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LITTERAIRE AU
CAN~DA,
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' '''~'t(1'850-1890)
FRANCAIS
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'PAR
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REJEAN BEAUDOIN " o rTHESE PRESENTEE A LA FACULTE DES ETUDES SUPERIEURES
~ET DE LA RECflERCHE DE L'UNIVERSITE McGILL ,
- POUR L'OBTENTION DU DIPLOME DE PH.D.
DECEMBRE 1981
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Réj ean BEAUDOIN
Ph.D. 4\,.
Département de langue et littérature françaises
, i
Messianisme littéraire au Canada français
(1850-1890)
ill
il
il 1 1 < , ,j'Cette étude prend pour objet la littérature
canadienne-fran~aise du milieu du XIXe siècle considérée sous un angle qui en
ma-nifeste l'enjeu fondamental: il s'agit en effet de l'analyser à partir de l'idee même qui constitua d'abord la genèse du projet d'une
littéra-ture nationale, soit le messiantsme. Notre recherche consiste à
appli-quer sur un corpus assez vaste les principa~x concepts mis à jour par
la sociologie des religions dans l'étude'des mouvements millénaristes
historiques et contemporains.
,
Les premiers chapitres de no~re ouvrage trkvaillent à conso-lider les sources de la mission providentielle du peuple
canad1~n-"
fran~ais dans la grande tradition 'catholique de la littérature françai-se : Bossuet, de Maistre, Chateaubriand, Rameau de Saint-Père sont les
maîtres ~ penser de nos auteurs. Dans un second temps, nous tâchons
c
de reconnaître la maturation d'une tradition intellectuelle locale à
travers diverses productions idéologique~ qui commencent par nier la
spécificité d'un espace propre à la littérature avant de la manifester. Enfin, nous étudions, toujours à la lumière des-catégories d'un même
concept, les grandes oeuvres' (proprement littéraires cette fois) de la
période: Fréchette, Casgrain, Taché, de Gaspé, Gérin-Lajoie, Buies.
Les résultats de l'enquête ,permettent d'éclairer dans une
;,;>
perspective globale l'ensemble des questions qui se sont depuis toujours' f
,
~---~---~---posées à notre littérature, ~n rattachant celle-ci. au devenir
problé-< ( ,
matique de toute ~e'Asociétê.
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l-f 1 iLiterary Messi4Jiism
in
Frenth Canada'\. , (1850-1890) , '.by
R~j ean Beaudoin ,1
(Département, de langue et littérature françaises)
Abstract
.
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The subject of this study is French-Canadian literature of
\,
t1'\~ middle nineteenth century. This s~dy effectuates à.n analysis starting with the very idea which constitutes the genesis of this
na-r' tionaI li terature, tnat is, Messianism. This resf:}arch ,consists of applying on a vast corpus of writing the principle concepts developed
\
by the~soci01ogy ~f religions in the sttidy of historiea! and
contempo-, rary Millenarist movements.
The first ,chapters consolidate the sources of the providen-,
F;-
cial mission of the French;-Canadian pe~p'le wi thin the greater Catholic tradition of French literature. Bossuet, de Mais~re, Chateaubriand,(
;
Rameau de Saint-Père were the thinkers who aroused interest among the writers of French Canada, and are thus ,subject of consideration.
The seeond part of this study att,empts to acknowledge the: ripening
of
a local intellectual tradition, br considering diverse ideological':'writings which startedbr
denying the sp~cificity of lite-rature', beforê e"entually JDanifestingana
inêorporating literary quali-ties.,
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Finally~ a study based on same
":cep~eXahlnes' w~rks
of th:period by Fréchette, Casgrain, Taché, de Gaspé, Gé~n-Lajoie and Buies;
wo;ks that lre clearly literary in nature. "1
The results of this study clarify within a global perspective
..
'the set of questions which have always been posed about French-Canadian literature while at the same time,connect literature to the development problems of this society.
•
•
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Introduction Chapitre 1 Chapitre II Chapitre III Chapitre IV , Chapitre V Chapitre VI1
TABLE DES MATIERBS
...
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...
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- L'Ecole catholique française ou les sources de notre histoire
providentielle ... , .... , ... , .. , .. .
La France et l'Amérique du XIXe siècle (points de vue de
visi-teurs étrangers sur.une ancienne P
colonie française) ... f • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
- La mission du Canad~"français - Le messianisme littéraire
(doctrines de la mission sociale
des écrivains) ... ,., ... ', ... \' .
- L'Epopée du Nouveau Monde
\
- Le héros légendaire ou le \~essie
. (étude dl un ~orpus mixte : \ le
romaJl) ...•...••.•...•.. ConcI u;;ion
...
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,... .
• Î \~ • BibliograPhi;\' ... ' .... ' ...• : ... ' ... : .•.. . . ' -\\ 'i
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Table àIlalytiqu . . . , ... '.' \\
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h , ~. ~~-. t', " , , '
\
L'a l i tterature ne va jamais de soi
d'un grand nombre de forces dont elle a~ar elle-même trop tendance à
" , .
s'abstraire par une pente irrésistible de son développement. L'mle
des intuitions premières qui nous ont conduit à poser la question qui
fait Vobjet de la présente recherche. c'est que 1'{arrrpHt.lIàe/ des
mou-vements historiques ompris par la ~otion de messi~nisme constituait
une dimensio~ entrale de la dynamique socio-culturelle de l'Occident.
Ce n'est qu'au terme cependant d'un assez long cheminement que nous
" est apparue la série des questions ~~L pourraient être posées au
cor-"
pus littéraire canadien-français dans la consideration globale d'un semblable champ de recherche.
.)~
Les pages qui vont suivre et qUl veulent introduire à notre
étude se proposent trois tâches preliminaires d'abord revoir
briève-ment l'usage du concept de messianilme chez les principaux auteurs qui
ont eu recours à ce concept dans l'analyse de la culture québécoise;
en second lieu, situer notre propre problematique dans la.perspective
élargie d'une acception anthropologique de ce concept; enfinl
délimi-ter dans ses grandes lignes le corpus que nous allons étudier en expo-sant la méthode et les objectifs de notre travail.
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1. L~ construction du concept
-La première observation qui s'impose, à propos de
l'appari-tion du mot messianisme dans le contexte de la réflexion sur la
soci-été canadienne-française, touche au vocabulaire: il s'agit du
rempla-cement du ~ot mission, très répandu dans le discours ideologique du
nationalisme traditionnel, par le concept de messianisme qui sembl~
.
marquer le début d'une pensée critique soucieuse d'interroger le sens
"
de ce~atriotisme au moment où il est devenu ~vident que ce discours
se dégradait en rhétorique. La vocation nationale du peuple
canadien-français est ijn,lieu'cornmun de toute notre culture de 1840 à 1930.
Î \
~'usage du concept de messianisme pour décrire et analyser la sociéte
\.
