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La socialité dans le roman haïtien de la diaspora

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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c

La socialite dans le roman ha1tien de la diaspora par

Judith Caroline Charles

These de doctorat soumise

a

la

Faculte des etudes superieures et de la recherche en vue de !'obtention du diplome de

Doctorat es Lettres

Departement de langue et de litterature fran~aises

Universite McGill Montreal, Quebec

Decembre 1995.

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Remerciements

Je prends plaisir

a

remercier tous ceux qui m • ont a idee, particulierement mon vieil ami Jean Fouchard, mort depuis, mais dont l'apport a ete determinant en ce qui concerne la recherche et la documentation.

Je remercie surtout mon directeur de these, le professeur Axel Maugey. Sans son concours et son devouement, ce travail n'aurait peut-etre jamais ete acheve.

Je remercie egalement le professeur Max Dorsinville de m' avoir

aidee

a

structurer ce travail. Le professeur Marc Angenot m'a ete aussi d~une aide inestimable.

Je temoigne ensuite toute ma reconnaissance au professeur Maximilien Laroche, pour ses precieux conseils.

Je suis enfin reconnaissante

a

mon frere Gervais Charles, ainsi quI aux amis, collegues et professeurs qui m I ont prodigue maints conseils.

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{---.

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"11 ne s'agit pas de choisir son epoque, mais de se choisir en elle••

Jean-Paul Sartre, "Qu'est-ce que la litt6rature".

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Abstract

Haitian literature always had a national vocation. As presented in Sociality in the haitian novels of exile, which

examines the revolutionary ethics of an author through his aesthetics process, i t is mainly under the dictatorship of the Duvaliers (1957-1986), that the militant intellectuals defended the cause of the outcasts. Formed into the revolutionary thoughts of the era, these intellectuals, who escaped the· horror of dictatorship by going into exile, have tried to make out of the novelistic art, an instrument of awareness.

Within the scope of a quest of the self and a search for identity, the authors studied here established their novels as models of analysis and synthesis of social reality. By transforming the themes of the literary subject matter and the formal structure~ of traditional haitian novel, they highlighted the aporia

struggle. This element of

is

haitian society through class indeed the focus of socialist realism per~aining to a socio-historical aesthetics.

Sociality in.the haitian novels of exile proves in fact that the novelistic art of exile fulfilled the historical mission assigned to novels. This mission consists in coalescing ~ysticism to history, in order to illustrate an integral human being. Through the ethics and aesthetics cultivated in a semiotics world relating social reality to its own linguistic signs, we have given a global interpretation of haitian social life, background to our semiotics reflection.;

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La litterature haitienne a toujours eu une vocation nationale. Comme le montre La socialite dans le roman haitien de la diaspora, qui examine 1' ethique revolutionnaire du romancier

a

travers son processus d • esthetisation, c • est surtout sous la dictature duvalieriste (1957-1986), que des intellectuels militants ont defendu la cause des demunis. Apres avoir fui la dictature en se jetant sur les routes de 1 • .exil, ces . intellectuels, fa<;onnes par la pen see revolutionnaire de l'epoque, en ressentent encore l'horreur, et se servent du genre romanesque comme instrument de conscientisation.

Dans le cadre d • une quete de soi et d • une recherche d'identite en terre etrangere, les ecrivains etudies ici ont institue le roman en modele d'analyse et de synthese de la realite sociale. Renouvelant la thematique et la structure formelle du roman haitien traditionnel, ils ont mis en relief les apories de la societe haitienne, en utilisant le concept de la lutteLdes classes. Cet element constitue justement le noyau central du realisme socialiste relevant d • une esthetique socio-historique.

La socialite dans le roman haitien de la diaspora demontre en fait que 1' art romanesque de 1' exil remplit la mission fondamentale du roman. Celle-ci consiste

a

fusionner le mythique

a

1 t histoire 1 en

integrale de l'homme. En

faisant ressortir la figure vertu de l'ethique et de l'esthetisme cultives dans un univers semiologique reliant la realite aux signes linguistiques qui la traduisent, nous avons interprete de fa~on globale la vie sociale haitienne, toile de fond de notre reflexion semiologique.

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Table des matieres

Introduction 1-16

Cbapitre I

Le duvalierisme comme cadre romanesque

Premiere partie Un Espace devalorise a) Du social au litteraire b) L'ideologie duvalieriste Deuxiime partie La dimension spatio-temporelle a) b)

ROles du temps et de l'espace Pour un espace vital

Troisiime partie Un espace solitaire 17-39 39-44 45-58 58-62

a) Un refuge en elle ou l'espace deshonore 63-72 b) Un refuge en soi ou l'espace du Sur-Moi 73-76 c) Un refuge sur soi ou l'espace du Moi 76-84

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Chapitre II

Le romancier de la diaspora et son public

Premiere partie

Difficultes d'une approche communicative a) Un public hostile

b) L'ideologie comme "maladie du sujet" c) Une histoire nationale personnalisee

Deuxieme partie

Pour une approche communicative acculturee a) Une issue fatale

b) Pour une authenticite perdue et retrouvee

Troisieme partie

Une approche dezombificatrice a) b) Un peuple zombifie Ideologie du collectif 85-113 113-118 119-127 128-140 140-146 146-150 150-159

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/

Chapitre III

La socialite dans le signe naturalise

Premiere partie

Superstructure linguistique

a) Pour une politique de la langue litt~raire 160-172 b) Pour l'haYtianisation de l'arbitraire du signe 172-181 Deuxieme partie

Pour une creolite litteraire a) Pour une creolit~ du rythme

b) Pour une creolite de !'operation traduisante c) Pour un effet de sens haitien

d) Le plurilinguisme comme effet de style Troisieme partie

181-195 195-200 200-217 217-229

L'alienation vue i travers le phenomene des surnoms a) Vivre sa propre alienation

b) Le symbolisme des prenoms Quatrieme partie

Le point negre

a) Comment la negritude se mit debout pour la premiere fois

b) Pour une s~miologie des couleurs Cinquieme partie

Une civilisation de l'oralite

a) Pour une litterature symbolique b) L'operation de proverbialisation 229-238 238-243 244-258 258-269 270-280 280 294

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Chapitre IV

Utilisation intertextuelle de l'imaginaire collectif

Premiere partie

Du syncretisme linguistique au syncretisme religieux a) Pour une communication magique

b) Religion et quotidiennete c) Religion et ideologie

Deuxieme partie

Le merveilleux de la realite sociale a) Un univers magico-symbolique

b) Le miroir du merveilleux c) Le symbolisme du sang d) Le symbolisme de la croix

Troisieme partie

Entre le rive et la realite

a) Un monde exterieur interiorise

b) Pour une echappee dans l'imaginaire

Quatrieme partie

Le theme de l'erotisme

a) Religion et erotisme

b) Le mythe de l'Apollon noir

Conclusion

Index des personnages Index des abreviations Bibliographie 295-312 312-318 318-327 327-341 342-345 345-352 352-357 358-368 368-373 373-380 381-387 388-402 403-412 413 414-428

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La litterature haitienne, essentiellement engagee des ses premieres manifestations qui remontent

a

l'Independance survenue en 1804 cc a pour but explicite de corriger la realite

sociale et materielle du pays )) 1

.

