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Aux fondements de l'état canadien : la liberté au Canada de 1776 à 1841

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Academic year: 2021

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®

UMI

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Aux fondements de l'Etat canadien

La liberté au Canada de 1776 à 1841

Michel Duchanne History Department McGill University, Montreal

January 2005

A thesis submitted to McGill University in partial fulfilment of the requirements of the degree ofDoctor ofPhilosophy

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Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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Bien que l'État et l'ordre social dans les deux Canadas trouvent leur légitimité dans une certaine conception de la liberté dès l'époque de la Révolution atlantique (1776-1815), le concept de liberté n'a encore jamais servi à structurer l'histoire du développement de l'État au Canada. Notre thèse met en lumière l'importance de ce concept dans le processus de formation de l'État au Canada entre la Révolution américaine (1776) et l'Acte d'Union (1841). Elle propose une relecture de l'histoire intellectuelle et politique canadienne de cette période en fonction de la question de la liberté, considérée dans le contexte de l'Empire britannique et du monde atlantique (Grande-Bretagne, États-Unis, France). À partir d'un cadre théorique inspiré à la fois des travaux des historiens intellectuels du monde atlantique tels J. G.A. Pocock, Bernard Bailyn, Gordon S. Wood et Quentin Skinner, des considérations philosophiques de Isaiah Berlin sur la liberté et d'une lecture des grandes œuvres philosophiques britanniques, françaises et américaines du

xvmo

siècle, notre thèse démontre qu'à partir de 1791, le Haut et le Bas-Canada se développent suivant un idéal de liberté qui, tout en étant différent de la liberté à l'œuvre au sein des mouvements révolutionnaires, n'en était pas moins directement issu des lumières. Moins soucieux d'égalité et de fraternité que d'autonomie individuelle, cet idéal s'articule autour du triptyque «liberté, propriété, sécurité». Politiquement, ce concept de liberté reconnaît l'existence de divers intérêts au sein de la société et leur droit d'exister. Économiquement, l'importance donnée à la protection de la propriété privée se double d'une éthique de l'accumulation de la richesse.

Cette conception de la liberté (qui nous appelons liberté moderne) est à la base de l'Acte constitutionnel de 1791 et fait généralement consensus au sein des sociétés haut et bas-canadiennes jusqu'en 1828. À ce moment, certains réformistes, déçus par la lenteur du gouvernement britannique à accorder des réformes, en viennent à adopter un discours républicain basé sur le triptyque «liberté, égalité, communauté» et l'idée de la souveraineté du peuple. Les luttes politiques de la décennie 1830 dans les deux Canadas s'expliquent donc en partie par une opposition entre deux conceptions très différentes de la liberté. Cette opposition prend fin lors des rébellions de 1837 alors que les armes font triompher la vision

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et les radicaux des deux Canadas. C'est dans ce contexte que le rapport de lord Durham est publié. Par sa proposition visant à rendre le pouvoir exécutif responsable de ses décisions devant l'Assemblée législative, lord Durham redonne aux réfonnistes demeurés dans le cadre de la liberté moderne le contrôle du mouvement réformiste colonial et l'oriente vers la question du gouvernement responsable. Par conséquent, après 1839, les débats dans les colonies portent sur la pratique du pouvoir et non plus sur sa légitimité.

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Although the concept of liberty provided the intellectual foundation for the legitimacy of state power and social order in both Canadas from as early as the Atlantic Revolution (1116 - 1815), it bas never been used to study the history of state formation in Canada. This dissertation examines the essential role that the concept of liberty played in the process of state formation in Canada between the American Revolution (1116) and the Act of Union (1841). It proposes a large-sca1e re-reading of the intellectual and politica1 history of that period through the question of liberty within the framework of the British Empire and of the Atlantic world (Great Britain, The United States and France). Beginning from a theoretical framework inspired by the work of intellectual historians of the Atlantic world, such as J.G.A. Pocock, Bernard Bailyn, Gordon S. Wood and Quentin Skinner, by the philosophical considerations on liberty from Isaiah Berlin and by a reading of the most important philosophical writings of eighteenth-century Britain, France and United States, this dissertation argues that, from 1191 and onwards, Upper and Lower Canada developed according to a concept of liberty that, white being different from the notion of liberty at work during the Atlantic Revolution, still proceeded directly from the Enlightenment. Less preoccupied by equality and community than by individual autonomy, this ideal was based on a respect for certain individual rights which are often reduced to the trio of "liberty, property and security." Politically, tbis model ofliberty recognized the existence of different interests within a society and their right to exist, and economically, the importance it gave to the protection of private property led to an ethic that encouraged the accumulation of wealth.

This conception of liberty (wbich might be called a modem definition of liberty) provides the intellectual base for the Constitutional Act of 1191 and was generallyaccepted in Upper and Lower Canadian societies until 1828. At that moment, sorne reformists, disappointed by the slowness of the British govemment to bring reform to the colonies, adopted a republican discourse based on the idea of popular sovereignty and the very different trio of «liberty, equality and community». The political struggles of the 1830s in

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different concepts of liberty. The tension between these two models ended with the 1837 rebellions and the triumph of the modem concept ofliberty at the expense of the republican ideal defended by the patriots and the radicals in both Canadas. It is in this context that Lord Durham' s report was published. By his recommendation of rendering the executive power accountable to the Legislative Assembly, Durham gave back to the reformists still adhering to the modem concept of liberty the leadership of the reform movement in the colony and re-focussed the movement's attention towards the issue ofresponsible govemment. After 1839, the debate within the colonies would concentrate on the practice ofpolitical power, rather than on its legitimacy.

(9)

Je voudrais tout d'abord remercier mon directeur Brian Young pour son soutien indéfectible au cours des dernières années. Sa rigueur, son ouverture d'esprit et sa disponibilité m'ont été d'un grand secours. Je voudrais aussi exprimer ma gratitude aux deux autres membres du comité de thèse qui se sont montrés d'une très grande générosité à mon égard Merci à Michèle Dagenais (Université de Montréal) pour sa présence, sa patience et son grand esprit critique. Merci également à Yvan Lamonde (Univerité McGill) pour sa disponibilité et ses judicieux conseils. Ma gratitude va aussi aux membres du séminaire d'histoire de l'Université McGill qui ont généreusement accepté de lire et de commenter quelques-uns de mes chapitres. Merci spécialement à Isabelle Carrier, Pierre Boulle et Emmanuelle Carle.

Il me faut aussi remercier l'Institut d'études canadiennes de McGill qui m'a accueilli en ses murs au cours des six dernières années. Merci à Desmond Morton qui m'a invité à me joindre à l'équipe de l'Institut à titre de boursier en 1999 et à Antonia Maioni qui m'a permis de tenniner la rédaction de ma thèse sur la rue Peel. Merci également à toute l'équipe du MISC avec qui j'ai passé de merveilleux moments. Merci à Marie-Louise Moreau, Suzanne Aubin, Lynne Darroch, Natalie Zenga, Johanne Bilodeau, Linda Huddy, Nathalie Cooke et lan Rae. Un merci tout spécial à Anna de Aguayo qui m'a inspiré le sujet de ma thèse.

Je voudrais également exprimer ma gratitude à mes collègues boursiers de l'Institut dont Anne Lefebvre, Christopher Cochrane, Dana Phillips, Jessica Wurster, Shelley Boyd, Timothy Pearson, Alexandre Dubé et Jean-François Constant. De tous les boursiers, je me dois de remercier de manière toute particulière Damien-Claude Bélanger et Sophie Coupai pour les bons moments passés ensemble à travailler, à discuter et à procrastiner. J'espère de tout cœur que notre complicité survivra au Monde Imaginaire ... Merci aussi à Sophie pour avoir corrigé certains chapitres de la thèse avec diligence et fermeté ... Enfin, un gros merci à Alexander MacLeod qui m'a généreusement offert son amitié et sans qui cette thèse

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m'avoir permis d'accaparer leur mari et père et d'avoir envahi, plus souvent qu'à mon tour, leur intimité ... Est-ce que je peux continuer?