J
qui a \vécu sous l'empire d' Wle superstructure schématisee par l'idéal
d'une t~lle mission, représente la remise en question radicale des
vaieurs et des attitudes fondamentales de cette société. On pourrait,
à première vue, croire que le
meèsianism~
a fourni le~adre
théorique d'une sociologie original~. capable de rendre compte de l'ensemble du fait historique et culturel de l'espace canadien-français. Il n'enest 1'ien pourtant et l'étonnant est bien que l'intérêt d'l.Dle telle
direction de l~ recherche soit resté inexploré dans notre sociographie
• \.1[
aussi bien que 'dans ~otre historiographie. A l'évidence de l'objet visé l correspond tout d
'ab~rd
l.Dlc';~tain
vide de l'instrumentation---
.---~--l"Le mouvement littéraire québécois est nat~urel1ement -;01'f~té vers la religion, ecrit Léopold Lamontagne, une religi un/peu spéciale, tendue vers les fins dernières, qui se pr nj avéc des morts dans les cimetières où brillent les feux- ets. J4 L~ clergé et le la~cat insistent sur la mission spirit e du peuple canadien-français. On s'en prend au matérialisme ricain qui n'a pas cette richesse de tradi tions à offrir." , es courants idéologiques dans la l i ttératuli'e
canadienne-fran~ du X~Xe :iècle", dans RBaheI'o1ufs sodo"g'r'aphiques,
vol. 1, nos hZ, P.U.L., JanVler-aoQt 1964, p. 108)1' .
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~alytique et c'est à p~ine si
\,'--qui traitent effectivement de
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nous pouvons compter que lques textes phénomènes propres à notre contexte socio-cul,turel dans l'optique du messianlsme. Cette lacune a-'t-elle un sens en elle-même? Mais commenço~s toujours par rendre compte du dossier.
L'historien Michel Brunet est sépls doute le premier à âvoir utilisé ce concept dans tm article célèbre intitule : ''Trois dominan-tes de ~a pensee canadienne-française : ~lagriculturisme,
l'anti-l
étatisme .et le messianisme", publié en 1958 dans La.Ft>.ésenae angZaise-,
et "les Canadiens2• L'auteur avait déj à abôrdé la quest~n en
commen-tant les "prop~~~es" d~_ l'illustre Arnold J. Toynbee qui venait d'édire dans quelques-tms des 10 volumes de sa synthèse monumentale,
A study of History 3. que l'avenir du monde appartenait aux Canadiens
) ) français, en 'Occident, et /lUX Chinois, en Orient. CÎétait confirmer,
1
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/./<~,< de la t'part d~~ut~rité d' audience m~ diale, en plein milieu du XXe (
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siècle/thès~~eligieuse
de tous nos écrivains du XIXesi~c1e.
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Toynbee accorde par ailleurs une place importante à l'histoire~ religieuse dans l'élaboration des visions générales qui 'ront l' obj et
'\
de son travàil et Michel Brunet ne manque pas l'occasion de rappeler
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que c~hpoint de vue n'est p?-s étranger à quiconque s'est, si peu que
~
ce soit, intéressé à l'historiographie canadie~ne-française. Sans
mettre en question directement la valeur de
tel~s
entreprises géné-ral'isatrices, ni le talent du grand écrivain britannique, le2Montreal. Beauchemin, 1964, prem~ere ticle se trouve aux pp. 112 à 166.
a6 vol. Londres. New-York et Toronto, 1934 à 1939.
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édition 1958/323 pages.
L'ar-1948, première
é~it~on
parue de\ \ 4 \ 1 1 ,/
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~ ',y' C' , <commentateu~ qySbS~ois n'e~itue
pas moinsce~discours
hors de ·toute compétence historique. 'L'auteur du passage que l'on va lire ne fait/
plus de l'histoire, il Scrit la'métahistoire, autant dire qu'il
pro-• ~ p
phétise et que sa parole ne peut pré~endre à rien q~i s'approche ici
de la vérité historique :
.)
1-,
Si l'avenir de l'humanité dans un monde unifié est appelé, dans son ensemble, à être heureux, alôrs je prédirais que demain réserve un grand rôle dans l'ancien monde aux ,Chinois'et, sur l' 1: le de l' Amériq~e du' Nord', àtlx Canadiens françai's • Quel
ciJe,
soi t l' av~' r du genre hu-main en Amérique du Nord; j' aJ la convictionque ce~ C~adiens de lafigue fran aise, en tout
cas, prendront part ~ux derniers événements de l'histoire\ ,C ... ) " 0
Aujourd'hui, l'unite du monde peut fort bien être (comme à d'autres époques) l'oeuvre des habitants de pays qui n'ont pas eu un passe très glorieux. Si les grandes puissances s' en-" têj:ent à demeurer attachées à leur vieil ,idéal
~tionaliste - maintenant démodé, les peuples
pour qui le nationalisme ~ta pas été une heu-reusè expérience pourraient ,pien être les seuls
5
~ sapables d'apporter au mQ~de la splution origi~
!(îlale dorit':-,H a besoin. ~'imagine que le peuple ________ ---. ,de' l' aveni~dans les Am~rique'S pourrait bie\!
,.___---être le peu~le~canadien~français; et en A~ie~
les Chinois . 's. \
La voix de l'historièn parle .~ci en mora~te, elle prétend dégager
q// les leçons qùe l~ peuple devrait apprendre à tirer de" l'histoire.
Michel Brunet ne partage pas cet ~ptimisme naU qui lUi" rappeïe sans'
!+C~vifi2ation
01'f" Tr>i-aZ,. p.l6I,~.
Çitêp~;r
Michel Brunet, dansCana-d'Lans ~tCa:nad'Lena, Montréal,--Pides, 195~. p. 77.
~ ,
.
\~"--,S"liistory Plarns Modern Man.'..., W'opZd Review, mars 1949, p. 12.' Ci té par Michel Brunet dans
canadians
et Canad{ens. pp. 77-78.l'
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1.
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J
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( ;s. t· ,. ,doute trop le patriotisme de nos professeurs de mystique nationa~.
C'est donc le point dé vue anti-natiorlaliste du libéralisme anglais ,
qui serait re~ponsable de c~t~è predilection curieuse pour les
Cana-"'1""
diens français.' Toynbee inverse ou revise le jugement de Durham.
réplique : c'est, Durham qui avait rai,son, c'est Toynbee qui
Il faut demander ses raisons au
prophêfi;--~~-
"-Brunet
ment.
Est-il possible
détO~avOir
pourquoi le \métahistorien Toynbee nous apprécie
~
(
r
tant? Cet ardent admirateur de l' Em- c,
pire britannique et ce contempteur du nationalisme contemporain nous consi~
dère comme le peuple colonial parfait. Voilà la raison profonde de son inté-rêt pour la nationalité canadienne-française. Nous avons;··selon lui, accepté la conquêtè-angiaise avec
satisfaction, sinon avec,~nthousiasme ..
C
... )
Il se réjouit de constater que nous n'avons jamà~s eu une pensée poli-tique nationaliste. Son rêve serait de voir tous les peuples nous imiter\ Si tous les groupes ,minoritaires '. si toutes les nations conquise~, si tous les pays colonisés avaient témoigné la docilité, la sownission, la "plasti-cité psychologique" des Canadiens fran-- çais, l_e bel éqpilibre du XIXe siècle, sans aucun doute, se serait ~intenuau profit des 'anciennes puissances impérialiste,s6.
commence à transformer ouvertement la société québécoise de-· 'puis lors ne laisse plus beaucoup de place aux prédicateurs de notre
grande mission. - La théorie de Michel Brunet contredit
ca~ément
le;/
/ métahistorien~ nombreux qui ont rempli)r
leur discours'notre culture \6Michel Brtinet, Canadians et C~ien8, p.p. 81-82.
