~,PPR":IITISS,\GE DU CHAHP COIICEPTUEL DE L'ENERGIE POUR DES ELEVES INGENIEURS
Frédéric t1ARTHALER
Ecole d' Incrénieurs Bienne (S,Üsse) et Lahorat~ire de Didactique et
Episté~ologiedes Sciences Université de Cenève
Résumé Le mot "énergie" recouvre des notions bien diverses dans son usage courant. Ceci rend plus difficile aux étudiants
l'appro-che àu concept phys"ique de l'énergie. L'auteur fait paT d'un
projet d'~tllde qui devrait d~qager une voie favorisant l'ac-qUIsition de cette notion aux ~tudiantsd'une ~cole d'inq~
rueurs. Il sernblerait qu'une composante affectiFe estinàis-sociahle des mécanismes d'appre~tissage.
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-Le me)t "'?nerqi(~" <'st et
:2
~n()dc. Tout le monde cn rle, parcE'que l'~~nergie cuûte cher-, par-ce qu'il faut 1.léconomisf'r, etc. L'lltilisarion du mot par les In~dia conduit SOllVCflt ~ des rpnfor-cements d'crreur, dr
le! de l ' "6nercJie"
fllSlon, d'abus CL de transfcrt_s: orl pdr-premier mi.nistre, dp l ' "énE:'rl]iel1 vitale,
de l"'éner~jie" spirilU(>lle . . . La publicité nous apprend que , 0 \ ' 0
-rnaltinc donne de l'''énergie'' à nos enfants, etc. Toutes ces rppré-sentatlons ne facilitent pas la compréhension du terme lorsgll' doit recouvrir la notion physique.
Nous nous sommes alors demandé quelle POUVdlt être pour l'homP.',E:" de la rue la représentation gu1i l se faisait du terme r'énergicH
au sens physique. Mais la réponse est trop difficile. Assez vite, nous avons vu qU'lI fallait restreindre une telle quête â une cat~gorie particuli~reet relativement homogêne de population
(tout naturellement nos ~tudiants) et ensuite - autre restrictIon -limiter le champ conceptuel au seul domaine m~canlque. C'est délà une gageure. En effet, les différents genres d'investigation
pro-jet~s sont nombreux et demanderont beaucoup de temps, mais les premières réponses semblent d~Jà montrer que nous avons raison de nous Intéresser à cette question.
Nous allons tout d'abord poser le problème tel qu'il apparaît à première vue et peut-être que la discussion qUI suivra va suggé-rer des directions nouvelles à creuser.
En montrant erlsuite au rêtroprojecteur les r~ponses j'un ét~dia~ à un questionnaire parmi ceux qui ont été envisagés, nous avons pensé à donner aussi matière à r~fleXlon et à discussion pendant le co lloque .
2. BUTS ET MOTIVATIONS DE LA RECHERCHE
Nous sommes convaincu que l'ingénieur ETS joue un rôle important dans la propagatIon des idées scientifiques et qu'une étude
sys-t(rrlatl ue de sa fC)["mdtion dans ce domaine, sous une for-me â la
ist:6mo]ogi~ueet exp6rlmentale, serait d'LI!) grand intêrêt. pcut-0tre que certalnes difficultés propres à l'enseignement de cet.te notion aux inqénieurs pourraient être alors at.ténuées. Nct~e r(~chprche tentera donc (le faire le point sur l'enseignement dl~ (:onc"cpt d'&ncrgie aux futurs ingénieurs et proposera des ins-trUffients de travail (tests, questionnaires).
aspects à plusieurs
Francis Halbwachs s'intéresse
Dans son remarquable ouvrage "La pensée physique chez l'enfant et Je savant" (1)
épistEmologiques des notions fondamentales de la physique (celles
le ~od~le, de causalité, de forces, de vecteurs, etc.). Il en
analyse la qenêse chez l'enfant et en décrit l'aboutissement chez le savant a~ cours de l'histoire. Il serait donc int~ressant d'&-tudler le cas interm&diaire de la formation de jeunes adultes ini enfants, ni savants) pour la notion de base qu'est l'6nergie. Dans l'un de ses ouvrages (au cours d'une brêve incursion dans le domaine de l'énergie) Laurence Viennot ( 2 ) avoue: "Il reste
beaucoup à faire pour analyser plus finement la nature des raison-nements spontan6s concernant l'6nergle, sous forme m6canique ou
autrel
' •
l,ors des Journées internationales de Chamonix sur l'éducation scientifique (1980 et 1981) ( 3 ) les problèmes d'appropriation du savoir scientlfique sont apparus comme fondamentaux à notre 6poque. Là aussi, les modalités d'apprentissage des notions fon-darrlental,es des sciences étaient à l'honneur. L'étude du concept de l'6nergie et de son enseignement entre tout à fait dans le cadre de recherches semblables.
