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Devenir artiste de cirque aujourd'hui : espace des écoles et socialisation professionnelle

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Academic year: 2021

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Délivré par l'Université Toulouse III - Paul Sabatier

Discipline ou spécialité : Sciences et techniques des activités physiques et sportives

JURY

CLEMENT Jean Paul, Professeur, Université de Toulouse III (président) FAURE Sylvia, Professeure, Université Lyon II (rapporteur)

GADEA Charles, Professeur, Université Versailles St Quentin en Yvelines GASPARINI William, Professeur, Université de Strasbourg (rapporteur)

GUY Jean Michel, Ingénieur de recherches, Ministère de la Culture

HASCHAR-NOE Nadine, Maître de conférences, Université de Toulouse III (directrice)

Ecole doctorale : CLESCO

Unité de recherche : Sports Organisations Identités (EA 3690) Directeur(s) de Thèse : HASCHAR-NOE Nadine

Rapporteurs : FAURE Sylvia, GASPARINI William

Présentée et soutenue par Emilie SALAMERO

Le 9 novembre 2009

Titre : Devenir artiste de cirque aujourd'hui: espace des écoles et socialisation

professionnelle Tome 1

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« La recherche c'est peut-être l'art de se créer des difficultés fécondes. [...] Là où il y avait des choses simples on fait apparaître des problèmes.» (Bourdieu, 1984, 58) ; peut-être réside là tout le cheminement de notre travail de thèse.

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(5)

Remerciements

Mes premières pensées s’adressent à Nadine Haschar-Noé, ma directrice de recherche, qui m’a généreusement accompagnée tout au long de ce travail de thèse. Attentive dès notre première collaboration, elle a toujours répondu favorablement à mes diverses demandes. Cette qualité et la cordialité de nos relations ont été pour moi un véritable moteur.

Je remercie ensuite l’ensemble des membres du laboratoire « Sports Organisations Identités », de son directeur à ses doctorants, pour leur dynamique collective de recherche, leur écoute et l’intérêt qu’ils ont porté à mes travaux. Je remercie aussi ses membres titulaires d’avoir accueilli un parcours de thèse « atypique » et surtout, accepté ma candidature pour un poste d’ATER, sans lequel ce travail de thèse se serait vu d’autant plus ralenti. Mes remerciements s’adressent aussi au Ministère de la Culture qui a soutenu ce projet de thèse en m’octroyant une bourse.

Bien évidemment, cette recherche n’aurait pu avoir lieu sans l’accord des différents acteurs qui ont ouvert leurs écoles ou qui ont dévoilé de leur intimité. Je les remercie pour leur curiosité bienveillante et le temps qu’ils m’ont accordé, parfois précieux.

Enfin, je remercie mes proches d’avoir su sans cesse renouveler leur soutien face à la temporalité de ce travail. Parmi eux, je tiens particulièrement à remercier Odile sans qui il n’aurait pu avoir lieu. Merci aussi à mes « correcteurs » efficaces et à Benoît, dont l’humour est venu apporter le souffle nécessaire à ce marathon. Enfin, une pensée particulière à Léna pour la compréhension, à sa manière, dont elle a su faire preuve.

(6)
(7)

Table des matières

Introduction générale

1

Partie I. Espace de formation et socialisation

professionnelle : varier les échelles d’analyse

25

Chapitre 1. Le cirque, un objet d’analyse sérieux ?

25

1. La maturation de l’objet 26

2. Le vécu : un atout ? 27

3. Perspectives méthodologiques 30

3.1. Un échantillonnage multiple 30

3.1.1. Des écoles professionnelles variées 31 3.1.2. Des interviewés au statut distinct 32 3.2. Des partis pris à la réalité : une enquête scindée et temporalisée 35 3.3. Les entretiens : de la conception à la réalisation 39 3.3.1. Trame des entretiens : une aide préparatoire à l’analyse 39 3.3.2. Mener un entretien : s’adapter à l’autre 42 3.4. Traitement de données disparates 45

Chapitre 2. Du « cirque moderne » aux « arts de la piste »:

la constitution d’un champ du cirque ?

48

1. Champ et luttes de pouvoir 49

2. Les principes hétéronomiques du cirque : une spécificité ? 58

Partie II. Scolarisation du cirque et trajectoires des

écoles professionnelles

65

Chapitre 3. L’académisation et la hiérarchisation des écoles

de cirque

67

1. La scolarisation et la rationalisation de l’apprentissage 67

1.1. De la scolarisation par l’Etat à la contribution de

la FFEC 68

(8)

d’artiste de cirque 71

2. Des écoles de formation professionnelle : l'élaboration d’une

« généalogie » institutionnelle de la formation 76

2.1. De l’intérêt de l’Etat pour la formation initiale : l’imposition

de nouvelles catégories 76

2.2. Les catégories de la FFEC : un entre deux entre l’espace

et l’institution étatique 80

Chapitre 4. Genèse et structuration des écoles :

une hiérarchisation revisitée

84

1. L’école de cirque d’Amiens : du cirque en bois à la municipalisation

pérenne 85

2. L’ENACR : de l’animation socioculturelle à l’industrie culturelle 93 2.1. La rencontre entre un « passionné » et une municipalité 93 2.2. D’une école municipale au label ministériel : une marche

vers l’art ? 97

2.3. Le travail de la notoriété élargie : vers la visibilité

internationale 102

3. Le CNAC : des divergences à la consécration 108

3.1. Des moyens d’exception pour une école d’élite 108 3.2. La direction du CNAC: la récurrence des conflits 115

4. Le Lido : des arts de la rue à la reconnaissance 121

4.1. De l’Education Populaire à la création 121

4.2. Intervenir au Lido : homologie des positions et proximité

des schèmes de perception 129

4.3. Lutte statutaire et argument de choix : la notoriété de l'école 134 4.4. Le résultat ambigu d’un combat institutionnel permanent :

le « village de toile » 139

5. Balthazar : de la reconversion professionnelle à une école qui compte 143 5.1. Une activité soumise à la demande et aux subventions 143 5.2. La légitimité sociale à l’appui : le rôle des agréments et

de l’accès direct au CNAC 151

(9)

6. Et vous trouvez ça drôle !!! : d'une « passion » tardive

à une offre concurrentielle 162

6.1. La rapidité de l’ascension : appui institutionnel et

mise en place d’un « projet culturel » 162

6.2. Une diversification stratégique de l’offre de formation et

des ressources financières 168

Conclusion de la partie II : 174

Partie III. Construction des positions et dynamique

de l’espace des écoles professionnelles

178

Chapitre 5. Contenus de formation et idéal de l’artiste :

des ambitions différenciées

178

1. L'école de cirque d'Amiens : vers un artiste technicien...

des équilibres sur mains 181

2. L’ENACR : un interprète entre l’art et le sport 193

3. Le CNAC : vers l'artiste « total » et « intellectuel » 199

4. Le Lido : un artiste « créateur » et citoyen 212

5. Balthazar : un artiste polyvalent 220

6. Et vous trouvez ça drôle !!!: un « technicien » du cirque 229

Chapitre 6. Des finalités pédagogiques au recrutement

des formateurs

241

1. L'école de cirque d'Amiens : des experts extérieurs...pour l’élite 242

2. L'ENACR : des formateurs légitimés par des diplômes sportifs 244

3. CNAC : face à face pédagogique et masculinité 251

4. Lido : des professionnels de la scène 255

5. Balthazar : le diplôme scolaire comme preuve de compétence 257

6. Et vous trouvez ça drôle !!! : le recrutement d’experts

en disciplines« circassiennes »...en Chine 262

Chapitre 7. Un outil de légitimité primordial :

