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Les droits militaires en France et au Canada : étude sociologique sur leur évolution comparée depuis un siècle

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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THIERRY CYSIQUE

LES DROITS MILITAIRES EN FRANCE ET

AU CANADA. ÉTUDE SOCIOLOGIQUE

SUR LEUR ÉVOLUTION COMPARÉE

DEPUIS UN SIÈCLE

Thèse présentée

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en sociologie

pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)

DÉPARTEMENT DE SOCIOLOGIE FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES

UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC

2013

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RÉSUMÉ

Les droits militaires en France et au Canada. Étude sociologique sur leur évolution comparée depuis un siècle.

Notre thèse porte sur l’évolution des garanties des droits individuels accordés aux justiciables du droit pénal militaire, en France et au Canada, et, plus largement, sur la transformation du statut social et juridique des militaires canadiens et français. Nous y montrons que, dans les deux traditions juridiques, l’évolution du droit pénal militaire est caractérisée par une tendance sensible au rapprochement entre le droit pénal militaire et le droit pénal général, que cette tendance est régulière en temps de paix depuis un siècle et qu’elle s’est accélérée depuis une trentaine d’années. La justice pénale militaire a longtemps été synonyme de législation particulière et de juridictions spéciales. Sa légitimité se fondait sur la spécificité du métier des armes, la discipline qu’exige son exercice, l’absolutisation du principe hiérarchique et l’indivision des droits de punir et de juger qu’elle consacrait. Aujourd’hui, bien que sa séparation d’avec le droit pénal général ne soit pas totalement effacée, le droit pénal militaire, en France et au Canada, tire sa légitimité de son adéquation aux principes qui commandent l’exercice général de la justice dans les sociétés occidentales contemporaines.

Notre interprétation de cette transformation majeure reposera sur deux hypothèses. Leur portée dépasse les deux cas étudiés dans cette thèse qui apparaîtront ainsi comme des cas particuliers d’un phénomène général. La première rattache l’évolution du droit pénal militaire au statut social des militaires, à la transformation du métier des armes et aux processus de professionnalisation, de civilianisation et de banalisation du métier des armes. On la modulera en fonction des dynamiques de professionnalisation différentes à l’œuvre dans les armées française et canadienne. La seconde hypothèse veut que la transformation des droits des militaires en matière pénale doive aussi son élan à long terme, au poids nouveau des droits de la « personne juridique » dans les sociétés occidentales contemporaines. Bien que la représentation moderne de la dignité de la personne humaine soit sans conteste son point d’ancrage, nous parlerons de

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« postmodernité juridique » pour caractériser le cadre à l’intérieur duquel la transformation du droit pénal militaire et du statut juridique des militaires prend place. On cherchera encore à montrer combien les chemins qui ont conduit à celle-ci sont différents en France et au Canada, en particulier du fait des rapports de subordination différents, sinon inverses, qui y existaient et y perdurent, entre pouvoir judiciaire et pouvoir législatif.

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ABSTRACT

The Military Laws in France and Canada. A Sociological Study on their Compared Evolution over a Century.

Our thesis focuses on the evolution of the guarantees of individual rights granted to litigants of military criminal law, in France and Canada, and, more broadly, on the transformation of social and legal status of French and Canadian troops. We show that, in both legal traditions, the evolution of military criminal law is characterized by a sensitive trend connection between the military criminal law and criminal law in general, this trend is regular in peacetime for a century and it has accelerated over the past thirty years. The military criminal justice system has long been synonymous with special legislation and special courts. Its legitimacy was based on the specificity of the military profession, the discipline required by pursuit, the hierarchical principle of absolutism and undivided rights to punish and judge that it was spending. Today, although its separation from the general criminal law is not completely erased, the military criminal law, in France and Canada, derives its legitimacy from its adaptation to the principles that control the exercise of justice in general contemporary western societies.

Our interpretation of this major transformation is based on two assumptions. Their scope beyond the two cases studied in this and which appear as special cases of a general phenomenon. The first relates to the evolution of military criminal law to the social status of military transformation, to the military professionalization process and trivializing of the military profession. We modulate the dynamics based on different professional in action in the French and Canadian armies. The second assumption is that the transformation of the rights of the military criminal law must also its long term momentum to the weight of the new rights of the “legal person” in the contemporary societies. Although the modern representation of the dignity of the human person is undoubtedly its anchor point, we will talk about “legal postmodernity” to characterize the context within which the transformation of military criminal law and the legal status of military take place. We still seek to show how the paths that led to it are different in

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France and Canada, particularly because of different reporting relationships, if not reverse, that there existed and survived there, between the judicial power and the legislative power.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ...ii

ABSTRACT……….……….iv

TABLES DES MATIÈRES……….vi

LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS………..xi

REMERCIEMENTS………..xiii

INTRODUCTION………..……1

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ET CONCEPTUEL DE LA RECHERCHE...28

CHAPITRE 1 : LE CADRE MÉTHODOLIQUE………29

1.1 Les modalités de la recherche………...30

1.2 Le cadre analytique………33

CHAPITRE 2 : LE DROIT DANS LES SOCIÉTÉS HUMAINES………37

2.1. Durkheim, l’évolution du droit et du droit pénal en particulier ……….38

2.2 Le concept de postmodernité………55

2.3 La postmodernité juridique………..60

2.3.1 L’éclatement de la régulation juridique et la prolifération des textes………..61

2.3.2 Une démarche pragmatique………..63

2.3.3 L’hyper-subjectivation du droit et la pénalisation de la société……….. 68

2.3.4 Sacralisation du juge, constitutionnalisation du droit et démocratie juridique…….74

CHAPITRE 3 : LE DROIT ET LA JUSTICE PÉNALE MILITAIRE…………...77

3.1 La naissance d’un droit répressif militaire…………...78

(7)

3.3 Droit pénal militaire et droit disciplinaire………..84 DEUXIÈME PARTIE : BRÈVE HISTOIRE DES DROITS MILITAIRES

FRANÇAIS ET CANADIEN JUSQU’À LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE….93 CHAPITRE 4 : BRÈVE HISTOIRE DU DROIT ET DE LA JUSTICE

MILITAIRE EN FRANCE……….94 4.1 L’histoire de la justice militaire en France jusqu’à la fin du XIXe siècle……….95 4.1.1 L’Ancien Régime et la justice militaire………...95

4.1.2 La justice militaire : de la Révolution à l’affaire Dreyfus………99

4.1.3 Le code de justice militaire de 1857 : une justice soumise à une logique de guerre..106

4.1.3.1 Les conseils de guerre et les droits de défense du soldat………..…107

CHAPITRE 5 : BRÈVE HISTOIRE DE LA JUSTICE MILITAIRE AU

CANADA JUSQU’EN 1914………..………...………...……..111 5.1 Bref historique sur la formation de l’armée au Canada :

administration et organisation militaire des premières colonies jusqu’en 1914…..112 5.2 La justice militaire canadienne : histoire du droit pénal militaire

jusqu’en 1914………..117

5.2.1 Le début du droit militaire britannique……….118 5.2.2 L’application du droit militaire britannique au Canada………120

TROISIÈME PARTIE : LES RÉFORMES DU DROIT MILITAIRE

EN FRANCE ET AU CANADA DEPUIS UN SIÈCLE………...127 CHAPITRE 6 : LES RÉFORMES DE LA JUSTICE MILITAIRE EN

FRANCE DEPUIS UN SIÈCLE………...128 6.1 Les réformes de justice militaire depuis 1914………...129

