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L'église Saint-Martin de Savigny du XIe au XVIIIe siècle

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-02529435

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02529435

Submitted on 2 Apr 2020

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L’église Saint-Martin de Savigny du XIe au XVIIIe siècle

Olivia Puel

To cite this version:

Olivia Puel. L’église Saint-Martin de Savigny du XIe au XVIIIe siècle : Histoire et archéologie d’un monument disparu. Archéologie Médiévale, CRAHAM, 2019, �10.4000/archeomed.24753�. �halshs-02529435�

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Ouvrage publié avec le concours du ministère de la Culture

Direction générale des patrimoines (Sous-direction de l’Archéologie)

Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

Archéologie

médiévale

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L’église Saint-Martin de Savigny

du

xi

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au

 

xviii

e

 siècle.

Histoire et archéologie d’un monument disparu

Olivia P

uel*

Mots-clés : architecture religieuse, église, archéologie du bâti, élément architectural, pratique religieuse, textes religieux, mosaïque,

enduit peint, relique, nef, clocher, chœur, crucifix, autel, salle capitulaire, aménagement du relief, modénature, liturgie

Résumé : Puissant seigneur ecclésiastique, le monastère Saint-Martin de Savigny occupait, au Moyen Âge central, une place importante

dans le paysage politico-religieux de la région lyonnaise. Comme d’autres établissements, le monastère profita de son apogée pour mener à bien d’ambitieux projets destinés à protéger ses intérêts et à afficher, aux yeux de tous, sa légitimité et son ambition. Au même titre que son cartulaire, la reconstruction de son église principale, entre la fin du xie et le début du xiiie siècle, participa pleinement

à cette entreprise. Monumental par ses dimensions comme par son architecture, ce lieu de culte fut pillé puis démantelé dans les années qui suivirent la Révolution française. Il fut longtemps négligé par les érudits, qui ne s’intéressaient pas à une église impossible à localiser dans le village. Des recherches récentes et interdisciplinaires ont pourtant mis au jour une documentation archéologique, historique et liturgique d’une richesse jusqu’alors insoupçonnée, qui permet désormais de retracer son histoire sur la longue durée, mais aussi de tenter une restitution de son état médiéval.

Keywords: religious architecture, church, standing buildings archaeology, architectural element, religious practice, religious texts,

mosaic, painted coating, relic, nave, bell-tower, chancel, crucifix, altar, chapter-room, terracing, architectural ornamentation, liturgy

Abstract: The Saint-Martin Church of Savigny from the 11th to the 18th century. History and Archaeology of a Missing Monument.

The abbey of Savigny (Rhône) was a mighty ecclesiastical seigneury which occupied, in the Middle Ages, an important place in the political and religious landscape of the Lyon region. Like other establishments, it took advantage of its peak to carry out ambitious projects aimed at protecting its interests and showing everyone its legitimacy and ambition. Like its cartulary, the reconstruction of its principal church, between the end of the 11th and the beginning of the 13th centuries, participated fully in this undertaking. This place of worship was monumental by its dimensions and by its architecture. It was plundered then almost completely destroyed during the years that followed the French revolution. It was neglected for a long time by the scholars who were not interested in a church impos-sible to locate in the village. Some recent and cross-disciplinary researches have nevertheless uncovered archaeological, historical and liturgical documentation that was almost unknown and very bountyful. It is now possible to write the history of this church, over the long term, but also to try to restore it to its medieval state.

Schlüsselwörter: kirchenarchitektur, kirche, bauarchäologie, spolien, andachtsübungen, kirchliche texte, mosaik, bemalter putz,

reliquie, kirchenschiff, kirchturm, chor, kruzifix, altar, kapitelsaal, geländegestaltung, profile, liturgie

Zusammenfassung: Die Martinskirche von Savigny vom 11. bis zum 18. Jh. – Geschichte und Archäologie eines abgegangenen Denkmals. Das Martinskloster von Savigny war eine mächtige Herrschaft und spielte eine bedeutende Rolle in der politischen und

kirchlichen Welt der Lyoner Gegend. Wie andere Häuser auch, nutzte Savigny seine Blütezeit um ehrgeizige Projekte durchzuführen, die seine Interessen schützen und seine Legitimität für alle sichtbar behaupten sollten. Wie die Anlegung seines Chartulars, gehörte der Neubau seiner Hauptkirche zwischen dem Ende des 11. und den Beginn des 13. Jhs. voll und ganz zu diesen Bestrebungen. Dieses in seinem Umfang und seiner Architektur monumentale Gotteshaus wurde in den Jahren nach der französischen Revolution geplündert und anschließend fast vollständig abgetragen. Lange Zeit blieb es von der Forschung vernachlässigt, da man es innerhalb des Dorfes nicht lokalisieren konnte. Jedoch konnten neue, interdisziplinäre Untersuchungen archäologische, historische und liturgische Quellen von bislang ungeahntem Reichtum zu Tage fördern. Dadurch kann nunmehr nicht nur die Geschichte dieser Kirche im Laufe der Jahrhunderte dargestellt werden, sondern auch eine Rekonstruktion ihres mittelalterlichen Zustandes versucht werden.

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INTRODUCTION

L’abbaye de Savigny, localisée à 26 km au nord-ouest de la cité épiscopale de Lyon, existait déjà au  début du  ixe  siècle, sans

doute depuis peu. Mais c’est au siècle suivant, à la faveur d’une restauration soutenue, entre autres, par les archevêques de Lyon, qu’elle acquit la puissance politique et économique qui fit d’elle l’un des principaux seigneurs de la région lyonnaise entre le xie et

le xiiie siècle. Son essor fut progressif mais continu ; Savigny fut

alors sensible à  certaines influences spirituelles, comme celle de Cluny, mais elle n’en conserva pas moins son indépendance vis-à-vis des grands ordres bénédictins. Son vaste patrimoine, constitué pour l’essentiel à la même période à l’ouest du diocèse, se structura autour de prieurés ruraux, mais son  influence déborda du  cadre diocésain, aussi bien du  côté du  royaume capétien que vers le royaume de Bourgogne.

La principale église du monastère, placée sous le vocable de saint Martin, remonte à cette époque : vers 1135, le Liber

cartarum de Ponce 1 désigne en effet explicitement Dalmace,

qui gouverna Savigny entre 1051/1056 et 1080, comme l’ins-tigateur des travaux : « Le même homme a aussi commencé la  construction de notre église depuis les  fondations 2 ».

Il s’agissait d’une reconstruction, et non d’une construction

1. Bernard 1853, vol. 1. Dans le cadre de sa thèse, puis de notre Projet collectif de recherche, P. Ganivet a procédé à une réédition critique du texte fondée sur la copie la plus ancienne, à laquelle son prédécesseur n’avait pu avoir accès. Il a établi que cette compilation de quelques 950 chartes avait probablement été réalisée dans  les années 1130-1135. Voir notamment : Ganivet 2000 ; Id. à paraître.

2. Bernard 1853, vol. 1, p. 387-388 : « Coepit etiam idem vir ecclesiam nostram

a fundamentis aedificare ».

ex nihilo, puisque l’existence d’une autre église, au  même

emplacement, est avérée pour la période antérieure à l’an Mil 3.

L’utilisation de l’expression a fundamentis relève en outre d’un

topos fréquent dans les textes médiévaux, qui avait pour objectif

de glorifier le commanditaire 4. Dalmace cherchait-il à affirmer,

dans la pierre, le nouveau pouvoir du monastère ? L’époque était sans nul doute favorable à  cette entreprise, à  Savigny comme ailleurs. Ce n’est pas un hasard si, pour s’en tenir à des exemples régionaux, la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Lyon 5

ou les abbatiales de l’Île-Barbe 6 ou d’Ainay 7, toutes proches de

la cité épiscopale, furent reconstruites au xie et/ou au xiie siècle.

