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Psychodynamique du plaisir et de la souffrance au travail dans le métier de comédiens : clinique d'un travail artistique et psychanalyse

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Academic year: 2021

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Submitted on 2 Jan 2021

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Psychodynamique du plaisir et de la souffrance au

travail dans le métier de comédiens : clinique d’un

travail artistique et psychanalyse

Marie Potiron

To cite this version:

Marie Potiron. Psychodynamique du plaisir et de la souffrance au travail dans le métier de comédiens : clinique d’un travail artistique et psychanalyse. Psychologie. Université Sorbonne Paris Cité, 2017. Français. �NNT : 2017USPCB192�. �tel-03092316�

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1 Université Paris Descartes

École Doctorale « Cognition, Comportements, Conduites humaines » (ED 3CH 261) Laboratoire de Psychologie Clinique, Psychopathologie, Psychanalyse (EA 4056)

THÈSE

En vue de l’obtention du

Doctorat de Psychologie de l’Université Paris Descartes - Sorbonne Paris Cité

Présentée et soutenue publiquement par Marie Potiron Le 9 novembre 2017

Psychodynamique du plaisir et de la souffrance au travail dans le métier

de comédiens :

clinique d’un travail artistique et psychanalyse

Thèse sous la direction de

Monsieur le Professeur Christophe Dejours

JURY Directeur

Monsieur le Professeur Christophe Dejours, CNAM Rapporteurs

Monsieur le Professeur émérite Jean Florence, Université catholique de Louvain Madame le Professeur Anne Brun, Université Lumière Lyon 2

Jury

Madame le Professeur Françoise Neau, Université Paris Descartes Monsieur Olivier Balazuc, Compagnie La Jolie Pourpoise

 

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À Agathe, Rose et Noëlise

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Remerciements

Je remercie tout d’abord le Professeur Christoophe Dejours, qui a su endurer avec patience et bienveillance le «réel du travail» que je n’ai pas manqué de constituer et qui a cru à cette entreprise, même lorsque je n’y croyais plus. Ce travail doit beaucoup au sien, à ses écrits, à sa rigueur et à son exigence mais aussi à sa discrétion et à sa gentillesse. Il a su laisser advenir ma propre pensée, appuyant et encourageant mes efforts sans jamais tenter de les domestiquer.

Je remercie le Professeur émérite Jean Florence et la Professeur Anne Brun pour avoir accepté d’être les rapporteurs de cette thèse et d’y consacrer leur temps.

Je remercie la Professeure Françoise Neau et Olivier Balazuc d’avoir accepté de faire partie du jury de soutenance.

Je remercie vivement et collectivement l’ensemble des membres du jury pour leur temps, que je sais précieux, et l’attention que chacun a prêté à ce travail.

Patricio Nusshold, a accepté de la mener avec moi l’enquête sur laquelle se fonde principalement cette thèse et nos discussions et controverses ont nourri mon élaboration. Qu’il en soit remercié. Je remercie les comédiens qui, individuellement ou collectivement, se sont engagés dans cette recherche et y ont risqué leur parole.

Mes remerciements vont aux membres de l’équipe du séminaire de psychodynamique du travail et de l’action. Cette thèse doit beaucoup à leurs travaux, au travail commun sur le terrain et à leur soutien amical. J’ai partagé des terrains avec certains, des discussions avec d’autres. Je dois à chacun d’avoir pu mener à bien ce travail et quelques ligne ne suffiront pas à leur exprimer ma gratitude, en particulier celle que je dois à Virginie Hervé, qui a supporté mes humeurs, mes questionnements et mes bavardages au quotidien.

Les «habitants» du 41 rue Gay-Lussac ont accompagné l’élaboration de cette thèses par leur présence chaleureuse. Qu’ils en soient tous remerciés, en particulier Jean-Claude Vautrin, dont l’aide technique a été précieuse, et mes voisins de couloir pour leur soutien tabagique et intellectuel. Mes pensées vont également à mes camarades thésards du PCPP.

.

Je remercie Valérie Quiguer et les membres de la commission d’attribution des allocations de recherche 2013 du DIM GESTES, qui ont permis que cette thèse soit financée pendant trois ans. Séverine Chavrier, Vincent Dussard, Gilbert Edelin, Adèle Enjolras, Philippe Girard, Christophe Rauck, Paolo Rizzotti, Sophie Robin, Rémi de Vos, Annie Stora-Lamarre, qui m’ont aidée dans la préparation de ma soutenance, en sont chaleureusement remerciés, tout comme David Pickering, pour son aide linguistique.

Je remercie Lise Gaignard, qui m’a appris mon métier de clinicienne du travail. Merci à J.J.P., F.P., C.L. et M.G. pour leurs relectures et leur corrections attentives.

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Je remercie particulièrement Claire Lamarre, amie très chère, sans qui ce travail n’aurait sans doute jamais vu le jour. Elle fut mon guide, ma traductrice, mon garde-fou, par sa présence et son travail. Merci à Alice, Clémentine, Elise, Gaëlle, Géraldine, Laurence, Lisa, Magali, Manu, Marla, Mounir, Nadia, Nathalie, Nora, Pauline, Rachid de m’avoir encouragée, soutenue, tout au long de cette thèse et en particulier lors des derniers mois. Merci à David, qui m’a aimablement prêté son ordinateur et a fait des efforts louables pour me permettre de terminer ce travail.

Merci aux copains de DSZ pour les bouffées d’oxygène.

Merci à ma famille de m’avoir supportée - dans tous les sens du terme -, fait confiance et entourée, en particulier à J.J.P et F.P., sans qui qui cette thèse n’aurait sans doute pas été jusqu’à son terme et à qui je dois bien plus que ces quelques lignes ne sauraient l’exprimer.

Merci à Gabrielle, qui a vécu héroïquement quatre de ses cinq premières années affligée d’une mère thésarde et a participé, par son intérêt, sa curiosité, ses légitimes colères et son adorable présence à cette aventure.

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Résumé

Psychodynamique du plaisir et de la souffrance au travail dans le métier de comédiens : clinique d’un travail artistique et psychanalyse

En se fondant sur une clinique du travail de comédiens recueillie selon les principes théoriques et pratiques de la psychodynamique du travail, cette thèse se propose une analyse critique des approches psychanalytiques de l’activité théâtrale et artistique. Les données empiriques procèdent principalement d’une enquête de psychodynamique du travail et d'entretiens de recherche. Au-delà elle poursuit la réflexion engagée par la psychodynamique du travail sur la place accordée au travail dans la pratique psychanalytique et la métapsychologie..

Dans un premier temps, seront examinés les éléments contextuels permettant de situer le travail et le métier de comédien : l’histoire du métier, des pratiques et des organisations du travail ; des

théories du jeu de l’acteur prenant pour objet le travail de comédien sans pour autant le

conceptuzliser en ces termes ; le cadre dans lequel s’exerce le métier de comédien aujourd’hui, en particulier le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle. Ce parcours

transdisciplinaire autour du métier, du travail et de la « condition » de comédien nous mènera à la lisière du «travail vivant», c'est-à-dire aux dimensions du travail qui sont spécifiquement mises en exergue par la psychodynamique du travail.

Avant d'entrer dans le vif de celui-ci, il sera nécessaire d’effectuer un détour méthodologique explicitant les principes théoriques et cliniques de la psychodynamique du travail mis en oeuvre pour saisir l'objet de la thèse.

La suite sera consacrée à une investigation psychodynamique du travail de comédien, tel qu’il apparaît à travers une enquête de psychodynamique du travail et des entretiens de recherche. Cette clinique constituera la base à partir de laquelle seront discutées, les approches

psychanalytiques du travail de comédien et, plus largement, du travail artistique, dans la mesure où

c'est dans ce dernier que la plupart des approches psychanalytiques l'inscrivent. Dans une dernière étape la discussion portera, à partir du travail de comédien, sur l'analyse comparée de la place respectivement accordée au travail en psychodynamique du travail et en psychanalyse.