6.1.1 Les mutins de 1914-1918……….129

6.1.2 La réaction des autorités militaires : les conseils de guerre spéciaux……….133

6.2 La lutte contre la justice militaire et les réhabilitations des fusillés

dans l’entre-deux-guerres (1920-1935)……….136

(8)

6.3 De 1928 à 1964 : les débuts du rapprochement de la justice militaire

avec la justice civile………139

6.3.1 Le Code de justice militaire de 1928 : organisation et avancées juridiques……….140

6.4 Le Code de justice militaire de 1965 : des tentatives accrues pour civiliser la justice militaire………...142

6.4.1 Les juridictions de 1965 : ouverture au civil et respect des droits de l’inculpé militaire………....143

6.4.2 Des procédures spécifiques qui entravent les droits de l’inculpé militaire………..145

6.4.3 Objecteurs, insoumis et intellectuels contre la justice militaire (1970-1980)……...147

6.5 1982-1999 : réduction de l’écart entre droit commun et droit pénal militaire………...151

6.5.1 La réforme de 1982 : un recul mesuré du particularisme du droit pénal militaire………..152

6.5.2 Le maintien de procédures spécifiques………155

6.5.3 La Loi du 10 novembre 1999 : vers une nouvelle égalité entre les justiciables…...159

CHAPITRE 7 : LES RÉFORMES DE LA JUSTICE MILITAIRE AU CANADA DEPUIS UN SIÈCLE……….165

7.1 Le système de justice militaire canadien au XXe siècle avant la réforme de 1999...166

7.1.1 Les tribunaux militaires : types de procès, compétences et procédures…………...170

7.1.2 Les intervenants dans les procédures judiciaires………...174

7.1.2.1 Le Juge-avocat général et son bureau………...………..175

7.1.2.2 La police militaire………....176

7.2 Les critiques contre le système de justice militaire……….…..177

7.2.1 La débâcle somalienne (1992-1993)……...178

7.2.2 La Charte des droits et libertés : les arrêts Généreux et Lauzon……….180

7.3 Les réformes de la justice militaire canadienne de 1999………..…184

7.3.1 Le Code de discipline militaire………...184

7.3.2 Conséquences sur les tribunaux militaires………185

7.3.3 Les juges militaires………..187

7.3.4 Le commandant………...188

7.4 Modifications du rôle des intervenants dans les procédures judiciaires………190

(9)

7.4.1 Restructuration du bureau du JAG………..190

7.4.2 Le rôle du ministre de la Défense nationale………..192

7.4.3 La réorganisation des services de police militaire……….….193

7.4.4 L’ombudsman des Forces canadiennes……….…194

7.5 Conclusion sur les réformes de 1999………..195

7.6 Les changements législatifs apportés à la Loi sur la Défense nationale par le Parlement canadien en 2008……….…..197

QUATRIÈME PARTIE : L’EXPLICATION DE L’ÉVOLUTION RÉCENTE DES DROITS MILITAIRES FRANÇAIS ET CANADIENS………..202

CHAPITRE 8 : PROFESSIONNALISATION ET CIVILIANISATION : LES CAUSES COMMUNES ET PROFONDES DE LA RÉCENTE ÉVOLUTION DU DROIT ET DE LA JUSTICE MILITAIRE EN FRANCE ET AUCANADA………..………...…203

8.1 Les phénomènes de professionnalisation et de civilianisation des armées : origines et définitions………..204

8.2 La professionnalisation des armées en France : de la conscription aux « engagés » en passant par la consécration de l’armée mixte ………222

8.2.1 Déclin du service militaire et fin du concept de l’armée de masse………..223

8.2.2 De l’armée « mixte » professionnelle à la professionnalisation totale des armées……….229

8.3 La professionnalisation des armées au Canada : une politique de rationalisation de longue date………...234

8.4 Professionnalisation et division du travail : vers la régression du droit répressif militaire………239

8.5 Professionnalisation et conditions sociales des militaires : une redéfinition qui touche aussi la condition juridique des militaires français et canadiens……...242

8.5.1 La protection juridiques des militaires et les activités de nature opérationnelle….246 8.5.1.1 Protection juridique et missions internationales……….246

8.5.1.2 Protection juridique et fonction militaire en général………..251

8.5.2 La protection juridique des militaires : une question de respect de certains droits individuels………...255

8.6 Civilianisation, contractualisation et « nouvelles populations » dans Les armées : des piliers importants dans la gestion des ressources humaines……261

(10)

8.6.1 « Fonctionnarisation » des emplois civils : le choix français………262 8.6.2 L’essor de la sous-traitance au Canada………...265 8.6.3 Les deux armées confrontées à de « nouveaux arrivants » : les femmes

et les minorités visibles………..268

8.7 La « culture militaire » confrontée à de « nouvelles valeurs » : une évolution des comportements liée à la mixité et qui influence l’évolution du droit

des militaires...279 CHAPITRE 9 : L’AVÈNEMENT DU DROIT POSTMODERNE : ÉLÉMENT DE CHANGEMENT DU STATUT JURIDIQUE DES MILITAIRES

AU CANADA………...285 9.1 L’influence concrète de la postmodernité juridique au Canada :

le pouvoir judiciaire………..286

9.1.1 Le système constitutionnel canadien : entre communautarisme, multiculturalisme

et politique volontariste de Trudeau………288

9.1.2 L’idéologie réformatrice du couple : « Charte-Cour suprême » ou l’art d’imposer des réformes juridiques mais aussi des réformes sociétales………..296

CHAPITRE 10 : LA RÉFORME DE LA JUSTICE MILITAIRE EN

FRANCE : UNE QUESTION POLITIQUE ………..………301 10.1 Une explication historique et philosophique de la place du pouvoir politique et juridique dans les sociétés françaises et canadiennes………...302 10.2 Spécificités concrètes du pouvoir juridique en France et au Canada………...309 CONCLUSION………..…316 BIBLIOGRAPHIE………327

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LISTE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

Liste des principaux sigles et abréviations pour la France :

CSJM Cour spéciale de justice militaire LDH Ligue des droits de l’homme

SHAT Service historique de l’armée de terre

C2SD Centre d’études en science sociales de la Défense IHEDN Institut des hautes études de la Défense nationale TPFA Tribunal permanent des forces armées

TMA Tribunal militaire aux armées

TTFA Tribunal territorial des forces armées CSFM Conseil supérieur de la fonction militaire EMAT État-major de l’armée de terre

OSC Officier sous contrat

VSL Volontariat pour service long EVAT Engagé volontaire du rang

APD Appel de préparation à la défense OPEX Opérations Extérieures

DJA Direction des affaires juridiques DCN Direction des constructions navales ASA Action sociale des armées

ISSE Indemnité de sujétion pour service à l’étranger

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Liste des principaux sigles et abréviations pour le Canada :

LDN Loi sur la défense nationale

ORFC Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes JAG Juge-avocat général

CACM Cour d’appel de la cour martiale DPM Directeur des poursuites militaires ACM Administrateur de la cour martiale

DSAD Directeur du service d’avocats de la défense QGDN Quartier général de la Défense nationale

PEMPO Programme d’études militaires professionnelles pour les officiers CEMAT Chef d’état-major de l’armée de terre

CEMD Chef d’état-major de la défense

FC Forces canadiennes

ALFC Agence de logement des Forces Canadiennes GCAD Groupe consultatif des autochtones de la Défense

GCDMV Groupe consultatif de la Défense pour les minorités visibles RARM Régime d’assurance-revenu militaire

CDM Code de discipline militaire

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REMERCIEMENTS :

En premier lieu je tiens à remercier mon directeur de thèse, Olivier Clain, pour son soutien moral et intellectuel si précieux qu’il m’a toujours offert et sa patience devant mes interrogations.