Merci à mes proches qui ont dû supporter tous les désagréments qu'occasionnent des études doctorales. Merci à mes parents, Jean-Luc et Francine, qui ont toujours été présents. Merci à mon frère Marc-André et à ma sœur Isabelle qui ont été les premiers à entendre parler de liberté. Merci à Isabelle pour avoir corrigé plusieurs chapitres de la thèse dans des délais toujours très serrés. Merci aussi à Janie Dufresne, le quatrième mousquetaire ...

Je dois finalement préciser que cette thèse n'aurait pas vu le jour sans la contribution fInancière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds pour la Formation de Chercheurs et l'Aide à la Recherche (FCAR). Je remercie ces organismes pour leur soutien fInancier.

(11)

JCARC JCAHC JCLBC JLAPC

Journaux de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada JournaIs of the House of Assembly of Upper Canada

Journaux du Conseil législatif de la province du Bas-Canada Journals of the Legislative Assembly of the Province of Canada

(12)

Flésunné i

Abstract iii

Flemerciements v

Liste des abréviations . VII

Introduction: La liberté au Canada ou L'iDfluence des lumières 1

Chapitre 1 : La liberté au Canada. Survol historiographique et nouvelle

problématique . 16

1. Une historiographie en mal de liberté 17

1.1. La naissance de l'histoire au Canada ou Comment justifier l'existence

nationale 17

1.2. L'historiographie canadienne au

xx

e siècle: le paradigme conservateur .

25 1.3. La mise en place d'un nouveau paradigme libéral . 30 1.3.1. La redécouverte du libéralisme au Canada anglais . . 33 1.3.2. La redécouverte du libéralisme au Québec . . 36 1.3.3. La formation de l'État au Canada: l'histoire d'un ordre libéral . 40 2. Pour une nouvelle histoire intellectuelle et politique du Canada . . 49 2.1. Une nouvelle manière de concevoir l'histoire du monde atlantique. . 49 2.2. L'historiographie canadienne et la perspective atlantique . 52 3. Pour une histoire du concept de liberté dans les Canadas . . 60

PARTIE 1 : Le Canada et la Révolution atlantique (1776-1828) . 64

Chapitre 2: Les Canadas et la liberté à l'époque de la Révolution atlantique

(1776-1805) . 66

1. La liberté classique et la liberté moderne à la fin du Siècle des lumières . . 67

1.1. Liberté et égalité . 73

1.2. L'éthique de la vertu contre l'éthique de l'accumulation . 77 1.3. La liberté classique et l'État: le Peuple et la Flépublique . 79 1.4. La liberté moderne et l'État: le Parlement et l'équilibre des pouvoirs . 84 1.5. Liberté classique et liberté moderne dans le cadre atlantique . 88 2. La liberté classique contre la liberté moderne au Canada (1775-1805) . 90 2.1. Les Canadas et la Flévolution atlantique (1791-1805) . 94

2.1.1. Les Canadas et la liberté moderne : les principes de l'Acte

constitutionnel . . 95

2.1.2. Les Canadas et la liberté moderne: les institutions issues de l'Acte

constitutionnel . .104

2.2. L'Acte constitutionnel comme antidote à la <<R.évolution atlantique»

au Bas-Canada .106

2.3. La disparition progressive des idées républicaines au Bas-Canada

(1793-1797) .111

(13)

Chapitre 3 : Les mouvements de réforme et la question de la liberté dans les

Canadas (1805-1828) .115

1. Le mouvement réformiste au Bas-Canada (1805-1828) . .116 1.1. Les réformistes bas-canadiens et la responsabilité ministérielle .116

1.1.1. Un mouvement de réfonne animé par les principes de la liberté

moderne. .117

1.1.2. La constitution britannique et la question de la responsabilité de

l'exécutif. .120

1.1.3. La constitution coloniale et la question de la responsabilité de

l'exécutif .123

1.2. Le mouvement de réforme bas-œnadien (1810-1828) .130 1.2.1. Les réformistes et la question de la destitution des officiers publics .131 1.2.2. Les réformistes et le contrôle des subsides .132 1.3. Un mouvement réformiste animé des idéaux de la liberté moderne. .135 1.4. Les réformistes et la question de l'Union (1822) .137

2. Les réformistes haut-canadiens (1805-1828) .139

2.1. Robert Thorpe et les premières velléités de réforme au Haut-Canada

(1806-1807) . .140

2.2. Robert Gourlay et l'émergence d'une critique républicaine. .145 3. Liberté moderne contre liberté classique dans les colonies .153

3.1. D'un mouvement réformiste bas-canadien à un mouvement

révolutionnaire . 156

3.2. La marginalisation des réformistes au Bas-Canada après 1830 .163

3.3. La victoire des républicains au Haut-Canada .170

Conclusion .178

PARTIE 2 : Liberté elassique eontre liberté moderne dans les Canadas

(1828-1840) .179

Chapitre 4 : <<Nous, le peuple» ou La liberté e1assique dans les Canadas

(1828-1838) .184

1. Liberté et égalité : la rhétorique classique des républicains canadiens . 189

1.1. Les racines intellectuelles du mouvement . 189

1.2. Les principes des républicains coloniaux .195

2. Le peuple ou La fiction républicaine de la liberté . .204 2.1. La souveraineté du peuple et le pouvoir législatif .206 2.2. Le pouvoir législatif et le problème de la représentation .208 2.3. La souveraineté du peuple et le Conseil législatif .210 2.4. La participation à la vie politique: un peuple d'électeurs .212 2.5. La suprématie du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif. .214

2.5.1. Les patriotes et la question de la responsabilité de l'exécutif face au

(14)

2.5.2. Les radicaux et la question de la responsabilité de l'exécutif face au

législatif . .219

2.5.3. Les républicains et la relation entre l'exécutif et le législatif .225 3. Le peuple souverain et l'indépendance coloniale .226

4. Peuple et faction: l'exclusion républicaine .231

4.1. L'élitisme républicain .232

4.2. L'exclusion des femmes du pouvoir législatif .234

4.3. L'exclusion du peuple .242

Conclusion .248

Chapitre 5 : La primauté des droits ou La liberté moderne dans les Canadas

(1828-1840) .249

1. Liberté, propriété et sécurité: la rhétorique moderne dans les Canadas .257

1.1. La liberté .258

1.2. L'égalité .262

1.3. La propriété et l'ethique de l'accumulation .263

1.4. La sécurité .267

2. La souveraineté du Parlement dans le cadre du gouvernement mixte .268 2.1. Les modernes et le rejet de la souveraineté du peuple .269 2.2. La liberté moderne et le pouvoir politique .271 2.2.1. La souveraineté du Parlement, le gouvernement mixte et le peuple .271 2.2.2. L'intégration des pouvoirs exécutif et législatif .273 2.2.3. Autonomie du pouvoir exécutif et rapport avec le pouvoir législatif .275 2.2.4. La question de la responsabilité de l'exécutif . .277

2.3. La liberté moderne et le statut colonial .280

2.4. La lutte pour le maintien de l'équilibre des pouvoirs dans les colonies .284

2.5. La légitimité des institutions . .286

3. L'exclusion moderne .294

3.1. La rhétorique des droits de naissance .295

3.2. L'exclusion des sujets d'origine américaine au Haut-Canada .296

3.3. L'exclusion des Canadiens français .298

Conclusion .305

Chapitre 6: L'affrontement de 1837 .306

1. Affrontement entre deux conceptions de la liberté .311

1.1. Liberté! Quelle liberté? .312

1.2. Des organisations politiques différentes .313

1.3. «Pas de liberté pour les ennemis de la liberté» .317 2. Vers l'impasse: la radicalisation de la politique canadienne .318 2.1. Institutionnalisation des conflits au Bas-Canada .319 2.2. La métropole, la réforme et la liberté moderne .321

2.3. Beaucoup de bruit pour rien . .328

(15)

