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Travail en binôme à l'école maternelle : comment favoriser les apprentissages par le biais du travail en binôme dans une classe de moyenne-grande section ?

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Academic year: 2021

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HAL Id: dumas-01618124

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Submitted on 12 Feb 2018

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Travail en binôme à l’école maternelle : comment

favoriser les apprentissages par le biais du travail en

binôme dans une classe de moyenne-grande section ?

Agathe Givois

To cite this version:

Agathe Givois. Travail en binôme à l’école maternelle : comment favoriser les apprentissages par le biais du travail en binôme dans une classe de moyenne-grande section ? . Education. 2017. �dumas-01618124�

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ECOLESUPÉRIEUREDUPROFESSORATETDEL’ÉDUCATION DEL’ACADÉMIEDE PARIS

T

RAVAIL

EN

BINÔME

À

L

'

ÉCOLE

MATERNELLE

Comment favoriser les apprentissages par le biais du travail en

binôme dans une classe de moyenne-grande section ?

Agathe Givois

M

ÉMOIRE DE MASTER

MEEF

Mention Premier degré

Sous la direction de Brigitte Cardona De Vathaire

2016-2017

(3)

INTRODUCTION

Un des buts premiers de l'école est la socialisation des élèves, la préparation à leur rôle de citoyen, de membre à part entière de la société. Cet objectif a récemment été renforcé avec la mise en place de nouveaux programmes et d'un nouveau socle commun : ainsi, les programmes de 2015 de l'école maternelle nous parlent d'« Une école où les enfants vont apprendre et vivre ensemble », et tout un domaine du nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture, intitulé « la formation de la personne et du citoyen », se consacre à cet objectif.

Historiquement, cependant, l'institution met en place une relation de dépendance de l'élève vis-à-vis du maître, niant l'existence du groupe en tant qu'entité dynamique capable de générer des apprentissages. Dans son ouvrage Itinéraire des pédagogies de groupe, Philippe Meirieu, docteur en sciences de l'éducation, souligne ainsi que, de manière générale, l'enseignant s'adresse au groupe dans son ensemble, tout en interdisant les rapports sociaux entre les élèves dans le cadre de la classe. Citant Roger Cousinet, pédagogue et pionnier de « l'éducation nouvelle », il ajoute que « dès son entrée à l'école, et tout au long de sa vie scolaire, l'enfant apprend que le maître ne permet la vie sociale que pendant les récréations »1.

Ces constats ne datent certes pas des dernières recherches en la matière, mais on observe encore aujourd'hui des difficultés persistantes à se détacher de ce modèle qui a longtemps été aux fondements de l'éducation et a exercé son influence sur des générations d'élèves. En tant que professeur des écoles stagiaire dans une classe de moyenne et grande section, j'ai dû moi-même, lors de cette année de stage, me questionner sur cet aspect de ma pratique de classe : étant à l'école maternelle, les apprentissages sociaux, qui consistent à préparer l'enfant à être élève, puis citoyen, présentent un aspect fondamental. Comment inclure ces apprentissages sociaux aux temps de classe, sans pour autant réduire ou négliger les autres apprentissages ? Une réponse qui semble se dessiner serait une transmission moins magistrale des savoirs, favorisée par les rapports entre pairs et favorisant ces rapports. L'enseignant ne devrait pas être considéré comme la seule source de savoir, et les élèves devraient avoir la possibilité de partager au maximum leurs connaissances. Favoriser les interactions entre élèves dans une classe semblerait donc un bon moyen d'inclure, de façon 1Meirieu, Philippe, Itinéraire des pédagogies de groupe, Apprendre en groupe – 1, Lyon, Chronique sociale, 2000 (202p.) page 26

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active, des apprentissages sociaux à des temps de classe, en les agrégeant à l'acquisition de connaissances, et en les instituant comme modalités d'enseignement. De nombreux chercheurs et pédagogues comme Jean Piaget ou Philippe Meirieu se positionnent en ce sens, mettant en avant une transmission moins verticale du savoir et favorisant le positionnement des élèves en temps qu'acteurs de leurs apprentissages. Cela englobe notamment les pédagogies dites « nouvelles » ou « actives » apparues au siècle dernier, comme par exemple la pédagogie Freinet.

Cependant, établir le partage et l'interaction entre élèves comme modalité d'enseignement soulève de nouvelles questions : dans quel cadre autoriser et favoriser ces interactions ? Quels types d'interactions seront réellement bénéfiques, fructueuses en termes d'apprentissages ? Les élèves sont-ils à même de s'enseigner les uns aux autres, d'identifier les difficultés et les besoins de leurs camarades afin de leur venir en aide, et ce dès leur plus jeune âge ? Dans une classe de maternelle, comme c'est le cas pour mes élèves, âgés de quatre à six ans, des interactions seraient-elles pertinentes dans l'optique de favoriser des apprentissages ?

Afin d'étudier ces questions, je vais développer cet écrit réflexif en trois parties. Dans une première partie, après un bref retour sur l'historique des interactions entre élèves à l'école, et les intérêts de ce type de pratiques, je situerai les compétences sociales et affectives d'un enfant de moyenne ou grande section d'école maternelle. J'axerai ma deuxième partie sur les différentes modalités d'interactions pouvant exister entre élèves, et sur les bénéfices que l'on peut en attendre suivant les résultats présentés par les chercheurs. Enfin, dans une troisième partie, à partir d'observations menées dans ma classe de moyenne et grande section lors de mon année de stage, j'analyserai les types d'interactions que j'ai moi-même pu observer, ce qui me permettra de vérifier leur efficacité en termes d'apprentissages.

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LES INTERACTIONS ENTRE ELEVES A

L'ECOLE : ORIGINES, INTERETS

Pour revenir sur l'historique des interactions entre élèves et leurs intérêts dans la mission pédagogique, je vais d'abord m'intéresser aux interactions entre élèves à l'école dans un contexte assez large, sans spécifier de niveau de classe en particulier. Je me concentrerai dans la troisième partie sur les interactions entre enfants en âge d'être en classe maternelle, telles qu'elles ont pu être observées dans un contexte scolaire, et plus particulièrement entre enfants de quatre à six ans, âge des élèves de ma classe de moyenne-grande section.

1. Une histoire du travail en interaction à l'école

Historiquement, les interactions entre élèves sont interdites au sein de la classe : l'apprentissage est envisagé comme le fruit d'un travail individuel, et l'élève entretient une relation exclusivement avec l'enseignant, unique source du savoir dans la classe. Ainsi, paradoxalement, on prétend apprendre aux élèves de grandes valeurs telles l'entraide et l'écoute de l'autre, tout en leur interdisant de communiquer entre eux, à plus forte raison lorsqu'il s'agit de mutualiser des résultats avec son voisin ou de lui expliquer ce que l'on a trouvé et qu'il n'a pas compris.

On constate cependant à travers les siècles quelques tentatives pour se détacher de ce modèle contradictoire ; quelques pédagogues ou chercheurs ayant en effet cherché à créer une émulation propice aux apprentissages. Très tôt, des précurseurs de la pédagogie vantent les mérites des interactions entre élèves. Ainsi, Coménius, philosophe et pédagogue tchèque, privilégie dès le début du 17e siècle dans sa Grande didactique un enseignement mutuel entre les élèves ; et Pestalozzi, pédagogue et éducateur suisse, pionnier de la pédagogie moderne, met en place un système pour le moins innovant dans l'institut qu'il fonde à Yverdon en Suisse au début du 19e siècle, et que Jean Piaget présente de la manière suivante : « L'école est une vraie société, dans laquelle le sens des responsabilités et les normes de la coopération

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suffisent à éduquer l'enfant sans qu'il soit besoin […] d'isoler l'élève en son individualisme. »2

D'autres également, plus tard, se baseront, ou mettront en avant les interactions entre élèves comme source ou support de l'apprentissage, notamment au 20e siècle avec l'essor des pédagogies nouvelles ou actives. Ainsi, Adolphe Ferrière, pédagogue suisse qui fut l'un des fondateurs du mouvement de l'éducation nouvelle, voit dans le groupe « une structure à même de former des citoyens pour la nation »3 ; quant à Célestin Freinet, autre instigateur de ce

mouvement, en France, organise l'école comme une coopérative ouvrière : chacun apporte ce qu'il peut au groupe, et en reçoit en échange ce dont il a besoin. Ce système a pour objectif de responsabiliser les élèves et de les amener à s'organiser par eux-même.