Ma gratitude s’adresse aussi à Jules Maurin, professeur émérite d’histoire contemporaine de l’Université Paul-Valérie (Montpelier III), qui a su me transmettre la passion pour l’histoire militaire.

Je remercie aussi le CRISES (Centre de recherche interdisciplinaire en sciences humaines et sociales / Université Montpellier III) qui fût un très bon laboratoire d’accueil pour mes recherches, avec toutefois une attention spéciale pour son secrétariat et pour les anciens chercheurs de l’ESID (États – Sociétés – Idéologies – Défense).

Mes remerciements s’adressent aussi à tous les acteurs, administratifs et militaires, qui ont accepté de soutenir ma recherche en me consacrant un peu de leur temps précieux. J’ai, bien entendu, une attention particulière pour les membres du C2SD (Centre d’études en sciences sociales de la Défense), et tout spécialement à Sophie de Clauzade, responsable du centre de documentation au C2SD et à Frédéric Charillon, professeur en science politique, directeur de l’institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et ancien directeur du C2SD.

Ma reconnaissance s’adresse aussi à tous les organismes militaires français pour avoir facilité la consultation d’archives et de documents. À ce titre, pour l’accès aux archives de la justice militaire, je remercie chaleureusement le général de brigade en retraite, Andrée Bach, et ancien directeur du Service historique de l’Armée de Terre (SHAT). Il en va de même pour tous les autres organismes qui m’ont permis d’avoir un accès privilégié à leur bibliothèque et à leurs documentations internes. Un grand merci au Centre de documentation de l’École militaire (CDEM), à la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICOD) et, à l’Institut des hautes études de défense national (IHEDN).

Enfin, je tiens à exprimer une reconnaissance toute particulière à ma mère qui m’a toujours manifesté son soutien et ses encouragements. Merci également à ma famille et à mes amis qui ont contribué à l’aboutissement de ce travail.

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(15)

Dans cette thèse, nous voulons d’abord établir le fait que l’évolution du droit pénal militaire au cours du dernier siècle, aussi bien en France qu’au Canada, est caractérisée par un rapprochement croissant avec le droit pénal « ordinaire », bien que le degré actuel de ce rapprochement et le chemin qui y conduit soient, dans les deux pays, sensiblement différents. Les évolutions respectives des deux « systèmes de droit militaire »1 sont originales et les chemins différents qu’elles ont empruntés traduisent d’abord le fait qu’elles sont issues de traditions juridiques et militaires distinctes. Toutefois, elles manifestent aussi bien cette tendance commune que la volonté de maintenir un régime de droit militaire spécifique. Il nous faudra donc évaluer la manière dont la tendance au rapprochement s’est conciliée avec la résistance à ce même rapprochement dans les évolutions parallèles des deux systèmes de droit militaire. Plus largement, en retraçant le détail des réformes successives des systèmes de droit militaire à l’étude, nous cherchons à montrer que la tendance au rapprochement se laisse appréhender comme l’expression d’une modification profonde du statut juridique des militaires, en France comme au Canada. Pour toutes ces raisons, les dimensions proprement historiographiques et descriptives occuperont une large place dans cette thèse, dont l’intention est pourtant strictement « sociologique ».

Quelle que soit la nature des faits particuliers qu’elle établit et décrit, quelle que soit leur importance pressentie par son auteur, une étude sociologique ne peut se contenter de les mettre en évidence. À vrai dire, il n’est pas certain que l’établissement des faits qu’elle prend pour objet appartienne de façon essentielle à la démarche sociologique. Elle peut ainsi s’appuyer sur un ensemble d’évènements mis au jour par d’autres disciplines, comme l’histoire, ou bien encore, partir d’un ensemble de faits qui sont « construits » par la statistique administrative, c’est-à-dire hors de la discipline. C’est que sa fonction propre est de proposer l’interprétation la plus systématique et la plus rigoureuse possibles d’un ensemble de faits sociaux en le mettant en relation avec

1 Tout au long du texte, nous parlerons de « droit » et de « justice » militaires sans introduire une stricte

distinction conceptuelle entre les deux termes. Toutefois, comme le veut l’usage courant, nous parlerons plutôt du « droit », pour évoquer le système de lois et ou de jugements qui font jurisprudence, et de « justice », pour désigner l’activité de rendre un jugement. Nous parlerons encore de « système de justice », pour désigner les différentes instances juridiques mises en place par la constitution ou la loi, et de « système de droit », pour signifier l’ensemble du droit et de la justice.

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d’autres ensembles de faits qui exigent à leur tour d’être reconnus comme « sociaux » ou avec des dynamiques d’ensemble de la vie sociale. Dans notre thèse, l’analyse proprement sociologique aura ainsi à proposer une interprétation du rapprochement des systèmes de droit militaire et de droit général en matière pénale, en France et au Canada, en les rapportant aux transformations des structures sociétales plus larges qu’on peut observer au cours du dernier siècle dans les deux situations à l’étude. Par ses objets et sa méthode, notre travail appartient ainsi d’abord au domaine de la sociologie historique du droit.

La spécialisation de la sociologie juridique comme discipline empirique, après Durkheim et Weber, qui sont considérés comme ses pères fondateurs, est sanctionnée par l’apparition du terme de « sociologie du droit », dès 1913, proposé par un juriste autrichien, Eugen Ehrlich2. Elle se donne comme programme l’étude des relations entre le droit et la société, c’est-à-dire la manière dont le droit, conçu comme un ensemble de lois, de règles d’application, de principes institutionnels et de décisions judiciaires, est produit par le corps social et comment il détermine à son tour l’agencement des individus, leurs relations à l’intérieur des groupes et des institutions situés dans sa sphère d’influence. Lorsque Weber donnait à la sociologie du droit la tâche de rechercher comment le droit produisait des régularités dans les relations sociales qu’il régit, lorsque Durkheim voyait dans les dispositions du Code civil sur la liberté contractuelle un procédé de garantie de l’action, l’un et l’autre se préoccupaient de comprendre par quelles voies le droit pouvait avoir une incidence sur les relations réelles des hommes entre eux. À l’inverse, lorsque le premier se demandait pourquoi le droit occidental subissait un processus continu de rationalisation ou que le second interrogeait l’évolution du droit pénal sur quelques siècles, ils interrogeaient la manière dont cette même vie réelle des rapports sociaux détermine la transformation du droit. Autrement dit, la sociologie du droit a pour objet la relation à double sens entre le système du droit et la vie sociale. La sociologie « historique » du droit, qui était celle de ses fondateurs, s’intéresse à l’évolution du droit non pas comme celle d’un système fermé sur lui-même mais

2 Le terme apparaît dans Grundlegung der Soziologie des Rechts, publié à Munich et Leipzig en 1913 et

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comme une manifestation de la vie collective, l’expression de ses conflits et des solidarités qui la traversent. On notera encore que ces causes apparaissent nécessairement différemment au juriste et au sociologue. Même si ce dernier, comme Luhmann par exemple, reconnaît que seul « le droit produit le droit », le sociologue pose que le système du droit est en même temps ouvert sur son environnement, par définition non juridique, dont il reçoit les poussées à sa transformation interne. Dans la présente étude, ce sont les causes sociales des transformations qui affectent le droit pénal militaire dans deux traditions, celle du droit français et celle du droit canadien, qui sont au centre de l’attention.

