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Traduire le slogan des organisations de la société civile : de la langue de la solidarité

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Traduire le slogan des organisations de la société civile

De la langue de la solidarité

Mémoire

David Fradette

Maîtrise en traduction et terminologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

La présente étude porte sur la traduction du slogan des organisations de la société civile. Par une approche axée sur la traductologie de corpus, nous démontrons que le mode d’expression de ces organisations se distingue du marketing social publicitaire, bien qu’il en emprunte certains codes. Cette analyse, fondée sur les théories fonctionnalistes de la traduction et les principes de la communication multilingue sur le Web, met au jour les caractéristiques conceptuelles et structurelles du « slogan social » et nous permet, grâce à une comparaison de slogans originaux et traduits, de proposer des stratégies de traduction. Enfin, cette étude laisse croire à l’existence d’une véritable « langue de la solidarité », soit un genre discursif dont émane la communication au sein d’une société civile cosmopolitique.

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Abstract

This study explores the translation process of slogans used by civil society organizations. Using the principles of corpus-based translation studies, we demonstrate that these organizations express themselves in a way that differs from conventional social marketing. This analysis, which benefits from the functional theories of translation and a web-based multilingual communication approach, reveals the conceptual and structural characteristics of “social slogans” and, through a comparison between original and translated slogans, allows us to identify translation strategies. Lastly, this study suggests the existence of what we call “solidarity communication”, an actual genre incarnated by the communication process of a cosmopolitan civil society.

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Table des matières

1. INTRODUCTION... 1

2. PROBLÉMATIQUE ... 3

2.1 TRADUCTION ET MONDIALISATION ... 3

2.2 SOCIÉTÉ CIVILE ... 5

2.2.1 Qu’est-ce que la société civile? ... 5

2.2.2 Émergence d’une société civile mondiale ... 7

2.2.3 Organisations de la société civile ... 10

2.3 VERS UNE SOCIÉTÉ COSMOPOLITIQUE ... 11

2.4 LANGUE DE LA SOLIDARITÉ ... 14

2.5 LE SLOGAN SOCIAL ... 16

3. CADRE THÉORIQUE ... 17

3.1 LES GENRES DISCURSIFS... 17

3.2 LA TRADUCTION PRAGMATIQUE ... 19

3.3 LES APPROCHES FONCTIONNALISTES ... 20

3.3.1 Survol ... 20

3.3.2 Avenir du fonctionnalisme ... 22

3.4 L’ÈRE DE LA COMMUNICATION ... 23

3.5 LA COMMUNICATION MULTILINGUE ... 25

3.6 LA SOCIÉTÉ CIVILE DÉMATÉRIALISÉE ... 27

4. CORPUS ET MÉTHODOLOGIE ... 29

4.1 LA TRADUCTOLOGIE DE CORPUS ... 29

4.2 LE CORPUS D’OSC ... 30

4.2.1 Constitution du corpus ... 30

4.2.2 Choix des slogans ... 31

4.2.3 Facteurs de comparabilité (OSC)... 32

4.3 LE CORPUS PUBLICITAIRE ... 35

4.3.1 Comparaison de genres discursifs ... 35

4.3.2 Facteurs de comparabilité (publicité) ... 36

5. ANALYSE CONCEPTUELLE ... 38

5.1 LE SLOGAN WEB EST-IL UN TEXTE PUBLICITAIRE? ... 38

5.1.1 Étude de cas en publicité ... 38

5.1.2 Secteur publicitaire ... 40

5.1.3 Caractéristiques de la page Web ... 42

5.2 ANALYSE THÉMATIQUE : CATÉGORIES ... 43

5.2.1 L’action ... 45 5.2.2 L’appartenance ... 46 5.2.3 L’avenir ... 47 5.2.4 Le bien-être ... 47 5.2.5 Le changement positif ... 48 5.2.6 La collaboration ... 49 5.2.7 Le combat ... 50 5.2.8 L’expertise ... 50 5.2.9 Le gain personnel ... 51 5.2.10 Le gain social ... 52 5.2.11 L’indépendance ... 52 5.2.12 Le plaisir ... 53

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5.2.13 Les valeurs universelles ... 53

5.3 ANALYSE THÉMATIQUE : PRINCIPAUX RÉSULTATS ... 54

5.3.1 Le slogan explicatif... 55

5.3.2 Différences intragenres ... 57

5.3.2.1 L’appartenance en action sociale ... 58

5.3.2.2 L’expertise en publicité ... 60

5.3.3 Entre parole publicitaire et langue de la solidarité ... 61

5.3.3.1 Une hégémonie de la publicité? ... 62

5.3.3.2 Les valeurs universelles ... 63

5.3.3.3 L’action ... 65

5.3.3.4 L’avenir ... 65

5.3.3.5 Le gain social... 66

5.3.4 La traduction des thèmes ... 67

6. ANALYSE STRUCTURELLE ... 69

6.1 ANALYSE SYNTAXIQUE ... 69

6.1.1 Groupe nominal ... 71

6.1.2 Groupe adjectival ... 72

6.1.3 Groupe prépositionnel ... 73

6.1.4 Complément circonstanciel de but... 73

6.1.5 Phrase ... 74 6.1.6 Proposition infinitive ... 76 6.1.7 Gérondif anglais ... 76 6.1.8 Séquence... 78 6.1.9 Structures particulières ... 81 6.1.10 Changement de structure ... 82

6.2 STRUCTURES SYNTAXIQUES EN PUBLICITÉ : COMPARAISON ... 82

6.3 PHÉNOMÈNES D’INTERPELLATION EN ACTION SOCIALE ... 85

6.3.1 Interpellation directe ... 85

6.3.2 Le cas de ensemble ... 87

7. TRADUIRE LE SLOGAN SOCIAL ... 89

7.1 STRATÉGIES ... 89

7.1.1 Restructuration syntaxique ... 89

7.1.2 Faut-il adapter le slogan des OSC? ... 91

7.2 LE JUGEMENT DU TRADUCTEUR ... 93

7.3 L’AVENIR DE LA LANGUE DE LA SOLIDARITÉ ... 95

BIBLIOGRAPHIE... 98

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Remerciements

En premier lieu, je tiens à remercier ma directrice de recherche, Isabelle Collombat, pour son soutien indéfectible, sa grande disponibilité et ses conseils judicieux. Je la remercie également de m’avoir accordé sa pleine confiance, et ce, tout en gardant un œil critique et avisé. J’exprime aussi ma reconnaissance à Aline Francœur et à Louis Jolicœur, qui ont accepté de lire et d’évaluer ce mémoire. Leurs commentaires et leurs enseignements au fil de ma scolarité auront grandement contribué à la qualité de la présente étude. Enfin, je n’oublie pas mes parents et mon copain pour leur amour, leur patience et leur soutien. Cette étude a été réalisée grâce aux bourses du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds de recherche du Québec Société et Culture (FRQ-SC) ainsi qu’au soutien du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ).

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1. Introduction

Si les organisations de la société civile échappent en grande partie à l’intérêt de la traductologie pragmatique, elles n’en représentent pas moins un important secteur d’activité professionnelle. En effet, entre la mondialisation et les profonds changements sociaux, économiques, politiques et humanitaires qui l’accompagnent, l’action sociale occupe une place de plus en plus importante dans la conceptualisation moderne de la citoyenneté. Qui plus est, cette action profite depuis quelques décennies de la démocratisation d’Internet, au point où son existence s’en trouve à certains égards dématérialisée.