Cependant, pour Alain Baudrit, professeur en sciences de l'éducation à Bordeaux, bien que le travail en groupes permette aux élèves de « partager leurs difficultés et d'échanger, sur la base d’un langage et d’un vocabulaire communs »4, ce type de pratique reste peu étendu,

pour différentes raisons. D'une part, elles impliquent de la part de l'enseignant un certain lâcher-prise sur la gestion de la classe en tant que groupe, en tant qu'entité ; d'autre part, quelques recherches semblent indiquer des lacunes de ces pratiques : elles seraient certes très efficaces au niveau de la socialisation, mais pas forcément pertinentes au niveau des apprentissages.5 On peut dès lors se demander quels avantages on peut attendre des

interactions entre élèves, et s'interroger sur les conditions dans lesquelles leur mise en place pourra se révéler réellement fructueuse, notamment en termes d'apprentissages.

2. Quels intérêts et quelles conditions des interactions entre

élèves ?

Dans cet écrit, les différentes interactions influant sur les apprentissages qui peuvent avoir lieu entre des élèves seront dans l'ensemble apparentées à une aide apportée, à différents degrés : il peut s'agir d'une aide à sens unique, comme dans une relation de tutorat, ou d'un

2Piaget, Jean, Psychologie et pédagogie, Paris, Denoël-Gonthier, 1969, (264p.) page 206

3Baudrit, Alain, L'apprentissage coopératif, origines et évolutions d'une méthode pédagogique, Bruxelles, De Boeck, 2005 (160p.) page 13

4 Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.) page 7

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échange symétrique qui va permettre la réalisation commune d'une tâche. Ainsi, une situation de recherche de solution à une situation problème en groupe peut être considérée comme une situation d'aide, où chaque élève va apporter ses connaissances ou ses questionnements aux autres pour construire ensemble une réponse à cette situation. Bien que ce type d'interaction puisse tout à fait prendre place au sein d'un groupe, je limiterai dans cet écrit mes observations aux interactions au sein de binômes, n'ayant pas pu au cours de cette année de stage les élargir au travail de groupe.

Dans un article publié en 1997, Alain Marchive, docteur en sciences de l'éducation et professeur à l'université de Bordeaux, analyse les différents types d'interactions pouvant exister entre élèves. Il leur attribue trois fonctions : une fonction « initiatique », qui vise la socialisation des élèves, l'initiation d'un élève par un ou plusieurs autres aux codes de l'école, de la classe ; une fonction « domestique », qui consiste en des échanges d'informations utiles dans des cas précis, qui font donc office de ''coup de pouce'' sans toutefois permettre l'acquisition d'une notion ; et enfin une fonction « didactique », à savoir l'échange de savoirs visant à la facilitation des apprentissages.6 Si Marchive limite ces fonctions aux interactions

de tutelle, impliquant la transmission d'un savoir par un élève plus compétent à un élève dans le besoin, elles peuvent être étendues aux interactions entre élèves dans un sens plus large. L'échange de savoirs dans le cadre d'un travail de recherche en groupe, par exemple, peut amener à une plus grande efficacité dans la réalisation de la tâche, ce que confirme Meirieu : « le groupe apporte une sorte de facilitation psychologique, un soutien affectif susceptible de faciliter les apprentissages individuels »7 Ce type d'échange peut également permettre une

approche plus objective, et plus complète des choses, sans que l'élève se limite à son point de vue propre : « L'accès au concret semble donc requérir le groupe pour garantir la validité de l'apprentissage » ; « [le groupe a] une fonction de régulation intellectuelle. »8 A l'inverse, une

intervention ponctuelle où un élève transmet à un autre une information qui lui manque pour réaliser une tâche ne suppose pas qu'il y ait un écart de compétence entre ces deux élèves.

Les interactions entre élèves peuvent donc théoriquement avoir ces différentes fonctions. La question qui subsiste est la suivante : comment mettre ces interactions en œuvre pour qu'elles soient efficaces ? Paul Vedder, chercheur néerlandais en pédagogie, définit cinq 6Marchive, Alain, « L'interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage didactique », Psychologie et éducation n°30, septembre 1997

7Meirieu, Philippe, Itinéraire des pédagogies de groupe, Apprendre en groupe – 1, Lyon, Chronique sociale, 2000 (202p.) page 32

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conditions pour que l'intervention d'un élève soit efficace au niveau des apprentissages d'un autre : l'aide doit être pertinente, son niveau d'élaboration doit être adapté au besoin de l'aidé, et elle doit se produire rapidement suite à la demande de l'aidé. Enfin, celui-ci doit comprendre l'explication qu'on lui donne, et avoir l'occasion d'en faire usage par lui-même pour se l'approprier. Dans chacune de ces conditions on peut lire une même condition implicite : l'élève intervenant doit s'adapter, adapter son action à l'élève auprès duquel il intervient, faisant entrer en jeu un certain degré de décentration. À cela, Norma Webb, professeur à l'université de Californie, rajoute une condition supplémentaire : l'élève qui bénéficie de l'intervention doit en éprouver le besoin, et faire bon usage de cette intervention. Cela implique donc un investissement, un positionnement actif de cet élève.9

Je reviens sur une des conditions établies par Vedder pour qu'une interaction soit pertinente : il faut que l'intervention soit d'un niveau d'élaboration adapté au besoin de l'élève qui en bénéficie. De son côté, Webb distingue deux niveaux d'élaboration d'une intervention : l'aide élaborée, opposée à l'aide peu élaborée. La première consiste, de la part de l'élève qui intervient, qu'on appellera l'aidant, à donner des informations, des indications sur la manière de réaliser la tâche. Cela implique que, en plus d'être capable de réaliser la tâche, l'aidant doit être capable de procédés métacognitifs vis-à-vis de son travail, c'est-à-dire qu'il doit savoir expliquer les procédures à utiliser pour mener cette tâche à bien, il doit connaître les outils pour apprendre. Quant à l'aide peu élaborée, il s'agit tout simplement de donner la solution finale du problème posé à l'élève dans le besoin, ou bien de lui donner la solution à une des étapes de la procédure, ou encore de lui signaler une erreur ou une omission. Pour pouvoir être aidant, dans ce cas de figure, il suffit de savoir résoudre soi-même le problème, nul besoin de savoir en expliquer la procédure. Selon les cas, différents degrés d'élaboration de l'aide pourront être adéquats : dans le cas d'un blocage impliquant une compétence secondaire dans la tâche proposée, ou dans le cas d'une erreur d'inattention, par exemple, une aide peu élaborée fera tout à fait l'affaire. Une fois l'erreur mise en évidence par l'aidant, l'élève aidé sera capable de la rectifier seul. Pour une difficulté plus importante, une tâche face à laquelle l'élève se trouve démuni, l'aide devra être plus élaborée, donner des indications sur les procédures à suivre pour la réaliser. L'exigence principale, encore une fois, est donc d'adapter son intervention au besoin d'autrui.10

9 Crahay, Marcel, Hindryckx, Geneviève, Lebe, Martine, « Analyse des interactions entre enfants en

situation de tutor at portant sur des problèmes mathématiques de type multiplicatif », Revue française de

pédagogie n°136, 2001, pp.133-145 10Ibid.

