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Les idees philosophiques dans le theatre de Voltaire.

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(1)

LES IDEES PHILOSOPHIQUES DANS LE THEATRE DE VOLTAIRE

Abstract

Les pi~ces de Voltaire ne sont plus jouées ni lues depuis longtemps; cependant elles ont tenu une place tr~s importante dans la vie de l'auteur: elles représentent le seul genre littéraire auquel il se soit consacré avec une assiduité totale du début à la fin de sa vie. Oeuvres d'un poète-philosophe, elles portent la marque et de sa sensibilité et de sa philosophie.

Le but de cette étude est de recenser les idées philosophiques qui pars~ent l'oeuvre théatrale de Voltaire, de voir quelle philosophie générale s'en dégage, et si elle est conforme à celle que l'auteur a fait connaître dans son oeuvre en prose. Elles sont regroupées en quatre chapitres principaux: vision globale du monde, morale, religion et politique. Elles témoignent de la consistance du penseur dans ses différents modes d'expression.

(2)

1

A Thesis by Simone paradis

submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfilment of

the requirements for the degree of Master of Art~

MCGill university July 1969

(3)

TABLE DES MATIERES

AVANT-PROPOS • • • • • •

. . .

.

. . .

INTRODUCTION - Voltaire et le théatre •

Le public au l8e siècle La philosophie nouvelle La censure théatrale

La tragédie sauvée par les larmes

Chapitre l - Dieu, l'homme, et la société • • L'homme et Dieu: un "dialogue solitaire" L'homme et la société

L'homme exceptionnel

L'homme et les institutions

page

iii

.

.

.

.

1

18

Chapi"t"re II - Morale. • • • • • • • • • • • • • • • • • 39 Idéal moral inscrit dans les coeurs

Etre moral, c1est agir pour le bien de la société Les citoyens et leur devoir

La part faite aux plaisirs Chapitre III - Religion • •

Se nourrit de passé et de superstition Mahomet, ou "Tartuffe, les armes à la mainll

Religion et fanatisme

Les prêtres dans la société

64

chapitre IV - Politique • . • . • • • • • • • • • • • • 83 Un choix jamë:ds fait

Idées républicaines Fascinante monarchie

Eléments indispensables à un bon gouvernement: liberté, tolérance, fraternité, bonnes lois CONCLUSION - unité sous la diversité • •

BIBLIOGRAPHIE • • • • •

.

.

.

. .

. . . .

. .

110 115

(4)

Le XVIIIe siècle, qu'on appelle 'le Siècle des lumières', a été dominé par la figure de voltaire, à tel

point qU'on s'y réfère souvent comme au 'Siècle de Voltaire'~ Né peu avant 1700, célèbre très jeune, voltaire a vécu une vie longue et active, d'une activité qui ne connut jamais le repos. Il s'est intéressé à tout: à l'art, à la politique, aux sciences, aux mathématiques, au commerce, à la diplomatie,

à la philosophie, en y laissant toujours la marque de sa per-sonnalité. De son vivant, et encore deux cents ans après sa mort, il a desaàmrateurs fervents et des ennemis acharnés. on a pu tracer de lui les portraits les plus contradictoires, en faire un héros humanitaire ou un opportuniste méprisable. De nos jours, on voit encore M. Guillemin l'accuser, entre autres choses, d'hypocrisie: "il y a ce que voltaire professe, et il y a sa 'doctrine secrète.,"l Il affirme être en

mesure de faire le départ entre les deux en prêtant une

1

Guillemin, Henri, "Frangois-Marie Arouet, dit zozo, dit voltaire", Table Ronde, n spécial sur voltaire, Février 1958, p.89.

(5)

oreille attentive aux propos de voltaire, afin de savoir si

c'est le voltaire "déclamateur" ou le voltaire "confidentiel"

qui parle. Avant lui, F. Brunetiàre avait affirmé que seul

un appétit de gloire effréné motivait ses écrits: Partout et toujours, il attend qU'un courant d'opinion se dessine, et que, de la complicité du public, il puisse retirer un surcroît de

gloire et de popularité.2

Loin d'atre un guide de l'opinion de son temps, il serait donc

ballotté au gré de ses caprices.

un peu plus tOt, M. Nourrisson avait nié à voltaire tout droit au titre de philosophe:

voltaire s'est montré en tout trop frivole pour qU'on le doive compter au nombre des philosophes, et ce n'est que par un certain abus de langage qU'on a pu et qu'on peut parler de la philosophie de voltaire.3

Et pourtant/voltaire est passé à la postérité, sinon

comme un philosophe, du moins comme un homme qui a professé

un vivant amour pour la philosophie, et qui a tenté de le

répandre chez ses contemporains.

