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Réalité et idéal du mariage dans la littérature moyen-anglaise

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Academic year: 2021

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Réalité et idéal du mariage dans la littérature moyen-anglaise

Marie-Françoise Alamichel

Université Paris IV-Sorbonne

L'Église a mis du temps à s'intéresser au mariage et à en faire un sacrement. Jusque vers le XIIe siècle, il s'agit d'une cérémonie laïque, d'un acte qui scelle l'alliance de deux familiales, d'une union charnelle que les théologiens ne sauraient sacraliser. Mais le XIIe siècle se penche sur l'individu, découvre l'intériorité, le moi et l'autre. Les troubadours et les trouvères chantent le désir, les sentiments. Parallèlement, la doctrine de l'Eglise s'affine alors en ce qui concerne le lien matrimonial : le concile de Latran de 1139 met fin au mariage des prêtres et instaure une bénédiction des deux futurs époux devant la porte de l'église. C'est au XIIIe siècle (second concile de Latran en 1215) que l'on commence à exiger la publication des bans – moyen pour l'Eglise de vérifier s'il n'y a ni lien de parenté proche ni bigamie – ainsi que le consentement mutuel des deux fiancés – droit essentiel qui devait protéger la femme occidentale. On parle désormais d'amour, de tendresse unissant les conjoints : hommes et femmes proclament leur droit au bonheur et revendiquent leur autonomie.

La littérature moyen-anglaise ne nous livre que très peu de scènes de cérémonie de mariage. Elle préfère nous décrire les jeunes gens se faisant la cour, les chevaliers transis d'amour, les jeunes filles tombant en pâmoison : le mariage, dénouement logique, n'est que très brièvement évoqué car le bonheur, c'est bien connu, ne se raconte pas. Les poètes utilisent tous les mêmes expressions figées pour nous dire que ce fut un grand jour de joie, que les réjouissances furent nombreuses au palais et que le banquet fut remarquable sans donner plus de détails. Lorsque Amis épouse Belisante, par exemple, l'auteur anonyme nous dit que le jeune homme « ... seththen, with joie, opon a day / He spoused Belisent... » (1510-1) « A real fest thai gan to hold, / Of erls and of barouns bold, / With joie and michel honour » (1519-21) [par la suite, épousa un jour Belisante (...) Il y eut une fête royale à laquelle participèrent de vaillants comtes et barons dans la joie et la grandeur]1. Bien souvent, la cérémonie et la fête ne sont même pas mentionnées au profit d'une courte formule qui montre que le mariage est avant tout acte charnel : se marier, c'est posséder la femme. Le chroniqueur et poète Laȝamon (fin XIIe siècle) montre toujours, dans le Brut, que le mariage est aussitôt scellé dans la chair : « þat mæiden he weddede & nom heo to his bedde » (2212) [il épousa la jeune fille et la prit dans son lit] ou « þat maiden wes iwedded the king heo hafde to bedde » (4771) [la jeune fille fut épousée et le roi la reçut dans son lit]2. Lorsqu'à la fin de Havelok the Dane (fin XIIIe siècle), le jeune cuisinier Bertram épouse Levive selon le vœu du nouveau roi, on ne nous en dit pas davantage : Havelok arme chevalier le jeune Bertram puis « ... dide him there sone wedde / Hire that was ful swete in bedde » (2926-7) [Il fut vite marié à celle qui était si tendre au lit]3. Ces formules récurrentes

1

J. Fellows, éd., Of Love and Chivalry. An Anthology of Middle English Romance, Londres, J. M. Dent & Sons, Everyman’s Library, 1993. « Amis and Amiloun », p. 73-145. Notre traduction.

2 G. L. Brook & R. F. Leslie, éd., Laȝamon: Brut, Londres, New York, Toronto, Oxford University Press,

1963-1978, Early English Text Society n°250 & n°277. Traduction de M.-F. Alamichel, De Wace à Lawamon, Paris, AMAES, 1995.

3

Stephen H. A. Shepherd, éd., Middle English Romances, New York, Londres, W. W. Norton & Company, 1995, p. 73. Notre traduction.

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montrent clairement que l'homme est celui qui a l'initiative dans le mariage : c'est lui qui épouse tandis que la femme est épousée, c'est lui qui reçoit la femme dans son lit. Les verbes sont à la voix active pour les hommes tandis que les femmes ont droit à la voix passive.