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Tous les arguments qui viennent d'être avancés en faveur des interactions semblent ne présenter d'intérêt que pour les élèves qui bénéficient de l'expertise d'autrui. Qu'en est-il justement de ces « experts », de ces élèves qui ne rencontrent pas de difficultés à effectuer les tâches demandées ? Pour de nombreux chercheurs, comme Daniel Guichard, le fait d'apporter son expertise à d'autres dans le cadre d'un travail en interaction serait également profitable aux élèves les plus compétents, en leur permettant d'approfondir leurs connaissances dans le domaine concerné. Il attribue ce phénomène, qu'il appelle l'effet-tuteur, au fait qu'une grande partie des interactions passent par le langage, ce qui va offrir à l'élève aidant la possibilité d'organiser sa propre pensée, en verbalisant ce qu'il sait de manière audible pour les élèves aidés ; il va donc profiter de ces échanges pour stabiliser, approfondir ses connaissances. Ainsi, l'interaction ne serait pas au bénéfice d'une seule des parties, mais bien profitable aux deux membres du binôme.11

3. Le cas des jeunes enfants

Jean Piaget, dans ses travaux sur le développement de l'intelligence, divise le développement psychologique de l'enfant en quatre périodes : la période de l'intelligence sensori-motrice, de 0 à 2 ans, la période de l'intelligence pré-opératoire, de 2 à 6 ans, la période des opérations concrètes, entre 6 et 10 ans, et enfin la période des opérations formelles, de 10 à 16 ans. Cette division en périodes présuppose plusieurs choses : la succession de ces différentes périodes se fait dans un ordre invariable d'un enfant à l'autre ; les structures ou comportement acquis durant l'une des périodes sont intégrés lors des périodes suivantes. Par ailleurs, les âges définis pour délimiter les différentes périodes sont le résultat de moyennes, et n'ont qu'une valeur indicative : un enfant peut tout à fait atteindre la période suivante avant ou après l'âge indiqué. Chacune de ces périodes se divise en plusieurs stade. La période de l'intelligence pré-opératoire comprend deux stades : le stade de la fonction symbolique, de deux à quatre ans, où le langage apparaît, et où se développent les jeux d'imitation ou d'imagination ; puis le stade de la pensée intuitive de quatre à six ans. C'est donc le stade qui nous intéresse dans le cadre de cet écrit puisqu'il englobe en âge la totalité de mes élèves, qui ont exactement entre quatre et six ans.12

11 Guichard, Daniel, « Le tutorat et l'effet tuteur à l'école élémentaire », Carrefours de l'éducation n°27, janvier

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Une caractéristique importante de ce stade est qu'il est dominé par l'égocentrisme, c'est-à-dire que l'enfant n'est capable de considérer des objets ou des notions qu'en se concentrant sur un point de vue unique. On a donc une grande subjectivité dans le rapport aux objets et aux notions. Bien évidemment, l'enfant n'étant pas capable d'envisager l'objet dans sa globalité, de manière objective, en se détachant de sa représentation initiale, il est également très difficile pour lui, voire impossible, d'adapter sa pensée aux représentations d'autrui. Piaget a d'ailleurs tenté de mesurer la proportion de langage égocentrique, c'est-à-dire le langage sans visée communicative, et qui ne se préoccupe pas qu'il y ait un auditeur, chez des enfants en fin de période pré-opératoire, à savoir âgés de quatre à sept ans. Les résultats sont pour la totalité très proche de 45%, avec des écarts très faibles, c'est-à-dire que près de la moitié du langage de l'enfant de six ans est égocentrique et ne vise pas la communication ou le partage d'information avec un auditeur. Il constate également que l'échange entre enfants à cet âge est également très statique et factuel :

Deux caractères nous ont frappés : l’absence d’échange intellectuel, entre enfants, concernant la causalité, et l’absence de démonstrations

et de justifications logiques dans les discussions.13

Il en va cependant autrement des interactions entre enfants et adultes : L’échange intellectuel entre enfants reste statique, ou descriptif, c’est-à-dire qu’il concerne peu la causalité et celle-ci reste objet de conversations entre enfants et adultes et de la réflexion solitaire de

l’enfant.14

L'échange d'enfant à enfant, se limitant à des éléments très factuels, ne serait donc pas le lieu d'une transmission de réflexion.

Ces constats semblent compromettants pour la mise en œuvre de situations d'interaction entre élèves de maternelle, ayant pour visée de favoriser les apprentissages. Comment l'enfant, qui n'est encore pas du tout décentré, pourrait-il apporter ou tirer d'autrui des compétences pour progresser ? Comment pourrait-il envisager un problème sous un autre angle que celui que lui-même perçoit ?

12Piaget, Jean, « Le problème des stades en psychologie de l'enfant », Symposium de l'Association scientifique de langue française de 1955, PUF, 1956

13Piaget, Jean, Langage et pensée chez l'enfant, Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1948 (213p.) page 32

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LES TYPES D'INTERACTIONS ET LEUR

PLACE A L'ECOLE MATERNELLE

1. Les binômes hétérogènes où l'aidant est plus compétent,

ou relations de tutorat

Selon les travaux du psychologue américain Jerome Bruner, une relation de tutorat a lieu lorsqu'un adulte ou un enfant d'un niveau de compétence supérieur vient en aide à quelqu'un qui est moins performant que lui. Une caractéristique importante de la relation de tutorat est donc sa dissymétrie : il y a un écart de compétences réel entre le tuteur (l'aidant) et le tutoré (l'aidé). Pour Alain Marchive, cette définition de la relation de tutorat regroupe des formes d'interactions variées, qui vont « de la situation d'imitation à celle de monitorat, ou d'enseignement mutuel, vers un étayage plus souple en fonction des types de tâches, des compétences des partenaires, de leur degré d'implication ».15 Ainsi, bien que l'on comprenne

parfois dans la définition du tutorat qu'il faut qu'il y ait une conscientisation de cette relation de la part de chacun de ses membres, et que l'aide soit apportée de manière volontaire par l'aidant, on peut avancer que ce n'est pas systématiquement le cas. Dans une situation d'imitation par exemple, l'élève aidant n'est pas nécessairement avisé qu'il endosse ce rôle, et le seul élève actif dans la relation est l'élève aidé, en cela qu'il imite son camarade.

1.1 Marchive et la zone d'interaction de tutelle : adéquation

des niveaux de l'aidant et de l'aidé

Il ressort clairement de nombreuses observations de chercheurs que ce n'est pas parce qu'un élève maîtrise une compétence ou qu'il est en réussite, qu'une relation de tutorat dans 15Marchive, Alain, « L'interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage didactique », Psychologie et éducation n°30, septembre 1997

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laquelle il aurait à endosser le rôle d'aidant fonctionnera, et permettra à l'élève aidé de progresser.

Le psychologue russe Lev Vygotsky fait remarquer qu'il y a un écart entre ce que l'élève est capable de réaliser seul, et ce qu'il peut réaliser lorsqu'il est accompagné, soit par des adultes, soit au sein d'un groupe. Il nomme cet écart la « zone proximale de développement », zone où se situent les acquisitions prochaines de l'élève, ce que l'élève est prêt à assimiler. Ici encore, l'interaction apparaît comme un facteur majeur des apprentissages :

Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours du développement de l'enfant: d'abord comme activité collective, sociale et donc comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de

l'enfant, comme fonction intrapsychique.16

Se basant sur le concept de zone proximale de développement décrit par Vygotsky, Marchive suppose en symétrie l'existence d'une « zone proximale d'enseignement » pour l'élèves aidant, et définit à partir de celle-ci la notion de zone d'interaction de tutelle. Prolongeant la réflexion de Vygotsky, Marchive considère en effet qu'en plus de chercher à être en adéquation avec les besoins de l'aidé et de travailler sur des compétences situées à l'intérieur de sa zone proximale de développement, il est nécessaire de prendre également en compte les capacités de l'aidant. Effectivement, si l'élève aidé est capable d'acquérir certaines notions, il est nécessaire que l'élève aidant soit en mesure de les lui transmettre de façon pertinente. Après avoir constaté la difficulté que rencontrent souvent les élèves à expliquer leur procédure dans la réalisation d'une tâche qu'ils maîtrisent, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'apporter de l'aide à un autre élève, Marchive suppose l'existence de ce qu'il appelle la zone proximale d'enseignement, c'est-à-dire l'écart entre ce que l'élève sait expliquer, et ce qu'il sait réaliser seul, mais sans pour autant pouvoir l'expliquer. Ainsi, pour qu'une interaction de tutorat puisse fonctionner, il est nécessaire que la zone proximale de développement de l'aidé concorde avec la zone proximale d'enseignement de l'aidant. C'est ce que Marchive appelle la zone d'interaction de tutelle.17

16Vygotsky, Lev in Bronckart, Jean-paul & Schneuwly, Bernard, Vygotsky aujourd’hui, Delachaux et Niestlé, Lausanne, 1985 (237p.)