Son théatre porte-t-il la marque de cette préoccu-pation, et si oui, quelle philosophie s'en dégage-t-il,

2F • Brunetière, E"tude"s c"ri"t"iCJu"e"s" sUr l'histoire de la littérature française (paris: Hachette, 1896) ; p.186.

3Nourrisson, voltaire et le voltairianisme (paris:

Lethielleux, 1896) ; p.459. iv

(6)

," "'II;"

l'ont accusé d'inconsistance, de frivolité, dtopportunisme, avaient raison.

Un travail récent a mis en lumiàre la façon dont voltaire s'était servi de certaines tragédies à des fins de propagande. 4 I~ nous reste à découvrir si dans le reste de son oeuvre théatrale, il n'a pas professé des opinions dif-férentes. opposées ou simplement divergentes, afin de flatter des courants d'opinion divers. Il ne s'agit pas ici de con-nattre les réactions de ce public, mais de suivre Voltaire à

travers ses cinquante-huit piàces" de théatre, afin de voir si elles ne recàlent pas un aspect mal connu de cet homme si divers. Si voltaire n'est ni philosophe, ni intellectuelle-ment honnête, il lui sera difficile d'exprimer une pep-sée cohérente par la voix des nombreux personnages qui peuplent son théatre. 5 c'est pourtant à travers eux que nous partons

à la recherche du philosophe.

4R• Ridgway, L"a" propagande" philo"sophique dan"s" Te"s tragédie"s de" Voltairé (Studies on voltaire and the l8th century, Gen~ve, 1961. vol.XV) •

5Toutes les citations de voltaire se rapportant au théatre se réfàrent ~ l'édition des OeUvré"s" COII.:pl"à"t"e-s publiée ~par Louis Moland (paris: Garnier, 1877-1882, 50 volumes+ 2 vol.

de tables). Le chiffre romain renvoie au tome, le chiffre arabe à la page.

(7)

Introduction

(8)

d'histoire ou de philosophie, qu'un jeu qu'il préparait pour une fête, comme on prépare un feu d'artifice; qu'un'placet pour obtenir un retour à Paris ou quelque faveur de la Cour; qu'une machine de guerre contre ses rivaux et ses ennemis; ou qu'un pilier poétique de l'Encyclopédie. lIl Elle n'était pas

"quell celai elle était en réalité tout cela et davantage.

Depuis le Falon de sa mère o~ il récitait les poèmes que lui

enseignait, son parrain, l'abbé de Chateauneuf, en passant

j

par le collège Louis-le-Grand o~ la déclamation fut toujours

à l'honneur, jusqu'à la fin de sa vie, Voltaire montra

toujours u~e véritable passion pour le théatre. Une passion qui s'emparait de toute sa personne, car il était aussi

souvent acteur qu'auteur. "Affamé de gloire, il ne se

con-tente pas de respirer la fumée légère qui s'élève autour d'un livre: il veut le bruit des applaudissements, le concert

d'élo-2

ges,l'enthousiasme humide encore des larmes qu'il a fait verser.1I

lAbbé Maynard, Voltaire, sa vie et ses oeuvres. (paris, Bray, 1867), p.482.

2André Bellessort, Essai sur Voltaire. (Paris, Perrin, 1950), p.83.

(9)

1

Sa première oeuvre littéraire fut une pièce de théatre, la dernière également, cinquante-huit ans plus tard. Entre ces deux "bains de foule", une produc~ion gigantesque, plus de cinquante pi~ces de théatre, qui, avant d'être l'occasion d'un contact avec le public, était celle d'un contact avec les innombrables amis de l'auteur. Le manuscrit de chaque pièce était lu, commenté, distribué aux amis, leurs avis

sollicités et très souvent écoutés. Les amis jouaient le

rôle du "comité de lecture" moderne. Ils étaient un public en miniature dont les réactions devaient permettre de prévoir celles de la salle, et d'apporter d'éventuelles modifications en vue de gagner ses faveurs.

2

Une oeuvre théâtrale est toujours le fruit d'une triple collaboration: auteur, acteurs, public. Voltaire le savait, qui écrivait à M. de Cideville3: "Il y a sur les

pièces de théâtre une destinée bizarre qui trompe la prévoyance de presque tous les jugements qu'on porte avant la représenta-tion". On sait que Voltaire, au cours des répétitions, pendant lesquelles il était spectateur, modifiait constamment son texte.

