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Sur la problématique d’un hypothétique processus psychosomatique impliqué dans la dépression

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Submitted on 18 Mar 2017

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Sur la problématique d’un hypothétique processus

psychosomatique impliqué dans la dépression

Georgios (yorgos) Dimitriadis

To cite this version:

Georgios (yorgos) Dimitriadis. Sur la problématique d’un hypothétique processus psychosomatique impliqué dans la dépression . Figures de la psychanalyse, ERES, 2014, Neurosciences, psychanalyse et psychiatrie: quels enjeux?, 2 (28), pp.73-85. �10.3917/fp.028.007�. �hal-01492156�

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1 1 Sur la problématique d’un hypothétique processus psychosomatique

impliqué dans la dépression Yorgos Dimitriadis

….à Persa

« Les deuils, psychiques ou réels, s’accumulent au fur et à mesure que la vie s’avance, de sorte que la violence et le nombre des accès mélancoliques s’aggravent…C’est parce que l’impossibilité de la symbolisation apparaît chaque fois plus certaine que la fuite en avant se précipite…Une fois le mouvement enclenché, il s’accélère, jusqu’à ce qu’une simple absence ou un retard quelconque d’une personne aimée le provoque » 1

.

Gérard Pommier

La dépression comme affection psychosomatique

Comment les théories psychosomatiques peuvent-elles nous éclairer sur les états dépressifs? Daniel Widlöcher2

avec ses collaborateurs de la Salpêtrière ont proposé une théorie psychosomatique du ralentissement dépressif depuis les années 1980 que je vais exposer brièvement avant de me positionner avec une conception différente sur cette question. Selon cet auteur il existe deux formes d’inhibition dépressive. La première affecte un secteur des contenus de pensée du sujet. Elle est la conséquence de l’investissement dominant de ces derniers. La seconde forme d’inhibition affecte l’ensemble de l’activité du sujet et, sémiologiquement, s’exprime par le ralentissement psychomoteur. C’est dans cette interaction, entre pensée dépressive et figement, que la maladie dépressive exprime son caractère de modèle d’altération psychosomatique. L’action psychothérapeutique souhaitable s’exerce sur les systèmes de pensée, à condition toutefois qu’un mécanisme neuronal élémentaire, en partie irréversible, ne soit pas mis en place, qui, créant un ralentissement global de l’activité, viendrait

1

G. Pommier, La mélancolie, vie et œuvre d’Althusser, Flammarion, Paris, 2009, p.110.

2

D. Widlöcher, « Clinique psychanalytique et psychotropes, Dépression et anxiété »,

Revue Française de Psychanalyse, t. LXVI, Les psychotropes sur le divan, 2002, p.

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2 2 limiter ou annuler l’action psychothérapeutique. C’est au niveau plus élémentaire que s’exerce l’activité des antidépresseurs, aussi bien quand le ralentissement est conséquence des mécanismes psychopathologiques complexes, que lorsque prédominent des facteurs endogènes génétiques ou acquis. Selon le même auteur, la décision d’entreprendre une psychothérapie au long cours, en particulier une psychanalyse, ne peut et ne doit pas être discuté lors d’un état dépressif car il est difficile d’évaluer correctement la personnalité du sujet, les intentions du sujet peuvent changer du tout au tout, et après s’être dégagé de l’expérience dépressive, le patient à tord ou à raison, ne ressent plus aucune raison de s’engager à un tel traitement mais aussi la nécessité du traitement médicamenteux : car la difficulté est de savoir jusqu’à quel point un système de pensée dépressiogène est réversible spontanément ou sous l’influence d’une psychothérapie : faute, dit-il, des données objectives, il semble que l’irréversibilité soit à craindre, et donc le traitement médicamenteux nécessaire chaque fois qu’on constate une altération stable de l’a capacité d’agir, à parler et à penser. En cas de doute, mieux vaut, dit-il, un traitement d’épreuve qu’une abstinence thérapeutique ce qui n’exclut pas pour l’auteur la nécessité ou l’opportunité d’une aide psychothérapeutique en période aigue et il souligne que cela pourrait servir à ce qu’il considère la dépression comme un état de maladie et qu’il établisse la différence avec les attitudes légitimes. Il doita savoir, souligne-il, que les efforts personnels ne peuvent qu’être limités et que guérir de la dépression c’est trouver la force par levée de l’inhibition de les traiter activement au lieu de demeurer figé.