17Marchive, Alain, « L'interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage didactique », Psychologie et éducation n°30, septembre 1997

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1.2 Bruner et les fonctions d'étayage : les tâches du tuteur

Jerome Bruner définit plusieurs rôles, plusieurs tâches pour le tuteur, afin d'accompagner le tutoré vers la réussite, vers la maîtrise de la compétence travaillée. Ces tâches, qu'il nomme les « fonctions d'étayage », sont les conditions de l'appropriation par le tutoré de cette compétence. Elles doivent lui permettre, par la suite, de savoir faire seul.

1. Enrôlement : il s'agit de faire adhérer l'élève aidé à l'activité proposée ou à la tâche demandée.

2. Réduction des degrés de liberté : le tuteur simplifie la tâche, en réduisant le nombre d'étapes intermédiaires, et en ne laissant que des étapes que l'élève aidé peut réaliser en trouvant seul des solutions.

3. Maintien de l'orientation : le tuteur doit rappeler l'objectif final à l'élève aidé, pour maintenir sa motivation et l'aider à « garder le cap ».

4. Signalisation des caractéristiques déterminantes : il s'agit de faire mesurer par l'élève aidé l'écart de sa production avec ce qui est attendu, afin de le guider vers une production en accord avec les attentes.

5. Contrôle de la frustration : le tuteur se charge de rassurer et de remotiver l'élève aidé face à une situation d'erreur.

6. Démonstration, ou « présentation de modèles » : il s'agit de donner un exemple de solution sous forme stylisée, que l'élève aidé pourra réutiliser.18

Le rôle de tuteur apparaît donc comme très complexe, et semble requérir beaucoup de discernement vis-à-vis des difficultés et des types d'aides dont a précisément besoin l'élève aidé selon les situations. Nous sommes donc en droit de nous demander si des élèves de maternelle, encore très égocentriques, sont en mesure d'occuper et d'assumer pleinement ce rôle de tuteur.

18Bruner, Jerome, Le développement de l’enfant. SAVOIR FAIRE, SAVOIR DIRE, Paris, PUF,1983 (292p.)

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1.3 Et à l'école maternelle ?

Maryline Jagueneau-Gaignard a observé les interactions entre élèves dans plusieurs classes de moyenne section de maternelle, soit l'âge qui nous intéresse ici, afin de voir si des situations d'aide ou d'entraide se produisent à cette tranche d'âge de façon naturelle, c'est-à-dire sans être pensées et organisées par l'enseignant. Les élèves ont été autorisés, voire encouragés à venir en aide à leurs camarades dès lors qu'ils en ressentaient l'envie, sans que cela soit jamais imposé par l'enseignant. De fait, Jagueneau-Gaignard observe des situations où un élève plus compétent vient en aide ou tente de venir en aide à un camarade. Les interventions observées sont-elles efficaces ?

Plusieurs types d'interventions sont relevés : dans certains cas, on assiste à une aide non adaptée, car trop peu élaborée, c'est-à-dire que l'élève aidant donne à l'élève aidé un simple rôle d'exécutant, ce qui ne laisse aucunement la place à l'élaboration d'une réflexion personnelle ni même à l'appropriation des solutions par celui-ci. Cette observation a notamment été faite dans le cadre d'une activité de reconstitution de puzzle : l'élève aidant indique l'emplacement précis des pièces, en montrant du doigt les solutions une à une. L'élève aidé, qui a maintenu tout au long de l'activité une posture passive et silencieuse, n'est pas capable par la suite de reproduire le puzzle. L'intervention semble donc ici inefficace : elle est, selon la définition de Webb, une aide peu élaborée, qui pourrait être utile dans le cas d'une erreur d'inattention ou d'une difficulté ponctuelle revêtant une importance secondaire dans la réalisation de la tâche. Ici, cependant, la difficulté rencontrée par l'aidé semble plus importante ; cet élève semble ne pas avoir la maîtrise des outils nécessaires pour résoudre le problème posé. Une aide élaborée aurait donc probablement été plus pertinente. Si l'envie, la tentative de venir en aide à un camarade est présente, on constate ici une incapacité à se décentrer suffisamment et à adapter son action à l'aidé.19

Un autre type d'intervention observé par Jagueneau-Gaignard laisse toutefois entrevoir la possibilité d'une relation de tutorat fonctionnelle. Lors d'un jeu de construction, deux élèves se mettent à produire une même tour, en se détachant de la fiche modèle. Les interactions montrent une valorisation de l'aidé par l'aidant. L'aidant, qui suivait au départ la fiche-modèle, accepte l'objet que lui tend l'aidé bien qu'il ne corresponde pas au modèle, et l'inclut à la 19 Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.) page 25

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construction. Cela lance un jeu d'imitation, où l'aidé reproduit à l'identique la construction de l'aidant, étape par étape. Peu à peu, la situation d'imitation se transforme en situation de co-construction, ce qui semble indiquer une progression de la part de l'aidé, et un effacement progressif de la part de l'aidant, qui laisse de plus en plus de place aux actions de l'aidé. Ce dernier a donc la possibilité de s'approprier les procédés apportés par son imitation de l'aidant, en les réinvestissant de manière plus autonomes.20

Enfin, Jagueneau-Gaignard remarque un positionnement d'élève aidant supposant une décentration particulière : un élève aidant se met volontairement dans une posture d'imitation, jouant presque le rôle de l'aidé, dans une situation de dessin. Pour Alain Baudrit, ce positionnement qu'adopte ici l'aidant aurait pour but de « préserver le lien entre les personnes qu’un ascendant trop important pourrait mettre à mal. », soit une fonction entièrement sociale. Pour que la relation de tutorat n'implique pas une hiérarchie entre les deux élèves, l'aidant inverse volontairement les rôles.21

Une interaction de tutorat semble donc possible dans une classe de maternelle, cependant cela exige de la part du tuteur, de l'élève aidant, une capacité de décentration élevée pour cet âge, afin d'adapter son action à l'élève aidé. Tous les élèves ne seraient donc pas capables d'être tuteur, et toutes les situations ne se prêteraient pas à une relation de tutorat. Une autre nécessité est que l'élève aidé s'implique, soit réellement actif dans ce type d'interaction, pour qu'elle devienne réellement efficace. Il il faut également bien tenir compte du fait que dans le cadre de ces observations, les interactions étaient libres, et non pas mises en place ou organisées par l'enseignant. Il pourra donc être également intéressant de vérifier si une explicitation des relations de tutorat auprès des élèves pourraient pourraient permettre que celles-ci fonctionnent dans une classe de maternelle, en amenant ainsi l'élève aidant à adapter son intervention de manière consciente.

2. Les binômes hétérogènes où l'aidé est plus compétent

Toujours dans ce même cadre d'observations des interactions entre élèves, et toujours au sein de binômes hétérogènes, avec un écart de compétences réels entre deux élèves, 20 Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.), page 26

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Jagueneau-Gaignard constate à plusieurs reprises un type d'interaction pour le moins surprenant : l'élève qui exprime une demande d'aide est l'élève le plus compétent sur la tâche concernée. La demande d'aide est explicitée verbalement de l'élève compétent à l'élève en difficulté, et l'interaction semble servir l'élève le plus compétent de la manière suivante : observer les erreurs de l'élève moins compétent permet à l'élève qui a exprimé la demande d'aide d'éviter ces mêmes erreurs. L'élève qui endosse ici le rôle d'aidé s'instruit donc des erreurs de l'autre. Jagueneau-Gaignard nomme ce procédé « l'effet aidant ». Ce type d'interaction serait donc majoritairement, voire uniquement bénéfique à l'élève le plus compétent, qui tire des erreurs de son camarade des informations lui permettant de mener la tâche à bien. L'élève qui prend ici la position d'aidant ne tire pas de bénéfices cognitifs personnels de cette interaction.22

Cet effet-aidant est un cas de figure qui reste relativement rare dans les observations menées par Jagueneau-Gaignard, elle est par ailleurs la seule à l'avoir décrit. Ainsi, je n'ai pas malheureusement pas eu l'occasion de l'observer dans ma propre classe lors de cette année de stage, et ne développerai pas cet aspect dans le partie concernant l'analyse de ma pratique.