1-- ~
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(
\
\)
. \
~raditionnelle. L'historien nationaliste s'inscrit en 'faux contre
cette version
d~j~Cienne
'd'une histoire qui nous assigne~
destin providentiel.\
\
\Quant aux Canadiens français, ils se ~
,sont ~puis~s à r~futer les jugements qae compatriotes et étrangers portent sur eux depuis bientôt deux cents ans.
e ... )
Cet état permanént de défensivea d~veloppé chez eux une tension
émo-tive qui les a rendus particulièrement susceptibles. C ••• ) Ces exercices d'apologétique nationale ont même
de-velopp~ chez plusieurs générations un~
curieux'complexe de supêfiorit~. A
l'~poque du romantisme canadien, toute
une école d'historiens, d'essayis~es,
de poètes et de littérateurs, dont l'influence s,e prolonge jusqu'à nos jours, expliqua doctement que les Canadiens français avaient des innéités particulières, qu'ils n'étaient pas
ëomme les autres hommes, qu'ils avaient
Un
destin spécial en terre d'Amérique,qu'ils formaient une civilisation,com- ", plémentaire de la civilisation
anglo-canadienne.
Les Canadiens français crurent en la psychologie des peuples et s'appuyèrent sur cette prétendue science pour expli-quer leur évolution historique diffé-rente de celle de leurs concitoyens anglosaxons. Leurs faiblesses devin-rent des qualités et leurs
insuffisan-~ . ces, des signes secrets de prédestina-' tion. Quiconque mettait en doute la ' superiorité, la vertu et le génie de la nation canadienne-française fut anatMme. Un nationalisme messianique
et romanesque donna naissance à ml
patriotisme sonore et impuissant 7.
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,
\
7Mi~1 Brunet, "Tro~ dominantes de la pensée canadienne-françaisè
, .11 agricul turisme, l' ânti-êtatisme et le messianisme," dans : La
Pr~8enee ang~aiee et Zee canadiens, Montréal, Beauéhemin, 1964, lere
, éd'. 195'8, p.p. 117 à. US. '1)
\
\ " \ 7 >, \ ~_.,\
\
\,
(
...
A cette vision prophétiqu~ de notre avenir missionnaire. Michel Brunetl
subs~itue
l'image du rapportde
force! que voilait le point de vue reli- iJf
gieux de nos élites bien-pensantes. C'est donc logiquement l'histoire
- "
de la Conquête, c'est pour mieux dire l'histoire refaite du point de
vue de la Conquête que propose J'oeuvre de Michel
Brun~t,
enremplace-l ,
ment de l'histoire messianique construite au XIXe siècle. La grande > r'
~écouverte de ce)xenversement, c'est le rôle dominànt de la bour~eoisie
J
et ~e spectacle de la domination des uns sur ies autres. Là où nous n'avions vu, qu'un peuple êl,u marchant sous l'oeil de Dieu, nous voyons
apparaître le jeu de la guerre, de la pOlitique,' de 1) économie. Cette
évolution n'est pas propre au travail de Michel Brunet, bien que les
textes que nous venons de lire soient d'une rare clarte dans notre
production i~tellectuelle. Mais ils sont aus~i J'indice d'un change-' ment qui marquera une école, c'est 1"ébauche d'un mouvement qui
em-brasse la soclographie. L'etude de la société québécoise du point de
vue de ses rapports de force internes viole $e ~ême article du credo traditionnel : une ?afion prédestinée est homogène, elle ne cannait
,
l
pas d'autres divisions internes que l'acceptation ou le rejet du plan
providentiel qui la définit.
r;e 1930 à 1960, la société
qUébécOise~ransforme
sans doute plus rapidement qu'au cours de tout le siècle qui a précédé.Cette période d'accélération, que
- - .--- ~--- )
la notion
de
tattraPfage,8 changed'auCUns ont justement décrite par
\;;
même le sens des mots. Les nouveaux
8Voir Marcel Rioux,. "Sur 1 f évolution des idéologiet au Québec," dans
la Revue de l'Institut de Sociologie, I, Bruxelles, 1968, p.~. 95 ~
124.
{
<.>\,nationalistes n'ont appareDDllent rien gardé de tout cil qui faisait pour
leurs predecesseurs le contenu même ~e l'ide~ de nation. La foi
catho-"
1ique, qui avait toujours constitue l'élément essentiel de cette idée
1
au Canada français, semble exclue du Québec separatiste qui s'affirme
au'milieu du
xx
e siècle. Daniel Latouche a exprimé les principales dimensions de ce phénomène dans lm artic~~ aus~r-savant qu'intuitif"Anti-séparatisme et messianisme au Québec depuis 1960"~. Tout se passe comme si ceux qui s'opposent à l'émergence de ce neonationalisme québécois devaient pa~ le fait même, s'employer à' réactualiser la pen-sée canadienne-française du XIX~ siècle, mais projetée cette fois en
• direction du rêve pBl1-canadien. Le Canada proll:mge alors le a:ôle
mis-sionnaire que récuse de plus en plus le Québec d!après
1960.
Les idées .... ..:"politiques qui remplacent au Québec l'idê~l mystique de naguère sont
issues d'une genération de fils révoltés et d'enfants rebelles à la
1
patrie, du moins si l'on en croit la pensee des nouveaux prédicateurs.
Le grand Etat qui s'étend ~'un océan à l'autre rapatrie les généreux idéaux de partage, d'humanisme et d'universalité. Le libéralisme a
~
enfin pris sa revanche sur le conservatisme religieux, mais' c'est en
parasitant ~on discours qu'il s'est construit entre les deux guerres
,.
mondiales, établissant aux 'dépens dell'Eglise le nouvel ordre la!queC ~
et démocratique de l'Occident capitaliste et industriel. lln passant
l'!i
, --~e la campagne à la ville, le Québec n'entend pas refuser (comme
na--~ t
guère encore) les nouvelles règles du jeu qui exigent, en tout premier
lieu, un Etat national ind~pendant. Le peuple élu qui I,'enonce à son investiture sacree aspire à rentrer dans ,l'ordre de la concurrence
9Revue oonadienne de science poLitique, vol.
JIl,
No 4, déc. 1970,p.p. 559 il 605.
9
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(
(
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normalis.trice,~ut
quitter la metahistoirePJ~
l'histoire, ilassume enfin la logique du conflit. Toutes proportlons gardées, bi~n
sOr, l'episode de la conscription est notre exode et ~ separatisme (l',
y repond comme un sionisme,,' Dans cette optique, nos messianismes
j
D
d'antan deviennent les fédéralismes d'aujourd'hui (statuquiStes ou
,
.
renouvelés). Telle est en gros la thèse de Daniel Latouche. Elle.,. .<1
s'~ppuie sur l'analyse des idéologies qui permet de rapprocher, sans
nécessairement gommer les différences, les messages de tous ceux qui
nient plus ou moins radicalement toute affirmation québecoise de
l'in-dépendance politique. Laurendeau. Dion~ Pelletier, Trudeau, Ryan font
le pont avec Lionel Groulx, J .-C. Harvey et Philippe Masson.
A l'occasion, l'anti-separatisme reprend, dans un vocabulaire identique. plusieurs des thèmes favoris de ce messianisme tra-ditiolUlel. Ainsi pour Trudeau, être
fran-.l çais, "e' est refuser les idée's toutes faites, c'est battre la marche, c'est ris-quer, quand l'entourage hésite, c'est' foncer vers le lendemain". Tout come pour les nationalistes traditionnels, les anti-séparatistes possèdent une vision
quasi-nle~~chéenne de la collectivité
canadienne-française, capable de boule-verser tous les obstaèles au point où "le reste du pays sera saisi d'admirationll
•
Les appels à la croisade fourmillent et l'on trace au Canadien français le destin de reconquérir le Canada, non par le s~g
et les armes, mais par la vigueur de sa pensee et }" originali té de son action ~ C'est donc dans la direction qu'il propose, que le messianisme a change de visage. Il ne s'agit plus pour un peuple choisi par Dieu de diriger l'Amérique du Nord sur la voie du catholicisme.w L'objectif s'est,
secularisé et universalisé à la fois. Il s'agit maintenant pour les Canadi~ns fran-çais'de devenir, pour tous les hommes, et non plus seulement pour les Nord-américains,
if
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-~,.