Constamment en quête de financement, tiraillée entre les secteurs public et commercial dont elle acquiert malgré elle les schémas de communication, la société civile est difficile à appréhender. Qu’elle le veuille ou non, elle fait partie de l’économie mondiale : elle achète, elle vend, elle emploie... Ses organisations font souvent appel aux services de rédacteurs et de traducteurs et, pourtant, peu de chercheurs se sont arrêtés sur ce que représente, dans une perspective pragmatique, ce type de travail. Difficultés, stratégies, caractéristiques du genre sont autant de points passés sous silence.

Le faible intérêt porté à cette question réside peut-être dans le curieux paradoxe qui la caractérise. En effet, dans l’imaginaire collectif, la société civile se présente souvent sous les traits d’une « institution » altermondialiste, sans doute en raison de l’émergence de bon nombre d’organisations se réclamant d’une telle idéologie dans les années 1990. Ainsi, une approche pragmatique essentiellement axée sur la traduction telle qu’elle s’exerce en milieu de travail pourrait sembler antinomique. Pourtant, nous verrons dans la présente étude qu’elle s’avère au contraire des plus fructueuses.

L’exploration du mode de communication des organisations de la société civile que nous proposons ne portera que sur un seul élément : le slogan. Ce choix émane bien entendu de considérations pratiques et techniques, notamment en raison de l’ampleur qu’il nous est

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permis de donner à ce projet. Précisons seulement que l’avantage principal de l’observation du slogan est la comparaison qu’il permet avec le discours publicitaire.

Ainsi, ce projet poursuit divers objectifs. Nous comptons examiner les liens qui unissent le discours des organisations de la société civile à celui des entreprises, dans le but de distinguer les différents genres à l’œuvre. Une fois cette distinction effectuée, nous observerons de plus près les schémas de communication des organisations afin d’y dégager des tendances permettant non seulement d’affirmer les caractéristiques du genre, mais également de proposer certaines stratégies de traduction et orientations quant au postulat traductif à adopter.

Nous commencerons par exposer en détail la problématique à l’étude, en faisant notamment un survol historique de la notion de société civile et en examinant l’existence possible d’une « langue de la solidarité », nom donné au mode d’expression – ou, plus précisément, à ce que nous qualifions de genre discursif – des organisations de la société civile. Nous expliquerons ensuite les assises théoriques de ce projet, soit les approches fonctionnalistes et pragmatiques de la traduction, après quoi nous exposerons la méthodologie employée, soit l’utilisation d’un réseau de corpus complémentaires et comparables selon les principes de la traductologie de corpus, et ce, partant de l’idée selon laquelle, en traduction publicitaire, « une étude rigoureuse de la traduction comme communication interlangues ne peut ignorer les possibilités ni les avantages qu’offrent désormais les corpus publicitaires dans tous les domaines » (Guidère 2011 : 337). Nous observerons ensuite les différences thématiques relevées en anglais et en français entre deux corpus de slogans comparables – l’un publicitaire et l’autre, social. Puis, nous nous attarderons au corpus d’organisations de la société civile, lui-même composé de trois sous-corpus complémentaires. Cet examen nous permettra de dégager des tendances structurelles de rédaction et de traduction des slogans pour enfin, dans la dernière section, proposer quelques stratégies.

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2. Problématique

2.1 Traduction et mondialisation

Depuis le début du XXIe siècle, la traductologie accorde une importance grandissante à l’étude de la mondialisation et de ses effets sur les plans tant social que linguistique. Il va de soi que l’effacement des frontières et la centralisation de l’information, qui favorisent une plus grande circulation des idées entre les communautés linguistiques, mènent à l’accroissement exponentiel des besoins traductionnels. Qui plus est, d’un point de vue épistémologique, il n’est guère surprenant qu’une « interdiscipline » (Snell-Hornby 1994) comme la traductologie se soit si naturellement arrimée aux sciences sociales par l’étude de la mondialisation. À cet égard, le terme anglais translation studies s’avère particulièrement révélateur de l’interdisciplinarité de la traductologie, le substantif studies étant généralement accolé à des disciplines marquées par la variété des approches

épistémologiques qu’on y trouve (social studies, women studies, etc.).

L’ouvrage de Cronin, Translation and Globalisation, publié en 2003, est considéré par beaucoup comme la pierre angulaire des réflexions sur ce sujet. L’auteur y présente la traduction comme nécessaire à la protection de la diversité linguistique à l’échelle de la planète et sort la traduction pragmatique de son rôle purement instrumental pour la peindre en tant qu’acteur social et culturel en contexte mondialisé. Cette publication marque d’une certaine façon l’amorce d’une réflexion sur la mondialisation par les traductologues et, par le fait même, la multiplication des approches à cet égard. Pourtant, Bielsa et Bassnett (2009 : 18) constatent avec étonnement que, malgré le rôle majeur joué par la traduction dans la communication internationale, « language and translation have been

systematically neglected in the current literature on globalization », ce qui témoigne du

potentiel encore inexploité de ce champ de recherche.

S’il est cependant un domaine de la traduction qui ne peut échapper à l’emprise de la mondialisation, c’est sans aucun doute la traduction commerciale, dont l’un des modes d’expression, la « parole publicitaire » (Tatilon 1978), a déjà fait l’objet d’une quantité phénoménale d’études étroitement liées à la montée de la mondialisation. En effet, en

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seulement une dizaine d’années, la démocratisation d’Internet a redéfini le modèle entrepreneurial par une multiplication de la concurrence et l’effacement des frontières : « A new type of economy driven by new knowledge and high technology, networking and modern transportation has emerged and has been changing various aspects of the business world and individual’s life in the work place and at home » (Ho 2008 : 102). Traduction, publicité et mondialisation semblent alors indissociables et poussent les traductologues à s’interroger tant sur le transfert linguistique que sur la façon dont la notion d’identité culturelle s’actualise dans un monde où semblent s’estomper les barrières entre les peuples. Toutefois, il serait erroné pour les traductologues d’envisager la mondialisation uniquement dans sa dimension commerciale. En effet, les besoins de communication multilingue en contexte mondialisé ne sont pas l’apanage des entreprises. À ce titre, les organisations de la société civile présentent toutes des besoins de communication faisant appel à une langue analogue à la parole publicitaire, mais qui alimente des objectifs et une philosophie propres aux organisations non gouvernementales. C’est pourquoi il demeure étonnant que, dans un contexte où l’internationalisation des pratiques et des enjeux traductionnels occupe un rôle de premier plan, la société civile soit, en grande partie, passée sous le radar de la traductologie.

Qui plus est, au-delà des considérations d’ordre pragmatique, la perspective sociologique de la mondialisation, « soulignant l’hégémonie des valeurs américaines et capitalistes » (Poesch, Campos et Ben Alaya 2007 : 11), tend à engendrer des discours alarmistes sur l’homogénéisation culturelle, l’appauvrissement linguistique et la disparition des langues. Or, dans un article publié en 2014, Collombat envisage la traduction comme un vecteur de revitalisation, voire de résurrection, des langues. Il s’agit en fait de rompre avec l’éternelle dichotomie global/local pour voir comment le global se met au service du local : « pour assimiler la diversité du cybermonde, [il faut] que le cyberindividu affirme son identité, voire sa différence – d’où la nécessité de la traduction » (Collombat 2014 : 20).

Ainsi, les concepts de « traduction et mondialisation » qui font office de préambule à ce mémoire ne se présentent guère comme un constat. Au contraire, il s’agit de concepts

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dynamiques marqués par une « cyber » société civile, démultipliée et toujours plus difficile à cerner.

2.2 Société civile

2.2.1 Qu’est-ce que la société civile?

Concept sociopolitique d’une grande complexité, la société civile peine à se figer dans une définition précise, en raison de son importante évolution historique.