3

(10)

qu'un groupe d'amis ou qu'un spectateur isolé. Et ce public, véritable entité qulon ne peut définir par ses composantes, fait ou défait une pi~ce, et une réputation d'auteur. Il n'y a pas de recette infaillible pour le captiver. Voltaire, qui veut le conquérir, déclare dès le début de sa carrière, alors qu'il vient de lui faire sa première importante concession4

u~ai~' je n'ai voulu combattre en rien le goat du public:

c'est pour lui et non pour moi que j'écrisi ce sont ses senti-ments et non les miens que je dois suivre.uS Cette position, qu'il, ne désavouera par ailleurs jamais, changera pourtant. Il n'aspirera plus tant à suivre le public qu'à le guider.

Ainsi, en 1768, écrit-il dans sa préface des Guèbres: uM.n.M.6, en composant cet ouvrage,nleut d'autre vue que dl inspirer la charité universelle, le respect pour les lois, l'obéissance

4

Il avait mis en paroles, et non en action, comme il l'eut souhaité, la mort de Mariamne.

Spréface de Mariamne, M.ii,164.

(11)

4

des sujets aux souverains, lléquité et llindulgance des souve-rains pour leurs suj ets • Il Retenons de cette longue phrase

essentiellement le mot lIinspirer". Voltaire a reconnu depuis longtemps sa vocation messianique, et il ne cherche plus qulà agir efficacement aupràs du public. On peut., voir, dans le succàs de Voltaire, peut-être la conjonction de deux facteurs: un amour passionné pour le théâtre dlune part, un public

friand dloeuvres nouvelles dlautre part. Le XVIIIe siàcle, 7

IIclétait llâge dlor des spectacles Il • Llopinion publique n'avait pour se manifester ni assemblées électives, ni presse indépendante; ni réunions. Le théâtre était devenu sa tribune, et le lieu dléchange des opinions. On y discutait de tout. Le parterre réagissait tumultueusement, soit par ses applaudis-sements, soit par ses railleries. A llépoque o~ commence la carriàre de Voltaire, le parterre est encore un endroit popu-laire. Si les tire-laine ne sly promànent plus aussi librement qui autrefois, et si les mousquetaires y viennent désarmés et sous la garde de leurs officiers, les spectateurs y sont encore debout, en pleine lumiàre, et ils n'ont ni llindulgence ni la patience que donne le confort dlun siàge ou dlune douce

pé-7

c.'

Fontaine, Le Théâtre et la Philosophie au l8 e Siàcle. (Versailles, 1878) ,p. 8.

(12)

l'impertinence, et renonçait à bien des innovations pour ne pas encourir ses sarcasmes.

Tout aussi difficile à satisfaire, mais d'un genre tr~s différent, était le public qui envahissait la sc~ne. Petits-mattres et nobles s'y disputaient les places les plus ch~res. Pour eux, comme pour ceux qui occupaient les loges et les balcons, l'assistance à la tragédie faisait partie des obligations mondaines. Leurs crit~res de jugement, à défaut d'un goat formé et personnel, sont le respect des r~les, de la tradition, de la bienséance. C'est un public que M. Descotes

qualifie de "sclérosé".8 C'est un nouveau public, fonné aux bonnes manières par la fréquentation des Salons et des femmes, dont l'influence sur les moeurs devient très importante. Il se compose des représentants du "capitalisme naissant, fruit

9

du syst~me de Colbert": gros négociants, industriels, anna-teurs qui se sont élevés socialement au détriment de la

bour-8M• Descotes, Le public de théâtre et son histoire. P.U.F., 1964. Chap. V.

9 .