Reconnue en outre comrne

etant le « miroir de 1 '&me noire .. , cette litterature eminemrnent nationale s•est toujours assignee le rOle de rehabiliter la race. Ainsi, selon 1 • expression d I Aime Cesaire « Haiti est le pays oft la negritude se mit debout pour la premiere fois, et dit quI elle croyait en son humanite n2•

Une litterature de cette envergure se presente comrne un terrain de predilection pour degager la « socialite » 1 concept

que Claude Duchet definit cornrne « cette presence des oeuvres au monde »3, ou plutOt cette representation stylisee de la

realite sociale qui se decouvre « dans la specificite esthetique m~me, la dimension valeur des textes »4•

En traitant done le fait litteraire dans son rapport avec la realite sociale1 nous etayerons notre these dans un projet

original d • analyse systematique de la cc socialite ,, du roman

1

Ulrich Fleischmann, ~crivains et societe en Haiti, p. 5

2

Aime Cesaire1 Cahier d'un retour au pays natal, p. 67

3

Jacques Pelletier1 Le social et le litteraire, p. 239

4

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0

haitien l§manant d I ecrivains exill§s pendant 11 ere duvalieriste,

qui S 1etend de

1957 a 1986.

Dans le contexte rnarxiste et tiers-mondiste de l'l§poque, la critique sociale dl§passe le « rl§alisme objectif » des

romans anterieurs pour atteindre un « realisme socialiste » relevant d 1 une esthetique socio-historique qui assume la cause

des opprimes. Jean Metellus signale a cet effet que « le spectacle de la misere en Haiti » accule bien des « types sinceres a se forger une nouvelle vision des choses et faire un peu de politique pour plaider en faveur des plus demunis ,, 1•

Mais l'homme de lettres residant en Haiti fut toujours prive de sa liberte d'expression, c'est-a-dire invite

a

abdiquer sa responsabilite sociale. Cet ecart entre sa verite interieure et son temoignage inauthentique eut pour resul tante une vision impropre du monde ambiant. Comrne l'affirme avec pertinence Gerard Etienne : « tous les Haitiens impliques dans le travail litteraire reconnaissent que Haiti n'est pas un espace pour penser, un milieu propice a la production d'oeuvres litteraires » • 2

Jean Metellus, Jacmel au crepuscule, p. 118

2

Jean Jonassaint, Le pouvoir des mots, les maux du pouvoir,

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L'exil provoque en revanche ·la creation d'oeuvres litteraires parfaitement nationalistes. Nul doute que « pour des raisons politiques faciles

a

comprendre, elles n•en ont ete que plus profondement nationalistes » 1• Prenons en

exemples les Souvenirs de la maison des morts ( 1861) de Dostol.esvski et Une journee d • Ivan Denissovitch ( 1967) de Soljenitsyne. Dans ces romans, les auteurs relatent d'une maniere remarquable leurs experiences traumatisantes d'ecrivains exiles.

Les m8mes demarches se retrouvent dans certaines creations de Jean-Jacques Rousseau et de l'abbe Prevost, ce dernier ayant adopte fort

a

propos le pseudonyme

cc d I Exiles 11 • Songeons egalement aux productions de Miguel

de Unamuno, de Bessie Head ou de Mohammed Khair Eddine. Rappelons enfin les travaux de Berthold Brecht, Hermann Hesse, Stephan Zweig, Ernst Toller, Hermann Kesten, Arthur Koestler, Thomas, Heinrich et Klaus Mann, pour ne citer que ces ecrivains de langue allemande ayant fui le IIIe Reich.

Dans une demarche commune, des Hal.tiens exiles

a

Montreal, Paris, New York et ailleurs, formulent

a

leur tour une penetrante vision de l'histoire evenementielle et culturelle de leur pays, produisant ainsi des oeuvres romanesques d'une grande qualite litteraire.

1

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La dictature duvalieriste avait incite de nombreux intellectuels militants

a

aborder le genre romanesque. Anthony Phelps fait justement cette revelation : « reste en

Haiti. . . j e ne pen se pas que j 1 aurais aborde le roman

» 1•

Tout en prenant soin de specifier que le roman lui

« apparaissait comme la voie la plus appropriee pour le

temoignage quI il voulait apporter ,, , Gerard :G:tienne admet egalement ~tre cc venu

a

1' ecriture selon les circonstances socio-politiques des annees 1960 en Haiti »2•

Fa~onnee par la pensee revolutionnaire de l 1epoque, la

cc vision d' ensemble » des romanciers militants traduit, sans

conteste, la situation socio-historique qui la fit naitre. Leurs oeuvres remplissent

a

cet egard le rOle du roman, qui consiste en grande partie

a

representer la realite sociale dans une perspective historique en s'incarnant dans le reel pour le dissequer, le reinventer et le transcender

a

travers sa propre perception des choses et du monde.

Les romanciers exiles que nous allons etudier dans notre these : Jacques-Stephen Alexia, Marie Chauvet, Rene Depestre, Jean Metellus, Jean-Claude Charles, Anthony Phelps, Gerard Etienne, Emile Ollivier et Roger Dorsinville reproduisent sans

1 Jean Jonassaint Op. cite, p. 106 2

(17)

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craintes et avec lucidite leur propre vision de la societe haitienne sous la ferule de Fran~ois Duvalier, et ensuite sous celle de son fils Jean-Claude.

Ayant vecu brutalement la repression duvalieriste, ces romanciers developperent en terre etrangere une fixation sur l'espace originel. Cette obsession les for~a

a

conserver une identite profonde et partant, une approche haitienne de la vie et du monde. Ils releguerent leur vie sociale et surtout leur trauma dans leur for interieur, pour les e~terioriser ensuite dans 1' ecriture. Gr&ce

a

cette experience formatrice qui servit

a

dissimuler leur volonte d'engagement social, ils ne perdirent pas le sens des realites haitiennes. Favorisant la creation litteraire, l'exil leur permit en revanche de reinterpreter ces realites en evoquant dans des pages denonciatrices, un passe tree proche et combien present!

Nonobstant ce phenomene et sous pretexte qu'« un contact frequemment renouvele avec le milieu decrit lui para!t indispensable

a

la composition d' un roman u 1, Leon-Fran~ois

Hoffman semble exclure les romans de la· diaspora de 1' ere duvalieriste d' un art romanesque typiquement haitien. En depit de la floraison de ces romans 1 1' auteur fait cette

declaration : « Je ne vois pas de renouveau du roman haitien

1

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en perspective ..• ni parmi ceux qui sont restes au pays •.. ni parmi les jeunes en diaspora ,, 1•

Nous montrerons au contraire que le roman de 1' exil ameme l'auteur

a

une « veritable decouverte de soi, celle en somme

d'une nouvelle identite, vraiment conquise grAce

a

cet eloignement de la patrie, gr&ce

a

cet ecart,

a

cette distance plus riche et plus feconde que ne l'est peut-~tre la totale proximite ,,2

• La vision prismatique du reel decoulant de

cette redecouverte de soi s'impose comme l'expression psychique d' une intense relation avec le milieu originel. Vue sous cet angle, et a fortiori si elle derive d'une inspiration collective dans le cadre d'une recherche d'identite, la creation esthetique apparait comme la plus essentielle des affirmations humaines.

En vertu de l'ethique et de l'esthetisme cultives dans un univers semiologique inusite, les oeuvres retenues ci-dessous pour leur acuite socio-historique rev~tent selon nous un inter~t majeur.

Nous commencerons par etudier L'Espace d'un cillement de Jacques-Stephen Alexis, qui perdit la vie en 1961, au cours d'une tentative d'invasion visant

a

renverser le regime de

Ibid. I

2

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Fran~ois Duvalier. La production romanesque haYtienne connut un grand silence apres la mort tragique de cet ~crivain. Elle ne rena1t que sept ans plus tard, en 1968, avec la trilogie de Marie Chauvet, intitul~e Amour, Colere et Folie, que nous analyserons ~galement.