3. Les binômes homogènes

Les binômes homogènes, dont les deux membres ont un niveau de compétence similaire dans le domaine concerné, semblent être un cadre favorisant l'entraide, à savoir l'aide alternativement dirigée dans les deux sens : l'élève 1 vient en aide à l'élève 2, puis les rôles s'inversent. Ce type de relation, de par sa nature, suppose que chacun des membres du binôme prend alternativement le rôle d'aidant et le rôle d'aidé. Ainsi, les fonctions des interventions qui prennent place au sein d'un binôme homogène de manière efficace sont semblables à celles observées au sein des binômes hétérogènes, à savoir qu'elles relèvent des fonctions d'étayage de Bruner23, décrites précédemment dans le cas des binômes hétérogènes.

La différence majeure de fonctionnement entre un binôme homogène et un binôme hétérogène est donc que ces interventions ne sont pas dirigées unilatéralement d'un aidant à un aidé, mais sont alternativement exercées par l'un ou l'autre des membres du binôme.

22 Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.) 23Bruner, Jerome, Le développement de l’enfant. SAVOIR FAIRE, SAVOIR DIRE, Paris, PUF,1983 (292p.)

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Cependant, ce type de relation implique également que la zone proximale de développement de l'un ne peut pas coïncider avec la zone proximale d'enseignement de l'autre : puisque les deux membres du binôme ont un niveau de compétence proche, on peut supposer que leurs zones proximales de développement sont relativement similaires, ce qui bouscule l'idée de zone d'interaction de tutelle de Marchive24. L'interaction ici ne relèvera

donc probablement pas de l'aide élaborée, puisque ce que chacun peut expliquer, l'autre le maîtrise théoriquement déjà. On observera donc plutôt des occurrences d'aide peu élaborée, s'apparentant par exemple à des coups de pouces, ou à des signalements d'erreurs. Comme il ne s'agit pas ici d'une relation de tutorat, où un élève viendrait bénéficier des compétences plus avancées d'un autre, cela ne pose donc pas nécessairement de problème. Effectivement, on a vu plus tôt que dans certains cas, à savoir lorsque la difficulté rencontrée n'est pas une difficulté majeure, l'aide peu élaborée pouvait être plus pertinente.

Cela peut mener à la supposition suivante : l'adaptation de l'aidant à l'aidé, qui nécessite dans la relation de tutorat un certain degré de décentration du tuteur, pour cibler les besoins du tutoré comme pour adapter son intervention, prend au sein d'un binôme homogène une place beaucoup moins prépondérante. Ce type de relation d'aide, ou plutôt d'entraide, serait donc peut-être plus adéquat, car plus réaliste à mettre en place de façon efficace dans une classe de maternelle, la condition théorique pour que le binôme fonctionne étant que les membres du binôme aient un niveau de compétence similaire.

De fait, Jagueneau-Gaignard observe des interactions entre élèves où les deux membres d'un binôme, maîtrisant de manière relativement égale la compétence en jeu (réalisation de puzzles), s'apportent l'un l'autre des savoirs-faire qui leur permettent de réaliser ensemble ce qu'ils n'auraient pas réussi seuls. Tous deux s'organisent, se répartissent les tâches et « élaborent ensemble des solutions qu’ils n’auraient peut-être pas pu découvrir seuls »25. Par ailleurs, la plupart des interactions observées présentent les caractéristiques

d'une aide peu élaborée : signalement d'une erreur, correction du mauvais placement d'une pièce. On peut également observer des interventions visant à remobiliser l'autre membre du binôme, à l'encourager, relevant donc des fonctions d'étayage de Bruner.

Je tenterai donc de voir dans l'analyse de ma pratique, si la mise en place de binômes hétérogènes de façon organisée est plus adéquate, et éventuellement plus pertinente que la 24Marchive, Alain, « L'interaction de tutelle entre pairs : approche psychologique et usage didactique », Psychologie et éducation n°30, septembre 1997

25Jagueneau-Gaignard, Maryline, in Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.) page 29

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mise en place de binômes hétérogènes, dans la mesure où elle requiert moins de conditions et exige moins de qualification, de décentration de la part de ses membres. Je tenterai également de juger de l'efficacité de tels binômes dans des situations spontanées, non organisées par l'enseignant.

OBSERVATIONS, ANALYSE DES DONNEES

RECUEILLIES

L'école où j'effectue mon stage est une école polyvalente de dix classes – six classes d'élémentaire dont une ULIS ; et quatre classes de maternelle. L'école fait partie d'une REP, mais la classe ne présente pas de grosses difficultés. Les élèves sont issus de milieux sociaux très variés. Il s'agit de la seule classe à double niveau de l'école.

La classe de vingt-deux élèves se compose de quatorze élèves de grande section – neuf filles et cinq garçons et de huit élèves de moyenne section – quatre garçons et quatre filles. Beaucoup d'élèves sont très performants et ils sont peu nombreux à rencontrer de grosses difficultés dans les apprentissages. Seuls un moyen et deux grands sont significativement en difficulté dans plusieurs domaines. Deux d'entre eux sont suivis par un orthophoniste une à deux fois par semaine.

Les élèves sont dans l'ensemble très scolaires, ils ont plutôt bien assimilé les codes de l'école, mis à part deux ou trois élèves qui ont un rapport difficile à soi et/ou à l'autre et ont beaucoup de mal à respecter les règles de la vie collective, ainsi que les règles de la classe, dont ils ont pourtant participé à l'élaboration. La classe garde quand même une très bonne dynamique, avec une bonne entente entre tous les élèves. Une ambiance de travail s'est installée dans la classe de manière assez naturelle et évidente. Les parents sont pour la plupart impliqués dans la scolarité de leur enfant et suivent de plus ou moins près ce qu'il se passe à l'école.

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1. Interactions au sein de binômes hétérogène où l'aidant

est plus compétent, ou relation de tutorat

1.1. Interaction organisée et explicitée

La situation mise en place pour observer les interactions entre élèves au sein de binômes hétérogènes consistait en un travail de rangement d'objets sur un critère de taille. Les élèves, tous en grande section, avaient pour tâche de ranger dix crayons de couleurs dans un ordre croissant ou décroissant, selon leur choix (voir annexe 1). Les crayons avaient des tailles relativement proches, leurs différences de longueur étant de l'ordre d'un ou deux millimètres.

Trois élèves rencontrant de réelles difficultés, trois binômes hétérogènes ont été constitués. Les élèves qui endossent le rôle de tuteur ne rencontrent de manière générale aucune difficulté particulière. Les élèves qui sont ici les tutorés font faces à des difficultés différentes.

Deux de ces élèves rencontrent fréquemment des difficultés dans la réalisation des tâches. L'une, au-delà de ses difficultés initiales dans la maîtrise de la langue, et de ses connaissances bancales, a une capacité de concentration assez faible et perd souvent la consigne de vue lors de l'activité. L'autre n'a pas des connaissances très stables, et son niveau de langue n'est pas très élevée – il est d'ailleurs suivi par un orthophoniste. Il manque par ailleurs de confiance en lui et se bloque souvent avant même d'essayer face à une tâche qu'il a peur de ne pas réussir.

La dernière tutorée, en revanche, rencontre assez peu de difficultés dans les apprentissages, car elle a beaucoup de connaissances. Elle n'a par contre pas du tout acquis les codes scolaires, a beaucoup de mal à gérer son énergie et ne maîtrise pas toujours son corps. Elle ne parvient par exemple pas à rester assise convenablement suffisamment longtemps, ce qui lui pose problème dans la réalisation des tâches : elle a besoin d'être rappelée à l'ordre et recentrée sur la tâche de manière très fréquente. C'est pourquoi j'ai considéré cette élève comme tutorée dans un binôme hétérogène : sa tutrice avait pour rôle supposé de l'aider à se canaliser et de la recentrer régulièrement.

