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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Une expérience d'alphabétisation scientifique par un chercheur : la femme, le docteur et l'honnête homme

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Academic year: 2021

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UNE EXPÉRIENCE D'ALPHABÉTISATION SCIENTIFIQUE

PAR UN CHERCHEUR: LA FEMME, LE DOCTEUR ET

L'HONNÊTE HOMME

Élisabeth BACON IN.S.E.R.M. Strasbourg

MOTS-CLÉS: COMMUNICATION SUR LA SAN1É - VULGARISATION PAR LE CHERCHEUR

RÉSUMÉ: Le but de l'étude est d'explorer les différents niveaux de vulgarisation de la recherche et de l'information médicale dans la presse écrite.Lacommunication se fait sans intermédiaire, c'est le chercheur lui-même qui vulgarise son savoir. Plusieurs articles portant sur un même sujet ont été soumisàdes revues s'adressantàdivers publics(Santé Magazine,LeMonde, Prescrire, Impact Médecin, ...). L'information proposée décrit les effets sur la mémoire des tranquillisants.Laseconde étape concerne l'enregistrement des événements et des négociations avec les journaux.

SUMMARY : The aim of the study is ta investigate the different Ievels of the popularization of scientific research and medical information in the written press. The research is based on an attempt to popularize scientific knowledge by a scientific researcher. The information concerns the anxiolytic drugs. Severnl articles were written on this subject and submitted to various newspapers addressing different audiences (medical journals, a general daily newspaper, women's journals). The research comprises the recordings, progressively, of the events and negociations with the variousjournals.

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1. INTRODUCTION

Tout chercheur est un acteur de l'information, ne serait-ce qu'à l'intérieur de son laboratoire. Cependant, les scientifiques communiquent peu leur savoir en dehors du cercle de leurs pairs. Par ailleurs, la place prise par les articles scientifiques dans la presse quotidienne gagnent en importance. La familiarité du chercheur avec son sujet de recherche ne devrait-elle pas le rendre sensibleà la manière dont se divulgue cette connaissance? Quel est le rôle effectif des scientifiques dans la diffusion du savoir? La vulgarisation scientifique peut-elle -doit-elle- être faite par les scientifiques? Quels sont les obstacles, volontaires ou involontaires,à ce transfert ?

Quel scientifique ne s'est-il pas entendu interroger sur ses activités, chez son coiffeur ou lors d'un dîner? La question de l'alphabétisation scientifique se pose pour le chercheur dans le quotidien d'une demande légitime. La forme la plus classique de réponseàces demandes se trouve dans les journaux de vulgarisation. La plupart des grands journaux d'informations générales qui publient une rubrique "science" ont un ou plusieurs journalistes scientifiques attachés à leurs services et ne souhaitent ni n'acceptent d'autres contributeurs.ilest exceptionnel qu'un chercheur publie un article scientifique dans les colonnes duMonde.

2. LE PARCOURS MÉDIATIQUE D'UN SUJET DE RECHERCHE ou les 3 visages des anxiolytiques, outils de recherche, pilules du bonheur, pilules de l'horreur

J'ai choisi de baser ma recherche sur une expérience concrète de communication, en tentan t de "vulgariser" ma propre recherche. Chargée de recherchesàl'INSERM, neurochimiste, j'ai étudié le

récepteur GABA/benzodiazépine ou GABAA, un système de transmission nerveuse complexe, objet

de travaux de recherche fondamentale et clinique dans de nombreux laboratoires avec les techniques les plus modernes. Plus précisément, j'ai réaliséune étude pharmacologique de l'ontogénèse des récepteurs GABAA dans le cervelet chez la souris normale et dans un modèle de développement perturbé... En d'autres termes, j'ai étudié ces récepteurs au cours du développement après la

naissance chez la souris. Les benzodiazépines (flunitrazépam, diazépam, ou RD15-1788)sont des molécules de synthèse dont j'ai utilisé des formes radioactives pour mesurer les récepteurs GABA.