Nous interrogerons ensuite l'oeuvre romanesque des

~crivains r~fugi~s en France, soit Sainte-Derive des cochons, Manhattan Blues, Ferdinand j e suis

a

Paris, et Bamboula Bamboche de Jean-Claude Charles, ainsi que Jacmel au

cr~puscule et L'Ann~e Dessalines de Jean M~t~llus, sans oublier Le mAt de cocagne de Ren~ D~pestre.

Nous nous pencherons en outre sur la production romanesque des ecrivains installes au Canada, notamment : Moins l'infini, M~moire en colin-maillard et HaYtil HaYtil d'Anthony Phelps, de m~me que Le negre crucifie et Un ambassadeur-macoute

a

Montreal de Gerard ~tienne, sans omettre Paysage de l'aveugle et Mere-Solitude d'Emile Ollivier.

Nous terminerons notre etude en nous interessant au roman Mourir pour HaYti de Roger Dorsinville qui, pour sa part, demeura en Afrique durant le regne de Fran~ois et de Jean-Claude Duvalier.

Les aspirations communes de ces romanciers disperses conferent

a

leurs oeuvres un caractere collectif. Les

(20)

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structures thematiques reunissent, entre autres, lea traits obsedants de l'exil spatial et de l'exil linguistique, de la liberte et de la revolution, de !'oppression et de la resignation, de la religion et de la mort. Illustrant lea conflits entre le pouvoir dictatorial et lea hommes de lettres en quete d'ideal et de liberte, les themes traites refletent lea tendances opposees des classes antagonistes et partant, les apories de la societe haltienne.

Dane une contradiction qui sied bien a Haiti, nos romanciers con~urent leur mission dans l'optique preconisee par Fran~ois Duvalier, qui proclama lui-m8me avant son accession au pouvoir que « le romancier n•est vraiment qu'un

temoin dont la deposition doit rivaliser de precision et de certitude avec celle de l'historien »1•

L'enjeu principal de notre etude consistera a rechercher la signification du temoignage litteraire historiquement socialise. Trouvant explicitement sa source dans le contexte socio-historique, le roman de l'exil, constituant un modele d'analyse et de synthese de la realite sociale, remplit « la

mission historique assignee

a

la litterature »2, selon les

normes posees par Georges Luckas durant une partie de son exil politique.

1

Dieudonne Fardin, Cours d'histoire de la litterature haltienne, tome III, p. 71

2

(21)

En • historicisant » et en « dialectisant ,, 1 'art

romanesque dans la perspective d'un developpement revolutionnaire, les normes luckasiennes se rattachent a l'esthetique marxiste de la critique du social, qui oeuvre pour « transformer le monde » • 1 CelleS-ci preconisent la formation d • une societe communiste qui revendique, d • apres Lucien Goldmann « la destructuration d'une structure ancienne

et la structuration d'une structure nouvelle »2•

En plus de rappeler la tradition heroique d'Haiti, de revendiquer un monde rneilleur et de ternoigner historiquement de la periode duvalieriste, le roman de l'exil consacre selon les normes susdites, un realisrne critique et objectif, social et dynamique, et de surcroi.t, rnerveilleux et symbolique. L'illustration de ces normes provoque une telle dissonance entre la realite et son systerne de representation que la socialite y appara!t cornrne une production d'ideologies.

La socialite institue des lors un aspect tellement primordial du discours, que « la sociocritique » elle-rnlrneJ

science qui analyse le discours social litterarise « voudrait se definir cornrne une poetique de la socialite, inseparable

1

Jacques-Stephen Alexia, "Le realisrne rnerveilleux des haltiens", p. 247

2

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t

d'une lecture de l'ideologique dans sa specificite textuelle ,, 1•

Comme 1 • art romanesque de la diaspora transpose les conflits d'une ideologie, en interpretant la realite du point de vue de sa signification,historico-sociale, nous adopterons une analyse sociologique qui considere la socialite comme l'objet propre au genre romanesque. Notre etude sociale du fait litteraire exploitera

a

cet effet la sociologie du roman de Lucien Goldmann, dans la mesure ou 1' auteur donna

a

la sociocritique son fil directeur et s'inspira du postulat de Georges Luckas qui voit dans cc la forme romanesque le reflet

d'un monde disloque »2•

De m&me, en montrant que « le roman, identifie par ses

signee les plus concrete, est un acte de socialite; il institue la litterature »3, nous interrogerons la sociologie

de la lecture pour identifier les conflits inherents a l'approche communicative de nos romanciers. Nous eclairerons par cela m&me les phenomenes socio-culturels sous-jacents

a

cette approche.

1

Jacques Pelletier, Op. cite, p. 49

2

Georges Luckas, La theorie du roman, p. 156

3

(23)

Toutefois, nous ne pourrons ni donner une interpretation adequate de l'oeuvre et de sa lecture, ni confirmer que

« toute culture se definit comme un systeme de communication,

sans etablir « la primaute des phenomen~s semiologiques » 1 dans !'art romanesque. L'objet de nos recherches consistera

a

faire ressortir ce « regne du semiologique sur le

romanesque »2 en montrant que la valeur d'une oeuvre refletant une situation sociale donnee reside par essence meme dans son esthetisation.

Afin de situer le roman de la diaspora dans son contexte discursif et historique, nous favoriserons naturellement la semiologie, science qui replace « les signes dans les systemes auxquels ils appartiennent n3, ou plus exactement dans leur

milieu social originel. Cette scienc•, qui etudie les fonctions du langage dans la vie sociale, ou plutot

« !'ensemble des systemes de communication fondes sur

1' arbitraire du signe • 4 I nous fournit

d'interpreter les signes correctement n5•

Pierre Guiraud, La semiologie, p. 27

2

Michel zeraffa, Roman et Societe, p. 117

3

Jeanne Martinet, La semiologie, p. 105

« le seul moyen

4

Marc Angenot, Glossaire pratique de la critique contemporaine, p. 179

5

(24)

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c

Dans la mesure ou les effets· particuliers de

« l'arbitraire du signe »constituent« !'ideal semiologique»1

sur lequel repose la codification de 1' oeuvre, et consequemment sa socialite, nous interrogerons « la fonction

referentielle )) qui interprete la realite en la codifiant, et

« la fonction emotive » qui traduit « les relations entre le

message et le recepteur »2• Nous mettrons aussi a profit « la fonction esthetique definie par Roman Jakobson comme la relation entre le message et lui-m~me », et « la fonction metalinguistique )) qui explique les referents hal.tiens en clarifiant le « sens des signes non compris du recepteur »3•

Notre plan de travail verifiera comme suit !'application de nos theories. Nous retracerons le cheminement de l'auteur du social au litteraire, en commengant par situer dans le premier chapitre les origines du roman de 1 'exil. En soutenant que l'ideologie du romancier procede de son inadaptation au monde devalorise presente par Lucien Goldmann, nous decrirons ensuite les decors spatiaux d'apres le determinisme socio-historique de Georges Luckas. Selon la pensee historienne de ce dernier, l'individu, confronte

a

la societe et a 1 • histoire porte en lui le poids de toute la condition humaine.

1 Ibid., p. 99

2 Pierre Guiraud, Op. cite, p.

10 3 Ibid.,

(25)

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c

0

En constatant que le roman est lie

a

la realite socio-historique dont le champ romanesque de 1 • exil propose une interpretation, nous decouvrirons que la Perle des Antilles s • est transformee en un espace solitaire allant

a

contre-courant de sa propre histoire : elle s'eloignait ainsi de son passe epique.