les dispositifs d’insertion

268

1. Une nécessité relative: l’école de cirque d’Amiens et l’ENACR 269

(10)

de légitimité professionnelle et artistique 270

3. Le Lido : un double dispositif innovant 274

4. Balthazar : une (nouvelle) voie qui s’affirme 280

5. Et vous trouvez ça drôle !!! : de l’insertion (locale) par

la programmation 283

Chapitre 8. Les données d’insertion des écoles comme indicateur

de leur position

286

1. L'école de cirque d'Amiens : un double projet d’insertion 286

2. L’ENACR : une position en cours de redéfinition 289

3. Le CNAC : justifier le statut d’école supérieure 290

4. Le Lido : une école professionnalisante 293

5. Balthazar : l’objectivation de l’espace et de ses états successifs 296

6. Et vous trouvez ça drôle !!!: de la « préparation » à l’insertion,

un cursus autonome 302

Chapitre 9. Conclusion: Dynamique de l’espace des écoles

professionnelles

308

1. Des écoles stratèges 308

2. Nature des ressources et prise de position 319

3. Vers un espace multipolaire 324

4. Un espace configuré 331

Partie IV. Accéder à une école de cirque professionnelle :

droits d’entrée et vocation

345

Chapitre 10. Le recrutement des apprentis artistes :

l’amorce de la carrière ?

345

1. Modalités de l’élection : entre rationalisation et subjectivité 347

2. Un processus différencié par école : recruter pour se positionner 355 2.1. Les procédures de recrutement du « pôle »sportif 355 2.1.1. l’ENACR : un concours controversé 355 2.1.2. Balthazar : l’évaluation à distance des savoir-faire...

sportifs 366

(11)

2.2.1. Et vous trouvez ça drôle!!! : la spécialité cirque

avant tout 372

2.2.2. L'école de cirque d'Amiens: une sélection technique

ou physique? 375

2.3. Droits d'entrées et écoles artistiques: un danger pour l'art? 380 2.3.1. Le CNAC : l'internationalisation contre le formatage 380 2.3.2. Lido : la « gueule » comme condition de l’excellence 385

3. Le jury de sélection : entre objectivité et subjectivité 393

3.1. Une rationalité inadaptée : l’exemple du CNAC et de l’ENACR 393 3.2. Quand les subjectivités se croisent...l’exemple du Lido 401

4. Un recrutement masculin ? 410

Chapitre 11. Les conditions de la vocation

419

1. Les prémices d’une individualité : position sociale et

socialisation familiale 421

1.1. Un noyau dur de classes moyennes à supérieures 422 1.2. Une identité à la « marge »: le cumul entre modèle éducatif

et position dans la fratrie 428

1.3. Une transmission culturelle relative 444

2. Entre stratégies familiales et non conformité :

des apprentis a-scolaires ? 451

3. Une socialisation propédeutique plurielle mais avant tout sportive 461

4. La construction tardive d’un projet professionnel : le rôle

des écoles de cirque 468

4.1. Le cirque comme un sport...différent 468

4.2. Faire partie du monde : la condition de la réalisation

de la vocation 472

(12)

Partie V. Le parcours de formation : travail du corps

et de la culture légitime

484

Chapitre 12. Le renforcement ou l’acquisition de dispositions

physiques : l’amorce d’une transformation de soi

486

1. Le cirque d’élite : un univers pensé comme masculin ? 494

2. Une formation corps et âme : une remise en question relative

de la vocation 510

Chapitre 13. Spécialisation et acquisition d’un capital technique:

une condition de la création

523

1. Choix ou suggestion : la construction du goût pour une spécialité 523

2. Le dépassement de la douleur et du déplaisir 535

3. La formation professionnelle comme lieu de rencontre des

« évaluateurs » du « cirque contemporain » 546

Chapitre 14. Le processus de singularisation de l’artiste :

vers l’expression de soi

552

1. Une introspection réflexive 553

2. Le je par le jeu du regard 564

3. La vie de bohème : mener une vie non « ordinaire » 573

Conclusion de la partie V: 585

Conclusion générale :

588

Bibliographie : 595

(13)

1

Introduction générale.

Dans la continuité de nos travaux précédents1, ce travail s'inscrit dans une sociologie de l'art et des « oeuvres culturelles », entendues comme des productions symboliques socialement valorisées et relevant des arts ou des lettres (Bourdieu, 1998a). Il s'agira de mettre à jour des processus autorisant aujourd’hui les artistes de cirque à être reconnus comme tels dans la société. Plus spécifiquement, nous nous intéressons aux mécanismes qui soutiennent l’apprentissage du métier2 d’artiste de cirque –secteur du spectacle vivant entre exploit physique et performance artistique3- dans des institutions de formation historiquement récentes : les écoles professionnelles de cirque françaises nées entre la fin des années 1980 et les années 2000. Se préoccuper de la socialisation professionnelle4 représente un intérêt scientifique d'autant plus pertinent qu’elle revêt aujourd'hui une importance centrale dans la construction des identités individuelles (Lahire, 1998; Dubar, 2000). Dans la lignée d'une sociologie de la culture (Bourdieu, 1998a; Defrance, 1987) visant à déconstruire un ensemble de croyances liées, entre autres, à l’expression de la liberté, des goûts, du don et de la « vocation », et une sociologie de la socialisation (Lahire, 1998; Faure, 1999; Darmon, 2006; Bertrand, 2008), nous cherchons à comprendre les conditions socio-historique d’émergence et d’évolution du métier et de la profession d’artiste de cirque et les conditions sociales d’accès à ce statut: naissance d'institutions de formation, organisation de l'élection et de la formation, modalités de construction ou de renforcement de la vocation... Il s’agit de cerner le ou les modes de formation des futurs artistes de « cirque contemporain », aujourd’hui bien différents de ceux vécus par les artistes du cirque dit « traditionnel », principalement pris en charge par la famille. « Le cirque contemporain », pensé comme un cirque de « déconstruction », succède à une première rupture sociale, économique et esthétique qui s'est opérée avec l'avènement du « nouveau cirque ». Émergeant à la fin des années 1970, il est aussi désigné de

1 Le contenu de ces travaux est détaillé dans la partie dédiée à la méthodologie.

2 Tout au long de ce travail, nous emploierons tour à tour le terme de « métier » et de « profession » pour

désigner cette activité professionnelle, mais dans le cadre d’une signification particulière. Le terme « métier » renvoie au contenu de l’activité professionnelle et à des savoir-faire nécessitant un apprentissage. Celui de « profession » (Hughes, 1996) désigne le poste occupé par les artistes de cirque aujourd'hui. Il renvoie au processus de professionnalisation et ce, dans une optique comparative vis-à-vis des autres activités professionnelles. Parler de « profession » d’artiste de cirque sous-entend la légitimité récemment acquise par le cirque et ses métiers. « Dès lors, penser la professionnalisation du travail de la piste, c’est penser sa

rationalisation, son institutionnalisation, voire son "académisation"». (Sizorn, 2006, 174).