Quelques courts épisodes, quelques petites scènes évoquent cependant un peu plus en détails une cérémonie de mariage. On a souvent comparé, avec raison, le lien qui unit un homme et une femme à celui entre le suzerain et son vassal. La même fidélité, loyauté jusqu'à la mort est en jeu. Le sermon en vers The Adulterous Falmouth Squire nous avertit :

Bewere, man: God wyll hym wreke Of hym that his teching do breke. The fyrst sacrement that ever God made, That was wedloke in gode fey;

Beleve thou that, withouten drede. For that schall last to Domesdey (7-12)

[Prends garde car la vengeance de Dieu détruira celui qui rompt son lien de mariage. Le sacrement que Dieu institua en premier fut le mariage, je te le dis en vérité. Aussi sois-y fidèle sans peur ou crainte : il est valable jusqu'au jour prévu pour le Jugement Dernier]4

Les deux cérémonies (mariage et serment vassalique) ont en commun certains rites, certains gestes symboliques. Dans les deux cas l'engagement solennel est symbolisé par la jonction des mains. Le concile de Latran de 1215 établit également des fiançailles religieuses qui entraînaient une obligation de mariage dans les quarante jours. Le Brut de Laȝamon comporte un exemple de fiançailles présentées comme une cérémonie publique au gestuel important. L'union des futurs époux est ainsi caractérisée par les mains jointes des deux protagonistes. Le Brut vient aussi nous confirmer, qu'à cette époque, les fiançailles n'étaient pas toujours célébrées à l'église et pouvaient avoir lieu à la maison. Tel semble être le cas des fiançailles du roi Locrin :

Þa ȝet leouede Corineus þe in Cornwaile wes dux nefde he bute æne dohter ah heo wes him swiðe deore Locrin him hefde on foreward habben þat he heo wolde

& he heo hæfde i hond-fæst at-foren his hired-monnen (1123-6)

[A cette époque, Corineus – le Duc de Cornouailles – vivait encore. Il n'avait qu'une fille mais elle lui était très chère. Locrin s'était engagé à l'épouser en joignant ses mains à celles de la jeune fille devant les hommes de sa maisonnée]

Lorsque les deux amis Amis et Amiloun se jurent aide et fidélité jusqu'à la mort, dans un contrat aussi sacré et indissoluble qu'un mariage entre un homme et une femme, les deux jeunes hommes joignent leurs mains et prêtent serment : « Therto thai held up her hond » (156) [là dessus ils unirent leurs mains]. De même lorsque la jeune Rymenhild5 jette son dévolu sur le voyageur exilé Horn, le consentement mutuel des deux jeunes gens, concrétisé par leurs mains jointes, équivaut à mariage secret. Il ne saurait être question de revenir sur la foi jurée : comme l'a fait remarquer

4 F. J. Furnivall, éd., Political, Religious, and Love Poems, Oxford University Press, Early English text Society,

1866. Notre traduction.

5 J. Fellows, éd., Of Love and Chivalry. An Anthology of Middle English Romance, références citées. « King Horn »,

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Michael J. Franklin, « Trothplight represented a binding union as irrevocable as marriage »6. Rymenhild sait quel engagement elle demande à Horn lorsqu'elle lui ordonne :

Thu schalt thi trewthe plighte On myn hond her righte, Me to spuse holde

And ihc the lord to wolde (305-8)

[Tu vas jurer, en tenant ma main droite, de me prendre comme épouse et moi de te vouloir comme seigneur]

On voit ici, indirectement, l'idée alors récente du consentement mutuel, de l'importance égale donnée à la parole de l'homme et à celle de la femme, King Horn datant environ de 1230. Dans The Parliament of Fowls de Chaucer, la règle établie par les oiseaux exige aussi que la femelle doit accepter la proposition de celui qui souhaite être son cher époux (vers 409/410). Avant le XIIIe siècle c'est le père qui remettait, à la maison, sa fille à l'époux. Peu à peu le prêtre se substitua au père dans le moment essentiel de la jonction des mains, prenant toujours la main droite de chacun des deux fiancés et leur demandant leur consentement. La cérémonie devint de plus en plus religieuse, une messe succédant à la bénédiction nuptiale. C'est ainsi que Laȝamon, lui-même prêtre, condamne le mariage – à la mode païenne – du roi chrétien Vortigern et s'indigne :

(....) he imakede heo to quene al after þan laȝen þe stoden an hæðene dæȝen nes þer nan Cristindom þer þe king þat maide nom ne preost ne na biscop ne nauere ihandled Godes boc

ah an heðene wune he heo wedde & brohte heo to his bedde (7178-82)

[Il la prit pour reine d'après les lois qui existaient à l'époque païenne. Il n'y eut aucun élément chrétien lorsque le roi épousa la jeune fille : ni prêtre, ni évêque, le livre de Dieu ne fut pas utilisé. Il l'épousa selon le rite païen et l'amena dans son lit]

Inversement, lors du mariage forcé entre Havelok et Goldbrow dans le roman de la fin du XIIIe siècle Havelok the Dane, c'est l'archevêque de York en personne qui vient célébrer la cérémonie. Il faut dire que le lecteur connaissant la naissance royale d'Havelok (que celui-ci ignore) ne peut trouver ce choix que fort approprié pour un prince (vers 1175-80). Et William Langland semble nous faire l'historique du sacrement de mariage dans Piers Plowman lorsqu'il rappelle à son lecteur dans le passus X de la version B que le mariage fut la conséquence tout d'abord du consentement du père – et des conseils des amis – puis du consentement mutuel des deux partenaires. Ainsi, conclut-il, le mariage, création divine, fut-il instauré.