Contrairement aux précédentes, cette église n’a en revanche guère retenu l’attention des  chercheurs, si  ce n’est pour sa sculpture aujourd’hui largement dispersée 8. Sa démolition

est la principale cause de ce désintérêt, à l’image du monastère lui-même, dont les vestiges sont peu visibles (fig. 1), elle n’a pas laissé de traces tangibles si bien qu’il est difficile de repérer son emplacement exact dans le village actuel (fig. 2). Quelques auteurs ont essayé de retracer son histoire monumentale ou de restituer son plan, mais sans grand résultat 9. Denise

Devos-Cateland, auteur de l’unique article publié sur « le  plan et l’architecture des édifices », est finalement la seule à avoir tenté

3. Puel 2019.

4. Binding und Linscheid-Burdich 2002.

5. Voir, en dernier lieu, Reveyron 2005, p. 54-159 ou Barbarin, Durand, Repellin et Reveyron 2011.

6. Voir notamment la  thèse de C. Gaillard sur l’abbaye de l’Île-Barbe : Gaillard 2016, p. 129-215.

7. Parron et Becker 2008.

8. Thiollier 1892, Devos-Cateland 1971a et b, 1996. 9. Roux 1844, Bernard 1853, Poidebard 1891.

Fig. 1 Vue aérienne du quartier de l’Abbaye, au sud-est du village actuel de Savigny : certains édifices monastiques ont été englobés dans des

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de confronter les données textuelles avec les vestiges archéo-logiques 10 ; ses travaux qui envisageaient les vestiges comme

de simples illustrations au service de l’analyse des textes, ont néanmoins réussi à susciter l’intérêt de la communauté scienti-fique pour un site au potentiel archéologique et historique remarquable.

Cet article propose une synthèse des recherches récentes sur l’église Saint-Martin 11 ; à l’aide d’une abondante

documen-tation moderne et contemporaine, il  dresse un bilan sur l’édifice dans son dernier état, avant de tenter de restituer, grâce à l’analyse des vestiges archéologiques et des sources liturgiques en particulier, l’édifice médiéval dans son architecture comme dans sa chronologie de construction.

1. ÉTAT DES LIEUX

Jusqu’à présent, seules les  sources d’archives produites à  l’époque moderne ont été convoquées pour étudier cette église. Elles restent pourtant sous-exploitées dans la mesure où elles n’ont pas toutes été utilisées, d’une part, et où elles n’ont pas toujours été confrontées les unes aux autres, encore moins aux textes plus anciens ou aux vestiges archéologiques, d’autre part. Leur analyse se révèle pourtant fondamentale parce que l’édifice a disparu, mais également parce que le seul document qui le représente en plan, vers 1796, le figure comme un simple rectangle, légèrement arrondi à  l’est (fig.  3). Par ailleurs,

10. Devos-Cateland 1972.

11. Ces travaux ont été réalisés dans  le cadre d’une thèse d’archéologie médiévale, soutenue à l’Université Lyon 2, puis d’un Programme collectif de recherche, hébergé par le laboratoire ArAr « Archéologie et Archéométrie » et soutenu par le Service régional de l’archéologie Rhône-Alpes.

comprendre le processus de sa démolition peut être source de données nouvelles, y compris à propos de l’église médiévale.

1.1. L’ÉDIFICE DANS SON ÉTAT FINAL (XVIIIe SIÈCLE)

Savigny fut supprimée à l’aube de la Révolution française ; de fait, l’église Saint-Martin avait été gardée en  état, si  ce n’est réellement entretenue, jusqu’au xviiie  siècle. Elle fit à  cette

époque l’objet de plusieurs procès-verbaux de visite indispen-sables pour restituer l’édifice dans son dernier état.

Élaborée dans  un contexte conflictuel, la  première description fut réalisée après la  nomination de François de Clugny, dernier abbé de Savigny, qui entra immédiatement en conflit avec le curateur de son prédécesseur ainsi qu’avec le  grand-prieur et les  religieux, au  sujet des  dégradations constatées dans les biens et les fonds dépendant de l’abbaye 12.

L’enquête, qui emmena les visiteurs dans l’abbaye le 29 juin 1762, fut placée sous la responsabilité d’un seul expert-juré, Jean-Baptiste Cussinet, néanmoins assisté par deux habitants du village. Son objectif était de déterminer, au cas par cas, laquelle des  trois parties devrait s’acquitter des  frais de réparation et d’entretien. La seconde description fut rédigée, quelques années plus tard, dans une conjoncture très différente. Alors que les moines craignaient une suppression définitive, le grand-prieur Laurent de Foudras signa, le 16 octobre 1766, au nom de toute la communauté, un historique à la gloire de l’abbaye : il espérait ainsi convaincre les commissaires, chargés d’étudier l’éventualité d’une sécularisation, de son importance

12. AD Rhône, 1  H  242/5 : « Rapport des  châteaux et biens dépendant de l’abbaye de Savigny. »

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considérable pour la noblesse régionale 13. S’inscrivant dans un

courant de pensée proche des religieux de Saint-Maur, qui prônaient alors un retour à  l’authenticité du  cénobitisme bénédictin, il chercha à mettre en valeur les lieux de culte, en particulier la chapelle Saint-Léger, alors considérée comme « le berceau de l’abbaye » 14.

Dans les  deux cas, les  visiteurs accordèrent une  grande attention à l’église Saint-Martin, qu’ils arpentèrent selon un même cheminement, d’ouest en est. Si Jean-Baptiste Cussinet s’efforça de rester objectif, tout en s’interdisant sans doute de pénétrer dans les lieux sacrés comme le chœur liturgique, Laurent de Foudras tint à l’évidence des propos dithyrambiques sur les lieux qui présentaient un intérêt majeur à ses yeux. Ces deux textes, dont la finalité première différait, sont finalement très complémentaires et donnent à  voir une  image relati-vement précise des intérieurs de l’église. À quatre ans d’inter-valle, cinq lieux particuliers de l’église furent ainsi décrits, avec une précision variable : le portail, le vestibule, la nef, le jubé et le chœur monastique et, enfin, l’autel majeur.

13. AN, G9 74, fol. 20-21 : « Tableau de l’abbaye et chapitre de Saint-Martin de

Savigny ».

14. Puel et Ganivet 2016.

Face aux portes de l’abbaye se dressait d’abord le portail de l’église, décrit comme un « portail antique autour duquel sont sculpturé quelques miracles du Nouveau Testament 15 »,

qui donnait accès au vestibule par un escalier de sept marches. Ouvert sur l’extérieur, sans doute par de grandes arcades, le vestibule était voûté d’ogives, ce qui pourrait suggérer l’exis-tence d’un deuxième niveau. Il desservait la nef au moyen d’une porte à deux vantaux, en mauvais état, et d’un escalier de huit ou neuf marches, selon les versions.

La nef – à  laquelle Laurent de  Foudras attribuait une longueur de 100 m pour une largeur de 40 m 16 – était

subdi-visée en trois vaisseaux de sept travées par deux rangées de piliers en pierre de taille. Le vaisseau central, dallé, était couvert par un lambris en bois, très dégradé ; il bénéficiait sans doute d’un éclairage direct par des fenêtres hautes, comme l’atteste la mention des vitraux.

Parvenu au fond de la nef, l’expert-juré s’intéressa davantage au  chœur monastique. Laurent de  Foudras se contenta,

15. AN, G9 74.

16. Les dimensions sont exprimées en pied. Elles ont été converties d’après la valeur suivante : 1 pied = 0,34 m environ. Voir à ce sujet : Vial 1920, p. 71-74.