3 Wallon, 2002. 4

Nous ne distinguons pas socialisation pré professionnelle se déroulant dans une école et socialisation professionnelle ayant lieu dès l'entrée sur le marché du travail. Nous verrons en effet que bien des processus comparables à ceux concernant les artistes en activité ont lieu dès cet apprentissage scolarisé.

(14)

2 cirque « néo-classique ». Ces genres se différencient selon leur degré de rupture avec les principes de performance et de prouesse physique propres au « cirque traditionnel » du début du 20ème siècle (Guy, 2000, 2001b).

Notre objectif croise plusieurs axes d'analyse et oblige en cela à opter pour une double focale. La première consiste en l’étude de l’espace de formation et, en son sein, des écoles-productrices « polarisées » (Boltanski, 1975). Ce sont elles qui définissent les processus de sélection et les « droits d'entrée » (Mauger, 2006) nécessaires aux apprentis artistes, les logiques de formation et leur mise en oeuvre pour atteindre « l’excellence artistique », au cœur de la définition de la profession. La deuxième focale se centre sur l’analyse des processus d’incorporation, de construction, de conversion et/ou de renforcement de dispositions jugées nécessaires pour l’exercice du métier d'artiste de cirque, au cours du parcours de formation de l'apprenti « circassien »5. Comme nous le verrons, c'est donc aussi comprendre la « construction sociale du corps » de l'apprenti artiste (Detrez, 2002) comme le produit de socialisations mais aussi de représentations des identités sociales, surtout dans un domaine artistique qui valorise aujourd'hui la mise en valeur de « l'individualité », de l'originalité et de l'authenticité (Mauger, 2006). Notre souhait d'élucider les mécanismes qui participent à la socialisation professionnelle des apprentis artistes de cirque nous oblige donc à saisir les interactions entre les institutions de formation et les trajectoires des aspirants à la profession, à l’instar d’autres travaux menés par exemple par E. Brandl (2006) sur les musiques amplifiées, par S. Katz (2005) sur le théâtre ou par S. Faure (1999) et par P.E Sorignet (2001) sur la danse.

Avant de pouvoir mettre en œuvre ce projet, il nous est apparu nécessaire de saisir les différentes formes sociales du cirque depuis l’émergence du « cirque moderne » à la fin du 18ème siècle en Angleterre: « cirque moderne », « cirque traditionnel », « nouveau cirque », « cirque contemporain », « arts du cirque » et « arts de la piste », autant d’appellations qui révèlent les transformations historiques de cette pratique sociale. Cette reconstitution et la mise en lumière des tensions qui ont traversé cet espace apparaissent comme un pré-requis à la compréhension de celles que nous observerons au sein de l’espace de formation actuel, et plus généralement, à l’intelligibilité de la structuration actuelle de la pratique. Comme le souligne P. Bourdieu (1986, 72), la « nécessité de ce détour par la construction de l’espace paraît si évidente […] que l’on aurait peine à comprendre qu’il ne se soit pas d’emblée

5 Ce terme est un terme « indigène ». Il n’est ni référencé dans le langage courant, ni propre à une catégorie

(15)

3 imposé à tous les chercheurs ...». Ce pré travail6 s’est montré d’autant plus nécessaire qu’à ce jour, aucune thèse en sciences sociales n'a accordé de poids à la reconstitution des différents états du « champ » du cirque et à ses tensions sous-jacentes (Bourdieu, 1998a)7. De manière plus générale, notre travail sur cet objet de recherche est fortement motivé par le fait que cet univers de pratique reste relativement méconnu des sciences sociales, même si, depuis les années 2000, des étudiants et doctorants en sciences sociales, de plus en plus nombreux, s'y intéressent. Historiquement, la première thèse sur le cirque a été réalisée en médecine (P. Goudard, 1989); aujourd'hui, les sciences sociales semblent s'être emparées de l'objet8. Parmi les recherches les plus récentes, Magali Sizorn a achevé un doctorat STAPS en 2006 intitulé « Etre et se dire trapéziste, entre le technicien et l'artiste », Marine Cordier réalise un doctorat sur le renouveau des métiers du cirque et sur les trajectoires sociales des artistes de cirque d'aujourd'hui, et Marie Jolion travaille sur les processus d'apprentissage dans les « arts du cirque », de la famille à l'école (1974-1990). Martine Maleval-Lachaud a soutenu une thèse de doctorat en esthétique (2004) sur la période historique marquant l'émergence du « nouveau cirque » puis du « cirque contemporain »; elle est intitulée « 1968-1999; l'émergence d'un particularisme ». La même année, Caroline Hodak développe une approche socio-historique pour comprendre le passage, en Angleterre puis en France, du théâtre équestre au cirque à la fin du 18ème siècle. Jean Vinet a également réalisé un doctorat sur la pédagogie du cirque, Francine Fourmaux, Marie-Carmen Garcia, Sylvain Ferez, Myriam Peignist, Julien Rosemberg, Sylvain Fagot développent des approches théoriques différentes mais travaillent tous sur le cirque. D'autres recherches ont, depuis, certainement émergé. Malgré tout, à ce jour, cet univers de pratique véhicule encore un certain nombre de représentations partagées par le plus grand nombre. En effet, lorsque l'on parle du cirque, ce sont les enseignes « Pinder » ou « Bouglione », accompagnées de leur ménagerie se déplaçant de ville en ville, les numéros de clown, de jonglerie, les costumes à paillettes... qui nous viennent à l'esprit. Or, comme nous le verrons, les pratiques sociales associées à cet univers se sont largement

6 Intitulé Socio-histoire du cirque : du 18ème siècle à aujourd’hui, il figure en annexe 1. 7

Les travaux de thèse que nous avons pu lire sur ce sujet (cf. bibliographie) ont contribué de manière partielle à cette socio-histoire, souvent en ne s'intéressant qu'à un état du champ particulier et en sous-estimant les tensions le traversant.

8 En 2005, nous avons co-organisé avec Marie Jolion, doctorante à l'UFR STAPS de Paris Orsay, une première

journée d'étude souhaitant regrouper le plus grand nombre de chercheurs et apprentis chercheurs travaillant sur cet objet : « Le monde du cirque et ses métiers: quelles évolutions? ». Nous voulions, en tant que jeunes doctorantes, à la fois prendre acte des différents domaines de recherche investis, stimuler nos réflexions comme assurer une plus grande visibilité de nos travaux. Parallèlement à une deuxième journée organisée par F. Fourmaux et M. Sizorn et portant sur « Les lieux du cirque », nous avons créé un « collectif de chercheurs en cirque » ainsi qu'un blog (cccirque.canalblog.com) permettant de faire circuler les informations sur ce domaine, avec l'aide d'Horslesmurs, association para ministérielle dédiée aux arts du cirque et aux arts de la rue.

(16)

4 modifiées, et ce n'est pas à ce genre de cirque, décrit parfois de manière caricaturale, auquel nous allons nous intéresser. Il est certain que l’ambition de contribuer à une connaissance plus précise de ce microcosme mal connu et aux représentations sociales bien marquées, est intimement liée à notre socialisation précoce dans cet univers ; nous développerons peu après notre rapport à l’objet. Dans cette optique, il s'agira également, d'une certaine manière, d'apporter des données ethnographiques à l'instar du travail de L. Wacquant sur la boxe (1989), afin d'être au plus près de la pratique, du moins, de certaines formes de pratique du cirque à l'intérieur des institutions de formation au métier. Comme le disent S. Beaud et F. Weber (2003, 9), « D'une certaine manière, faire du terrain revient à rendre justice, voire à réhabiliter, des pratiques ignorées, mal comprises ou méprisées ».