Davantage que la cérémonie religieuse, c'est l'anneau que les poètes aiment mentionner. Lorsque dans le Brut de Laȝamon Brennus épouse la fille du roi de Norvège, celle-ci envoie son alliance d'or au roi du Danemark qu'elle aime et appelle au secours : l'anneau est bien évidemment le symbole de cette union avec le prince breton qu'elle refuse. John of Gaunt, que Chaucer fait parler dans The Book of the Duchess, avoue la joie qu'il ressentit lorsque sa future femme accepta de l'épouser et lorsque « And therwith she yaf me a ryng / I trowe hyt was the

6

Michale J. Franklin, « ‘Fyngres heo hath feir to folde’ : trothplight in some of the love lyrics of MS Harley 2253 »,

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firste thyng » (vers 1273-1274) [pour sceller cette offrande, elle offrit un anneau – le plus précieux des objets à [ses] yeux]7. L'anneau que Rymenhild remet à Horn comme gage de fidélité comporte, en plus, la capacité magique de protéger celui qui le porte sur le champ de bataille. Horn, dénoncé au roi par un de ses compagnons, doit quitter le royaume de Westernesse sans avoir pu officiellement épouser la princesse. Sachant que son exil risque de se prolonger, il précise à Rymenhild que s'il ne revient pas avant sept ans (734-6), elle sera alors libre de se (re)marier – notion de droit canonique du XIIIe siècle que l'on trouve dans plusieurs romances moyen-anglaises comme The Romance of Sir Beues of Hamtoun (aux vers 3834-8)8, par exemple. L'épouse d'Amiloun n'a même pas cette excuse pour se chercher un nouveau mari. Lorsque Sir Amiloun, guéri de la lèpre et soucieux de retrouver ses biens, arrive à son château, quelle n'est sa surprise de voir attablés des dizaines de dames et chevaliers invités au banquet des noces de sa propre femme ! L'auteur ne juge même pas bon de commenter cette nouvelle traîtrise.

Une chose est sûre, en tout cas, c'est que – si on en juge par la littérature – un mariage médiéval était avant tout un banquet. Autant les cérémonies religieuses sont vaguement évoquées, autant les repas de noce, en revanche, sont détaillés. Les poètes ne savent qu'inventer pour éblouir, impressionner leurs lecteurs. Ce n'est que vaisselle d'or, linge d'un blanc éclatant, mets et vins à profusion. L'auteur de Florys and Blauncheflour nous explique que « There was fest swythe breeme: / I cannot telle al the sonde, / But rycher fest was never in londe » (1075-7) [Il y eut un festin des plus splendides. Je ne peux pas mentionner tous les plats mais jamais il n'y eut plus riche festin sur terre]9. On notera avec intérêt le détail original de King Horn qui décrit comme coutumier un banquet avant le mariage proprement dit au cours duquel la jeune promise doit servir à boire aux invités (1085-1111). La version anglo-normande des aventures de Horn et Rymenhild est encore plus explicite :

Costume iert a idonc en icele cuntréé Ke quant aveneit si ke dame iert espuséé, Si ele pucele fust, k'el ne fust essaiéé, Ke del beivre servist (...) (4137-40)

[La coutume de ce pays voulait alors que lorsqu'une dame venait à se marier, si elle était vierge, on l'éprouvait en lui demandant de servir les boissons]10

L'épreuve masculine, quant à elle, est invariablement de participer au tournoi qui suit le repas de noce et d'y faire preuve de bravoure.

Les poètes sont bien peu bavards sur les années qui suivent le jour du mariage proprement dit. La plupart se contentent de dire – à la manière de nos contes de fées – que les deux époux furent très heureux. Lorsqu'Enée épouse Lavinie au début du Brut, Laȝamon nous fait oublier les guerres qu'avaient entraînées les fiançailles des deux héros en nous assurant que "Eneas nom Lauine leofliche to wife / he wes king & heo quen & kine-lond heo welden / inne griðe & inne friðe & freoliche loueden" (92-4) [Enée épousa Lavinie avec amour. Il fut roi et elle fut reine, ils gouvernèrent leur royaume dans la paix et l'harmonie et ils s'aimaient tendrement]. Le roi Arthur

7

Larry D. Benson, éd., The Riverside Chaucer, Oxford University Press, 1987, p. 345. Notre traduction.

8 Voir J. A. Bundage, Law, Sex, and Christian Society in Medieval Europe, Chicago, 1987, p. 374.

9 J. Fellows, éd., Of Love and Chivalry. An Anthology of Middle English Romance, références citées. « Florys and

Blancheflour », p. 43-72.