Fig. 3 Extrait du plan masse de l’abbaye levé vers 1796 pour la vente des biens nationaux. Encadré : détail de l’église Saint-Martin localisée aux

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en revanche, de le citer dans un long paragraphe essentiel-lement consacré au jubé et au clocher :

« À l’entrée du  chœur, dans  lequel il  y a de chaque côté 27 stalles ou formes, est une tribune voûté, appellée dans le diocèse de Lyon jubé, à laquelle on monte par deux rampes de degrés, une de chaque côté, sr laquelle il y a l’autel de la Croix, un grand crucifix suspendu au-dessus, sur lequel autel il y a plusieurs messes fondées. […] Les dehors en sont ouvragés en sculpture et plusieurs figures de saints, bien travaillés. En 1562, les  religionnaires qui pillèrent Savigny et l’église […] mutilèrent ces figures auxquelles ils coupèrent touttes les têtes. […] Le clocher est au-dessus du chœur voûté, dans lequel il y a une très belle sonnerie composée de six cloches ; au-dessus du siège d’icelles est une galerie en dehors autour du clocher revêtue de plomb, plus haut est une espèce de lanterne, au-dessus une autre galerie, le tout revêtu de plomb, ensuite une flèche couverte d’ardoise, qu’on estime être la plus belle, la plus hardie qui soit en France par la hauteur et son équilibre 17. »

Séparant la  nef du  chœur des  moines, le  jubé est ici décrit comme une  tribune surélevée, accessible par  deux escaliers latéraux, sur laquelle prenait place l’autel de la  Croix, lui-même surmonté par un crucifix. Il se trouvait alors dans un état proche de celui où l’avaient laissé, semble-t-il, les protes-tants deux siècles plus tôt. Une porte centrale donnait accès au  chœur liturgique, où deux rangées de vingt-sept  stalles, en noyer, permettaient d’accueillir environ cinquante moines. Dans la  dernière partie du  texte, le  terme « chœur » renvoie cette fois à l’espace architectural, voûté, sur lequel s’appuyait le  clocher : sans doute englobe-t-il, dans  l’esprit de l’auteur, le  chœur des  moines qui serait donc localisé, au  moins en partie, dans la croisée du transept.

À l’extrémité orientale de l’église, enfin, le  sanctuaire entièrement voûté était composé d’une abside principale, dans  laquelle se situaient l’autel majeur « à  la romaine » et un autel secondaire, sans doute matutinal, ainsi que quatre chapelles latérales, qui méritaient d’être rénovées.

Grâce à  ces sources écrites, l’architecture de cet édifice gagne en précision par rapport au plan révolutionnaire. L’église ainsi perçue était vaste et monumentale. Avec son clocher et une possible tour à l’ouest, elle devait constituer un élément d’autant plus marquant dans le paysage qu’elle se situait en face des deux tours d’entrée du monastère. Sa démolition dut néces-siter d’importants moyens.

1.2. DE LA SUPPRESSION AUX PILLAGES (1779-1796)

Malgré la  forte implication des  derniers religieux, qui insis-tèrent longuement pour obtenir leurs habits de chanoines, le sort de l’abbaye de Savigny fut scellé peu après la rédaction de ces procès-verbaux. Le 18 juillet 1779, Louis XVI prononça son  extinction, qui fut confirmée, presque un  an plus tard, par le pape Pie VI 18. L’archevêque de Lyon, Antoine Malvin

de  Montazet, fut chargé de ce  dossier rendu complexe par l’intervention de nombreux protagonistes et par l’ampleur des enjeux économiques 19. Il se prononça en 1781 en faveur de

17. AN, G9 74.

18. AD Rhône, 1 H 26/2-1 et -2.

19. Voir l’intégralité du dossier : AD Rhône, 1 H 26.

la démolition pure et simple de l’église Saint-Martin 20, qui ne

fut pourtant pas réalisée. Traînant en longueur, le processus de suppression n’était pas encore achevé en 1789, et les événe-ments révolutionnaires ne manquèrent pas d’ajouter à la confusion. Au moment de la Révolution française, deux religieux bénéficiaient encore de l’usufruit des  bâtiments monastiques. Ils essayèrent, tant bien que mal, de s’opposer aux pillages perpétrés entre 1791 et 1796 par  les habitants du village, qui ressentaient sans doute une certaine légitimité à récupérer une part des biens que leur ancien seigneur s’était octroyés.

Renouvelée en 1792, la municipalité de Savigny fut alors chargée par les autorités régionales de veiller à la conser-vation pleine et entière des bâtiments monastiques jusqu’à leur vente comme biens nationaux. Face à une tâche pour le moins ardue, ils avaient conscience des limites de leur autorité. Ils visitèrent pourtant, jour après jour, tous les  édifices monastiques et ils décrivirent avec minutie les dégradations constatées dans des procès-verbaux destinés au district de Lyon, mais aussi recopiés dans les registres des délibérations municipales, aujourd’hui conservés à la mairie de Savigny. La lecture attentive de cette documen-tation exceptionnelle, peu exploitée jusqu’à présent 21,

permet de constater que l’abbatiale fut la  cible préférée des pilleurs. Ce lieu de culte fut rapidement « désacralisé » par son utilisation comme salle de réunion pour les assem-blées du  peuple ; abritait-elle, malgré tout, les  discrètes prières des deux derniers moines ? Toujours est-il qu’elle fut certainement l’objet de vifs débats entre les partisans de la Révolution, qui y voyaient un symbole insupportable de la féodalité, et les défenseurs de la religion, qui y voyaient un lieu sacré par excellence.

Dans les années 1791-1792, l’obsession de la municipalité était de remplacer, aussi souvent que nécessaire, toute serrure endommagée afin d’éviter des intrusions dans l’édifice 22. Mais

la naïveté céda rapidement la place au réalisme et, en 1793, personne n’avait plus d’illusions quant à l’efficacité des portes :

« […] les  citoyens administrateurs ne reprochent pas à  la municipalité qu’elle auroit dû fermer les portes de l’église de la cy-devant abbaye de Savigny ; ce qu’elle a dû faire, elle l’a fait, mais les malfaiteurs ne pouvant y entrer par les portes, ils se sont ouverts d’autre passages, en enlevant toutes les fenêtres de ladite église […] 23. »

Serrures, clefs, bois et ferrures, panneaux de vitre, enchamps de croisée,  etc. : les  voleurs s’intéressèrent alors aux portes et aux fenêtres, non plus pour pénétrer dans  l’église mais pour prélever tout élément susceptible d’être vendu ou réutilisé 24. Aussi, la municipalité prit-elle à plusieurs reprises

l’initiative d’organiser certaines destructions dans  le but de préserver les intérêts financiers des autorités révolutionnaires. Le 12 avril 1795, par exemple, elle fit enlever les portes princi-pales de l’église afin de vendre aux enchères, huit jours plus tard, les « palissades », les fermetures et surtout « les fers qui

20. AD Rhône, 1 H 26/4-5, fol. 9r. 21. Poidebard 1891.

22. AM Savigny, reg. 1791-1813, fol. 3 et 4. 23. AM Savigny, reg. 1791-1813, fol. 63r.

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formoient différentes figures en croix et en fleurs de lys 25 ». Dans

d’autres cas, la municipalité agit indéniablement par idéologie révolutionnaire plus que par intérêt financier. Le 20 mai 1794, elle rassembla devant l’église tous les hommes susceptibles de participer à la destruction de la flèche du clocher, que Laurent de Foudras décrivait comme « la plus belle, la plus hardie de France 26 » et que les édiles considéraient au contraire comme

un « monument onteux de féodalité et de fanatisme 27 ».

Le  choix se porta sur quatre  ouvriers, Jean-Marie  Jomand, Philibert  Perret, Claude  Chaize et Jean-Marie  Blanc, pour leur force physique, leur habitude des  travaux de maçon-nerie et sans doute aussi leur motivation. Parmi eux figuraient quelques-uns des voleurs les plus souvent dénoncés dans les registres municipaux, qui trouvèrent ici l’occasion d’obtenir légalement des matériaux commercialisables (le bois).

À la date du 16 décembre 1792, figure en outre une mention relative au  chevet de l’église qui complète le  témoignage des procès-verbaux de visite de l’époque moderne :

« […] dans la grande église il avoit été pris savoir : à la chapelle de Saint-Nicolas, une fenêtre ; à celle de Saint-Benoît, une autre fenêtre ; deux paneaux d’une fenêtre du chœur du côté gauche du  grand hôtel, une  petite porte au-dessus du  tabernacle du grand hôtel ; deux paneaux d’une fenêtre de la chapelle Saint-Pierre, celuy du milieu est resté ; deux paneaux de la chapelle Saint-Étienne, celuy du milieu est également resté, […] 28. »

Vraisemblablement visitées dans  un ordre précis, du  nord au sud ou du sud au nord, les chapelles sont désignées dans ce texte par  leurs vocables respectifs. Le chœur correspond ici à l’abside principale, où se trouvait alors le maître-autel dédié au  saint patron du  monastère. Il existait aussi, autour de l’abside, les chapelles Saint-Nicolas et Saint-Benoît, d’une part, les chapelles Saint-Pierre et Saint-Étienne, d’autre part, sans qu’il soit possible de déterminer, en se fondant sur cette seule mention, lesquelles étaient localisées au nord et au sud.