Ceci nous amenera dans le second chapitre

a

exposer une relation extr~mement compliquee entre le romancier haitien et son public. En transposant son ideologie dans ses ecrits, l'auteur tente d'atteindre un public qui refuse de se sensibiliser

a

son oeuvre. De plus, en examinant les rapports entre la societe et la creation litteraire, nous deboucherons sur une histoire nationale personnalisee, dans laquelle

s•entrem~lent etroitement l'histoire nationale et l'histoire individuelle.

Nous verrons d • ailleurs que vehicule sous un aspect reflexif, le discours social litterarise met en relief 1. ethique revolutionnaire du romancier

a

travers son processus d'esthetisation. Ce discours apparait comme un instrument de conscientisation favorisant une « ideologie du collectif ».

Dans le troisieme chapitre, nous poursuivrons notre investigation socio-politique, en soutenant que nos romanciers

(26)

c

instaurent un langage revelateur non seulement de leur moi profond mais aussi de l'inconscient collectif du peuple haitien. Tout en traduisant les reali tes haitiennes dans 11

esthetique d1emprunt de la langue fran~aise, ils codifient

une poli tique de la langue li tteraire

a

la lumi~re d 1 une

recherche d1

identite. Ils cultivent ainsi un langage

fonci~rement code, qui met en valeur la fecondite du concept de connotation.

No us prouverons ensui te que les romanciers de 1' exil

SI erigent en emetteurs de signes dans le but ultime de

transmuer l'ecriture en un vehicule d1invention, dans lequel

strategies textuelles, procedes d1

intervention et modes d'expression S 1

accordent pour haitianiser la langue de Voltaire. Nous montrerons en outre que cette generation litteraire exploite les normes esthetiques du creole par 11 entremise de 1 • arbitraire du eigne, a fin d • aboutir

a

la

reussite litteraire du signifiant par le biais du signifie local.

Au cours du quatri~me chapitre, nous decouvrirons que !'operation connotative articule le texte sur un fond typiquement haitien dans lequel le vaudou et le merveilleux de la realite sociale enchev~trent espaces cc reels >> et

espaces cc mystiques n pour edifier 11 univers magico-symbolique

(27)

c

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appara1t comme un « mythe historialise »1, nous decrypterons

ensuite le discours vodouesque en inscrivant l'ethique revolutionnaire du romancier et son processus d'esthetisation dans la logique du merveilleux. Ce dernier, par le fusionnement du r~ve et de la realite, restitue

a

la lumiere les zones laissees dans l'ombre par le vocabulaire courant du

fran~ais normatif.

Ace point de notre these, nous affirmerons qu•en mettant en relief codes, themes, mythes, images et symboles typiquement haYtiens, la structure de lanqnge edifiee par nos auteurs se retrouve en osmose avec le langage social quotidien. Cette structure n • interprete-t-elle pas de maniere appropriee, la fa~on de penser et de parler de l'HaYtien?

En conclusion, nous constaterons que la disparition du regime duvalieriste contre lequel les romanciers de l'exil s•etaient ligues, continue

a

exacerber de dechirantes contradictions sociales. Nous examinerons egalement dans quelle mesure le roman de l'exil, qui aspire

a

~tre

a

la fois

« elitiste » et « collectiviste » reconcilie l'auteur avec

lui-m~me et avec l'action revolutionnaire.

Nous questionnerons ensuite la place de nos romanciers dans le monde francophone ou ils se sont refugies. Pour l'ecrivain exile et colonise de race noire, qui allie dans son

1 Michel Zeraffa, Roman et Societe, p. 101

(28)

c

c

oeuvre francite et negrite, le probleme de l'identite culturelle peut se poser

a

son paroxysme.

Nul doute que pour ces romanciers bannis du sol natal

« l'exil reste dynamique ». N'implique-t-il pas « l'espoir

du changement, du retour ou de l'utopie »1 dans le cadre d'une recherche d'identite? Continuant

a

nous inspirer du reel et de l'actuel, nous nous demanderons pour finir, si dans la premiere republique noire du nouveau monde, la democratie, telle qu'envisagee par lea romanciers de l'exil, n'est qu•une utopie.

(29)

c

Chapitre I

Le duvalierisae comme cadre romanesque

(30)

c

c

un

Espace devalorise

a) Du social au litteraire

La socialite appara!t dans le roman de l'exil comme un concept transforme en theme litteraire, qui metamorphose en objet ethique et esthetique une question sociale dont elle fait le proces verbal. Ainsi, les romanciers exiles exteriorisent en terre etrangere le mal de vivre qui les rongeait en Haiti en epousant dans 1' oeuvre litteraire la cause du peuple duquel ils ont ete separes. Dans leur volonte de denonciation ou d' engagement socio-politique, ils expriment le mecontentement social du a la situation politique du pays, en se livrant a une veritable etude clinique de la societe et de l'!me haitiennes.

A 1' ins tar de Georges Luckas I pour qui le (( heros a

problemes » peut exprimer toute la condition humaine, les

ecrivains de la diaspora instituent le roman en modele d'analyse et de synthese de la realite sociale. Par le biais du realisme socialiste qui donne

a

1' auteur 1' occasion de projeter son ideologie et sa vision du monde, la socialite se manifeste comme l'objet propre a l'art romanesque. Confiant a celui-ci une fonction culturelle, politique et socio-litteraire bien specifique, nos romanciers mettent en lumiere

(31)

c

les apories de la societe haYtienne dans le cadre du determinisme socio-historique prone par LuckAs.

Indiquant le cheminement de l'auteur du social au litteraire, le roman de 1' exil rend compte de la realite sociale en reproduisant un monde ebranle par les bouleversements sociaux, resultats de 1 'installation d' un nouveau pouvoir. Comme en temoigne Roger Dorsinville dans une entrevue accordee

a

Jean Jonassaint : « tout l'acquis ancien, tout l'acquis historique, tout l'acquis institutionnel, constitutionnel, civique » s•est retrouve « broye, malaxe

et tr i tu re dans une sorte d' infamie ,, 1•

Dans le roman de la diaspora, !'action se deroule dans un espace degrade ou en terre d'exil. L'auteur presente le personnage A problemes qui met en parallele son univers de valeurs et le denigrement des valeurs sociales. Le heros se livre done A une critique sociale en interrogeant sa conscience et celle des autres. Cette vision dialectique de la vie en HaYti constitue le noyau central du roman de l'exil.

Le roman de l'exil s•est constitue A partir d'une prise de conscience par 1 'honone de lettres de la contradiction entre la realite sociale et sa verite interieure. En essayant de resoudre ce conflit, le heros romanesque devient un personnage

1

Jean Jonassaint, Le pouvoir des mots, les maux du pouvoir, p. 24

(32)

c

c

problematique qui exprime son tourment par le biais d I un systeme d • idees dont la sincerite sI oppose aux artifices d • une societe qui bafoue la vie humaine.

Confrontes

a

cet univers disloque dont les anciennes valeurs n I assurent plus la coherence, ces « types sinceres ,, qui selon Jean Metellus s I averent non « pas des revolutionnaires, mais des revoltes »1 refusent de s'adapter

a

la nouvelle quotidiennete. c~est qu1

ils sont devenus « une conscience malheureuse »2, pour emprunter les termes de Roland

Barthes. Leur inadaptation se manifeste par une sensation de «malaise ». Selon Claire Clamont, la « malaisee » du roman Amour de Marie Chauvet, ils ne s'en liberent qu'en s'adonnant

a

« la noble tAche ,,3 de traduire la realite sociale dans l'art litteraire. Conditionnee par sa soeiete problematique, Claire en etait devenue la victime. Mais prenant conscience d1

elle-meme en redigeant son journal intime, elle fait de son oeuvre le signifiant de la realite et exprime bien son epoque

a

travers son univers interieur.