Notre étude porte sur l’évolution d’un système particulier de droit, le droit pénal militaire. Le droit pénal militaire forme un corps de règles qu’il convient d’appréhender en regard du corps social spécifique que constitue « la société militaire », pour reprendre une expression de Durkheim. Notre analyse appartiendra donc aussi, nécessairement, au champ de la sociologie militaire. Le but de la sociologie militaire est de proposer une connaissance systématique des organisations militaires, des conflits armés, des emplois effectifs et potentiels de la force armée et des implications de son existence au sein des sociétés3. Depuis les années soixante-dix et quatre-vingt, un grand nombre de chercheurs, surtout américains (Janowitz, Moskos, Segal, Linz, etc.), ont permis aux raisonnements sociologiques et aux techniques des sciences sociales d’être appliqués au champ militaire4. L’essor récent de la sociologie militaire, plutôt « positive » par sa manière d’appréhender la chose militaire, n’a pas empêché que les sciences sociales ou la philosophie aient souvent analysé l’armée comme une institution « close », assurant la

3 À ce titre, la sociologie militaire, par des études statistiques ou des observations, est devenue

incontournable pour qui veut avoir une bonne connaissance du milieu militaire. Sur un plan plus pratique, c’est-à-dire dans le cas de la gestion de l’All-Volunteer Force (armée de métier), la sociologie militaire américaine a permis de mieux comprendre les motivations individuelles de recrutement et de rétention. Elle a aussi joué un rôle important dans la gestion des questions sociales qui agitent les forces armées, en particulier à propos de l’intégration des minorités, des femmes et des homosexuels, tout en facilitant la compréhension des ressorts de l’efficience des unités de combat, des motivations et des compétences du personnel, des relations interraciales, de la culture militaire, de la perception de la féminisation, du recrutement, des relations entre civiles et militaires, etc. Voir par exemple : Caplow, Theodore et Vennesson, Pascal, Sociologie militaire, Paris, Armand Colin, 2000 ; ainsi que Gresle, François (sous la direction de), Sociologie du milieu militaire, Paris, L’Harmattan, 2005.

4 Sur les origines et le développement de la sociologie militaire aux États-Unis, voir : Boëne Bernard,

Conditions d’émergence et de développement d’une sociologie spécialisée : le cas de la sociologie militaire aux États-Unis, Thèse de doctorat d’État ès Lettres et Sciences humaines, Université Paris V, 1995 (3 vol.).

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surveillance et le contrôle de « reclus », d’individus dépouillés de leurs droits ordinaires et plus ou moins contraints d’interrompre leurs rapports avec la vie sociale extérieure. La rigidité de l’organisation militaire apparaissait à plusieurs comme ne tolérant aucune demi-mesure, exigeant du futur engagé qu’il adhère totalement aux normes et règles de l’institution. En outre, la caserne, c’est-à-dire l’espace spécifique d’ « enfermement » instauré par l’institution, fût encore longtemps associée au concept « d’institution totale » de Goffman5.

On retrouve par exemple cette perspective dans les travaux de Foucault, même s’ils portent sur le milieu carcéral et les mécanismes disciplinaires en général, moins sur le milieu militaire en tant que tel. On sait cependant qu’il associait ce dernier au modèle de l’organisation disciplinaire. La caserne et la prison ont longtemps présenté des caractéristiques communes : vie dans un espace clos organisé par la discipline et la distribution spatiale des corps, coupure avec le monde extérieur, forte réglementation et obéissance inconditionnelle aux règles, manipulation et façonnage des personnalités, surveillance constante et contrôle direct de l’action de chacun, milieu exclusivement masculin (ou exclusivement féminin dans les prisons pour femmes, mais de toute façon ségrégation des genres), etc. Mais à la différence de Goffman, Foucault tend à penser l’armée elle-même comme un modèle pour l’organisation de la vie sociale par le pouvoir moderne. La discipline militaire est vue par lui comme une source d’inspiration fondamentale pour l’organisation disciplinaire et le pouvoir disciplinaire qui vont également s’exercer ailleurs que dans l’armée, à savoir dans l’hôpital, dans l’école et dans la prison6. Cette analyse met brillamment en lumière certains traits caractéristiques des

5 Goffman E; Asiles, études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, éd. De Minuit, 1968,

p. 41.

6 Foucault M; Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 2003, 1re éd., 1975. La

deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Discipline », débute par un chapitre consacré aux « corps dociles » qui s’ouvre par la description de la production disciplinaire du corps du soldat. On trouve plusieurs textes de Foucault où la question de la discipline militaire est évoquée pour elle-même mais toujours en rapport avec d’autres manifestations de l’organisation disciplinaire. Ce qui l’intéresse alors est que le camp militaire et la caserne fournissent un modèle spatial à l’organisation disciplinaire des corps. Dans une conférence intitulée « L’incorporation de l’Hôpital dans la technologie moderne » (1978) dans Dits et

écrits, Vol II, pp. 508-521, Gallimard, Paris, 2001, p. 515, il dit : « La discipline militaire commence à

partir du moment où l’on enseigne au soldat à se placer, à se déplacer, à être là où il faut être ». Alors qu’au XVIIe siècle le modèle spatial de la troupe, ajoute-t-il alors, est celui de l’entassement, avec les plus forts et

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organisations militaires du passé. Elle met l’accent sur l’inculcation des valeurs militaires, l’imposition d’une discipline et la prévalence de l’ordre hiérarchique, la ritualisation de la vie sociale, etc.

Toutefois, dans les armées occidentales contemporaines, il nous apparaît insuffisant d’invoquer « l’armée-caserne » et de rapprocher la caserne d’une prison ou d’un hôpital psychiatrique. Autrement dit, quelle que soit la valeur de l’approche philosophique ou sociologique de l’armée en termes d’ « organisation disciplinaire », la sociologie de la vie militaire doit être attentive à ce qui tend à dissoudre cette spécificité militaire. Dès la fin du 19e siècle, Durkheim notait déjà le recul du « vieil esprit militaire » partout en Europe, et remarquait à son propos que les « habitudes d’obéissance passive, de soumission absolue, en un mot d’impersonnalisme, si l’on veut nous permettre ce barbarisme, se sont trouvées de plus en plus en contradiction avec les exigences de la conscience publique »7. Autrement dit, il voyait dans la transformation de « la conscience publique » en général un des facteurs fondamentaux de la transformation du monde militaire lui-même. L’armée vit aujourd’hui, bien moins encore qu’à son époque, hors de la société qui l’entoure. Sujette à d’importants changements institutionnels (mutation technologique, changement de nature des conflits militarisés, spécialisation professionnelle lié à la qualification et à la division du travail de plus en plus poussée, féminisation du personnel militaire, importance accrue du personnel civil, etc.), elle a su, pour une part au moins, se départir des traits hors d’âge qui la caractérisaient effectivement. Ces mutations sont en grande partie dues au rapprochement entre armée et société, et ce, dans tous les secteurs de la vie militaire : professionnel, technologique, organisationnel, social, identitaire, idéologique, etc.