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Tutoré Niveau de langue Attention, concentration

Socialisation Difficulté dans les apprentissages

Nabidou Moyen Faible Très bon Fréquent

Idrissa Faible Moyen Bon Fréquent

Aby Très bon Très faible Moyen Ponctuel

Tableau 1: Difficultés rencontrées par les élèves tutorés

La situation de rangement des crayons sur un critère de taille a été mise en place deux fois, dans des modalités différentes :

1.1.1. Phase 1 : réaliser la tâche ensemble

Dans un premier temps, j'ai demandé aux élèves de réaliser la tâche à deux, en leur explicitant que je voulais qu'il travaillent ensemble, et que les deux élèves devaient participer. La pratique tutorale n'avait pas encore été mise en place dans ma classe, et le terrain n'avait pas été préparé pour : des travaux avaient déjà été réalisés en binôme, mais de manière assez dirigée, avec un partage des tâches explicité, ou bien encore sans nécessité réelle de coopération : il pouvait y avoir un partage des tâches, phénomène qui, ainsi que le remarque Philippe Meirieu, ne favorise pas les apprentissages individuels puisque chacun réalise la partie de la tâche qu'il maîtrise déjà, ou du moins sur laquelle il est le plus compétent26. De

plus, je ne leur avais ici pas précisé qu'un élève prenait le rôle de modèle ou de tuteur. Je voulais ainsi faire un état des lieux de leurs types d'interactions sur un travail en binôme relativement peu cadré, où la seule exigence explicitée par l'enseignante était que les deux élèves s'impliquent dans la réalisation de la tâche.

Le résultat a été très net : les élèves plus avancés ont réalisé la quasi-totalité de la tâche, car ils sont beaucoup plus rapides. Certains ont tout de même trouvé des moyens d'impliquer leur binôme, afin de répondre à la demande de l'enseignante, mais soit de manière très directive, en leur confiant une tâche secondaire, qui ne faisait pas entrer en jeu la 26Meirieu, Philippe, Itinéraire des pédagogies de groupe, Apprendre en groupe – 1, Lyon, Chronique sociale, 2000 (202p.) page 9

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compétence travaillée ; soit en ne s'occupant pas de leur binôme et les laissant faire à leur gré – en somme, sans même se répartir le travail, mais en faisant à sa manière chacun de son côté. Ainsi, Augustin demande à Idrissa de lui donner les crayons un à un, et les mesure et les place dans l'ordre lui-même. Lorsqu'Idrissa entreprend de comparer les tailles de deux crayons, il n'est pas aussi rapide qu'Augustin, qui lui prend immanquablement des mains pour les comparer lui-même et les ranger à côté des autres. Idrissa essaye donc de s'impliquer dans la tâche, mais il est étouffé par l'écart de compétences entre Augustin et lui.

Situation similaire pour Oscar et Nabidou : chacun travaille de son côté, sans communication avec l'autre. Oscar laisse Nabidou poser les crayons un peu au hasard, puis corrige derrière elle sans même lui mentionner son erreur, pendant qu'elle s'occupe d'un autre crayon. Nabidou n'est donc même pas consciente qu'elle n'a pas réalisé la tâche correctement, elle ne cherche pas à imiter Oscar pour comprendre ou s'approprier sa procédure. Elle ne lui pose pas non plus de questions. Ici, si relation d'aide il y a, il s'agirait donc d'un phénomène s'approchant de l'effet-aidant décrit par Jagueneau-Gaignard (cf page 12) : Oscar pourrait éventuellement s'aider des erreurs de Nabidou pour réaliser la tâche en évitant lui-même ces erreurs. Cependant, Oscar n'a pas exprimé de demande d'aide. Par ailleurs, le cadre de l'expérience ne permet pas de vérifier s'il aurait été capable de réaliser cette même tâche seul et dans un laps de temps similaire, s'il ne lui avait pas été imposé de travailler en binôme. Le phénomène d'effet-aidant a donc peut-être lieu ici, mais je ne suis pas en mesure de le démontrer.

Enfin, Clélia, après quelques essais de communication verbale pour convaincre Aby de participer à la réalisation de la tâche au lieu de discuter avec les autres élèves présents à la table, semble abandonner et réalise la tâche seule.

L'interaction entre les élèves semble donc pratiquement absente dans ce travail, elle n'entre en tout cas pas dans le cadre d'une coopération pour réaliser la tâche. Les élèves en difficulté sont passifs ou inactifs, ils ne tirent pas d'apprentissage de ce travail en binôme, leurs compétences ne progressent pas. Un indice déterminant est que deux des tutorés, Idrissa et Nabidou, se montrent incapables de réaliser la tâche seuls par la suite. Dans le cadre de ce dispositif, qu'il faut considérer avec discernement puisque les élèves n'ont pas nécessairement été préparés à ce travail en interaction, les interactions ne semblent pas favoriser les apprentissages.

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Quant à Augustin, Oscar et Clélia, les intérêts que l'interaction aurait pu avoir pour eux qui, même seuls, ne rencontrent pas de difficultés, sont de l'ordre de l'effet-tuteur : en passant par le langage pour expliciter leur procédure ou transmettre des informations, ils auraient dû organiser leur pensée pour pouvoir l'exprimer de manière audible par l'autre, et auraient ainsi pu approfondir leurs connaissances.27 Ce n'est cependant ici pas le cas, puisque l'interaction

verbale a été presque entièrement absente lors de ce travail, et que lorsqu'elle a eu lieu, elle ne portait pas sur la tâche à proprement parler.

1.1.2. Phase 2 : réaliser la tâche soi-même avec l'aide d'un tuteur

Dans un deuxième temps, j'ai donc assigné la tâche à un seul élève du binôme, à savoir l'élève en difficulté, en confiant à l'autre élève la mission de l'assister, de « l'aider sans faire à sa place, en lui expliquant comment faire » pour parvenir à réaliser la tâche. Ainsi, l'interaction était imposée, et le rôle de tuteur explicite (voir annexe 2).

• Le cas de Nabidou, aidée par Oscar :

Nabidou a compris la consigne, qu'elle a su reformuler à la demande de l'enseignant : « Il faut les ranger [les crayons] du plus grand au plus petit ou du plus petit au plus grand ». Cependant, face à la tâche, elle se retrouve en difficulté car elle ne sait pas comment comparer la taille de deux crayons : elle pose les crayons les uns à côté des autres au hasard, sans faire attention à ce que leur base soit à la même hauteur. Elle a bien compris qu'il fallait comparer les crayons deux à deux en observant les autres élèves, mais joue en quelque sorte à l'élève qui range les crayons, un peu comme elle jouerait au coin jeu au docteur qui prend le pouls d'un patient, sans savoir réellement ce qu'elle fait.

Oscar ne parvient pas à lui expliquer la procédure à suivre, ni verbalement, ni gestuellement. Il indique à Nabidou ses erreurs en passant par la parole, ce qui est un premier pas par rapport à la situation précédente : « Non, c'est pas comme ça » ; ou lui indique dans quel ordre poser les crayon : « Non, c'est d'abord le rouge Nabidou. » ; sans lui expliquer la procédure que lui-même a suivie pour en arriver à ce résultat. Nabidou corrige de temps à

27Guichard, Daniel, « Le tutorat et l'effet tuteur à l'école élémentaire », Carrefours de l'éducation n°27, janvier

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autre la place des crayons en suivant les indications d'Oscar, mais joue plutôt qu'elle ne réfléchit, qu'elle ne travaille à la réalisation de la tâche.

On a ici plusieurs problèmes. Tout d'abord, Oscar n'a pas su remobiliser Nabidou, élève rencontrant des difficultés à se concentrer, en lui rappelant la consigne, l'objectif final. Plusieurs des fonctions d'étayage telles que Bruner les définit n'ont pas été mobilisées : l'enrôlement, la fonction primaire, condition sine qua non de la mise en activité du tutoré ; mais également le maintien de l'orientation - le rappel des objectifs, pour aider le tutoré à ne pas dévier de la bonne voie -, ainsi que la signalisation des caractéristiques déterminantes28.

Par ailleurs, l'aide fournie par Oscar est une aide peu élaborée dans le cadre de la description de Webb : les informations qu'il apporte à Nabidou sont de l'ordre du « coup de pouce », il s'agit de lui donner directement des solutions ou de lui indiquer des erreurs.29 On a

vu que ce type d'aide fonctionnait dans le cas d'élèves ayant une difficulté mineure, or ici, l'élève présente une difficulté plus importante, c'est-à-dire qu'elle ne connaît pas la procédure à suivre pour réaliser la tâche. Une aide élaborée faisant entrer en jeu des explications sur la manière de procéder aurait donc probablement été plus pertinente, et plus efficace.

