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Le personnage de Swann dans À la recherche du temps perdu /

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

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,

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the

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LB "PIRSONNAGI D~ SWANN DANS

A lIA RECHERCHE DU TEMPS PI8D!J \

,

...

by

, f;

Monique aar.-oran ••

;

1

..

'rh ••

i •

S ubmi t tee! to

Faoulty of Gr,duate

Studi.~

and

a ••••

rch

McCllll Univ.r.ity

partial tulfilment ot the requlremenf.

1

for the eSegre. ot

~

,

.

, M ••

ter of

Art'.

·r

','

Dep.rt.ent of French L.nqu.qe

.nd Literature

.

March 1976

1 1 •

.' .

(2)

~

r

1

l,

t .. ,

Cette

th&..

e.t

d'di'.

avec

reconnai •• ance l ceux qui

l'~nt

rendue

~

••

i~le,

• quatre tr'.

cher. me •• ieur.. jeun •• et qrand.

Monique Bara-Grana.

,

,. .f" ••

j

!

(3)

, ,

1

"

..

RESU'MB

Swann el t,

apr~.

Marcel, le per.onnage le

~lu.

impor-tant de la aecherche.

L'auteur l'a d,.iqn'

d~s

le d'but pour

jouer aupr •• de Marcel le rOle d'initiateur:

c'e.t lui qui. l

Combray, cau.era

de Marcel.

Da~1

l"v6fement

capita~

le.

chapitre~

de la

"

qui: fixera la

.ensibilit~

fin de la Recherche,

r'~ig,.

en m'me temps que le d'but, l'auteur annonce qu'il doit l Swann

la d'couverte de .a vocation

et

tous les 6v6nements décisits qui

....

l'y

men~r~nt.

Et de fait, tout au long du roman, nous pouvorts

"

con.tater cette influence toujours pr'sente sur la vie affective

et intellectuelle de Marcel.

A Combray, il àhcourage l'int'rêt de

f

l'enfant pour la litt'rature, et .on intervention • •

es conseils

-.

of

résultent, en un 'largi •• ement sen.ible des horizons de Marcel.

• 1 ~

Dan. Un Amour de Swann, Swann non': àeulement illustre les vues de

prou.t .ur le. m'cani.mes de l'amour, de la jalousie et de l'oubli,

mai • •

on t'moignage con.titue le premier jalon d'une 'tude longue

et minutieu.e qui incorporera

un~

grande partie des personnages de

(4)

..

l

r

"

• ~ 1

.

la Recherche.

(

~

rem.ni_ment. que Prou.~ apporte aux placarda de ~A~l~'~~~~e~.~J~e~u~n~e~.~F~i~l~l~e=.-=~~~~

1

/

apr~. 1914.

le perlonnage prend ;encore pl).11 d'en"e~gure: grace l

"

~Ui."l'auteur ~~orce un~ 't~de

magiltrale

~e. ~ilie;x

,ociaux , .. ' et politique.

~e

l"poque qui fait de Prou.t ll"gal de

Moli~re.

/j

Tout d'abord,' Swann 'tant maintenant le, mari d)Odette, il tra-/

/

-vaille A ,.e batir une seconde pOfi tion .. socl.1e appropr i'e A Ion

~.

'poule (Prbust montrera des intentions semblablement int'ress'es dans d'autre. familles). De plus, l'intervention de Swann lors

~

de l'Affaire Dreyfus e.t proph'tique, non seulement de. revire-ment. âe l'opinion de l'accus', mais de la d'couverte par Marcel de sa vocation: ce nouveau èhangement de la personnalitê de

,

Swa,nn sera pour lui une façon de racheter sa vie, comme le sera

t, ,

"

pour Marcel la vocation d'~crivain. A la

ft

n

le souvenir de Swann s'e.tompe et disparait:

,r'

de la Recherche, cependant, pas avant que Proust n'incorpore son personnage ~ l'~tude de la

A

"race maudite". ~in.i Swann, jusqu'A la fin de la Reèhercne, ne ce.se de repr6senter la th'orie de l'auteur sur les éclipses de

. ~

la personnalit6 et .ur leurs causes •

Dans le deuxi~me chapitre de notre recherche, nous 6tu-dion. le. mod~l.s de Sw,ann: Proust lui att'ribue certaines carac-t'ri. tique. de plusieurs de ses amis et puise lib6ralement dans

,

.

se • • ouvenirs et .es écrits pr6c6dents, surtout dans Jean Santeuil.

,

(5)

...

.

...

~ ... '.~~

-

~

...

...-..-...-

-

...

(

,

,

t

~Infin.

dan. la derni.ie

~tie

de notre travail.

n~.

ob.ervon. en d'tail le. diff6rent. rele. de Swann dan. la

Recherche

1

celui de pr'eur.eur de

~reel:

la place de Swann

-l"tude de Prou.t .ur l'amour et la jalou.ie: le th.m. capital

1 ,

!

d. la mu.ique t.l que pr'.eht' par Swann:

et .urtout

l'e.th'-ti.me de Swann. qui e.t la IC:: ••

pr~nCi~~le

de .a diff'rence

avec Marcell c.

d~rni.r·.~ura

.urm+nt.r

~tte

meme tend:nce en

"

- ".

.

\

lui et il deviendra le cr'ateur de la R*chereh..

Pour terminer.

1

noua .ouliqnon. l'importance de Swann ComMe lien entre toute.

1 •• partie. de la cath'drale d. Prou.t.

r---J

'"

,. \ \

".

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,- ,

..

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r '. i , 1

.

,

..

.

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j h 1 1 1

il

(6)

7 ~

.

f

\

...

ABSTRACT

Sw .. nn ia. ..fterl Marcel. the mOlt import .. nt cha,r .. cterj in

,

A la aecherche du

T-mea\perd~.

From the very atart. the. author

1 'C

ha. linqled him out to

~lay

near Marcel' the role of'initiator: .

\

it

i .

Swann who. in

co~ray,

cau.e. the cruci .. l event which will

1

i

fix Marcel' • •

enaibilitY. In the last chaptera o.f la Recherche,

\ written at

~he

.ame time aa the first, the author

~nnounce.

that

he

owea to Swann the discovery of his vocation and all the decisive

• IP • '

eventa which lad him up to it.

In fact, all through the book, we

c ..

~itne.a

thia ever

pre.~nt

influence on Marcel's affective and

intelleatrual life. In Combray, he encourages the child' s in,terest

in libarature, and hia intervention as well as his advice result in

an obvious wideninq of Marcel's horizons.

Swann not only illuatrate. Proust's view. on the mechani.ms of

love, jealou.y and gradual forq_tting. but his

te.t~on ,co~.ti­

tute. the fir.t ex .. mple in a long and thorough study whic

is to

incorpora te .. qreat many of the perlons in la Recherche .

.

,

.

-The

c

,

J

(7)

-..

\

'.

t

" 1 t

..

character 6f Swann take. on new dimensiona when, ln 1914, PrQu.t

,

atarted correctinç the proofs of  l'Ombre des Jeunes Filles en

(\

rleur.: throuqh him, the author now starts an .~ten.iv. study

e

'"

of the social and political circle. of his ~ime, .tudy which rnakes Proust the equal of Moli~re. Fir.t of Allo Swann now beinq

Odette'. hu.band • • chemes to build a .econd social position , appropriate to his wife (Proust will show similarly intere.ted intentions within ether familie.). Moreover. Swann's intervention at the tim. of the Dreyfus Aff.ir is prophetie. not only of the

futur. change of opinion concerninç the accu.ed. but of Marcel's adoptinq a vocation: this new change in Swann's personnality'

will~e hi. w.y of redeeminç his life. as will be for Marcel his

becominq a writer. At the end of la Recherche. the memory-of who Swann really was fades a~ay , and disappe.rs: however. not before prorst sueeeeds in ineorporating him .in his study of the

"accursed tace". ThuI, until the very end of the novel. Swann doe. not cease to illustrate Proust's theory on personnality changes and why they occur •

In the second ehapter of thi. work, we study the modela

-~

of Swann: Proust qives him many traits which come from sorne of his friends and he draws liberally from his souvenirs and his previous writinçs. especially from Jean Santeuil.