À la fin de la période, vers 1796, les pilleurs avaient compris depuis longtemps qu’ils n’encouraient pas de graves sanctions en s’attaquant à l’église Saint-Martin ou aux autres édifices monastiques. Si elle avait un temps envisagé l’intervention de la garde nationale, la municipalité avait finalement renoncé parce que nombre de voleurs appartenaient eux-mêmes à cette milice. Impuissante face à  des ouvriers plus nombreux, et désormais sans scrupules, elle finit par mettre un terme à ce recensement quotidien des  pillages 29 et par  conseiller aux

autorités révolutionnaires de procéder à la vente des bâtiments le plus rapidement possible, sous peine de n’avoir plus rien à  vendre. Nul doute que l’état de l’abbatiale, demeurée inoccupée, était particulièrement critique, au vu de la constance et de l’importance des pillages subis.  

25. AM Savigny, reg. 1791-1813, fol. 194v. 26. AN, G9 74, 20-21, p. 54.

27. AM Savigny, reg. 1791-1813, fol. 129v-130r. 28. AM Savigny, reg. 1791-1813, fol. 45r. 29.AM Savigny, reg. 1791-1813, fol. 174.

1.3. UN DÉMANTÈLEMENT PROGRESSIF (FIN XVIIIe-XIXe SIÈCLE)

L’église Saint-Martin fut finalement acquise le  23  novembre 1795 par  Pierre  Gallon, qui agissait pour le  compte de Jacques  Goubillon, marchand à  Savigny. Moins d’un  an plus tard, en juillet 1796, elle était « entièrement dévastée 30 »,

d’après les  registres de la  municipalité. Sa démolition fut donc réalisée en  ces quelques mois, et ses  matériaux de construction furent vendus par  lots tout au  long de l’opé-ration. Aujourd’hui subsistent pourtant quelques murs qui appartenaient à  cet édifice et qui ont, après sa  disparition, pris d’autres fonctions. La destruction de l’abbatiale épargna donc certaines parties selon une logique qui doit être examinée à  l’échelle du  quartier. En  effet, loin d’être un phénomène isolé, elle  participait pleinement au  processus de longue durée qui visait à intégrer les bâtiments monastiques dans le village de Savigny ou, en d’autres termes, à créer le quartier de l’Abbaye en lieu et place de l’abbaye elle-même. L’analyse du premier plan cadastral, daté de 1830, et des données archéo-logiques, accumulées lors de surveillances de travaux ou de sondages, apporte un éclairage inédit sur de profonds change-ments qui concernaient aussi bien les  autorités municipales que les nouveaux propriétaires.

1.3.1. La création du quartier de l’Abbaye

La confrontation du plan révolutionnaire et du plan cadastral (fig. 4) fait d’emblée apparaître une transformation majeure du côté du chevet de l’église Saint-Martin : le déplacement vers l’ouest d’une ruelle qui, sur le premier document, contournait l’édifice de culte, puis passait devant une maison appartenant à un nommé Rigottier, avant de rejoindre la deuxième porte du  monastère, et qui, sur le  second document, traversait l’église et la  salle du  chapitre avant de sortir du  village au  niveau de l’ancienne porte. Au moment de la  réalisation du cadastre, c’est Jean-Nicolas Sage, notaire à l’Arbresle, qui possédait la maison du sieur Rigottier, auprès de qui il l’avait acquise quelques années plus tôt. Il détenait aussi d’autres parcelles, bâties ou non bâties, dans  le secteur sud-est de l’ancienne abbaye. Ce notable avait tout à  gagner de cette redéfinition des lieux : en abandonnant la bande occidentale de ses  terrains, afin de créer la  nouvelle voie, il  récupérait en  effet, à  l’avant de sa  maison, une  vaste cour qu’il n’allait d’ailleurs pas tarder à clôturer. La municipalité y trouvait aussi des avantages : la nouvelle rue débouchait directement sur un cuvier communal aménagé, à la même époque, sur les ruines de l’église Sainte-Marie (fig. 5). Ce bâtiment vinicole fut doté d’une cave installée au rez-de-chaussée de l’avant-nef et d’une salle haute, destinée au  pressoir, aménagée au-dessus d’une voûte en  berceau surbaissé, dont la  construction entraîna la destruction des parties supérieures de ce corps de bâtiment. La nécessité d’accéder à cette salle haute depuis la rue, pour apporter les  récoltes des  vendanges, exigea alors un apport considérable de remblais à l’extérieur du bâtiment 31.

30. AM Savigny, reg. 1791-1813. 31. Puel 2011, p. 50-52.

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Fig. 4 Comparaison du plan révolutionnaire (a) et du plan cadastral napoléonien (b) : la présence, sur ces deux documents, du vestibule / cuvier

et de la maison Rigottier / Sage démontre que la rue qui, vers 1796, passait derrière le chevet et le cimetière a, avant l’année 1830, été repoussée vers l’ouest et qu’elle passait alors à l’emplacement même de l’église et du cimetière (AD Rhône, 2 PL 196 et 3 P 1454 ; DAO Olivia Puel, 2018).

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Au terme de ces travaux, qui transformèrent radicalement la physionomie des lieux, l’emplacement de l’ancienne église Saint-Martin fut logiquement partagé en plusieurs parcelles de jardins, de part et d’autre de la nouvelle rue. La subdivision eut-elle pour corollaire un traitement différencié des sols d’un secteur à l’autre ?

1.3.2. La démolition de l’église

Les données archéologiques apportent sur ce point quelques éléments de réponse, qui restent cependant ténus : d’abord, parce que la surface totale de fouille est très modeste, comme le  donne à  voir la  localisation des  différents sondages sur les plans actuels (fig. 6 et 7) ; ensuite, parce que le monastère était installé sur une série de terrasses artificielles qui compen-saient la forte déclivité du terrain naturel. Dans l’emprise de l’abbatiale, la rue est située à 288,80 m NGF en moyenne, soit environ 1,50 m au-dessus des niveaux de circulation de l’église (287,40 m NGF). Aussi, d’un point de vue théorique, les travaux effectués ne nécessitaient-ils pas forcément de purger les struc-tures placées en-deçà de ce  niveau, en  particulier les  sols. L’hypothèse a d’ailleurs été vérifiée lors d’une surveillance de

travaux effectuée pendant l’installation, en 2000, d’un réseau d’assainissement et d’écoulement des  eaux pluviales. Large d’1,20 m environ, la tranchée a livré plusieurs maçonneries qui, faute de moyens suffisants, n’ont malheureusement pas pu être localisées en plan, ni même situées en altitude 32.

La conservation des  vestiges est en  revanche nettement moins bonne dans  les jardins localisés de part et d’autre de la  rue : une  fois chez eux, les  nouveaux propriétaires adaptèrent évidemment les terrains à leurs besoins. Du côté ouest, le sondage d’évaluation réalisé en 2011 dans l’emprise de la nef, contre le mur gouttereau nord, n’a pas livré beaucoup de vestiges en place (fig. 8). Sur toute la profondeur du sondage depuis le niveau actuel du jardin (288,70 m NGF) jusqu’au sol ancien, soit sur une hauteur de 2 m environ, la stratigraphie est composée de remblais de démolition et/ou de nivellement. Les deux remblais inférieurs (US 308 et 309), ponctuellement séparés par des poches de terre argileuse (US 307), contiennent de nombreux blocs de pierre : grès rosés, calcaires, roches métamorphiques, etc., autant de matériaux de construction qui proviennent vraisemblablement du mur de l’église, justement dérasé irrégulièrement à l’aplomb du sondage. Les remblais

32. Ducôté 2000.

Fig. 6 Plan cadastral actuel : emprise approximative de l’église Saint-Martin. Les interventions archéologiques réalisées à son emplacement sont

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Fig. 7 Plan topographique des bâtiments et des espaces localisés à l’emplacement de l’église Saint-Martin (levé Éric Varrel, Marion Saillant pour

ATM 3D ; DAO Marion Saillant, 2009, et Olivia Puel, 2019).