~~. t'(>--~ , 1 /le
prot~type
des civilisations de l'avenir •.On jette sur ses épaules, la tâche d f apporter,
à un monde dechiré par là haine et par les
guerres, les vertus' exemplaires de l'union, de la concorde et de l'amour. Ce n'est plus Dieu et la Providence qui parlent, mais
l'avenir de l'Homme. Son échec sera l'échec
de tous, car si cinq millions de Canadiens
français ne peuvent arriver à s'enten4te
avec quinze millions de Canadiens anglais
"à côté desquels ils vivent et dont lils
savent qu'ils n'ont genéralement-p,s de
puces", i l Y a peu d'espoir pour que Russes,
Américains et Chinois arrivent à coexister.
( ..• ) Cette vision messianique du rôle de la collectivité canadienne-française, chez
certains de nos anti~séparatistes" se
tra-duit dans une visiQn particulière et tout aussi messianique de'l'histoire même de cette société. Ainsi, ils considèrent la
période de l'après-guerre comme un champ
de hftaille où les forces du bien mirent-en échec les forces conservatrices du mal. .. (. .. ) Le combat contre Duplessis devient alors un autre de nos "fleurots glorieux". Les ,anti-séparatistes ont de l'histoire du Québec une vision épique et transcendantale dont ils viennent
progres-sivement à se considérer comme les héros10
I1 Y a dans cette analyse une ,:onstatation qui s,' appuie sur l'histoire
o
des idéologies qu~écoises.' On doit se souvenir, par exemple, de l'
in-fluencé du personnalisme chrétien sur ceux que Daniel Latoucqe appelle
ici les anti-séparatistesi.1• L'occupation de la France par l'Al,~~mà.gne
nazie et l'exp des intellectuels français ont préside chez nOUS à un
1 DDaniel
L~touch~,
IIAriÙ-séparatisme et messianisme auQ~ébe~
depuis1960," dans: Revue aanadienne de sdenae poUtique, vol. III, no 4,
déc. ~~70, p.p. 569-570.
1 1 Voir, André-J. Bélanger,
EUP~e8
etaonstante8~~Quatre
idéoZogies duQuébea en éa"Latement : La Relève" la. JEC" Cité Libre et Parti P1'i8~
Montreal, Hùrtubise lOOi (coll. "Sciences de l 'homme et humanisme"), '
1977, 219 pages. ~
"
11
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,.
(
(
(
\
certain renouvel+ement de nos mattres à penser pour la g6neration de
,
Cit€ Ubzte. Maritain remplace Louis Veuillot. Ce que souligne perti-nemment Daniel Latouche, ce sont les traits communs que partage
l'anti-séparatisme avec le messianisme tradition~el. Un portrait réduct~ur
de lfid~ntité canadienne-française y entraîne paradoxalement une
sur-estimation démesurée de la,place du Québec dans l'histoire du monde.
Cit€ Ubzte renoue donc J SOUS l'apparence d'une remi~, à j our de nos
idées nationales, avec la rhétorique ancienne : Q
(
Pour résumer, l'anti-separatisme, tout comme le nationalisme traditionnel, semble posseder une vision schizophre-nique du Canada français. Dans un pre-mier temps, ,on se platt à l'affubler, au niveau individuel, de tous les maux
de la terre: orgueil, jalousi~, paresse,
ignorance, totalitarisme; mais, ensuite, on croit reconnaître en lui, au niveau de la collectivite, toutes les potentia-lites du conquérant et du sauveur de l'Humanité.
A la lumière de la sociologie de l'uto-pie et de celle du développement, il est possible d'amorcer un essai d'ex-plication de la persistance, au niveau de la pensée globale du Canada français, de cette vision messianique, de cette oscillation constante entre l'auto-dépréciation et la folie des grandeurs. Oscillation que l'on retrouve tout aussi bien dans l'anti-séparatisme que dans
le nationalisme du chanoine Groulx12•
f
Latouche dévoile ainsi les contradictions de la pensée qui, vers1950, tent.e de réfuter le nationalisme traditionn,e1, mais pour en reproduire
".
inconsciemment les représentations essentielles ". Il propose d'en tirer
des avenues nouvelles pour la recherche, à partir d'une hypothese basée
l20aniel Latouche, "Anti .. séparatismel! etc., dans Revue canadienne de
scienae politique, vo,!. III, no 4, déc. 1970, p. 571.
c
\
(
13
sur 1a.sociologie de l'utopie: l'exploration et de
l'A-"-'1
m,érique ~atent de la Renaissance, époque féconde en croyances
,
On chercha alors non, pas lep~ofit au sens économique, mais le Pa dis ou l'Eldorado, ou encore les terres d'évangélisation découvertes par
les fondateurs,-de la
~ouvel1eJrance.
La transformation de l 'utopie~
~'.rl
[française en messianisme canad~en serait une 'consequence de 1760, date
à
pa~~tr
de laquelle III'utoPie\rêvée par les Français d'Amérique ,doitcéd~r le pas à celle des Anglais. ,,13 Mais l'approche de Latouche ne
\ ';,
,prétend pas clore la question, e~e v~se plut6t à l' él argir et c'est pourquoi il prop9se de recourir aussi à une sociologie du développement qui considérerait l ',idéblogie messianique non plus comme une utopie qui
"J
a échoué, mais plutôt ~o~e une réponse réelle, remplissant vraiment une fonction socio-poli tique :""
Le messianisme politique, que ce soit celui de l'anti-séparatisme ou du na-tionalisme tradi tionne1, n'est pas tant une fui te dans un monde imaginaire qu'une tentative de résoudre, au 'niveau mental, les problèmes t'oses par le con-tact avec une culture et une organisa~
tion politique différentes lit • ,
l30aniel Latouche, uAnti-sêpai'atisme" etc., dans Revue canadienne
de
8c:Ji~ce potit'ique, vol. Ill, no 4, 'déc. 1970, p. _572. Daniel
,La-touche ajoute en note (note 48, p. 572) : If Un historien américain
a suggéré que la victoire de 1760 marqua le début du millénarisme américain et d'une "conception of the colonies as a separate. chosen people, destined to complete the Reformation and ta inaugurateworld generation". '(E.L. Tuveson, Redeeme!' Nation: The Idea of Amenca'8
MilZeniaZ RoZe, Chicago, 1968).
l"Oaniel Latouche, "Anti-sepa;ratisme" etc., dans Revue canadienne de sci.ence politique, vol. III, no 4, déc. 1970, P.. 573.
1 i l
,
,
.'
)(
\.
,\
Dans cette optique, le
les prophètes de la mission providentielle e sont
,
des nouveaux acteurs politiques que sont les éparatiste mil"tants.