(8)

r

1 "

()

. . ft 1

Finally, in our la.t chapter.

we

Ob~.rv.

i1 detail

1

Swann!. variou. rol •• in 1.

Rtçh,rçh.~ t~at

of

preeuf.o~

of

Marc.l~

Swann'a plac. (by campari.on with and 0PPo.ition to

tha

t

of Marc.l) in Prou t·. .tudy

~'\ loJ~.

1 j

.alouoy. and qraclual

f~rq.ttin9 ~

rtant

t~.m. o~-I

mu.ic a. pre •• nte<! by

Swann~

and abov. al1 S

nn~

•••

th.tici~m.

which ia

th.

main

ca~.~

of hi. difference

1

ith Marc.l,

fO~

th. narrator will b.

ab1. to aurmount thi.

t.~dency

to

b.CO~'

th.

c~.ato~

of

~

R.ch,rch..

w.

l •• tly und.rlin. Swann'

J

-importanc ••• a

b.t ...

n a11

th. part. of >iProu. t •

a ca

t~rral>

1

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1

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(9)

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TABLI: DJ:S MATI IRES

Page INTRODUCTION.

.

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.

· · · · ·

·

·

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·

·

1

\

Chapitr. pre~i.r

-LE

PERSONNAGE DE SWANN

· ·

3

r

..

" 1. Swann l c~ray.

..

3 \ 2. Un !rnOur d* Sw!nn.

·

• •

· ·

10 ~

..

,,\ 3. Swann. p~r.\ d. Gilberte.

· ·

·

·

· ·

·

· ·

41 "

:-

\ 4.., Sw~nn. mliri \d'odette

· · ·

·

·

· · ·

·

·

4:2 \ \ (

' ... 5. Swann et l'A~faire Drey tu.

·

· ·

66

~

, ,

6.

La

vi. posth\Àme de Swann

·

·

·

·

· · ·

·

· .

.

~S

(

7. Le prob1~m. d •• date •.

· ·

· ·

80

,

'Cbapi tre II - LBS MClDEL!lS

"b~

SWANN

·

· ·

·

·

86

l.

c.

Iphru.si. L. de Mo aco, C. aaa.,

L.

Daudet, etc ...

·

·

·

86

2. Jean Santeuil.

.

·

,

.

·

· 1.

97 Chapitre III - LIS ROL!S OE1 SWANN DANS A LA RECHERCHE

f DU TEMPS PIi!Y1U

·

·

116

..

1. Swann. pr6curseur de Marcel.

·

"

·

117 1 2. Swann et l'amour

.

·

· · · · ·

129 3. Swann et la musique.

"

·

134 , 1 4. L'~.th6ti.me de Swan ..

·

·

· ·

147

S. Swann l l'origine

della

cath6drale de Proust 159

-• .n CONCLUSION.

.

. .

. .

.

[.

· · · ·

162 BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE.

·

G 166

·

·

( 1 \ti ,'" '\

I ....

IIII~--~

.. --

---~--t·--~M ~, ~;

....

~ \..

...

i->--. . --.,~P---.----~

(10)

-, v •

\

p. ... 1 INTltOOOCTION

Proust dans sa cr6ation de Swann et, • travers ce per.onnaq.,

..

En

1.

sur les diff'rente. apparitions de Swann dans le roman le. remaniements ultfrieurl apport's par l'auteur au texte, cette recherche montrera en quot Swann est l'exempl~ typique de ees deux temps. En effet, ce personnage, a~ d'part, n'6tait- qu'une reprise de "Jean Santeuil, une

~fica'tion

id'alis6e de l'auteur devant illustrer, dans Un Amour de Swann,

les ~h'ories du jeune Proust (sur l'amour, la jalousie,

l'ou-.J

bli. etc ... ) et. ain~i. constituait le premier exemple d'une d'mon.tration tr~s 'tendue devant incorporer la plupart des

p.r.o~nages de la Recherche. Cependant. i l devint plu~' tard, dans les volumes r6dig6s apr.s la guerre. un. ~es figures prin-cipales de cette soci6t6 an.lys'. par Proust et le point

.

.

d~

d~part d' une 'tude monumentale de ce monde oi) chaque indi\,idu

plui souvent d'gradante--et

une 'volution tr~s prono~c'.--le

oi) les valeurs 'tablie.

1

sbnt \

constamment remis.s en question par les 'v'nernents.· rroùst·

_

'./.

"--

-:,,-~'---i---"'·""-_·~"'IIro>"""'_"'!""'''''--''''''''''''''~

\,

...

(11)

\

~

démontrera A partir deSw.nn commenh les lois psychologiques

go~vernent l'individu dans tous les aspects de la vie:

affec-tifs, culturels, sociaux.et

politiQ~e~'.

Les sources de Proust dans la création de ce personnage seront présentées. Le

parallàle établi ent,re Marcel et Swann sera sou~gn' tout 6U

long du te~te, ~et finalement l'opposition entre ces deux des-tins, au départ semblables, Swann restant jusqu'A sa mort un

..

dilettante et Marcel devenant le créateur d'une oeuvre immor-telle. Enfin, l'importance de S~ann comme lien entre les

, ,

diff~entes parties de la "cat)lédrale" de Proust sera montrée.

,

, Tous les passages de A la Recherche du Temps Perdu que nous citons sont pris ~~--~~ition de la Pléiade et nous noterons

..

c\aq~

fois 'entre ses le volume et la page seulement. Je tieps à témoigner ici mon profond respect et ma .

o

reconnaissance A M. le professe~r Robert Vigneron, de l'Uni-versitê de Chicago, aut,ur

J~

la Genàse de

., 1

me suggéra le sujet de cétte recherche, et professeurs G.-Pa Collet et

A.

Smith pour

.. 'l

cieux et leur aimabl:~ "ë.irect'j,.on.

1 ; "1 1 f / \

Swann, ~ui autrefois~ à remercier MM.

le~

1

(12)

..

CHAPITRE PREMIER

LE PERSONNAGE DE SWANN

1. Swann A Combray

Le premier volume de A la Recherche du Temps Perdu.

~ntitulé Du COté de Chez Swann. fut publié chez Grasset en

1913. Proust ne devait publier le second volume que cinq ans plus tard. apr~s la fin de la guerre. Nous savons qu'il a rédigé le début et la fin de son roman l'un A la suite de

l·au~re. Dans les premiers chapitres. l'aùteur faisait'part

d'un événement capital qui, en jetant sur son passé une l\1mière

)~,',

révélatrice. lui avait montré le sens pro~~nd de sa vie et

d ,

avait marqué le début de sa vocation d'écrivain. A la Recher-che du Temps Perdu devait être l'histoire de c~~te révélation.

1

-et de la transformation de Marcel.