Il faut remonter jusqu’à Aristote pour trouver la plus ancienne référence à la societas

civilis, qui « correspond à la société organisée à un niveau supérieur à celui de la famille »

(Planche 2007 : 12). On y trouve le sens premier de « civilisation », que reprendront les penseurs des Lumières, soit l’opposition à l’état naturel, à la barbarie, par une forme de contrat social incarné par l’État.

Au XIXe siècle, Hegel sera le premier à ne pas assimiler la société civile à l’État (Kaldor 2007 : 90). Pour le philosophe, « la société civile doit donc être comprise comme la part non politique du vivre en commun des hommes, portée au jour par le monde moderne, dont la “rationalité supérieure” tient largement au fait qu’il reconnaît les droits du non politique, – ceux de l’économique, ceux du social » (Hegel 2013 : 279). La définition hégélienne de la société civile, entre famille et État, se distingue donc par l’inclusion des « activités économiques » (Planche 2007 : 12) et dégage par le fait même la vie sociale d’un cadre purement étatique. Cette perspective trouvera écho dans les réflexions de Marx, puis de Engels, « qui verront en elle le

théâtre de l’histoire

» (Kaldor 2007 : 90).

Dans la foulée de Gramsci, marxiste italien, Habermas « place la société civile au cœur de sa philosophie du droit » (Frydman 2004 : 123) et souligne la façon dont la bourgeoisie des sociétés capitalistes a incarné la société civile « afin de préserver l’autonomie de son espace privé […] pour se défendre contre ce qu’[elle] perçoit comme un empiètement insupportable du pouvoir politique dans son domaine propre : celui du commerce, des

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échanges économiques et des affaires » (Frydman 2004 : 129). Le philosophe allemand s’intéresse à l’appropriation grandissante par la bourgeoisie de la sphère publique – en opposition à la sphère familiale, confinée aux murs du foyer – dès l’invention de l’imprimerie, phénomène aisément comparable à l’avènement d’Internet.

Enfin, à la fin du XXe siècle, les mouvements sociaux altermondialistes vont s’approprier le

concept de société civile dans leur lutte contre les marchés tels que les conçoit le néolibéralisme. Nous traitons ce sujet plus en profondeur dans la section 2.2.2.

En somme, il faut avant tout retenir que la société civile connaît une évolution marquée et d’autant plus particulière que ses différents sens sont superposés au fur et à mesure de cette évolution, ce qui en rend la conceptualisation ardue d’un point de vue contemporain, comme le souligne Planche (2007 : 17) :

La société civile est une société « évoluée » face à une société « arriérée »; la société civile s’oppose à l’État; la société civile s’oppose au marché. Ces trois axes sont apparus successivement au cours de l’histoire du concept mais, loin de s’exclure mutuellement, les définitions et les clivages se sont superposés, d’où la complexité des définitions actuelles et la diversité des appréhensions de cette notion.

Or, malgré l’apparente dissemblance des multiples conceptualisations de la société civile, Kaldor (2007 : 91) fait état d’un point important : les différentes définitions de cette notion « traitent [toutes] d’une société gouvernée par des règles et basée sur le consentement d’individus ainsi que sur un contrat social engageant ces individus ». Autrement dit, c’est la forme de ce consentement qui a évolué dans l’histoire au gré des préoccupations sociales de chaque période. C’est pourquoi Kaldor (2007 : 91) définit en essence la société civile comme « un processus à travers lequel les individus négocient, débattent, luttent ou s’accordent entre eux et avec les centres d’autorités économiques et politiques ». Si cette définition a l’avantage de rendre compte de la complexité du concept, elle demeure toutefois bien abstraite dans une approche traductologique à visée pragmatique.

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2.2.2 Émergence d’une société civile mondiale

Les années 1990 voient apparaître une importante lutte sociale contre la montée pourtant inéluctable de la mondialisation. Ce contexte mène à la multiplication des mouvements sociaux, qui s’approprient alors le concept de société civile, véhicule idéologique parfait pour légitimer les revendications altermondialistes. En effet, Diani (1990 : 13) précise qu’un mouvement social « is not just a set of purposive interactions aimed at providing and/or defending a public good; it is also a subcultural (although not necessarily a countercultural or marginalized) network of people sharing specific lifestyles and orientations ». On observe donc une affirmation de l’identité solidaire à travers l’action militante, ce qui explique l’appropriation de l’espace civil social par les mouvements émergents. C’est la naissance de la société civile mondiale.

Toutefois, comme le souligne Lemay (2005 : 39), « les mouvements sociaux à caractère transnational ne constituent pas un phénomène nouveau ». De fait, l’abolition de l’esclavage, la lutte pour le droit de vote des femmes et la promotion des droits de la personne sont des exemples d’action sociale à portée transnationale qui précèdent les considérations altermondialistes. Ainsi, l’appropriation du concept de société civile par les mouvements sociaux ne s’explique pas par leur simple émergence, mais bien par leur importante multiplication au cours des années 1990, multiplication que Crossley (2002) associe étroitement à la montée de la mondialisation. Bref, il semble que l’appréhension contemporaine du concept de société civile passe directement par les considérations altermondialistes, qui marquent une rupture avec l’État, ce que laissait d’ailleurs présager la multiplication des mouvements sociaux.

L’idée d’une société civile mondiale n’est certes pas toujours accueillie d’un bon œil. Anderson et Rieff (2004 : 26) sont notamment très critiques à l’égard des organisations se réclamant de la global civil society et qui, selon eux, sous couvert d’une certaine hégémonie morale, font la promotion d’un ensemble de valeurs considérées comme universelles, quelle que soit la philosophie propre aux États souverains concernés et la fragilisation démocratique qui pourrait en découler :

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Indeed, we argue, the global civil society movement seems to present human rights as a set of transcendental values and as a substitute for democracy, whereas, we would have thought, each ought to be considered indispensable.

Ainsi, les organisations de la société civile mondiale en viendraient à se « substituer au fonctionnement de la démocratie représentative au niveau national, ce qui s’avère profondément antidémocratique » (Kaldor 2007 : 100).

Autre point de critique important : malgré l’appropriation du concept de société civile par les mouvements sociaux transnationaux, ceux-ci se retrouvent, d’une façon paradoxale, à jouer le jeu du néolibéralisme, non seulement parce qu’ils existent à mi-chemin entre les pouvoirs nationaux dont ils émanent et une conception idéalisée d’un « État mondial », mais également parce que leur pouvoir ne s’actualise que par la marge de manœuvre qu’offre une certaine libéralisation des marchés. Ainsi, Lipschutz (2005 : 747) renoue avec l’approche d’Hegel et va jusqu’à affirmer que la société civile mondiale constitue « a central and vital element in an expanding global neo-liberal regime of governmentability, which is constituted out of the social relations within that regime and which, to a large degree, serves to legitimise that regime ».

Quoi qu’il en soit, la réticence de certains sociologues à même envisager une société civile mondiale démontre certainement toute la volatilité de ce concept – et du concept de société civile en soi –, d’où l’importance d’en effectuer un survol historique avant de s’arrêter sur une définition précise. Qui plus est, on ne peut ignorer que les organisations de la société civile produisent des textes auxquels sont quotidiennement confrontés bon nombre de traducteurs. Aussi faut-il pouvoir appréhender la notion de société civile de manière pragmatique, sans toutefois en ignorer la complexité et les enjeux en découlant. À ce titre, nous retenons ici, pour le concept de société civile, la définition du Dictionnaire du

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Ensemble des individus et des groupes, organisés ou non, qui agissent de manière concertée dans les domaines social, politique et économique, et auxquels s’appliquent des règles et des lois formelles ou informelles.

Cette définition s’inscrit dans une visée fonctionnelle et nous offre, par conséquent, la latitude nécessaire pour traiter des organisations de la société civile en contexte pragmatique.