J'ai communiqué mes recherches à mes pairs dans des journaux de neurosciences comme

Developmental Brain Research, ou Neuroreport. Comme je m'intéresse à la communication scientifique, j'ai aussi publié deux articles dans des journaux de vulgarisation,Médecine/science etLa Recherche. Médecine/Science est un mensuel franco-canadien de langue française qui publie surtout

des articles de synthèse destinés aux biologistes, cliniciens et étudiants en médecine. Mon article est une mise à plat qui expose l'état des lieux des connaissances sur ce récepteur.iltraite uniquement de recherche fondamentale.La Recherche est lu par des scientifiques de toutes disciplines, chercheurs

ou enseignants. Mon article est une mise en relief qui aborde le récepteur GABA avec une trame historique.

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Mais les benzodiazépines sont aussi des médicaments, largement utilisées comme anxiolytiques, somnifères, anticonvulsivantes et relaxantes musculaires. Le flunitrazépam est commercialisé sous le nom de Rohypnol, le diazépam est plus connu sous son nom de Valium et le RO 15-1788 s'appelle aussi Anexate. Les français en sont les plus gros consommateurs au monde. C'est pourquoi l'article de La Recherche comporte une section consacrée à leurs usages thérapeutiques, dont je ne me préoccupais aucunement pendant mes activités de recherche.

Les benzodiazépines, en tant que médicaments, sont susceptibles, dans certaines conditions, d'entraîner des troubles de comportement particuliers, avec désinhibition et agressivité paradoxale. Elles peuvent aussi provoquer des troubles de mémoire - une amnésie antérograde, c'est-à-dire que le sujet ne garde aucun souvenir des événements correspondant aux quelques heures suivant la prise du médicament, jusqu'à ce que celui-ci soit éliminé de son organisme. Ces phénomènes sont exacerbés avec une benzodiazépine particulière commercialisée sous le nom d'Halcion. Lorsque les deux types d'action se combinent, les conséquences peuvent être dramatiques. C'est ce qui est arrivé à Ilo Grundberg, une américaine de 54 ans, qui tua sa mère sous l'emprise de l'Halcion et n'en a gardé aucun souvenir. Voici ces médicaments héros de faits divers...

Dans une troisième étape de communication de mon savoir scientifique, j'ai proposéàdes journaux non scientifiques un article exposant le point de vue du scientifique sur le récepteur GABA et les anxiolytiques. Ce sujet est particulièrement intéressant car il concerneà la fois le quotidien de tout un chacun et mon quotidien de chercheur en neuroscience. J'ai donc rédigé des articles développant un aspect du sujet et les ai soumis à des revues s'adressant à des publics différents: des revues de vulgarisation de haut niveau destinées aux chercheurs et enseignants, des journaux destinés aux médecins généralistes, un grand quotidien, des magazines féminins (voir tableau).

J'ai alors développé une réflexion sur la communication scientifique à partir de la matière première constituée par les articles eux-mêmes, les résultats des démarches et des négociations avec les revues.Àquoi se sont ajoutés des entretiens avec des chercheurs, des médecins et des journalistes scientifiques ainsi que l'examen du courrier des lecteurs.

3. ANALYSE DES RÉSULTATS

3.1 Les paradoxes du chercheur-communicateur

Àpremière vue, le chercheur a sur le journaliste l'avantage de ne pas être soumis à la pression de l'événement. Ce qui devrait lui permettre de disposer d'un certain recul par rapport à l'information. Ce point est crucial lorsque l'on traite de la communication médicale. La charge émotionnelle et les intérêts économiques qui accompagnent cette information et le médicament obligent le chercheur à composer avec plusieurs paradoxes. Pour commencer, il est pris~ devoir de communiQuer et le devoir de réserve. Citons les recommandations du Directeur Général de l'I.N.S.E.R.M. au Dr Benveniste lors de l'affaire de la mémoire de l'eau:les chercheurs ont un

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devoir d'information vis-à-vis de la société (. ..) Mais, en cela même, les chercheurs ont un devoir de réserve vis-à-vis de la population: la confiance que celle-ci leur témoigne doit les inciter (. ..) à se garder de tout excèsdansl'affirmation et de tout abus de l'autorité qui est liée à leur position sociale de"savant'

Il y a paradoxe aussi entre le devoir de communiquer les effets secondaires indésirables d'un médicament et un devoir de réserve Qui lie le chercheur à l'industrie llhannaceutiQue ayant contribué à financer le projet de recherche (qui a éventuellement mis à jour ces propriétés négatives des médicaments qu'elle commercialise).