(1) FranC15 flalbwachs, La perls~e physiqu~ chez l'enfant et le savant, De1achaux et Niestlé, Paris 1974
(2) L<.lur>::nce Vienn(,)t, Le raisonnpment spontané en dynamique élémentaire1 Hermann, Paris 1979, p.39
(3) Actes des Deuxi~m~et Troisi~m~Journéessur l'Education scientifique, Cham")['jix, !\pproche des processus de construction des concepts en sciences, 1980 ct Dlffllsion 0t approprlatlon du savoir scientifique: enseignement et vulgarisation, 1981
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-3. L'IDÉE-MÊME D'ÉNERGIE. ORIGINE HISTORIQUE
Le concept d'énergie a été l'un des derniers à être défini
clai-rement dans l'histoire de la mécanique. Il faudra attendre
La-grange (1788) et Hamilton (1ère moitié du 1ge siècle) pour pouvoir
le placer sans ambiguité dans l'arsenal des grandeurs physiques. Cette recherche ne saurait être abordée sans au mOlns une étude
précise de l'évolution historique de la mécanique classique. Une
des ambiguités les plus tenaces du concept d'énergie - difficulté à laquelle tous les enseignants de la branche se heurcent encore
aUJourd'hui face au raisonnement spontané de leurs étudiants - se
trouvait déjà inscrite dans l'ancien terme-même désignant
l'éner-gie cinétique: la "force vive". En effet. la confusion entre force
et énergie est liée à la notion de causalité dans le mouvement et à l'idée intuitive que nous en avons.
Au-delà même de Newton, les racines de l'ambiguïté doivent plonger
d'ailleurs jusque chez Aristote, qui n'était pas encore en mesure
de distinguer clairement "mouvement" et "changement de mouvement".
L'entretien du mouvement horizontal uniforme idéal (sans
frotte-ment) ne nécessite ni force ni énergie, celui du mouvement réel
veut pour "cause" la compensation de la force de frottement et consomme de l'énergie.
Une ambiguïté historique, d'un tout autre ordre celle-là, a
per-sistê pendant très longtemps: énergie mécanique et chaleur.
Au-jourd'hui encore la prise de conscience de la nature identique de ces deux concepts est difficile pour la plupart des étudiants. Est-ce la fatalité d'une certaine ontogénèse, c'est-à-dire pour l'individu de repasser par les mêmes stades d'évolution que ceux de l'histoire de l'espèce? Cette étude permettra d'avancer quel-ques comparaisons.
4. ETAT ACTUEL DE L'ENSEIGNEMENT DE CE CONCEPT
Des indicateurs caractérisant la situation actuelle dans une école d'ingénieurs seront mis en évidence.
Les méthodes d'enseignement pratlquées en ce moment dans notre école sont très conventionnelles et consistent en
a) un exposé par le professeur, le moment venu, des notions de
travail, d'énergie cinétique et potentielle par leur
défini-tion mathématique à partir des grandeurs dynamiques et
ciné-matiques connues, ainsi que du principe de conservations;
b) la pratique d'exercices variés utilisant le calcul littéral,
puis numérique en vue de déterminer l'énergie de systèmes
simples, ou de la transformation d'une forme d'énergie à une
autre;
cl les épreuves "taxées·, qUl ont le méme contenu que les
exerci-ces.
I~ s'agira de décrire finement et d'évaluer les conséquences de
la situation actuelle d'enseignement et de contrôle de cette ma-tière dans la branche physique.
5. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
On tentera d'approcher les représentations des élèves et préparer des stratégies pédagogiques heuristiques.
Sur le plan pratique, nous essayerons de mettre au point une
méthode d'enquête à affiner progressivement.
Deux temps forts seront marqués:
AI pré-test: avant une activité éducative
BI post-test: après une activité éducative
Trois composantes complémentaires étayeront le travail:
al Entretien et discussion (avec ou sans support)
bl Questionnaires ouverts ou fermés
cl Observation et analyse des représentations en situations de
classe.
6. LES SURPRISES D'UN QUESTIONNAIRE
A titre d'exemple, nous tirons trois questions d'une série qui a
déjà été proposée à nos étudiants et nous transcrivons les
- 434
-( l . l . lOlI'ESf-CE OllE 'D
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l.:.''inergie. 'h::'l.:..r'ue
ans, a{Ol'S
Orl constate que (pour cet étudiant) un certain aspect phi
10-sophique domine. L'homme est au centre de ses préoccupations. b.:2,
QU'EST-CE OllE LE TRAVAIL"
r:·c'n.:~')mrnQtion d"énerg/e perrr:et La rf:'~l>:.;ation de hvp.'aine rUJtUf'eZl.e.
Humanisme ici aussi! Même les définitions physiques sont
"orien-tées": " . . . dans un but bien précis":
A-T-IL n'AUTRES F0RMES
D'~NERGIE? LESQUELLES"
Aprés de savantes explications (un peu confuses) sur les trans-formations de l'énergie électrique, l'étudiant ajoute:
"r-
'énerg-ie muscu.laire, ~'énergl:e therrrn'que, Z.'éner'gL:e 20':'0ir''3 , éotienne,L'éner~n:e du. désespoif' -'''
Le trait d'humour final semble d'ailleurs le remettre tout à fait à l'aise!
C'est donc bien dans l'esprit de rechercher les vraies motiva-tions d'apprentissage de nos étudiants que nous allons orienter notre travail. L'anthropocentrisme évoqué par les exemples ci-dessus n'est pas incompatible avec une véritable curiosité
scientifique et peut être à l'origine d'une excellente
stimula-tion à l'étude.
Il semble en effet que la composante affective y joue un grand
rôle et qu'il est illusoire d'insister outre mesure - au début du
moins - sur l'aspect formel dans la représentation des concepts