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Summary

Psychodynamics of suffering and pleasure in actor’s work : clinical approach of an artistic work and psychoanalysis

Drawing on a clinical approach to actors’ work based on the clinical and theoretical principles of work psychodynamics, and on a survey and individual research interviews, this thesis sets out to test and to discuss psychoanalytic approaches to work and artistic activity, and to further the reflection on work in psychoanalysis initiated by the field of work psychodynamics.

As a first step, we will examine elements contextualizing the actor’s work and profession. We will first look at the profession’s history and practices, including the degree to which labor

organizations, the actor’s "condition," and the nature of the trade varied over time, fostering a professional culture, and influencing the contemporary theater and the actor’s craft. We will then look at a few theories of acting before focusing on the framework in which performers work today, drawing on sociological studies of actors and performers, and of the French unemployment

insurance scheme for intermittent performers, which structures employment and work as an actor in France today. This chapter will be a historical but also trans-disciplinary journey through the craft and work of the actor, which will take us to the edge of "living labor". To get to the heart of the matter, we will need to take a methodological detour through the theoretical and clinical principles of the psychodynamics of work used to grasp our subject. The third step will be devoted to a psychodynamic analysis of actors’ work, as it appears through surveys and research interviews. This clinical approach will provide support to discuss, in a fourth phase, psychoanalytical

approaches to actor’s work and to artistic work more generally. Using the case of actors’ work, this chapter continues the discussion between work psychodynamics and psychoanalysis around work-related issues.

Key-words

: Psychodynamics of work, work, labor, actors, performers, artistic work, artistic labor, theater, psychoanalysis

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Sommaire

Remerciements………p. 3 Résumé ……… ;;;;;;;;;;;……p.4 Summary………..p.5 Fondements et intérêts………p.12 Introduction……….p.16

Chapitre 1 - Le travail de comédien : éléments contextuels ………p.23 Introduction ………..………p.24

I – Le métier de comédien : approche historique ………...………...p.24 Préambule ………..p.24 A - La Grèce antique : origines d’un métier ………..p.27 B - L’acteur romain ………..………p.29 C - L’acteur médiéval ………..……….p.31 D - Les acteurs au XVIème et XVIIème ……….………..…..p.34 1 - Dans la commedia dell’arte ……….………...p.35 2 - Évolutions anglaises ...……….p.36 3 - ... et espagnoles ……….p.38 4 - Être acteur dans le théâtre français du XVIème et XVIIème...….p.39 E - XVIIIème siècle ………...………p.44 F - L’acteur dans le XIXème siècle ……….………p.50 G – Du XIXème au XXème : le « temps des metteurs en scène .………...……p.54

Introduction : Une histoire malaisée ……….………..p.54 1 - «L’avènement» du metteur en scène ………..………p.56 2 - Evolutions dans le travail jeu ……….p.57 3 - Conditions de la représentation ……….………p.58 4 - Formations ………...p.59 5 - Organisation du travail ………...p.59

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8 Introduction ……….………p.66 Constantin Stanislavski ……….…………..………p.68 Bertold Brecht………p.74

III - Le métier de comédien aujourd’hui ……….…...p.79 A - Economie du théâtre ………...……..p.79 B - L’intermittence………p.80 1 - Qu’est-ce que l’intermittence ? ………..p.80 2 - Histoire ……….p.82 3 - En droit ……….p.86 4 - En pratique ………...p.87 C - L’organisation par projets ……….p.89 D - Réseaux, familles, troupes ………..p.89 E - La place centrale du metteur en scène ………..………p.89 F - Discussion entre sociologie et psychodynamique du travail………p.90 G - Santé et travail ………p.95 H - La condition de comédien………...………p.97 Conclusion ……….p.98

Chapitre II - De l’accès au terrain à la méthodologie de la recherche ………..100

I - Le cadre épistémologique ……….……….p.101 Discussion méthodologique ……….……p102 II- Principes méthodologiques en psychodynamique du travail………....….p.102

A - Les entretiens individuels ……….………...p.103 B - L’enquête ……….………..p.103 III- Une première enquête : difficultés méthodologiques……….……..….p.110 IV - De l’inabouti : les difficultés d’accès au terrain………..….……….p.111 IV - Les entretiens individuels………...……….p.115 V - Une enquête de psychodynamique du travail avec un groupe de comédiens ….p.118 A - La rencontre avec les comédiens, l’émergence d’une demande...……….p.118 B - Une demande inhabituelle……….p.119 C - Pré-enquête et mise en place d’un dispositif clinique ad hoc...………….p.120

1 - Mise en place d’un dispositif clinique ad hoc………...….p120 2 - Une journée d’observation………...p.121

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9 3 – Inquiétude clinique et méthodologie………..……….p.122 4 - Le rapport et sa restitution………..……….p.122

a - Le rapport lui-même ……….p.122 b - La restitution/ discussion du rapport ……….……….p.122 5 - Post-enquête ………..……….p.123 Conclusion : quelques réflexions méthodologiques ……….p.124

Chapitre III - Analyse psychodynamique du travail de comédiens ……….….p.126 Introduction……….p.127 I- Travail prescrit, travail réel ……….……….p.127 A - L’organisation du travail ……….p.127

- La place essentielle du metteur en scène……….….p128

B - Du travail prescrit au travail effectif………..………….p.129 1 - Des presciptions ……….p.129 Vignette a : «Faites pas du Bardiane » ……….p129 Vig1nette b : Dire le texte………...….p.130 Vignette c : Etre et faire…….……….p.131 Vignette d : Les coupes de textes………...………….p.132 Vignette e : Temps de travail……….……….p.132 Vignette f : le jeu……….p.133 Prescription et organisation temporelle du travail …………..p.134 2 - Travail réel et réel du travail ………p.134 a - Un travail de recherche………..…p.135 b - L’imaginaire et le corps : un «Je» qui est un corps……….p.136 c - Un travail d’ouverture ………..……….p.142 d - Le travail de la représentation……….……….p.142

Etre vu ? ………..……….p.144 e - Le travail « hors-jeu » ………...…….p.145 f - « Résonnance symbolique » entre le rôle et le sujet……….p.146

II - La coopération ………..p.147 Introduction ………p.147 A- Considérations transversales ………p.148 1- Une convivialité particulière ? ……….p.149

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10 b- L’usage de l’humour ……….p.150 2 - La confiance et sa construction………p.151 B - La coopération horizontale………p.151 1 - «Tirer la couverture» ou y renoncer ………p.152 2 - Des hiérarchies implicites complexes………p.153 a - La hiérarchie des anciens et des nouveaux……..………….p.153 b - La hiérarchie des rôles ….……….p.153 c - La hiérarchie des liens avec le metteur en scène ….………p.154 d - La hiérarchie du «talent »………..p.155 C - La coopération verticale ……….………….p.155

1 - La question de l’autorité………...……….p.156 2 – Les comédiens : de l’obéissance à l’émancipation ……….p.161 3 - La question du désir ……….….p.164 D - La coopération transverse ………..……….p.166 E - Activité déontique et fabrique de la coopération …………..……….p.167

III - Psychodynamique de la reconnaissance ………..……….p.169 A - Beauté et utilité : discussion sur les catégories de jugement……….p.169 B - Une dynamique de la reconnaissance accessible surtout

par ses «ratés» ……….p.170 C - La gratitude……….………...p.171 D - Incompréhension et déni du travail : un déficit

de reconnaissance à l’échelle du métier ? ……….p.172

IV- Souffrance et défenses……….……….p.173

A - Des stratégies de défense ……….……….p.173

1-Des stratégies individuelles ……….p.173 2 - Une stratégie collective de défense ?