(13)

6

geoisie d'offices royaux, mais qui n'ont pas son raffinement. Avec eux se trouvent des représentants d'une bourgeoisie

éclairée, formée dans les collèges, nourrie de littérature

gréco-latine, aimant saluer au passage quelque réminiscence d es au eurs t qu~ u~ ' l ' son t f am~ ~ers 'l' 10 , e t qu~ v~ennen " t lllt. a, eux

aussi, pour goater un plaisir collectif, parce que le théatre

est devenu un divertissement de bonne compagnie, à une époque Il

où "l'homme seul passe pour être un méchant~"

Donc public assez diversifié, qui représente, pour la premi~re fois dans l'histoire du théatre, pratiquement

toutes les couches de la société. Elles n'ont entre elles qu'un point commun: une certaine pudeur collective qui exige le respect des bienséances. On ne peut tolérer pUbliquement des façons de faire qui sont communes à tous, privément. On exige sur la scène un certain décorum, une certaine image

10

Dans la Lettre.V, contenant la critique du Nouvel Oedipe, en tête d'Oédipé, (M.ii,40), Voltaire écrit: "Je n'ai

point fait scrupule de voler ces deux vers (Et ce sort qui

1 'accable/ Des morts et des vivants semble le séparer/) parce qu'ayant précisément la même chose à dire que Corneille, il m'était impossible de l'exprimer mieux; et j'ai mieux aimé donner deux bons vers de lui que d'en donner deux mauvais de

moi. Il

(14)

idéalisée de la société. La présence des femmes dans la salle et leur pouvoir hors de la salle soumettent les auteurs drama-tiques à une tyrannie morale, que Voltaire a reconnue quand il écrivait, dans son Discours sur la Tragédie: "vouloir de l'amour dans les tragédies me paratt un goat efféminé; l'en

. t ' t . h ' b' d"" b l " 12

proscr~re oUJours es une mauva~se umeur ~en era~sonna e.

Qui veut réussir doit faire passer son sens de l'esthétique littéraire apr~s les décisions des jurys féminins. C'est ainsi que Zaïre vit le jour, pour', plaire à quelques dames, "qui

avaient reproché à l'auteur qu'il n'y avait pas assez d'amour dans ses tragédies. Il leur répondit qu'il ne croyait pas que ce fat la véritable place de l'amour,mais que, puisqu'il leur fallait absolument des héros amoureux, il en ferait tout comme

13

un autre." Comme il le confirme un peu plus loin: "la 14

société dépend des femmes." La tâche que Voltaire se donnait n'était donc pas simple. Plaire à un public aussi hétérog~ne exigeait de l'auteur à la fois beaucoup de soumission et

beau-12

Discours sur la Tragédie, en tête de Brutus.

M.ii,323.

13Avertissement, en tête de Zaïre. M.ii,536.

142e épttre dédicatoire, à M. Falkener, en tête de Zaïre. M.ii,551.

(15)

8

coup d'ingéniosité. On peut voir, par le succès de certaines pièces comme celle de De Belloy, Le siège de Calais, qui célé-brait, de la mani~re la plus pompeuse et avec les flatteries les plus ostentatoires, les mérites de la royauté et son carac-tère quasi divin, que l'opinion était encore très partagée en 1765. Cette présence d'un courant de pensée très conservateur nous explique la prudence de Voltaire, qui proc~de plutôt par petites touches, quand il s'agit de proposer des idées hardies.

Il refusera toujours de heurter de front le préjugé. Il veut d'abord le séduire et le charmer avant de lui asséner quelque maxime philosophique. Il savait qu'alors dans la salle des esprits éclairés lui faisaient écho. Ils n'avaient cessé d'augmenter leur nombre depuis qu'au XVIIe siècle Bayle avait donné son essor à une nouvelle attitude sceptique. A la fas-cination intellectuelle qu'elle exerçait naturellement sur des esprits spéculatifs s'ajoutait une autre tentation, toute

moderne: celle du raisonnement scientifique. Les mathémati-ques et les sciences avaient fait un énorme bond en avant.

"Il semblait qu'avec un effort supplémentaire et un raisonne-ment analogue au raisonneraisonne-ment scientifique, les interrogations des philosophes allaient pouvoir recevoir une réponse défini-tive. En appliquant au langage la rigueur du raisonnement

(16)

mathématique, il n1y aurait plus place pour les erreurs, les obscurités, les préjugés que des siàcles de dogmatisme

théo-logique avaient introduits dans les esprits.lIlS Il fallait créer lIune science de l'ame, comme on avait créé une science de la nature, découvrir des lois générales à partir de

l'ob-16

servation, puis vérifier et conclure.1I Ce besoin de

remet-tre en question tout l'héritage humain ne connatt ni limites ni tabous. On rééxamine tout à la lumiàre de la Raison et des connaissances nouvelles: la morale, la religion, la société, la politique. Les premiàres et les plus virulentes attaques s'adressent évidemment à la religion et à la royauté, qui re-présentaient deux formes de pouvoir coercitif, slappuyant l'une sur l'autre. Admirateurs et ennemis de Voltaire s'accordent généralement pour reconnattre qu'il fut parmi ceux qui travail-làrent le plus à faire éclater le corset qui emprisonnait la pensée. Et son oeuvre théatrale porte la marque de ce souci.