Fig. 8 Emprise de la nef, sondage d’évaluation au pied du mur gouttereau nord : succession de couches de démolition et de remblais sur la

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supérieurs (US 302 à 306) comportent de nombreux fragments de mortier et d’enduit qui, pour la  plupart, correspondent au revêtement observé sur le mur (US 62), mais aussi de très nombreux fragments de tuiles. Ils sont scellés par une couche de terre arable (US 301), épaisse d’environ 0,60 m. Les remblais supérieurs et la terre de jardin ont livré un mobilier céramique hétérogène qui renvoie à des productions variées (porcelaine, faïence, céramique de Vallauris, grès d’Alsace, etc.), mais attri-buables à la seconde moitié du xixe siècle ou au début du siècle

suivant 33. Si l’absence de mobilier caractéristique empêche de

les rattacher formellement à la même séquence chronologique, il faut néanmoins reconnaître qu’aucun niveau d’occupation n’isole les remblais inférieurs des strates supérieures. Toute cette stratification pourrait donc avoir été mise en place lors de la création d’un jardin à l’emplacement de la nef. Elle témoi-gnerait alors d’une reprise en sous-œuvre du terrain, donc de la destruction des vestiges présumés, dans le cadre d’une propriété privée, à  une époque relativement éloignée de la démolition de l’église.

À l’est de la rue, le sondage effectué en 2006 à l’emplacement du chevet a mis au jour les vestiges d’une abside axiale dans un mauvais état de conservation. Le cas de figure est particulier : si les sols successifs ont subsisté sur une hauteur d’un mètre environ, tous les murs associés ont en revanche été purgés

33. Inventaire de R. Boissat, conseillé par A. Horry.

jusqu’à leurs fondations (fig. 9). L’analyse de la stratigraphie ouest, perpendiculaire à l’abside, a permis de bien comprendre le  processus de démolition dans  ce secteur (fig.  10). Sous les couches de nivellement apparaissent à la fois les niveaux de fondations et de circulations, hauts d’environ de 4,50 m, occupant le tiers nord (5,75 m de long environ), et les remblais de démolition, couvrant les deux tiers restants (11,25 m de long environ). À l’exception de deux couches intermédiaires (US 5 et 53) se caractérisant par une terre très noire, les remblais de démolition possèdent, pour la plupart, une matrice similaire de terre brun clair, très sableuse, et comportent les mêmes inclusions, si bien qu’à la fouille, elles sont parfois difficiles à distinguer lorsqu’elles se superposent (US 3 et 70). Certaines couches affichent néanmoins une plus grande proportion de pierres et de galets (US 27).

La position et la  succession de ces  différentes strates révèlent le processus de la destruction. Les vestiges étaient sans doute visibles, ou du  moins perceptibles, en  surface. De toute évidence, les ouvriers avancèrent de manière rayon-nante de l’intérieur vers l’extérieur du chevet, stockant au fur et à mesure les remblais derrière eux. Ils ouvrirent d’ailleurs le terrain sur une longueur importante, de près de 12 m, ce qui paraît singulièrement large pour récupérer les matériaux d’un mur unique : il faudra donc, le moment venu, s’interroger sur l’emprise originelle du chevet. Par la suite, le remblaiement fut réalisé en plusieurs phases, actives ou passives, dont témoigne la stratigraphie. Au pied des sols, 1 m en dessous du sol le plus Fig. 9 Emprise du chevet, sondage d’évaluation : vestiges de l’abside axiale. Seuls les niveaux de fondation et de circulation sont conservés ;

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ancien (US  66), se trouvent d’abord des  lambeaux de sol effondrés (US 47), impliquant que les structures aient été un temps laissées à l’air libre. Plusieurs remblais, plus ou moins importants en  termes d’épaisseur et d’étendue, viennent buter, au sud, contre la couche précédente. Suivant une ligne quasiment horizontale, qui reste globalement sous le niveau des sols, ils procèdent d’un même mouvement d’étalement et de ratissage, ce qui expliquerait le caractère parfois flou de leurs limites. Toujours au pied des sols, deux couches épaisses se caractérisent par leur fort pendage nord-sud (US 27 et 46) : elles correspondent une nouvelle fois à un écroulement, volontaire ou accidentel, des niveaux construits et non enfouis. Enfin, les remblais supérieurs (US 1 et US 2) scellent à la fois les struc-tures conservées et les niveaux de démolition.

Ces différentes couches n’ont pas livré de mobilier archéo-logique susceptible de dater l’opération qui dut cependant survenir peu après l’installation, en  ces lieux, du  nouveau propriétaire.

1.4. POUR UNE RESTITUTION DE L’ÉGLISE MÉDIÉVALE

Qu’y avait-il de commun entre l’église dont la  construction fut entreprise à la fin du xie siècle et l’église qui fut pillée et

démantelée à la Révolution française ? Pour répondre à cette question délicate, il  faudrait disposer de données détaillées sur les  éventuelles restaurations, réfections ou reconstruc-tions que l’édifice aurait pu subir au  cours des  huit  siècles de son existence. Or, à notre connaissance, il n’existe qu’une seule mention concrète relatant de tels travaux, à la charnière du  xiiie  et du  xive  siècle. Il s’agit de la  notice nécrologique

de l’abbé Étienne de Varennes, telle qu’elle figure dans  un obituaire rédigé à la fin du xve siècle :

« V des ides [de mars]. Étienne de Varennes, abbé, de la maison de Rapetout, fut un homme bon, religieux, conduisant la  vie monastique. Il fit beaucoup de bonnes choses pour ce monastère : il fit faire la Croix de pierre et la Passion de notre

Fig. 10 Emprise du chevet, sondage d’évaluation : relevé de la coupe stratigraphique ouest. La succession des couches témoigne des phases

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église, le couvert de la nef de notre grande église, au milieu de chaque côté, les formes du chœur et le pavement de notre grande église ; il fit également faire les livres des dimanches et des saints, deux graduels, le livre des coutumes nouvelles 34. »

D’après cet extrait, l’abbé fit effectuer dans l’édifice de nombreux travaux touchant aussi bien à son architecture – le dallage ou le couvrement de la nef, par exemple – qu’à son mobilier litur-gique – stalles du chœur, livres. Il faudra évidemment s’inter-roger, au moment opportun, sur l’impact réel de ces travaux. Mais, quoi qu’il en soit, cette mention unique ne peut suffire à appréhender l’histoire monumentale de l’église sur la longue durée. Aussi faut-il recourir à l’analyse des vestiges archéolo-giques, jusqu’à présent délaissés, et des manuscrits liturarchéolo-giques, pour la plupart inédits, pour tenter de renouveler la connais-sance de cet édifice majeur.

Malgré la  destruction rapide et systématique de l’église, des  vestiges existent bel et bien au  sein de constructions ultérieures 35. Au total, ils ont été appréhendés dans cinq secteurs

distincts : d’abord lors d’une surveillance de travaux 36,

par Juliette Ducôté en 2000, puis au moyen de sondages d’éva-luation et/ou d’études du bâti 37, par nos soins, entre 2006 et

2011 (fig. 2 et 7). Si la première opération a été menée dans un contexte d’urgence, avec peu de moyens et sur une durée très limitée, nos investigations ont par la suite été effectuées avec le  soutien actif du  service régional de l’archéologie (SRA) Rhône-Alpes, dans le cadre de l’archéologie programmée, plus propice à l’étude d’établissements disparus. De fait, si la surface de fouille est réduite au regard de l’emprise du monument étudié, l’analyse des vestiges, menée selon les exigences actuelles de la discipline, a néanmoins livré pour chacun des secteurs investis, d’importants résultats sur la gestion et la chrono-logie du chantier de construction, sur le plan et l’architecture de l’édifice, ou encore sur les matériaux de construction et les techniques mises en œuvre.