Enfin, précisions que, malgré la controverse et le lot de contradictions entourant le concept de société civile, le terme conserve tout de même un double mérite, comme l’indique Ryfman (2009 : 104) : « Il souligne en premier lieu, dans les processus de transformation sociale, le caractère insuffisant d’une représentation de la société qui mettrait face à face seulement les États et les entreprises, et donc restreindrait le pouvoir civique au rapport entre les seuls pouvoirs économique et administratif. » De plus, il « permettrait de rendre compte de l’émergence de nouveaux acteurs, eux-mêmes porteurs de formes renouvelées de mobilisation ». En effet, bien que les acteurs se réclamant de la société civile se soient, par leur émergence et leur affiliation altermondialiste, paradoxalement propulsés au sein d’un système international mondialisé – jusqu’à en faciliter la mise en place à certains égards –, force est de constater que l’appropriation de la société civile par un grand nombre d’intervenants semble être allée de soi, et que, par conséquent, la portée du terme même résiste à toute tentative de simplification.

Dans la foulée de la « global associational revolution » (Salamon et al. 1999 : 4), marquée par une montée de l’activisme sous l’impulsion d’une solidarité contestataire, la société civile se dessine comme un espace privilégié de débats, de changements sociaux et de création discursive. Sans nier les paradoxes énoncés plus haut, c’est donc dans cette perspective que nous envisageons ici la société civile et les organisations qui la composent.

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2.2.3 Organisations de la société civile

Lemay (2005 : 40) affirme que malgré l’attention grandissante accordée aux organisations et mouvements sociaux, « [leur] conceptualisation reste encore problématique ». En effet, distinguer la société civile des organisations qui la composent, c’est un peu le dilemme de l’œuf et de la poule : la société civile contemporaine émane-t-elle de l’ensemble de mouvements sociaux, d’organisations non gouvernementales (ONG) et de regroupements citoyens y œuvrant ou offre-t-elle avant tout un contexte qui en permet l’émergence? Quoi qu’il en soit, si la société civile s’incarne à travers les mouvements sociaux « dans leur rôle d’action citoyenne et d’interpellation des pouvoirs publics » (Planche 2007 : 14), il existe des entités qui s’investissement concrètement de ce rôle, soit les organisations de la société civile (OSC), définies comme suit par Brodhag (2003) :

Ensemble des associations autour desquelles la société s’organise volontairement et qui représentent un large éventail d’intérêts et de liens, de l’origine ethnique et religieuse, à la protection de l’environnement ou des droits de l’homme, en passant par des intérêts communs sur le plan de la profession, du développement ou des loisirs.

Ainsi, par OSC, nous entendons généralement les ONG et regroupements citoyens qui contribuent à différents secteurs de l’action sociale (associations, instituts, fédérations, etc.).

Comme nous l’avons mentionné plus haut, le contexte de mondialisation, qui a favorisé l’émergence de la société civile telle que nous la concevons actuellement, a bouleversé les règles du marché de sorte que les entreprises ont complètement revu leur modèle de communication, ce qui explique notamment la grande diversité des travaux de recherche portant sur le slogan et la publicité en général. Or, il serait naïf de penser que les OSC échappent à ce climat concurrentiel. En effet, « les ONG […] ont dû, elles aussi, entrer dans ce processus de compétitivité et modifier leurs modes de fonctionnement vers plus de visibilité, plus de diversité des médias employés (photos, vidéos, bandes son, textes,

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sondages, pétitions), plus de services et d’interactivité en ligne » (Guillaume 2010 : 83). La visibilité devient donc un important facteur de gestion des OSC, dont le pouvoir d’aide repose souvent sur la générosité de donateurs.

D’un point de vue communicationnel, les préoccupations des OSC se démarquent cependant nettement de celles des entreprises. À titre d’exemple, Lemay (2005 : 40) soulève la complexité des relations entre organisations d’un point de vue identitaire : « si [une] organisation renonçait à s’afficher comme altermondialiste, elle risquerait en effet de se voir marginalisée par d’autres organisations et mouvements sociaux avec lesquels elle entretient des relations vitales pour le maintien de ses activités ». Ainsi, un peu à la manière des entreprises, les OSC doivent véhiculer une image qui les représente, leur assure une visibilité et solidifie leur position dans le réseau où elles évoluent. Se crée alors un nouveau mode d’expression, qui emprunte beaucoup à la parole publicitaire, et que nous appelons « langue de la solidarité ».

Cette langue emprunte de nombreux codes à la publicité puisque toutes deux partagent une intention commune : inciter à l’action. Toutefois, cette intention se traduit par une finalité fondamentalement différente : d’un côté, l’achat; de l’autre, le don… gain personnel contre gain social. D’un point de vue fonctionnel, cette divergence se répercute nécessairement sur les stratégies de traduction employées.

Mais avant d’aborder la langue de la solidarité de manière plus exhaustive, il est indispensable d’examiner le contexte dans lequel elle trouve son ancrage : la société cosmopolitique.

2.3 Vers une société cosmopolitique

Nous avons vu précédemment que Anderson et Rieff (2004) s’opposent à la notion de société civile mondiale puisqu’elle porte atteinte à la primauté de l’État-nation. Or, si d’un côté, la société civile contemporaine prend racine dans une action militante altermondialiste et, de l’autre, défend paradoxalement un ensemble de valeurs devant transcender les

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barrières culturelles, quelle place peut-elle occuper dans un modèle sociétal mondialisé? C’est notamment ce à quoi tente de répondre le cosmopolitisme (ou cosmopolitanism). À la base de ce courant sociologique – et même dans l’étymologie de son nom – se trouve la notion de cité, non pas l’unité administrative, mais bien l’espace civil dans lequel s’investit le citoyen cosmopolitique. Sassen (2000 : 146) formule ainsi l’idée :

Major cities can be thought of as nodes where a variety of processes intersect in particularly pronounced concentrations. In the context of globalization, many of these processes are operating at a global scale. Cities emerge as one territorial or scalar moment in a trans-urban dynamic. This is, however, not the city as a bounded unit, but the city as a node in a grid of cross-boundary processes.

Beck est sans doute l’un des plus ardents défenseurs du cosmopolitisme, qu’il définit comme l’internalisation de la mondialisation à l’échelle du globe, ce qui se manifeste notamment par la prise en compte des problèmes à portée planétaire d’un point de vue local, de sorte que le citoyen, quelle que soit la nation dont il émane, se trouve également concerné par le destin de l’ensemble de l’humanité :

What appears as and is proclaimed as national is, in essence, increasingly transnational or cosmopolitan. What is at issue is the relation of our knowledge of the world and social structure (Beck 2002 : 28).

Cette perspective offre un contrepoids à l’un des plus importants préjugés à l’égard de la mondialisation, soit l’idée que le phénomène doit être considéré d’un point de vue global. Or, l’intérêt que Cronin (2013 : 90) démontre envers la localisation illustre bien le fait que la mondialisation et ses effets ne s’appréhendent que d’un point de vue local : « It is indeed the preoccupation with local detail that has provided the impetus for the most far-reaching global translation projects of our age ». Beck (2002 : 23) insiste : « you cannot even think about globalization without referring to specific locations and places ».

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La traduction, par sa nature interculturelle, se présente certainement comme le terrain d’étude idéal de la mondialisation, du cosmopolitisme et de la société civile puisqu’elle est le théâtre même des échanges culturels par l’entrechoquement des langues. Difficile alors de passer sous silence la notion de traduction culturelle (cultural translation).