Les Salons avaient mis à la mode ce goat de philoso-pher. Les libertins n'étaient plus la petite troupe discràte

lS

Isalah Berlin, The Age of Enlightenment. (New York, 19S6), p.lS.

(17)

1

10

du XVIIe siècle. Ils avaient envahi les Salons, qui étaient eux-mêmes, en quelque sorte, des petites Cours concurrençant celle du Souverain, oà la rigidité de l'étiquette avait fait place à la liberté de la conversation. La philosophie n'était plus l'apanage de quelques professionnels de la pensée. C'était le passe-temps de tous. On ne discutait plus des causes pre-mières, considérées comme inconnaissables. La question n'était plus pourquoi, mais comment. Elle prit une importance si con-sidérable dans la vie de l'époque que les Salons, dont le caractère mondain devenait assez marqué, furent à leur tour débordés par les cafés. En même temps qu'elle s'achemine vers un affranchissement total, la pensée se rapproche de la rue.

Si l'esprit philosophique se répand et gagne des

adeptes, il rencontre aussi des obstacles sévères. Depuis 1701, la censure s'est étendue au théâtre, et Voltaire, qui a da si souvent fuir précipitamment pour ne pas retrouver son "logement" ~ la BastillE~, doit ruser avec elle. On sait avec quelle

adresse il manoeuvra pour sauver son Mahomet. Mais il rempo~ta bien d'autres victoires, en tirant profit des faiblesses du pouvoir. Le parlement, en majorité j"anséniste, s'arrangeait pour faire interdire par ses censeurs les écrits des Jésuites, tandis que les Jésuites, qui exerçaient leur influence sur les

(18)

censeurs royaux, pouvaient empêcher certaines publications jansénistes. Voltaire avait des amis influents dans les deux camps, et il s'en servait. A cette action directe sur

la personne des censeurs s'ajoutait celle, indirecte et subtile, des Préfaces. Prises à la lettre, c'étaient de

candides professions de foi. Relisons celle des Guèbres, par exemple. ilL' auteur de cet ouvrage craignit ( ••• ) que même ce ne fut en quelque façon manquer de respect pour la

religion chrétienne de la mettre trop souvent sur un théatre

profane. Ce n'est que par le conseil de quelques magistrats éclairés qu'il substitua les Parsis ou Guèbres aux Chrétiens.u16

Interprétées selon l'esprit, ces lignes sont une invitation

à remarquer les analogies, et à ne-pas errer au moment de

faire des transpositions. L'établissement de la censure av~it-rendu le procédé très familier, et le publier avait l'habitude de se livrer à ce petit jeu. M. Descotes 17 nous en donne maints exemples: le Don Carlos de Saint-Réal présentant Philippe II meurtrier de son fils devient Andronis. Le Fran-çois 1er du Roi s'amuse de ,Verdi devient un certain Duc de 1

16 M.v~, . 489 . 17

._~ j \

Descotes, op. cit., p. 143.

Z \( fi

! v --hJ'i~ _ .. Z

(19)

r?~r-1

12.

Mantoue: llassassinat du Roi Gustave III de Suàde est trans-porté en Amérique. Et Crébillon abandonne son Cromwell.

On a souvent parlé de la malice de Voltaire. Il est difficile de ne pas en voir là une de ses manifestations.

La tragédie pour lui a toujours une Il leçon Il , mêne si

parfois elle n'apparatt pas du premier coup. IILes sujets tra-giques les plus au-dessus des fortunes communes ont les rapports les plus vrais avec les moeurs de tous les hommes", écrit-il dans la Dissertation en tête de Sémiramis. Plus encore que dans les préfaces, c'est dans les notes qui accompagnent certaines tragédies, (Saul, Socrate, Olympie) que Voltaire détaille les rapports qu'il faut voir entre l'oeuvre et la vie.