Nous pouv,ons donc considérer que ~oU:t ce qui' se trouve dans ce premier volume est capital aux yeux de l'auteur et_a été soigneusement choisi. Les éléments' qu'il

r

"pose" sont non seulement des amorces du dénouement, mais constituent une

(13)

,

(

4

base pour les développements que l'auteur pr'voit èt qui seront. le sujet des vol,:!mes int'erm'dia1res. D' apr~s ces don-• nées, nous pouvons mesurer la pla?e importapte qui est

'---D~s

le'début, Swann est

~si9né

par

~e

narrateur comme un personnage t~~~a fait spécial. Le ton explicite du r'cit \ souliqne le respect et l'admiration des membres de la famille de Marcel pour ce voisin distingué, érudit et un peu mysté-rieux, mais surtout l'étonnement craintif du 'narrateur devant

J

·1 \

ce personnage hors-pair qui a ses entrées dans les meilleures

J

<~aisons de France, "un des membres les plus élégants du Jockey-club, ami préféré du Comte de Paris et du pri~ce de

'\

Galles, un des hommes les plus choyés de la haute soci'té du faubourg Saint-Germain" (1: 1~-16).

Nous arrivons presque d'emblêe-à l'événement le plus marquant de la vie de Harcpl, incident occasionné par une

l '

visite de S~ann, "l'~uteur inconscient de mes tristessei".

dira-t-il. A 'ce point du réci t, un lien tràs spêci-al est cré-' entre Swann, dont la venue était toujours pour le petit Marcel

J

"l'objet d'une préoccupation douloureuse" et l'enfant angoissé qui voulait-A tout prix ~eeevoir le bais~r de sa màre avant de

S'indorm~r. Notons que ce lien n'est apparent ni à l'enfant,

(14)

r

.-( 1

5 •

..

, .'

ni l Swann. C'est le personnage adulte du n!rrateur qui en

f.~t part au lecteur:

,

.

L,angoisse que je venais d'êprouver. je

p~nsai& que Swann s'en serait bien moqué

s'il avait lu ma lettre et en avait devinê le but: or, au contraire. comme je l'ai, appris plus tard. une angoisse semblable fut le tourment de longues années de sa vie. et

pe~sonne aussi bien que l~i n'.urait pu me

~ comprendre ... cette anqoisse qu'il

y

a l sentir l'&tre qu'on aime d~ns un lieu de plaisir où l'on n'est pas c'est l'amour qui la lui

a.

fait conna1tre. Et l~ joie avec laquelle je fis mon premier apprentissage quand Françoise revint me dire que ma lettre serait remise, ,Swann l'avait bien connue aussi. cette joie

trompeuse. Hélas1 (1: 30).

1

De plus. l'auteurJ dans le but évident de rendre ce personnage

.-tr.s sympathique, insiste sur l'incognito dont Swann s'entoure

A

la campagne, sur sa façon galante de faire peu de cas de ses •

attributs mondains lorsqu'il visite les vieux amis de son père. Et le fait que son entrée en scène ait justement causé le bou-leversement que l'on sait dénote le rOle-clef que l'auteur lui a choisi.

L'importance de Swann est aussi mise e~ évidence d'une

mani~re rOu~ autre. Il est le premier personnage à ~tre décrit

\

dans une perspective spéciale que nous observerons maintes fois ~ au cours de l'oeuvre. En effet. Proust énonce d~s le début

1

1 que

(15)

,

.

Ainsi,

6

notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres. Même l'acte si simple que nous appelons 'voir une personne que nous connaissons' est en partie un acte intellectuel. Nous remplissons l'apparence physique de l'être que, nous voyOns de toutes les notions que nous avons sur lui, et dans l'aspect total que nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande part (I; 19).

j

nous~mes, nous "verrons" Swann ~ travers les yeux d.es différents personnages du réc~t. Cette méthode de Proust est d'ailleurs particuliàrement h~bile, car ces points de vue

dif-/

férents déçrivent les autres petsonnages auta~t que Swann, sinon plus. Examinons donc les portraits divers de Swann que

,

l'auteur brosse au moyen de quelques répliqu~bien choisies: Proust nous le présente d'une manière on ne peut plus brève: i l note seulement le' nez busqué', les yeux verts, un front haut, des cheveux presque roux et coiffés à la Bressant. Le grand-père de Marcel, lui. voit Swann, le fils d'un ami intime dis-paru, avec beaucoup de sympathie. Il est heureux de lire dans

le journal que Swann est un habitué' des diners du duc de X. dont les parents, autrefois, avaient servi sous Louis-Philipp~. Il se réjouit à l'fdée de ,pouvoir bientôt poser à son jeune ami des questions sur les faits et dires des grands hommes de cette ~ époque. La grand-tante de Marcel,- au contraire, trouve que ces

hautes fréquentations sont d~'f~v,?~able~ à ~nn, qu'il s'est

. ,

(16)

( 7

~ laquelle il était destiné.

.

~' La grand-mère de Marcel. pour sa 1 ,

part. est enchantée de d'couv~ir qu'on avait emprunté des

1

oeuvres de la collection de Swann lors d'une exposition de Corot. Elle y trouve la preuve de ce qu'elle avait toujours affirmé, c' es,t-~-dire que Swann avait beaucoup de goQt. La mêre de Marcel. elle, soucieuse de montrer l Swann qu'elle ne lui tient pas rigueur du mariage

ê;iu',

il a fait. trouve des mots délicats à lui dire à l'intention de sa fille Gilberte: 'mais elle les lui dit alors que son mari ne peut l'entendre, car

il n'approuverait pas cette initiative. Ainsi. grace A ces con-

..

versations diverses. nous avons une idée précise sur le caractère

".

de chacune des personnes qui y prennent part. Cette méthode de présenter un personnage ressemble fort A celle que Proust déclare être typique de Dostolevski, qui racontait une,

vie en partant hdes illusions, dèS croyances qu'on rectifie peu à peu" (III: 9'83). Et c'est bien l'impression qu~

"""

nous avons en lisant ces quelques paragraphes: l'image de Swann se précige lentement, à mesure que nous apprenons à discerner, entre les diverses opinions émises sur lui. celits qui sont sürei'; et celles qui résultent d'un préj'ugé. Nous avons la sensation de regarder Swann à travers une lunette télescopique. alors que quelqu'un est en train d'en r5g1er~

f

.. 4 {

(17)

:las

1

8

le verre.t Proust inaugur~ ici cette technique et il s'en

--1 .

.

servira tout au long de son oeuvre~

,

Ouelques annêes plus tard, toujours ~ Combray, i'in-fluence de ~wann sur Marcel est mise en évidence: M. Swann

..

lui offre des photograp~ies de figures de Giotto. Le

n'arra-J

teur avoue n'avoir eu tout d'abo~d aucun plaisir A les

regarder; plus tard, cependant, i l comprit combien "l'êtran-getê saisissante de ces fresques tenait

~ ~a

grande

pla~

que

,

le ~ymbole y-occupait et qu'il fut reprêsentê, non comme un

.

symbole mais comme rêel" (1; 82). Swann encourage Marcel ~

obtenir de ses parents la permission d'aller au thé~tre; i l le féliciJte d'ai-mer les oeuvres de Bergotte, ce "charmant esprit"; et lorsque Marcel apprend que cet auteur est reçu

toutes les semainès chez Swann, l'admiration de Marcel pour son voisin ne connait plus de bornes. Nous constatons que l'exemple

, ,

de Swann et les attentions qu'il a e~é5 pour-Marcel au cours de leurs re~contres ont beaucoup contribué ~ former l'esprit de l'énfant. Pourtant, nous trouvons ici une critique surpre-nante dans la bouché du jeune Marcel:

..

••. je trouvais quelque chose de choquant dans cette attitude de Swann en face des choses. Il avait l'air de ne pas oser avoir une opi-nion . . . Pour quelle autre vie réservait-il de dire enfin sérieusement ce qu'il pensait des choses ..• et de ne plus se livrer avec une

t

"

(18)

-(

9

politesse('pqintilleuse à des occupations dont .il.professait en même temps qu'elles sont J

ridicules? (I; 98).

cl

~

Ceci est la premiàre mention de cette faU.le protonde que

"

-Proust dévoilera progressivement, entre le caract~re de Swann et celui de 'Marcel, pourtant destiné à tant lui ressembler: Marcel saura discerner le vide d'attitudes toutes mondaines et, au lieu de s'en contenter, i l aura l'équité de vouloir approfondir toujours davantage le sens des choses.