10

M. K. Pope, éd., The Romance of Horn by Thomas, Oxford, Anglo-Norman Text Society 1955, p. 197. Notre traduction.

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oublie pour un temps les champs de bataille après son mariage avec Wenhaver : Arður heo nom to wife & luuede heo wunder swiðe

þis maiden he gon wedde and nom heo to his bedde Arður wes i Cornwale al þene winter þere

and al for Wenhæuere lufe wimmonne him leofuest (11099-11102)

[Arthur la prit pour femme et l'aima prodigieusement ; il épousa cette jeune fille et la reçut dans son lit. Arthur séjourna tout l'hiver en Cornouailles en raison de son amour pour Wenhaver – la femme qui lui était la plus chère]

La fin de Havelok the Dane va plus loin, le poète nous précisant que les deux souverains vécurent cent ans et qu'ils eurent de nombreux enfants. Il faut dire que ce roman se distingue des poèmes courtois de son époque en insistant sur les valeurs des classes moyennes, de la bourgeoisie naissante – la famille étant bien évidemment l'une de ces valeurs. L'amour partagé entre John of Gaunt et Blanche apporte au prince résurrection et plénitude, au couple joie et harmonie. William Langland semble résumer le message lorsqu'il nous conseille : « And loke that loue be more the cause (...) » (passus X, 279) [Et faites en sorte de vous marier par amour], suggestion qui semble aller de soi mais qui, dans bien des cas, viendrait contrer de puissants intérêts familiaux.

On ne sera pas surpris de voir que la littérature moyen-anglaise parle du mariage comme d'un contrat économique où les femmes sont des biens à vendre. Dans le Brut de Laȝamon, le mariage est le fruit d'engagements parentaux ou le résultat de traités de paix entre des souverains ennemis. Il a pour fonction de conserver le fief, d'assurer le lignage ou de confirmer une victoire militaire. Le poème ne concernant que les grandes familles nobles, il n'est pas étonnant qu'ait pesé cette obligation d'union, dictée plus par la raison d'Etat que par le cœur. Mais les ballades traditionnelles, genre plus populaire, nous montre la même réalité : la jeune fille est un bien que les parents espèrent monnayer au mieux. La demoiselle qui se choisit elle-même un amant n'apporte que désordre dans la famille et le père, ou un frère, se devra de se venger du choix de la jeune personne. Bien que les femmes ne soient que des personnages très secondaires dans le Brut de Laȝamon et que les mariages ne soient que très brièvement évoqués, on découvre plusieurs facettes de cet aspect économique. Lorsque le roi Uther cherche à obtenir les faveurs d'Ygærne – mariée au Comte Gorlois – un de ses conseillers lui suggère d'obtenir son consentement par des cadeaux : « Ah ȝif þu luuest Ygærne þu sculdest hit halden derne / and senden hire sone of seoluere and of golde » (9355-6) [si tu aimes Ygaerne, tu ne devrais pas le faire savoir : tu devrais lui envoyer, rapidement, de l'argent et de l'or]. Plusieurs rois tentent d'obtenir une reine par l'obtention de somptueux douaires – ces biens que le mari assignait à sa femme pour en jouir si elle lui survivait. Le Saxon Hengest exige du Breton Vortigern Londres et le Kent en échange de sa fille Rouwenne. Le roi de France, Louis, désire épouser une jeune Hélène : « and he wulle hire to morȝeue thene Mans bitæchen » (15519) [et il veut lui donner le Mans en douaire] aussi Cadwalan devra-t-il faire preuve d'une générosité encore plus grande s'il veut espérer pouvoir remporter la jeune fille.

De nombreux romans moyen-anglais montrent la crainte des familles de devoir accepter une mésalliance. Lorsque Sir Orfeo parvient à retrouver sa femme prisonnière d'un roi-fée, il se présente sous la forme d'un simple joueur de harpe vêtu de haillons. Et lorsque le roi-fée, sous le charme de sa musique, lui demande ce qu'il veut et que celui-ci réclame Heurodis, il s'entend dire :

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"Nay!" quath the king, "that nought nere ! A sori couple of you it were

For thou arte lene, rowe and blac, And sche is lovesum, withouten lac, A lothlich thing it were, forthi,

To sen hir in thi compayni." (457-462)

[Non, s'exclama le roi, cela n'est pas possible ! Vous feriez un couple bien mal assorti car tu es maigre, misérable et sale tandis qu'elle est ravissante et sans aucun défaut. Par conséquent, ce serait indécent de la voir en ta compagnie]11

La princesse Goldbrow est atterrée lorsque le Comte Godrich décide de la marier à Havelok, simple aide-cuisinier. Elle repousse cette humiliation de toutes ses forces, ne voulant accepter qu'un roi comme époux. Menacée de mort, et acceptant de se soumettre à la volonté de Dieu, elle doit céder. Horn se sent lui aussi trop inférieur à Rymenhild, trop pauvre, pour accéder à la demande de la jeune fille. Il ne pourra accepter que s'il peut être armé chevalier, ce qui est fait dans la semaine. Sir Amys, enfin, ne sait comment modérer les ardeurs de Belisante qui le presse de l'épouser. Et il lui rappelle leur différence de rang social :

Bithenke the of thi michel honour. Kinges sones and emperour Nar non to gode to the;

Certes, than were it michel unright Thi love to lain opon a knight

That nath noither lonf no fe (595-600)