2.3.2. Des constitutionnels indignés 3. Aux armes, citoyens!

3.1. Les républicains et la violence

3.2. Les constitutionnels et l'auto-défense

3.3. De la rhétorique à la pratique : les camps s'organisent pour l'affrontement .331 .333 .334 .340

ultime. .348

4. La rébellion et le triomphe de la liberté moderne. .351

4.1. En route vers les rébellions . .352

4.2. Le règlement de la crise au Bas-Canada: liberté et mesures d'exception .356

Conclusion .360

PARTIE 3: Le renouveau de la politique canadienne (1838-1841) .361

Chapitre 7: Des nouveaux enjeux: l'équilibre des pouvoirs et la responsabilité

de l'exécutif (1838-1841) .363

1. L'union et le gouvernement mixte. .364

1.1. Les constitutionnels, le gouvernement mixte et l'union .364 1.2. L'union des deux Canadas comme moyen de rétablir le gouvernement

mixte .368

2. Lord Durham et la question de la responsabilité du pouvoir exécutif .373

2.1. L'erreur de lord Durham .374

2.2. L'analyse de lord Durham: une défense du gouvernement mixte .375 2.3. La solution de lord Durham: la responsabilité des «conseillers» exécutifs .378 3. Lord Durham et le renouveau de la politique canadienne. .382

3.1. Une vieille idée, un nouveau souffle . .384

3.2. L'accueil donné au rapport de lord Durham dans les colonies .386 4. L'influence du rapport de lord Durham sur la politique métropolitaine .389 4.1. Une nouvelle question pour les autorités métropolitaines .389 4.2. Lord Russell et la question de la responsabilité ministérielle .394

5. Vers une nouvelle pratique du pouvoir .402

5.1. Quelle responsabilité pour le pouvoir exécutif colonial (1838-1841) .403

5.2. Le régime de Charles Poulett Thomson .410

Conclusion .416

Conclusion: La primauté du droit, la primauté des droits: les fondements de

la liberté au Canada .419

(16)

La

liberté

au Canada ou L'inOuence des lumières

L'Europe connait au

xvm

e siècle une effervescence intellectuelle sans précédent C'est de l'Angleterre que provient l'impulsion initiale'. L'étincelle qui jaillit d'Albion embrase très rapidement la France2 pour ensuite se répandre sur tout le continent. Tout au long du Siècle des lumières, les philosophes remettent en cause l'ordre social, politique et religieux de l'Ancien Régime. Ds questionnent tous les rapports de force qui existent dans la société. Ils en viennent à réclamer l'abolition des privilèges, la reconnaissance de la liberté de religion, de presse et d'association et parfois le droit de participer au pouvoir politique. La menace que les philosophes représentent pour l'ordre établi ne vient pas de leur remise en cause de certaines pratiques séculaires. Elle provient plutôt du fait qu'ils questionnent directement la légitimité de l'ordre établi en lui refusant ses justifications traditionnelles: le droit divin, le droit dynastique et le droit de conquête. En fait, ce que les philosophes réclament, c'est la reconfiguration totale de l'ordre social et des relations de pouvoir à partir du concept de liberté. Durant la seconde moitié du

xvm

e siècle, ces

philosophes sont rejoints par des polémistes, des pamphlétaires et des politiciens aussi bien en Europe que dans les treize colonies américaines. Le mouvement de contestation généralisé dégénère à la fin du siècle en révolution qui ébranle le monde atlantique jusque dans ses fondements.

Si de nombreux historiens se sont penchés sur cette époque et sur la quête de liberté qui l'a caractérisée, peu se sont intéressés à l'expérience canadienne. Au mieux, les colonies britanniques de l'Amérique du Nord demeurées fidèles à l'Empire, dont la Province de Québec, ne font pas partie de cette histoire puisqu'elles seraient demeurées en marge des

'Sur l'origine anglaise des idées des lumières, voir Simone Goyard-Fabre, La philosophie des Lumières en France, Paris, Librairie C. Klincksieck, 1972, p. 40 ; Margaret C. Jacob, The Cultural Meaning of the

Scientific Revolution, New York, Alfred A. Knopt: 1988, p. 97; Roy Porter, EnIightenment: Britain and the Creation of the Modem World, Londres, Allen Lane, The Penguin Press, 2000, p. 6-9, 30. Jonathan Israel a toutefois récemment remis en cause l'influence anglaise dans l'émergence des lumières dans Radical Enlightenment: PhiJosophy and the Malcing of Modernity, 1650-J 750, Oxford et New York, Oxford University Press, 2001, 810 p.

~n fait, selon Jack Lively, les lumières sont, à l'origine, un dialogue entre les Anglais et les Français: «Introduction» dans The Enlightenment, Londres. Longmans, 1966, p. xiii.

(17)

idées des lumières3Au pire, elles sont considérées comme étant l'incarnation des valeurs contre-révolutionnaires4

• Si les colonies de l'Amérique du Nord britannique n'ont jamais été

véritablement intégrées dans l'histoire du monde atlantique de la fin du

xvmo

siècle, c'est en partie à cause du cadre d'analyse retenu par les historiens du Siècle des lumières. Ceux-ci ont longtemps considéré que toutes les revendications et les demandes de réforme du

xvmo

siècle trouvaient leurs racines dans une seule conception de la liberté basée sur l'égalité des individus, l'inviolabilité de la propriété privée ainsi que sur la souveraineté populaire. Selon cette perspective, le siècle aurait été marqué par l'opposition entre les partisans de la liberté et leurs adversaires. Cette opposition aurait culminé lors des révolutions américaine et française. Si on accepte cette logique, il est évidemment impossible d'inclure les colonies de l'Amérique du Nord britannique dans l'histoire de la lutte pour la liberté, sauf d'une

manière particulièrement négative, puisque les coloniaux ont refusé la révolution.

Cette interprétation nous apparaît toutefois problématique puisqu'elle repose sur l'idée que tous les partisans de la liberté au

xvm

e siècle partageaient un même idéal. En fait, nous remettons en cause l'idée voulant qu'il ait existé une seule définition de la liberté, comprise comme le fondement de la légitimité de l'État et de l'ordre social, dans le monde atlantique à cette époque. Nous soutenons plutôt que deux conceptions aussi différentes que contradictoires de la liberté sont alors articulées. Ainsi, 1 'histoire du Siècle des lumières doit rendre compte non seulement de l'antagonisme entre les défenseurs de la liberté et leurs opposants mais aussi de la lutte qui opposent les partisans de la liberté entre eux.

Dans les faits, les partisans de la liberté passent le XVIW siècle à s'opposer les uns aux autres. À cet égard, l'animosité qui empoisonne les relations entre Jean-Jacques Rousseau et Voltaire n'est qu'une manifestation tangible de l'opposition entre deux

3Frank Underhill, ln Search ofCanadian Liberalism, Toronto, Macmillan, 1961, p. 12; Donald Creighton,

The Road to Confederation: the Emergence of Canada, 1863-1867, Toronto, Macmillan, 1964, p. 142-3 ; Northrop Frye, Divisions on a Ground. &says on Canodian Culture, Toronto, Anansi, 1982, p. 48, 77.

4Seymour Martin Lipset, North American Cultures: Values and Institutions in Canada and United States, [s. 1. ], BorderJands, 1990, p. 2-10, 13-14; Revolution and Counte"evolution. Change and Persistence in Social Structures, New York, Basic Books Inc., Publishers, 1968, p. 31-63 ; Continental Divide. The Values andlnstitutionsofthe United States and Canada, New York, Routledge, 1990, p. 1-56,59-60.

(18)

conceptions de la liberté. D'un côté, il y a les partisans de ce que nous appelons la liberté «classique». Cette conception de la liberté apparait d'abord en Italie au XVIe siècle pour ensuite influencer le monde atlantique à partir du milieu du XVIIe siècle. Inspirée des idéaux républicains de l'Antiquité, elle est développée dans le cadre atlantique par les auteurs radicaux et républicains anglais, américains et français. Elle trouve sa pleine expression dans le triptyque «liberté, égalité, communauté (fraternité)>>. Fondée sur l'idée de la participation politique, de la souveraineté populaire et de la toute puissance du pouvoir législatif, elle est articulée autour d'une éthique de la vertu citoyenne et d'un idéal agriculturiste méfiant à l'égard de l'accumulation de la richesse et du capitalisme. Ce concept de la liberté triomphe lors des révolutions anglaise (1649), américaine (1776) et française (1789). Face à cette vision classique de la liberté se développe une conception «moderne» à partir de la fin du

xvrJl'

siècle. Cette dernière est l'œuvre entre autres des philosophes de la première génération des lumières, des whigs anglais, de certains philosophes écossais et des fédéralistes américains. Cette conception de la liberté est basée sur le respect de certains droits individuels souvent réduits au triptyque «liberté, propriété, sécurité». Moins préoccupés d'égalité que d'autonomie individuelle, les tenants de la liberté moderne conçoivent l'État de manière à ce qu'il ne puisse aliéner l'individu de ses droits. Économiquement, cet État est organisé de sorte à encourager le commerce et l'accumulation des richesses.

n

favorise directement le développement des infrastructures et des institutions nécessaires au capitalisme. Politiquement, il est construit de manière à permettre la compétition des intérêts particuliers au sein des institutions. La liberté moderne s'impose en Angleterre à la suite de la Glorieuse Révolution (1688)5.