Il est bien évident que sa démarche, en matiàre théa-traIe, a suivi la pente de son activité générale: i l écrit d'abord pour plaire ou amuser, parce qu'il désire exceller et être le premier en tout, avoir pour lui tous les lauriers et

tous les applaudissements, puis, petit à petit, il écrit pour

répandre la bonne nouvelle, et à mesure que l'on avance, on cons-tate que le combat philosophique est le premier mobile de

l'oeuvre. Si la cause de la philosophie y trouve son compte, la qualité de la tragédie en souffre. IIC l est le malheur de

(20)

1

ces pièces o~ l'auteur aspire à jouer le rÔle d'un "prédica-teur de l'empire", comme disait Babouc, qU'il ne considère que ses idées et ne voit plus les hommes. lIl8 Si l'on consi-dère que Oedipe (1718) et Za!re (1759) furent les plus grands succès de Voltaire, et que Socrate (1759, les Guèbres (1769) et plusieurs autres ne furent pas m~me jouées, on ne peut que souscrire à ce jugement. Il est vrai que la tragédie tra-verse une crise à cette époque, et que le public s'en détourne au profit de la comédie. On y pleure bien davantage, et on y rit également. On se lasse de l'académisme de la tragédie pour goQter les larmes que l'on peut verser abondamment à la comédie, ce qui représente un triomphe de l'élément bourgeois du public, qui a imposé sa sensibilité, encline à manifester ses émotions, alors que le bon ton des cours exigeait qu'on les dissimulat. Voltaire reste fidèle à ses amours de jeunesse, mais i l se bat pour une cause perdue.

Il a cependant compris très tôt que pour gagner la partie auprès du spectateur, il fallait l'émouvoir.

"L'influence du sentiment est irrésistible: dès la première larme, le spectateur est gagne." .. 19 Il Car ce siècle étrange)

l8A • Bellessort, op. cit., p.104. 19A • Bellessort, op. cit., p.lOl.

(21)

14

.voué en apparence à la raison et à l'idée, fait la part la plus large aux forces occultes qui s'appellent le mystère de la nature, le secret de la conscience, l'émotion du coeur;

il est un de ceux pour qui les larmes prouvent que ce qui

frémit en nous existe plus sttrement que ce qui s'agite hors de nous .,i,20 Voltaire fit usage du pathétique avec l'inuno-dération qui le caractérisait en tout. Il tenait le specta-teur en haleine en prolongeant contre toute vraisemblance les situations tendues. C'est peut-être l'abus des procédés qui a contribué à la désaffection du public. On savait par exemple dès l'exposition, que celui que l'on croyait mort allait

parattre au Ille acte, que celui qui aimait courait à

l'in-ceste en préparant son hymen, que celui qui s'appr@tait à

faire mourir un coupable assassinait un innocent, qui plus est son fils ou sa fille. :,Pourtant Vol taire annonçait chaque fois qu'il offrait au public un sujet tout à fait nouveau. Tel était son amour pour le théatre que chaque pièce le prenait tout entier. Semblable à un père devant ses enfants, 21 il ne

20p.Trahard, Les mattres de la sensibilité fran-çaise au l8e siècle. (paris, 1931), p.259.

2lparlant d'une édition non autorisée et pleine d'erreurs de Brutus, il écrit: IIles entrailles paternelles s'émeuvent à la vue de mes enfants ainsi mutilés". Lettre à

(22)

voit que leurs différences, ce qui fait que chacun est unique. 1 Il Y a quelque chose de touchant ~ voir ce grand sceptique

n'écouter plus que son coeur, et croire, envers et contre tout, ~ la beauté, ~ l'utilité, ~ l'efficacité de ses pi~ces. Le thé~tre étant une école de moeurs, le plus noble et le plus civilisé des divertissements, combattre pour sa cause était déj~ un devoir. Soutenir les comédiens, les mettre toujours ~ l'honneur, demander que la société les honore, tout cela fit partie du combat de Voltaire. En même temps qu'il soutenait l'institution, il sien servait, car elle constituait un véhi-cule privilégié pour sa pensée. Si lion compare les tirages moyens au XVIIIe siècle, qui se situaient entre 500 et 1000 exemplaires pour une édition, et le chiffre des spectateurs à

une représentation, on comprend sans peine que le thé~tre est un moyen de diffusion infiniment supérieur au livre.

Dans sa Lettre à =-. d'Alembert 1 Jean-Jacques Rousseau ecr~va~t: .. • • 22

"Dans plus de six-cent mille habitants, ce rendez-vous de l'opulence et de l'oisiveté

(Paris) fournit ~ peine au spectacle mille ou douze cents spectateurs .•• Les comédiens français ont bien de la peine ~ se soutenir

à Paris avec une assemblée de troi~ cents spectateurs par représentation ••• " 3

22 . .. C~te par M. Descotes, p. 8 . 1 6 23

Il ne faut pas oublier que ces estimations sont d'un adversaire implacable des spectacles.