La présentation de notre travail est structurée en cinq parties interdépendantes. Les recherches en sciences sociales étant à ce jour limitées sur cet objet, nous n’avons pu nous résoudre à privilégier l’un des trois axes d'étude structurant notre travail et surtout opter exclusivement pour une étude de la formation qui décrirait, indéniablement plus en profondeur, les mécanismes de socialisation, à l'instar du projet mené par J. Bertrand (2008). A ce stade de connaissance de l’objet, nous avons opté pour une analyse à plusieurs focales des processus qui entrent en jeu dans la vocation pour la profession d’artiste de cirque. « Essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi suffisante d’évènements successifs sans autre lien que l’association à un "sujet " dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre n’est sans nul doute aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c'est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations » (Bourdieu, 1986, 71). Il nous est apparu nécessaire d’étudier les différents états du champ du cirque avant de se focaliser sur les êtres sociaux, construits en fonction des propriétés caractérisant un état particulier du champ. Ce choix engendre de fait une lacune en termes de finesse des analyses mais, d’un autre côté, une compréhension plus globale des phénomènes sociaux caractérisant notre objet de recherche. Pour nous, ce changement d’échelle est envisagé comme générateur d’un cumul de connaissances. Ainsi, l'agencement final de notre étude serait à l'image des trois moments de « La construction sociale de la réalité » définis par Berger et Luckman (1992), à savoir, l'extériorisation où le processus d'institutionnalisation tient une place centrale, l'objectivation au travers des institutions et, l'intériorisation, c’est-à-dire le processus au terme duquel le monde objectivé est intégré à la conscience des individus. Autrement dit, « La société est une production humaine. La société est une réalité objective. L’homme est une production sociale. » (Berger et Luckman, 1992, 87).

(17)

5 « La sociologie de l'art ou de la littérature qui rapporte directement les oeuvres à la position dans l'espace social (la classe sociale) des producteurs ou de leurs clients sans considérer leur position dans le champ de production [...] escamote tout ce que l’œuvre doit au champ et à son histoire, c’est-à-dire, très précisément, ce qui en fait une oeuvre d'art, de science ou de biologie » (Bourdieu, 1984, 117-118). Il existe en effet trois grands principes de variation des socialisations dans laquelle l’histoire des structures sociales possède un poids indéniable aux côtés du jeu des classes sociales et du genre (Darmon, 2006). En ce sens, approcher l’apprentissage du métier d’artiste de cirque sans prendre en compte les structures historiques et sociales serait une terrible lacune. Pour ces auteurs comme pour nous, l’analyse d’un objet qui omet l’un ou l’autre des ces trois aspects est voué à l’incomplétude.

Un travail préalable, disponible en annexe et résumé dans le chapitre deux de cette première partie, souhaite comprendre les conditions historiques et sociales d'apparition du « cirque » dans l’Angleterre puis la France du 18ème siècle et son autonomisation progressive. Il s’agit de retracer la sociogenèse, c'est-à-dire la construction socio-historique d’un espace social spécifique, le cirque et ce, depuis son origine jusqu'à sa structuration actuelle. Pour mener à bien ce projet, nous faisons appel à la théorie du champ, intéressante pour « comprendre les instances systémiques du champ de la culture » (Pedler & Ethis, 2001) et, à travers elle, à la notion d'autonomie relative, élaborée par P. Bourdieu afin de comprendre la formation de champs spécialisés tels que le champ littéraire et artistique (1998a)9. Le fonctionnement d'un champ, conditionné par des luttes, produit des changements en sélectionnant les formes d'expression légitimes au cours du temps (Defrance, 1994a). Est-il possible, et pertinent en ce qui concerne le cirque, de parler de champ, ou d'un espace structuré de positions, de concurrence et de luttes dans lequel s'affrontent des intérêts liés à l'appropriation ou à la redéfinition du capital symbolique et fonction de la position occupée par les institutions et leurs agents? A partir de quand cet univers de pratique a t-il historiquement commencé à fonctionner comme un champ? Quelles tensions l’ont animé ? L'analyse menée doit permettre de vérifier si le cirque possède un fonctionnement interne relativement autonome, c’est-à-dire s'il est capable d'affirmer des critères d'excellence propres, même s'il conserve des relations avec les structures sociales et l'histoire politique (Defrance, 1995a; Lahire, 2001a). Les luttes qui se déroulent dans le champ ont une logique

9

Pour P. Bourdieu, les concepts d’habitus, la notion de capital et la théorie des champs expliquent la réalité d’une pratique. Si la théorie du champ sera dans un premier temps privilégiée, elle sera au fur et à mesure du changement d’échelle complétée par d’autres théories explicatives.

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6 interne mais les luttes externes au champ -économiques, sociales, politiques- pèsent fortement sur l'issue de ces rapports de force internes. Suivant le projet de J. Defrance pour le sport (1987), il s’agit d’utiliser les analyses de P. Bourdieu sur le champ littéraire et artistique pour le domaine du cirque, celui-ci partageant avec le champ du sport (Defrance, 1995b) nombre de ses valeurs constitutives et ayant importé certaines de ses pratiques. Pour nous, la théorie du champ, conceptualisation transférable à tout secteur de production symbolique, paraît particulièrement adaptée à la description de la structuration sociale du culturel (Defrance, 1994a), à l'analyse d'une œuvre artistique et aux activités professionnelles qui présentent un certain degré de capital symbolique10 ou de prestige social, telles que les professions artistiques. Partant de cette approche, nous prenons acte des limites formulées par B. Lahire (1998, 2001a) et J.L Fabiani (2001) à l'encontre de ce paradigme, en le concevant comme une théorie applicable aux champs et aux luttes de pouvoir, et non pas à tout espace social ni à tout être social11. Ce faisant, nous pourrons mettre en marche ses principales perspectives théoriquesen nous attachant à étudier « …les luttes qui se jouent entre les agents appartenant au même univers, ou à celles qui s’instaurent entre des agents issus de champs différenciés » (Lahire, 2001a, 40) et les règles du jeu et enjeux spécifiques « …irréductibles aux règles du jeu et enjeux des autres champs ... » (Lahire, 2001a, 24). Dès lors, le cirque peut être envisagé comme un espace de concurrences et de luttes pour la détention d'un capital spécifique, c’est-à-dire « un espace orienté par un intérêt commun pour le même objet, structuré sous forme d'un ensemble de positions et de relations objectives dans lesquelles s'inscrivent les pratiques » (Defrance, 1995a, 36), ou encore un espace conditionné par des positions auxquelles correspondent certaines propriétés (Bourdieu, 1984).

Par cette plongée à travers l’histoire de la constitution du cirque comme activité artistiqueet s’étalant sur plus de deux siècles, nous saisirons les tensions, les rapports de force et les luttes ayant animé les différents individus, groupes ou organisations pris dans la régulation de ce secteur qui ont traversé, et qui traversent encore, dans une autre configuration, le cirque aujourd’hui. En effet, « La structure du champ est un état du rapport de force entre les agents ou des institutions engagés dans la lutte, ou, si l'on préfère, de la

10 Le capital culturel, c’est-à-dire l'ensemble des biens symboliques possédés par l'individu sous forme

incorporée (maîtrise de la langue, culture générale, aisance sociale), objectivée (biens culturels) et institutionnalisée (diplômes et titres scolaires...) constitue la ressource principale pour les univers symboliques (Bourdieu, 1979; Defrance, 1994a). Ce concept constitue un outil précieux pour rendre compte des phénomènes de reconversion ou de reproduction d’une condition sociale, celle des parents (Lahire, 1996). Chaque champ définit un prestige qui lui est spécifique : le soldat recherche la gloire militaire alors que le scientifique recherche la renommée scientifique (Lahire, 2001a).