La mise en valeur de la différence entre ces deux conceptions concurrentes de la liberté est essentielle pour une meilleure compréhension de l'histoire aussi bien du monde atlantique que des colonies britanniques de l'Amérique du Nord. D'une manière générale, elle remet en cause l'idée voulant que tous les penseurs du

xvm

e siècle aient plus ou moins

su

différence fondamentale entre le règlement des révolutions de 1688 et de 1776 au niveau politique a bien

été mise en lumière par John M. Murrin. Voir «Great Inversion, or Court versus Country. A Comparison of

the Revolution Settlement in England (1688-1721) and America (1776-1816)>> dans J.G.A. Pocock, dir., Three British Revolutions: 1641, 1688, 1776, Princeton, Princeton University Press, 1980, p. 368-453.

(19)

partagé la même notion de liberté et qu'ils aient tous rêvé à un même genre de société. En fait, elle nous pennet de contester la parenté qui aurait existé entre les idées des lumières et les idées révolutionnaires. Si les historiens ont souvent eu de la difficulté à expliciter le lien qui unissait les lumières à la révolution, c'est probablement parce que ce lien est beaucoup plus ténu qu'on ne l'assume normalement: il y a un changement de nature, une rupture entre les idées développées par les philosophes entre 1700 et 1750 et celles développées par les républicains et les révolutionnaires après 1760. Les premiers attaquent les fondements de l'État à partir de la conception moderne de la liberté ~ les seconds, à partir de la conception classique. Cette différence est de taille puisque ces deux conceptions de la liberté impliquent deux manières très différentes de concevoir la nature de l'État et de l'ordre social, la définition de ce qu'est un individu, de ses droits, de ses devoirs et de ses responsabilités envers lui-même et envers les autres individus.

Parallèlement, la mise en valeur de la différence entre ces deux conceptions de la liberté nous permet de revisiter la question de l'influence de la liberté dans le développement des colonies de l'Amérique du Nord britannique, et plus particulièrement de la Province de Québec (1776-1791) et des deux Canadas (1791-1841). Nous soutenons que ces colonies ne sont pas demeurées en marge du débat concernant la liberté à la fin du

xvm

e et au début du XIXC siècle puisque l'État dans ces colonies se développe en suivant l'idéal moderne de la liberté à partir de 1791. Cet idéal, s'il est différent de celui à l'œuvre au sein des mouvements révolutionnaires, n'en est pas moins directement issu des lumières. Ainsi, la distinction entre les deux formes de liberté nous permet de dépasser le manichéisme traditionnel voulant que les colons britanniques aient nécessairement refusé la liberté et les idées des lumières en refusant la révolution. Il nous semble plus juste de dire qu'en refusant la révolution, les coloniaux ont simplement rejeté une forme particulière de liberté sans pour autant choisir la contre-révolution.

Notre thèse vise donc à mettre en évidence l'importance que le concept de liberté a eu dans le développement de l'État dans les Canadas à la fin du xvme et au début du XIXe siècle. Plus précisément, elle démontre qu'une certaine conception de la liberté a fondé la légitimité du pouvoir politique et des relations sociales dès 1791. Au niveau politique,

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l'adoption de l'Acte constitutionnel implique immédiatement une nouvelle façon de définir les relations de pouvoir et la légitimité de l'État. Le pouvoir colonial est désormais légitime dans le cadre du gouvernement mixte où doivent collaborer les trois ordres traditionnels de la société anglaise soit la monarchie, l'aristocratie et la démocratie. Le pouvoir colonial n'est également légitime qu'à la condition de respecter la constitution ou encore la volonté du pouvoir souverain, soit le Parlement britannique. Grâce à la création des institutions parlementaires dans le cadre de la division de la Province de Québec en deux colonies distinctes, le Haut et le Bas-Canada, les sujets haut-canadiens réintègrent le giron du droit civil britannique (en lieu et place du droit civil français) par leur propre volonté, et ce, dès la première session de la Législature en 1792. En faisant sienne les lois civiles britanniques, la Législature importe non seulement un cadre légal, mais aussi tout une façon de concevoir l'ordre social. Les effets de la nouvelle constitution au niveau social sont beaucoup plus lents à apparaître au Bas-Canada. En fait, la nouvelle constitution n'implique pas le renversement de l'ordre social antérieur. Elle suppose seulement la mise en place d'un cadre à l'intérieur duquel les réformes de l'ordre social pourront être éventuellement réalisées. Il faudra néanmoins attendre les rébellions et la création du Conseil spécial au Bas-Canada pour que la réforme de l'ordre social débute véritablement.

Afin de démontrer l'importance que le concept de la liberté a eu dans le développement de l'État dans les Canadas comme source de la légitimité du pouvoir, nous reconstituons, à partir du concept de liberté, les fondements sur lesquels repose l'ordre colonial tel que défini par l'Acte constitutionnel. Nous reconstituons également les idéologies à travers lesquelles les élites politiques métropolitaines et coloniales concevaient la légitimité des relations de pouvoir et l'ordre social, ce qui leur permettaient de défendre l'ordre colonial ou de réclamer des réformes. En fait, nous cherchons à éclairer la logique interne des idéologies afin de mieux comprendre la logique de l'organisation des colonies. Il importe de mentionner dès maintenant que nous n'abordons pas les diverses formes de libertés et les divers droits qui existent dans les colonies (habeas corpus, liberté de religion, liberté de presse, liberté d'association, droit de vote), mais bien le principe général qui les justifie. Suivant cette logique, nous ne traitons pas de la question religieuse. D'abord, les

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catholiques et les protestants de toutes confessions jouissent des mêmes droits dans la Province de Québec à partir de 1774. La question de la liberté de religion ne fait par conséquent l' object d'aucun débat dans les colonies entre 1776 et 1841 sauf en ce qui a trait aux droits des Juifs. Ceci étant dit, les colonies ne sont pas épargnées de conflits entre les diverses confessions religieuses. Toutefois, ce qui est enjeu à cette époque, c'est d'abord et avant tout la distribution des réserves du clergé entre les diverses Églises et le statut privilégié de l'Église d'Angleterre. Ces questions se rapportent non pas à la question de la liberté ou à la question de la légitimité de l'État, mais à celle de la relation entre les Églises et l'État. Cette question, pour intéressante, n'en est pas moins hors de notre propos.

Notre thèse traite simultanément des deux Canadas. Notre approche à la fois comparative et intégrée se démarque des études réalisées jusqu'à ce jour portant sur l'histoire canadienne puisque cette dernière demeure encore largement fragmentée en fonction des régions, des provinces et encore davantage en fonction des groupes linguistiques. Ainsi, d'une manière générale les Canadiens anglais étudient le Canada anglais, les Québécois, le Québec. Seuls quelques historiens, pensons entre autres à S.D. Clark, Kenneth McRae et Stanley Bréhaut Ryerson, ont tenté dans les années 1960-1970 d'aborder inclusivement les expériences historiques canadiennes-anglaise et française. Leurs tentatives onttoutefois rarement dépassé les histoires parallèles et n'ont pas eu de suite6

• En

fait, les historiens canadiens se comportent comme si les expériences historiques canadienne-anglaise et canadienne-française (québécoise) n'étaient pas intimement liées, comme si l'expérience de chacun des deux groupes n'avait pas influencé l'autre.