Par essence, la traduction culturelle existe aux croisements de l’anthropologie et de la traductologie. Le concept, quelque peu galvaudé étant donné son utilisation fluctuante d’un chercheur à l’autre, demeure difficile à définir, au point où Conway (2012 : 266) retient six « modes de traduction culturelle » selon l’interprétation faite de la traduction (réécriture ou transposition) et de la culture (anthropologique, symbolique ou communautaire). Dans l’optique de la présente étude, la traduction culturelle correspond à la pratique de la traduction d’un point de vue culturel et politique. Il s’agit d’une activité effectuée au cœur de cultures différentes, ce qui témoigne des besoins de communication croissants qu’entraîne la mondialisation et modifie la langue, phénomène perçu comme un enrichissement linguistique par les uns et comme un appauvrissement identitaire par les autres.

Mais pourquoi insister sur la notion de traduction culturelle? C’est que, comme le souligne Papastergiadis (2011 : 2), il ne peut y avoir de cosmopolitisme sans elle :

However, in order to feel an individual sense of moral connectedness and organize these collective modes of solidarity, there must be an attendant mode for comprehending and evaluating cultural similarities and differences. This process, which is both an expressive and a comparative act, is best understood through the concept of cultural translation.

Ainsi, par le truchement de la traduction culturelle, le cosmopolitisme nous permet d’appréhender la société civile par l’action sociale et solidaire qu’elle représente. Il semble dès lors essentiel d’analyser les schémas de communication de ses organisations.

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2.4 Langue de la solidarité

La perspective cosmopolitique permet de prendre en considération toutes les sphères de la vie citoyenne, tant politique que scientifique, économique ou sociale (Beck 2002 : 18). Sans nier la mondialisation ni ses effets néfastes, elle offre un cadre idéal pour observer la réalité des OSC.

La société cosmopolitique, à l’image de la société mondialisée, remet en question l’homogénéité de l’identité nationale de chaque peuple. La solidarité ne s’y délimite donc plus par les frontières territoriales. García Agustín (2012 : 82) va même jusqu’à parler de « solidarité cosmopolite », phénomène qui, selon l’auteur, se construit par la communication.

D’ailleurs, Habermas considérait la communication comme le fil conducteur permettant aux différentes organisations d’incarner la société civile :

Le cœur de la société civile est composé d’un réseau d’associations qui institutionnalisent les discours relatifs à la résolution de problèmes d’intérêt général dans le cadre de sphères publiques organisées. Ces « plans discursifs » possèdent une forme d’organisation égalitaire et ouverte qui reflète les caractéristiques essentielles de ce type de communication autour de laquelle ils se cristallisent et à laquelle ils assurent une continuité et une permanence (cité dans Kaldor 2007 : 95).

Nous l’avons vu plus haut, les besoins communicationnels des OSC se rapprochent de ceux des entreprises, exception faite de l’intention qui les anime. Dans la mesure où « le statut d’un texte donné au sein d’une culture donnée dépend dans une large mesure de la fonction que son auteur veut (ou a voulu) lui attribuer » (Reiss 2009 : 108), il convient de distinguer le mode de communication des OSC, que nous appelons « langue de la solidarité », de la parole publicitaire telle que l’ont étudiée de nombreux traductologues. Nous revenons sur la façon dont l’intention détermine le postulat traductif à la section 3.3.1.

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Si la « publicité internationale marque une étape importante dans le processus de globalisation en cours » (Guidère 2000 : 5), les OSC, par un processus parallèle mais distinct, s’inscrivent en marge de la mondialisation et en utilisent les outils pour faire avancer leurs causes.

Cette idée n’est pas sans rappeler la notion de « marketing social » (social marketing), d’abord énoncée par Kotler et Zaltman (1971 : 5) :

Social marketing is the design, implementation, and control of programs calculated to influence the acceptability of social ideas and involving considerations of product planning, pricing, communication, distribution, and marketing research.

French et Blair-Stevens (2010 : xi) moderniseront la définition du concept pour tenir compte de la diversité d’intervenants (État, société civile, citoyens) conjuguant marketing social et techniques propres au secteur commercial :

Social marketing is the systematic application of marketing alongside other concepts and techniques, to achieve specific behavioural goals, for a social good.

S’il est évident que les OSC utilisent le marketing social, notamment dans le cadre de campagnes de sensibilisation, nous estimons qu’il ne représente qu’une des nombreuses facettes de la langue de la solidarité, les OSC recourant à de nombreux procédés discursifs, selon les contextes.

La conjonction de ces divers procédés forme un genre discursif en soi qui, de manière fonctionnelle, s’exprime en problèmes de traduction pour le traducteur. C’est donc une partie de ces problèmes que nous observons ici par l’étude du slogan.

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2.5 Le slogan social

Si l’étude de la dynamique d’une organisation s’appuie sur l’observation de processus internes (participation au fonctionnement, examen des procès-verbaux, etc.), l’étude de son discours « repose sur l’examen de documents écrits » (Lemay 2005 : 43). À ce titre, le slogan, « formule concise et frappante, utilisée par la publicité, la propagande politique, etc. » selon le Petit Robert 2016, nous apparaît comme l’ensemble textuel le plus pertinent à analyser dans le cadre d’une première étude portant sur la langue de la solidarité.

Tout d’abord, le slogan est utilisé à la fois par les entreprises et les OSC. Cette structure agit donc comme pivot de comparaison entre la parole publicitaire et la langue de la solidarité. La distinction entre ces deux genres s’avère primordiale; d’une part, elle pose les bases du fonctionnement intrinsèque de la langue de la solidarité et, d’autre part, elle met en évidence l’importance de considérer ce mode d’expression comme un sujet d’étude en soi.

Ensuite, figure rhétorique d’une grande portée idéologique, le slogan incarne la philosophie et l’image des OSC. C’est pourquoi il ouvre une fenêtre sur les particularités sémantiques et pragmatiques de la langue de la solidarité, ce qui nous permettra, encore une fois, de bien distinguer les modes d’expression à l’étude.

Enfin, par sa disponibilité dans Internet, le slogan se prête particulièrement bien à la constitution de corpus pour effectuer une analyse scientifique rigoureuse à l’aide de données statistiques. De plus, une étude sur corpus, dont la méthodologie propre à la traductologie de corpus est abordée à la section 4, nous permet de mettre au jour des stratégies de traduction à visée pragmatique.

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3. Cadre théorique 3.1 Les genres discursifs

Nous avons qualifié la langue de la solidarité de mode d’expression puis, plus précisément, de genre discursif. Notre approche de cette notion s’appuie sur la définition en trois temps qu’en donne Beacco (2004 : 109), soit « une forme de représentation métalinguistique ordinaire de la communication, entrant dans le savoir commun […], un objet verbal distinct de l’énoncé, du texte, de l’acte de langage [et] du type de textes […], [et] une forme structurant la communication sociale, constitutif de lieux, dont la configuration relève de la conjoncture socio-historique, dans lesquels s’ancrent les formations discursives et s’appréhende le sens sociétal ». Cette précision est des plus importantes puisqu’il s’agit avant tout d’un phénomène de communication ancré dans le discours. Mais pourquoi alors ne pas simplement parler de langue spécialisée?

Delisle, Cormier et Lee-Jahnke (1999), définissent la langue spécialisée (ou langue de spécialité) comme un « sous-système linguistique qui comprend la terminologie et les moyens d’expression propres à un domaine de spécialité ». Il convient dès lors d’esquisser (ou plutôt de rappeler) la controverse entourant cette notion, sujet fréquemment abordé par les terminologues pour des raisons épistémologiques qui vont de soi.

Une division par langues spécialisées traduit logiquement une division par domaines, qui pourraient sembler a priori fixés. Or, la notion de domaine reçoit deux critiques de la part des socioterminologues dans leur approche à la fois diachronique et descriptive. D’une part, en raison de leur histoire et de leur rôle culturel, les corps de connaissances sont découpés selon « une logique plus institutionnelle que proprement scientifique » (Gaudin 2003 : 51). D’autre part, la notion de domaine isole des communautés de locuteurs qui enrichissent réciproquement leur bagage linguistique. Autrement dit, on ne peut ignorer la circulation des termes entre domaines, qui plus est dans une perspective cosmopolitique.