\
Dans une livraison récente de Contemporary Frenoh, C~ iZia
-tion, .Pierre Aubéry signe un texte à la fois plus ambitieux et
beàu-"1
coup plus 'rachitique sous le titre "Aspects du messianisme québêcois"16 •
Nous abordons ici le problème cie l'utilisation du concept de
~essianis-me en critique littéraire, question dont' l'auteur ne semble pas s'être
inquiété outre mesure, ce qui ne l'empêche ~lailleurs pas d1
interpré-~.
~ Ce qu'il peut y avoir de commun entre ces auteurs, pourquoi eux et nOn ter rapidement un vaste corpus qui va de Louis Hémon à Paul Chamberlana, en passant par Savard, Marcotte, Fernand Ouellette et Pierre Vallières!
(
.
~'tels
autres, ce qui permet de Les aborder tous sousl'an~le.
retenu pour~ur rapp~chement, rien de cela n'est très cl~ir aprè~ ,la~douzaine de
page~ mis~~ ~
reswner le-sè~
religieux de la tradition judéo-chrétienne pour en retracer l'expression chez les écrivains ~diéS. Aussin'est-ce pas la moindre lacune de n'est-ce commentaire apP~imatif que d'arriver
"
mal à se distancier de son objet : du psychologique au s9~iologique,
..
"
sans négliger le culturel, le messianisme que l'on retrouve en toutes
choses pourrait bien n'être aussi en aucune d'elles. < Cet empirisme
est peut-être nécessaire, mais il est preliminaire. Il néglige la
mé-o
thode. Il tait ses objectifs17• \
15Revue ccmadienne de soienae pOZitiqu,\' vol. IIr, no 4, déc. 1970,
p" 574.
16Contemporary Frenoh CiviZiaation,
vol.
IV, no 2, hiver 1980, p.p.221 il 236.
17Voir Philippe Ffaeck, "Le messianisme québécois ou ceci est une fic-tionlt
, dans Chroniques, Montréa~, mars 1977, no 27, p.p. 37 à 63.
14 , i i i ,; '1
(
(
/
Il n'en va pas de même d'un large secteur de la critique
"
qui a fondé sur une lecture hâtive ou implicite de notre méssianisme
une analyse socio~ogique de la production littérlire québécoise. Lai logique de l'échec que recouvrent toujours les phénomènes engendres
par le salutisme dissitllle un rapport de forces que
l'oeuvre'rêper-1
cute, sous les masques métaphoriques que constituent les formes
ver-baIes de l'expression. L'écriture est toujours médiatisée. Les,
genres littéraires ou les plus infimes ,
ecart~
du'stYlecodifi~t
ou déstructurent cette médiation.pref
les applications scolaires du postulat de Goldmann ont connu chez nous des fortunes variées. Nousn'en retiendrons ici qu'un seul exemple, mais de taille
institution-nelle et qui dit assez le statut d'une certaine orthodoxie
méthodo-logique qui n'est pas sans rappele~ n?tre attachement naguère au romantisme. Il s'agit de l'Introduction au très respectable
Diction-nail'e des oeuVl'es ri tt~roil'es du Québ ec. premi er v,\l ume, Des ol'igines
à
taoo.
que signe Maurice Lemire(
Ici comme ailleurs, des luttes idéo-1logiques mirent aux prises libéraux
et traditionalistes. Mais elles eurent, chei nous, cette singularité de donner la victoire aux derniers. L'histoire de ces luttes explique en partie l~êvolution de notre
littera-tureIB -
,.
~
Nous ne visons rii la rigueur de la 'méthode. ni l'ampleur de
l'informa-I
tion du professeur Lemire, mais nous constatons seulement que
l'inté-rêt littéraire des textes est posé dans un rapport de subordination
18rn,otionnaire de8 oeUVl'es Utt€l'ail'es du Québec, vol. l, des ol'iginês à 1,900, Montréal, Fides, 1978, p'. XVIII.
lS
t
•
1
à l'instance sociologique d'où procederait leur configuration dans ...
,.:1,
1 1J
l'imaginaire-. C'est en somme une tendance dominante de notre critique
.,
littéraire qui s'accuse dans ce choix. On ne s'arrêtfra pas ici à la question de savoir si la grille retenue doit être socio-critique,
-psycho-critique ou~ethno-critique, mais ch~un de ces cas appellerait
" .J l>
la même remarque: c'est qu'il semble impensable d'aborder la
littera--,
ture )1' mains nues pour le chercheur. La littérature ne va jamais de soi, avions-nous cOlJDUencf' par noter.
Dans l'ordre de, l'analyse textuèlle, les exemples sont
en-core plus rares (s'il se peut) que dans celui des études à caractère
théorique, s'il faut
~\Chercher
une démarche-critique-con~~quènte.
Nous rencontrons auS~Uil
de notre recherche une obse'rvationcqJe nousà loisir: beaucoup de discours, peu
d'ap-lications pratiques, peu de recherche organisee. Ce-n'est peut-être
q
que répéter la constatation de Gilles Marcotte qui, lorsqu'il se
pen-che sur notre institution littéraire, y remarque cette caractéristique
étonnante: l'institution littéraire québécoise précède les textes et
la doctrine nous tient lieu d'oeuvres originales
....
Il est permis de dire, me semble-t-il,
que ~eaucoup d'ouvrages littéraires
publi~~ au Quéfféc ne le sont pas en -vertu de leurs qualités propres ou
parce qu'ils peuvent se vendre, mais pour nourrir un appareil d'édition proliférant et servir "un impératif
idéologique fondé sur les valeurs de COlDJllWlaut é 1
9 •
19"Institution et; courants d'air", dans LiberU, Montréal, mars-avril
1981, no 134,. p. 11. Num~ro spécial consacré à l'institution
lit-téraire québécoise. . ...
16
--/
, "
1
. c:
s~:':ts familie~s;:l
toutob~ervateur
de
notre culture./~\onunes
enclins àsubstitû~t
desgén~ralitês
dogmatiques, à des,~ "
1
dénombrements partiels. En pareil cas, les analyses ponctuelles, les
l'
h' 1 . . f l ' E Ilmonograp (es scrupu euses ne sont JamaIs super ues. es nous
man-quent presque toujours. Signalons toutefois une amorce heureuse de
prudence critique dans l'excellent articl;'de Claude Filteau consacr~ aux romans de Jean Féron : "Les romans historiques de Jean Féron et
le messianisme canadien-françaisrr2o
• Le critique montre la réciPlio-cité des échanges entre l'idéologie dominante et la fiction dans un
espace
socio-culturel-pré~rs:-~
La littérature entretient certains rapports, nul ne songe
à le nier, avec diverses instances dont aucune ne saurait, fat-ce au
nom de la science, pretendre à la structuration exclusive du discours de l'oeuvre. Le concept de messianisme comprend une série de phéno-mènes très étendue au nombre desquels Il' est possible de compter un
large corpus littéraire. Qu'allons-nous (faire de et) faire dire à
cette instance symbolique d'un message qui circule également dans les
sphères du politique, du social et du religieux?
~
Nous tenons un
con---
---
---cept. Il importe 'mainteriànt de 1 i ins,cti,:re-dans--un'certain champ.
o
200ans Voix et images, Montréal, P.U.Q., vol. V, no 3, printemps 1980,'
p.p. 545 à 557. Q 17
---t-
-~--o \, 'I;" /' :' ! 1,\
\ ; i 1 1 J1
1 11
l '\ 1 l :1 1 , 1, A
i l ' 0
-2. L'exploration du champ
u
La litterature fait question et c'est la totalité du monde
qui s'interroge en elle, à moins que l'on préfère dire que la
rep!ê-sentation du monde cQmme un tout constitue la racine commune de toutes
~ "les questions soulevées aujourd'hui par la science: ce qui annule ou
,
"~'
(au nloins} modifie (pour le réduire) l'êcart:qui isolait jusqu'à
ré-cemment les domaines respectifs des sçiences exactes et des sciences
...
de l' honune .