A 1' ins tar de Marie Chauvet, les autres romanciers exiles utilisent leurs personnages comme le support d'un developpement ideologique. Pour traduire les frustrations de

1

Jean Metellus, Jacmel au crepuscule, p. 118

2

Roland Barthes, Le degre zero de l'ecri~re, p. 9.

3 Marie Chauvet, Amour, p.

(33)

c

c

l'elite intellectuelle face

a

la faillite des valeurs traditionnelles, ils developpent dans l'encha!nement de destins fictifs une ecriture qui s'impose comme le lieu d'une insertion socio-historique. Par le biais d • une veritable

enqu~te socio-politique, ils expriment les causes profondes du malaise social et partant, la sensation de « malaise » qui feconde leur narration et leur style, en mettant en relief des

~tres tourmentes ou des personnages problematiques qui dissequent la realite sociale en ecrivant. L'ecriture est devenue la cc Maladie endemique d' une jeunesse mecontente,

embrassant desesperement la beaute » 1 dans une atmosphere devalorisee.

Le « personnage problematique » que Lucien Goldmann

identifie dans la societe europeenne de la premiere moitie de notre siecle2, se presente justement comme le produit d'un

« univers devalorise •· Le heros problematique se sent par consequent « mal

a

l'aise » dans ce milieu dont l'echelle de valeurs s'est considerablement rabaissee. En reproduisant cette nouvelle realite sociale, 1' art romanesque devient l'expression d'un monde disloque dans lequel l'honn~te homme se retrouve « mal A l'aise ».

1

Marie Chauvet, Folie, p. 341

(34)

c

c

Adoptant

a

cet egard la terminologie de Lucien Goldmann, Anthony Phelps declare que la capitale d'HaYti s'est transformee sous l'ere duvalieriste, en une ville de • Pores et Crimes », en une « Ville ou tout est defigure, ou les valeurs sont avilies )) 1

.

Alors que Rene Depestre illustre la decheance progressive de la capitale en une • ville empestee , , en << Port-au-Roi du

desespoir ,2, Gerard Etienne la depeint enveloppee « d • une

nappe noire de la terreur »3• Emile Ollivier, pour sa part,

la traite de « Trou-aux-Crimes ,, , de « Ville de sang et

d'ordures! » • 4 N'avance-t-il pas que l'ere « de la catastrophe , a commence avec le «grand evenement de 1957 » qui a transforme le pays en un « immense royaume de la destruction et de la mort ,,s?

Cette generation litteraire reconnatt avec Anthony Phelps, que depuis les elections « du 22 septembre 1957 »

ayant place au pouvoir le • Savant Docteur » Fran~ois

Duvalier, les HaYtlens se sont mls

a

vivre « l'epoque de la

1

Anthony Phelps, Memoire en colin-maillard, p. 32

2

Rene Depestre, Le mat de cocaqne, p. 158

3

Gerard Etlenne, Le negre crucifie, p. 100

4

Emile Ollivier, Mere-Solitude, p. 103

5

(35)

c

c

grande noirceur »1• D'apres l'auteur « jamais le pays n'a connu tant d'horreur »2•

Le heros problematique moule par la societe haYtienne SI expose evidemment

a

beaucoup plus de defis que celui de Lucien Goldmann. Le heros haYtien de cette epoque problematique apparatt comme un etre profondement trouble. D'autant qu'il a dft affronter toute sa vie !'alienation d'un peuple qui ne dispose plus de la moindre parcelle de liberte, comme fondement meme du devoir et de la morale.

Aussi, Isidore Barthoux, le poete malaise du roman Jacmel au crepuscule de Jean Metellus, qui voit des obstacles insurmontables se dresser devant lui, alors qu'il defend la cause des parias, accuse-t-il formellement « cette societe pourrie , de 1' avoir • rendu malade »3• Sa lutte pour la

liberation dU peuple Semble helaS VOUee

a

1 1

echeC 1 Car il

existe un fosse infranchissable entre ses aspirations et celles de son entourage qui meprise le peuple tout en l'exploitant.

1

Anthony Phelps, Moins l'infini, p. 152

2

Ibid. I p. 17

(36)

c

0

Empruntant

a

son tour la maxime de Lucien Goldmann, Tambour, un des nombreux proletaires de L'Annee DesiAlines, reconna1t qu'il « se sentait mal

a

l'aise »1 parce que le

cc pays tout entier est amer »2• Quant

a

Hortense Morelli dans

Mere-Solitude, elle eprouve une sensation de « mal.tu.se • » 3 insoutenable

a

force de vivre en solitaire dans une societe dont elle rejette les valeurs.

Dans Folie de Marie Chauvet, Rene de son cOte utilise plus d • une fois, le precepte de Lucien Goldmann. A sa question : « Quand ai-je vraiment commence

a

me sentir mal

a

l'aise »4, il repond : « depuis que les diables ant as1iege la

ville

,s.

Cette constatation etablit la cause et 1 • oriqine de son malaise.

Dans le roman CoH!re du m~me auteur, Louis Normil devient egalement « mal

a

1 'aise ,,6 lorsque les « b(1;flll[leS en noir » et les « mendiants armes » envahissent ses pr~rietes terriennes. Symbolisant les « macoutes armes » de 13 milice

1 Jean Metellus, L'Annee Dessalines, p. 164

2

Ibid. I p 91 3

Emile Ollivier, Mere-Solitude, p. 195

4 Marie Chauvet, Folie, p. 340

5

Ibid., p. 337

(37)

c

c

duvalieriste, les mendiants reviennent comme un leitmotiv dans l'univers romanesque de Chauvet.

A l'instar de Marie Chauvet ou de Gerard Etienne qui, lui, assimile plus d'une fois, les Haitiens

a

un « peuple de mendiants »1, les romanciers de la diaspora dressent un acte

d'accusation contre la bourgeoisie qui ne reagit pas. Ils cherchent

a

reveiller la conscience sociale d'un peuple, qui en plus d'avoir toujours affronte des problemes de race, de classe, de culture, d'epiderme, d'analphabetisme et de formes alienantes de religiosite, perd

a

present son Ame et vacille sur ses fondements. Comme l'affirme Louis Normil en exprimant l'illogicite des rapports sociaux : « le mal s'est abattu sur nous »2!

Or, en vertu de la tendance marxisante de nos romanciers, pour 8tre soi-m8me, et pour posseder pleinement son identite, il faut commencer par assumer sa culture et par affirmer son existence sociale. On ne saurait alors s'etonner que le « heros

a

problemes » du roman de l'exil : (( cherche desesperement son identite dans un regime qui humilie atrocement des millions de compatriotes >>3•

1

Gerard Etienne, Le negre crucifie, pages 34 et 114

2

Ibid. I 192

3

(38)

c

Les heros problematiques se livrent en !'occurrence A un examen de conscience au cours duquel ils reconnaissent leur culpabilite sociale. Parvenus

a

une prise de conscience, ces representants de la bourgeoisie qui tentent de reveiller leurs concitoyens endormis se reprochent d'avoir contribue A maintenir la masse dans la misere en perpetuant !'heritage de

la societe coloniale. Temoigne de .cela cette autre constatation de Louis Normil : a peut-etre avons-nous trop

longtemps vecu tranquilles et insouciants parmi les larmes et les lamentations des autres. Accepter le crime meme sans y

participer est en lui-meme criminal »1•

En illustrant la contradiction entre les valeurs du heros problematique et celles d'une societe essentiellement materialiste comme la bourgeoisie haitienne, nos romanciers mettent largement A profit le theme de la lutte des classes. Celle-ci constitue justement le noyau central du realisme socialiste qui releve pour sa part d'une esthetique socio-historique.