Au Canada anglais, seul Allan Greer s'est fait le promoteur d'une approche plus comparative de l 'histoire canadienne au cours des dernières années.

n

a proposé dès 1995 de revoir les rébellions de 1837 dans les deux Canadas comme participant d'un «single

6S.D. Clark, The Movements of Po/itica/ Protest in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1959, 501 p. ; Kenneth D. McRae, «The Structure ofCanadian History», dans Louis Hartz, dir., New Societies. Latin America, South Africa, Canada, and Austra/ia, New York, Harcourt, Brace & World, Inc., 1964, p.

219-274 ; Stanley Brébaut Ryerson, Le Capita/isme et la Confédération. Aux sources du conflit Canada-Québec, Montréal, Parti Pris, 1972,549 p.

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historic phenomenon7». Il soutenait que

cette histoire devrait aussi se faire dans un cadre transnational. Malheureusement, cet appel est demeuré sans réponse jusqu'ici.

Au Québec, c'est Gérard Bouchard qui s'est fait le promoteur des vertus de l'approche comparative au cours des dernières années. Selon lui, cette approche pennet de mettre en perspective les régularités et les singularités de l'histoireS. Le cadre d'analyse développé par Bouchard et basé sur l' américanité de l'expérience québécoise aurait pu contribuer à un rapprochement entre l'historiographie québécoise et l'historiographie canadienne-anglaise sur le continentalisme9

• Toutefois, ce n'est pas le cas. Si Bouchard a

esquissé les bases d'une comparaison Canada 1 Québec 10 , il a généralement préféré comparer l'évolution du Québec non pas avec celle du Canada anglais mais plutôt avec celle d'autres sociétés neuves comme le Mexique et l'Australie. Cette distance que maintiennent les défenseurs de la thèse de l'américanité par rapport au Canada anglais s'explique par le fait que ces historiens articulent souvent leur discours dans un cadre national, nationaliste si ce n'est ouvertement souverainistell

.

En fait, au Québec, seul Jocelyn Létoumeau en appelle ouvertement à une révision du cadre national et nationaliste dans lequel évolue l'historiographie depuis 1845. Il propose un nouveau paradigme où les différentes expériences canadiennes seraient traitées de manière intégrée, comme participant d'une certaine unité. Létourneau nomme cette nouvelle perspective la canadianité. Selon lui, il faut dépasser le cadre national québécois, qui limite

'Allan Greer, «1837-38: Rebellion Reconsidered», Canadian Historical Review, 76: 1 (1995), p.lS. IGérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du nouveau monde. Essai d'histoire comparée, Montréal, Boréal, 2000, p. 37-76.

'1yoir par exemple les articles d'Allan Smith publiés dans Canada. An American Nation? Essays on Continentalism, ldentity, and the Canadian Frame ofMind, Montréal et Kingston, McGill-Queen's

University Press, 1994, 398 p.

IOGérard Bouchard, «Le Québec et le Canada comme collectivités neuves. Esquisse d'étude comparée», Recherches sociographiques, 39 : 2-3 (1998), p. 219-248.

llVoir par exemple: Gérard Bouchard, «La réécriture de l'histoire nationale du Québec. QueUe histoire 1 QueUe nation 1» dans Robert Corneau et Bernard Dionne, 00., À propos de l'histoire nationale, Sillery, Septentrion, 1998, p. 134-139; Gérard Bouchard, La nation québécoise au futur et au passé, Montréal, VLB, 1999, 157 p.

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indtîment la compréhension de l'histoire québécoise, et réintégrer 1 'histoire québécoise dans son cadre canadien.

n

s'agit donc de «(re)penser l'expérience historique canadienne dans ses dissonances Structurantes12», qui inclut la particularité québécoise. Cette approche ne vise pas à nier les conflits internes de la société canadienne ni la spécificité du Québec, mais plutôt à les voir comme participant à une expérience canadienne plus large. La canadianité de Létourneau est en fait un «principe dynamique, d'ordre historique et non pas substantiel, qui a structurellement marqué l'évolution de cet espace d'interrelations sociales et politiques qu'on appelle le Canada 13». Létourneau convie donc les historiens à revoir le passé québécois dans un cadre canadien plus global 14 •

Regrettant la fragmentation de l'histoire canadienne en ce qu'elle nuit à la compréhension du passé, nous entendons décloisonner l 'histoire des Canadas (1791-1841) en les embrassant dans une perspective ouvertement comparative et intégrée. Ainsi, notre thèse répond à la fois à l'appel de Greer pour une histoire intégrée des rébellions canadiennes, quoique nos efforts ne portent que sur l'aspect idéologique du conflit, et à la proposition de Létourneau de repenser l'histoire canadienne et québécoise dans une perspective qui n'implique aucun déterminisme. La question de la liberté dans ces colonies se prête bien à une telle approche. En effet, la constitution des deux Canadas, leurs institutions politiques similaires, leur cadre préindustriel commun et leur effervescence

12Jocelyn Létoumeau, <<l.' Avenir du Canada: par rapport à queUe histoire 1», Canadian Historical Review,

81 : 2 (juin 2000), p. 231.

13Ibid, p. 233. Voir sur le même sujet: Passer à j'avenir. Histoire, mémoire, identité dans le Québec d'aujourd'hui, Montréal, Boréal, 2000, p. 15-41, 115-167; «Pour un autre récit de l'aventure historique québécoise» dans Damien-Claude Bélanger, Sophie Coupai et Michel Duchanne, dir., Les idées en mouvement: perspectives en histoire intellectuelle et culturelle du Canada, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 2004, p. 53-73.

14Si Jocelyn Létourneau est l'historien qui a le plus travaillé à proposer un nouveau cadre d'analyse pour le Québec qui dépasse le cadre national, il n'est toutefois pas le seul à l'avoir souhaité: voir entre autres Damien-Claude Bélanger, «Les historiens révisionnistes et le rejet de la "canadianité" du Québec : Réflexions en marge de la Genèse des nations et culture du Nouveau Monde de Gérard Bouchard», Mens. Revue d'histoire intellectuelle de l 'Amérique française, II: 1 (automne 2001), p. 105-112; Bélanger, Coupai et

Duchanne, «Introduction» dans Les idées en mouvement, p. 10-11 ; Michèle Dagenais, «S'interroger sur la "nation" : une autre manière d'enseigner ('histoire du Canada», Canadian Issues, octobre - novembre 2001, p.23-25.

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politique de la décennie 1830 sont propices à une analyse comparative. Cette approche nous permet en outre d'aller au-delà la question «nationale» qui cloisonne les historiographies canadiennes depuis le XIX" siècle.

n

ne s'agit de nier ni les problèmes que la diversité culturelle a causés dans le développement des Canadas, ni le mépris que certains anglophones coloniaux ou métropolitains vouaient aux Canadiens français, ni le désir de ceux-ci de minimiser le pouvoir de ceux-là au Bas-Canada. Toutefois, il nous semble que la question <<nationale» ne représente pas nécessairement l'angle d'analyse le plus pertinent pour étudier la question de la légitimité de l'État et de l'ordre social à la fin du XVIIr' siècle et au début du XIXe

• Ainsi, au lieu d'étudier la légitimité de l'État à la lumière de la question

nationale, nous préférons intégrer la question de la diversité culturelle, lorsque c'est nécessaire, dans une étude de l'importance de la liberté comme source de la légitimité de l'État.

Si l'approche comparative nous permet de déterminer les ressemblances et les dissemblances entre les expériences haut et bas-canadiennes, il nous semble néanmoins qu'une analyse de la question de la liberté dans les Canadas est condamnée à être partielle si elle reste en marge du monde atlantique (Grande-Bretagne, États-Unis et France). D'une part, le cadre constitutionnel canadien dépend directement de la conception que les autorités britanniques se font de la liberté. Il est donc essentiel de comprendre les débats qui font rage en Grande-Bretagne pour bien saisir la nature des institutions qui sont créées en 1791. D'autre part, les élites canadiennes ne créent pas une nouvelle façon de concevoir la liberté entre 1776 et 1841. Elles ne font qu'emprunter tout au long de la période qui nous intéresse des arguments aux Britanniques, aux Américains et aux Français. Ces élites prennent connaissance de ces arguments par l'intermédiaire de livres importés et des journaux, surtout après la Révolution américaine. Il :onvient de mentionner ici que nous ne cherchons pas à

déterminer d'où les élites canadiennes tirent leurs références, mais plutôt à réintégrer les

colonies dans le cadre d'une histoire du monde atlantique. Notre perspective se distingue donc de celle adoptée par Yvan Lamonde qui s'est intéressé et à mis à jour l'influence qu'ont eu les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, le Saint Siège et même le Canada

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sur le développement du Québecu.