11 Les « classes populaires » sont par exemple des catégories d’analyse hors champ. La théorie du champ

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7 distribution du capital spécifique qui, accumulé au cours des luttes antérieures, oriente les stratégies ultérieures » (Bourdieu, 1984, 114). Nous nous attarderons sur une évolution plus récente du cirque et plus spécifiquement, à partir de la fin des années 1970, sur sa constitution comme « sous-champ »12 artistique (Lahire, 1995, 2001a) et ses effets : renouvellement d’une profession artistique et de son marché du travail, émergence de nouveaux médiateurs telles que les instances de socialisation professionnelle… Ce fonctionnement récent du cirque en un sous-champ artistique, largement impulsé par l'Etat, constitue un phénomène social soulevant nombre de questions. Quels sont les effets de cette mutation du champ du cirque en un sous-champ artistique? Quel a été le rôle de l'Etat et les moyens déployés afin de faciliter ce processus? L'entrée du cirque dans le champ artistique s'accompagne t-elle d'une accélération de son autonomisation? L'acquisition d'un degré d'autonomie supérieure pour le champ de la culture est-elle garante d'une valeur positive comme le sous-entend P. Bourdieu dans son analyse du champ littéraire? La relation du cirque au champ de l'art n'interfère t-elle pas avec ses propres critères de jugement, autrement dit, a t-elle des conséquences sur la nature du capital spécifique? La légitimation d'une pratique est-elle conditionnée par son affiliation à un espace plus légitime? ...autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre. Ce détour socio-historique, mettant en lumière l'entrée du cirque dans le champ de l'art, rendra essentiel le recours à la sociologie de l'art pour étudier cet objet.

Ce travail de thèse inaugure un projet de recherche sur la formation menant à la profession d’artiste de cirque, et notamment les mécanismes de socialisation, domaine que l’on peut qualifier, pour le cirque, de « vierge ». D’autre part, le cirque « contemporain », en tant qu’objet peu éprouvé par l’analyse sociologique et en tant que pratique sociale pas « tout à fait » légitimée, apporte un éclairage peu commun sur les tensions qui régissent la formation artistique. Pour le cirque, les processus à l'œuvre dans la reconnaissance d'une pratique sociale comme objet culturel « légitime » sont particulièrement prégnants, même s'ils varient dans le temps et l'espace. Afin de comprendre les spécificités « circassiennes » et peut-être les enjeux de renouvellement d’un espace de formation menant à la profession d’artiste valables pour l'ensemble des secteurs artistiques, nous prenons amplement appui sur les analyses réalisées dans d’autres arts, certes plus légitimes, mais qui constituent des modèles que le cirque aspire à égaler: la danse, le théâtre, la musique, les arts plastiques... « La culture doit faire l'objet d'une analyse relationnelle » (Defrance, 1994a, 31). Par ailleurs, le cirque nous semble être particulièrement pertinent pour comprendre les processus d’institutionnalisation, entendus

12 Pour cet auteur, comme pour nous, certains champs sont des sous-champs appartenant à un espace social plus

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8 comme la mise en institution de pratiques sociales (Berger & Luckman, 1992), impulsés par l’Etat dans les années 1980 dans le secteur artistique, et leurs effets sur les pratiques sociales et artistiques et les trajectoires des individus. Cette institutionnalisation est permise lorsqu’une situation sociale se prolonge dans le temps. Dès lors, comme toute institution, les écoles de cirque, mais également d’autres institutions spécifiques au cirque, participent au contrôle des pratiques en établissant des modèles prédéfinis de conduite. « Dire qu’un segment de l’activité humaine a été institutionnalisé revient déjà à déclarer que ce segment a été ordonné par le contrôle social » (Berger & Luckman, 1992, 79). Ainsi les écoles professionnelles de cirque contribuent à orienter la création dans une direction précise au détriment d’autres possibles. C’est sans doute pour ce contrôle que l’Etat a favorisé l’institutionnalisation de l’apprentissage du métier d’artiste de cirque, la prévisibilité garantissant le contrôle d’une pratique. De plus, nous nous baserons sur des travaux menés sur des arts mineurs dont la légitimation est aussi en partie due aux politiques culturelles de l’Etat au tournant des années 70-80 tels que ceux portant sur la bande dessinée (Boltanski, 1975 ; Maigret, 1994), sur le Hip-Hop (Faure, 2004a & b), ou encore sur les musiques amplifiées (Brandl, 2006). C’est aussi comprendre ce qui a permis de légitimer la création des écoles de cirque, la légitimation en étant une condition fondamentale. Celle-ci est « entendue comme l’objectivation d’une signification de second ordre [...] (et) produit de nouvelles significations qui servent à intégrer les significations déjà existantes attachées aux processus institutionnels disparates » (Berger et Luckman, 1992, 127). Cette entreprise tend ainsi à rendre à la fois disponible et convaincante la première fonction de l’objet de la légitimation. L’affiliation du cirque à l’univers de production symbolique constitue la forme la plus élevée de légitimation et donc certainement, la plus efficace.

L’autonomie relative d’un champ artistique tel que le cirque vis-à-vis du champ du pouvoir, viendra expliquer la pénétration constante au cours de l’histoire de principes hétéronomes politiques et économiques (Bourdieu, 1998a ; Fabiani, 2001). De fait, il est possible qu' « Une bonne part de la dynamique d'un champ est induite par une lutte entre les principes de hiérarchisation internes et les principes externes, les deux ne reconnaissant pas les même mérites et ne hiérarchisent par de la même façon des agents en concurrence dans le champ » (Defrance, 1994a, 35). Nous postulons que les tensions trans-historiques et

spécifiques au cirque qui défendent tantôt une activité artistique destinée aux classes sociales élevées, tantôt une activité de prouesse physique destinée aux catégories populaires participent, pour cet univers de pratique, à la domination des principes d’hétéronomie quelles que soient les formes historiques.

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9

Dans les deuxième et troisième parties, nous nous intéresserons plus spécifiquement

aux écoles professionnelles de cirque, puisque ce sont elles qui, aujourd'hui, permettent majoritairement l'accès à la profession d'artiste. En ce sens, les écoles sont tout d'abord envisagées comme des « médiateurs, au sens d'opérateurs de transformations -ou de traduction- qui font l'art tout entier, en même tant que l'art les fait exister » (Heinich, 2001, 67). Les écoles professionnelles de cirque fondent la possibilité d'existence de l'artiste de cirque, loin de se déterminer lui-même (Melot, 1999), même si certains parviennent encore à occuper ce poste -ou position de l'individu dans la division du travail (Bourdieu, 1984)- par la voie de l'autodidactisme13. Il s'agira donc de questionner un discours sur l'art régi par la représentation du don du « créateur incréé » (Bourdieu, 1984) -conception portée par les promoteurs du « nouveau cirque » puis du « cirque contemporain »- démarche que nous poursuivrons également dans les parties suivantes.