Je vais essayer de démontrer que tout en parlant d’affection psychosomatique, à propos de certains aspects de la dépression (et même d’affection psychosomatique du cerveau), nous pourrions arriver à des conclusions différentes - du moins pour une part - par rapport à la position que nous venons d’exposer. D’abord je vais rappeler certains éclaircissements venant de la théorie lacanienne. A mon avis, le moment le plus fort dans l’enseignement de Lacan, à propos des phénomènes psychosomatiques, est là où il parle dans son onzième séminaire, d'une « gélification de la chaîne signifiante », que Lacan évoquait comme susceptible d’avoir un rapport avec les phénomènes psychosomatiques. Selon Lacan, les signifiants ne renvoient pas, à travers une opération binaire, à des choses (comme c’est le cas pour les signes), mais à d’autres signifiants, à travers la dialectique du désir de chaque sujet qui est accroché au désir de l’Autre. Il s’agit, donc, d’opérations ternaires. Mais, il précise que quand il

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3 3 y a une gélification de la chaîne signifiante la dialectique du désir s’arrête et « le signifiant du désir de l’Autre » - de ce fait - obtient une opacité, il devient d’une certaine manière mystérieux. A cet état, il arrête de renvoyer à un autre signifiant pour devenir un inducteur, un signal, qui peut induire, par le biais du conditionnement, des perturbations aux besoins du soma, au lieu de relancer la dialectique du désir du sujet. Je vais appeler dans cet exposé cette réduction du signifiant au signal, voire même aux stimuli, « processus de réduction sémiotique ».

J’ai mentionné à l’instant des besoins qui pourraient être perturbés par le conditionnement et de ce fait subir des affections psychosomatiques que nous considérons d’habitude comme des affections du soma périphérique (la peau, les intestins etc.). Mais en parlant de besoins, je ne fais pas référence seulement à la faim ou au besoin d’exonération. Il s’agit en fait de plusieurs circuits homéostatiques de l’organisme qui peuvent être dérangés par ce biais. Sur ce point, nous pourrions éventuellement concevoir une généralisation de cette théorie lacanienne, en postulant qu’il y a la possibilité d’une atteinte, par ce type de processus sémiotique, également des circuits homéostatiques du cerveau. Les circuits qui régulent nos émotions et nos humeurs pourraient, éventuellement, être une cible privilégiée à cet égard. Lacan avant de parler du conditionnement en 1964 en rapport avec les phénomènes psychosomatiques, il avait parlé, vingt-huit ans auparavant, dans son article « Propos sur la causalité psychique » d’un autre mécanisme neurophysiologique qui s’appelle sensibilisation et ceci à propos du complexe d’ Œdipe. Je le cite : « Je n’hésite pas à dire qu’on pourra démontrer que cette crise a des résonances physiologiques, – et que, toute purement psychologique qu’elle soit dans son ressort, une certaine dose d’ Œdipe peut être considérée comme ayant une efficacité humorale de l’absorption d’un médicament désensibilisateur»3

.» Cette phrase laisse entendre que, la mise en place de la ternarité symbolique, empêche justement des processus de « sensibilisation » ; le terme de « sensibilisation » n’étant pas, par ailleurs, loin du terme « conditionnement » et selon Eric Kandel4

le conditionnement est une élaboration du mécanisme de la sensibilisation ; qui serait, du coup, selon cet auteur un précurseur

3

J. Lacan, « Propos sur la causalité psychique », dans Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p.182-183.

4

Qui a étudié ces mécanismes sur l’aplysie E. Kandel, « Cellular Mechanisms of Learning and Biological Basis of Individuality », dans Principles of Neural Sciences, Third edition, New York-Amsterdam-London-Tokyo, Elsevier, 1991, p.1016

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4 4 neurophysiologique de la possibilité du conditionnement chez le vivant.

Existe-il des affections psychosomatiques du cerveau ?