Ce que nous disons ici n’a en fait rien de nouveau, puisque Durkheim s’en avisait il y a plus d’un siècle. Mais c’est aussi, d’une certaine manière, le premier constat dressé par la sociologie militaire, apparue dans les années cinquante du 20e siècle. Une partie des sociologues de la chose militaire fût en effet amenée à proposer la thèse selon

milieu, au XVIIIe siècle, lorsque chaque soldat dispose dorénavant d’un fusil, la discipline change et

l’efficace de la distribution spatiale des corps devient autre. On remarque ainsi que Foucault est intéressé par le fait que dès que la technique militaire change, l’organisation disciplinaire elle-même change.

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laquelle les institutions militaires changent tellement, qu’elles perdent leurs caractères distinctifs et s’apparentent aujourd’hui à de grandes bureaucraties civiles. Dans cette perspective, la spécificité de l’armée s’estompe. C’est, en particulier, la thèse défendue par Huntington, dès 19578. À l’encontre de cette interprétation, d’autres sociologues des questions militaires, notamment le sociologue américain Morris Janowitz, considérèrent, un peu plus tard, que la « professionnalisation » du métier des armes est plutôt l’expression d’un refus de la « banalisation » de la société militaire9. Janowitz voyait dans la professionnalisation une tendance lourde de l’évolution des armées occidentales. Il prévoyait déjà le déclin des armées de masse dans l’ensemble des pays occidentaux et annonçait l’émergence d’une armée de métier, plus réduite, plus efficace et mieux entraînée, plus disposée à faire usage de la technologie et destinée à servir sur les théâtres d’opérations extérieures de façon ponctuelle. De notre point de vue, ces deux thèses traditionnelles de la sociologie militaire ne sont pas antinomiques et on peut les considérer comme complémentaires. Autrement dit, nous poserons que la professionnalisation de l’armée est précisément le signe de son intégration à la société civile, que cette intégration de plus en plus poussée est bien l’expression d’une banalisation du métier des armes mais que celle-ci n’est pas non plus totale et que la séparation du monde militaire continue bien à exister pour une part. La professionnalisation est le trait majeur de l’évolution récente du travail dans les sociétés occidentales. Or, rien dans la professionnalisation du métier des armes, selon nous, ne la sépare de la professionnalisation de toutes les autres activités qui a lieu dans la société civile, même si nous soutiendrons que le métier des armes conserve des caractéristiques qui lui sont propres et sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Pour autant que la « société militaire » demeure une réalité spécifique à l’intérieur de la société globale, la sociologie militaire a parfaitement droit de cité. Notre thèse s’inscrit donc au carrefour de la sociologie historique du droit et de la sociologie militaire.

Avant de présenter les deux hypothèses interprétatives qui vont organiser notre propos dans ce travail, revenons sur la nature des faits que nous entendons mettre en

8 Huntington S.P; The Soldier and The State. Theory and Politics of Civil-military Relations, Cambridge

(Mass.), The Belknap Press of Harvard University Press, 1957.

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évidence et donnons quelques exemples de ce à quoi nous faisons référence lorsque nous parlons d’une évolution convergente des droits des militaires français et canadiens dans le rapprochement du droit pénal militaire et du droit pénal général. En même temps, ce sera l’occasion pour nous d’illustrer, même très brièvement, ce que nous pointons comme la résistance à la dissolution achevée de la spécificité du droit pénal militaire. Depuis un peu plus de deux siècles, depuis la Révolution française en fait, les critiques de la justice militaire ont fait valoir un double grief. D’une part, elles stigmatisent la rigueur excessive des juridictions militaires, surtout en temps de paix. D’autre part, elles critiquent la soumission de l’exercice de la justice militaire à l’arbitraire et au pouvoir du commandement. Aussi bien en France qu’au Canada, jusqu’aux années 1980, l’autonomie relative de la procédure pénale militaire peut être rattachée à la séparation de « la société militaire » à l’intérieur de la société globale. La procédure pénale spécifique reflétait un souci essentiel, celui de garantir, par l’exemplarité et l’intimidation, la discipline et la cohésion de la société militaire. Cependant, son évolution récente est marquée par un relatif effacement de ces caractères d’exception.

Par exemple, en France, la Loi du 21 juillet 1982 a aboli les tribunaux permanents des forces armées en temps de paix et soumis aux juridictions de droit commun la matière militaire, c’est-à-dire les infractions purement militaires, comme la désertion et l’insoumission, ainsi que les infractions de droit commun commises par les militaires en service. La Loi du 10 novembre 1999 est venue accentuer cette transformation en alignant, en temps de paix, la procédure pénale applicable à la matière militaire sur celle du droit commun. Au Canada, l’adoption de la Charte des droits et libertés de 1982 a eu des répercussions profondes sur les différents segments du droit, y compris le droit militaire. Elle a contribué aux modifications substantielles apportées à la Loi sur la défense nationale de 1999. Interprétée comme appelant à rapprocher davantage la procédure pénale militaire de celle des tribunaux pénaux de droit commun, en particulier par la Cour d’appel de la Cour martiale, elle a contribué au mouvement d’ensemble dont nous parlons10. Ce mouvement s’est prolongé avec la réforme de la Loi sur la défense

10 Sur le rôle de la Charte dans les décisions récentes de la Cour d’appel de la Cour martiale du Canada et

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nationale de 2008, qui a permis une rationalisation et une simplification de l’appareil de justice militaire11.

En dépit de cette tendance remarquable, qu’il s’agira d’établir dans le détail des faits, il reste que ni le Parlement français ni le Parlement canadien n’ont voulu remettre en cause le principe d’un système de justice militaire séparé du système civil. C’est pourquoi, en 1982, même s’il abolissait les tribunaux permanents des forces armées ainsi que le Haut tribunal permanent des forces armées, le législateur français confiait la connaissance des affaires militaires à des juridictions et à des magistrats spécialisés. Toujours selon la Loi de 1982, le ministre de la Défense est obligatoirement amené à donner son avis avant l’exercice de poursuites pénales à l’encontre des militaires. Cela explique l’existence, depuis cette date, du Tribunal aux armées de Paris, compétent aujourd’hui pour connaître des infractions commises par les militaires à l’étranger, notamment en opération extérieure. On verra qu’il est possible que la fonction d’un droit pénal militaire spécifique obéisse désormais, en France du moins, à une autre logique que celle qui fondait antérieurement le droit pénal militaire et qu’elle réponde désormais à une nouvelle exigence, celle de protéger l’activité militaire comme activité professionnelle spécifique. Mais, quoi qu’il en soit de l’explication du fait lui-même, il est indéniable qu’on assiste bien en France au maintien d’une certaine spécificité du droit applicable aux militaires.