En évaluant l'ensemble ~e Du COté de Ch,z Swann, nous observons que, parmi les ~hàmes choisis par l'auteur, plusieurs sont introduits par Swann. Ceci restera vrai tout au long de

,

l'oeuvre. Proust les développera tous, commençant par le plus 1mmédiat--l'étude des angoisses passées de Swann et leur

rap-(

port avec le tempérament de Marcel. Plus tard, l'influence de Swann en tant que père spirituel de Marcel resurgira, aves

~toutes les,conséquences que cela implique: l'exemple de Swann

1nitiera l'enfant, lui dévoilera des conn~issances, des ho~i-zons nouveaux; et, de.ce fait même, le narrateur sera, dans

~ne certaine mesure, et avec les limitations et le dépassement que nous avons déjà soulignés, un double de Swann. Marcel,

l

voulant rappeler ce lien qui les unit, dira maintes fois qu'il

-s'intéressai t tellement au caractère de Swann liA cause des ressemblances qu'il offrait avec le [:rien". Mais la

(19)

? •

'"

" '\ . ( 10

différence ess,entielle quJ existe entre eux ne se manifestera

: a " , ft

qu'A la fin de l'oeuvre. Swann mourant sans s'être jamais

"'i

, .. ?'

vraiment expr imê. sans avoir rien "produit". et Marcel, au

, ",1'.

contraire. créant une oeuvre immortelle. L'auteur exposera aussi. au cours des"volumes suivants. les jugements qu'il porte sur la société. selon la méthode des points de perspec-tive différents que nous avons déjA siqnalée.

/

C'est lA le plan auquel Pnoust se tiendra tout au long de A la Recher~he, du Te~ps Perdu. si l'on en excepte son étude sur l '

hamOSE!Xu.l~

té. sujet qu' il, nE! décida de tr ai ter

~e

., beaucoup plus tard.

2.

l'

) Un Amour de Swann

Dès le dêbut de l'êpisode co~acr~ à l'amour de Swànn pour Odette de Crêcy. notre personnage prend tout à coup une

.

dimension inattendue. Nous nous éebnnons qu'un volume entier soit réservé à cette histoire, Swann ayant jouê jusque là un rOle secon6aire. Bardèche a montrê comment le premier' volume

~ de la Recherche tel que nous le connaissons. co~trairement à ce que Proust répêtait à chaque occasion. n'est pas un/tout \ homogène. mais a étê formé par la juxtaposition tout à fait arbitraire de trois développements indépendants et rêdiqês à

(20)

t

,

\

11

des 6poques différentes. L'intention de Proust jusqu'au d6but de 1913 était de réunir dans ce volume l'histoire de l'amour ancien de Swann et celle du ménage Swann, Du COté de Chez Swann devant fa~re pendant au Du COté de Guermantes ~

c .. •

publier ensuite--Albertine n'existait pas encor'e. Cependant, l'éditeur Grasset. jugeant qu'un roman de cette taille serait impossible ~ vendre, exigea qu'il soit tronçonné. Et c'est cette contrainte qui décida Proust à faire de cette étude d'un amour de Swann un épisode étendu et autonome.

Alors, i l s'appuie sur cette difficu~té même. il accentue cette contrainte et s'en sert: au lieu de placer ailleurs le réc1t du passé de Swann, il en fait volontairement, ostensi-blement, un 'morceau de concours', une exhibi-tion qui lui permet de montrer la puissance et l'originalité de son talent, sur un spécimen spécialement choisi. Et ainsi i l transforme ce qu'il faut bien appeler un défaut de compo-sition en un relief significatif. l

, '

Bardàche d'ailleurs affirme que "la mise au point de cet

épi-,~

sode fut tardive .•. [et il] a été écrit dans la deuxi~e partie

,

de l'année 19.12", et que "certaines mises au point' n'ont été rédigées qu'au milieu de 1'année 1913, date à,laquelle le ~anus-crit de toute la'Recherche était terminé en brouillons, au moins , dans la forme que Proust pensait lui donner à ce moment.l

1 lM. Batdèche,', Marcel Proust romancier (Paris, Les

Sept Couleurs, 1971), l, p. 282. 2Ibid .• I, p. 281.

..

(21)

.

.

..

_ 12

1 ~,)

Le détpil de l'analyse de Un Amour de Swann indique

..

que cette étude est de la plu~ h~te importance dans le

dérou-•

.

.

~ , ;

lement de l'oeuvre. ,Plus tard. lor~que le

~ .~

rrateur décrira

"

son amour pour G1lberte. puis pou. Albertine, nous trouverons

f

sur mon des phrases telles q u e ' la puissance qu'ex

imagination ... .1'exemplè de Swanntl

• ou "co autrefois ",

ou bien encore "différent en ceci de ~n fait, l'au-teur lui~ême dévoile sa stratégie:

,

Un romancier pourrait. au cours de la vie de son héros. peindre presque exactement sembla-bles ses successives amours et donner par là

l'impression non de s'imiter lui-même mais de créer. puisqu'il y a moins de force dans une innovation artificielle que dans une répét~tion

destin~e

a

sug~rer une v4rit4 neuve. Encore

devrait-il noter, dans le caractère 'de l' amou-reux. un indice de variation qui s'accuse au fur et l mesure qu'on arrive dans de nouvelles

~qions, sous d'autres lattitudes de la vie.

Et peut-être exprimerait-il encore une vérité de plus si, peignant pour ses autres personnages

des caract~res, i l s'abstenait d'en donner

au-cun l la femme aim~e (1; 894).

Proust a retrouvé ici le principe que Rousseau énonçait déjà dans Émile. selon lequel le succès de f'enseignement donné à quelqu'un dépend de la possibi1it~ d'établir un rapport entre ce qu'il connaît déjà et la chose qu'on veut lui apprendre. Il

"

faut pouvoir lui en présenter une image qui se juxtapose natu-re11.,ment à d'autres qu' i l poss~e déJà. Les différehtes

amours que Proust d~crit tout au long de son roman ne sont que

t...,

(22)

, "

13 des variations d'un même

th~me.

\ \ \ A la fi\n de la Recherche, i l 1 \

soulignera encore le lien qui unit ces ~~isodes, âinsi: . . . le vieillârd

rM.

de Guerman~es], imitant, dans ce dernl.er amour, la manière de ceux qu' il avàit eus autrefois, séquestrait sa maîtresse au point que. si mon amour pour\Albertine avait

,r~~té, avec de grandes variat1dns, l'amour de ,

.

Swann pour Odette, l'amour de M., dè Guermantes

rappelait celui que j'avais eu p~ur Albertine (III~

1015) .

~roust a noté qu"'il faut A l'~cr1va1n, pour donner du volwne

et de la consistance A son oeuvre, beaucoup', d'êtres pour un

l . l

seu sent1ment."

Ainsi, ce roman n'est pas l'histoire d'un amour quel-conque, mais la première illustration d'une 01 qu1 régira

tous les personnages principaux de la Recher e. Cet amour que l'auteur narre dans les plus grands d~tails est'~onc , capital

\

pour le reste de l'oeuvre. Cette étude est bQuleversante, car, du début

A

la fin, elle est pr~sent~e comme une chose

presque irréelle, un mirage cr~~

r::r

l'esprit et la sensibilité de Swann, un malentendu.

Avant 'le début de ce r~cit, Swann a ~té pr~senté comme an homme érudit et a~ez fasçinant; il a des amis qu'on lui

l

Note 1 (III: 907).