A partir de ces remarques de Lacan, posons-nous aussi la question suivante : le mécanisme de sensibilisation, avec ses prolongements neurophysiologiques dudit embrasement (kindling)5

et de l’excitotoxcicité67

, seraient-ils à même de rendre compte des phénomènes de déficit au niveau - par exemple – cérébral. Quelques mots d’abord sur l’embrasement et l’excitotoxicité. L’embrasement, décrit d'abord dans le cadre de l'épilepsie, a été étudié par la suite par Robert Post8

- dans le contexte des troubles de l'humeur - pour expliquer un phénomène clinique psychopathologique : à savoir que les troubles affectifs unipolaires et bipolaires tendent à être progressifs dans le sens où des épisodes successifs, apparaissent après des intervalles de rémission plus courts, ou, avec une plus grande rapidité de virage (c'est-à-dire de passer d’un état dépressif à un état maniaque et vice versa). Ainsi, selon cet auteur, des épisodes dysthymiques (maniaques ou dépressifs) réactionnels à un stress psychosocial évoluent vers des épisodes conditionnés, qui sont induits par des évènements plus symboliques, par exemples des pertes imaginées et ceux-ci évoluent, à leur tours, vers des épisodes dythymiques automatiques. Il a attribué, au même mécanisme, la raison pour laquelle ces épisodes surviennent de manière de moins en moins réactionnelle, c’est-à-dire, de plus en plus automatique9

. D’autres auteurs, comme Stephan Stalh, ont pensé que le

5

Nous renvoyons le lecteur en ce qui concerne les mécanismes neurophysiologiques de la sensibilisation et de l’embrasement (avec leur résultat potentiellement excitotoxique) à notre note de lecture : Y. Dimitriadis, « Les travaux de Robert M. Post sur le kindling (embrasement) la sensibilisation et le conditionnement »,

Annales Médico-Psychologiques, n° 4, 2012, p.296-298

6

Cf. S. Stahl, Psychopharmacologie essentielle, Paris, Flammarion, 2002, p.385 et suivantes.

7 « L’excitotoxicité est un processus pathologique d'altération et de destruction

neuronale ou neurotoxicité, par hyperactivation par l'acide glutamique et ses analogues […]. […]. Ce mécanisme physiopathologique est incriminé dans un certain nombre de maladies neurologiques comme l'épilepsie et les accidents vasculaires cérébraux, ou neurodégénératives du système nerveux central comme la sclérose en plaques, la maladie d'Alzheimer, la sclérose latérale amyotrophique, la fibromyalgie, la maladie de Parkinson ou enfin la chorée de Huntinghton ». Wilkipedia [en ligne]. Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/wiki/Excitotoxicité.

8

Qui est un type de sensibilisation cf. R. Post, « Transduction of Psychosocial Stress Into the Neurobiology of Recurrent, Affective Disorder», Am.J. Psychiatry. 149, 8, August 1992, p 999-1010.

9

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5 5 mécanisme de l’embrasement peut déboucher sur une excitotoxicité, c’est à dire sur une destruction neuronale10. Benjamin Samuel et René Hen11, de l’université de

Columbia, soutiennent aussi que, dans la « dépression » il y aurait une diminution de la neurogénèse au niveau de l’hippocampe, qui serait réversible sous l’effet des antidépresseurs12

.

En essayant de mettre en dialogue la théorie sur l’embrasement de Post et le processus de réduction sémiotique dans les affections psychosomatiques nous pourrions éventuellement faire l’hypothèse13

que certains phénomènes, à caractère d’automatisme qui concernent surtout les affects, se produisent, en rapport avec le processus neurophysiologique de l’embrasement, selon une « réduction sémiotique » qui implique la transmutation des signifiants en signaux et stimuli. Selon ce situations cliniques, comme le stress post-traumatique, les addictions et la

schizophrénie.

10Les neurones semblent être environnés de mécanismes normaux de maintenance de

leur arbre dendritique, grâce auxquels ils peuvent élaguer ou supprimer des dendrites et des synapses inutilisées, inutiles ou vieillies. Un des mécanismes hypothétiques de certaines maladies neurodégénératives consisterait en la perte du contrôle qui s’exerce normalement sur les mécanismes d’élagage normaux et qui finissent par faire perdre au neurone son utilité, voire le tuer par un « élagage à mort ». S. Stahl,

Psychopharmacologie essentielle, op. cit., p. 385 et suivantes.

11

Cf. B. Samuel et R. Hen, « Neurogenesis and affective disorders », European

Journal of Neuroscience, Volume 33, Issue 6, March 2011, p.1152–1159.