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Pour résoudre cette problématique de dénomination, Gaudin propose de remplacer la notion de domaine par celle d’épistémè, définie par Foucault comme « l’ensemble des relations pouvant unir, à une époque donnée, les pratiques discursives qui donnent lieu à des figures épistémologiques, à des sciences, éventuellement à des systèmes formalisés » (cité dans Gaudin 2003 : 53). Ce terme permet au socioterminologue de délaisser les domaines en tant que divisions conceptuelles et de s’intéresser plutôt aux formations discursives.

Il n’y a pas lieu d’insister davantage sur les épistémès. En effet, retenons simplement que la présente étude s’intéresse aux formations discursives en elles-mêmes et non aux langues spécialisées telles que les restreindraient les « domaines spécialisés » de la publicité ou de l’action sociale.

En outre, si l’on considère que « la spécialité est définie en partie par la satisfaction des besoins de référence spécialisés d’un groupe socioprofessionnel de locuteurs » (Scarpa 2010 : 3), il devient difficile d’accoler l’étiquette de langue spécialisée au mode d’expression des OSC, dans la mesure où l’existence même de ces organisations repose avant tout sur une action sociale dont la nature même refuse une certaine institutionnalisation, ce qui – il faut le souligner – n’interdit aucunement à ce domaine d’afficher une prédilection pour certains schémas de communication.

Enfin, la langue spécialisée accorde une place importante aux termes qui la composent. Toutefois, comme nous le constatons aux sections 5 et 6, le slogan des OSC, dans sa traduction ou sa comparaison au slogan publicitaire, se dévoile avant tout dans ses aspects sémantico-pragmatiques et structurels. C’est pourquoi, de parole publicitaire à langue de la solidarité, nous privilégions l’appellation « genres discursifs ». Cette nuance fait davantage écho aux approches fonctionnalistes que nous préconisons (abordées à la section 3.3), dans lesquelles le genre discursif ou le type de texte détermine le postulat traductif à adopter mais, surtout, nous permet de faire l’économie d’un débat qui, en réalité, n’enrichit nullement la réflexion sur le slogan social dans une approche de traduction pragmatique.

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3.2 La traduction pragmatique

On pourrait affirmer que la parole publicitaire est un genre discursif qui relève de la traduction pragmatique, terme controversé s’il en est.

Dans son ouvrage exhaustif sur la question, Nicolas Froeliger (2013 : 31) définit en introduction la traduction pragmatique comme une « traduction ayant avant tout une visée de communication ». L’accent accordé à la notion de communication n’est certes pas anodin : il permet d’opposer la traduction pragmatique à la traduction littéraire, où les considérations d’ordre esthétique ou émotif prennent le pas sur les fonctions communicatives. Mais qu’en est-il du slogan publicitaire ou social? N’est-il pas assujetti à l’art du discours, voire à une forme d’esthétisme littéraire? Ne se distingue-t-il pas d’un texte rédigé dans une langue spécialisée « pure », comme l’est un texte scientifique?

Delisle, Cormier et Lee-Jahnke (1999) insistent également : le texte pragmatique (auquel, donc, se rapporte la traduction pragmatique), est un texte « qui a une utilité généralement immédiate et éphémère, qui sert à transmettre une information d’ordre général ou propre à un domaine et dont l’aspect esthétique n’est pas l’aspect dominant ».

Si la césure entre traduction pragmatique et traduction littéraire semble inévitable, le fait de polariser ces catégories par la forme qu’y prend la langue rend la parole publicitaire en quelque sorte orpheline. Il faut donc bien entendu prendre en compte le contexte extralinguistique de la traduction. À cet égard, le slogan social et publicitaire s’apparente à un texte pragmatique dans la mesure où il est souvent anonyme et considéré comme un « instrument de communication » (Delisle, Cormier et Lee-Jahnke 1999 : 82). Les auteurs susmentionnés précisent que le texte pragmatique se distingue par la place primordiale qu’il occupe en traduction professionnelle. Pour notre part – et sans prêter d’intention – nous préférons éviter d’opposer traduction littéraire et traduction professionnelle, dans la mesure où toute activité traduisante fait appel à la compétence professionnelle du traducteur.

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Quoi qu’il en soit, nous considérons que les genres discursifs à l’étude relèvent de la traduction pragmatique, soit une traduction qui « porte sur les textes ayant avant tout une visée de communication […], s’attache essentiellement à restituer une intention […], est référée au réel [et] fournit une esthétique de la traduction » (Froeliger 2013 : 244). Si la traduction est, dans sa globalité, « avant tout une activité de résolution de problèmes » (Collombat 2009 : 40), le slogan, donc, constitue un problème de traduction particulier en contexte de traduction pragmatique de l’anglais au français.

Deux raisons principales motivent alors l’orientation « pragmatique ». Premièrement, à travers le prisme de la traduction pragmatique, il est possible d’ancrer la langue de la solidarité dans l’approche fonctionnaliste de la traduction, qui se prête fort bien à l’analyse de l’intention afin de distinguer les genres discursifs à l’étude. Deuxièmement, l’importance accordée à la communication en traduction pragmatique nous permet de passer d’une approche purement fonctionnaliste à une approche axée sur la communication multilingue, qui prend racine dans Internet, là même où s’expriment majoritairement les OSC et d’où sont tirés les slogans analysés.

3.3 Les approches fonctionnalistes

3.3.1 Survol

La traductologie fonctionnaliste voit le jour en Allemagne vers la fin des années 1970 et le début des années 1980 sous l’impulsion de Hans J. Vermeer, Justa Holz-Mänttäri et Heinz Göhring, qui travaillent respectivement sur la théorie du skopos, la théorie actionnelle de la traduction et la communication interculturelle (Nord 2012 : 26). Bien qu’il faille attendre les années 1990 pour que les approches fonctionnalistes soient exportées hors de l’Allemagne, elle-même au début réfractaire à ce nouveau paradigme, il s’agit aujourd’hui d’un des courants les plus notables de la traductologie, en particulier par l’intérêt accordé à la théorie du skopos telle que la précisent Vermeer et Reiss dès 1984.

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La portée de la théorie du skopos demeure indéniable, même auprès de traductologues qui « s’inscrivent dans la mouvance fonctionnaliste […] sans se considérer pour autant comme des “skopistes” » (Nord 2008 : 11). Cette théorie repose avant tout sur la finalité du texte cible, généralement définie en fonction de l’intention qui l’anime, de sorte que « le même texte de départ donnera lieu à des résultats bien différents selon l’usage auquel il est destiné » (Froeliger 2013 : 48). La notion d’intention demeure cependant bien floue, compte tenu du fait que l’analyse qui en est faite varie de l’émetteur au récepteur du message. C’est pourquoi il convient de distinguer intention et visée du texte.

L’intention correspond à ce que le traducteur « suppose que le texte de départ devait servir », là où la visée désigne « ce à quoi doit servir le texte d’arrivée aux yeux de ses destinataires et utilisateurs » (Froeliger 2013 : 30). Autrement dit, l’intention se rapporte au

vouloir dire, pour paraphraser les tenants de l’École de Paris, tandis que la visée fait écho

au principe de loyauté énoncé par Nord (2008 : 147). Ainsi, selon la finalité (ou le skopos) de l’opération traduisante, intention et visée ne s’accorderont pas toujours, et le postulat traductif à adopter repose donc sur les épaules du traducteur, qui doit mettre à profit ses compétences professionnelles linguistiques, culturelles et pragmatiques.