Autant reconna1tre que la charpente sociale n • a pas vraiment change depuis l'epoque coloniale ou la seule utilite de la masse, son unique valeur residaient dans sa capacite de travail. Bien que les classes dirigeantes, soit les noirs et les mu14tres, n'aient jamais vecu en bonne intelligence, un

1

(39)

c

certain equilibre s•etait depuis toujours etabli entre elles pour maintenir la masse populaire

a

sa place.

Il existe en effet un profond antagonisme entre les « deux peuples » qui cohabitent Haiti, c•est-a-dire entre la masse et la bourgeoisie. :En souligna.nt les causes profondes des antagonismes sociaux, Jacques-Stephen Alexis declare :

« 1' elite haltienne de nom n • avait rien en commun avec le peuple haltien, les gens humbles •.. cette elite etait proprement une colonie de negres dores, qui vivaient en exil sur la terre d • Haiti • 1•

Rien d'etonnant alors que dans Un ambassadeur-macoute a Montreal, un capitaliste blanc oppose « les barbares dechatnes et lubriques et les jeunes seigneurs

a

la peau noire 112• Les premiers s 'averent cependant le veritable

depositaire de la culture haltienne, d'origine africaine.

Neanmoins, pauvre et isole, opprime par ses prop res freres, en grande partie ignore pendant toute son histoire, particulierement durant les trois dernieres decennies sous le regime des Duvalier, le paysan demeure un citoyen de second ordre. Au lieu de 1' elever

a

une certaine dignite, les classes dirigeantes le meprisent et le ridiculisent en se

Rene Depestre, Pour la revolution, Pour la poesie, p. 61

2

(40)

c

c

0

moquant de sa fa~on de raisonner, de son habitus corporel et de son parler.

Tandis que Roger Dorsinville professe que les habitudes neo-coloniales de la bourgeoisie ne l'avaient point prepare a la commotion sociale provoquee par la dictature duvalieriste, Jean Metellus soutient que le systeme neo-colonial a trace irremediablement le chemin au duvalierisme. Marie Chauvet reconcilie ces deux tendances en insistant sur le penible endeuillement des Haitiens par !'intrusion des

« hommes en noir » et de leur « Chef »1 ou plutOt de Fran~ois

Duvalier et des « tontons-macoutes » dans la vie de tout un

chacun.

Cette intrusion qui s'est etendue a la fois dans l'espace et dans les cerveaux a entraine la devalorisation du milieu. Celle-ci a provoque une lutte entre les bourgeois socialement alienee et non-conscients et les artistes en qu&te d'ideal et d'identite. Alors que ceux-ci, dont la vie interieure est riche, authentique et liberatrice, se transforment en personnages problematiques en qu@te de valeurs authentiques dans une societe inauthentique, la bourgeoisie et une bonne partie du proletariat ne pensent qu'a grimper dans l'echelle sociale. Ils atteignent ainsi le summum de l'inauthenticite qui caracterise une societe devalorisee. Leur ambition et leur individualisme deviennent

(41)

c

c

plus que jamais le fil conducteur d' une existence et d • un appareil de conventions faits d'artifices et de mensonges.

Les bourgeois, ces gens du r6el, sont

a

juste titre assimiles

a

des comedians ou

a

des !tres inauthentiques. Ce fait a m8me ete etabli par un etranger, Graham Greene et par des HaYtiens, Pierre et Philippe Thoby-Marcelin, qui ont intitule respectivement leurs romans portant sur cette periode : Les Comedians et Tous les hommes sont fous.

Ce th~me ressort egalement dans L'Espace d'un cillement. Dans ce roman, Jacques-Stephen Alexis participe

a

la fois :

« au drame et

a

la comedie de chacun »1, c'est-a-dire au drame

du proletaire, et

a

la comedie du bourgeois. Tandis que ce dernier n'en finit pas de porter un masque, son compatriote demuni vit le drame poignant d •une misere endemique. De m!me, dans Amour de Marie Chauvet, Henri Clamont traite ses serviteurs et cultivateurs en esclaves, tandis que les autres grands bourgeois « s•exer~aient

a

tromper Dieu lui-m@me »2•

Afin d'!tre en mesure de mieux les denoncer, Claire se

« cache sans cesse derriere un masque »3•

1

Jacques-Stephen Alexia, L'Espace d'un cillement, p. 57

2

Marie Chauvet, Amour, p. 27

3

(42)

Dans cette societe ou l'on ne dissocie pas toujours le reel de l'irreel, le fameux « Je est un Autre »1 d'Arthur Rimbaud peut etre compris dans son sens propre: l'HaYtien se prend definitivement pour un autre. Dans ce milieu ou le bourgeois comedien a la faculte de Re • composer un personnage mysterieux, personne ne se definit tel qu' i l

para1t u2• Comme on le constate dans maints romans de 1' exil,

il est difficile d'etre franc et de demeurer egal

a

soi-rneme dans un monde ou l'art de la dissimulation est institutionnalise.

De la meme fa~on, Emile Ollivier fait ressortir qu•ayant tra1ne avec eux leur mentalite etriquee et leurs prejuges sociaux, nombre d'HaYtiens etablis

a

Montreal « vivent dans le spectacle.

imaginaires » 3!

Ils brftlent leur vie, dans des decors Se referant egalement

a

la bourgeoisie haYtienne qui a transporte

a

Montreal ses idees re~ues,

Gerard Etienne confesse « une chose est certaine, je vivrais dans un milieu comme Montreal, et durant une reunion de confreres je lirais deux ou trois extraits de rnes romans,

je suis persuade que je subirais des pressions pour ne pas les publier; pour une raison bien simple, c • est que nous

1

Lettres du 13 et du 15 rnai (dites Lettres du Voyant), l'une

a

Izarnbard, !'autre

a

Demeny.

2

Roger Dorsinville, Mourir pour HaYti, p. 27

3

(43)

c

c

vivons avec des masques : il y a une verite que l'Haitien refuse de dire, et sur lui-m&me, et sur son milieu »1•

« Le negre masque »2 decrit par nos romanciers prend cependant sa comedie tres au serieux. Etant donne qu • il refoule son &tre profond, il la prend m&me pour sa realite. A ce sujet, Roger Dorsinville avoue : « parfois lea gens se second personnage, le faux, ay ant mettent

a

vivre le

oublie le premier »3• Dans ce theAtre de la vie ou le monde

concret apparait comme la scene d'une lutte de classes, le comedien s•est tellement identifie au personnage incarne qu' il n' arrive plus A enlever son masque. Se profilant derriere ce dernier afin de jouer le personnage auquel il s•est identifie, il est devenu l'image representee.

Le theme du masque revient sans relAche dans la trilogie de Marie Chauvet, Amour, Colere et Folie. L'auteur affirme d'ailleurs : « i l n' y a que les mendiants qui ne soient pas masques ))4• Ne les assimile-t-elle pas aux serviteurs du regime? Elle precise cependant que le personnage problematique de Paul Normil est un « idealiste •• n • ayant

1

Jean Jonassaint, Op. cite, p. 65

2 Titre d'un roman de Stephen Alexia 3

Roger Dorsinville, Op. cite, p. 27 4 Marie Chauvet, Colere, p. 269

(44)

0

0

« rien d • un comedian ,, . Il se retrouve done « desarme devant

le jeu tragique des evenements » 1 qui le force

a

prendre position et

a

exposer son systeme d'idees.

A contrario, Rose Normil, la jeune soeur de Paul, apparatt comme une comedienne accomplie qui « joue

consciemment le jeu »2• Ne fait-elle pas cc courageusement

face aux exigences du monde dans lequel elle vit »3? Elle tente m@me de se persuader qu'apres s'@tre prostituee avec le Gorille, elle recommencera

a

vivre normalement. Mais ayant perdu toute estime de soi, elle succombe sous le poids de la souillure, de la decheance et du desespoir.