« La sociologie rappelle que ce n'est pas la parole qui agit, ni la personne, interchangeable qui la prononce mais l'institution » (Bourdieu, 1984, 32). Les écoles professionnelles de cirque se présentent bien sous une forme physique et offrent aux individus la possibilité d'incorporer certaines dispositions et connaissances spécifiques contribuant à produire un type particulier de personne (Berger & Luckman, 1992 ; Darmon, 2006). Plusieurs caractéristiques les définissent. Une fois créée, une institution, collectivité regroupant un nombre important d’individus et marquée par une activité particulière, tend à perdurer même si le processus d’institutionnalisation est réversible (Goffman, 1968 ; Berger & Luckman, 1992). Les écoles de cirque permettent de réunir, dans un même lieu, l'ensemble des conditions sociales permettant de prétendre à l’activité d’artiste de cirque. Ces institutions sont des instances idéales-types de socialisation (Darmon ; 2006) puisqu’elles maîtrisent le temps nécessaire à l’inculcation de certaines dispositions. Les institutions, que l’on peut analyser comme des organisations, ont une définition précise de leurs membres, en tant que tels mais aussi en tant qu’être social (Goffman, 1968). Par ailleurs, les écoles sont animées par des objectifs particuliers et sont donc une forme d’« organisation réglementée à des fins utilitaires » et « d’organisation communautaire » où l’activité se déroule dans un même lieu

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Nous ne nions pas qu'un certain nombre d'artistes parviennent à ce poste sans passer par des écoles professionnelles. Fait majoritaire pour le « nouveau cirque », le « cirque contemporain » s’appuie surtout sur la forme scolaire (Vincent, Lahire & Thin, 1994), processus rendu visible par la multiplication des écoles professionnelles. L'autodidactisme n'est plus un mode ni une valeur dominants. S’intéresser à un mode d’accès dominant à la profession met en lumière un phénomène récent, à savoir la scolarisation de l’apprentissage du métier d’artiste de cirque. D’autre part, enquêter sur un mode de socialisation explicite est plus aisé pour le chercheur (Darmon, 2006).

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10 (Goffman, 1968). Cette dernière caractéristique n’est pas sans effet sur la socialisation des apprentis artistes. « Les organisations dont l’activité se déroule entre quatre murs présentent une caractéristique qu’elles partagent avec d’autres entités sociales : une partie des obligations de leurs membres consiste à participer publiquement et au moment opportun à l’activité de l’institution, ce qui suppose une mobilisation de l’attention, un effort musculaire et une tension de tout l’être. Cet accaparement forcé finit par symboliser aussi bien l’engagement que l’attachement de l’individu à l’organisation » (Goffman, 1968, 232). Même si nous ne pouvons parler d'« institutions totales » au sens de Goffman, l'engagement des apprentis, entendu comme le lien subjectif ou les obligations reliant l’individu à une activité particulière (Goffman, 1968 ; Becker, 1985), doit se faire « corps et âme » dans la formation (Wacquant, 1989). Ainsi, les transformations qui s'opèrent touchent bien d’autres secteurs de l'existence des apprentis et finissent par les écarter de la confrontation à des valeurs exogènes. La participation à une activité sociale implique engagement et attachement de l’individu (Goffman, 1968), d’autant plus forts lorsqu’ils ne sont pas explicités par un contrat. Cette notion aura un écho particulier avec l’usage fait du concept de vocation.

Dans la deuxième partie, avant d'aborder les enquêtes de terrain concernant les six écoles professionnelles, nous rappellerons un des processus fondamentaux émergeant dans le « nouveau cirque », renforcé dans le « cirque contemporain », et transformant les profils des apprentis artistes, à savoir, la scolarisation de l'apprentissage du métier. Nous montrerons que, depuis la fin des années 1980 surtout, la socialisation professionnelle des artistes de cirque passe par des institutions à la « forme scolaire » (Vincent, Lahire & Thin, 1994), le « cirque traditionnel » ayant résisté à ce processus majeur dans nos sociétés.

Toute légitimation découlant d'efforts collectifs sans pour autant nécessiter qu'ils soient homogènes (Defrance, 1987), il devient possible d'identifier des luttes entre les écoles, notamment pour l'imposition des manières légitimes de former un artiste, et en premier lieu, son corps, mais aussi pour obtenir une reconnaissance institutionnelle et celle des pairs. La constitution d'un échantillon d'écoles professionnelles choisies pour la diversité de leur statut est constitutive de l'hypothèse de mise en valeur des tensions entre elles.

Cette deuxième partie a surtout pour ambition la mise en lumière des positions de chacune des institutions de formation, en reconstituant, dans un premier temps, leur trajectoire. Les déterminants sociaux influençant la création-production artistique sont pensés en termes de position d'une institution et des stratégies qui y sont associées. La théorie du champ postule en effet une homologie entre position et prise de position, par exemple ici le « style » (Dufrenne, 1997) de formation ou encore le type de discours des responsables. Ces

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11 stratégies, entendues comme l'ensemble des actions entreprises par un individu ou une institution et orientées vers l'atteinte d'une finalité, sont susceptibles d'être remises en cause par tout changement dans l'espace, tel que l'arrivée de nouvelles écoles par exemple. Il s'agira aussi de comprendre les croyances, intérêts, enjeux matériels et symboliques qui animent les écoles. Ici, ce sont les relations entre les écoles qui deviennent centrales pour comprendre les enjeux de définition des formations et leurs mises en oeuvre. En utilisant la théorie des champs et ses spécificités14 pour l’analyse de l'espace de formation, nous vérifierons dans quelle mesure les « [...] producteurs (sont) en lutte pour l’appropriation du capital spécifique du champ, pris dans des stratégies de conservation ou de subversion, et les œuvres sont ainsi marquées par la position et les stratégies de leurs producteurs » (Lahire, 2001a, 48). Les écoles sont-elles soumises à des principes de hiérarchisation internes ou externes ? Sont-elles partagées entre des stratégies de conservation et de subversion et existe t-il bien des « tenants » et des « prétendants », dans un espace où les dominants sont contraints par leur propre domination(Heinich, 2001) ? D'autre part, y a t-il des écoles à la position semblable ou sont-elles toutes distinctes les unes des autres ? La même réflexion peut-elle s'appliquer aux stratégies? Les écoles sont-elles totalement soumises à leur position ou développent-elles aussi des stratégies qui leur permettent de se soustraire aux contraintes de celle-ci sans pour autant remettre totalement en cause l'ordre établi? Avant cela, il nous faudra donc revenir aux conditions historiques et sociales de constitution d'une position. Y a t-il une position en soi ou est-elle attachée à un cercle de reconnaissance (Bowness, 1989) et/ou sans cesse remise en cause (Elias, 1991)? Pour comprendre la position occupée par les écoles dans l’espace de formation, nous analyserons pour chacune d’elles sa trajectoire et ses conditions économiques, culturelles et humaines15, comme la composition de l’équipe des responsables de formation. Il nous faut donc cerner les perspectives qui leur sont offertes en fonction des ressources dont elles disposent. L'analyse du discours des directeurs et de certaines pratiques institutionnelles nous fournira des indicateurs supplémentaires de prise de position de l'institution. Avant tout, nous nous attacherons à prendre en compte la spécificité de chaque école en voulant éviter de la réduire a priori à une position théoriquement préconstruite. Cette analyse est donc conditionnée par une description minutieuse de chaque institution. Ainsi, le travail d'identification des positions de chacune des écoles souhaite concourir au repérage de

14 Trois notions centrales structurent le concept de champ : l'espace positionnel, la notion de jeu et l'espace des

enjeux et de tensions entre les agents (Fabiani, 2001).