L'analyse interne des discours nous semble la meilleure façon d'aborder la question de la liberté dans les Canadas. Cette analyse nous permet de reconstituer à la fois la légitimité de l'État et de l'ordre social que les autorités métropolitaines imposent à la colonie en 1791 ainsi que la façon dont les coloniaux des XVIIIe! et XIXe! siècles acceptent cette même légitimité ou la contestent selon les cas. Certes, nous reconnaissons qu'il y a toujours une part de propagande et de manipulation dans tout discours et que les discours voilent parfois autant qu'ils dévoilent. Toutefois, la légitimité des relations de pouvoir et des rapports sociaux passe généralement par le discours dans le monde atlantique puisque l'ordre n'est pas normalement assuré par une forte présence militaire, mais plutôt par l'articulation d'un discours qui expose ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. La force physique n'est généralement utilisée que pour forcer les récalcitrants et les déviantsl6 à se

conformer aux lois qui ne sont, somme toute, que l'exposition formelle des principes généraux qui guident la société.

Malgré tout, nous croyons que toute bonne histoire intellectuelle ne peut et ne doit pas se limiter à retrouver la logique des discours. Un discours naît toujours d'un contexte particulier. Inversement, les individus perçoivent toujours le contexte dans lequel ils vivent en fonction de leurs principes et de leurs valeurs. En fait, la relation entre discours et contexte ressemble à une discussion, ce qui explique que rien dans une société n'est vraiment statique. Ainsi, notre thèse ne se contente pas de définir les principales idéologies qui existaient dans les colonies entre 1776 et 1841. Elle fait en outre ressortir, et c'est là un de ses apports essentiels, l'influence concrète que le concept de liberté a eu sur le développement politique, institutionnel et constitutionnel des Canadas.

La question de l'influence de la liberté dans l'histoire canadienne est particulièrement importante pour la décennie 1830. Jusqu'ici, la crise des années 1830 dans

l'Yvan Lamonde, Histoire sociale du Québec, vol. 1, Montréal, Fides, 2000, p.19-65 ; Allégeances et dépendances. L 'histoire d'une ambivalence identitaire, [s.l.], Éditions Nota Bene, 2001, 262 p.

l~ur la question de la déviance au Québec au XIX" siècle, voir l'excellent ouvrage de Jean-Marie Fecteau,

La liberté du pauvre : sur la régulation du crime et de la pauvreté au XIX- siècle québécois, Montréal, VLB

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les deux Canadas a été expliquée par des causes économiques, sociales, politiques, coloniales et nationales. Tout cela est vrai, en partie. Toutefois, les historiens ont négligé de mettre en lumière l'aspect idéologique de la crise, l' opposition fondamentale et irréductible entre deux. visions contradictoires des rapports sociaux. et des relations de pouvoir dans les coloniesI1

. Nous soutenons en effet que la crise des années 1830, l'impasse politique dans

laquelle se retrouve le Bas-Canada à partir de 1836 et les rébellions de 1837 s'expliquent en grande partie par l'affrontement idéologique entre les partisans de la liberté moderne (qui défendent la constitution) et les partisans de la liberté classique (qui réclament une reconfiguration des relations de pouvoir dans les colonies). Sans cet affrontement, peut-être aurait-il été plus facile de trouver une solution pacifique à la crise politique.

Notre cadre d'analyse basé sur l'existence de deux. conceptions de la liberté dans le monde atlantique nous a été inspiré en partie par les travaux. des historiens de l'école de Cambridge comme John Pocock et Quentin Skinner, par les écrits de quelques historiens américains dont Bernard Bailyn et Gordon Wood et par la réflexion philosophique de Isaiah Berlin sur le concept de liberté. Les travaux. de ces historiens et intellectuels nous ont permis de questionner l'idée voulant que tous les discours se réclamant de la liberté au

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e siècle

participent d'un même idéal libéral. Une fois remis en cause le cadre historique traditionnel faisant du libéralisme le moteur de la réforme au Siècle des lumières, nous avons analysé les grandes œuvres philosophiques et politiques du XVIIIe siècle en fonction de la question de la liberté. Nous avons tenté d'être le plus exhaustif possible. Nous avons ainsi étudié, entre autres, les ouvrages d'auteurs anglais, écossais et irlandais comme James Harrington, John Locke, William Blackstone, Adam Smith, Edmund Burke, Richard Priee, Joseph Priestley, Thomas Paine, Mary Wollstonecraft et James Mackintosh. Nous nous sommes aussi intéressé aux grands auteurs français et suisses comme Voltaire, Montesquieu, Louis de Jaucourt, François Quesnay, Jean-Louis de Lolme, Jean-Jacques Rousseau, l'abbé de Mably, Antoine de Condorcet et Maximilien Robespierre. Enfin, nous avons étudié les écrits

l1A1lan Greer a évoqué l'opposition entre la «démocratie parlemantaire» et la «démocratie plébéienne» dans

son article «Historical Roots ofCanadian Democracy», Journal ofCanadian Studies, 34 : 1 (printemps

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de quelques américains comme Alexander Hamilto~ Thomas Jefferson et John Adams. L'analyse de ces ouvrages nous a permis de constater l'existence de deux conceptions distinctes de la liberté et de mieux comprendre les fondements des idéologies auxquelles elles ont donné naissance : le républicanisme basé sur la liberté classique et le constitutionnalisme structuré autour de la liberté moderne. Muni de cette grille d'analyse, nous avons ensuite aborder les sources canadiennes pour déterminer l'influence que ces deux conceptions de la liberté a eu sur le développement des Canadas.

Notre choix de sources en ce qui concerne les Canadas trouve sa justification dans l'objectif de la thèse. Nous ne cherchons pas à mettre en lumière les tensions qui existaient au sein des rangs constitutionnels et républicains ni les particularités de l'expérience de chaque colonie comme telle. Nous désirons plutôt démontrer que l'opposition entre ces deux idéologies basées sur la liberté constitue un cadre interprétatif général de l'histoire intellectuelle et politique canadienne de cette époque. Notre approche est à la fois macro-historique et élitiste. Elle est macro-macro-historique en ce qu'elle aborde les deux Canadas comme un tout dès que cela devient possible vers 1828 en ne tenant pas compte des tensions qui existaient au sein des deux camps républicains et constitutionnels, que ces dernières soient d'ordre régional (Montréal contre Québec, York contre Kingston), linguistique (Canadiens français contre Canadiens anglais) ou politique (conservateurs contre réformistes). Elle est aussi élitiste en ce que nous nous intéressons seulement aux leaders des différents groupes. Certes, nous ne prétendons pas que la relation entre l'élite et la population en général ait été à sens unique, les élites manipulant la population. Toutefois, il nous semble qu'avant de parler de la discussion qu'il y a pu y avoir entre ces deux groupes, encore faut-il comprendre les principes, les idéaux et les valeurs des uns et des autres. Or, Allan Greer a déjà mis en relief, dans son excellent ouvrage intitulé The Patriots

and the People, les objectifs que la population bas-canadienne poursuivait durant les années 1830 et l'autonomie du mouvement populaire par rapport à celui des élites. Malheureusement, les discours des élites n'ont toujours pas fait l'objet d'une analyse aussi minutieuse. D'une part, si certains groupes (pensons aux patriotes) ont reçu une certaine attention de la part des historiens, il faut remarquer que d'autres groupes, surtout l'élite

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anglophone du Bas-Canada avant 1840, ont attiré l'attention d'un nombre très restreint d 'historiens jusqu'à présent. D'autre part. aucun cadre d'interprétation général n'existe pour appréhender l'histoire intellectuelle de cette période. Notre thèse vise donc à combler cette lacune historiographique.