Le «narcissisme» des comédiens……….p.174

Chapitre IV – Psychanalyse, art et travail ………..……….p.178 Introduction ………...….p.179 I – Psychanalyse et travail de comédien…………...……….p.180 A - « Personnages psychopathiques à la scène » (1905-1906) ……….p.181 1 – Une scène pour l’inconscient……….p.185

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11 2 - Un point de vue de spectateur……….p.186 3 – Un théâtre-littérature……….……….p.187 4 - L’influence d’Aristote……….……….p.188 5 – Le traitement du théâtre de son temps ……….p.189 6 - Des comédiens ……….……….p.189 B - Otto Fenichel : « On acting » ……….p.194 C – Psychanalyse contemporaine et travail de comédien ……….p.197

II – Psychanalyse et travail artistique ……….p.201 A - Les travaux de Freud sur l’activité artistique : cinq textes.……….p.202 1 – « Le délire et les rêves dans la Gradiva de Jensen » (1906) …….p.203 2 - «Le poète et l’activité de fantaisie» (1907) ……….……p.205 3 – « Léonard » (1910) ……….…….……….p.208 4 - Le Moïse de Michel-Ange (1913) ……….p.210 5 - Dostoïevski et la mise à mort du père (1927) ……….….p.213 B - Le travail artistique vu par la psychanalyse postfreudienne……….p.214

1 - Brève histoire de la psychanalyse appliquée à l’art………..…….p.214 2 - L’artiste : un «type» particulier d’être humain, un fonctionnement psychiqueparticulier………...……….p.216 3 - Qu’est-ce que l’art ? ……….……….p.218 4 - Par les œuvres ………...……….p.220 a - Une lecture thématique et large ………...…….p.221 b - L’œuvre, scène pour l’inconscient ………...……….p.222 5 - Quels champs artistiques ? ……….….……….p.223 6 - Le «travail» artistique : éléments de clinique du travail ? …..…..p.224 7 - La question de l’origine………..p.225 C - Labyrinthes de la sublimation ……….p.227 1 - Un concept inabouti, en perpétuelle évolution et hétérogène…….p.228 2 - Une nécessité théorique ? ……….…….p.229 3 - Sublimation et théories des pulsions ………p.230 4 - De l’usage de la sublimation à propos du travail artistique……...p.231 5 - Les activités sublimatoires ………p.234 6 - Sublimation et création………..p.237 7 - Sublimation vs adaptation ………....p.238 8 – Travail artistique, impensé du travail et sublimation …………...p.239

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12 D - En guise de conclusion……….……….p.242 1 - Relire Léonard ... ……….……….p.242 2 - Oublier le travail ? ……….p.243 3 - Psychanalyse et travail : une rencontre sans cesse manquée…….p.245 4 - Manquer le travail, manquer le sexuel …………...……….p.246

Conclusion………...……….p.249 Bibliographie ……….……….p.255        

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Fondements et intérêts

A l’heure de devoir rendre compte des fondements et des intérêts qui m’ont amenée à écrire cette thèse, me voilà bien embarrassée par une persistante perplexité. Car l’histoire de cette thèse est celle d’un détour dans l’ombre duquel se trouve une autre thèse, que je n’ai pas écrite.

Mon intérêt pour le travail, comme objet de recherche scientifique est le fruit de bien des histoires : - histoires familiales de déportation, d’esclavage, de héros et de soldats, d’employés, d’ouvriers, de grands bourgeois, de domestiques, de guerres et de cauchemars infinis, d’amours fous, de mésalliance et de ruine : des histoires de passeurs de frontières géographiques et sociales tissant un héritage familial marquée par les rapports de domination de race et de classe mais aussi par la subversion de ces derniers dans des solutions singulières.

- mon histoire personnelle, marquée par la domination et la violence de genre1 et par l’expérience

de la dictature.

Ce qui relie, au départ, ma formation de psychologue à mon intérêt pour le travail, c’est la question de la violence politique. Le travail pour moi alors constitue une forme banalisée de violence politique, un malheur socialement généré : on travaille parce qu’il le faut, parce que «la société» est organisée de telle manière qu’elle nous oblige à travailler. Titulaire d’un master pro de psychologie clinique - spécialité «psychopathologie de la violence» - fondé sur un long stage au SMPR de la maison d’arrêt de la Santé, j’ai rencontré la psychodynamique du travail chargée d’une vieille question, une question d’enfant, que mes études de psychologie clinique n’ont pas épuisée : comment font «les gens» pour vivre et travailler sans devenir fous ?

Cette question prend naissance, sans doute, dans l’expérience de la vie en dictature et d’une révolte écrasée dans le sang. A Pékin, en 1987, dans mes yeux d’enfant choyée mais bougonne en route vers l’âge adulte, tout le monde semble malheureux et en colère, personne ne me parle, les gens sont désagréables. Au printemps 1989, la ville soudain s’éclaire. Dans les rues défilent des véhicules chargée d’une jeunesse heureuse. Je voudrais tant faire partie de cette histoire dont je ne suis que le témoin. Entre le 3 et le 8 juin, on siffle la fin de la fête, les rues se vident, les rafales claquent. Les chars stationnent aux carrefours déserts. Je m’en vais, dans un avion qui ressemble à une cour de récréation, et j’emporte avec moi un brouillard de sensations : un arbre poussant à travers le toit d’un tombeau millénaire ; des fragments de tuile ouvragées craquant sous mes pas ; le visage verrouillé des serveuses du Youyibinguan et des vendeuses de la grande papeterie de Wangfujng ; le vent des steppes du nord sur mes joues, à vélo sans les mains ; les yeux fermés sous la pluie d’été... Le brouillard deviendra questions.

Je fais moi-même l’expérience du travail comme malheur socialement généré. J’adopte une stratégie commune : je gagne ma vie dans des boulots qui ne m’intéresse pas. Je travaille gratuitement ou pour moi-même à ce qui m’intéresse. Je lis toute la journée, j’étudie la littérature. Le soir, je sers à boire derrière un bar. Mais travailler, ce n’est pas seulement produire, c’est aussi se transformer soi-même2 et ce travail où pourtant je fais tout pour ne pas être, pour ne rien mettre de moi-même

m’occupe, m’habite, me transforme. Je suis barmaid, je découvre la nuit et son monde depuis ce côté-là du zinc, j’écoute les conversations en essuyant les verres. J’adore le ballet de mon corps derrière le bar. Sortir le bac de la machine, le poser sur le bord de l’évier ; refermer en même temps la porte de la machine avec un pied, saisir un torchon, essuyer les verres, le pouce à l’intérieur ; un,       

1

pour une définition critique de la notion de violence de genre, voire en particulier Ilaria Simonetti, « Violence (et genre) », in Juliette Rennes, Encyclopédie critique du genre, La Découverte « Hors collection Sciences Humaines », 2016, p. 681-690

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deux tours. Je laisse passer mon collègue, j’attrape cinq ou six verres à pied sales, je les ramène vers moi, les pose dans le bac. Je sers les commandes arrivées entre-temps, je sors les notes. Ça «tourne». J’ai même le temps de fumer une demi-cigarette. De l’autre côté du bar, des femmes et des hommes parlent de travail et de chagrins d’amour, les lèvres tachées de vin. J’écoute. A 2h du matin, je ferme et je vais boire, rire et danser avec mes camarades.