La théorie du skopos – et les approches fonctionnalistes de manière plus générale – a l’avantage d’ancrer la pratique de la traduction dans le milieu professionnel, ce qui en explique l’intérêt d’un point de vue didactique, et de valoriser la position du traducteur en tant que décideur au sein des processus communicationnels interculturels. Cet accent donné à la communication (par opposition, par exemple, à une approche purement linguistique) s’accompagne d’un intérêt marqué pour les conventions textuelles.

Dès les balbutiements des approches fonctionnalistes, Katharina Reiss, à qui l’on a souvent attribué à tort la création de la théorie du skopos, insiste sur l’importance de mettre en place une typologie textuelle de manière à « préciser la hiérarchie appropriée des niveaux d’équivalence qu’il faut adopter pour un acte traductionnel par rapport à son skopos » (Nord 2008 : 52). Cette typologie (Reiss 2009 : 107-122) s’actualise en deux paliers, où le texte se distingue par son type (informatif, expressif et opératif), soit son fonctionnement

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intrinsèque, et son genre (p. ex. la lettre), soit les éléments conventionnels auxquels il se rapporte. L’approche de Reiss vise à légitimer la théorie du skopos et à lui donner un cadre d’application rigoureux. Toutefois, si la typologie proposée rend compte de la traduction comme discipline dans son ensemble, elle semble difficile à appliquer de manière concrète dans le contexte précis du discours des OSC, d’autant plus que la renaissance de la société civile à partir des années 1990 s’est accompagnée d’un important nombre de changements dans les habitudes de communication, au point où les conventions propres à ce type de discours ne se sont pas nécessairement cristallisées. C’est notamment pourquoi nous préférons considérer la langue de la solidarité comme un genre discursif (voir la section 3.1 à ce sujet) axé, donc, sur l’acte de communication.

3.3.2 Avenir du fonctionnalisme

Dans un récent article, Christiane Nord (2012), considérée comme l’une des « principales figures » (Froeliger 2013 : 47) de la théorie fonctionnaliste, explore quatre paradigmes d’application de ce courant selon l’orientation de recherche adoptée par les traductologues de la génération actuelle :

1) Formation des traducteurs et des interprètes

Nord fait état de cinq grands axes de recherche concernant la formation des traducteurs et des interprètes, soit la méthodologie de la traduction, la création de matériel didactique, la prise en compte du destinataire de la traduction, l’élaboration de programmes de formation (didactique) et l’évaluation de la qualité.

2) Différences culturelles

Cette orientation privilégie la comparaison des phénomènes culturels par une étude différentielle des normes et conventions textuelles en fonction de genres textuels précis ou de phénomènes stylistiques et discursifs. L’approche différentielle peut faire usage de corpus parallèles ou comparables.

(31)

3) Analyse de genres textuels précis

De nombreux chercheurs mettent en pratique la traductologie fonctionnaliste, appliquée notamment à la traduction documentaire et instrumentale, au sein de genres ou domaines précis, comme la publicité, le multimédia, la traduction juridique et même la traduction littéraire.

4) La profession de traducteur

Enfin, comme nous l’avons mentionné précédemment, les approches fonctionnalistes ont grandement contribué à faire rayonner la profession de traducteur. Cette valorisation découle de divers champs d’études, dont l’éthique de la traduction, les aspects fonctionnels de l’interprétation, l’émergence des services de consultation interculturelle et de rédaction technique considérés comme des parties intégrantes de la profession et la prise en compte de l’environnement de travail et du rôle du traducteur dans la communication internationale et le marketing, particulièrement en lien avec le virage Web et la localisation.

Bien entendu, ces quatre champs d’application ne s’excluent pas mutuellement. D’ailleurs, les objectifs que nous poursuivons s’inscrivent parfaitement dans ces divers cadres. Notre étude, par essence différentielle, offre un portrait juste – bien que partiel – de genres discursifs précis de sorte qu’elle en permet une analyse dont les données, tirées de corpus complémentaires, pourront être appliquées à des problématiques de traduction réelles, et ce, dans un contexte mondialisé axé sur le Web. Voilà donc pourquoi les approches fonctionnalistes offrent à ce projet des assises théoriques fructueuses.

3.4 L’ère de la communication

Dans The Translator as Communicator, Hatim et Mason (1997 : 1) redéfinissent la traduction et, par le fait même, le rôle du traducteur :

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Translating is looked upon as an act of communication which attempts to relay, across cultural and linguistic boundaries, another act of communication (which may have been intended for different purposes and different readers/hearers).

Ainsi, les auteurs « appellent à une unification de la discipline – et des traducteurs – autour de leur point commun, à savoir la communication » (Guidère 2008 : 15). Cette approche, si elle n’est pas sans rappeler le fonctionnalisme traductionnel, notamment par la prise en compte de l’objectif dans l’acte de communication, se distingue par le fait qu’elle subordonne la traduction à la communication. C’est donc cette dernière qu’on envisage par le prisme de la traduction, et non l’inverse, ce qui complexifie les tentatives d’unification de Hatim et Mason. En effet, malgré leur complémentarité partielle, les différentes théories de la traduction ne s’intègrent pas toutes aisément aux approches de la communication. Du côté des principaux représentants du fonctionnalisme, soit la théorie actionnelle et la théorie du skopos, on retiendra que, puisqu’ils accordent une place centrale au traducteur, qu’il s’agisse de déterminer la fonction ou le skopos, ils permettent la prise en compte d’importants facteurs sociolinguistiques : besoins humains, rôles sociaux, attentes des récepteurs, etc. (Guidère 2008 : 17-18).

Mais qu’en est-il spécifiquement de la parole publicitaire et de la langue de la solidarité? En ce qui concerne la publicité, l’intérêt pour l’approche communicationnelle est, bien entendu, loin d’être nouveau. En tant qu’acte de communication par essence, la publicité a longtemps été envisagée d’un point de vue fonctionnel, et ce, même avant l’émergence de la traductologie fonctionnaliste à proprement parler. À titre d’exemple, dès le début des années 1970, Boivineau (1972 : 15), faisant la promotion de « belles efficaces » en adaptation publicitaire, souligne qu’il n’est « pas question de respecter scrupuleusement la pensée de l’auteur, ni même son style, [mais] plutôt d’atteindre le but recherché avec l’annonce originale, et la voie pour rejoindre ce but pourra s’écarter sensiblement de celle suivie par le concepteur ».

(33)

Il en va cependant tout autrement pour la langue de la solidarité. Les OSC ne constituent pratiquement jamais en elles-mêmes un objet d’étude traductologique et on ne les aborde qu’accessoirement en mentionnant les contrecoups de la mondialisation et les nouveaux schémas de communication qui en découlent. Par exemple, Guidère (2009 : 425) souligne que « pour les institutions internationales et les organisations non gouvernementales, les sites web représentent un excellent moyen de communiquer à moindres frais avec un nombre illimité de personnes ». De son côté, Guillaume (2010 : 84) s’intéresse au rôle de la traduction au sein de la sphère associative dans un contexte où le « changement, du papier vers l’électronique virtuel, offre une visibilité mondiale, là où jadis la visibilité était moins que locale ».

Ainsi, la visibilité à l’ère des communications se trouve donc au cœur des préoccupations entourant les OSC. La traduction y est généralement envisagée comme une composante de la communication, mais on accorde peu d’attention au genre discursif même dans lequel elle évolue. Pourtant, si « les sites web représentent aujourd’hui une nouvelle forme de communication publicitaire » (Guidère 2009 : 425), il y a lieu de croire que ce médium représente une nouvelle forme de communication solidaire.