Étant donné que nous ne nous intéressons pas tant à ce que les sujets pensaient individuellement à propos de la liberté qu'au cadre général qui donnait à la société coloniale et à l'État sa cohésion, nous ne nous sommes pas attardés aux documents privés et à la correspondance qui nous permettent d'entrer dans l'intimité des individus. Puisque nous abordons la question de la liberté comprise comme le fondement de la légitimité de l'ordre social et des relations de pouvoir, nous nous sommes intéressé essentiellement à des documents publics et imprimés. Ce choix est d'autant plus à propos que la défense de l'ordre colonial ou sa dénonciation se fait essentiellement sur la place publique dans le système parlementaire dans lequel évoluent les deux Canadas après 1791. En effet, la compétition entre les idées et les programmes politiques est un des éléments fondamentaux de la vie politique canadienne après l'avènement du parlementarisme. Ainsi, notre thèse repose en grande partie sur des documents officiels issus des institutions politiques ou s'intéressant à l'organisation politique de la colonie.

Nous portons donc notre attention sur des documents officiels coloniaux comme les résolutions, les pétitions, les adresses et les lois adoptées par les Législatures. Les résolutions, ainsi que les pétitions et les adresses qui en découlent, expriment généralement bien et de manière concise les grands principes auxquels adhèrent leurs partisans. Quant aux lois, elles réflètent les principes partagés par les législateurs ou une partie d'entre eux. Nous nous intéressons non seulement aux documents coloniaux, mais également aux documents métropolitains comme les lois anglaises (dont les constitutions canadiennes), les dépêches des ministres britanniques, la correspondance entre les autorités londoniennes et les gouverneurs ainsi que les rapports d'enquêtes. Il est essentiel pour comprendre les fondements de la légitimité de l'État de revoir ces sources puisque c'est finalement à Londres que se prennent les décisions fondamentales concernant la nature de l'État. Si ces documents officiels mettent en lumière certains principes, il n'en demeure pas moins qu'il

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est souvent nécessaire, afin de mieux comprendre ces principes, de revoir les débats qui ont lieu autour d'eux au sein des institutions politiques, à Londres comme dans les colonies. C'est souvent au cours des débats que les hommes politiques rendent explicites ce qui est implicite dans les résolutions et les lois. Les débats britanniques sont rapportés dans le

Parliamentary Register et dans le Hansard. De leur côté, les débats coloniaux sont reproduits en partie dans la presse locale.

n

nous semble que les discours des parlementaires, qu'ils soient dans l'opposition ou au pouvoir, constituent des témoignages de première importance quant à la notion de liberté.

Pour compléter cette vision officielle, nous avons eu recours à des sources extra-parlementaires. Plusieurs pamphlets, tracts et livres sont publiés dans les colonies entre 1776 et 1841, surtout après 1828. Le fait que ces documents soient somme toute relativement peu nombreux nous permet de faire un dépouillement exhaustif de imprimés canadiens portant sur la liberté qui circulent dans les colonies. Nous nous sommes également servi de quelques journaux. Ces derniers sont riches non seulement en débats et en écrits polémiques mais aussi en nouvelles internationales, ce qui nous permet de mieux situer l'expérience canadienne dans le cadre du monde atlantique.

Notre thèse est divisée en trois parties. La première partie est intitulée <<Le Canada et la Révolution atlantique (1776-1828)>>. Elle expose plus en détails les deux conceptions de la liberté qui sont développées dans le monde atlantique à la fin du XVIII" siècle et à

partir desquelles nous redonnons un sens à l'expérience canadienne. Elle aborde ensuite à

la fois l'influence des révolutions américaine et française sur les colonies et la nature de la liberté à la base de l'Acte constitutionnel de 1791. Cette première partie se termine par une analyse des principes sur lesquels les mouvements de contestation se sont développés dans les Canadas après 1805. Nous soutenons qu'entre 1776 et 1828, la majorité de l'élite politique coloniale, haut et bas-canadienne, francophone et anglophone, accepte les principes inhérents à la liberté moderne.

La deuxième partie, intitulée <<Liberté classique contre liberté moderne dans les Canadas (1828-1840)>>, présente la crise de la décennie 1830 sous l'angle d'une crise idéologique. Nous reconstituons, dans un premier temps, aussi bien le discours des patriotes

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du Bas-Canada et des radicaux du Haut-Canada que celui des défenseurs de la constitution (les constitutionnels) en tenant compte des principes à la base de ces deux discours, des institutions privilégiées par les deux groupes et des principes d'exclusion articulés par les patriotes / radicaux et les constitutionnels. Cette analyse interne des discours est spécialement importante en ce qu'elle nous permet de comparer les deux idéologies terme à terme. Ainsi, il est clair que la crise de la décennie 1830 s'explique en partie par l'opposition idéologique entre les partisans de la liberté classique (les patriotes et les radicaux) et les défenseurs de la liberté moderne (les constitutionnels). Plus encore, nous démontrons jusqu'à quel point la politique bas-canadienne se retrouve dans une impasse en1837 dont il est difficile d'imaginer une autre issue que celle de l'affrontement extra-parlementaire. En effet, la nature idéologique de l'opposition entre les deux groupes rend de plus en plus difficile leur collaboration au sein des institutions politiques canadiennes. D'abord, les deux groupes ne partagent pas les mêmes valeurs et les mêmes principes. Cette divergence de vue est importante en ce qu'elle implique que ceux-ci ne voient pas la légitimité du pouvoir de la même manière. Les républicains en viennent à considérer que l'Assemblée représentative est la seule institution politique coloniale légitime. Ce faisant, il nie au Conseil législatif nommé toute légitimité. Or, puisque le pouvoir législatif appartient conjointement aux deux chambres de la Législature et au gouverneur, l'opposition entre ces deux conceptions de la liberté paralyse les institutions bas-canadiennes. Et comme si la situation n'était pas assez tendue, les patriotes et les constitutionnels articulent des principes qui ont pour effet de s'exclure mutuellement Cette opposition idéologique ne peut se régler en 1837 que par la reddition d'un des camps ou par l'affrontement extra-parlementaire. C'est cette option que les patriotes privilégient en novembre 1837 (encore que la forme de la rébellion et l'appui des masses ne dépendent pas uniquement de la crise idéologique). Les radicaux du Haut-Canada profitent alors simplement de l'occasion pour tenter de renverser le gouvernement de leur colonie.

La dernière partie, intitulée <<Le renouveau de la politique canadienne (1838-1841 )>>, démontre l'importance du rapport de lord Durham dans l'histoire canadienne. Ce dernier, parce qu'il ne comprend pas la nature idéologique du conflit colonial, réoriente

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complètement la politique canadienne vers des enjeux plus politiques et moins idéologiques. En proposant de rendre les haut·fonctionnaires responsables de leurs actes devant l'Assemblée, il donne de la légitimité aux réformistes qui avaient prôné une réforme de ce genre dans les années 1830, mais qui étaient alors demeurés marginaux, étant trop modérés en cette époque turbulente. Ainsi, lord Durham réinvente la politique canadienne et permet aux colonies de sortir de la crise idéologique pour longtemps.

Ainsi, nous nous proposons de relire l'histoire de la Province de Québec et des deux Canadas entre le début de la Révolution américaine en 1776 et l'union des deux Canadas en 1841 à partir de la question de la liberté. Cette approche nous permettra de sortir à la fois du cadre «national» qui domine l'histoire canadienne depuis le XIXe siècle et de l'aporie libéralisme 1 conservatisme dans lequel les historiographies canadienne-française, québécoise et canadienne-anglaise se sont enlisées au cours du

:xx

e siècle. Elle nous permettra également d'éclairer sous un jour nouveau la nature des fondements de l'État canadien qui se met en place avant le milieu du

xrx

c

siècle en tenant compte du cadre à la fois atlantique et impérial.