Je tente le journalisme, un travail dont je me dis qu’il a du sens. Je suis pigiste, je travaille trop pour pas assez, puis j’intègre une rédaction. Je suis la dernière arrivée, c’est à moi que l’on donne les papiers sur les modifications de sens interdits dans le Vieux-Lille et les messes désertées à la mémoire d’un passé que tout le monde a oublié. La rédactrice en chef me houspille - « les rotatives vont pas t’attendre ». J’écris quelques papiers dont je suis fière. Je ne suis plus derrière un bar mais je suis toujours l’étrangère, le témoin. Je rejoins une autre rédaction, plus petite, et ma moto prend la pluie sur les routes de campagnes. Les femmes sur le pas des portes semblent avoir cent ans, les yeux des enfants sont cernés de mauve. Le taux de chômage est le plus haut de France. J’interviewe Hervé Villard. Je comprends qu’il me faudra dix ans pour écrire ce que je veux. C’est trop long pour moi. Entre-temps, j’avance dans ma psychanalyse, un être cher meurt. Je me réinscris à l’université, en psychologie clinique et redeviens serveuse. Je suis triste et j’ai mal, je suis à genoux par terre, je vide les cendriers dans un vieux seau à glace. Le restaurant où je travaille a ceci de particulier qu’il n’y a que des filles en salle et que des hommes à tous les autres postes : le responsable du planning est un homme, le chef aussi, comme les commis tamouls à qui le patron loue des chambres à deux pas, à un «prix d’ami». Ce petit endroit est traversé par les rapports de domination de genre, de classe, de race. La décoration néo-coloniale affiche des femmes exotiques alanguies, nous en sommes le complément. Nous sommes des hyper-femmes : nous sommes là pour servir, nous sommes décoratives, nous n’avons pas le temps de parler. La moitié des clients masculins nous adresse le même sourire égrillard.

Mes collègues sont comédiennes, chanteuses, dessinatrices, bibliothécaires, scénaristes, pianistes, journalistes, attachées de production... Audrey dessine les clients s’extasiant devant leur saucisse purée. Nous aimons travailler ensemble, nous aimons ce que nous faisons, nous essayons de le faire bien. Nous sommes assez libres dans notre activité et disposons de suffisamment de place pour inventer des choses. J’apprends l’art de l’espace et du temps qu’est le métier de serveuse. Je suis loin d’être la meilleure mais quand j’arrive à «faire tourner» mon rang sans problème pendant tout un service, je suis contente. Lorsque je vends un dessert, Sarah est fière de moi. Quand c’est calme, Alex nous détaille ses nuits d’amour avec de pseudo-vedettes, on rit, on fume. Ces filles m’apprennent à vivre, je découvre que dans les interstices de la domination, la vie existe et qu’elle est bonne.

Pendant mon master 1, je travaille sur la construction de l’identité de genre chez l’enfant à travers ma clinique dans un CMPP et les romans d’Enid Blyton. Je lis Laplanche, Christophe Dejours et Pascale Molinier. Ils parlent du genre et du travail. Je retrouve ma question d’enfant au détour d’un chapitre, et des tentatives de réponses.

Je vais voir Christophe Dejours, qui m’interroge sur mes arrière-grands-mères. Je vois bien qu’il voudrait que je travaille sur les serveuses. Mais je suis en train de partir, j’assure mes dernières semaines de service avec un dictaphone caché sous le bras. J’enregistre tout, je vais écrire sur nous mais je ne veux pas d’une forme imposée. Je le garde pour moi, pour après.

Sur quoi pourrais-je bien travailler ? Je réfléchis... Qu’est ce qui m’intéresse ? Je pourrais travailler sur les journalistes mais j’aurais l’impression de voler les secrets de mon père. Je cherche un objet, ni trop loin, ni trop près, étranger et familier.

L’une de mes amies très chères est comédienne. Parmi mes consœurs serveuses, beaucoup le sont également. Elles me racontent les castings humiliants, les auditions, les concours, le prix des photos d’actrice, les metteurs en scène, les profs, les réalisateurs. Elles me parlent avec conviction de «l’énergie», des résonateurs. Je ne comprends pas la moitié de ce qu’elles me racontent. Depuis

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longtemps, je les accompagne aux premières, aux dernières. Je dîne avec des brochettes d’acteurs sortant de scène, le feu encore aux joues, «l’énergie» dans le regard. J’aime leur liberté, les grands rires, les tablées de quinze, la séduction. Ce monde m’intrigue, me fait un peu envie. Parfois, je me rappelle que je me récitais Phèdre dans ma chambre à 17 ans. Mais je vois bien que ce n’est pas pour moi : trop de paillettes, de lumières, pas assez d’ombre où s’abriter, trop d’excitation, de chefs humiliants, de domination et de violence de genre. Ni trop loin, ni trop près, j’ai trouvé mon sujet. De temps en temps je porte quatre assiettes à la fois pour ne pas oublier le plaisir physique de l’équilibre, quand le corps bouge autour du fardeau posé au bout des doigts, que tu te sens danseuse, écuyère et trapéziste.

Une thèse, c’est une entreprise folle, sans limite, un ouvrage de Pénélope, jamais fini, seulement arrêté, auquel échappe beaucoup plus que ce qu’il saisit et qui casse les corps, les couples et les ordinateurs. Mais c’est aussi l’occasion de tisser ensemble les fils épars de ce qui nous meut et chatoie parfois, sur l’endroit ou l’envers du tissu.

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Introduction

 

La psychanalyse ne pense pas le travail. C’est en partie face à ce constat que la psychodynamique du travail s’est bâtie, en développant une théorie organisée autour de la double centralité du travail et du sexuel. Cependant, il est un travail que la psychanalyse tente de penser : celui de l’artiste.

 

Ce travail de recherche se propose donc, sur la base d’une clinique du travail de comédiens construite à partir des principes théoriques et cliniques de la psychodynamique du travail, de mettre à l’épreuve et de discuter les approches psychanalytiques du travail et de l’activité artistique et, partant de là, de poursuivre la discussion engagée par la psychodynamique du travail avec la psychanalyse sur la question du travail.

 

Il est nécessaire, pour introduire cette recherche, d’apporter quelques précisions sur les rapports entre psychodynamique du travail et psychanalyse, sur le plan disciplinaire d’abord puis dans l’explicitation de la place où je me situe comme chercheuse à cet égard.

 

Les rapports entre psychanalyse et psychodynamique du travail s’organisent en grande partie autour du parcours de Christophe Dejours, fondateur de la seconde, psychiatre, psychanalyste, formé à l’ergonomie de langue française avec Alain Wisner et médecin du travail.

L’œuvre et la carrière de Christophe Dejours se déploient d’abord dans deux chemins d’abord parallèles se rejoignant ensuite progressivement. La double centralité du travail et du sexuel, d’abord paradoxe puis théorie unifiée dont les concepts d’Arbeit et de poïesis constituent les piliers, figure cette évolution.

En psychanalyse, C. Dejours a particulièrement travaillé la psychosomatique et la question du corps, et a proposé une théorie psychanalyique du corps.1 Du côté du travail, sa démarche pourrait se comprendre comme une contamination de l’ergonomie par la psychanalyse, qui lui permet d’assumer l’héritage de la première psychopathologie du travail en en retournant la problèmatique : la psychopathologie du travail de Louis Le       

1

Voir en particulier DEJOURS C. (2003) Le corps d'abord. Corps érotique, corps biologique et sens moral. Paris : Petite bibliothèque Payot, 2003 ; DEJOURS, C. (2015) Les dissidences du corps. Répression et subversion en

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Guillant, Claude Veil, Paul Sivadon, Jean Bégoin tentait en effet de dégager des caractéristiques pathogènes des situations de travail et des pathologies associées mais se heurtait à la très grande variabilité des décompensations1.

Dejours inverse le questionnement en se demandant comment nous faisons pour ne pas devenir fous, déplaçant et élargissant ainsi l’intérêt de la seule maladie à la normalité et à la santé, de la souffrance au plaisir, de l’être humain au travail, de l’organisation du travail aux dynamiques internes des situations de travail.2 C’est à partir de ce geste fondateur que se déploient les découvertes de la psychodynamique du travail, qui s’enrichit de ses discussions avec d’autres disciplines, en particulier lors du séminaire interdisciplinaire de 1986-19883.