Que dire de Maud, autre personnage du roman, qui se cache « sous ses nombreux deguisements 114? Elle joue ainsi

des cc roles qui lui plaisaient sans jamais se livrer »5, m@me

pas

a

son amant Louis Normil qui porte lui aussi un « beau masque ». Au point que son fils Paul se demande ce qui :

« vit derriere ce masque impassible »6• Par contre, Rose

mesure bien la duplicite de son pere.

1

Ibid. I p. 287

2 Maximilien Laroche, De la decouverte de l'Amerigue par lea

Americains, p. 223

3 Ibid;

4 Marie Chauvet, Colere, p. 231

5

Ibid. I p. 2 41

6

(45)

c

0

S • 6vertuant

a

camoufler leurs vrais sentiments, les personnages probl6matiques de la trilogie vivent intens6ment derriere leurs masques. L • auteur re lie ainsi le theme du masque

a

celui de la solitude morale derriere laquelle se sont retranch6s ces personnages. Cette d6claration de Rose Normil est tout

a

fait explicite : « nous nous ressemblons tous mais nous jouons

a

nous cacher des·autres de maniere diff6rente u 1•

Nos romanciers s•exercent cependant

a

arracher les masques de leurs compatriotes pour les mettre en pr6sence de leur historicit6 et de leur r6alit6 profonde. Pour y arriver, ils font 6voluer sous nos yeux des silhouettes pr6cises, caract6ristiques du milieu et d6positaires des id6es re9ues. Par le truchement de l'histoire des mentalit6s hal.tiennes 1 ils restituent parfois en gros plan mais dans

toute sa nudit6 la b~tise raciale incarn6e dans les structures sociales, culturelles1 politiques et religieuses.

Dane ce milieu « ou tous vivent de mythes, ou chacun porte un masque u2, la bourgeoisie a malheureusement

1 Ibid.

I p. 290

2

(46)

« tendance

a

se concevoir autrement qu' elle n • est dans sa realite constitutive •1• Cette force assimilante que Jean

Price-Mars designe sous le nom de cc bovarysme collectif » aboutit

a

une deviation de la personnalite haYtienne. Dans ce contexte, on peut redonner au terme bovarysme son acception initiale de • mensonge romanesque ».

Cette depersonnalisation culmine en une perte de soi qui engendre une meconnaissance de soi et partant, un pro fond desequilibre moral. Ceci se traduit

a

la longue par une alienation sociale et raciale, politique et culturelle, linguistique et spirituelle.

Pour qui se penche sur leur etat d'esprit collectif, les HaYtiens se revelent un peuple profondement mystifie. Ils sont encore victimes d'une culture qui a cherche

a

annihiler la leur, puisqu•on leur inflige aujourd'hui encore une education en grande partie fran~aise. Selon Jean Metellus

« l'identite m~me de l'HaYtien est menacee parce que l'ecole

ne lui apprend pas beaucoup sur lui-m~me ,,2•

Pour pallier cette lacune, l'auteur suggere d'adapter !'education au milieu, d'enseigner au peuple le sens de son histoire, de le familiariser avec la culture africaine et de

1

Jean Price-Mars, Ainsi Parla l'Oncle, p. 44

2

(47)

0

c

ne point privilegier l'heredite fran~aise par rapport A 1' heritage africain, quantitativement superieur. Pendant longtemps, l'enseignement de la litterature fran~aise n•a pas laisse de place A celui de la litterature haitienne. Cette derniere n'est apparue dans le curriculum des ecoles secondaires qu•A partir de 1959, et ce, sous !'influence de l'ideologie du noirisme prOnee par Fran~ois Duvalier.

L'oeuvre de mystification entreprise par le colon

fran~ais, perpetuee par 1 • atmosphere neo-coloniale demeure done vi vace. Des romanciers comme Jean Metellus, Gerard Etienne, Marie Chauvet et Emile Ollivier ont bien montre le colonise, qui, ne pouvant parvenir A une prise de conscience, n' en finit pas de singer le colonisateur, son dominateur. N'est-ce pas justement ce qui caracterise une culture colonisee?

La situation en Haiti se revele toutefois plus complexe, car comme nous aurons !'occasion de le demontrer, les relations avec l'ancienne metropole sont demeurees ambivalentes. Pour souligner que son compatriote « fait

souvent tout ce qui est possible, meme 1' inconcevable et 1' inimaginable pour ressembler au Blanc )) 1 I Jean Metellus

n'hesite pas A remonter A la source de !'assimilation culturelle : « depuis 1806 ils ont tous voulu singer

1

(48)

c

l'Europe »1• Ils rejettent ainsi leur nouveau milieu ambiant.

Rien d'etonnant alors que dans Un ambassadeur-macoute a Montreal, un capitaliste juif soit porte a constater : « il y a entre les Negres de bien et nous une sorte de

complicite »2• Profitant pour denoncer l'attachement maladif

des HaYtiens

a

la culture fran~aise, 1 'auteur presente un ambassadeur haYtien en train d'imiter les moeurs de 1 • ancienne metropole. En bref, Gerard Etienne decrit la capitale devalorisee d'Haiti comme une « ville qui se veut citadelle de la Culture de France et qui dort dans la crasse et dans la bassesse »3•

Cette culture dominae par une culture etrangere dans son propre pays devient

a

son tour une culture qui se veut dominante. El le tend alors

a

renier ses propres valeurs hereditaires, c•est-a-dire son folklore, sa musique, sa danse, etc. Dans Jacmel au crepuscule, Jean Metellus nous apprend que la bourgeoisie meprise la danse venue « tout

droit d • Afrique »4• Il precise neanmoins que celle-ci s • avere

1' apanage du bas peuple, le lot du << monde des

1

Ibid. I

2

Gerard Etienne, Un ambassadeur-macoute

a

Montreal, p. 194

3

Gerard Etienne, Le neqre crucifie, p. 123

4

(49)

c

analphab~tes lt • 1

C'est un tel comportement que l'essayiste Albert Memmi qualifie de « derision ». Dans son essai intitule Portrait du colonise, 1 'auteur presente le colonise comme un @tre mystifie qui cc tente soit de devenir 1' autre, soit de

reconquerir toutes ses dimensions dont l'a ampute la colonisation »2• Toutefois, comme nous le demontrerons plus

loin au sujet du noirisme duvalieriste, des effets non moins nefastes peuvent decouler d'une telle reconqu@te.

« Le malheur •, observe Jean Metellus en analysant les

causes de ce rejet de soi engendre par !'alienation culturelle : « c'est que nous ignorons tout de nous. Et nous nous jetons dans la gueule d'autrui. Tout se passe comme si l'HaYtien avait peur de lui-m~me et de ses racines »3• Eu

egard

a

son implication dans les intrigues et

a

l'instabilite de la vie sociale, « l'elite cultivee » de Jacmel au

crepuscule organise des soirees « intellectuelles » pour parler politique et pour socialiser.

1

Ibid. I

2

Albert Memmi, Portrait du colonise, p. 156

3

(50)

0

c

Repudiant avec un naturel deroutant son moi le plus profond, cette "elite" cc examine le phenomene Pisquette » 1,

ou plutOt le cas d' un homme de peine qui gagne une somme considerable A la loterie. Contrairement

a

toutes lea attentes, il epouse Marie-Therese Cardinus, une jeune fille noire de modeste ascendance sociale, au lieu de Jocelyne Boreol, une mul&tresse cc au profil grec »2 de la cc bonne societe ».