Au Canada, la Cour suprême réaffirma de manière tranchée la croyance en la nécessité de conserver un droit militaire séparé pour que la capacité des Forces armées à accomplir leur mission puisse être garantie12. L’argument invoqué par la Cour est

système de justice pénale militaire et de son évolution au Canada, Montréal, Wilson et Lafleur, 2012, pp.

57-58.

11 En même temps qu’elles ramènent de quatre à deux le nombre de cours martiales différentes, ces

dernières modifications accordent aux juges militaires une garantie d’indépendance institutionnelle que la Charte canadienne des droits et libertés de la personne exige d’eux. Avant 2008, il existait quatre cours martiales différentes au canada « pour entendre environ 60 causes par année…. Le système était d’une complexité inutile et dégageait des relents moyenâgeux. » Gilles Létourneau, op.cit., p.31.

12 « Le but d’un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s’occuper

des questions qui touchent directement à la discipline, l’efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d’une armée, composée de femmes et d’hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les

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l’argument traditionnel qui veut que la tâche spécifique dévolue aux Forces armées exige une discipline toute particulière et que cette discipline trouve dans l’existence d’un droit militaire spécifique ses conditions d’existence. Comme le soulignera le juge Létourneau, c’est moins le jugement lui-même que l’interprétation que certains en font qui va pouvoir constituer un frein à l’évolution plus rapide du système du droit pénal militaire canadien et par exemple à une révision de ses organes de justice, comme le système des procès sommaires13. Certes dans notre étude, nous évoquerons un processus de « rapprochement » du droit pénal militaire et du droit pénal ordinaire, aussi bien en France qu’au Canada. Or, si dans le cas de la France, on pourrait plutôt parler d’une « intégration » poussée, certes pas absolue, de la justice militaire à la justice ordinaire appliquée aux civils, au Canada, la spécificité de la justice militaire reste pleine et entière, en tant de guerre comme en temps de paix et à son propos on ne peut d’aucune manière parler d’ « intégration » d’une justice à l’autre. Il faut s’en tenir à évoquer un rapprochement entre droit pénal militaire et droit pénal ordinaire.

Dans un rapport du Sénat français, datant de l’an 2000 et portant sur la justice militaire dans cinq pays (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suisse) on parlait d’une « intégration croissante » de la justice militaire à la justice ordinaire pour tous ces pays14. Toutefois le rapport montrait bien la disparité des situations. La Suisse a conservé un système de justice militaire complètement indépendant mais qui obéit aux mêmes principes que la justice ordinaire alors que les justices militaires anglaises, espagnoles et italiennes n’étaient que partiellement intégrées à la justice commune et à des degrés très divers. Parmi ces cinq pays, seules l’Allemagne et la France avaient complètement supprimé les juridictions militaires en temps de paix. On notera cependant que la Belgique a également supprimé les juridictions militaires en temps de paix et les

Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s’ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire ». La Cour suprême du Canada s’exprima ainsi dans la décision R.c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259.

13 Voir Gilles Létourneau, op.cit., pp. 57-58

14 Sénat, Division des études de législation comparée du service des affaires européennes, « La justice

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infractions militaires relèvent désormais des juridictions de droit commun15. Cela dit, les lois françaises, belges et allemandes prévoient le rétablissement des juridictions militaires en temps de guerre et de facto le retour à des spécificités importantes et très dérogatoires les concernant. En dépit de la reconnaissance d’une inégalité dans l’intégration de la justice militaire et de la justice ordinaire, les auteurs du rapport s’estimaient en droit de parler d’une « intégration croissante » qui concernait l’ensemble des droits militaires en question. Il en ira de même tout au long de notre thèse en ce qui a trait à la comparaison des droits militaires canadien et français qui nous fera parler d’un « rapprochement croissant ».

Notre recherche devra par conséquent indiquer l’étendue et les limites de ce rapprochement pour chacune des deux traditions à l’étude et discuter des explications possibles de ce rapprochement et du maintien d’un droit pénal militaire spécifique, fût-il un droit qui garantit le militaire contre les poursuites pénales lorsqu’il est en mission à l’étranger. Pour proposer une interprétation sociologique de cette tendance qu’on vient d’illustrer brièvement nous serons amené à considérer les évolutions parallèles des droits pénaux militaires français et canadien comme deux exemples d’une évolution historique plus générale. Autrement dit, nous postulerons que si nous observons bien depuis un siècle un rapprochement croissant du droit pénal militaire et du droit pénal applicable aux civils, en France comme au Canada, dont les traditions juridiques et militaires sont profondément différentes, c’est que la tendance qui le rend observable est à l’œuvre dans l’ensemble des sociétés du même type. Autrement dit, nous demandons au lecteur de nous accorder que si nous parvenons à mettre en lumière la tendance dont nous parlons dans le détail de l’histoire des droits pénaux militaires français et canadien depuis un siècle, alors elle vaut sans doute pour l’ensemble des systèmes des droits pénaux militaires des sociétés occidentales. L’explication sociologique de cette tendance aura alors nécessairement à son tour un caractère général. Autrement dit, l’explication cherchée ne pourra se contenter d’invoquer une série de décisions prises par les autorités législatives de l’un et l’autre États. Elle devra plutôt rendre compte des conditions

15 Pour plus de précisions voir l’article de Henri D. Bosly et Thierry Moreau, « Les tribunaux militaires en

Belgique », in Élizabeth Lambert Abdelgawad, Les juridictions militaires et tribunaux d’exception en

mutation, perspectives comparées et internationales, Agence universitaires de la Francophonie, décembre

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historiques générales qui ont pu favoriser ce rapprochement des droits et des justices militaires et civiles, non seulement en France et au Canada, mais aussi bien ailleurs, dans les sociétés appartenant au même « type sociétal ». Ainsi, sans exclure l’existence de fortes résistances du droit pénal militaire à l’évolution dont nous traitons ici, nous ferons deux hypothèses générales quant à sa signification, hypothèses, le fait est à noter, qui s’éloignent peu des justifications que les partisans des réformes du droit militaire ont eux-mêmes évoquées pour les légitimer.

La première se présente dans la perspective d’une synthèse des résultats des deux grandes thèses de la sociologie militaire. Cette hypothèse porte sur la société militaire elle-même et son évolution dans le dernier siècle, mais surtout au cours des trente dernières années. Nous ferons ainsi de la professionnalisation de l’armée le cœur du processus qui fait que les limites qui séparent la société militaire de la société civile tendent à s’estomper, sans néanmoins disparaître. Autrement dit, nous poserons que les institutions militaires occidentales connaissent, avec la professionnalisation et la division technique du travail en leur sein, une évolution qui leur fait perdre la séparation tranchée des « sociétés militaires » et des « sociétés civiles ». Parce que le métier des armes entre dans un processus poussé de professionnalisation, il devient un métier comme un autre et la vie militaire ressemble de plus en plus à la vie civile. La « société militaire » change et tend à suivre au plus près les évolutions de l’ensemble social et, par un effet mimétique, son organisation tend à ressembler à l’organisation de la société civile, à lui emprunter ses modèles de gestion et de régulation. Parallèlement au processus de professionnalisation, on assiste à une civilianisation de l’armée, que la plupart des sociologues qui travaillent dans le champ de la sociologie militaire reconnaissent comme une donnée incontournable. De fait, certaines tâches traditionnellement considérées comme « militaires » sont de plus en plus accomplies par des civils et celles qui demeurent accomplies par des militaires le sont davantage comme des tâches civiles, de plus en plus motivées par le salaire et les bénéfices annexes et de moins en moins par la coercition ou la recherche de la gloire militaire. Or nous faisons de la professionnalisation d’abord, dans une moindre mesure de la civilianisation et enfin de la banalisation partielle du métier des armes, des ressorts puissant de la transformation du statut social des

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militaires, en France et au Canada, comme dans l’ensemble des armées des sociétés occidentales. Cette transformation des statuts sociaux ou des conditions des militaires, est à notre sens une des deux causes de la transformation du statut juridique des militaires et donc de l’évolution du droit militaire en matière pénale.