(23)

16

En une seule soirée, on touche donc presque autant de personnes qu'avec une édition moyenne. De plus, on les touche toutes à la fois, on les fait communier au même plaisir, et, si le public n'est pas la somme des individualités, il agit sur elles en rendant les émotions plus vives et plus communicatives. L~ mise en scène, les décors, le jeu des

acteurs contribuent également à le mettre en état de réceptivité.

Le théâtre, c'est aussi une arme lég~re entre les mains du propagandiste. Rappelons que c'est parce qu'il ne

croyait guère à l'efficacité de "l'artillerie lourde" que repré-sentait l'Encyclopédie, que Voltaire entreprit son Portatif. De même que le Dictionnaire se présente sous forme d'articles individuels, visant le plus souvent à combattre un préjugé ou une superstition plutôt qu'à répandre une doctrine rigoureuse-ment élaborée, le théâtre sert de véhicule à des slogans, à des maximes philosophiques isoléés. On ne saurait reconstituer,

à travers l'oeuvre théâtrale de Voltaire, une théorie philoso-phique globale. Ce sont des idées qu'il sème, en espérant qu'elles contribueront à assainir la société, qu'elles encoura-geront les hommes à ne plus accepter que leur vie soit réglée par des superstitions d'un autre âge, et surtout, qu'elles leur apprendront à faire usage de leur Raison. Ce fut le grand

(24)

espoir des hommes du XVIIIe siècle: l'avènement de la Raison allait résoudre tous les problèmes, supprimer toutes les

in-justices, faire régner la fraternité sur la terre. Il est légitime de croire que Voltaire contribua à répandre, par son théâtre, le nouvel idéal. Il est certain qu'il eut beaucoup d'émules parmi les auteurs dramatiques de son siècle. Ce qui

(25)

chapî't're' l

(26)

Dans une de ces formules brillantes qui sont sa marque personnelle, Voltaire a résumé ce qu'il pensait de la métaphysique: "elle contient deux choses: la premiàre, tout

ce que les personnes de bon sens savent: la seconde, ce qu'elles 1

ne sauront jamais. Il Voilà une des conclusions de son Traité

de Métaphysique, publié en 1734.

Ce que toutes les personnes de bon sens savent, c'est qU'il Y a un Dieu, créateur de l'univers. Ce que personne ne saura jamais, c'est la nature de ce Dieu, ou ses intentions, ce qui rend futiles tou·tes les querelles soutenues en son nom. La raison ne peut nous prouver l'existence de Dieu, pourtant nous avons tous le sentiment de son existence, et Voltaire s'atta-chera à montrer,dans son théatre, que ce sentiment est universel, de l'Amérique à l'Afrique, chez les peuplades anciennes, et m~me parmi les barbares de Gengis Khan:

On dit que ces brigands, aux meurtres acharnés, Qui remplissent de sang la terre intimidée, Ont d'un dieu cependant conservé quelque idée; Tant la nature même, en toute nation~

Gra val.' Etre Supr~me' et la religion.

lLettre à Frédéric, 17 avril 1737. M.xxxiv,249. 2L 'Orphelin de la Chine. M. v, 304.

(27)

19.

Donc, la métaphysique est vaine, mais llhornme existe;

il pense, il souffre, il meurt. Et si, au XVIIIe siècle, il a

renoncé à expliquer Dieu, il se pose néanmoins des questions

sur lui-même. L10euvre théatrale de Voltaire reflète cette inquiétude, et nous y voyons ses héros slinterroger, face aux dieux, sur leur condition d1hornme.

Et qui suis-je, grands dieux? demande oedipe,3 Cinquante ans plus tard, Antigone cherchera encore un sens à la destinée humaine:

Dieux, dont le monde entier éprouve le courroux, Maitres des vils humains, pourquoi les formiez-vous?

. . .

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. . .

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. . .

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. . .

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A quoi réservez-vous ma misérable vie?

Il est fréquent de voir, dans le théatre de Voltaire, les per-sonnages interroger la divinité. Mais Dieu ne répond jamais.

5

C1est, selon llexpression de M. Goldmann, un IIDieu cachéll ,

IItoujours présent et toujours absentll

, et qui ne donne jamais

aucun conseil, aucune indication sur IIla manière d1agir et de vivre pour réaliser ses valeursll

• Il est le spectateur muet du

jeu de llhomme et de sa destinée, ne mêlant jamais ses gestes

3

Oedipe. M.ii,104.