[Pense à ton rang supérieur. Des fils de roi ou d'empereur ne seraient pas trop bien pour toi. Aussi serait-ce un grand tort que de donner ton amour à un chevalier qui n'a ni terre ni fief] Mais la demoiselle a des arguments qui viennent à bout des hésitations de Sir Amys : si celui-ci ne se soumet pas, elle l'accusera tout simplement de viol. Plusieurs des romances que nous avons mentionnées jusque-là présentent, en effet, l'originalité de nous montrer la femme menant la danse. La tradition courtoise veut que l'homme courtise une dame froide et inaccessible, qu'il fasse preuve de vaillance pour se montrer digne d'elle. On est loin de ce schéma dans nos récits : l'homme est pris de surprise par une femme décidée, énergique qui ne laisse aucune alternative au malheureux chevalier. Ces femmes jettent leur dévolu sur un jeune homme qu'elles ont décidé d'épouser. On les voit donc faisant les premières approches, déclarant leur amour et avoir souvent recours au chantage lorsque le jeune homme n'est pas d'accord. Curieusement, ces femmes ne sont pas présentées comme des personnages mauvais ou perfides dans la lignée de la littérature antiféministe même si on sent toutefois que la sympathie de l'auteur va au jeune homme qui repousse plutôt qu'à la femme qui fait les avances. Dame Tryamour vient charmer Syr Launfal et c'est à moitié dévêtue qu'elle avoue au chevalier : « Ther nys no man yn Cristente / That y love so moche as the – / Kyng neyther emperour! » (304-6) [Il n'existe aucun homme, dans toute la chrétienté – roi ou empereur – que j'aime plus que toi]12. Dans Amis and Amiloun, Belisante est prise d'une véritable passion amoureuse et se meurt littéralement de désir pour Amis. Elle lui avoue son amour sans ambages, « Sir knight, on the mine hert is brought: /

11

Stephen H. A. Shepherd, éd., Middle English Romances, références citées, p. 186. Notre traduction.

12 J. Fellows, éd., Of Love and Chivalry. An Anthology of Middle English Romance, références citées. « Syr

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The to love is al mi thought, / Bothe bi night and day; » (571-3) [Chevalier, mon cœur t'a choisi. Nuit et jour, je ne pense qu'à t'aimer]. Et lorsque Sir Amis lui avoue son étonnement, elle lui réplique : « Whether artow prest other persoun, / Other thou art monk other canoun, / That prechest me thus here ? » [Es-tu prêtre ou vicaire – à moins que tu ne sois moine ou chanoine – pour me faire un tel sermon ?]. Mais tout revient dans l'ordre car ces demoiselles n'ont d'autre but que d'être de fidèles épouses. Une fois parvenues à leur fin, elles ne font plus parler d'elles. Il n'empêche que le rêve (aux images érotiques évidentes) de Rymenhild montre clairement que ce mariage qu'elle désire tant est avant tout un piège pour Horn :

... ase I lay aslepe, To the se my net I caste, And hit nolde noght ilaste. A gret fiss, at the furste, Mi net he gan to berste. Ihc wene that ihc schal leose

The fiss that ihc wolde cheose! (658-64)

[Tandis que je dormais, je lançai mon filet à la mer mais il ne voulait rien retenir. Tout à coup un poisson fit éclater mon filet. Je crois que je vais perdre le poisson que je souhaitais prendre]

Sept ans plus tard, Horn reviendra sauver Rymenhild d'un mariage forcé et se présentera comme un pêcheur venu voir si son filet a pris un poisson : le piège a été long à se refermer. A la même époque, de nombreux textes mettent d'ailleurs en garde contre le mariage : une véritable littérature anti-matrimoniale se développe.

La vie conjugale semble donner matière à écriture lorsque le mari ou la femme s'éloigne du droit chemin. Les textes aiment à nous offrir une copieuse recension des défauts féminins même si les XII-XIIIe siècles donnent une image très contrastée des femmes. L'amour courtois des poètes lyriques et romanciers présente, en effet, une image sublimée de la femme dont les mérites, la noblesse et la beauté sont célébrées. The Thrush and the Nightingale montre ces deux oiseaux débattant de la valeur des femmes.

Le rossignol, porte-parole de l'amour, prend leur défense en termes courtois énumérant de multiples qualités variées tandis que la grive adopte une position antiféministe très stricte en utilisant le thème unique, traditionnel à l'époque, de l'apparence trompeuse, hypocrite, voire satanique des femmes. La littérature antiféministe ou anti-matrimoniale doute de la capacité de la femme à être fidèle et revient sans cesse sur l'idée qu'une femme est – par définition – un être tricheur, inconstant, déloyal. Satan n'est-il pas venu tenter Eve et rompre l'harmonie qui régnait entre elle et son époux Adam ? Les fabliaux s'intéressent aux conjointes infidèles – souvent malgré elles – et rient des maris trompés. La littérature moyen-anglaise n'est pas riche en fabliaux et Dame Sirith est le seul véritable exemple de ces contes comiques et crus. La sotte héroïne, qui avait donné une définition parfaite de l'engagement conjugal et de l'amour partagé, se laisse très rapidement convaincre par une absurde histoire de jeune femme transformée en chienne après avoir refusé les avances d'un clerc : ils sont ainsi deux à briser leur vœu. Dans les sermons, les prédicateurs aiment à dire, à leur tour, que la femme est frivole ; l'attaque n'est pas fortuite car on sait l'importance que jouait la loyauté, la fidélité à la promesse donnée dans la civilisation médiévale. The Owl and the Nightingale vient cependant équilibrer les propos avec le hibou qui se dit proche des femmes trompés par leur mari et qui nous brosse le tableau émouvant d'une