12

Ils se basent, je précise, sur des modèles animaux de dépression. Mais il faut noter, à ce niveau, que selon ce même article de Samuel et Hein, tandis que la diminution de la neurogénèse au niveau de l’hippocampe, seule, n’est pas suffisante pour conduire à « un phénotype de dépression », la neurogénèse est nécessaire pour la médiation de quelques-uns des effets bénéfiques des antidépresseurs Selon les mêmes auteurs cette médiation de la neurogénèse pourrait être compatible avec le délai d’action des antidépresseurs chez l’humain. Alain Prochiantz, reprend l’hypothèse, la plus courante, comme il dit, que la mémoire ancienne implique essentiellement des structures corticales et que l’hippocampe serait une porte d’entrée vers le cortex. En clair, il dit qu’après un stage de quelques semaines dans l’hippocampe, une information sera, soit passée au cortex pour y être archivée, soit effacée au niveau de l’hippocampe. Dans ce schéma de l’hippocampe comme « porte revolver », le renouvellement des cellules chez l’adulte participerait au processus d’effacement Cet auteur reprend, avec prudence les résultats de l’étude de Samuel et Hen pour formuler l’hypothèse suivante :« Il est intéressant de faire ici un lien avec la cognition ou la mémoire et de se poser la question de savoir si certains déficits cognitifs observés dans les modèles animaux de dépression ne sont pas liés à une baisse de la neurorogenèse adulte au niveau de l’hippocampe ». In A. Prochiantz, « Qu’est-ce que le vivant ?, Paris, Seuil, 2012

13

Puis de manière plus précise dans le « Existe-t-il des affections psychosomatiques du cerveau ? »

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6 6 processus, les affects deviendraient de plus en plus automatiques - et indépendants des signifiants - pour se transformer ainsi en émotions, puis au stade suivant, en humeurs : par exemple humeur délirante stable ou émoussement affectif chez le schizophrène, états maniaques et dépressifs devenus autonomes par rapport à des causes déclenchantes, états de panique automatiques, etc. Pour décrire cette réduction sémiotique nous allons emprunté à la sémiotique de CH. S. Peirce (plus précisément à sa phaneroscopie) les trois catégories : Priméité, Secondéité et Tiercéité14

et exposer schématiquement la « progression » suivante :

Signifiant/Tiercéité Signal/Secondéité Réaction/Conditionnement Stimulus/Priméité États automatiques Réduction sémiotique Réduction sémiotique Psychonévroses

!Affections psychosomatiques classiques conditionnées !Dépressions / manies réactionnelles

!Crises de panique conditionnées

!Phénomènes de conditionnement dans les addictions !Phénomènes de répétition dans les névroses traumatiques !Certains « symptômes » à caractère d’acte

!etc.

!Humeur délirante !Athymhormie/apathie

!États maniaques ou dépressifs automatiques !Crises de panique automatiques

!Phénomènes psychosomatiques automatiques !Certaines addictions

!etc.

Peirce considérait la relation automatique comme dyadique, « encore est-elle de l ordre de la tiercéité dégénérée »

Ceux-ci seraient des exemples de l’hypothèse de « participation psychosomatique du cerveau »15

dans certains états qui sont qualifiés de maladies en psychiatrie. Ici, je vais parler de la dépression pour argumenter le pourquoi un tel processus ne doit pas nous dissuader d’un « traitement psychique », mais, au contraire, pourrait même être un argument pour éviter, au moins dans plusieurs cas, un traitement biologique. C’est-à-

14

Comme il est impossible, faute de place, de développer ici cette reprise de catégories de Peirce nous renvoyions le lecteur à notre ouvrage : Y. Dimitriadis,

Psychogénèse et organogénèse en psychopathologie, Une hypothèse psychanalytique,

préface d’Alain Vanier, Paris, Seuil, 2013

15

Cf. Y. Dimitriadis, « Le concept heuristique d'affections psychosomatiques du cerveau », L’Evolution Psychiatrique, vol. 78, n° 2, 2013, p. 290-300

(8)

7 7 dire que, tout en considérant que l’existence des lésions neuropathologiques, dans des cas de dépression, pourrait être plausible, je voudrais soutenir que ceci ne devrait pas impliquer, d’emblée, la prescription d’un traitement biologique, ou conduire à penser que la psychanalyse n’a pas de place, ou même, dans plusieurs cas, la place principale, dans le traitement de tels états.