Nous poserons ainsi que l’évolution du droit pénal militaire, la modification des garanties juridiques garanties aux militaires qui les font converger vers les garanties offertes aux civils, aussi bien en France et au Canada, sont le résultat des transformations organisationnelles profondes que subissent les armées, et d’abord les conséquences de la professionnalisation et de la civilianisation des armées16. Autrement dit, nous poserons que le rapprochement des « sociétés militaires » et « des sociétés civiles » qui a lieu dans l’ensemble des sociétés occidentales, la similitude de plus en plus grande des qualifications professionnelles des militaires et des civils, l’interpénétration profonde des cultures militaires et civiles, la similarité des attentes des membres de la société militaire et de la société civile, ont constitué des facteurs profonds du rapprochement des juridictions militaires et civiles. On évoquera aussi bien la transformation de la division technique du travail à l’intérieur de l’armée et la place nouvelle dévolue au « savoir-faire » technologique. On verra que l’apparition de l’expertise technologique modifie le rapport des militaires à la hiérarchie et que l’absolutisation du principe hiérarchique a constitué un des facteurs les plus profonds de la constitution d’un droit pénal militaire séparé. Bref nous poserons que ces transformations structurelles de l’organisation militaire contribuent à dissoudre la possibilité du maintien de la confusion du droit de juger, du droit de punir et du droit de commander.

Pour que le rapprochement des systèmes de droit pénal militaire et des systèmes de droit pénal général puisse vaincre, au moins partiellement, la résistance qui pousse au maintien d’un droit pénal militaire séparé, il a fallu que ce rapprochement soit également

16

La notion de civilianisation, prise au sens strict, désigne le fait que de plus en plus de civils travaillent pour les forces armées. Par ailleurs, on verra que cette civilianisation est présent aussi bien dans le phénomène de sous-traitance qui a caractérisé l’évolution récente des armées française et canadienne. Mais la notion, renvoie également, plus largement, au rapprochement des sociétés civiles et militaires.

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suscité par un souci politique, ou juridique, qui prenne racine dans la transformation même du statut social de « la personne » au sens juridique. Si notre première hypothèse porte donc sur la modification profonde du statut social du militaire dans les sociétés occidentales contemporaines, la seconde pousse à l’examen des modifications du statut social et juridique de « la personne». Cette fois ce sont les modifications apparues dans le droit lui-même qui nous intéressent. Notre seconde hypothèse interprétative veut que, par ajustements successifs, l’universel des droits fondamentaux de la personne humaine tende à prévaloir sur la fermeture d’une institution, nécessairement rigide et peu encline aux changements, celle du droit pénal militaire. Cette évolution, sensible dans une foule de domaines couverts par la juridiction militaire, accompagne la transformation des sociétés occidentales depuis un siècle et obéit à la logique qui tend à faire des « droits de la personne » les foyers des réformes juridiques et de production du droit nouveau. On verra que cette évolution était déjà sensible dans certaines réformes antérieures du droit pénal militaire, en période de paix en particulier, dans la mesure où il a toujours existé dans la modernité un malaise réel et largement partagé devant le caractère d’exception du droit pénal militaire. Notre seconde hypothèse interprétative commence donc par reconnaître le caractère conflictuel de la situation du droit moderne en regard du statut des militaires. D’un côté, une des caractéristiques de la modernité occidentale, est la séparation des dimensions de la vie sociale qu’elle opère par l’institutionnalisation de leurs systèmes normatifs propres. De l’autre, elle affirme sur le plan des fondements du Droit, l’existence d’une condition humaine universelle et la valeur de droits universels. Le rapprochement des systèmes de droit pénal appliqués aux militaires et aux civils est donc bien d’abord à situer à l’intérieur d’une tension propre à la modernité et au droit moderne. L’opposition qui existait entre une procédure judiciaire spéciale, incarnant la « politique de la force » et le pouvoir de la hiérarchie, et une procédure pénale devant s’appliquer de manière égale à tous, en toute situation, tend à s’estomper, sans toutefois y parvenir tout à fait.

Si notre seconde hypothèse rattache l’évolution du droit pénal militaire à l’évolution générale du droit moderne et au poids nouveaux des droits octroyés à la « personne », elle devra néanmoins reprendre à son compte un certain nombre de thèses

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sociologiques qui veulent que, s’émancipant du cadre typiquement moderne que dessinait l’abstraction juridique de « la personne », le droit contemporain tend à ériger « la personne en situation » en foyer producteur de droits nouveaux. La notion de « personnalité juridique », on le sait, s’applique tant aux individus qu’à des communautés déterminées, à l’État, à des corporations, c’est-à-dire à des associations privées d’intérêts. Mais elle renvoie encore à l’individu, à ce que le droit civiliste nomme la « personne physique ». Dans le droit contemporain, tout individu a la personnalité juridique et c’est à « la personne » de cet individu que sont reconnus des droits et de devoirs. Or nous croyons précisément que ce sont ces droits et devoirs reconnus à la personnalité juridique des individus qui sont en train de changer sensiblement. Sur ce point, nous suivrons Dominique Schnapper, lorsqu’elle affirme que ce qui caractérise la citoyenneté dans les démocraties contemporaines est la multiplication des droits subjectifs qui sont attachés aux individus d’abord et aux « citoyens » ensuite17. Les droits accordés par le Droit ne sont plus seulement politiques, ils ne sont plus seulement les droits du « citoyen », abstraction constitutive de la modernité politique, mais ils deviennent aussi économiques et culturels, ils deviennent les droits de l’individu saisi dans la particularité de sa situation. Les « droits des militaires » deviennent ainsi des droits positifs de « la personne en situation » d’exercer un métier spécifique, celui des armes, et les protections juridiques qui sont les siennes sont à la fois celles d’une personne juridique à part entière et celles du représentant d’une activité professionnelle spécifique.