,

(23)

--.,---r

14

envie et un~ certaine r~putation .de.~rit/qu~ dans le domaine

de

l'~t.

Ma1S ici apparaît une

caract~ristiqu~ nouvell~:

son isolement profond au m~lieu d'amis qui le choient. Tous admirent son intelligence. son esprit, son éruditioh, mais ses

1

relations avec Jux sont pùrement mondaines: ils ne 'sont pas du même niveau intellectuel que lui.

.

Il se dit cependant que la vie oisive qu'il mène "contient des situations plus inté-, , ressantes. plus romanesques que tous les romans" (1; 171).'

. Swann ne 'souffre

;'~urtant

pas de la solitude. car sa vie est parfaitement régl~e par l'habitude. Il remplit méthodiquement des devoirs monda~ns qui le s9ulagent A la manière d'un anal-gésique~ il ne se pose pas de questions. De temps en tempf' i l se met en frais pour conquérir quelque midinette; mais ces épisodes semblent n'être pour lui qu'une distraction. Il n'est

pas heureu~ tout en n'~tant pas malheur'ux.

On })eut discerner dans. Un Amour de Swann deux grandes

~

pa,rties: la première. commençant avec la rencontre de Swann et d'Odette, décrit la période de leur bonheur commun; la

deuxi~me, déclenchée par la jalousie dé Swann. ~ène graduelle-ment à leur séparation définit~ve. Chacune de ces deux

par-.

ties contient trois subdivisions toutes placées sous le sceau de l'habitude, et qui, se correspondent: tout d'abord, Swann

J r

s'accOutumera à rencontrer Odette de plus en ~lus fr~quemment

---.... ·---'I!!'C----... · -"

,.~~ "~

....

_---

(24)

(

~. "

"

1S

...

et , sa quise; i l en résul tera une sorte de cristallisat~on,

puis ce qu'on doi t appeler "l~r amour". La deuxi~me partl.e .' se d~veloppera dans le sens contraire: A cette ~poque d' 2!rlnour

f

'It

rheureux succède ra une période de jalousH! intens~ de l'a part de Swann; cela provoquera peu ~ ~u'une dêcristallisation où

!

l'aveuglement d'aut.refol.S fera place A de la haine •. puis à -de

l'indiff~rence. pour aboutir à la même vie qu,'auparavant,

ré91~e par l,t'babitu"e. et dont Odette est absente.

Rèvenons donc aux premiers mo~s qul suivirent leur ren-contre. Odette s'insinua graduellement dans la vie de Swann. qui semblai t organis~e une fois pour toute~·. Le ~5ul ta t de

ses avances fut double: Swann prit goût à ce qu'elle fasse partie de ses préoccupations journalières et, par ailleurs, elle réussit à le convaincre qu'elle tenalt beaucoup à lUl.

Nous aSSl.stons ici à une pré-cristallisation de l'amour tout ., à fait inusitée. c~r. fidèle au plan qu'il avait ChO'iSl de

suivre. Proust n'a donn~ à Odette aucun trait particulier. s~ ce n'est cette ressemblance avec là Zéphora queSwann avalt

admir~e dans une' fresque de la chapelle Sixtine et qu'il al.mait. Nous "voyons" Odette surtout avec les yeux de Swann. Les per-sonnes qui la lU,i avàient 'présentée IUl avaient laissé entendre

,

1

(25)

'-\

16

1 qu'elle étai~ une personne rare et diff~cile à ~border.

M~is il ne ressenf pour elle aucun ittrait car elle "n'est pas

1 t

son genre"; elle est même l'oppos~ "du type que ses; sens' r~-clament" (1; 195). Il tient à elle comme à une habitude

ag('éable qu~ flatte sa vanité, cette même vanit~ "qui aûtrefois

l'~vait Airig~ vers cette carri~re mondaine o~ il avait

gas-pillé dans les plaisirs frivoles les dons de son esprit" (Ii 191). Il puise pourtant dans cette ressemblance d'Odette avec

2 '

la Zéphora une justification du temps qu'il passe aupr~s

d'elle et qu'il considère

so~vent

comme du

tern~s

perdu. Et quand i l est tent~ de penser que c'est de la folie pour lui de

-

.

gaspiller des heures pr~cieuses avec Odet~e, i l se dit que c'est' pourtant juste, car elle était un chef-d'oeuvre "rar~ssime qu'il contemplait tantôt avec °l'humilit~, la spiritualit~ et le d~sin-,téressement d'un artiste, tantôt avec l'orgueil, l'~go!sme et

l

Nous n'apprendrdns ceci, d'ailleurs, que beaucoup plus tard.

2Ce mot de justification app~rait à plusieurs reprises' au début de c~t ~pisode, indi~ant bien que cet amour est une mystification que Swann s/impose: .~

••• i l

~e féli~ita qu~

le plaisir

1

qu'il avait à voir Odette trouvât une justifica~i6n dans sa propre culture esthétique ... l l ne s'était pas résigné à un pis aller aussi imparfait qu'il

/

l' avai t cru j~s,:tu' ici. •• (1; 224)., /

,

-.' •• 1' a.mour a tellement besoin de se trouver

une justific~tion (1; 222).

i il

/

(26)

\

"

17

,

, ,

la sensualité d'un collectionneur" (1; 224). Ceci même est assez paradoxal chez lu~ car, ordinairement,' les qUalités phy~ siques d'une femme qui ressemblait aux "femmes sculptées ou peintes par les maîtres qu'il préfërait glaçaient ses sens" ,

(I~ 192).

l

Il semble d'ailleurs Cl1:le Swann .... ~'aime" d~UX perionnes à la fois. Dans une même page (1; 218), i l es·t question de la

'.

peti te ouvrière dont Swa:nn "est épri.s", et quelquesl lignes

Pl~

bas, Swann et Odette écoutent ènsemble chez les Verdurin la petite phrase de Vinteuil "qui était comme l ' a i r national de leur amour". Jusqu'au moment décisif où Swann sera affolé par l'absence d'Odette, ces deux amours, l'un de nature sensuelle et l'autre' plus inte'lleqtualisé, se compléteront. Plus tard,-lorsque Marcel rencontrera Albertine, nous ass~sterons à un phénomène semblable

,Swann, car, pendant •

et en~ore plus dé-personnalisé que pour

l,'

iongtemps, Marcel ~e poprra distinguer, parmi la band1'de jeunes filles qui couraient sur la plage, celle qu 1 i l préfère aux "aut;es: i l es t épris surtout de l'

im-pression de jeunesse et ~'énergie qui émane de leur groupe. Ce phénomène étrange et tenace vient de bien loin dans le passé de Proust, comme le montre cette phrase du Carnet 1: "Bien des gens ne croient pas à un double amour. Moi,~c'est un quintuple, la petite Bouchet, sa soeur, "

·~""""B.'~'~===-=_---

__

~---

.

-

-- . -

----~,~~.---1

(27)

-18

'Ainsi, au fil de ces pages où l'indifférence de Swann pour Odette se mêle à un sentiment de sécurité à la pensée qu'elle l'attend sagement tous les soirs 'chez les Verdurin, nous arrivons à la soirée inoubliable où Odette, lassée d'at-tendre. est 1epartie avant l'arrivée de Swann. I l ne pe1rt' supporter que cette douce habitude lui manque, et c'est dans

1

les premiers moments de son désarroi que se cristallisera son "amour"\pour Odette. Cet amour n'est donc pas un phénomène positif et sain basé sur la connaissance, le respect de l'autre et dénué de rout désir de l'exploiter. Il n'y a ici chez

l'amant aucune intention généreuse de donner, d'aider l'être aimé à croître; 1 i f n'y a en lui que le besoin désespéré de Il

calmer son ~ngoisse. N'oublions pas que ~ jour-là, Swann

,

--avait commencé la soirée ~ns les bras de sa petite amie et qu'il était allé chez les Verdurin presque à contrecoeur. Notons aussi que Swann, homme très sensuel,

senti de trouble physique auprès d'Odette:

n'avait jamaii res-i l avares-it préféré jusque-là la beauté de sa petite amie "fraîche et bouffie commé une rose" aux joues plles et picotées de rouge, aux yeux cernés ;'Odette qui lui dausaient parfois de la· répulsion. Le côté

~ensuel

de cet amour de Swann pour Odette est donc presque lVO'ir E. Fromm, The Art Df Loving (New York,

H~rper

& RowH Publishers, Inc., 1956).

j

---

--->~]--~~--~--

...