La psychodynamique du travail, si elle s’expatrie hors des territoires balisés de la psychanalyse, n’en est pas moins solidement arrimée à celle-ci par la référence à l’anthropologie psychanalytique freudienne et laplanchienne, sur laquelle elle s’appuie de façon critique, qu’elle révise, discute et complète.

La discussion entre psychodynamique du travail et psychanalyse vient surtout de la première. Il demeure malaisé de comprendre pourquoi cette conversation se fait autant « à sens unique » et difficile d’estimer le poids des institutions psychanalytiques dans cet état de fait. Il n’est pas impossible que la question des rapports de domination, qui constitue l’un des points d’achoppement entre psychodynamique du travail et psychanalyse y joue un rôle, comme elle a joué un rôle dans « l’effacement » de « la gauche freudienne » de l’histoire psychanalytique « officielle »4.

 

Après avoir rapidement éclairé le « contexte » des discussions entre psychanalyse et psychodynamique du travail, il me faut maintenant y situer ma propre démarche. Psychologue clinicienne, formée à Paris 7, orientée par la psychanalyse, mon intérêt pour les questions du travail s’inscrit pour moi dans la continuité de mon « aventure psychanalytique ». La psychanalyse est « ma maison ». Les discussions menées ici le sont donc avec une discipline dont je me réclame.

      

1 cf. BILLIARD I. Santé mentale et travail : L’émergence de la psychopathologie du travail. Paris : La Dispute, 2001 2

DEJOURS C. (1980-1993-2000) Travail, usure mentale. Paris : Bayard, 2008, p. 207. 3

DEJOURS C. (Ed.) (1988) Plaisir et souffrance dans le travail: Séminaire interdisciplinaire de

psychopathologie du travail. Paris : Association Psy.T.A

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Pour pouvoir mener à bien cette tâche, il a fallu, d’abord, dégager un espace pour la

clinique du travail, construire une position de clinicienne sur un terrain particulier.

Le théâtre n’a jamais constitué pour moi une passion mais a toujours fait partie de ma vie. Je me suis parfois trouvée dans une certaine proximité avec l’univers théâtral par le biais de proches mais je suis en la matière, une « profane »1. Et dans ce travail de recherche, l’axe d’intérêt central n’est pas le théâtre, mais le travail. Cependant, je n’ai jamais été aussi peu au théâtre qu’au cours des quatre années qu’a duré cette thèse. Si le travail de thèse, surtout lorsqu’il s’ajoute au travail maternel et domestique, laisse peu de loisirs et réduit considérablement le champ des intérêts possibles, cela ne suffit pas à expliquer ma « désertion » et la réticence extrême qui me saisissait lorsque s’offrait la possibilité d’une soirée théâtrale. Cette réticence, que j’ai d’abord considérée avec sévérité, m’est ensuite apparue comme un parti pris - qui n’était pas le seul possible - dont j’estime qu’il m’a permis de réaliser ce travail. Dans leur présentation du recueil de textes de Dominique Dessors, Damien Cru, Marie-Pierre Guilho-Bailly et Pascale Molinier rappelle l’attention portée par Dominique Dessors à la construction d’une place pour la clinique, pour la/le clinicien-ne et le nécessaire effort pour la « tenir » et pour ne pas devenir – c’est le risque, selon elle de l’observation participante – « opératrice ou douanier ».2 Dans ce travail de recherche, la question est déplacée et il s’est agi de ne pas devenir ou demeurer « public ». Le travail d’acteur consiste pour une part à enclencher la « machine à rêver »3 des spectateurs. Les stratégies collectives de défense à l’œuvre dans le métier, qui, comme on le verra dans le chapitre 3, colonisent l’ensemble de la subjectivité, ne permettent que deux positions vis-à-vis du travail théâtral : dedans et dehors, sur ou face au plateau. Pour dégager une autre place, une place de clinicienne du travail, il était nécessaire de sortir du public, pour tenter d’échapper à la sidération / fascination de « l’amateur d’art »4.

 

Nous passerons, dans cette thèse, par différentes étapes. Dans un premier temps, nous examinerons les éléments contextuels permettant d’approcher le métier et le travail de comédien. Dans ce premier chapitre, en quelque sorte introductif, nous nous intéresserons       

1

Pour reprendre un terme utilize par Freud. Cf. FREUD S. (1907) Le poète et l’activité de fantaisie. in Œuvres

complètes : Psychanalyse (tome VIII, pp. 159-171), Paris : Presses universitaires de France, 2007

2 CRU D., GUILHO-BAILLY M.P., & MOLINIER P., Présentation in DESSORS D. De l'ergonomie à la psychodynamique du travail, Toulouse : Erès, 2009, p. 12

3

L’expression est utilisée par une comédienne au cours d’un entretien de recherche.

4 FLORENCE J. Scènes pour la psychanalyse, ce que l'analyse doit au théâtre, Cliniques méditerranéennes, 2009/2 (n°80), p. 201-217, p.204

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tout d’abord à l’histoire du métier, qui nous permettra de comprendre à quel point les organisations du travail, la nature de l’activité, la « condition » de comédien ont varié dans le temps, nourri la culture de métier et influencé le théâtre et le travail de comédien contemporain. Nous nous pencherons ensuite sur quelques théories du jeu de l’acteur avant de nous intéresser au cadre dans lequel s’exerce le métier de comédien aujourd’hui. Pour ce faire, nous mobiliserons en particulier des travaux de sociologues consacrés aux comédiens et aux métiers du spectacle ainsi qu’au régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, qui structure l’emploi et le travail de comédien aujourd’hui. Ce chapitre sera donc un parcours historique mais aussi transdisciplinaire autour du métier et du travail de comédien, qui nous amènera à la lisière du « travail vivant »1. Pour pouvoir entrer dans le vif de celui-ci, il sera nécessaire d’effectuer un détour méthodologique explicitant les principes théoriques et cliniques de la psychodynamique du travail mis en œuvre pour tenter de saisir notre objet (chapitre 2). Le chapitre 3 sera consacré à la clinique proprement dite du travail de comédien, qui nous servira d’appui pour discuter, dans le chapitre 4, des approches psychanalytiques du travail de comédien. Dans la mesure où celui-ci, tel qu’il est abordé en psychanalyse se trouve pris dans le champ plus large du travail artistique dont il ne constitue qu’une parcelle, nous élargirons ensuite notre perspective aux approches psychanalytiques du travail artistique.

 

Le travail artistique constitue un terrain jusqu’à présent inexploré en psychodynamique du travail. Ce travail de recherche est donc, pour une part, une opération de « défrichage » d’une petite parcelle du grand champ que constitue le travail artistique - dont il reste à démontrer qu’il présente une quelconque unité, au regard de la clinique du travail - source potentielle de connaissances nouvelles et épreuve inédite pour les principes cliniques et théoriques de la discipline, qui peuvent en sortir inchangés ou réévalués, enrichis.