"
'-'
Plusieurs chemins s'offrent à notre choix pour arrêter le
\
protocole de l'enquête que nous vou1ons\mener sur les textes
canadiens-français de la période étudi~e sous l'angle du messianis~e.
,,~
Et le
con-cept de messianisme l~i-même se trouve dêlimit~ aux corl~!ns de l'his-'fi'
taire, du myth~ et d'une sociologie de l'attenté 00 de l'utopie. Nous
pourrions. pour effectuer un premier dê~ayage. lever 1~ cart~
occi-)' 0:'
dentale du parcours judéo-chrétien, y repérer les traces concurrents
,-' f
de la tradition et du progrès, y suivre la marche:
.
inach~vée du sacre
-a.. , .,."'"
vers l'historique 'et l'apparition moderne de '~~ tais on dans la magie
~ ,
des rites anciens. Ce travail cependant n'est pas de notre ~essort21.
"f"
21an lira, par exemple : Mircea Eliade, Le Mythe de Tftéte:rnel retour,
Paris, Gallimard, 1969, 187 pages; Aspects du mythe, 1973, 247 pages;
Le Sacré et le pPOfane; 1965, 186 pages; Roger '~ai110is, Le MYthe
et <-l'horrme, Paris, Gallimard"1972, 183 pâge~; L'Horrrne et Le saoré,
1970, 246 pages; Roger Bastide, Le Sacré sauvage et autres essais,
Paris, Payot (''bib 1iothèque scientifiq\\e"), 1975. 236 pages; Henri Des roche,' Socio Zogies re Ugieuses, Paris, P. U. F. (tlSUP Le soda 10-gue"), 1968, 220 pages; Jean Servier, Histptr>è de 1.. 'utopie, Paris,
Gallimard (~idees nr~! #127), 1967, 376 pages; E.M. Cioran, Hi8toire
et utopie, Paris, Gallimard ("idées nrftt #383), 1977, 147 pagesjr
Gi~les Lapouge, Utopie et civil.isations. Paris; Flammarion ("Champsrr),
1978, 310 pages; Dominique Desanti, Les Socia1..istes de t'utopie,
Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1970, 324 pages; Jean ~aech1er,
Les Phénomènes ~volutionnaires, Paris, P.U.F., 1970, 260 pages;
Michel Serres, Le Pas8age du Nord-0ue8t~(Hermès V), Paris7 Les édi-tions de Minutt, 1981, 195 pages. f
... , ,
\
~\ ~ , " l la "\
(
.
'(
\
...
• 0 J 1 'r'( 1.J. /)
\ , " • Q ~Nous ne cherchons pas une définition théorique du messianisme, mais
1 , j
nous avons besoin par contre de retenir les éléments ,opératoires d'une
telle définition pour en tirer la méthode d'analyse du corPus
litté-raire ~ui nous préoccupe . Nous n' entendons/'pas soutenir une thèse en , /0 .
anthropologie, mais nous travaillons à ouvrir des pistes à
l'interp~é
-tation d'une litteratur-e nationale. Il s'agit donc d'abord d'ordonner
une série de questio~. Parmi celles-ci" beaucoup nous seront
four-" Q
nies paT la recherche sociographique et hïstoriographique qui fait
parfois son objet spécifique de l'ensemble des phénomènes comprise dans
l'aire conceptuelle du messianisme.
Michel Brunet, nous avions pr~s soin de le remarquer, ne
prise pas particulièrement la métahistoire qu'il reconnaît aux con-, '
cl
tours communs de nos anciennes thèses providentialistes et de celles
de l'écrivain libéral Arnold J. Toynbee. L'affirmation d'un destin
national dessin'ant 'O-a vocation historiqu~ de chaque peuple n'en'
cons-r-• ... ...::
.19
titu& pas moins une donnée universelle,
~ien qU:irrati~nnelle,
-de,~~
" l 'histoire de la pensée. La promesse ou l'annonce du Royaume, le,,# - "
sir intarïssable d'absOlU, c'est cela aussi que ~,Nico~as
Berdiaeff' ~ . nommemêtahistoif~
et qu'il définit' clmme la substanceontolOg~qUe
del'être historiqu~22. La mission
~pirituelle
des nations et l!fmperia-fondement métaplljsique de/-'" lisme civilisateur des Etats en appellent au
.1 'In
la réalité historique. Par là se
"
-..
\;
qu ',un depassement des souffrances
~~~I> • ..,. ~f~
, c~
-:. ,\ l ' '\
po~rsuit l'affirmation constan~e
~,
(
et des atrocités de l'histoïre reste
, 1
22
N
icolas Berdiaeff~ Le Sens de t'histoipe, Paris, Aubier éditionsMon-taigne, 1948, 221 pages. \ \ 1 l , , , ') ~ ~-i
"i
lx.{
( " (\
"-ouvert et pos~ible à l'hcrr'izon dé--i'hUmanité. Cet espoir cepend~t
-et il importe de le noter - c-et espoir n'a ù'égal que l'ironie cruelle
7
,
des démentis que l'histoire lui oppose, non sans substituer chaque fois à l'idéal attendu quelque grossière et monstrueuse déformation
~:\
dont l' asp?ct concret forme la t'rame réelle du dev:nir ~storiqUe.
Le processus de l'histoire repousse donc ~OUjo~~,~~e l'histoire
l'accomplissement différé de
s~
fin. Latendanc~Je~s
cetteinacces-1) •
sible fin, voilà le fait invariable de l'histoire. Parousie ou
apoca-lypse, apothéose au-delà ~~Iabîme, la symbolique est cohérente et
son message conjugue continuellement l'éternité glorieuse à la catas-trophe dè la fin des temps. Le christianisme lui-même n'a pu assurer,
...
sa propre carrière historique qu'en inversant, dès le rIIe siècle, sa
y- ~ ,
i ~
ferveur escnatologique en réalisme historique, sous It( règne de
Cons-taritin. Depuis lors, les croyances au retour ùu Fils de l'homme et
."
l'attente du second avènement ont alimenté les rbulences de l'héresie
fJ#j
."....
d'où se sont échappés les millénarismes po ulai es proliférant en
marge du discours théocratique de Rome. ~
.
~ \/
/~
Remettre ensemble des champs isolés du savoir semble une
tâche prerequise à toute théorie. La connaissance ne profite que du
rapprochement de ce qu'elle avait d'abord ten? pour des régions sepa-rees du savoir.
Mais alors, dira-t-on, que peuvent contenir de neuf ~s
nou-veaux\~~amp~ de recherche qui se sont partagé l'analyse des
(
7
) J
, 1
objet de èonnaissance1 Et que faut-il penser du fait que ces etude$
sont à peu près d~venues le priviJège du sociologue ou, pour mieux'
~
dire, d'une speciàlité même
-
à l'intérieur de la sociologiê? C'est ,l ,
en tâchant ,de recueillir des éléments de réponse à ees questions que
nous allonS maint'enant rendre compte des grands travaux effectues dans ce domaine par la sociologie des religions. Nous ne pretendons, bien entendu,"à aucune exhaustivité dans un tel' compte rendu. Nous ne
vou~ons(~~e
retenir les grandes lignes de ces recherches afind'en~
isoler les
con~s
qui definissent. l'acception ,hctuelle de ce qu'ilfaut entendre par les mouvements dits messianiques. En,quel sens
<
peut-on parler de messianisme à propos d'un corpus litteraire canadien-français chronologiquement déterminé? Sur quelle base peut-on formuler
des hypothèses in?isP7nsableS
~
l'analyse d'un tel corpus? En somme,1
que peut-il être dit de la culture du Canada français considéree sous
un tel angle d'~alyse? Voilà d9nc les questions auxquelles il s'agit
~bur nou~de trouver r~ponse.