_~~~---:.>'''' .J.~ _ J i . ~~.

(28)

19

ine~istartt, bien que la possession d'un être soit toujours un acte physique, "où l'on ne possède d'ailleurs

ri~n

du tout", dira Proust. Une réaction semblable, mais inverse, se produira chez Marcel lorsqu'il croira qu'Albertine l'a quitté. Il en sera désespéré: mais il retrouvera tout 'son calme--et son' indifférence pour elle--en apprenant qu'elle est toujours làl

Ainsi, Swann, est devenu amoureux "non.d'une femme, mais ,

\

de l'absence de cette femme. du vide qu'elle créait en lui Il (1:

230). Proust est revenu plusieurs fois sur ce mystère, "essa.yant chaque fois de l'élucider un peu mieux, comme. en témoignent ces deux passages écrits avec plusieurs années d'intervalle:

De tous les modes de" production de l'amour .•• i l est bien l~un des plus e~ficaces, ce grand

souffle d'agitation qui parfois passe sur nous. Alors l'être avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort eh est jeté. c'est lui que nous aimerons. ~~l n'est même pas besoin qu'il nous plût jusque-là plus ou même autant qu'un autre. Ce qu'il fallait c'est que notre 'goût

pou~ lui devint exclusif (1: 231).

.•• une femme qui eût été 'notre genre' et qui, se sentant désirée. ~e fût disputée, ne nous

aurait accordé que de rares rendez-vous. n'eût pas pris dans notre vie cette irtstallation dans toutes les heures qui plus tard, si' l'amour

1

~ient et qu'elle vienne à nous manquer, pour une brouille ••.• ne nous ar~aché pas un seul lien mais mille. Ensuite, cette habitude est senti-mentale parce qu'il n' y a pas grand dés'ir

,.physique à la base •.• Nous ne nous méfions p,elS ' des femmes qui ne sont pas 'notre genre', nous les laissons nous aimer et si~nous les aimons

(29)

-, " (

'.

,

20

ensuite, nous les aimons cent fois plus que les autres, sans avoir même près d'elles la satisfaction du dêsir assouvi (III; 1012).

Il faut avouer que cette ~gitation extrême de Swann ressemble fort à l'angoisse du petit Marcel qui ne pouvait supporte·r de devoir res ter loin de sa mère le soir sans' avoir

~~

.

reçu auparavant le baiser

de~nsolation

qu'elle lui. donnait pour calmer sa tristesse et

'~~J

agitation. Ces mêmes angois-ses, Marcel les connaîtra à nouveau auprès de Gilberte et surtout d'Alberbine. Ma~s lui ne sera pas dupe de ses senti-ments et, tou't en êtant aussi incapable de rester éloigné des

,

jeunes fil~s de .Balbec que Swann l'était ce soir-là d'Odette, i l saura

mais est

reconnaître que cet amour n'a~pa;tde cause tan:~ble,

une émanaticm de sa nature, "rftture qui crée elle-même nos amours, et presque les femmes que nous aimons, et

t

jusqu'à leurs fautes" (1; 585).

-D'ailleurs, ce n'est pas l'absence seule d'Odette qui r créa chez Swann cette angoisse éperdue; elle résulta également de la ,course folle à travers Paris qui.' produisit sur lui la

~'

mêmè impression que si Odette av~ît vrai~ent essayé de le fuir. Nous retrouverons ce même sentiment chez Marc~ lorsqu'i1 est

~

IJ

bouleversê par le ~erpétuel mou~ement de fuite des jeunes filles sur la plage de Balbec • "Cette fugacité ~es itres ••• nous met

:t . ,

,

(30)

,

(

21

dans cet éta. de poursuite où rien n'arrête plus

l'imagina-,

tion" (1: 7 96) . Ce n'est que bien plus tard que l'amour de

Marcel se reportera sur l'une d'elles en particulier, Albert~ne, la jeune cyc.liste au regard fuyant. Saint-Loup aussi aimera "Rachel quand du Seigneur", jeune fille qui ava~ t é t é offerte à Marcel pour vingt francs, mais en laquelle Saint-Loup voit

.

"un- être mystérie~x, turieux' à connaître, difficile à saisir, à garder" (II: 159). Le narrateur sait que, dans l'amour, on s'arrête à l'image d'une femme '~Isimplement parce que cette

femme sera presque impossible à atteindre" (1: 858). Ainsi naît un besoin impérieux de la contrôler, de la maîtriser alors qu'elle se dérobe ,:?U paraî·t se dérober. "On n'aime que ce qu'on ne possède pas" (III; 383), dit le narrateur à la fin de la Recherche, et c'est bien là la phrase qui est à l'origine

.

de toutes les amours décrites dans l'oeuvre.l

Dans Un Amour de Swann abondent les- expressions telles que: "le besoin anxieux, ..• le ,besoin insensé

l et douloureux'

de l ' [l'être aimé

J

posséder': ;1 ~ 231), "le besoi'n douloureux

~ .,

de la maîtriser. dans les moindres parties de son coeur" (1: 2'71)

lDans un autre passage lorsque Swann arrive enfin à identifier la petite phrase de Vinteuil, i l se réjouit de pou-voir bientôt l'entendre chez lui autant qu'il le voudra pour !essayer de découvrir son secret. Le narrateur nous dit: " ..• i l

la tenait".

---1 j

f

J

(31)

!

t 22

1

(dans' le cas de Marcel, Proust osera même employer le mot de "proie" pour décrire l'être aim~ (1; 858). Cet amour de

Swann, partout étroitement associé à la souffr~ce, Proust le décrit comme une sorte de maladie: "[le] mal qui s'était

\

déclaré en lui le soir où il ne l'avait pas trouv~e chez les Verdurin" (1: 238), "un besoin absurde ... difficile à g~érir"

(Ii 231). 'Lees crises dont la premi~re avait été si

doulou-reuse"', "cette angoisse oubliée, mais 'toujours prête à rena1tre"; plus tard, lorsque Swann n'aimera plus Odette, Proust

parle~de

"guérison". Et en effet, cet amour (comme les autres que P.9,oust décrira) est maladif; d~s le d~but, Swann comprend qu'il est voué à, l'échec car il ne repose sur aucune base valable. Malgré:

, 1

cette lucidité, ~l ne peut se détacher d'Odette, ~l essaye au contraire de trouver des just~fications pour se prouver que son amour est réel; i l recherche incbnsciemment des amours impos-sibles. Ce paradoxe n'est ici que suggéré, mais Proust

l'approfondira en la personne de Marcel: "Je me donnais

l'excuse d'être attiré par un certain égoïsme esth~tique vers les belles fermnes qui pouvaient me causer de la souffrance"

(III; 988). Comme nous l'avons vu, cet amour est un état "pré-1 existant". Swann éprouve le besoin d'aimer, mais quelqûe chose semble l'empêcher d'aimer vraiment. Il n'est amoureux qu'en

(32)

,

t

t

j

.