Aussi rigoureux soit-il, ce  travail aurait cependant été limité sans un outil permettant d’obtenir une vision globale du site. En effet, sur le terrain, l’impossibilité de relier visuel-lement des vestiges déconnectés les uns des autres, en raison de la présence de murs de clôture contemporains, a imposé

34. BnF, lat. 10036, fol. 30 r : Vidibus [marcii]. Stephanus de Varenis, abbas,

de domo de Rapetout, fuit homo bonus, religiosus, vitam monasticam ducens. Multa bona huic monasterio fecit : Crucem lapideam et Passionem ecclesie nostre, coopertorium navis ecclesie nostre magne in medio et ab utroque latere, formas chori et pavimentum ecclesie nostre magne fieri fecit ; libros dominicalis et sanctorum, duo gradualia, librum consuetudinum novarum pariter fieri fecit.

35. La dispersion des vestiges de l’église dans plusieurs propriétés, de statut public ou privé, de nature bâtie ou non-bâtie, a nécessité un important travail de communication auprès de la  municipalité, de l’association Savigny : patrimoine d’hier et de demain, des  propriétaires et, plus généralement, des habitants du village souvent très attachés à leur patrimoine communal, mais qu’il fallait néanmoins convaincre de l’intérêt d’une approche archéolo-gique du site. Le calendrier des recherches a été conditionné par les démarches préalables à  l’obtention des  différentes autorisations de fouille. L’occasion m’est ici offerte de remercier chaleureusement tous les Savignois qui se sont engagés dans cette longue aventure.

36. Ducôté 2000.

37. Les rapports correspondants sont consultables au service Documentation du SRA de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les données issues de ces diffé-rentes opérations ont cependant été exploitées, de manière plus approfondie, dans le cadre de notre thèse où figurent, en annexe de l’analyse, les différents inventaires techniques. Voir Puel 2013b.

en 2009 la réalisation d’un levé topographique des bâtiments actuels 38. Les prestataires ont procédé à un scannage

tridimen-sionnel des bâtiments installés à l’emplacement des édifices monastiques, dans leurs contours extérieurs et, le cas échéant, dans leurs contours intérieurs. Après le traitement des images, ils nous ont livré un plan en deux dimensions utilisable avec le logiciel Adobe Illustrator. C’est le recalage des relevés archéo-logiques, secteur par secteur, sur le plan ainsi obtenu qui a abouti à la création d’un plan suffisamment précis pour mettre en relation les différents vestiges à l’échelle de l’église, mais aussi à celle de l’abbaye.

Par ailleurs, l’église Saint-Martin occupe une place privilégiée dans la documentation textuelle, ce qui reflète évidemment son  rôle fondamental dans  la vie quotidienne et dans  la pratique religieuse des moines. Elle apparaît notamment, à de nombreuses reprises, dans plusieurs manuscrits exploités de manière inédite dans le cadre de notre PCR 39 : d’abord, un

ordinaire attribué à l’abbé Guillaume Bollat (1204/1210-1233) et édité par  Pauline  Gendry 40 ; puis un coutumier attribué

au prieur de Saint-Thomas-de-Cosnac – dépendance de Savigny en Aquitaine – mais connu par une copie postérieure d’un siècle et transcrit par Pierre Ganivet 41 ; ensuite un livre de cérémonie,

des statuts, deux autres coutumiers et des extraits d’obituaires, attribués à  l’abbé François  Ier  d’Albon ou au  grand-prieur

Benoît Mailliard et analysés ou transcrits par Pierre Ganivet 42 ;

enfin un coutumier attribué à François II d’Albon (1608) et analysé par nos soins 43. Ces livres divers, couvrant cinq siècles

d’histoire savinienne, regorgent de mentions de lieux (chapelle, portes, atrium, etc.) ou d’objets (autel, croix-reliquaire, Saint-Sacrement, etc.) qui, après une analyse méthodique et systéma-tique, ont permis d’identifier et de localiser les unes par rapport aux autres les différentes composantes de l’église, mais aussi de les appréhender dans leur évolution, sur la longue durée.

C’est la  confrontation prudente des  résultats obtenus grâce à l’analyse des vestiges et à celle des textes, toutes deux réalisées de manière autonome, qui confère à ce dossier toute sa richesse. Les vestiges apportent un ancrage topographique essentiel à  la compréhension des  mentions de lieux qui, en retour, complètent les hypothèses de restitution de l’édifice. La synthèse proposée ci-dessous aborde le plan et l’architecture de l’église, mais aussi la gestion et la chronologie du chantier de construction.  

38. Le levé été réalisé par Éric Varrel et Marion Saillant pour le compte de l’entreprise Acquisition Traitement Modélisation 3D (ATM 3D).

39. Je souhaite ici exprimer ma profonde reconnaissance à  P. Ganivet et P. Gendry pour m’avoir amicalement transmis leurs éditions de textes afin que je puisse confronter toutes les mentions de lieux à cette enquête archéo-logique.

40. AD Rhône, 1 H 20 ; Gendry 2012. 41. AD Rhône, 1 H 27/1 ; Ganivet 2012.

42. BnF, ms. lat. 10036 (extrait d’obituaire). AD Rhône, 1 H 6 (extrait d’obi-tuaire) ; 1 H 21 (coutumier) ; 1 H 23 (statuts) ; 1 H 27/2 (livre de cérémonie). Travail inédit.

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2. UNE AVANT-NEF MONUMENTALE

D’après les descriptions du xviiie siècle, l’église Saint-Martin

était dotée à  l’ouest d’un vestibule couvert de voûtes sur croisée d’ogives, « tout ouvert » sur l’extérieur, sous-élevé de sept marches par  rapport au  parvis et surélevé de huit à neuf marches par rapport à la nef. Les vestiges archéologiques et les sources liturgiques permettent en réalité de restituer un avant-corps monumental, localisé à l’intersection de la nef et de l’aile ouest du cloître, qui constitue un cas de figure parti-culièrement intéressant dans  l’optique d’évaluer la  fiabilité des résultats obtenus par la confrontation des sources. En effet, sa  partie septentrionale est partiellement conservée dans  un état qui peut être attribué au xiie siècle. Dès lors, les données

extraites du  Liber consuetudinum, ou des  textes liturgiques plus tardifs, sont pleinement exploitables en vue de sa resti-tution.

2.1. DES VESTIGES « FIGÉS » DANS UNE CONSTRUCTION MODERNE

Si l’église Saint-Martin fut largement démolie entre le xviiie

et le  xixe  siècle, le  vaisseau latéral nord de l’avant-nef fut

en partie épargné car il avait déjà servi d’appui à une maison individuelle. Ses vestiges, aujourd’hui conservés dans  les

deux caves contiguës d’une maison (fig.  7), consistent en trois murs, à l’ouest, au nord et à l’est, et en trois supports composés, au sud 44. Ils sont visibles sur une hauteur très faible

(2,15 m au maximum) mais cependant suffisante pour laisser apparaître une partie des fondations et une partie des éléva-tions. La   perception des  maçonneries est très inégale selon leur visibilité et leur degré de conservation. Le mur occidental et le mur septentrional correspondent aux façades principales de la maison ; ils forment un angle droit qui marque d’ailleurs une inflexion dans le tracé de la rue de l’Abbaye. Ils présentent, respectivement et sur toute leur hauteur, 1,50  m et 1,10  m d’épaisseur. Leurs parements externes sont malheureusement recouverts d’un épais crépi, interdisant toute lecture. Le mur oriental correspond, quant à  lui, à  un mur de refend épais de 1,20 m et localisé à 15 m environ du mur ouest. Au vu de ces dimensions – les autres façades du bâtiments ne mesurent que 0,70 m d’épaisseur – leur identification aux murs de l’église ne souffre donc d’aucune incertitude ; elle est au demeurant confirmée par  l’analyse des  parements internes. Les vestiges des supports, au sud, sont pour leur part très évocateurs malgré les dommages qu’ils ont subis lors de l’aménagement des caves et du bouchage des entrecolonnements.  