Parmi les différentes approches qui s'efforcent de défini~
la racine cOmmÙne aux nombre~ phénomènes socio-historiques~que re~
couvre le mot messianisme, on peut sommairement distinguer entre les
pr~-scientifiques et les post-scientifiques. Entre les unes et les
.
~,~autres, la sociologie o~cupe assez exactement la zone du
centre,~'est-o
à-dire que c'est elle qui travaille le plus efficacement à réduire le
religieux à l'échelle des outils qui mesurent 'les forces-de la sphère
sociale. Les approches pré-scientifiques sqnt celles qui privilégient
~
le facteur spirituel et la manifestation d'qn élement transcendant
'.
(
••
J .
comme caractère distinctif des pheno~ènes etudies. La mission
natio-1 1 ~
na1e spécifique, la psychologie des peuples et l'historicisme
dérive-raient d'
me
concep~i.on pré-scientifique des messianismes. tes philo-sO:Pjaes de l'histoire du XIXe siècle en fournissent l'état desysté-,
matisation le plus avance.
Le
qualificatif de pré-scientifique n'a.rien ici de péjoratif, i l ne veut opérer qu'une division générale dans
le corpus des théories se rapportant au concept de messianisme pri~
dans sa plus large acception. D'ailleurs il n'y a pas nécessairement
.
,solution de continuité dans le discours entre les approches
pré-scientifiques et les analyses sociologiques, la différence se situant
.
beaucoup plus du côté des méthodes. Les textes majeurs de l'approche
or
pré-scientifique se trouveraient essentiellell}ent dans les oe\:lvres de
Jung 1 Keyserling, Benda et Berdiaeff23. A l'autre extrémité de la
réflexion sur ce sujet~ nous trouvons les auteurs qui extrapolent l'en-semble des données disponibles pour tenter de constituer une nouvelle
~ . ~
science faite d'un
~11iage methodo1og~que
pluridisciplinaire. C'est,;
peut-être une voie qui poursuit la route du positivisme. Un exemple
recent en a été fourni par le livre de François Laplant~ne. Les trois
vo~
deL'imagi~i~e~
LeMe8siani8me~
LaP088ession~
ett'utopie2~,
23ün lira, entre autrès, C.-G. Jung, Aspeots dU drame oontempo~ain,
Genève, Librairie de l'Universite Georg
&
Cie S.A. - PAris, éd. Buchet-Chastel, 1971, 268 pages; Hermann de Keyser1ing, Analys~spec~aLe de 'l'Europe, édi tionJ; Gonthier (''Médiations''), 1965, 345
pages; Nicolas Berdiaeff, L'Idée PU8se - ProbLèmes essentieLs de
La pensée russe au XIxe et début du
xx
e siècle, Marne, 1969, 274pages; Julien Benda, Esquisse d'une-histoire des Fraru;ais dans leur
volonté d'être une nation, Paris, Gallimard, 1932, 270 pages;
Alexandre Koyré, La Philosophie et Le problème national en Russie
au début du XIxe siècZe, Paris, Gallimard ("idées" #349), 1976J
313 pages.
•
24Paris, Editions Universitaires (coll. "Je")>> 1974, 256 pages.
jZ2 "
(
(
~
;r'
l '
qui propose
l'~tude
du Issianisme conuneO~jlet
d'une nouveUe science qu'il nOlllllle l' et~o-psych~~trie. C'est un effort de synthèse légitime,\ . .
mais p~,ut-être premature. )Dans une tout~ autre pe_rspective. l'oeuvre de Raymond Abellio, et particulièrement, La structure absoZue25,
re-présente un point limite de cette tentative. Mais nous nous
intéresse-rons surtout, quant à nous au secteur des recherches sociologiques qui
sont généralement plus circonspectes sur'Ia possibilite d'accéder en
ce domaine au niveau de la science. du moins, co~e le veut une for-mule consacree, dans l'etat actuel de nos connaissances. "Décidément,
la messialogie, si elle doit être une science des. religions, ou même
un simple département dans l'une de ces sciences. est encore une
scien-~ ce ou un département au berceau"z 6 • La tendance que nous avons nOlmnée
post-sc~entifique n'en indique pas moins un horizon commun à toutes
les avenues de la recherche: il s'agit toujours en dernier recours de
dessiner les contours d'un concept anthropologique au carrefour du
mythe,'de l'histoire, de la linguistique et de la sociologie. ~
Le travail d'Henri Desroche se fonde sur une recherche qui
passe par des oeuvres fondatrices de la sociographie moderne : Emile
Durkheim, Marcel Mauss et Roger Bastide sont en quelque sorte les
initiateurs
d~~~t~
démarche. L'auteur de Dieux d'hommes27 situe 25Paris, Gallimard ("Bibliothèque des idees"). 1965, 527 pages.'2 6Vieux d'homme8,: Diationnaipe des Messianismes et MiZZénaPismes de
Z'Ere Chrétienne, par Henri pesroche, en collaboration avec M.L.
Letendre, M.R. Mayeux,
J.
Guiart, M.I. Pereira de Queiroz. Paris, La Haye, Mouton, 1969, p.n.
Z7C'est l'Introduction de 40 pa~es signée par Henri Desroche que nous analysons.
23
\
\
.--~.--(
--(
\ '(0,
également son enquête à la rencontre des vastes études qui po~ent sur les mouvements révolutionnaires excentriques dans le temps ou dans
l'espace. L'ère médiévale
o~"
l'aire coloniale forment deux axes de larê~olte' eschatologique: En collaboration avec une équipe de chercheurs, Henri Desroche a tenté de synthêtise~ beaucoup de matériaux dans le
texte d'Introduction à son
Dictionnaire de8 Me88iani8me8 et
MiZZénari8-~" me8 de t'El'e ChrétÙnne. Commençons par une précision de vocabulairele mot millénarisme désigne le mouvement social dont le messianisme
cônstitue la motivation religieuse. Au.sens strict, millénarisme si-gnifi~ l'attenïe du:règne de Mille ans, le Millenium, période de bon-heur universel qui doit suivre le retour du Verbe, le second avènement
o
du Messie. Par extension, _le mot désigne les révoltes populaires et
les sectes hérétiques qui reprennent cette espérance eschatologique
abandonnée aux premiers siècles par l'Eglise primitive. Desroche
pro-\
pose donc de situer son objet d'étude au point d-' intersection d'une \
~.
":.