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épouse mal traitée :

Wan he cometh ham eft to his wiue Ne dar heo noght a word ischire; He chid & gred swuch he beo wod, An ne bringth hom non other god. Al that heo deth him is unwille, Al that heo speketh, hit is him ille, An oft, hwan heo noght ne misdeth, Heo haueth the fust in hire teth. (1531-8)

[Lorsqu'il revient auprès de sa femme, elle n'ose dire un seul mot. Il la réprimande et hurle comme un fou et n'apporte que sa fureur à la maison. Tout ce qu'elle fait lui déplait, tout ce qu'elle dit lui semble mauvais. Et souvent, alors qu'elle n'a rien fait de mal, il la roue de coups]13

C'est à partir du Xe siècle que se répandit le mépris pour le monde, le refus de la chair depuis les monastères réformés. En 1150, Pierre Lombard donnait des raisons pour le mariage dans ses célèbres sentences. Les raisons « moins honorables » comprenaient la beauté de l'homme et de la femme, le désir de possession de richesses tandis que les raisons « honorables » étaient la réconciliation des ennemis et le rétablissement de la paix, la prévention de la fornication et surtout la procréation. Le mariage – concession à la nature pécheresse – appartient donc un peu au mal. Laȝamon associe clairement sexualité et mort tout au long du Brut sauf lorsque le but ultime est la procréation. Lorsque le roi Uther parvient à duper Ygærne et son entourage, après un long et meurtrier épisode, la conception du futur grand roi Arthur a lieu au cours de la nuit de noces et vient ainsi souligner la fonction lignagère du mariage. Si de très nombreux textes des XIIe et XIIIe siècles prônent la chasteté à l'intérieur du mariage, l'auteur anonyme de Hali Meiðhad va beaucoup plus loin et exalte la virginité – ce trésor, ce don du ciel – condamnant la faiblesse de ceux qui, selon lui, ne font que s'avilir dans le mariage :

For-þi was wedlac ilahet in hali chirche, as bed to seke, to ihente þe unstronge, þat ne mahten nawt stonden in þe hehe hul, & ſe neh heuene, as meidenhades mihte.

[C'est pourquoi le mariage a été institué dans la Sainte Église pour permettre de s'unir dans un lit, pour accueillir les faibles qui ne peuvent pas se tenir sur les sommets et se rapprocher du ciel, ce que permet la virginité]14

Il nous est parvenu du XIIIe siècle anglais une série de cinq textes, connue sous le nom de Katherine Group, qui sont des ouvrages édifiants destinés au public spécialisé des religieuses et qui par là même mettent l'accent sur la chasteté qu'ils associent à la pureté et au respect de soi et du Créateur. On sent des œuvres presque de propagande rédigées pour conforter dans leur choix les femmes entrées en religion et décider les jeunes filles encore indécises. Les vies de saintes Catherine, Marguerite et Julienne visent à montrer que la chasteté est supérieure à la condition d'épouse et leur sainteté toute entière semble résider dans leur refus absolu de se marier. À la même époque, les vies de saints que contiennent The South English Legendary opposent aussi les deux principales options offertes aux femmes : être épouse et mère ou devenir religieuse. Là encore la seconde solution est prônée, le paradis est promis à celles qui sauront repousser les

13

E. G. Stanley, éd., The Owl and the Nightingale, Londres, Edimbourg, Nelson’s Medieval and Renaissance Library, 1960 {2e éd., Manchester, 1972]. Notre traduction.

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avances masculines. Hali Meiðhad va beaucoup plus loin en virulence en ridiculisant l'état matrimonial, en considérant les êtres mariés comme des créatures inférieurs aux bêtes. On pense aux écrits de saint Paul et de saint Jérôme, à l'enseignement de Bernard de Clairvaux qui proclamait que l'homme marié était un être déformé par le péché. Hali Meiðhad met en garde et dépeint les difficultés du mariage et de la maternité dans des scènes de la vie quotidienne au réalisme troublant :

And hwat ȝif ich eaſki ȝet, þah hit þunche egede, hu þat wif stonde, þat ihereð, hwen ha cumeð in, hire bearn screamen, Seoð þe cat at te flicke, & te hund at te huide? Hire cake bearneð o þe stan, & hire calf sukeð; þe croh eorneð i þe fur, & te cheorl chideð. Þah hit be egede sahe, hit ah, meiden, to eggi þe swiðre þerframward, for nawt ne þunche hit hire egede þat hit fondeð.