Enfin, Oscar n'a pas su repérer les besoins de Nabidou : il ne comprenait pas ce que Nabidou ne comprenait pas. Il s'agit donc d'un problème de décentration, il y a trop peu d'adaptation du tuteur vis-à-vis du tutoré : Oscar ne parvient pas à identifier un besoin, une difficulté que lui-même ne rencontre pas. Si l'on s'en tient à la théorie Piagétienne, cela est tout à fait cohérent avec sa tranche d'âge.

• Le cas d'Idrissa, aidé par Augustin :

Idrissa, lui, a compris la consigne et la procédure à suivre. Il est cependant peu performant dans la mesure des crayons : cela lui prend beaucoup de temps, et il ne les positionne pas systématiquement à la même hauteur pour les comparer, ce qui fausse sa mesure. Augustin, qui a pour mission de l'assister dans la réalisation de la tâche, a beaucoup de mal à ne pas accompagner ses indications verbales par le geste. Il indique ses erreurs à Idrissa en les corrigeant lui-même :

28Bruner, Jerome, Le développement de l’enfant. SAVOIR FAIRE, SAVOIR DIRE, Paris, PUF,1983 (292p.)

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A – C'est lui le plus grand, tu les as pas bien mis à côté, c'est lui là. (place le crayon correctement)

On a ici toutefois une différence notoire avec le cas de Nabidou et Oscar : Augustin sait mettre des mots sur sa procédure, il sait la verbaliser. Il notifie à Idrissa son erreur dans la procédure : « tu les as pas bien mis à côté ». Augustin a donc su identifier quelle étape de la procédure n'était pas encore entièrement acquise par Idrissa : placer les crayons à la même hauteur pour les mesurer. Même si la formulation est un peu bancale et pas forcément explicite, on peut supposer que, accompagnée d'une démonstration gestuelle, elle soit compréhensible par un élève. Augustin serait donc, en théorie, capable d'apporter en tant que tuteur une aide élaborée au sens où l'entend Webb : il est effectivement capable d'apporter des informations sur la manière de réaliser la tâche.30

Cependant, il prend systématiquement l'initiative de corriger, ne laissant pas le champ libre à Idrissa pour lui permettre de rectifier lui-même son erreur à partir des informations qu'il lui donne. Or, pour qu'un élève assimile, s'approprie une connaissance, il faut le laisser l'utiliser, la mobiliser lui-même en l'accompagnant, afin que, par la suite, il puisse la mobiliser seul lorsqu'il en a besoin, ce qui correspond à la cinquième condition de Vedder du bon fonctionnement d'une relation de tutorat : l'élève aidé doit avoir l'occasion de faire usage de l'explication qu'on lui apporte par lui-même pour se l'approprier31. Ici, Idrissa ne peut pas

manipuler, car Augustin, bien qu'il explique sa procédure en passant par la parole, ne parvient pas à contenir son geste. Idrissa ne peut donc pas assimiler, s'approprier la procédure correcte, et reproduit cette erreur à plusieurs reprise sans avoir la possibilité de se corriger lui-même.

Augustin parvient donc, contrairement à Oscar, à se décentrer suffisamment pour comprendre une difficulté d'autrui que lui-même ne rencontre pas. Il sait également verbaliser la procédure qu'il utilise et est capable de fournir à un camarade une aide élaborée. Il ne parvient cependant pas à trouver une modalité de transmission de connaissances qui convienne aux besoins d'Idrissa.

On peut noter qu'Idrissa, ayant globalement compris la procédure à suivre pour réaliser la tâche, aurait peut-être pu se contenter d'une aide peu élaborée, si on lui avait juste signalé ses erreurs, ou corrigé l'une d'elles ; par opposition avec Nabidou, qui elle avait clairement besoin d'indications sur la manière de réaliser la tâche. Peut-être les binômes auraient-ils donc

30Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.) 31Ibid.

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mieux fonctionné si l'on avait interverti les tuteurs, je n'ai cependant pas eu l'occasion durant les laps de temps où j'étais en classe de reproduire l'expérience suivant cette modalité.

• Remarque :

Le binôme Aby-Clélia n'a pas été reconduit pour la deuxième expérience, car Clélia n'ayant pas une position d'autorité, Aby ne lui prête aucune attention. Aby a par ailleurs su réaliser la tâche seule, une fois encadrée par l'enseignante pour l'aider à gérer son comportement. Le besoin de cette élève pour pouvoir réaliser ce type de tâche est un cadrage, une aide à canaliser son énergie, ce que Clélia en tant que pair ne pouvait pas apporter à Aby.

1.1.3 Conclusion de cette première expérience

Je constate, dans cette situation d'interaction au sein de binômes hétérogènes telle que je l'ai mise en place dans ma classe, une grande difficulté pour les tuteurs à apporter de l'aide aux tutorés, et ce pour différentes raisons. Soit parce que ceux-ci sont désintéressés et ne s'impliquent pas dans la tâche - dans le cas d'Aby et de Nabidou par exemple ; soit parce que les tuteurs ne parviennent pas à saisir les difficultés de l'autre par manque de décentration ; soit encore parce qu'ils rencontrent beaucoup de difficultés à ne pas faire un usage abusif du geste, au point de supplanter l'activité du tutoré. Il y a donc une inadéquation entre l'action du tuteur et le besoin du tutoré.

Je reviens sur le premier point : certains tutorés ne s'impliquent pas dans la tâche. C'est là aussi une condition de la relation de tutorat fonctionnelle comme on a pu le voir dans la deuxième partie de cet écrit : pour tirer quelque chose de la relation de tutorat, l'aidé en doit ressentir le besoin, et avoir la possibilité de faire usage de l'aide apportée, condition ajoutée par Webb à celles de Vedder pour qu'une relation de tutorat soit efficace. Ainsi, le bon fonctionnement de ce type de relation dépend en grande partie du bon vouloir du tutoré. Aussi, on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux attendre que l'élève exprime une demande d'aide, ou aille chercher l'aide lui-même auprès de camarades, et ce même lorsque l'on constate une difficulté. Le fait que les élèves ne soient pas demandeurs de l'aide, et que cette interaction leur ait été imposée semble en tout cas être une des raisons de l'échec de l'interaction d'au moins deux des binômes observés. Ce constat m'a incitée à observer les

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situations d'interaction qui se produisent de manière spontanée dans la classe, sans que j'en sois l'instigatrice.

1.2. Interaction spontanée

J'ai pu observer à plusieurs reprises des situations d'interaction spontanées entre deux élèves permettant à un des élève de profiter des compétences plus avancées de l'autre pour progresser. Cela se produit notamment lors des temps libre comme l'accueil, avec les jeux de construction par exemple. Comme on le verra plus tard, cela a également pu se produire lors d'un atelier qui ne l'exigeait pas, et où l'activité était une production personnelle.

1.2.1. Situation 1 : Co-construction d'une tour en Kapla

Pauline et Abdelmadjid, tous deux en moyenne section, construisent ensemble une tour en kapla lors du temps d'accueil, avec des interventions ponctuelles d'autres élèves. Effectivement, lorsque leur tour devient très grande (plus d'1,30m), cela attise l'intérêt de l'ensemble de la classe, et deux autres élèves viennent très brièvement ajouter leur pierre à

La tour de Pauline et Abdelmadjid Pauline →

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l'édifice. J'ai tout de même considéré cette interaction comme étant au sein d'un binôme hétérogène, car les interventions des autres élèves ont eu peu d'impact sur le travail de co-construction de Pauline et Abdelmadjid, parce qu'elles étaient relativement courtes, et qu'il s'agissait juste de rajouter quelques kaplas à la tour.

Transcription de l'interaction entre Pauline (P) et Abdelmadjid (A) P – Abdelmadjid casse pas faut pas casser. […] Moi je règle ceux qui sont mal mis.