 

Le travail, tel que le conçoit la psychodynamique du travail, se définit comme « la mobilisation des hommes et des femmes face à ce qui n’est pas prévu par la prescription,

      

1De cette approche du travail par l’ergonomie et la clinique du tra- vail, il ressort que, le travail, c’est ce qu’il faut

inventer et ajouter, de soi-même, aux prescriptions, « pour que ça marche ». Ce zèle dont nous parlons n’est autre que le travail vivant dont aucune organisation du travail ne peut se passer. (…) Le travail vivant, c’est ce que le sujet doit ajouter aux prescriptions pour atteindre les objectifs. » DEJOURS C. (2014a) La Sublimation : entre clinique du travail et psychanalyse in Revue française de psychosomatique, 2014/2, n°46, pp 21-47, p. 23-24

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face à ce qui n’est pas donné par l’organisation du travail. »1 Plus que le travail au sens « objectif » du terme, l’objet d’étude de la psychodynamique du travail est le travailler, notion introduite en 1990 par C. Dejours « pour prendre un peu d’écart vis-à-vis des débats sur le travail et sa définition »2. « Travailler, qu’il s’agisse d’une activité salariée ou bénévole, domestique ou professionnelle, de manœuvre ou de cadre, du public ou du privé, industrielle ou de service, d’agriculture ou de commerce, travailler c’est mobiliser son corps, son intelligence, sa personne, pour une production ayant valeur d’usage.»3

Qu’en est-il, donc, du travailler dans le métier de comédien ? L’art du comédien peut-il se saisir comme un travail, à l’aide de principes développés dans des contextes professionnels éloignés du théâtre ? Dans le champ de la sociologie, pareille entreprise a été menée, en particulier par Pierre-Michel Menger4 mais à partir d’une conception du travail très éloignée de celle de la psychodynamique du travail, qui distingue radicalement travail et emploi. L’œuvre d’art ne peut être approchée en dehors du contexte dans lequel elle est produite, pense Fredric Jameson, à la suite de Marx5. Au-delà du « contexte », il s’agit de l’approcher par le travail vivant qui la créée.

 

Du côté de la psychanalyse, mettre les approches psychanalytiques du travail de comédien et plus généralement du travail artistique, à l’épreuve d’une clinique du travail fondée sur une théorie du travail a des enjeux théoriques mais aussi cliniques importants. Il s’agit en effet de discuter le sens du travail pour la subjectivité et par conséquent, sa prise compte dans l’écoute psychanalytique et dans la cure, avec les patients pratiquant une activité artistique comme avec les autres.

 

Pour le métier de comédien, tel qu’il se pratique, se définit, se transmet, s’enseigne, le matériel clinique sur lequel se fonde se travail de recherche résonnera d’échos familiers. Son interprétation, cependant, peut ouvrir des espaces de pensée et de discussion inattendus, en particulier ce qui concerne les stratégies collectives de défense mises en place contre les souffrances spécifiques rencontrées dans le travail. Plus largement, ce travail de recherche       

1 DAVEZIES P. Éléments de psychodynamique du travail in Éducation permanente, n° 116, 1993, p. 33-46. 2 MOLINIER P. (2006), op. cit. p. 87

3

DEJOURS C. (1998b) Travailler n'est pas déroger. Travailler, 1998, n°1, p. 5-12 4

cf. en particulier MENGER P. M. Le travail créateur, s'accomplir dans l'incertain. Paris : Seuil/Gallimard, 2009 ; MENGER P. M. Portrait de l’artiste en travailleur. Paris : Seuil, 2003.

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éclaire par sa démarche-même à nouveaux frais une discussion ancienne - peut-être éternelle - sur le travail artistique et ses rapports avec le travail « ordinaire », sur l’artiste comme travailleur. Les nombreux extraits de bulletins syndicaux cités par Mathieu Grégoire dans sa thèse montrent à cet égard comment « le métier » se saisit de cette question, à différentes époques de son histoire et dans une perspective de lutte et de revendication syndicale centrée davantage sur l’organisation du travail et de l’emploi que sur le travail :

 

« Les uns et les autres découvrent parfois avec stupeur qu’en fait, les artistes ne sont pas si différents des autres travailleurs, ainsi qu’on s’est ingénié à les convaincre de tous temps (…) Les écrans divers qui créent le mythe de notre particularisme se lèvent les uns après les autres, du même coup se dissipent bon nombre d’illusions et nous nous trouvons devant des préoccupations sommaires mais essentielles – salaires, sécurité de l’emploi, conditions de travail. »1

 

En se référant à d’autres champs du travail artistique, des historiens du travail ont montré de manière détaillée comment les rapports de domination à l’intérieur de « mondes de l’art » ont organisé l’invisibilation des artistes comme travailleurs et de l’art comme travail.2 Cette discussion n’est pas qu’interne au métier, loin de là ! Elle trouve des ramifications, dont il est malaisé de déterminer si elles constituent des effets ou des fondement, dans l’ensemble des approches disciplinaires qui se sont intéressées au travail artistique. En psychanalyse, l’un des axes de discussion autour de la sublimation - presque systématiquement mobilisée lorsqu’il est question d’art - concerne les activités sublimatoires, leur rareté ou leur banalité et l’approche du travail artistique s’inscrit dans ce débat. En psychodynamique du travail, la ligne de séparation ne passe pas entre des domaines d’activités différents (artistique ou non artistique, supérieur ou ordinaire) mais entre sublimation « extraordinaire », caractérisée par son rapport à la Kultur et qui « honore

      

1

Plateaux, n°42, octobre 1973, cité par GRÉGOIRE M. Un siècle d’intermittence et de salariat. Corporation, emploi et socialisation : sociologie historique de trois horizons d’émancipation des artistes du spectacle (1919-2007), thèse de doctorat de sociologie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, soutenue le 3 décembre 2009., p. 221

2

Cf. CLARCK D. Negotiating Hollywood : The Cultural Politics of Actor’s Labor., University Of Minnesota Press, 1995 ; KING B. The star and the Commodity : notes towards a performance theory of stardom. Cultural Studies 1:2, p. 145-161 ; HOLMES S. P. The Hollywood star system and the regulation of Actors’ Labour, 1916-1934, Film History, Vol. 12, N°1, Oral History (2000), p. 97-114.

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la vie »1, quel que soit le domaine d’activité et quelque soit le niveau hiérarchique, et sublimation «ordinaire» sans garantie axiologique.

              

1 DEJOURS C. (2009b) Travail vivant. Travail et émancipation (Tome 2). Paris : Payot, 2009, voir en particulier chap. 6, p. 151-165.

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Chapitre I

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24 Introduction

Ce premier chapitre est destiné à contextualiser l’approche clinique du travail de comédien qui constitue l’axe principal de ce travail de recherche.

Pour ce faire, nous avons choisi en premier lieu d’avoir recours à une approche historique du travail et du métier de comédien, permettant de mettre en lumière - sans pour autant les saisir, l’histoire étant une discipline des traces - les multiples pratiques constitutives du métier, dans leurs cadres sociaux et politiques, qui constituent non seulement l’héritage de tout comédien mais aussi structurent le théâtre actuel, les réflexions et questionnements qui l’agitent, les directions prises par les praticiens et penseurs.

Dans la continuité de ce premier temps historique, nous nous attacherons dans un second temps à exposer quelques théories du jeu émanant des professionnels eux-mêmes. Ce second temps poursuivra et complètera notre première approche historique, permettant d’appréhender d’une part ce qui, du travail de comédien fait théorie et controverses théoriques - le jeu - et d’autre part, ces théories étant essentiellement le fait de metteurs en scène, d’approcher la dimension prescriptrice du travail - le travail prescrit - les instances de la prescription, ses modalités et ses fondements. Ce second temps constitue également une transition vers le contexte actuel dans lequel les comédiens travaillent, ce qui constituera la troisième partie de ce chapitre. Cette troisième partie empruntera à l’économie de la culture et à la sociologie leurs outils et quelques-unes de leurs découvertes sur la pratique et la réalité du métier d’acteur, tel qu’il s’exerce aujourd’hui.