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La liberté au Canada

Survol historiographique et nouvelle problématique

La liberté n'a jamais été abordée par les historiens comme le principe qui fonde la légitimité des relations de pouvoir et des rapports sociaux au Canada. Plus encore, la liberté, sous quelque forme que ce soit, n'a jamais été à la base d'aucune interprétation historique. Ce constat n'implique pas que l'expérience canadienne n'a pas été influencée par la liberté ou que le fonctionnement de l'État canadien ne trouve pas sa légitimité dans le concept de liberté. Il nous renseigne simplement sur l'état d'esprit de la société à laquelle les générations successives d'historiens ont appartenu, sur leurs angoisses, sur leurs espoirs et sur leurs ambitions. L'historien réinterprète le passé à la lumière des problèmes qui lui sont contemporains; les questions qu'il se pose sont le reflet des interrogations de son présent. Or, lorsque l'histoire naît au Canada dans les années 1840-1850, la question de la légitimité des relations de pouvoir au sein de l'État n'est plus à l'ordre du jour. En écrasant les soulèvements de 1837-1838, les autorités britanniques ont mis un terme à cette discussion pour plus d'un siècle. À partir de 1840, les Canadiens ne discutent plus de la légitimité des relations de pouvoir et de l'ordre social au sein de l'État, mais essaient plutôt de justifier l'existence de la «nation» canadienne (française ou anglaise) comme entité politique ou culturelle autonome. La question de l'heure, aussi bien pour les Canadiens français que les Canadiens anglaisl

, concerne alors leur existence collective distincte. Parce que l'histoire

apparaît à Pépoque où la justification de l'existence collective est à l'ordre du jour, où des préoccupations d'ordre «national» exigent la création d'une légitimité historique, les mythes et les interprétations autour desquels la mémoire et l'histoire sont structurées concernent essentiellement la légitimité d'une existence nationale particulière2. Puisque la définition

'L'appellation «Canadien français» est rarement utilisée avant 1840 et le terme de «Canadien anglais» est un

anachronisme avant la fin du XIX" siècle. Nous les utilisons néamnoins par souci de clarté afin d'éviter qu'un même nom (Canadien par exemple) désigne différents groupes dans le temps.

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cas canadien n'a rien de particulièrement original à cet égard. Le lien intime qui unit le développement de l'histoire et de la nation au XIX" siècle se retrouve dans la plupart des pays occidentaux. Michel Wieviorka

affinne à cet égard que «l'histoire [ ... ] rend compte en effet d'un passé qui est classiquement d'abord et

avant tout celui de la nation. [ ... ] L'histoire et la nation sont indémêlables, puissamment associées, et tout particulièrement dans les grands pays européens» : «Retours de mémoires», Le monde des débats, novembre

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nationale n'est pas la même pour les Canadiens français et les Canadiens anglais, les deux historiographies vont se développer de manière parallèle.

1. Une historiOJlUhie en mal de Uberté

1.1. La naissiJlCe de l'histoire au Canada ou COmment justifier l'existençe nationale En incluant dans son Report on the Affairs of British North America (1839) un plaidoyer pour l'assimilation linguistique des Canadiens français, lord Durham leur donne, sans le savoir ni le vouloir, une cause autour de laquelle ils peuvent se rallier à la suite des rébellions. En ce sens et de manière paradoxale, le rapport du célèbre lord anglais sert de catalyseur, plus que l'auteur ne l'aurait sans doute souhaité, à la création de la nation canadienne-française3. Il encourage les Canadiens français à s'unir autour d'un nouveau programme politique. C'est l'émergence du nationalisme canadien-français. Puisque c'est la survie culturelle des Canadiens français qui semble menacée à ce moment, ces derniers vont tâcher, dès 1840, de légitimer par tous les moyens possibles leur existence comme groupe culturel autonome vis-à-vis des Canadiens anglais (les autres coloniaux) et des Britanniques (les métropolitains). C'est donc autour de cette question que l'historiographie canadienne-française se structure dès le début de la décennie 1840.

2000, p. 10-12.

~ous partageons l'interprétation de Fernand Dumont pour qui la nation canadienne-française apparat' après les rébellions (voir Genèse de la société québécoise, Montréal, Boréal Compact, 1996,398 p.). Cet effort de construction de la nation ne sera achevé qu'à la fin du XIX" siècle. Nous adoptons donc une perspective moderniste selon laquelle les «nationalités», ou les «nations», sont «des constructions sociales issues d'un immense travail de mobilisation politique» (Gérard Noiriel, État, nation et immigration. Vers une histoire du

pouvoir, Paris, Belin, 2001, p. 117). D'un autre côté, parler de nationalisme canadien-français avant les rébellions relève d'un usage imprécis et abusif du mot nationalisme. D'abord, très peu de discours d'avant 1840 sont structurés autour du concept de nation. Entre 1191 et 1828, si certains Canadiens en appellent au respect de la «culture» française au Bas-Canada, pensons à quelques écrits publiés dans le journal Le

Canadien (les 29 novembre 1806. 1 er août 1801 et 28 novembre 1807) ou aux écrits de Denis-Benjamin VJger par exemple (voir chapitre 4, note 2), aucun de ces discours ne possède la caractéristique

fondamentale des discours nationalistes : la primauté de la nation . De plus, il arrive que les Canadiens parlent d'une nation canadienne qui inclut tous les habitants du Bas-Canada (Le Canadien, le 22 novembre 1806). La nation dont il est question n'a donc rien à voir avec la nation canadienne-française d'après les rébellions. Ensuite, les patriotes n'articulent pas un discours nationaliste entre 1828 et 1838. Dans leur cas, il

est plus juste ~ parler de patriotisme (voir chapitre 4, section <<Exclusion du peuple»). La seule exception à ce constat est Etienne Parent. Cependant Parent demeure une figure marginale avant les rébellions (voir chapitre 3, section «La marginalisation des réformistes au Bas-Canada après 1830»).

(34)

En publiant son Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours (1842-1845), François-Xavier Garneau entend répondre à lord Durham qui a accusé les Canadiens français de former «a people with no history, and no literature4». Ironiquement, cette œuvre aurait confirmé lord Durham dans ses préjugés s'il avait vécu assez longtemps pour la lire. En fait, cette célèbre phrase peut être interprétée de deux manières. D'une part, elle peut être comprise comme un commentaire sur l'état intellectuel de la colonie. En ce sens, lord Durham a raison puisque le premier roman et le premier livre d'histoire canadiens-français datent de 1837. C'est cette année-là que Philippe Aubert de Gaspé fils publie L'influence d'un livre: roman historique, le premier roman canadien-françaiss, et que Michel Bibaud

publie une première compilation de sources historiques6

• Encore que c'est Garneau qui, dans

les faits, publie le premier livre d'histoire canadienne en français en 1842. D'autre part,

l'affirmation de lord Durham peut être comprise comme une remarque sur le contexte intellectuel général dans lequel évolue la colonie. Si, à première vue, il semble nier le fait que les Canadiens français aient une culture, l'ensemble du rapport nous indique qu'il pense exactement le contraire.

Pour bien saisir la teneur du rapport de lord Durham, il faut d'abord comprendre le cadre idéologique à l'intérieur duquel il est pensé. Lord Durham est un whig. Or, pour les whigs, l'histoire se définit comme une marche vers la liberté (au sens de l'émancipation des individus)'. C'est dans ce cadre que l'affirmation de Durham prend tout son sens. Si les

4Lord Durham, Report on the Affairs of British North America, edited by Sir Charles Lucas, T.2, The Report, Oxford, Clarendon Press, 1912, p. 294.

'La même année, François-Réal Angers publie aussi Les révélations du crime, ou, Cambray et ses complices: chroniques canadiennes de 1834, Québec, Fréchette, 1837, 73 p.

6Quelques auteurs ont abordé l'histoire canadienne avant 1837, pensons à Jacques Viger, au docteur Jacques Labrie et à Joseph-François Perrault (voir Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, vol. 1, Montréal, Fides, 2000, p. 174-175).

7John Stuart Mill expose très bien cette définition whig de l'histoire: «the only untàiling and permanent source ofimprovement is liberty, since by it there are as many poSSIble independent centers ofimprovement as there are individuals. The progressive principle, however, in either shape, whether as the love of liberty or ofimprovement, is antagonistic to the sway ofCustom, involving at least emancipation from that yoke; and the contest between the two constitutes the chief interest of the history of mankind. The greater part of the world bas, properly speaking, no history, because the despotism ofCustom is complete» : «On Liberty»

Figure

Figure 1 : Comparaison  entre  la liberté classique  et  ta  liberté moderne (principes  et  institutions)  Principes fondamentaux  Uberté classique  Liberté moderne  La relation entre liberté  La liberté politique octroie  Les libertés civiles sont  polit
Figure 2 : Deux interprétations de  la  constitution britannique

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