Pauline repositionne des kaplas posés trop près l'un de l'autre, afin de stabiliser la tour.

P – On va la faire très grande, encore plus grande que la maîtresse ! […]

Abdelmadjid pose deux kaplas très proches l'un de l'autre.

P, agaçée – Non Abdelmadjid pas comme ça ! Comme ça, regarde, comme ça... (écarte les kaplas)

Abdelmadjid observe, et posera ses kaplas de manière moins resserrée sur les paliers suivants.

[…]

A – On va la porter là-bas.

P – Faut pas la porter sinon elle va se casser. [...]

P – Là il faut prendre des chaises parce qu'elle est trop grande.

Lorsque l'enseignant annonce la fin de l'accueil et demande de ranger :

P – Vas-y Abdelmadjid on casse, tu casses en bas. A – On casse tout !

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Pauline prend ici spontanément et de manière implicite le rôle de tutrice : elle est de manière générale plus compétente qu'Abdelmadjid sur les jeux de construction, à plus forte raison sur les kaplas. Les interventions correspondant à un apport d'aide semblent être à sens unique, car si les interventions de Pauline, tant verbales que gestuelles, se veulent modélisantes et semblent influer sur les actions d'Abdelmadjid, l'inverse est peu voire pas observé.

Pauline remplit de manière efficace de nombreuses fonctions d'étayage telles que l'enrôlement, le maintien de l'orientation et la gestion de la frustration telles que Bruner les décrit32 : elle remobilise constamment Abdelmadjid, encore petit dans son rapport au jeu, qui a

du mal à se concentrer longtemps sur une même tâche, et qui a très envie de casser la tour. Il n'en a jamais construites de très grandes seul, soit parce qu'il ne positionne pas ses kaplas de manière suffisamment stable pour construire une tour stable, soit parce qu'il prend plus de plaisir à casser qu'à construire. Il arrive donc ici à une production bien au-delà de ce qu'il est capable de faire seul. Pour le remobiliser dans la réalisation de la tâche, elle lui rappelle l'objectif dès qu'il semble le perdre de vue, submergé par son désir de casser la tour, donc de manière assez fréquente : « Casse pas faut pas casser » ; « On va la faire très grande encore plus grande que la maîtresse ! » ; « Faut pas la porter sinon elle va se casser. » Ainsi, elle parvient à remobiliser Abdelmadjid sur la tâche, et celui-ci parvient à ne pas se lasser et à maintenir sa concentration.

Parallèlement à ces rappels constants à la finalité de la tâche, Pauline prend sur elle de réaliser les parties de la tâche trop délicates pour qu'Abdelmadjid puisse les réaliser lui-même, par ce biais elle pratique donc également une réduction de la tâche, autre fonction d'étayage définie par Bruner. Ainsi, elle récupère les kaplas tombés dans la tour, et replace certains kaplas positionnés de façon un peu incertaine par Abdelmadjid, de sorte à stabiliser la construction. Afin que la chute éventuelle de kaplas ne gâche pas l'intégralité du travail, elle prend même l'initiative de temps en temps (tous les cinq à dix paliers) de boucher la tour en posant cinq kaplas à plat de sorte à former un plancher. Elle simplifie donc la tâche à Abdelmadjid, et fait en sorte que ses erreurs ne soient pas un frein à l'avancement de la construction, ou qu'elles ne mettent en tout cas pas la tour en péril.

Pauline apporte également à Abdelmadjid une aide dans la réalisation de la tour en lui présentant des modèles d'actions efficaces, ce qui correspond à la sixième fonction d'étayage, 32Bruner, Jerome, Le développement de l’enfant. SAVOIR FAIRE, SAVOIR DIRE, Paris, PUF,1983 (292p.)

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la démonstration : elle lui montre, de manière consciente puisqu'elle le somme de regarder, comment poser les kaplas pour que la construction soit stable. Il s'agit d'un situation d'imitation, mais initiée par le tuteur dans le but d'être modélisant : « Non Abdelmadjid pas comme ça ! Comme ça, regarde, comme ça... (écarte les kaplas) » Cette intervention tient donc de l'aide élaborée, puisque le modèle présenté par Pauline apporte des informations sur la façon de construire une tour stable – de manière générale et pas uniquement dans ce cas précis – et sera par la suite réinvesti par Abdelmadjid33.

Enfin, j'ai observé un autre type d'intervention de la part de Pauline envers Abdelmadjid, qui tient en quelque sorte de la récompense, de la valorisation du travail fourni. Effectivement, de façon surprenante, Pauline, qui adore elle aussi casser ses constructions lorsqu'elle les réalise seule, laisse ici le soin à Abdelmadjid de détruire la tour ; elle lui demande même explicitement de s'en charger : « Vas-y Abdelmadjid on casse, tu casses en bas. » On peut y voir une valorisation du travail fourni par Abdelmadjid, une récompense pour la concentration qu'il a réussi à maintenir jusque-là : Pauline a très certainement ressenti le désir d'Abdelmadjid de casser la tour, puisqu'elle a mis tant d'efforts pour l'aider à réprimer ce désir. Comme pour le féliciter d'y être parvenu, elle prend sur elle pour qu'il puisse satisfaire ce désir qu'il a contenu si longtemps.

1.2.2. Situation 2 : imitation lors d'un travail plastique en autonomie

Suite à la lecture d'un album sur le thème de l'eau et de ses usages34, quatre usages

principaux de l'eau ont été dégagés par les élèves : l'eau sert à boire, à faire pousser les plantes, à (se) laver, et à vivre pour les animaux aquatiques. Dans la séance dont il est ici sujet, les élèves devaient illustrer chacun un de ces usages en s'inspirant des illustrations de l'album, et avaient été répartis en quatre groupes hétérogènes selon l'usage de l'eau à illustrer. L'activité était donc une activité personnelle, autonome, à savoir la réalisation d'un dessin au feutre noir fin, puis sa mise en couleur au pastel sec (voir annexe 3).

L'interaction ici observée, tout à fait spontanée, implique deux élèves de grande section ayant un écart de compétence important dans le domaine concerné, c'est pourquoi je l'ai classé dans la catégorie des binômes hétérogènes, bien que l'élève qui apporte de l'aide à l'autre n'en

33Baudrit, Alain, Relations d’aide entre élèves à l’école, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2007 (160p.) 34Brière-Haquet, Alice, Zébulon et la pluie, MeMo, 2015 (32p.)

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soit pas du tout consciente, et que tous deux aient été entourés d'autres élèves réalisant la même tâche.

L'élève qui occupe la position de tuteur, Clélia, a de très grandes facilités en dessin, mais aussi en arts visuels de manière plus générale. Elle sait représenter ce qu'elle veut de manière très lisible avec une véritable recherche du détail, et montre en outre beaucoup d'application dans ses choix esthétiques, et ce avec tous les supports et matériaux proposés jusqu'ici. Dans le cadre par exemple d'un travail de dessin au crayon de couleur, où les élèves devaient créer des personnages pour un livre, elle a représenté non seulement les chaussures du personnage, mais également les lacets et les semelles de celles-ci, dans une couleur différente. Un autre de ses personnages porte une robe à damier, avec une alternance de couleurs. Le motif de damier dépasse de la robe ; Clélia a déclaré avoir dépassé volontairement, car « sa robe est en laine. » (voir annexe 4)

Idrissa, lui, présente de grandes difficultés en dessin. Il manque par ailleurs cruellement de confiance en lui, et face à une activité qui lui semble difficile, il se bloque, se met parfois à pleurer, et refuse de la réaliser. Ses dessins sont beaucoup moins détaillés que ceux de Clélia, avec une intention encore principalement représentative, et peu de recherche esthétique au niveau des couleurs, des détails. Dans la même activité de dessin, on remarque que le schéma corporel n'est pas aussi développé. L'ensemble du torse est représenté par un ovale, le nombre de doigts n'est pas toujours bon,... Les vêtements ne sont pas représentés, pas détaillés (voir annexe 4).

Assis côte à côte lors de cette activité, pour illustrer que l'eau est nécessaire à la vie des animaux aquatiques, on assiste à une interaction spontanée ne présentant aucune

Figure

Tableau 1: Difficultés rencontrées par les élèves tutorés

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