Dans la dynamique d’ensemble de la société, ces nouveaux droits sont appelés à jouer un autre rôle que les droits libéraux de la personne dans les sociétés typiquement modernes. Ils ne sont plus seulement des droits « négatifs », qui limitent la portée du pouvoir institué, mais des droits « positifs », censés assurer à chaque homme et femme, membre d’une communauté nationale donnée, des conditions de vie qui soient relativement favorables à leur épanouissement individuel, l’assurance d’une certaine sécurité et la protection contre les imprévues de la vie. De tels droits ne définissent plus des libertés mais des « créances » que « la personne » est pour ainsi dire en droit de tirer sur « la » société. Du même coup, ils créent à la puissance publique des devoirs envers les

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individus et groupes particuliers, dont le respect suppose l’édiction de « lois sociales ». Notre seconde hypothèse affirme ainsi que la pénétration des « droits de la personne » dans la procédure applicable aux militaires tend d’abord à effacer la particularité de la condition de militaire que circonscrivait le droit pénal militaire moderne et à la dissoudre dans l’universalité de la condition humaine; mais aussi que, dans un second temps, elle s’appuie sur la situation même du militaire pour en faire le foyer de droits particuliers. C’est donc finalement un double mouvement du Droit qui nous paraît aller dans le sens de l’attribution de nouveaux droits aux militaires. D’une part, le militaire est de plus en plus reconnu comme « personne juridique » porteur de droits universels et, en particulier, de droits rattachés à son statut de justiciable du droit pénal. D’autre part, son statut spécifique lui vaut encore d’être reconnu comme porteurs de « nouveaux droits », qui le protègent par exemple contre des poursuites judiciaires lorsqu’il est en mission ou qui lui garantissent un certain nombre de droits sociaux spécifiques.

Dès qu’on pose ces deux hypothèses interprétatives, plusieurs exigences surgissent en ce qui a trait à leur application au matériel historique que nous aurons isolé. Tout d’abord, notre étude devra montrer comment la tendance à l’homogénéisation des droits pénaux appliqués aux militaires et aux civils s’actualise dans deux traditions juridiques différentes et dans deux traditions politiques sensiblement différentes. On verra ainsi, par exemple, que la seconde hypothèse interprétative prend deux significations distinctes selon que le pouvoir politique est placé au-dessus du pouvoir judiciaire, comme c’est le cas dans la tradition constitutionnelle française, ou selon que les organes supérieurs de la Justice, en l’occurrence la Cour suprême, a le pouvoir de juger, au moins négativement, de l’activité politique de législation, ce qui est le cas dans la juridiction canadienne. Ainsi, dans le cas canadien, l’évolution du droit pénal militaire et sa convergence progressive avec le droit pénal appliqué aux civils est redevable de façon décisive aux pressions exercées par la Charte des droits et libertés et la Cour suprême sur les acteurs du système juridique et le Parlement lui-même. Tandis que dans le cas français, l’évolution du droit pénal militaire est immédiatement redevable aux modifications de la conscience collective, à la pression des mouvements sociaux et à l’évolution des convictions politiques. Dans les deux situations le rapprochement du droit

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pénal militaire et du droit pénal applicable aux civils est bien l’expression du triomphe des droits de la personne et d’une évolution marquée du droit dans son ensemble ; mais tantôt cette évolution est plutôt redevable aux luttes politiques qui ont marqué l’histoire du dernier siècle, tantôt elle est plutôt redevable à l’action de la Charte et du « système de droit » lui-même. Les différences constatables dans les trajectoires suivies par les droits pénaux militaires des deux pays n’empêchent nullement la convergence remarquable de ces évolutions.

Une autre exigence apparaît dès lors qu’on pose ces deux hypothèses interprétatives. Décrire une tendance à long terme est une chose ; décrire une succession d’évènements par lesquels se réforme le droit en est une autre. Les évolutions des droits pénaux militaires français et canadien sont ouvertes aux évènements de l’histoire militaire et de l’histoire politique. Que ce soient l’affaire Dreyfus, les mutineries dans l’armée française durant la Grande Guerre, l’exercice de la justice militaire durant la guerre d’Algérie ou bien encore la conquête de son autonomie organisationnelle par l’armée canadienne, l’indépendance du droit pénal militaire canadien à l’endroit du droit pénal militaire britannique ou les contrecoups du « scandale » somalien, ce sont à chaque fois des évènements particuliers qui ont joué un rôle important dans l’évolution dont nous traiterons. L’application de notre seconde hypothèse d’ensemble au matériel historique suppose que la logique qui tend à faire des « droits de la personne » les foyers de production du droit nouveau et des réformes juridiques, transcende les évènements particuliers mais que seuls ces derniers expriment la tendance, en donnant aux acteurs de l’histoire, ou à certains d’entre eux, l’occasion d’éprouver le sentiment de la nécessité de réformer le droit pénal et la justice militaires en allant dans un sens donné. Les degrés différents d’autonomie de l’institution militaire ont leurs effets propres dans la dynamique d’ensemble du droit pénal militaire et seule l’enquête historique permettra de montrer le rapport exact qui s’instaure entre l’évènement particulier et la tendance de fond. Ainsi, la capacité des évènements de l’histoire, et de l’histoire militaire en particulier, à cumuler leurs effets sur l’évolution du droit pénal militaire n’est possible que si cette dernière est d’ores et déjà orientée. C’est la raison pour laquelle encore, la même hypothèse générale, la seconde, prendra la forme de deux explications séparées.

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Établir le fait du rapprochement entre droit pénal militaire et droit pénal ordinaire, entre le statut juridique des militaires et celui des civils, puis, sur la base du postulat de son caractère généralisable aux sociétés de même type, proposer deux hypothèses générales explicatives de ce fait, tout en modulant leur application en fonction des réalités sociales différentes sous-jacentes aux évolutions du droit pénal militaire canadien et du droit pénal militaire français, tel est donc l’objectif de notre thèse. Notre travail est divisé en quatre grandes parties. La première compte trois chapitres et présente la méthode de travail en même temps qu’elle assoit l’appareil théorique utilisé dans l’analyse. La seconde donnera un bref aperçu de l’histoire du droit et de la justice militaire en France et au Canada jusqu’à la Première Guerre mondiale. La troisième partie exposera l’évolution des systèmes de droit pénal militaire en France et au Canada depuis 1914. Enfin, la dernière partie de la thèse proposera l’interprétation sociologique proprement dite. Anticipons sur le développement de l’argumentation et présentons brièvement le contenu de chacun des chapitres de ce travail.

Le premier chapitre, qui se distingue des autres par sa brièveté, sera exclusivement consacré à l’exposé de notre méthode de travail. Il nous a paru indispensable de revenir de manière détaillée sur les sources utilisées et sur la méthode adoptée, qui est celle du droit comparé. Sur ce dernier point, une précision s’impose. Nous empruntons la méthode du droit comparé mais nous ne l’appliquons pas directement aux systèmes de droit à l’étude. Nous l’appliquons à leurs évolutions respectives. Autrement dit, nous ne comparons pas point par point les législations ou les appareils de la justice en exercice. La chose serait de toute façon impossible à réaliser dans une thèse. Nous empruntons au droit comparé son esprit pour appréhender l’évolution des droits individuels des militaires en France et au Canada et nous nous inscrivons ainsi dans une approche comparative. Le droit comparé est utilisé dans la théorie juridique et la sociologie du droit. Le droit comparé n’est pas un ensemble de normes juridiques ni une branche du droit, intégrée dans la summa divisio (droit public/droit privé). Il s’apparente à une méthode qui permet de confronter des règles, des institutions, des solutions juridiques relevant de différents ordres juridiques. Il constitue aussi bien le principe d’une sociologie comparative du droit. En outre, qualifier nos

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