"
sociologie de 1 l'attente, de l'imaginaire et de la contestation. Les
l
messies sont les "honnnes de l'attente" qui entrent en relation 'avec
l'espérance d'une collectivité au nom de laquelle ils inventent (mais • 1 , _
cette creation puise à même un matériel symbolique lui-même produit
par l'activité sociale) une médiation de la divinité attendue. Le
messianisme est en quelqué sorte une expérience religieuse vécue
réel-t) • '1~Â
lement dans la communaute sociale. C'est une transe mystique collec-,
tivement éprouvée. Le phénomène parait lié au rayon d'influence du
message jud~o~chrêtien et sa diffusion est à ce titre universellea ce
qui ne veut pas dire qu'il soit inconnu qes cultures isolées de tout
contact avec l'Occident. Pourq~oi ces mouvements se presentent-ils
J '"" ~ , i i , i
(
(
toujours chez les populations menac~es, privées de tout et acculées à une crise où s'accuse la précarité
~groupe
dans son existence même? D'entrée de jeu, le chercheur déclare que son savoir ne peut pretendre1
à fonder aucune philosophie. Son travail s'efforce à la compilation.
Il accomplit une tâche préliminaire à toute construction systématique28 •
Comparer, classifier, ébaucher une typologie, ordonner la matière
con-sidêrable d'un champ de recherches. Cette modestie ne doit pas nous
abuser. La compréhension et l'explication y gagnent aussi quelque
chose, même si on ne voit pas
to~jours
en quoi~ela
se distingue de la méthode historique. De nombreusescatégOr~
de l'analyse apparais-sent cependant qui sont pertinentes et serviront d'outils à nosanalr-ses littéraires29•
La catégorie de l'échec'comprendrait tout ce qui ressortit
à cette, structure de l'attente qui polarise les crises et les
mouve-ments de la dynamique sociale à une très vaste échelle. Dans ce~taines
conditions que la sociologie et l'histoire savent co~arer et'd6crire, il s'établit une relation réciproque ou mieuX une interaction entre le
Messie et le groupe. Cet échange a pour but la réalisation ~u Royaume,
mais il ne produit jamais l'avènement attendu. La déviation est
ine-vitable et peut prendre deux directions:
une
nouvelle société reli-gieuse ou une nouvelle société politique. Dans l'un ou l'aut~e cas,28La deuxième partie du texte d'Introduction s'intitule "genèse d'une messialogie" Cp. 7).
29Yoir la sixième partie du texte d'Introduction de Desroche : ItV!. La dialectique des messianismes et la catégorie de l'échec"! Cp. p. 32 à 41) C'est de là que vient l'hypothèse de notre recherche.
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la relation du Messie avec le groupe s'en trouve aussit6t modifi6e et
,
elle passe désormais par une Eglise ou par un Etat. Dès lors, le Ro-yaume est évacué au profit d'une rea1ité historique •• Supposons avec Henri Desroche qu'il n'y a ,pas de messianÎsme reussi et que cette
pa-role de Vérité ne sait que mentir dans l'h~stoire.
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Cette hypothèse aurait du moins iiour contre-partie une interrogation : ce ,
'messi~isme dont la réussite ne sera~t
réalisable nulle part, ne se décele-t-il pas d'autre part,_ et par son échec
~ 'Si'même, Zatent un peu pcœtout30 à la
Il genèse de ce qui, par ailleurs, se
tTouve être consolidé comme réussite?
On pourrait même à la limite se
de-mander si le développement historique
dans toutes ses dimensions e~inale
ment autre chose qu'un me~anisme
raté? Ruse de l'Hist~! Tout se
déroulerait comme dans ces voyages de découvertes de la Renaissance : les caravelles partaient pour retrouver l'emplacement du Paradis perdu. Elles
~e trouvaient naturellement pas ce
Paraais : elles avaient donc raté.
Elles accostaient pourtant à un nouveau
continent, donc elles avaient réussi.
Leur !'€us8ite mWle CZU!'a eu pour
roai-eon un proojet voué à Z '~ahea31 .
S'efforçant de rassembler les traits qui définissent la
spé-cificité des millénarismes, Jean ,Baèchler32 retient quant~~ lui les
caractéristiques suivantes :
1.lDisproportion maximale entre les fins poursuivÏ')s et les moyens
di-sponibles.
3 Q C'est l'auteur qui souligne.
31D
ieux
d'hommes, p. 39.32Les Phénom~es r€votutionnaiI'es, Paris, P.U.'P., 1970, p . .105.
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2. Caractère illimité des buts et des promesses.
3. Valorisation d'un conflit consideré comme le passage
cataclys-mique vers un univers transfigure. M@me en l'absence de conflit
détermin~, la. catastroph~ est nécessaire.
4. Aspect collectif du salut.
5. Le salut promis est terrestre.
~. L'hypothèse, la méthode, le corpus
Nous pourrions continuer à collectionner beaucoup d'aperçus utiles à l'orientation de notre étude, mais venons-en maintenant à la
#
considération de l'usage que nous voulons faire de cette information,
c'est-a-dire posons l'h~othèse qui servira de fil conducteur à ftotre enquête sur la littérature canadienne-française de 1850 à lSSO. Un
~
premier fait frappera l'observation, c'est que notre recherche ne vise
pas le même objet que celui qui est décrit par la sociologie des
reli-gions d'où nous tirons notre définition conceptuelle du messianisme.
Le Canada français' n'offre pas d'abord un mouvement social justiciable
..,
de l'étude projetée, mais il présente un objet culturel. Notre messia- Q
nisme n'est pas un acte de la-communauté, il en est plutôt le di~cours.
Là où la sociologie cherche un fait, un événement, nous trouverons une
~étorique et une littérature. Notre messianisme n'a guère laissé de tra:ce dans -1 'histoire, mais i l s'est vécu sur un mode intérieur. en tant que réaction psychique ou crise d'identite. C'est donc le moment
de rappeler, comme nous l'avons noté aussi plus haut, que c'est un
postulat sociologique. qui a constitué longtemps notre critique
27
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littéraire33. - On a expliqué la littérature par la société. Or il se
pourrait bien que ce soit la littérature qui exp,lique notre societé
et non l'inverse. Pourquoi l'évolution des luttes idéologiques ne
serait-elle pas le résultat de l'histoire littéraire?
Le but de l'étude que jous entreprenons' sera donc de montrer
~
que les oeuvres les plus significatives de la période ne se sont
appro-chées du seull esthétique d. 1.' 'rê.tion qu'en répondant directem.nt
et souvent très littéralement à la ,estion posée p.;r notre "mission
nationalell
• La_ tendance commune aux ~lyseS courantes de notre
cri-'"'---~ ,
tique veut au contraire que cette idée messianique ait servi de
répon-se symbolique (et trompeurépon-se) aux crirépon-ses structurelles ou
conjoncturel-les (donc réelconjoncturel-les) du monde social. Tâchons quant à nous d'interroger les textes "à partir d'un autre postulat. Plaçons le corpus culturel
au premier plan et sans le rapporter a,priori à l'instance sociale dont
il est généralement tenu pour être le simple reflet. Là, dans son
ordre propre, supposons que le culturel constitue le foyer d'émergence
d'une categorie sui generis, efforçons-nous de suivre et de comprendre
l'apparition d'une i4ée qui se répand, crée une organisation, des
ins-titutions, une dynamique enfin qui circule dans l'ensemble du corps
social. Ce qui nous permettra de reconnaître ensuite la courbe d'une
~production
littéraire, ce sera la configuration cJnceptuelle decett~
1
logique de l'attente contenue dans le mot messianisme.. Une part
consi-déraQle de la définition de ce mot relève d'une sociologie de la
cul-ture. Les textes que nous analysons en constituent peut-êtr.e l'objet
~
33Voir : J.-C. Falardeau, Not~e Société et son roman, Montréal, HMH,
1967,234 pages.