Donnant alors libre cours a leurs prejuges sociaux qui se manifestent essentiellement par la « blancomanie » et « l'africophobie », ces « hommes cultives » considerent que seul un cc vaurien » agirait de la sorte. Ils lui tiennent surtout rigueur d'&tre reste dans son propre milieu social, ou plutOt parmi lea cc creatures de rien du tout » dont il est issu, comme d'ailleurs la plupart d'entre eux. Mais en bona Haiti ens, ils avaient « change de milieu ,, . Comme 11 explique

fort

a

propos 1' eminent Ma.ttre Barthoux « c I est

idiosyncratique. Nous partageons lea m&mes reactions.

c

1 est

propre ace que nous sommes en tant qu'HaJtiens cultives1 »3•

1

Jean Metellus, Jacmel au crepuscule, p. 172

2 Ibid., p. 176

3

(51)

0

Q

Pour ces Haitians cultives, la « culture » s•av~re

naturellement « ce qui reste quand on a tout oublie ». Mais

ils ne participant selon nous A aucune culture. Ce qu'ils

consid~rent comme telle s•av~re plutOt un vernis de

civilisation fran~aise mal assimilee. Leur francophilie et leur africophobie conduisent ainsi, comme nous l'avons souligne plus haut, au « bovarysme collectif ». Frappes d'amnesie collective, ils releguent leurs origines sociales et negroides au trefonds de leur memo ire. D • apr~s Roger Dorsinville, ils constituent « ce peuple » qui cc a perdu 1 'Afrique et ne sait plus aucune verite » 1•

Henri Clamont, le « mulAtre-blanc » du roman Amour avoue

en effet avoir « oublie sa grand-m~re »2 africaine. De m~me, sa fille a1nee Claire deteste cette aieule de qui elle a herite la couleur sombre. Nourrissant A son tour « un

profond mepris pour les racines les plus vivaces de ce

pays »3, Hortense Morelli tient en horreur « la noire et

lointaine Afrique »4•

C'est justement pour contrecarrer les sentiments racistes de cette categorie d'HaYtiens que Fran~ois Duvalier

1 Roger Dorsinville, Mourir gour HaYti, p.

28

2

Marie Chauvet, Amour, p. 123

3 Emile Ollivier, Mere-Solitude, p.

63

4

(52)

-0

c

c

a preconise une ideologie noiriste qui ferait pendant au mouvement de la negritude. Il se l'est si bien appropriee, qu' il 1' a surnommee non sans raison « 1' ideologie

duvalieriste ». Neanmoins, comme nous allons le demontrer

ci-dessous, cette ideologie traduit de maniere significative, la reaction exacerbee de la bourgeoisie noire, apres toutes les frustrations infligees par la bourgeo..i sie mulAtre.

b) L'ideologie duvalieriste

Le discours social du roman de l'exil met generalement en relief !'incoherence des rapports sociaux en HaYti. Il s'agit d'une representation litteraire des institutions sociales qui regissent les relations humaines dans ce pays. Partant, pour montrer

a

que! point l'ordre socio-politique etabli par le duvalierisme est responsable de la des humanisation de la societe, les auteurs font ressortir l'illogisme de la negritude duvalieriste!

Alors que Leopold-Sedar Senghor a prOne la solidarite humaine et raciale en exaltant les valeurs culturelles du monde noir, Fran9ois Duvalier a divise et asservi davantage les HaYtiens. L 'un et 1 'autre ont pretendu s • inspirer du livre Ainsi Parla l'Oncle de l'HaYtien Jean Price-Mars, mais le president haYtien a denature profondement le mouvement de la negritude. Il 1' a manipule comme une arme de combat

(53)

0

c

servant A demystifier son frere de race, mais dans une optique tout A fait opposee

a

celle du president senegalais.

Plus culturelle que politique, la negritude senghorienne a pour but premier de desaliener le negre psychologiquement et spirituellement. Toutefois, outre la lourde tAche de demystification du noir que souhaite accomplir Senghor en tant que socialiste liberal, nos romanciers deleguent

a

leurs heros des rOles encore plus urgents.

Dans les romans de l'exil, les heros ont non seulement pour tAche de demasquer les mythes alimentant !'alienation multipartite de l'Ha1tien, mais ils doivent encore circonscrire 1' ideologie duvalieriste en montrant son veritable visage. Ils portent

a

notre attention que cette negritude n • etait pas une ideologie raciste en tant que telle. One remarque de Claude Souffrant s • applique A cet egard au groupe de romanciers que nous etudions dans notre these « il y a parmi les negritudes, une negritude socialiste et populaire : c'est celle des Roumain, des Alexia et des Hughes. Leur negritude prend fait et cause pour le peuple. Leur engagement poli tique aussi ,, 1•

A contrario, tout en interpretant sa negritude A l'ideologie trompeuse en utilisant le biais de la lutte des

1

(54)

c

0

classes, Franc;ois Duvalier a fait echouer tout mouvement revendicatif en faveur des masses. Son cc pouvoir noir • n' a

done jamais ete, comme il l'a pretendu lors de sa campagne elector ale, un mouvement populaire visant

a

emanciper le peuple analphabete. Sans pour autant modifier les penibles conditions d'existence :de cette grande majorite de la population, il a place • son regne sous le eigne de la revanche »1, declenchant ainsi un reglement de compte entre

les noire et les mulAtres.

Cet affrontement visai t surtout le reequilibrage des forces

a

l'interieur des classes dirigeantes, perturb~es

a

la suite de !'occupation americaine. Quatre chefs d'etat mul&tres s • etaient depuis lors succ~d~. Comme on peut le constater dans Jacmel au cr~puscule2, cultivant le culte de la blancheur, les mulAtres estimaient que leur complexion

« claire » de metis les rendait intellectuellement superieurs

a

leurs compatriotes au teint fonce. En consequence, le pouvoir revenait selon eux aux plus « eclaires ».

Ecartee de la scene politique, la bourgeoisie noire en avait profite pour s'instruire. Elle produisit

a

la longue les vrais esprits cc eclaires » du pays. Le moment venu,

grAce

a

!'emergence du mouvement de la negritude, elle

1

Anthony Phelps, Haiti, Haiti!, p. 134

2

(55)

c

8 1 embourgeoiser 1 ilS frapperent aUSSi bien

a

droite qu 1

a

gauche, se revelant de la sorte profondement anti-sociaux.

Le duvalierisme devint effectivement le point de ralliement de ceux que la bourgeoisie avait jadis meprises, humilies 1 rabaisses. Dans Mourir pour Haiti, malgre sa fortune considerable, le Major, fila d'une proletaire et d'un bourgeois .qui 1 I a abandonne 1 continue

a

« hair, ce qui

s • appelle hair·, lea fila de ·bourgeois dont il ne pouvait franchir le portail » 1 dans son jeune Age. Pour se venger des prejuges dont i l a ete victime, i l extermine la famille de son pere. Selon la m8me demarche, devenu le chef de la milice macoute de Petion-Ville, un autre personnage, un ancien aide-plombier, connu sous le nom de Verite, ch&tie tous ceux l 1

ayant jadis snobe.

Marie Chauvet affirme de son cOte que le determinisme economique de la nouvelle classe dominante s'est accapare lea valeurs de « 1 • elite » pour mieux degrader lea valeurs authentiques. Apres avoir « vecu en plein xxe siecle ce qu•a connu la France au temps de Louis XVI la grande bourgeoisie mul&tre de Jeremie a litteralement ete massacree par les shires de Fran~ois Duvalier. Comme le declare

a

son tour Ferdinand : cc J • ai la mal chance d 1 a voir grandi dans une

1

Roger Dorsinville, Mourir pour Haiti, p. 132

2

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