I – Le métier de comédien : approche historique Préambule

La structuration et l’évolution des métiers et des professions reposent sur des processus historiques1 Il peut donc s'avérer utile de se pencher sur l’histoire du métier de comédien. Cette histoire explicite la façon dont s’est construite une culture de métier s’inscrivant dans une temporalité longue, montre les variations du travail de comédien à travers le temps et met en lumière les spécificités contemporaines du métier d’acteur (en particulier la place fondamentale du metteur en scène dans

      

1

ABBOTT A. The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor. Chicago: The University of Chicago Press, 1988 ; BOLTANSKI L. Une question de sociologie. Introduction 2 in Les cadres, la formation d’un

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l’organisation du travail ainsi que l’importance du régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle.

La psychodynamique du travail, discipline clinique, a rarement recours à l’histoire, laquelle ne donne ordinairement pas accès à la parole vivante, incarnée et collective sur le travail. Cependant, proposer l’ébauche d’une histoire - nécessairement lacunaire et non spécialiste - du métier d’acteur, informée par les positions théoriques de la psychodynamique du travail et par la clinique nous semble, dans le cas spécifique du métier de comédien d’une pertinence certaine. En effet, celui-ci se caractérise par la mobilisation fréquente de références historiques à une culture de métier construites au cours des siècles. Ainsi, M. Souchard et M. Favier, dans une introduction à l’histoire du théâtre du XXème siècle, entament leur propos par une référence à Dans la solitude des champs de coton, de B. M. Koltès, avec P. Gregory et P. Chéreau, mis en scène par P. Chéreau en 1995 à la Manufacture des Œillets. Décrivant brièvement le dispositif scénique, le jeu des acteurs, la place du public, ils écrivent : «Tout cela a des antécédents, tout un héritage de la rue et des tréteaux du Moyen Âge, de la commedia dell’arte, les divertissements de cour et des tripots du XVIIème siècle, et même du cirque, des jongleurs, des acrobates. Il convient de ne pas s’y tromper : c’est surtout face au XIXème siècle que le théâtre du XXème se différencie.»1. Pour comprendre le travail et le métier d’acteur en ce début de XXIème siècle, il est donc nécessaire d’en passer par l’histoire longue des pratiques, dans lesquelles s’enracinent également les théories du jeu que nous aborderons à la fin de cette partie historique

L’histoire du métier et du travail d’acteur est indissociable de celle, plus générale, du théâtre. Celle-ci fait l’objet de nombreux ouvrages spéCelle-cialisés, prenant souvent pour objet le théâtre d’une époque en particulier : le théâtre antique, le théâtre médiéval, le théâtre de la renaissance, le théâtre élisabéthain, etc. Cette histoire du théâtre pose elle-même un certain nombre de problèmes, liés en particulier aux difficultés définitionnelles posées par le phénomène théâtral lui-même – où commence et où s’arrête «le théâtre» ? - dans une perspective diachronique comme dans une perspective synchronique ?Jelle Koopmans et Darwin Smith2relèvent ainsi à quel point ce que les historiens du théâtre, depuis le XIXème siècle, nomment « théâtre » ne constitue pas un objet unifié et homogène.

      

1

SOUCHARD M. & FAVIER M. Présentation in VIALA A. Le théâtre en France, Paris : Presses universitaires de France « Quadrige », 2009, p. 379-380.

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Des difficultés de datation, issues entre autres d’interprétations anachroniques des sources – comme l’application des critères de la Poétique d’Aristote à des phénomènes qui l’ignoraient complètement1 - complexifient également l’entreprise historique.

Dresser un panorama forcément succinct de l’histoire du théâtre implique de limiter notre champ à la France. Pourtant, cette histoire s’est forgée en relation avec d’autres pays européens et parfois de pays plus lointains, tant les acteurs, les troupes, les idées et les écrits ont circulé, depuis fort longtemps. Ici, par souci d’économie et en ayant bien conscience des limites de ce choix, nous restreindrons notre investigation autant que possible à la France tant que cela ne gênera pas la compréhension.

Toute périodisation a ses inconvénients. Le découpage historique adopté correspond ici à une histoire théâtrale globale ou « littéraire ». Il n’est pas certain que ce découpage chronologique corresponde aux évolutions du travail et du métier de comédien.

Précisons enfin, la distinction entre amateur et professionnel s’avère peu pertinente pour penser le métier de comédien sur le long terme : « Ce n’est pas tant le terme « professionnel » qu’il faut récuser, car dans son sens technique – celui qui détient le savoir-faire – il est très utile, que la catégorie qu’il appelle en miroir s’il sert à établir une typologie : celle de « non-professionnel » ou « amateur ». Largement anachroniques, non autorisées par l’analyse des situations que laissent lire les documents, fondées (…) sur des hypothèses rétrospectives [et] sur des idéalisations, ces catégories ne rendent pas compte de la réalité du Moyen-Age. Cette typologie, appliquée à toutes les époques, tient de la représentation plus que de la réalité. »2

Par ailleurs, aborder le phénomène théâtral et son histoire à partir du métier de comédien reste assez rare dans ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler les «Etudes théâtrales». Plus fréquents sont les travaux centrés sur la mise en scène, le texte, les lieux, les architectures, les dispositifs scéniques, les spectateurs. Dans des manuels récents, les références au jeu, à la représentation, à ses conditions matérielles, arrivent à la fin des chapitres, après une longue exploration des genres, des auteurs, des philosophes. Et si les travaux savants, réalisés en particulier dans le cadre des départements d’Etudes théâtrales des universités mettent de plus en plus au premier plan la dimension       

1 Lorsqu’Aristote, au IVème siècle, dans sa Poétique, distingue opsis et poïesis, il souhaite faire prévaloire la première sur la seconde, le théâtre comme texte plutôt que comme représentation, spectacle, moment éphémère.

Cette position d’Aristote aura des conséquences majeure sur le métier de comédien, sa pratique et son apprentissage. Longtemps, le métier de comédien sera pratiqué et enseigné comme un art de la déclamation du texte, ne prenant pas ou peu en compte le corps en dehors de la voix. Cf. DUPONT F. Aristote ou le vampire du théâtre occidental, Paris :

Aubier, 2007

2 BOUHAÏK-GIRONÈS M. Comment faire l’histoire de l’acteur au Moyen Âge ? Médiévales 59, automne 2010, p. 107-125, p. 117

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spectaculaire1, le travail d’acteur n’y est pas toujours exploré et n’apparaît pas toujours au premier plan. Comme le remarque Marie Bouhaïk-Gironès, « l’acteur, son métier, ses pratiques, ses statuts sont rarement mis au premier plan dans l’histoire du théâtre de façon générale. »2 Ce travail reste à faire et nous ne tentons ici que de donner quelques jalons, quelques points de repère. Cette entreprise demeure donc lacunaire.

A - La Grèce antique : origines d’un métier

Comme l’indique A. Degaine, pendant vingt et un de ses vingt cinq siècles d’existence, le travail de comédien a été un travail de plein air, de journée, masculin

Le théâtre grec antique, l’une des racines majeure du théâtre occidental, d’où sont issus les termes de «théâtre», «scène»3 a lui-même une histoire longue, qui s’étend du VIème siècle av. J.C. à la conquête romaine. Le « premier acteur » connu4, Thespis (né en -590) « invente le masque en stuc et la notion d’acteur : en changeant de masque, il devient successivement les personnages évoqués »5. Il est aussi, probablement, le premier chef de troupe et le premier acteur « professionnel », parcourant les villages avec son chariot. Il remporte la première palme des premières Dionysies (concours annuel d’auteurs de tragédie), créées en – 534 par Pisistrate. Thespis est non seulement acteur mais aussi auteur – les deux « fonctions » semblent ne pas être distinctes alors.