La dépression comme affection psychosomatique

Mais, avant de parler plus spécifiquement de la dépression, je voudrais spécifier, un peu plus, ce que j’entends par réduction sémiotique du signifiant en signe. La logique du signifiant est une logique qui « prépare » l’homme au hasard de la rencontre, à l’imprévisibilité de l’émergence contingente du désir de l’Autre, et à la singularité. François Ansermet et Pierre Magistretti avancent à propos : « Lacan a lui aussi distingué deux types d’inconscients : L’inconscient automaton et l’inconscient

tuché. L’inconscient automaton, c’est le « déjà là », qui impose ses déterminations,

ses répétitions. L’inconscient tuché est, au contraire, un inconscient non réalisé, ouvert sur l’avenir, sur l’imprévu, la surprise, l’invention. L’inconscient tuché peut être vu ainsi comme un inconscient poétique, aux potentialités créatives »16

. Cette logique est diachronique et de rétroaction récurrente, selon laquelle, le résultat peut agir sur sa cause et la modifier dans l’après coup. Par contre, la logique du signal (ou du signe) est une logique linéaire valable, pour les réflexes, naturels ou conditionnés, et implique une objectivation, une universalité de réactions. Elle implique, aussi, une synchronie et/ou une contiguïté spatiale, elle est, dirait-on, d’une certaine manière « métonymique », et elle régit l’apprentissage chez les animaux. Alors, nous pouvons envisager la « réduction sémiotique » dans ses conséquences d’arrêt du « capitonnage » par la chaîne signifiante. La théorie de la neuroplasticité concorde également avec ce point de vue, comme le notent François Ansermet et Pierre Magistretti : « La plasticité implique une détermination de l’unique, une détermination de l’imprévisible. Elle permet l’émergence et l’incidence d’un sujet, à partir d’une place laissée libre par les lois même de l’organisme. […] les neurosciences aujourd’hui ne cessent d’isoler des mécanismes universaux qui aboutissent à produire de l’imprévisible et de l’unique. […]. Le fait de la plasticité,

16

F. Ansermet et P. Magistretti, « Quel inconscient ? », dans P.Magistretti et F.Ansermet (dir.), Neurosciences et Psychanalyse, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 195-199, p. 198-199.

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8 8 avec ses paradoxes, implique donc un nouveau paradigme pour la science, fondé sur la contingence, qui rejoint ce qui est au centre de la psychanalyse ».17 Par l’arrêt du

capitonnage, la rencontre avec les signifiants du désir de l’Autre obtient une objectivité, et une actualité et cette actualité a un caractère d’injonction, un caractère signalétique. Ces signifiants gelés et « impératifs » sont des pseudo-signifiants « coupés » de l’histoire et de la diachronie du sujet. En fait, ce sont des signaux qui peuvent déclencher des processus psychosomatiques18

. Plus spécifiquement dans les troubles de l’humeur, la réduction sémiotique (ou l’arrêt du capitonnage) consisterait en ceci : les affects, liés aux signifiants du sujet19

, perdent ce lien, c'est-à-dire qu’ils se désaffectent de la fonction signifiante, et, par là même, se transforment en émotions ou en humeurs.

Roland Chemamma, dans un livre sur la dépression intitulé Dépression, la grande

névrose contemporaine, écrit en accord, je crois, avec ce que je viens d’avancer, sur

la répétition et l’effet après coup :

Le sujet déprimé ne veut pas donner au passé un sens nouveau en fonction d’un avenir : l’avenir, il se refuse à l’imaginer. Il répète, comme chacun d’ailleurs. Mais, lui, tient à ce que cette répétition soit un retour du même. […].20

. il ajoute : Vous voyez ainsi que le sujet dépressif, à nier tout changement possible, refuse en fait la structure différentielle du signifiant lui-même. C’est par là qu’il s’exclut aussi du désir21

.