44. Étude du bâti en 2009 : Puel 2009, vol. 1, et Puel 2013b, p. 468-482.

Fig. 11 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : vue générale du revers de la façade occidentale. En bas, les fondations démaigries jusqu’au nu du

mur ; en haut, l’élévation en placage de dalles de pierre de taille. L’omniprésence du salpêtre sur les blocs de pierre empêche de distinguer les différents matériaux de construction (cl. Olivia Puel, 2009).

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A rc olo gie dié va le , 4 9, 2 01 9, p . 8 7-13 1 2.1.1. À l’ouest et au nord : des murs en grand appareil

Le mur occidental et le mur septentrional possèdent des fonda-tions, hautes d’au moins 0,60 m et constituées de gros blocs de pierre noyés dans  un abondant mortier. Atteignant souvent 15 à 25 cm de long, les blocs sont essentiellement des roches métamorphiques, de teinte bleue ou rouge-marron, plus rarement des  roches volcaniques (fig.  11 et 12). Le mortier, de couleur beige foncé, contient une  plus faible proportion de chaux que de grains – des  sables grossiers, des  graviers et des cailloux. Fortement perturbées par les aménagements contemporains, ces  épaisses maçonneries de fondation sont en saillie de 0,30 à 0,40 m par rapport au nu des murs. Elles ont d’ailleurs servi de support à la retombée de la voûte en berceau comme la  présence d’une ancienne descente de charbon permet de le constater du côté nord. À leur sommet se trouve un niveau de circulation, unique a priori, qui est formé d’une couche de mortier, similaire au  précédent : son  épaisseur varie de 1 à 5 cm, mais sa limite supérieure, placée à 289,50 m environ, est horizontale.

Ces deux murs sont bâtis en grand appareil, de grès ou de calcaire, autour d’une fourrure épaisse qui présente une forte ressemblance avec les  fondations décrites ci-dessus. Leur description est fondée, pour l’essentiel, sur les cinq assises du mur occidental, visibles sous la voûte en berceau de la cave ouest (fig. 11). Les pierres de taille possèdent des dimensions hétérogènes, avec des longueurs comprises entre 30 et 80 cm et des hauteurs comprises entre 20 et 40 cm. Au premier regard,

elles semblent posées à joints vifs, mais elles sont bel et bien séparées par des joints, extrêmement fins. Le mortier, beige et friable, comporte des sables grossiers et des graviers, comme ceux des fondations, mais pas de cailloux. Les blocs de calcaire blanc et de grès rosé ne paraissent pas être disposés selon une logique répétitive ni systématique (fig. 13). Sur le mur ouest, les calcaires sont majoritaires (34 blocs sur 48) et, s’ils sont présents en alternance à la base du parement, les grès disparaissent dans les assises supérieures ; sur le mur nord, autant qu’on puisse en juger, les grès semblent au contraire majoritaires (9  blocs sur  10). Toutes les  pierres affichent en  outre des  traces de taille, malheureusement difficiles à distinguer en raison de l’omniprésence du salpêtre et de l’altération de certaines surfaces (notamment les grès). Elles portent souvent des ciselures périmétrales, plus ou moins marquées, et des  traces horizontales ou obliques, mais toujours longues, assez régulières et assez parallèles, qui permettent de reconnaître l’utilisation du ciseau (fig. 14 a), pour le dégrossissage et le ciselage, et du marteau taillant, pour le dressage. La mise en œuvre des blocs trahit enfin, pour le mur ouest, une gestion raisonnée des matériaux de construction. Les hauteurs d’assises sont réglées – avec plus ou moins de succès – sur les blocs des supports d’angle qui, au sud et au nord, encadrent l’élévation : la première assise, haute de 16 à 17 cm, est adaptée aux dés ; la seconde assise, haute de 48 à 49 cm, est ajustée aux bases. Le parement présente cependant des irrégularités ponctuelles qui témoignent d’une certaine approximation : à titre d’exemple, les blocs bûchés d’un support présumé, au nord, sont légèrement plus hauts Fig. 12 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : angle sud du mur de façade. À droite : en bas, les fondations saillantes ; en haut, le placage de

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que ceux des assises correspondantes. La variation a nécessité des retailles sur les blocs de l’élévation au moment même de la construction (fig. 14 b).

Bien que leurs élévations soient déconnectées l’une de l’autre, du fait de la présence de la voûte de la cave, la contemporanéité de ces deux murs ne fait aucun doute. Toutes leurs caractéris-tiques physiques les rapprochent – la nature des matériaux, l’utilisation du  grand appareil ou encore la  composition des mortiers – et il n’existe en outre aucune rupture entre leurs fondations respectives, qui sont parfaitement liées.

2.1.2. À l’est : un mur en moyen appareil

Le mur oriental a pu être observé dans  l’angle sud-est de la cave est, sur son seul parement interne et sur une surface très réduite (0,84 × 1,89 m). Si l’on se réfère à l’altitude du niveau de circulation évoqué ci-dessus, pour les murs ouest et nord, la portion de mur considérée pourrait cependant être subdi-visée en  deux parties correspondant respectivement aux fondations et à l’élévation.

Fig. 13 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : relevé archéologique du revers de façade, mettant en valeur les matériaux de construction et les

phases de travaux (relevés Olivia Puel et Camille Collomb, 2009 ; DAO Olivia Puel, 2009, et Aurélie Devillechaise, 2018).

Fig.  14 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : détail du revers de

façade avec des traces de layage horizontal sur un bloc de calcaire blanc (a) et des dalles de pierre retaillées au moment de la mise en œuvre (b) (cl. Olivia Puel, 2009).

(18)

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La base du mur n’est pas entièrement visible : sur une hauteur de 0,35 m, elle est couverte par une épaisse couche de ciment qui s’achève à 289,20 m NGF. Au-dessus de cette limite parfai-tement horizontale se trouvent deux assises de pierres de taille allongées, de longueurs variables, mais de hauteur standar-disée (18 à 20 cm), qui culminent à 289,25 m NGF. Ce détail invite à s’interroger sur la nature de la maçonnerie présente sous le revêtement : pourrait-il s’agir d’une première fondation en saillie, similaire à celles des murs ouest et nord ? L’élévation associe, quant à elle, un grand appareil et un moyen appareil de moellons. Les pierres de taille sont respectivement disposées en carreau et en boutisse ; elles témoignent vraisemblablement de la présence, à cet endroit-là, d’un chaînage d’angle. Les dix assises du parement sont dans la continuité de ces gros blocs, avec lesquels elles forment un ensemble cohérent qui fonctionne aussi très bien avec le sommet des fondations. La construction semble donc homogène.

Les matériaux employés dans  ce troisième mur sont similaires à ceux des murs ouest et nord. Dans les fondations comme dans l’élévation, les pierres taillées sont en grès rosé et certaines d’entre elles ont, par ailleurs, conservé quelques traces de layage. Les moellons sont aussi majoritairement en grès, quelquefois en calcaire blanc. Le mortier prélevé dans le petit appareil possède aussi les mêmes caractéristiques que ceux des murs précédents – forte granulométrie, présence de sables grossiers et de graviers de couleurs variées – mais il affiche un aspect un peu différent, par sa teinte plus claire, et une texture moins compacte. Le mortier observé sur la deuxième assise se distingue en revanche par sa couleur blanche, sa texture friable et sa composition qui inclut quelques fragments de tuileau. Dans la mesure où le joint n’a pas pu être creusé, il pourrait cependant s’agir d’un rejointoiement. La contemporanéité de ce mur avec les deux murs évoqués ci-dessus est donc probable, mais elle devra être vérifiée.