[Et que dire si je te demande en outre – bien que cela paraisse sot – ce qu'il en est de cette épouse qui, en entrant, entend crier son enfant, voit le chat manger la flèche de lard et le chien à l'affût ? Son gâteau brûle sur la pierre et son veau suce ; la cruche déborde sur le feu et le manant gourmande. Bien qu'il s'agisse là d'une sotte histoire, elle devrait, vierge, t'écarter vivement du mariage, car celle qui vit cela ne considère pas que c'est une sotte histoire]15

Dans cette bataille contre le Diable qui pousse au mariage, les jeunes filles qui triomphent du mal se voient récompensées d'une couronne de guerrier. L'amour courtois se distingue lui aussi de l'amour conjugal mais dans un refus beaucoup plus feutré, et finalement regretté. Car l'amour courtois réunit censément des êtres qui ne peuvent se marier ensemble aussi le chevalier ne peut-il que dévotement aimer la dame en la servant aussi fidèlement qu'un suzerain : dans un renversement des rôles, la femme devient le puissant – et généralement inaccessible – seigneur. L'homme devra, si l'on s'inspire des vers 135-140 du Parliament of Fowls « Unto the mortal strokes of the spere / Of which Disdayn and Daunger is the gyde, / Ther nevere tre shal fruyt ne leves bere. / This strem yow ledeth to the sorweful were / There as the fish in prysoun is al drye ; / Th’eschewing is only the remedye » [souffrir les coups mortels de l'épée maniée par Dédain et Danger. Ici les arbres ne donnent jamais ni feuilles ni fruits. Ce ruisseau vous conduira au barrage de la tristesse où l'on retient, prend au piège les poissons pour les abandonner à sécher. Le seul remède est de passer son chemin]. La femme est ici un être idéal et idéalisé et le mariage qui est exclu (car la dame est bien souvent déjà mariée) permet un amour fondé sur le choix, l'estime et la reconnaissance des valeurs de l'autre.

Dans ce contexte, il pourra alors paraître surprenant que le mariage soit le modèle de référence dans la littérature débordant d'amour des mystiques ou des poètes religieux des XIIIe -XIVe siècles. L'amour vibrant et passionné qu'ils ressentent pour le Christ est exprimé avec les mêmes termes que ceux de la littérature courtoise, le même vocabulaire du désir et de la souffrance. Le Christ c'est l'amant, le roi épris d'amour pour une dame indifférente et dédaigneuse, le chevalier royal qui cherche à conquérir une femme que ses ennemis assiègent dans le château où elle s'est retirée. Telle est la célèbre métaphore retenue par l'auteur de

15 A. F. Colborn, éd., Hali Meiðhad, références citées. Traduction de Juliette Dor, « Virginité sacrée », Écritures 79 :

pages de littérature anglaise médiévale anglaise, Liège, Centre Interfacultaire de Littérature de l’Université de

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l'Ancrene Riwle pour lequel la Dame n'est autre que l'âme humaine :

He com himsulf a last, and scheawede hire his feire neb, ase þe þet was of alle men ueirest to biholden, and spec swuðe sweteliche & so murie wordes þet heo muhten the deade arearen urom deaðe to liue. And wrouhte ueole wundres, and dude ueole meistries biuoren hire eisihðe & scheawede hire his mihten tolde hire of his kinedome and bead for to makien hire cwene of al þet he ouhte. Al þis ne help nout.

[Ce roi si magnanime vint alors en personne montrer son aimable visage, le plus beau que l'on pût contempler parmi les hommes ; et il parla à cette dame de la façon la plus tendre ; et il lui dit des choses si agréables à entendre, qu'elles eussent été capables de rappeler les morts à la vie ; et il accomplit, sous ses yeux, quantité de choses merveilleuses ; et il montra sa puissance ; et il lui parla de son royaume ; et il offrit de la faire reine de tout ce qui lui appartenait. Tout cela n'aboutit à rien.]16

La suite du texte nous montre que Jésus eut beau – selon la coutume des chevaliers – engager un tournoi au cours duquel il eut, pour plaire à sa dame, son bouclier transpercé de toutes parts, la dame refusa de devenir sa fidèle épouse. Saint Paul avait fait de l'Église la jeune épouse du Seigneur. Au Moyen Âge l'image des noces avec le Christ traverse les plus beaux textes mystiques : l’Église mais aussi l'âme humaine ou l'amour sont les promises de Dieu dans un mariage sublimé. Richard Rolle cherche ainsi à ne plus faire qu'un avec le Seigneur, à épouser le Christ par l'amour. Jésus devient son Bien Aimé, il goûte aux « suavités éternelles » et demande à son Seigneur de « pouvoir le convoiter sans modération, de languir pour lui et de brûler sans discrétion ». En dépit de toute la méfiance de l'époque à l'égard de la sexualité, l'image pour cette union avec Dieu est celle de l'amour charnel et conjugal :

Luf es a byrnand yernyng in God, with a wonderfull delyte and sykerness. God es lyght & byrning. Lyght clarifies oure skyll. Byrning kyndels oure covayties that we desyre noght bot hym. Lufe es a lyf copuland togedyr the lufand and the lufed. For mekeness makes us swete to God, purete joynes us tyll God. Luf mase us ane with God.