Au cours de ses quelques siècles d’existence, le théâtre grec et le « travail des acteurs » se sont modifiés. L’acteur joue d’abord seul. Au VIème siècle av. J.C, dans les tragédies, c’est l’auteur qui, changeant de robe, de masque, de voix, incarne tous les rôles. Eschyle invente le deuxième acteur au - Vème siècle et Sophocle le troisième cinquante ans plus tard. Les acteurs sont accompagnés de flûtes et de percussions. Ils jouent en robe et en sandales – et plus tardivement, en cothurnes6 - parlent à travers des masques porte-voix et psalmodient leur texte. « Comme dans les traditions théâtrales de l’Extrême-Orient, le jeu de l’acteur antique et sa gestuelle sont codifiés et stylisés : le port du masque, la faible profondeur de la scène interdisent tout jeu naturaliste. La principale       

1 Les travaux de DORT B., DUSIGNE, GUENOUN D., J.F., RYNGAERT J.P. font exception.

2 BOUHAÏK-GIRONES M., op.cit., p. 108. Elle prend soin d’excepter les travaux de Florence Dupont sur l’acteur romain.

3 Le sens moderne ne correspond pas au sens grec, l’espace théâtral grec étant organisé de manière très différente de celles qui caractérisent le théâtre occidental qui lui succèdera

4

Tout cela est bien entendu fort peu prouvé historiquement et fait l’objet de discussions et de travaux parmi les historiens de l’Antiquité.

5 DEGAINE A., Histoire du théâtre dessinée. Paris : Nizet, 1992, p. 17

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compétence de l’acteur est d’ordre vocal, puisqu’il doit être capable de passer d’un rôle à l’autre, de la déclamation au chant (la monodie), d’un registre à l’autre. »1 La représentation a lieu en plein air, éclairés par la pleine lumière du jour. La scène se trouve dos au soleil, alors que ce sera l’inverse dans le théâtre romain. L’espace du jeu (proskenion) est bien distinct de celui du chœur (orchestra). Celui-ci est constitué de quatorze choristes et d’un coryphée. Le chœur chante et « danse »2. La place respective des acteurs et du chœur évoluent dans le temps. Il semble que dès Euripide (-480 à -406), un mouvement s’amorce vers davantage de « réalisme », dans les « costumes » et dans les masques. Les « comédiens», tous masculins - acteurs comme choristes – sont des citoyens respectables dont le théâtre n’est pas la seule activité.3La mise en scène n’existe pas comme telle et la représentation repose en partie sur des codes, différents selon les époques.4

Les drames satyriques (disparus dès le –IIIème siècle), qui se déroulent avant et après les représentations tragiques, les comédies anciennes (issues des spectacles de rue et des fêtes de fin de vendanges et qui se structurent au début du –Vème siècle), les comédies nouvelles impliquent un travail différent de la part des acteurs. L’équipement est plus léger, les acteurs plus nombreux. A l‘époque de la comédie nouvelle, les acteurs se « professionnalisent » - c’est-à-dire que le théâtre devient leur activité principale. Le chœur disparaît.

En ce qui concerne le financement, le théâtre grec de l’Antiquité est « produit » par des citoyens fortunés, désignés par « l’Etat »5 et pour qui il s’agit d’un honneur.

Les pièces ne sont jouées qu’une fois, dans le cadre d’un concours officiel. Les représentations ont lieu à certaines périodes de l’année, en particulier lors de fêtes en l’honneur de Dionysos et l’espace architectural théâtral s’inscrit dans un ensemble complexe de bâtiments religieux dédiés à Dionysos. Le théâtre s’inscrit dans la structure politico-religieuse de la société grecque. Les représentations, bruyantes et animées sont données devant l’ensemble de la Cité, toute entière convié aux festivités théâtrales (hommes et femmes, esclaves et citoyens).

Après l’époque classique, les acteurs, dont certains bénéficient d’un prestige considérable, s’organisent en confréries qui parcourent tout le monde méditerranéen.6

      

1 SOUILLER D., FIX F., HUMBERT-MOUGIN, S., ZARAGOZA G., Etudes théâtrales, Puf, p. 11

2 la « danse » semble avoir été une marche rythmée accompagnée de gesticulations et de poses ou attitudes corporelles. 3

DEGAINE A., Histoire du théâtre dessinée, Ed. Nizet, Paris, 1992 et Biet C., Triau C.,Qu’est-ce que le théâtre ? 4

par exemple, une robe blanche signifie que le personnage est roi, une robe rouge qu’il s’agit d’une princesse 5 SOUILLER D. & al., op.cit., p. 7

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29 B - L’acteur romain

Le Romain est avant tout un homo spectator1 et Rome connaît de nombreux spectacles : farces militaires, satires rurales, ludi, jeux scéniques contre la peste. Ces derniers sont joués à partir de – 364 par des Etrusques, qui ne sont pas des citoyens romains. Le théâtre reste donc perçu, à Rome, comme un art étranger, à double titre puisqu’il s’inscrit dans un héritage étrusque et grec.2 Le théâtre grec arrive à Rome via la Sicile hellénisée, conquise en – 241. A partir de ce moment, le théâtre se développe à Rome, mêlant le dispositif scénique grec tardif à celui des jeux étrusques et des farces militaires. Le théâtre romain correspond à plusieurs « genres » théâtraux, dans lesquels le travail des acteurs diffère : la cothurnata (tragédie « à la grecque »), genre préféré du public, dans lequel les acteurs portent des cothurnes démesurées mais pas de masque ; la praetexta, tragédie « à la romaine », dans laquelle les acteurs jouant les personnages principaux portent la « toge prétexte » à large bande pourpre ; la palliata, comédie « à la grecque », jouée en pallium (vêtement grec), qui ne déplaçait pas les foules mais dont les pièces sont les seules à avoir échappé à la destruction3 ; la togata, comédie « à la romaine », jouée en toge. Comme à Athènes, l’événement théâtral a lieu certains jours, à certaines périodes précises de l’année et les pièces ne sont jouées qu’une fois. Les acteurs du théâtre romain ne sont pas des citoyens mais des esclaves ou des affranchis. « La profession théâtrale marque d’infamie tous ceux qui l’exercent (acteurs mais aussi musiciens, chanteurs, danseurs) (…) Tout homme libre qui monte sur scène se voit immédiatement déchu de ses droits civiques »4 L’acteur, dans la Rome antique est ainsi un roi et un proscrit5 provoque dans le public romain fascination et répulsion – ce qui est parfois analysé comme origine des malédictions qui frappèrent les comédiens dans le monde occidental par la suite.6 Les acteurs sont des « professionnels », soumis à l’autorité d’un « professionnel » – le dominus gregis, « chef de troupe ». Certains sont de véritables « stars » et gagnent des fortunes. La République romaine eut son acteur « vedette » - Roscius (-134 - 62), jouant les héros furieux dans les tragédies comme les proxénètes et les esclaves dans les palliata. Technicien et théoricien du jeu (Danse avec les doigts, De actor), formateur (il dirige une école), il revendique pour les acteurs le statut de citoyen. Contre toute légalité, grâce à son grand pouvoir, il réussit à imposer le port du masque - alors que les       

1 DUPONT F., op.cit.

2 SOUILLER D. & al., op.cit., p. 18

3 parmi lesquels Plaute et Terence, inspirateurs entre autres de Molière.

4 Référence au décret d’infamie pris par l’autorité prétorienne en 449 av. J.C. A l’époque de Néron et de Sénèque, les acteurs ont atteint le plus bas degré dans l’échelle de le déchéance. A la fin de l’Empire, la loi les contraint à ne pas arrêter leur métier et oblige leurs enfants à exercer la même profession. (SOUILLER D. & al., op.cit., p. 23) Voir aussi GOETSCHEL J. Les Pères de l'Église : la tentation du théâtre in Études théologiques et religieuses 2007/3, Tome 82, p. 393-415, p. 395

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ce que F. DUPONT analyse comme fruit de la nécessité de séparer les deux actes de parole que sont théâtre et politique.

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