2.1.3. Au sud : trois piliers composés

Trois piliers ont également été mis en évidence dans le mur sud de la maison ; ils complètent l’ensemble architectural délimité par les trois murs précédents. Ils sont séparés, d’ouest en est, par des distances similaires de 5 m et de 4,50 m. Le premier support se trouve dans  la cave occidentale, dans  l’angle sud du  mur ouest ; un autre support, aujourd’hui disparu, lui faisait vraisemblablement face, dans  l’angle nord. Les deux autres supports se situent dans la cave orientale, l’un occupant une  position centrale mais isolée, l’autre étant localisé dans l’angle sud du mur est. Aujourd’hui, tous ces supports ne sont pas visibles du même côté : le support ouest et le support central apparaissent seulement sur le  parement interne de la maison ; le support est apparaît, au contraire, sur le parement externe. Une photographie prise par  Denise  Devos- Cateland en  1967 montre cependant un fût de colonne pris dans le parement externe, au niveau du support ouest (fig. 15). Elle prouve, si  besoin, que les  supports considérés ont été totalement englobés dans le mur sud de la maison qui mesure, au demeurant, 1,15 m d’épaisseur. Le dernier pilier, à l’est, est le  seul qui soit visible sur les  deux parements du  mur mais à  des niveaux différents : seules les  fondations apparaissent au nord, seule l’élévation apparaît au sud. Il possède d’ailleurs

Fig. 15 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : détail d’une colonne,

aujourd’hui masquée, du pilier ouest sur le parement externe du mur sud de la maison actuelle (cl. Denise Devos-Cateland, 1967).

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une particularité : du dé au fût de la colonne, il présente en effet une limite verticale très marquée qui sépare une moitié ouest, taillée avec soin voire moulurée, et une  moitié est grossiè-rement taillée, voire bûchée (fig.  16). Ce support était donc engagé au  sud dans  une structure – mur ? – dont il  faudra déterminer la nature.

Les fondations des supports ne sont pas toutes identiques. Elles ont en commun une première maçonnerie, semblable aux fondations des murs ouest et nord, tant par sa compo-sition – blocs de roches métamorphiques, majoritaires et noyés dans un abondant mortier qui accuse, ponctuellement, quelques différences mineures 45 – que par son large débordement – 1 m

à 1,20 m par rapport à la base du pilier. Elle n’est pourtant pas toujours élevée au même niveau : à l’ouest, elle culmine à 289,45 m NGF et elle est directement surmontée par le dé du  pilier ; au  centre et à  l’est, elle  culmine respectivement à 289,07 m et 288,80 m NGF et elle est surmontée par une seconde maçonnerie de fondation, en grand appareil. Dans le support central, cette deuxième maçonnerie ne possède qu’une assise de deux blocs de grès, larges de 50 cm et hauts de 20 cm environ, encadrant un blocage de roches métamorphiques, sans doute

45. Les prélèvements effectués dans  les fondations du  support ouest présentent, par  exemple, quelques fragments de végétaux et une  teneur en chaux légèrement plus élevée, qui ne sont pas significatifs.

identique à la maçonnerie sous-jacente 46. Ces gros blocs ont

été bûchés, mais ils restent saillants par rapport à la retombée de la  voûte, ce  qui permet de constater leur orientation oblique. C’est au-dessus de cette assise, à la cote 289,25 m, qu’est situé le dé, lui-même surmonté par la base du pilier. Dans le dernier support, à l’est, la deuxième maçonnerie est constituée de deux assises parallèles au mur, hautes d’environ 20 cm, qui présentent respectivement cinq blocs de grès rosé, saillants de 24 à 32 cm, et trois blocs de calcaire blanc ainsi qu’un bloc de grès rosé, saillants de 15 cm. Au-dessus de cette assise, également placée à la cote 289,25 m, se trouve une autre assise en grand appareil qui appartient à l’élévation et non plus aux fondations. Elle correspond en effet au dé du pilier, visible sur le parement opposé, qui sera évoqué ci-dessous. Cette succession de remarques appelle d’emblée quelques commentaires. La maçonnerie inférieure des  fondations accuse de sensibles différences de niveaux : elle perd progres-sivement 0,70 m de hauteur passant ainsi de 289,45 m NGF à l’ouest, à 289,07 m au centre et à 288,80 m à l’est, ce qui reflète vraisemblablement le dénivelé du terrain naturel. L’insertion d’assises en grand appareil n’avait pas seulement pour objectif de compenser ce décalage ; elle devait aussi répondre à des nécessités architectoniques évidentes pour le support central

46. La fourrure a été rejointoyée au ciment, ce qui ne permet pas d’être affir-matif sur ce point.

Fig.  16 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : vue générale (a) et détail (b) du pilier est sur le parement externe du mur sud de la maison

actuelle. Le dé et le tambour inférieur sont bûchés tandis que la base n’est pas moulurée : ce support était donc engagé dans une maçonnerie aujourd’hui disparue (cl. Olivia Puel, 2009).

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(fig. 17) – il s’agissait d’assurer la stabilité du sol à un endroit stratégique où la charge était importante – mais plus difficiles à expliquer a priori pour le support est. Elle ne permet d’ail-leurs pas de relever le niveau de circulation jusqu’à celui du sol attesté sur le mur occidental et sur le support attenant : les dés de ces piliers sont en effet situés à 289,25 m NGF, ce qui suggère l’existence d’un emmarchement intermédiaire.

Toutes les pierres utilisées dans l’élévation des piliers ont été taillées dans des matériaux également employés dans les murs : le grès rosé et le calcaire blanc, à l’exclusion de tout autre. Elles portent aussi les traces – horizontales, verticales ou obliques, parallèles, plus ou moins longues et régulières – des mêmes outils de taille : le ciseau et le marteau taillant. À la base des piliers, les dés sont composés de plusieurs blocs de calcaire blanc, qui encadrent une fourrure proche de la maçon-nerie de fondation inférieure, comme le  révèle le  support central. Ils ont généralement reçu une moulure simple, le plus souvent un cavet. Les blocs de la  dernière assise qui, sur le parement interne du mur, correspondent au dé du support est, ont reçu le même type de moulures. Au-dessus des dés, les bases attiques sont toutes en calcaire blanc. Leur hauteur oscille entre 38 et 42 cm ; leur largeur varie en fonction de leur appartenance à un support libre, comme au centre (67 cm), ou à un support engagé, comme à l’ouest (30 cm) ou à l’est (45 cm). Leur mouluration accuse quelques nuances stylis-tiques (fig. 18). Au centre comme à l’est, elle est composée, de bas en haut, d’un bandeau, d’un tore assez épais, d’un filet et

d’une scotie, puis d’un autre filet et d’un autre tore, plus fin. À l’ouest, la succession des moulures est similaire, mais plus simple : les filets sont absents et une gorge a remplacé la scotie, redressant de fait le profil de la base. Sur le pilier est, la base est par ailleurs ornée, dans son angle ouest, d’une griffe qui a été bûchée (fig. 18a). Enfin, les fûts de colonne, dont le diamètre avoisine 30 à 35 cm, sont quant à eux composés de plusieurs tambours en grès rosé ou en calcaire blanc, à l’image du pilier est. Au regard des  dimensions réduites des  bases – 35  cm de côté environ – et de l’épaisseur importante du mur sud – 1,15 m – les supports possédaient nécessairement un plan plus complexe que la base carrée surmontée d’une simple colonne. Aussi, en tenant compte des données connues, nous proposons une hypothèse de restitution prudente et simple. Les supports pourraient être composés d’une base cruciforme et d’un pilier carré flanqué de quatre demi-colonnes (fig. 19). Ils mesureraient alors 1,10 m d’épaisseur environ, soit quelques centimètres de moins que le mur de la maison.

Au-delà des  caractéristiques physiques communes aux murs et aux supports, il  faut retenir trois faits essentiels : le chaînage des fondations du mur occidental et du pilier ouest, le chaînage du mur oriental et du pilier est, la parenté stylis-tique des trois bases étudiées. L’appartenance de l’ensemble des vestiges ainsi analysés à un même état de construction est incontestable.

Fig.  17 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : vue générale du pilier central sur le parement interne du mur sud de la maison actuelle

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Fig. 18 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : détails des bases du pilier central (a) et du pilier est (b) sur le parement interne du mur sud de la

maison actuelle (cl. Olivia Puel, 2009).

Fig. 19 Emprise de l’avant-nef, étude du bâti : hypothèse de restitution du plan des piliers composés (relevé Olivia Puel ; DAO Aurélie  Devillechaise,

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