Nous voyons donc que, telle qu’elle est décrite par Chemama, la dépression pourrait être conçue comme un arrêt du capitonnage par la chaîne signifiante, et donc, si on suit le syllogisme exposé à l’instant, comme un processus psychosomatique dans lequel il

17

F. Ansermet et P. Magistretti, « Plasticité neuronale et inconscient », dans L. Ouss, B.Golse, N.Georgieff, D. Widlöcher (dir.), Vers une neuropsychanalyse ?, op. cit., p. 201-211, p. 210-211.

18

Voici donc une autre manière d’entendre le terme de « névroses actuelles », précurseur du terme (mal choisi sans doute) de psychosomatique, car, les signaux, à contrario des signifiants, agissent seulement dans la synchronie et l’actualité.

19

Marcel Czermak emploie le néologisme de décapitonnage à propos de la manie et l’adjectif ‘désaffecté’ pour le sujet maniaque et de ‘semblants d’affects’ pour les affects quand il n’y a plus de capitonnage par la chaine signifiante dans la manie. Terme, comme on sait, prédécesseur du terme de maladies psychosomatiques.

20

R. Chemama, Dépression, la grande névrose contemporaine, Paris, Erès, 2006, p. 25.

21

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9 9 y a, selon l’expression de Pascale Belot-Fourcade22

, « une avectorisation du désir, une perte de balises spatiales et temporelles et une déconstruction du futur antérieur du fantasme ». Chez le déprimé, les pensées, qualifiées habituellement de négatives, tendent à tourner en rond, comme dans la séquence signal et réponse23

, car tout est vu à travers le même filtre - plutôt de couleur gris - état qui pourrait correspondre, si on veut, à une « réduction sémiotique ». Voici donc une autre manière d’entendre le terme de « névroses actuelles », précurseur du terme de psychosomatique, car, les signaux, à contrario des signifiants, agissent seulement dans la synchronie et l’actualité.

Pour revenir à la clinique, nous pourrions éventuellement cibler ces hypothèses autour de la dépression et penser qu’un épisode de dépression pourrait être relatif à une période de l’enfance où le manque de l’Autre n’a pas pu être assumé par le sujet : autrement dit, la perte, le deuil que la position dépressive implique (pour évoquer les travaux de Mélanie Klein) quand l’autre est perçu en miroir de soi, et du coup, à la fois comme une totalité et manquant, n’a pas pu être mis en rapport avec certains signifiants ; c’est-à-dire, pour aller vite, à la signification phallique. Mais qu’est-ce qu’il pourrait être une verbalisation propice qui pourrait justement permettre la vectorisation de la chaine signifiante par la signification phallique? Que celle-ci se passe aux tous premiers moments de cette phase de position dépressive du bébé, ou, même plus tard, quand l’adulte plonge dans un état dépressif. Mais, pour qu’il y ait possibilité de verbalisation initiale des premières excitations du soma du bébé, il faudrait, d’un côté que ces excitations ne soient pas par trop excessives et, de l’autre, que la verbalisation de la part du prochain qui le secourt, le Nebenmensch, vient en temps opportun24

. Pourrait-on faire l’économie, à ce sujet, de l’angoisse que sa

22

P. Bélot-Fourcade, Fallait-il mettre Hamlet sous sérotoninérgiques, Journal

Français de Psychiatrie, no 7, 1999, p. 9-10.

23

Alors tandis que nous pouvons éventuellement concevoir l’arrêt du capitonnage pour les états dépressifs dans ce sens-là, dans d’autres états comme les maladies psychosomatiques classiques, ce décapitonnage, nous pourrions le concevoir autrement, comme sensibilité, par exemple, à certains signaux particuliers ; dans les psychoses paranoïdes, encore autrement, c’est-à-dire, comme une sensibilité excessive à tout ce qui se passe de nouveau autour du sujet, qui lui fait signal, qui devient une saillance pour lui, état qui pourrait être qualifié par le terme de Jaspers « humeur délirante ».

24

Ce qui n’est pas sans renvoyer, peut-être, à des périodes critiques pour la neuro-plasticité de l’encéphale; c’est-à-dire, des périodes durant lesquelles le cerveau a une sensibilité maximale à telle ou telle autre modification de l’environnement.