[L'amour est un élan enflammé de l'âme vers Dieu, accompagné d'une joie surprenante et de certitude. Dieu est lumière et feu : la lumière éclaire notre intelligence, le feu embrase notre volonté, afin que nous ne désirions rien que Dieu. L'amour est une vie qui unit ensemble ceux qui s'aiment. L'humilité nous rend agréables à Dieu : la pureté nous fait parvenir jusqu'à Lui, mais l'amour nous rend un avec lui]17

La poésie lyrique religieuse reprend les mêmes images et métaphores érotiques. Dans le magnifique poème de la fin du XIVe siècle – qui partage avec d'autres chants le refrain latin Quia amore langueo (Car je suis malade d'amour) tiré du Cantique des Cantiques – le Christ invite l'âme – ici encore son épouse – à répondre à son amour :

My swete spouse, will we goo play? Apples ben rype in my gardine.

16 J. Morton, éd., The Ancren Riwle, Londres, J. B. Nichols & Sons, The Camden Society, 1853. Traduction de G.

Meunier, La Règle des recluses dite aussi le Livre de la vie solitaire, Tours, A. Mame, 1928, p. 357.

17 H. E. Allen, éd., English Writings, Oxford, Clarendon Press, 1931. Extrait de The Form of Living. Traduction de

Paul Renaudin, Mystiques anglais : Richard Rolle, Juliane de Nordwich, Le Nuage de l'inconnaissance, Walter

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I shall clothe thee in new array; Thy mete shall be mylk, honye & wyne. Now dere soule, latt us go dyne. Thy sustenance is in my skrypp, loo! Tary not now, fayre spouse myne Quia amore langueo

[Ma chère et tendre épouse, veux-tu venir jouer ? Les pommes de mon jardin sont mûres. Je te vêtirai de nouveaux atours, je te nourrirai de lait, de miel et de vin. Allez, chère âme, partons manger. Les vivres sont dans mon sac, regarde ! Ne tarde plus ma belle épouse. Quia amore langueo]18

L'avant dernière strophe de ce poème compare le Christ, dans une série complexe d'images, à la fois à l'amant, l'époux et la mère de l'âme. Julian of Norwich, à la même époque, propose d'ailleurs aussi cette idée surprenante du Christ-mère. Le très beau élégiaque Pearl, enfin, dans lequel un père pleure sa fille de deux ans, dévoile les noces célestes qui attendent les âmes pures. Le dormeur voit en rêve sa petite Perle tout de blanc vêtue dont le Christ, en dépit du jeune âge de la fillette, a fait une de ses épouses et qu'il a couronné reine céleste. Ces noces ne sont pas présentées comme une simple union mystique car elles ont donné lieu à une véritable, et finalement bien terrestre, cérémonie de mariage. Si la mention de ces noces ne tenait pas en un si petit nombre de vers, on pourrait presque s'amuser de l'extraordinaire ascension sociale de Pearl qui a obtenu de vivre éternellement dans la félicité et qui se voit désormais offert en douaire (mais le terme est vraiment impropre ici) non seulement la Grandeur de son époux divin mais aussi son noble lignage (vers 419) ! La fillette explique cependant qu'elle n'est autre qu'une des 144 000 épouses de l'Agneau dont parle saint Jean dans son Livre des Révélations. Parce qu'elle était innocente, sans tache, la béatitude éternelle est accordée à Pearl auprès de son époux, qu'elle appelle « My Lombe, my Lorde, my dere juelle, / My joy, my blys, my lemman fre » (795-6) [Mon Agneau, mon Seigneur, mon cher joyau, ma joie, ma félicité, mon noble amant]19 ne pouvant trouver le mot qui permettrait de définir cet époux à la fois si grand et si humble.

Perle est choisie parce qu'elle a l'innocence de l'enfance et la pureté du cœur. Mais, comme le rappelle l'Apocalypse, elle a aussi été élue parce que, vierge, elle peut « suivre l'Agneau partout où il va » (14:4). La chasteté, une fois encore, est donc donnée comme idéal. Et il est à noter que bon nombre de personnages donnés en modèle dans la littérature médiévale – hommes ou femmes – sont des célibataires. Gawain est célébré à Camelot pour avoir résisté aux avances de Morgan le Fay. C'est aussi le chaste Galahad – et non Lancelot – qui a le privilège d'entrevoir le Saint Graal. Mais il ne faudrait pas donner du Moyen Âge une image prude et frileuse. Une de ses originalités est d'avoir été une époque bigarrée et de nombreux textes célèbrent la vie terrestre et l'amour humain. Il suffira pour s'en convaincre de penser à Chaucer dont la truculente Dame de Bath était, après tout, venue à bout de cinq maris !

18 Extrait cité par D. S. Brewer, English Gothic Literature, Londres, Macmillan History of Literature, 1983, p. 48-49.

Notre traduction.

19

Charles W. Dunn et Edward T. Byrnes, éd., Middle English Literature, New York, Londres, Garland Publishing Inc., 1990. Notre traduction.

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