Par conséquent, puisqu’il convient d’ancrer la présente étude dans une « conception du média Internet envisagé comme une nouvelle Tour de Babel » (Guidère 2008 : 128), où « la traduction fait désormais partie intégrante de la société de l’information mondialisée » (ibid : 7), nous nous tournons vers l’approche de la communication multilingue, énoncée par Guidère.

3.5 La communication multilingue

La communication multilingue est un plaidoyer pour la prise en compte de la communication en tant que discipline dans l’approche traductologique. Par un examen du discours commercial (publicitaire et marchand) et institutionnel (essentiellement étatique), Guidère (2009 : 423) démontre la « nécessité de dépasser l’analyse du discours pour une véritable prise en compte des formes de communication nouvelles qui se déploient

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aujourd’hui parallèlement et simultanément en plusieurs langues et notamment sur la Toile ».

Notre intérêt pour la communication multilingue ne réside pas dans l’approche du multitexte, de la diffusion multilingue, ni même du contexte multilingue d’énonciation d’un message à traduire. En effet, la présente étude, pour des raisons de faisabilité, ne touche qu’à une seule paire de langues, soit l’anglais et le français. Notre intérêt pour cette approche réside plutôt dans sa prise en compte lucide du contexte socioéconomique dans lequel s’inscrit désormais la traduction, contexte qui donne ses assises à la traduction analytique.

Guidère (2009 : 426) énonce les quatre principes de la traduction analytique comme suit :

1) Elle refuse la séparation du texte à traduire et du sujet traduisant, car les deux sont indissociables dans l’activité de traduction : l’un fait exister l’autre et s’actualise.

2) Elle récuse le fait que le « sens » soit dans le texte : il est un devenir tributaire de la compétence du traducteur qui l’actualise, que ce soit au départ ou à l’arrivée du processus.

3) Elle refuse le caractère énigmatique du « sens » et le considère comme une orientation de l’esprit du traducteur à un moment donné concernant un sujet particulier. Interpréter n’est pas traduire : l’interprétation elle-même est tributaire de la compréhension du traducteur.

4) Elle conteste la fonctionnalisation du texte à traduire parce que la fonction ou le

skopos sont eux-mêmes des données subjectives, changeantes et dépendantes du

traducteur. La finalité de l’acte de traduire elle-même est évolutive et circonstancielle; elle ne peut être prise comme fondement à la traduction.

Ce dernier point offre un contrepoids des plus novateurs aux approches fonctionnalistes. La fonction d’un texte n’est de fait pas absolue, quand bien même l’on parlerait d’une situation unique dans un contexte précis à un moment donné. La fonction est perçue, et le traducteur

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en porte la responsabilité. Cette responsabilisation du traducteur ne peut que contribuer à améliorer la perception de la profession. À ce titre, la traduction analytique – à notre avis – ne s’inscrit pas en opposition au fonctionnalisme abordé plus haut, mais bien dans sa continuité.

Quoi qu’il en soit, la traduction analytique semble avant tout didactique et appliquée, dans la mesure où elle invite le traducteur à demeurer conscient de ses propres intentions, conceptions et perceptions, mais également de s’ouvrir à celles de l’Autre afin d’éviter sa propre instrumentalisation. Mais la communication multilingue offre bien entendu également un potentiel de recherche descriptif, et l’observation de la langue de la solidarité sous une de ses facettes, soit le slogan social, nous apparaît comme un premier pas dans cette direction.

3.6 La société civile dématérialisée

La communication multilingue, pour le moment, accorde peu d’importance aux organisations de la société civile, dont on assimilerait trop facilement le mode d’expression au discours institutionnel, une association qui – nous l’avons vu précédemment – ne correspond aucunement à l’appropriation du véhicule idéologique de la société civile par les mouvements sociaux. Pourtant, ces organisations évoluent dans le même contexte que les sphères commerciales et publiques.

Dans cette « Babel 2.0 édifiée par une société civile autonomisée » (Collombat 2014 : 27), les OSC s’observent en grande partie par Internet. Il serait certes tentant d’y voir un cosmopolitisme virtuel carrément détaché de la réalité, mais nous préférons, de manière plus positive, y voir une dématérialisation de la solidarité sociale. Autrement dit, malgré l’absence de support tangible pour le citoyen, l’action sociale s’incarne dans le Web, pour des raisons pratiques, et c’est la communication multilingue qui permet d’en rendre compte.

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Or, on ne peut tout rapporter à la simple communication. À cet égard, Guidère (2008 : 11-12) retient sept types de communication selon l’encyclopédie de Lamizet et Silem (1997) : commerciale, institutionnelle, externe, interne, interpersonnelle, médiatée et non verbale. Même si on tendrait, dans une approche axée sur la communication, à restreindre les genres discursifs étudiés à l’un ou plusieurs de ces types, il ne faut pas confondre la composante du genre discursif examinée – ici, les slogans social et publicitaire – et le genre discursif en lui-même, soit la langue de la solidarité et la parole publicitaire.

Qu’il s’agisse d’écrire un courriel, de rédiger un formulaire de demande de dons, de préparer une campagne de sensibilisation ou de publicité, les sphères commerciale et associative font appel à autant de types et de genres textuels distincts. On ne peut donc pas restreindre les modes d’expressions de ces organisations à un simple schéma de communication. Par conséquent, si, selon Hatim et Mason, « seule l’approche textuelle peut rendre compte de la traduction en tant que communication » (Guidère 2009 : 422), nous proposons de centrer notre analyse sur des phénomènes discursifs précis par une approche empruntée à la traductologie de corpus.

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4. Corpus et méthodologie 4.1 La traductologie de corpus

La traductologie de corpus (ou CTS; Corpus-based Translation Studies) prend son envol au

début des années 1990 grâce au mouvement amorcé par Mona Baker (Loock 2012 : 100), qui s’appuie alors sur les principes de la linguistique de corpus dans une perspective largement descriptive (Laviosa 2013 : 228) pour explorer la question des universaux de traduction, définit comme des « features which typically occur in translated text rather than original utterances and which are not the result of inteference from specific linguistic systems » (Baker 1993 : 243). Une telle exploration nécessitant l’exploitation de corpus très volumineux (Malmkjær 2011 : 84), on peut comprendre que l’intérêt grandissant pour ce type de recherche soit allé de pair avec le développement des technologies informatiques. L’approche proposée par Baker repose sur l’observation à grande échelle de corpus doubles dans différentes paires de langues (Malmkjær 2011 : 84-85). Ces corpus doubles peuvent être parallèles, c’est-à-dire constitués d’un ensemble de textes cibles accompagnés de leurs textes sources, ou comparables, c’est-à-dire constitués d’un ensemble de textes originaux comparables rédigés directement dans diverses langues (Baker 1993 : 248). En traductologie de corpus, on distingue aujourd’hui deux principaux types de corpus comparables, soit les corpus multilingues, c’est-à-dire un ensemble de textes originaux dans plusieurs langues ou de traductions comparables dans une ou plusieurs langues, et les corpus monolingues, c’est-à-dire des corpus regroupant textes traduits et textes comparables originaux de la même langue (Olohan 2004 : 35; Granger 2010 : 16).

La démarche du présent projet s’articule en deux temps. D’abord, il convient de distinguer la parole publicitaire de la langue de la solidarité, deux genres discursifs que l’on pourrait à tort assimiler étant donné leur ancrage dans une réalité mondialisée unique et un contexte de communication multilingue dont la nouvelle Babel s’avère le théâtre. Ensuite, il faut observer les phénomènes de traduction de la langue de la solidarité, examen qui doit prendre appui sur une comparaison entre langue traduite et langue non traduite, comme nous l’expliquons à la section 4.2.3. Rappelons encore une fois que c’est le slogan, tant

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