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10 1 0 division subjective implique, afin que la jouissance initiale25

, ressentie dans son corps, puisse trouver de liaisons avec les signifiants de son désir. Je vais faire référence au troisième schéma de la dite « division subjective » du séminaire sur « L’angoisse »26

de Lacan pour illustrer ceci. Ce schéma a, je le rappelle, trois temps logiques : le premier est celui de la jouissance, le deuxième est de l’angoisse et le troisième est du

désir. Si cette liaison avec les signifiants ne se fait pas - ou elle se fait de manière

ambiguë - dans le cas de la mélancolie il y aura toujours l’ombre de l’objet, selon la fameuse expression de Freud, qui n’a pas pu être construit et qui va rester comme une épée de Damoclès, susceptible de tomber sur le sujet ; c’est à dire que le sujet va rester identifié à cet objet α qui manque à l’Autre afin de lui boucher son trou; ou, dans la version de la dépression non mélancolique, il va rester dépendant des identifications rigides et narcissiques, à ce qu’il pense que l’autre demande afin de lui combler son manque.

25

Qui n’est pas, dit Lacan, de nature promise au désir.

26

Durant ce même séminaire, il parle de la jouissance, à travers l’opération de la «division subjective». Dans cette division le lien entre signifiants et désir de l’Autre se fait (ou ne se fait pas) au moyen d’un processus de subjectivation, avec l’angoisse comme niveau intermédiaire. Le mot division concerne la barre de la division du A, du grand Autre par le sujet, qui s’inscrit comme quotient. Combien de fois le S rentre-t-il dans le A? La première phase de cette division est celle de la jouissance mythique («jouissance de l’Être») d’un premier sujet non divisé et cette première relation avec le A crée la liaison avec un premier signifiant du «désir de l’Autre». Ceci soulève la question de ce «que me veut l’Autre» en me disant ceci, question qui provoque l’angoisse, d’où l’appellation de ce deuxième temps logique, par Lacan, comme moment de l’angoisse. Il produit l’inscription de la jouissance comme objet petit a, qui est le reste, le résidu de cette division. C’est le sujet qui apparaît comme petit a pour l’Autre qui lui veut quelque chose et qui est donc, manquant, barré. Le résultat de cette division est l’Autre barré, qui apparaît par conséquent comme manquant. Le sujet, après être passé par la position de petit a pour l’Autre, qui est manquant, divise, dans la suite du processus, le petit a par le S, et se divise en même temps, entre le premier signifiant et les signifiants restants qui viendront de l’Autre. C’est le moment logique de la division qui crée le passage éventuel – par l’intermédiaire de l'angoisse, comme on l’a vu – de la jouissance du sujet, au désir de celui-ci.

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11 1 1 Nous pouvons présumer qu’une verbalisation pourrait se faire sous l’effet de substances, par exemple des antidépresseurs, pour alléger la charge d’excitation, c’est-à-dire la jouissance initiale. Substances qui lèvent l’inhibition et le ralentissement dépressif et stimulent peut-être une neurogénèse selon les hypothèses exposées plus haut. Mais, de ce fait, la mise en rapport avec les signifiants se fera d’une autre manière que si le processus avait pu arriver à terme par le deuil du manque de l’Autre ; peut-être d’une façon métonymique que nous avons vu, tout à l’heure, en rapport avec le type de liaison qui se fait entre les signes. Et c’est probablement le même type de liaison qui se fait avec les thérapies cognitives de la dépression. C’est, peut-être, le même type de métonymie qu’on trouve - en excès cette fois-ci- dans la fuite des idées de la manie, comme rejet de l’inconscient, et qui fait retour, dit Lacan27

, dans le réel. Tandis que la verbalisation « du devoir du bien dire » est, dit Lacan, de s’y retrouver dans l’inconscient, c'est-à-dire, dans la structure. Opération qui implique probablement la possibilité de l’usage de la métaphore.

