Uon l'Africain

Saisir toute l'importance du pouvoir de l'homme dans la société arabe de l'Espagne musulmane, et dans lasociété chrétienne occidentale du Moyen Âge nous paraît être une étape nécessaire pour mieux comprendre le rôle de la

femme

dans le roman. Par quels procédés Maalouf met-il en évidence la suprématie de l'homme? Quelles sont les prérogatives conférées à l'homme par les religions monothéistes? Celui-ci pourra-t-il voir dans la femme «un autre lui·même », ou la considérera-t·il constamment comme un être dépendant, soumis, comme «une mineure »1 Nous essaierons dans ce chapitre de répondreàces différentes questions.

Le patriarcat dans la structure du récit

Nous pensons que Maalouf a voulu consciemment ou inconsciemment concrétiser le pouvoir de l' homme dans les sociétés arabe et occidentale du Moyen Âge. Cette concrétisation est matérialisée par une présence masculine incontestable, d'une part dans la structure même du roman autobiographique. Léon l'Africain et, d'autre part,dans le choix des personnages.

En fait, si nous examinons la structure du roman, nous constatons, au début de chacun des quatre livres (Le livre de Grenade, Le livre de Fès, Le /ivre du Caire, Le livre deRome) dont l'ensemble constitue le récit, la présence d'une page sans titre qui

présente et résume des événements importants sur lesquels le narrateur ne veut pas s'attarder mais qu'il juge pourtant indispensables, pour la compréhension de la suite du récit tels que la traversée du bras de mer qui sépare l'Espagne du Maroc (Lelivre de Fès) ; la remontée du Nil ( Le livre du Caire); son arrivée, au fond d'une cale, à

Rome ( Le livre de Rome). Quant au pacte autobiographique, il précède Le livre de Grenade.

(36)

Or, dans chacunede ces pages sans titre, le protagoniste s'adresse à son fils, «Giuseppe68» : «J'avais ton âge, mon fils [...

l

~)~

«

Quand je suis arrivé au Caïre, mon fils [...fo»~ «Ainsi, j'étais esclave, mon fils[...

f

1». Remarquons que Giuseppe n'est probablement passon fils unique comme le laisse supposer la phrase suivante:

«

C'est

dans

cette pièce que naquit, un soir de juillet, mon premier fils [...

]'2

». Cependant, c'est lui qu'il désigne,

dans

son pacte/testament, comme son seul héritier et c'est lui qu'il interpelle tout au long de son récit

Au début, ce choixpeutparaître naturel au lecteur. Mais, au fil des pages, nous découvrons que le narrateur a également deux filles Sarwae3et Hayat74. Il semble les

avoir exclues, non seulement de son discours· se contentantà leur égard de quelques maigres commentaires - mais également de son héritage. Pourquoi? Denotre point de vue, le narrateur suit la tradition musulmane appliquée depuis l'époque des Abassides, tradition qui considérait la place de la femme secondaire par rapport à celle de l'homme, voire presque inexistante. Par contre, Giuseppe, l'enfant mâle, malgré les informations rarissimes, est présent d'un bout à l'autre du roman. Il est l'héritier, l'interlocuteur et le confident privilégié! La dernière page de l'autobiographie adresséeàcet absent omniprésent:«Une fois de plus, mon fils, je suis portéparcette mer[... ]75 »,ainsi que les dernières exhortations confinnent nos propos.

Garde-toi de flatter leurs instincts (les instincts des humains), mon fils. garde-toi de ployer sous la multitude! [...] Lorsque l'esprit des hommes te paraîtraétroit~ dis-toi que la terre de Dieu est vaste [...]. N'hésite jamaisàt'éloigner, au-delà de toutes les mer~audelà de toutes les frontières, de toutes les patries, de toutes les croyances76.

Le rom~ écrit par un homme, relatant la vie d'un autre homme, s'adresse apparemment à un hommeL.. Bien que le récit renferme de nombreuses figures féminines, il s'ouvre dans le pacte autobiographique et se ferme,à la dernière page du roman, sur un visage masculin. Selon nous, il faut voir, dans cette situation où la

61AminMaaJouf,Léon l'Africain,p. 411.

69Idp. 113. 70Id. p.297. 71Id. p. 379. 72Id.p.411. 7.JId.p.254. 7"ld p.359. 7.5Id.p.473. 76Ibid

(37)

masculinité est nettement privilégiée parrapportàla féminité, l'image d'une société patrilinéaire à un moment déterminé de son histoire, image qui confinne toutefois la supériorité de l'homme au détriment de la femme.

Cette supériorité est de plus concrétisée, dans les premières lignes du pacte lorsque le narrateur précise sa double filiation, biologique et adoptive, en se référant uniquement

à

des hommes. Il est«le fils de Mohamed le peseur77», « [...] baptisé de la main d'un pape78», Léon X de Médicis, son père adoptif; ce dernier lui donne ses noms et prénoms. Dans «cet extrait de naissance» seule l'ascendance mâle est valorisée. Un autre exemple tout aussi explicite que celui cité précédemment appuie notre assertion: le premier chapitre du roman porte pour titre l'année de «Salma la Ho"a» et semble réservé à une femme, la mère du protagoniste. Pourtant, les premières phrases sont consacrées au père du narrateur et à l'Islam.

Cette année-Ià, le saint mois de ramadan tombait en plein été,etmon père sortait rarement de la maison avant le soir. car les gens de Grenade étaient nerveux dans la journée, leurs disputes étaient fréquentes et leur humeur sombre était signe de piété, puisque seul un homme n'observant pas le jeûne pouvait garder le sourire sous un soleil de feu, puisque seul un homme indifférent au sort des musulmans pouvait rester jovialetaffable dans une ville minée par la guerre civileet menacée par les infidèles79.

Dans ce paragraphe, la récurrence des expressions connotant l'Islam et le sexe masculin «le saint mois du ramadane », «mon père », «un homme »,

«

un homme indifférent au sort des musulmans» est flagrante. Pourquoi? parce que l'Islam privilégie l'homme. Voici ce que nous lisons dans un verset:

Avant toi nous n'avons envoyé que des hommes qui recevaient des révélations. 80

Si du point de vue religieux, les hommes et les femmes sont identiques, ils ne le sont passur le plan social, comme le fait remarquer d'ailleurs Fatna Ait Sabbah :

77Id.p.9. "Ibid.

79Id p. 13.

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