Il y a paradoxe enfin entre le devoir de communiquer le rappon bénéfice/risque et le souhait d'obtenir l'action Qlltimale d'un traitement. Le lecteur peut être aussi un patient.Lavérité mêdicale n'est pas synonyme d'efficacité peut dire un neurologue.

Bien d'autres contradictions jalonnent le parcours. Dès lors qu'il cherche à communiquer par l'intermédiaire des médias grand public, le chercheur est soumis aux mêmes impératifs que les journalistes professionnels: le contenu de ses articles doit correspondre à l'actualité. On se retrouve face à un nouveau paradoxe pour le chercheur-communicateur: conjuguer le recul nécessaire avec l'exigence des médias de lier information scientifiqueàactualité. PourLeMonde, les sujets doivent

même correspondre à des événements récents et précis: un anicle m'a été refusé comme actuel mois

pas un événement. J'ai donc dû suivre une stratégie particulière et guetter les événements susceptibles

de me permettre de parler des benzodiazépines ou du récepteur GABA. Et, suite à deux événements les concernant qui se sont succédés en l'espace de deux mois, l'intérêt des médias vis-à-vis des benzodiazépines s'est ravivé: le moment était propice, ma proposition fut bien reçue.

3.2 Sélection de l'aspect du sujet traité

Les journaux non scientifiques ont reçu une proposition de contribution développant un aspect particulier du sujet récepteur GABA. Cette sélection était le résultat d'une étude systématique préalable des contenus des articles scientifiques des journaux ciblés. J'avais ainsi retenu comme thème une mise au point sur les "benzodiazépines naturelles" (l'équivalent des endorphines).Lamise en évidence chez l'homme de l'existence de ces molécules appone en effet un regard nouveau sur l'anxiété, cenaines affections psychiatriques et leur traitement. Ce sujet a été soumis au Monde et aux revues médicales. Au Monde on l'a refusé parce que Actuel, mais pas un événement. Prescrire l'aurait refusé car trop théorique et trop fondamental.LaPresse Médicale a accepté le sujet et Impact médecin en a fait un usage tout particulier (voir 4.5).

À l'occasion des faits ayant attiré l'attention sur les dangers des benzodiazépines, j'avais proposé au Monde un sujet relatif à l'événement en question: expliquer les travaux et les voies de recherche en cours visantàtrouver d'autres anxiolytiques. Mais le responsable était plutôt curieux des effets de ces médicaments sur la mémoire. Les médicaments existants susceptibles d'être prescrits comme alternatives aux benzodiazépines, auraient, en revanche, intéressé Impact Médecin.

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ÀSanté-Magazine,j'ai proposé les effets des benzodiazépines sur la mémoire. La direction s'est déclarée enchantée de me publier un article sur les... éventuels effets indésirables inhérents à la

prise excessive de benzodiazépines.Ce qui est différent de la proposition de départ.

Les revues ont donc une idée très arrêtée des sujets susceptibles d'intéresser leur lectorat, une représentation qui ne correspond pas toutàfaitàcelle du chercheur que je suis.

3.3 Accueil des journauxàla proposition. Ma proposition d'article a suscité:

-l~auprès de La Recherche, La Presse Médicale, Pour La science. Intérêtà Impact médecin. qui ne se considérait pas comme un media pour mes articles (on m'a exposé les objectifs très pratiques de la revue qui ne sont pas d'évoquer les controverses et les démarches de la recherche. - Réticences et craintes au Monde quantàla lisibilité et l'intérêt pour ses lecteurs, d'un article écrit par un scientifique. Elles s'accompagnaient toutefois de curiosité pourmadémarche.

-~àpeine voilée chez Marie-Claire et Top Santé suiteà madémarche téléphonique.

- Indifférence de la plupart des magazines féminins qui n'ont pas réponduà mes courriers (Elle,

Marie-Claire, Vital, Prévention Santé et Top Santé.)

-~chez Santé Magazine, qui m'a fait remarquer qu'il est rare qu'un chercheur s'intéresse au grand public. Et étonnement qu'un scientifique ait suécrireune lettre très claire et très précise!

La méfiance que manifeste la presse grand publicà l'égard de la capacité des scientifiques à diffuser eux-mêmes leur savoir nous donne une idée de l'image qu'elle se fait du chercheur. Ce dernier ne saurait se faire comprendre que par ses pairs.