Alors, si l’Œdipe a le mérite d’avoir l’efficacité d’un médicament désensibilisateur, pour rappeler la phrase de Lacan du « Propos sur la causalité psychique », à laquelle j’ai fait référence toute à l’heure, il l’a par l’intermédiaire d’une métaphore, que Lacan a nommée plus tard métaphore paternelle, et qui a une toute autre portée, pour la raison qu’elle permet une vectorisation de la chaîne signifiante, et le fonctionnement de l’après coup. Donc si le sujet se sert de la métaphore, qui prend son essor de son inconscient et de la signification phallique, il se peut que sa sortie de la dépression ait un effet de séparation de l’objet. Tandis qu’une sortie « métonymique » de la dépression, certes parfois nécessaire, garde le sujet dans un état d’oscillation quant à la perte et la séparation de l’Autre28

. De plus, je crois qu’il faudrait réfléchir sur la créativité qui accompagne fréquemment la charge en « maniacodépression» et, pour ne pas avoir recours à la vielle idée de l’homme de génie d’Aristote, nous pourrions faire référence aux études de la psychiatre américaine, bien connue, Nancy Andreasen qui a trouvé dans l’une de ses études au

27

J. Lacan, Télévision, Paris, Seuil, 1973, p. 39

28

En grecque le mot détresse se dit «απόγνωση» qui signifie étymologiquement « d’où je prends connaissance ». Ou bien plus, le sujet peut rester avec l’idée que l’Autre, représenté momentanément ou durablement par la médecine, est tout puissant et non manquant.

(13)

12 1 2 centre d’écrivains d’ Iowa une fréquence de 80% pour la dépression et de 30% pour le trouble bipolaire type I et II, chez les 30 écrivains de son étude29.

Quelques conclusions

Quoiqu’il en soit, même si nous suivons l’hypothèse que les médicaments antidépresseurs augmentent une neurogénèse, nous sommes, je crois, autorisés de présumer qu’une neurogénèse qui se fait en dehors d’un contexte de « verbalisation adéquate » pourrait avoir des résultats aléatoires et, éventuellement, néfastes. En tout cas, la clinique montre qu’à force de traiter les dépressions seulement par des médicaments, on arrive fréquemment à des situations qualifiées, à posteriori, de dépressions résistantes ; pour ne pas parler des troubles dits bipolaires iatrogènes, c’est-à-dire des épisodes maniaques chez des gens qui n’en auraient peut-être pas manifesté spontanément. En dehors du fait que la verbalisation adéquate peut guérir moult états dépressifs - sans apport médicamenteux concomitant - il est intéressant que la catégorie d’antidépresseurs la plus prescrite soit incriminée pour des états d’ « aplatissement cognitif et affectif »30

. Je crois que le critère, pour prescrire ou non un traitement, repose peut-être plus sur l’impression de l’existence d’un transfert initial (qui est comme le souligne aussi Pascale Bélot-Fourcade31

un puissant antidépresseur) qui pourrait se prêter à des opérations métaphoriques, que sur la gravité ou le type de la dépression, c’est-à-dire si elle est unipolaire ou bipolaire, typique ou atypique, saisonnière ou pas saisonnière etc. A ceci il faudrait, sans doute, ajouter que refuser la place d’un traitement, là où le transfert initial laisse peu d’espoir, équivaudrait peut-être, à renvoyer le sujet à une position de désaide (de

Hilfossigkeit), et correspond, de ce fait, à un manque de verbalisation ou, en tout cas,

à une absence de réponse. Mais, même dans ces cas, la prescription peut-elle se passer d’une verbalisation, au minimum sur les limites de la place du traitement

29

N. Andreasen, The relationship between creativity and mood disorders, Dialogues

Clin Neurosci. 10 (2) 2008 June, p.251–255.Parmi les écrivains, selon une autre étude

de Jamison la maniaco-dépression est, peut-être, tout particulièrement augmentée chez les poètes. Cf. K. Jamison, Touched with Fire: Manic-Depressive Illness and the Artistic Temperament, New York, free press paperbacks, 1993.

30

C’est-à-dire que si la dépression peut conduire, sans aucun doute, à un état d’inaffectivité pénible, les antidépresseurs peuvent conduire à un sentiment d’indifférence et de mise à distance gaie, qu’une patiente qualifiait de niais et de désagréable qui l’empêchait de poursuive son activité d’écrivaine.

31

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13 1 3 médicamenteux dans la thérapie, qui est fréquemment celle d’une béquille peu prometteuse à long terme ? Quitte à ce que le sujet puisse faire, dans un second temps par une cure psychanalytique, le deuil de la toute puissance de l’Autre. Ceci, à condition - bien-sûr - que le clinicien, médecin ou psychanalyste, ne soit pas lui même dans la toute-puissance. Et le traitement en binôme, d’un médecin avec un psychanalyste, trouve ici, peut-être tout son intérêt.

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