1 1 .1

\

.~"-"",,, '" . ' ...

-

... " . - - . , ~~

..

23

apparence~ ce qu'il recherche surtout, c'est une présence, un antidote à sa solitude.

Dans le cas de Marcel, a sans doute trop aimé sa

m~re, cette femme au coeur noble et tendre gU1. elle. le

com-prenait si bien, pour pouvoir jamais s~ libérer d'un sentiment

de sacril~ge, de trahison à la pensée d'aimer quelqu'un d'autre

autant qu'elle. Il est bien connu que lorsque les sentiments de l'amant sont fixés sur la m~re à un tel degré, il ne peut y

l

avoir d'amour normal avec aucune autre personne. Cependant, béaucoup plus important que l'amour pour la mèrœ est l'amour de.

la mère et c' est cela qui est vraïment à la ~se de cé "désir hystérique" de Marcel dont parle Bardèche. Chez $wann comme

chez Marcel, ce geste incalculé pour arrêter l'être qu~s'enfuit, c'est l'instinct de survie qui le dicte, car l'enfant, comme

l'amant; trouve sa sécurité, son être même dans le regard, la présence de la personne qu'il aime et qui l'aime.

,.

Pourtant, chez le jeune Marcel--et c'est là qu'il faut chercher car c'est de ses

1 sentiments que naîtra swanh--11 y a uné compl1cation subtile et très douloureuse: il a compr1s que sa maman ne l'aimera jamais

1

tel qu'il est. Comme beaucoup de mères, elle voudra1t faire de lui un petit garçon plein de volonté, elle a tout un syst~me de

r~gles pour quI il arrive à surmonter ses faiblesses, elle esp~re

modeler son caractère là l'image du petit garçon parfait qu'elle

lVoir le livre de Fromm déj-i cité. p. ·18 .

..;.,4\011.>11 ... -"'11 _ _ _

(33)

• t . . . ~., . ~ ..

'.'

24 t<.'

voudrait qù'il $oit. Et quand i l est vraiment lui-même, enfant à

"

la sensibilitê excessive qui a besoin d'être rassurê plus que

/'

d'autres, elle se met en colère, elle lui fait comprendre que, "tant qu'il restera ainsi, ils ne pourront être amis et il sera

puni. Le soir dé "l'abdication" de la mère, i l fait une consta-tation doublœment cruelle: on l'a privé pendant des annêes d'Une tendresse qui lui êtai~ vita~e, pour des raisons que l'on peut ma1ntenant assez facilement ~carter alors que, d'après son papa qU1 est mêdecin, èela pourrait le rendre malade. (Et

n'est-ce pas plutôt cette dê~onciation des idéaux de la mère qui est la vraie cause de la grande désillusion ,morale de Proust? Ne jette-t-elle pas en effet un doute dêvastant su~ tous les

1

principes auxquels, il devait se conformer?) . Ains1i, ce besoin 1

"maladif" de Marcel (et donc de Swann) est tel car i l est

<

essentiel à sa nature et n'''a jamais été assouvi. Et lorsque

1

Bardèche qualifie ce sentiment d' "hystérique", i l le dênature, je pense; car. bien que cet adject~f traduise le c~ractère

incontrôlable ~e ce-besoin, i l en cache la vêritê. ,Ce

désir est surtout légi~ime parce que naturel, et essentiel pour Proust. Et le fai

y

que Marcel soit devenu ainsi est une ~

calamité, une injustice du sort. Proust semble avoir êté

conscient que son sort doive êveille~ chèz les autres la pitiê,

la comprêhension, plutOt que tout ,

.

autr~ sentiment. Ecoutons-le

\ ~ 1

..

' . ' .

-liE ~~" ~ - :4;.:j-",~

1

(34)

/

1

\

1

25

l'expli~er dans une lettre à Reynaldo Hahn, "la personne

qfI' avec Maman [il] a~me le mieux au monde":

,

Vous m'avez dit, jamais je ne vous dirai plus rien .••

Que vous me disiez tout, c'est depuis le 20

juin mOn espérance, ma consolation, mon soutien,

ma

vie .•• Si je n'en mérite pas [des injures] c'est dans les moments d'effort doulouréUx où en épiant une figure, ou en rapprochant des noms, en reconstituant une scène j'essaye de combler

lesolacunes d'une vie qui ·m'est plus chère que

tou~ mais qui sera pour moi la cause Q'un trouble

le

p~us

triste tant que dans ses parties les plus innocentes elles-mêmes je ne la connaîtrai pas. C'est une tSche impossible hélas et votre bonté se prête à un travail de Danafde en aidant ma tendresse à verser un peu de ce passé dans ma curiosité. Mais si ma fantaisie est absurde, c'est une fantaisie de malade et qu'à cause de cela i l ne faut pas contrarier. 9n est bien ~chant si on menace un malade de l'achever parce que sa manie agace ••• l

'.

Du même coup, i l est très intéressan~ de remarquer que Swanri et Marcel perdent tous deux les personnes qu'ils aiment parce

qu'elles sont lesbiennes, c'est-A-dire que leur carac~ère va,

l.est,\ur un

si l'on peut dire, "contre la nature", cormte enfant, une maman qui n'aime pas toujour~.

1 J

Swann est très averti de l'~fté de son bonheuri i l se dit que "l'apaisement actuel [de son angois~e endormie1

était si doux que cela pouvait s'appeler du bonheur" (1; 235).

lM. Proust, Lettres ~ Réynaldo Hahn (Paris, Gallimard: 1956), pp. 54-55. ... ~

J

,,:-" ...

,-,

.

f!). i

(35)

(

26

Mais i l se rend compte malgré tout qu'il n'est pas vraiment heureux. Ces manoeuvres pour manipuler les sentiments

d'Odette ne seront pour lui qu'une longue série de souffrances--voulues, i l est vrai. Car, dès que son\angoisse est apaisée par la présence d'Odette, dès que son besoin égoïste et maladff de l'asservir ~ ses propres ex~gences sera assouvi, lorsqu'il

"-croi t l' ,avoir soum~se à force de récompenses, alors il retombe dans son indi.fférence première et l'ennui qu'il ressent auprès d'elle lui devient vite insuppo~table. Marcel connaîtra le même dilemme dans son amour pour Albertine.

-,

Il faut souligner' ici le rôle que joue la petite phrase de Vinteuil dans ces ,retours fréquents. Elle avait présidé aux premières rencontres·de Swann et d'Odette; elle parlait d'un bonheur ineffable qui semblait être la description même des pensées, des aspirations de Swann. Cependant, peu à peu, Swann commence à distinguer autre chose que de la félicité dan~ son

~message ~trange;

il y a aussi en elle du

d~senchantement.

Ainsi, elle présentera tour à tour à Swann ces deux faces.

f

\ Souvent, Swann "voulait cessrr de sacrifier 'tant d'intérêts intellectuels et sociaux à ce plaisir imaginaire [d'aimer

.

Odette]. Mais la petite phrase, dès qu'il l'entendait, savait rendre libre en lui l'espace qui pour elle était nécessaire"

(36)

27

(

~1; 236). Dans ces mome~ts-là. Odette et la petite phrase ne

'1

font qu'un dans la pensée de Swann. Au contraire, lorsqu'il se sen..t heureux, "elle semblait connaître la vanité de ce

bon-1

heur dont elle montrait la voie. Dans sai gr§ce légère, elle avait quelque chose d'accompli, comme le détachement qui

suc-c~de au regret" (1; 218).