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Pour J. Defrance (1994a), deux critères conditionnent le positionnement d'une institution : sa position mais aussi sa condition, c’est-à-dire l'ensemble des ressources dont elle dispose: économiques, sociales, culturelles.

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12 la structuration actuelle –bien que très dynamique- d'un espace de formation partiel16, et mettre en lien les propriétés des écoles, les modalités d'apprentissage et les caractéristiques sociales des aspirants et formateurs, à l'instar des travaux sur l'espace des sports (Pociello, 1981). Ces institutions, récemment entrées dans le champ artistique, seraient en compétition dans l'espace de formation afin de légitimer leurs ressources propres, celles dont les autres sont plus ou moins pourvues, et ce, d'une part pour limiter l'accès des concurrents au capital symbolique et, d'autre part, garantir le leur. De fait, peut-on seulement parler de stratégie de subversion et de conservation du capital acquis, ou les mécanismes qui sous-tendent la dynamique des écoles sont-ils plus complexes ? Aussi, il apparaîtra nécessaire de questionner, au-delà de la « mécanique » d'un champ, le rôle des exigences de l'art contemporain sur ces institutions. La concurrence et la distinction entre écoles ne sont-elles pas des contraintes du fonctionnement de l'art contemporain? En effet, celui-ci oblige quiconque, artiste et institution, à sans cesse réaffirmer la légitimité de ses savoir-faire par un renouvellement permanent (Verger, 1985 ; Heinich, 1997b). Distinction et renouvellement apparaissent comme au principe de la singularisation artistique ou encore de ce que l'on peut appeler un « style » ou un genre artistique. Doit-on imputer les phénomènes observés à la seule logique du champ du cirque, où la défense de la singularité prend place au sein d'enjeux de catégorisation, de légitimité et de hiérarchisation artistique (Bourdieu, 1998a) ?

La troisième partie du manuscrit veut à la fois poursuivre l’analyse des positions et la remise en cause des catégories « indigènes », notamment par l’étude des programmes de formation, des équipes de formateurs et du devenir des étudiants à l’issue de la formation, et ce, pour chacune des écoles. D’autre part, il s’agira de vérifier dans quelle mesure les tensions spécifiques au champ du cirque prennent vie au sein même de l’espace de formation. A l'instar du champ du cirque, l'espace de formation serait alors sous-tendu par une tension entre autonomie et hétéronomie, mais sous des formes qui sont propres à cet espace et qui « polarisent » les écoles. Pour ce faire, les programmes de formation, au sein desquels l’agencement des savoir-faire tiendra dans ce travail une place centrale, seront également décrits école après école et comparés à l’aide de catégories d’analyse dont nous expliciterons le mode de construction. Ce travail sera le lieu d’une mise en valeur de la conception de l'« excellence » circassienne (Defrance, 1987) des écoles et la manière, à travers l'analyse des plaquettes de formation, dont elles comptent s'y prendre pour mener les apprentis à cette même finalité. Les dispositions n’étant pas directement observables (Lahire, 1998), ce sont en

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13 effet les savoir-faire (Becker, 2002) et leur hiérarchisation au sein de l’espace comme au sein de chaque institution, qui seront décrits. Si les dispositions sont supposées comme au principe des pratiques observées et sont toujours liées au contexte dans lequel elles sont activées, le savoir-faire est une « capacité, une potentialité » (Lahire, 2002) délimitée et qui n’est pas sans lien avec les dispositions nécessaires à l’apprentissage. La description des programmes de formation comme des pratiques, lors de la cinquième partie, sera donc privilégiée, à l’instar des travaux menés par J. Bertrand (2008). L’agencement des savoirs, en lien avec le type de dispositions souhaitées comme incorporées, détermine, pour chaque école, un « pôle » de formation, « sportif », « technique » ou « artistique ». En dehors de la valence accordée pour chacun et de manière différenciée par les écoles, certains savoirs apparaîtront alors largement communs aux écoles et donc comme « règles » de formation (Bourdieu, 1998a). Ces agencements spécifiques et communs déterminant le parcours de formation de l’apprenti artiste de cirque, seront au centre des analyses menées dans la cinquième partie.

Le choix d'écoles variées, au statut différent, nous permettra aussi de prendre de la distance avec l'analyse menée en DEA (Salaméro, 2003) à partir d'écoles plus reconnues à l'intérieur de l'espace de production ou, autrement dit, de « scènes légitimes ». En effet, comme le dit B. Lahire, « La théorie des champs consacre beaucoup d’énergie à éclairer les grandes scènes où se jouent des enjeux de pouvoir… » (Lahire, 2001a, 34 & 35). La prise en compte d'autres écoles qui se situent à différents niveaux hiérarchiques, autorise l'observation de positionnements, stratégies et manières de former des futurs artistes au sein d’institutions moins visibles dans l’espace ; cette démarche nous semble être au cœur d'une remise en cause d'une vision binaire « tenants »-« prétendants ». Nous nous intéresserons à la manière dont ces écoles, moins prestigieuses, parviennent, dans un « style » qui leur est propre, à échapper aux « dominants » et à détourner la voie légitime qui leur est imposée, mais aussi au coût de ce(s) détournement(s). L'une des écoles, aujourd'hui considérée comme loisir, paraît particulièrement intéressante pour discuter la théorie des champs sur des espaces où les enjeux de pouvoir sont a priori moins centraux. Autrement dit, il s'agira surtout de se demander si la théorie des champs est appropriée à ce niveau d'analyse de l'espace de formation. N'y a t-il pas des échanges d'une autre nature que des luttes entre les écoles enquêtées et qui définissent la manière dont elles forment les apprentis artistes? Comment analyser cette « complicité objective » entre les écoles ? La théorie du champ explique davantage les écarts que les ressemblances pourtant observables entre les écoles.

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14 Dans un premier temps, le concept de « monde », entendu comme un ensemble « de gens qui collaborent pour produire tel ou tel résultat, un monde dans lequel les gens peuvent travailler avec d'autres gens pour collaborer même si les gens les plus puissants dans leur discipline n'approuvent pas ou ne reconnaissent pas ce qu'ils font, un monde dans lequel le pouvoir de définir ce qui est important ne reste pas durablement entre les mains d'un petit nombre d'acteurs... » (Becker & Pessin, 2005,171)17a permis de questionner, notamment par la valence accordée à l’empirie, la pertinence de la théorie du champ sur cette échelle d’analyse. Cependant, c’est l’approche défendue par N. Elias (1991) qui a permis de mieux rendre compte des résultats obtenus sur l’espace des écoles professionnelles. Il est apparu nécessaire de s’ouvrir à des approches que nous n’avions pas a priori envisagées, posture d’ailleurs défendue par certains auteurs (Becker & Pessin, 2005), la théorie du champ s’éloignant, dans notre étude, de son « champ de pertinence » (Lahire, 1996). Comme le dit B. Lahire (2001a, 23), « La théorie des champs n'est qu'une solution -parmi d'autres possibles- élaborée à partir de diverses traditions théoriques préexistantes ». On peut très bien appréhender le monde social avec d'autres outils conceptuels peut-être mieux adaptés.