3.4 Consignes et conseils du journal grand public à un chercheur

Les revues scientifiques fournissent des instructions aux auteurs. Rien de tel, bien entendu, dans les journaux grand-public. J'interrogeai donc ces derniers. Leurs recommandations sont assez semblables: faire court, se dire que les gens ne savent rien, placer le sujet dans son contexte d'actualité, penser au lecteur comme un consommateur, éviter les questions sans réponses, et même:

Pas d'aveu de faiblesse,éviter les aspects trop techniques, faire une conclusion pratique, prendre bien gardeàne pas ennuyer le lecteur.

Tout celaparaîttrivial mais n'est pas superflu car c'est bien différent de ce que le chercheur a l'habitude d'écrire dans la littérature spécialisée. La relativité de la vérité est bien acceptée et les questions sans réponses sont considérées comme stimulantes.

3.5 Un exemple de négociation et de modification imposée au manuscrit

L'interaction avec Impact Médecin prit une tournure toute particulière. J'avais proposé un manuscritàune correspondante du journal qui m'avait contactée. Elle se servit alors de mes textes dont elle préleva des extraits (des articles parus dansLaRecherche,du Monde ainsi que du manuscrit original sur les benzodiazépines naturelles) pour reconstruire une interview fictive. Ce qui lui servità renforcer un point de vue explicité de manière beaucoup plus radicale que dans mes propres textes. Elle s'était servie de moi pour faire passer son message en m'utilisant comme référence! Cette expérience est exemplaire des procédés pratiqués dans les médias et confirme l'implication sociale de

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la science. Elle avait d'ailleurs eu lieu à la même époque où un présentateur de télévision bien connu avait reconstitué une interview fictive de Fidel Castro...

4. CONCLUSION

On a généralement tendance à reprocher au chercheur de ne pas beaucoup communiquer son savoir en dehors de ses pairs. Toutefois, au delà des nobles déclarations d'intention, l'apport des chercheurs à cet effort de communication vers les divers publics n'est pas vraiment facilité et peu valorisé. Il est demandé aussi au chercheur-vulgarisateur de concilier des exigences apparemment contradictoires comme faire réfléchir mais éviter les questions sans réponse. Mon expérience démontre que c'est néanmoins faisable. À la diversité des publics il est possible de proposer les représentations diversifiées correspondantes de la science. Cette démarche à deux volets me permet d'appréhender de l'intérieur un certain découpage de l'information scientifique, les véritables enjeux, et les modalités du transfert des connaissances. rai ainsi pu constater que la réceptivité vis à vis des informations provenant de la recherche scientifique est plus grande pour un grand quotidien ou un magazine féminin que pour certains journaux médicaux. Cette étude devrait aboutiràune amélioration du dialogue entre les chercheurs, les médias et le public.

- un journal de revue destiné aux chercheurs, cliniciens et - Le système complexe des récepteurs étudiants en médecine. GABA/benzodiazépine, Bacon E. et Viennot F, MIS

médlsci., 1990, 6, 770-7

- des journaux de vulgarisation destinés aux scientifiques - La chimie de l'anxiété, Bacon E. et Viennot F.,La

de toutes disciplines. Recherche. 1991,12,1424-1431.

- Les tranquiIlisants sur la sellette, Bacon E., La

Recherche, 1991, 12,1400.

- Mortelle anxiété Bacon E. La Recherche, 1994 25 7.

- des journaux destinés aux médecins généralistes. - Benzodiazépines : le renouveau, interview fictive,

Impact Médecin, janvier 1992.

- Anxiété, rôle des ligands endogènes des récepteurs benzodiazépine, Bacon E.,La Presse Médicale, 1992,21,

36, 1703-1705.

- un grand quotidien. - Les effets des benzodiazépines sur la mémoire :Dr

]ek:vll ou Mr Hvde ? Bacon E. le Monde, 1 ianv. 1992.

- un magazine féminin. - J'ai lamémoire qui flanche, ... d'un effet inattendu des tranquillisants, Bacon E., proposéàTop santé, Vilal, Prévention Santé, Santé Magazine.

- Le baby·blues : la faute au GARA? proposéàElle et Marie-Claire.

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