Cet amour aura~t pu survivre ainsi pendant longtemps. Cependant, Odette elle aussi commençait à se lasser de Swann. Elle apprécia1t beaucoup les âmes délicates et généreuses, qui

Il 'j>

aiment à "bibeloter" dans la pousSière des antiquaires, etc ••. Mais ce qu'elle prisait surtout, c'était de les entendre en

.'

parler,. Or, étant d'une modestie excessive, Swann évita1t à tout prix les conversations qui pouvaient le montrer sous un jour flatteur. Aussi. il "ne rendait pas". De plus, ,Odette finit par comprendre que Swann ne l'aime pas, qu'elle est pour lui

surto~t ~ne

commodité. Elle s'en plaint ouvertement à la soirée où elle a fait inviter M. de Forcheville chez les Verdurin et qui marque le début de la deuxième partie de Un Amour de Swann. Car Odette est une prisonnière, tout comme

\

Albertine le sera. Swann essaye de la façonner afin qu'elle sache le rendre heureux. Il espère lui ens~igner, selon le

.

degré de reconna1ssance qu'il lui voue, "l'échelle des plal.-sirs qu'elle pouvait lui causer, et dont le su~rême était de

.

-.... ~ ..

(37)

r ~--\ 28

.-J c_

le garantir, pendant le temps que san amour durerait, et l'y rendrait vuln-érable, des atteintes de la jalq,usie" (Ii 271).

(Marcel emploiera les mêmes 'méthodes avec Albertine, Saint-Loup avec Rachel, Charlus avec Morel, M. de Guermantes avec

- i

Odètte. et ~ls auront tous aussi peu de succès que Swann.) Malgré une intelligence limitée, Odette a cè~ris que lorsque Swann est libéral envers elle, ce n'est pas pour la rendre heu-reuse, ma1S au contraire pour l'inciter à être encore plus

généreuse avec; ,lui. Tout à coup--et peut-être assez

~nconsciem-ment 'au dâh~t~:eile veut se li~rer de ce joug: elle cherche à

• • lt

se reprendre. Ains i, le déséquilibre qui provoquera, la dis

10-\

.

cation ~aduelle de ce couple ~era causé par Odette, avec la

1

bénédict/ion des Verdurin qui, lorsque l'ami d'un "fidèle" ne Plaisail plus, "lui rendaiJentl le service de le brouiller avec

i

'li

son ami; ou avec sa mai tresse". Depu~s la soirée où Forcheville

1

a eu· tint de succès, "un léger malaise fébr~le" ne quitte plus Swann.1 Lui, ~i, autrefois, par indifférence. par paresse,

. 1 !

H~agifait toute la partie de [la] vie [d'Odette] qu'il ne

1

connaitsait pas comme identique à la partie qu'il connaissait" (1: 35 ) et ne s'y intéressa;t p~s du tout, est maintenant

1

a~sail~i

de soupçons. Il se rappélle

soud~in

avoir

ent~ndu

dir~ a~trefois

qu'Odette était une femme entretenue--le fait

l

1 1 1

j

- ---:

(38)

1

"

29

qu'il l'entretienne lui-même ne lui semble pas en être une

"'

preuy~--et ses soupçons deviennent vite une obsessi'on.

'f

i

Cette deuxième période ae Un Amour de Swann forme le

~

pendant exatt de la première. Dans celle-ci,

nou~'avons ob~ervé

,un mouvement de pendule, les ~ent1ments de Swann pour Od&tte

allant tour à tour de l'amour à l'1ndifférence. L'arrivée de Forcheville sur la scène déclenche une autre alternance de sent1ments chez Swann qui eonnaîtra des moments de jalous1e atroces suivis d'un désir de plus en plus fort d'oub11er

Odette. De même qu'à la base de l'amour de Swann, 11 y avait une angoisse fébrile qui devait être calmée à tout prix, 1ci, dans les tortures ~e la jalous1e, nous retrouvons le même

be-l

soin nerveux et souvent morb1de d'apprendre la vérité coûte que,coûte, même aux dépens de la santé d~ sw~ Odette lU1

. 4

1

dés Jaloux, des amants avait souvent dit l'horreur qu'elle avait

qui espionnent. Malgré cela, 11 ne peut résister à l'impuls10n

p

de frapper à la fenêtre qu'il croit être celle d'Odette, pour vérifier S1 oui ou non elle le trompe. Il sa1t pourtant que

le résultat en sexa désastreux pour lU1, qu'elle ne voudra peut-être plus Jamais le

voir.

Marcel sera lU1 aussi vict~e

de cette nervosité douloureuse et incontrôlable qu1, tout en

Je

lui suggérant des actes qui semblent ne pouvoir que lU1jrame-ner l'être aimé, au contraire l'él~ignent à jama~s. Tout en

-

--- ---

---

J'

,

1

(39)

• , ,

"-étant incapable d'y résister, i l la dép~orera constamment:

...

,

.

" .. !ta.manière désastreuse dont est construie l'univers

,

psycho-pathologique veut que l'acte maladroit, l'acte qu'il "faudral. t avant tout éviter, soit justement l'acte calmant I l

(III:

457'.

Swann est donc exclu du milieu Verdurin, avec

1

timent d'Odette. Ne pouvant plus la rencontrer aussi souvent qu'auparavant, i l invente des stratagèmes pour.réussir à gar-der quand même sur elle la même emprise qu'autrefois. Cepen-dant, ce manège ne réussit qu'à le convaincre de l'emprise

qu'elle a sur lui. Elle peut donc maintenant agir à sa 'guise en toute tranquillité, car "dès que la jalousie est découverte, elle est considérée par,kell~ qui en est l'objet comme une défiance qui autorise la tromperie" (III: 61).

La jalousie de Swann s'est réveillée lorsqu'il a re-marqué que Forcheville pouvait plair~ aux femmes et, tout de

..

sui te, il l'a trouvé "immonde" ... A partir d~ ce moment-là, Swann devient lui~ême la proie d'un trouble lancinant (que Proust compare à une pieuvre lançant ses tentacules). Ici aussi, nous retrouvons le thème de la souffr~nce voulue,

~

recherchée: c'est là le propre de la jalousie, l'amant essaye

.

sans relâche de trouver des preuy~_s qui incr irnj.nent l'être aimé.

! t~

- - -

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... _--"~ -~_:

....

(40)

"

·

...

,1

(

31

C'est une chasse sans fin c~ les preuves d'innocence. s ' i l en trouve, ne le satisfont nullement, il. veut continuer à souffrir et donc cherche ailleurs. Ce démon reparaît d'un

amour à l'autre: i l a SUf~i que Swann ait le plus petit soup- 1

çon sur Odette pour que se ranime en lui cette bête endormie: Entre Swann et celle qu'il aimait, cette angoisse 1

interp~sait un amas réfractaire de soupçons antérieurs, ayant leur cause en Odette, ou en telle autre peut-être qui avait précédé Odette,

~t qui ne permettaient plus à t'amant vieilli de connaître sa" maîtresse d'aujourd'hui qu'à travers le fantôme ancien èt collectif de la 'femme qui excitait sa jalousie' dans lequel i l

~vait

arbitrairement incarné son nouvel amour

(Ii 525).

Il est intéressant d'obse~er le procéd~ de rationali-sation qui domine les pensées de Swann. Comme autrefois il

,

cherchait des justifications à son amour en refusant de voir qu'il·se trompait. i l trouve maintenant des excuses à Odette pour ne pas voir qu'elle s~ détache de lui. Si elle l'empêche de la suivre à la campagne lorsqu'elle va rejoindre les

1

Verdurin, i l en est tout d'abord malheureux; puis i l se dit que c'est justement parce qu'il est son~amant qu'elle le lui

,

interdit et c'es~ donc la conséquence de son état privilégié

aupr~s d'elle. Si Odette veut aller à tout pr~x à une fête où

i l n'est pas invité, i l en ressent tout d'abord une grande •

souffrance, mais il finit par se convaincre qu'elle ne peut

( .l

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