Le concept de « monde », tel qu’il est défini par Becker (1988), où les individus et institutions entreprennent une tâche nécessitant d'accorder de l'attention et de tenir compte de l'existence des autres membres pour en tirer les conséquences sur leurs actions, nous a permis de progressivement glisser vers le concept de « configuration » dans lequel la « coopération »18 tient une place moins centrale et où l’espace est plus délimité même s’il reste extensible19. Becker souligne en effet qu'un espace, dès qu'il est caractérisé de champ, devient limité. « Il y a un espace défini et restreint, qui est un champ, dans lequel il y a un nombre de places limité, de telle sorte que quoi qu'il arrive, tout ce qui s'y passe est un jeu à somme nulle » (2005, 166). En ce sens, les relations caractéristiques d'un « monde » permettent de remettre en cause le sens univoque des relations sociales entendues uniquement, au sein d’un champ, comme des luttes. « Dans un tel monde, les gens n'agissent pas de manière automatique en réponse à de mystérieuses forces extérieures qui les entourent. Au lieu de cela, ils développent graduellement leurs lignes d'activité, prenant note

17 D'ailleurs, P. Bourdieu semble lui-même faire coexister les termes de champ et de « monde » (Becker, 1999):

les « champs littéraire et artistique, mondes paradoxaux qui sont capables d’inspirer ou d’imposer les

« intérêts » les plus désintéressés... » (1998a, 15).

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La coopération désigne ce que « les gens font ensemble, dans laquelle ils tiennent compte et apportent des

réponses à ce que font les autres personnes impliquées »; on peut également parler « d'action collective » et elle

accepte également la notion de conflit (Becker & Pessin, 2005, 175).

19 Comme A.L Strauss (1993), H.S. Becker considère que les frontières d’un monde sont floues, caractère

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15 de la façon dont les autres répondent à ce qu'ils font en ajustant ce qu'ils vont faire de manière à essayer de faire en sorte que cela convienne à ce que les autres ont fait et vont probablement faire » (Becker & Pessin, 2005, 168). Les institutions de formation n'ont-elles pas sans arrêt à mener ces actions de concert?

La notion de configuration, « comme ensemble de tensions […] l’interdépendance des joueurs, condition nécessaire à l’existence d’une configuration spécifique, est une interdépendance en tant qu’alliés mais aussi en tant qu’adversaires. [...] Ce qu’il faut entendre par configuration, c’est la figure globale toujours changeante que forment les joueurs, elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les relations réciproques. Comme on peut le voir, cette configuration forme un ensemble de tensions. » (Elias, 1991, 157), proposant une sorte de « synthèse » des approches en termes de « champ » et de « monde », nous paraît plus à même d’expliquer la nature des relations entres les écoles. D’une part, la réalité de l’espace de formation serait à comprendre au regard de l’interpénétration des actes du groupe des écoles interdépendantes et serait relativement autonome de chacune d’elles, entendues comme des « joueurs ». Les écoles, formant un espace, s’influenceraient réciproquement et ne seraient plus seulement conditionnées par un rapport dominant-dominé. Les relations entre les écoles (et également à l’intérieur des écoles) sont donc au centre de l’analyse configurationnelle (Beaud & Weber, 2003). D’autre part, entendre l’espace des écoles comme « configuration » accorde un poids déterminant à la notion de pouvoir, problème central de toutes les relations humaines (Elias, 1991). Ici, il est entendu comme la différence qui existe en faveur d’un individu entre sa force au jeu et celle de son adversaire. Cette approche du pouvoir, toujours relationnelle, nous paraît plus souple que celle proposée par la théorie des champs, car elle admet qu’il puisse y avoir différentes sources de pouvoir. Aussi, ce concept insiste sur le caractère fluctuant des tensions et des rapports de force. « Le terme de configuration sert à créer un outil conceptuel maniable ... » (Elias, 1991, 157). Enfin, c’est surtout le caractère dynamique de notre espace d’écoles enquêtées que cette approche permet de mettre en valeur. Le travail entrepris dans les deuxième et troisième parties aboutit à une configuration formée par des écoles « interdépendantes », notion centrale complétée par celle de « jeu »20. Pour Elias (1991), la sociologie est une science de l’homme où les recherches doivent faire une place centrale à l’interdépendance de leurs actions, d’autant plus dans une société caractérisée par une différentiation croissante des rôles. Dans le processus de jeu, chaque école joue à « l’intérieur

20 Contrairement à la théorie du champ, ce jeu n’est pas surdéterminé par la correspondance entre l’habitus et le

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16 d’un réseau de joueurs interdépendants où existent des alliances et des antagonismes, où l’on coopère et rivalise à différents niveaux » (Elias, 1991, 101). L’espace de formation se caractérise-t-il lui aussi par l’allongement des chaînes d’interdépendance où les écoles, toujours plus nombreuses, seraient fonctionnellement reliées dans un espace toujours plus vaste ? La question reste alors de savoir si la taille de notre configuration permet une relative transparence du jeu. Nous expérimenterons donc un modèle de jeu postulant l’interpénétration des stratégies individuelles. Ainsi, notre projet serait de se représenter les écoles dans une ou des configuration(s) dont nous nous devons de relever les principales caractéristiques. La dynamique des écoles de cirque serait-elle à la fois « collective » et conflictuelle, d'autant plus que l’espace de formation est relativement jeune et que les stratégies collectives de reconnaissance semblent indispensables pour construire le bien commun ? L’âge de notre espace n’est en effet pas sans conséquences sur le déroulement du jeu et sur le choix de l’approche théorique et des concepts permettant de rendre compte des données empiriques recueillies.

Les parties suivantes, quatre et cinq, se focalisent sur les mécanismes de

socialisation primaire et secondaire (Darmon, 2006) participant à la fabrication de corps et d’un rapport au monde différents susceptibles de conduire les apprentis à une insertion sur le marché du travail artistique. Pour Muriel Darmon, la socialisation primaire désigne les processus de formation de l'individu social qui se déroulent à l'intérieur de la famille mais aussi au cours de son adolescence. Cette redéfinition de la notion de socialisation primaire est justifiée par le fait qu'aujourd'hui, la famille n'est plus la seule instance à assumer la transmission de connaissances fondamentales au cours de l'enfance, et cela, même si elle conserve sa « force formatrice » (Lahire, 1998; Darmon, 2006)21. De fait, notre conception de la notion de socialisation primaire est différente de celle de Berger et Luckman (1992) puisqu'elle englobe d'autres instances de socialisation que la famille tels que l'école, les pairs ou encore les clubs de sport. La « socialisation secondaire », quant à elle, désigne les processus qui concernent l'individu adulte et l’appropriation de connaissances propres à certains rôles sociaux (professionnels, chef de famille, père/mère...).

21

Aujourd'hui, il est en effet fréquent que d'autres individus socialisateurs que les membres de la famille (nucléaire ou élargie) interviennent dans les processus de socialisation de l'enfant: les assistantes maternelles, les personnels de la crèche, les éducateurs de l'école maternelle et, dans le même temps, le groupe des pairs....

Figure

Tableau 1 : Répartition des entretiens réalisés par école enquêtée  Ecole enquêtée  Nombre d’entretiens
Tableau 2 : Généalogie officielle : catégories de l’Etat  Dates de création  Ecoles supérieures  Ecoles préparatoires 98
Tableau 3: Catégorisation des écoles proposée par la FFEC

Références

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