4 . . .

Olympie. M.vi,164.

5 .

(28)

ni ses paroles aux gestes et aux paroles des acteurs. Il Seuls 6

ses yeux reposent sur eux".

Si nous acceptons l'hypothèse que la littérature, la philosophie sont des "langages, réservés à l'expression et à

la communication de certains contenus particuliers ••• qui sont

1

des 'visions du monde' (Weltanschauung}", il convient peut-être alors de se demander ce qu'était celle de Voltaire et comment elle se manifeste dans son ~~éatre. On sait que dans son enfance, pendant les années formatives, il a été soumis à

des influences diverses, lIà la fois tourmenté du frein et de l'éperon".8 tiraillé entre un père qui le destinait à la magis-trature, un parrain qui lui enseignait l'essence du déisme à

travers la IIMoisade" et l'entra.tnait dans la société du Temple et de Ninon de l'Enclos, un milieu familial janséniste, qui

fournit en la personne de son frère un de ces "fanatiques de Port-Royal", et enfin une éducation dans un collège jésuite. On ne peut guère s'étonner si après cela "il soutenait

tou-jours le 'Pour et le contre' de chaque question".9

6

Lukacs, cité par L. Goldmann, p.47. 7L . Goldmann, op. cit. p.348.

fa

V. Hugo. Littérature et Philosophie mêlées, vol. 51-52, P .364.

9

Nourrisson, Voltaire et le voltairianisme (Paris, 1896), p.459.

(29)

21.

De ces influences, on peut supposer que certaines ont modelé ses structures mentales, sa vision du monde, et déterminé son système de valeurs. C'est ce que laisse enten-dre M. Pomeau, quand il dit que "rationalisme, lalcisme, galli-canisme - constituant des thèses du parti janséniste - sont des

. . é' 1 " ,10

tra~ts qu~ se retrouvent dans le d ~sme vo ta~r~en.'

ajoute encore:

On ne saurait exagérer l'influence qu'exerça sur la sensibilité de Voltaire le contact intime et prolongé qu'il eut avec le jan-sénisme au sein de sa famille ••• Ces

impressions seront recouvertes par d'autres, mais jamais effacées: des résurgences

jansénistes affleureront dans des textes de

Cirey et de Ferney... Vol taire n'en finira

jamais delfecouer l'oppression du jansénisme familial.

Il

Il s'est dressé souvent contre cette religion "sévère, étroite

12

et très pointilleuse", que sa raison refusait d'accepter, mai~ il a néanmoins été marqué par un certain nombre des valeurs qu'elle prenait. Il portait en lui l'image du Dieu lointain, inaccessible et inconnaissable, qui ne se soucie ni

10

R. Pomeau, La Religion de Voltaire (Paris, 1956) • P .27.

Il

Ibid, p.27 l2lli.9., P .27 .

(30)

. de sa création, ni d'établir une équation entre les oeuvres et leur récompense. Son théatre est plein de "justes à qui la grace a manqué", de "justes en état de péché mortel", tel Oedipe;

Misérable vertu . . . .

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Un dieu pl~s fort que toi m'entra!nait vers le crime; Sous mes pas fugitifs il creusait un abimei

Et j'étais, malgré moi, dans mon aveuglement, D'un pouvoir inconnu l'esclave et l'instrument •

. . . • . . • . • . . • . . • . • . . . . . • . . . . . . . . • . -13

Impitoyables dieux, mes crimes sont les vetres~

Quinze ans plus tard, Eriphyle, s'adressant à Alcméon, parlera le même langage:

. . . • . . . . • . . . Je vois à ta douleur

Que les dieux malgré toi conduisent ta fureur. Du crime de ton bras ton coeur n'est pas compli

I4;

Ils égaraient tes sens pour hater ton supplice. Séide lui-même, le fanatique dont les yeux se dessillent, est coupable malgré lui, donc victime de la colàre divine:

Mon crime était horrible autant qu'involontairr En vain la vertu même habitait dans mon coeur. 5 Egisthe se plaint à Mérope du "ciel inexorable" qui l'a

"con-16 duit dans un piège" pour le rendre coupable.

l30edipe, M.xi,107. 14 . Er~phyle, M.xi,503. 15 Mahomet, M.iv,160. l6Mérope, M.iv,2l4.

(31)

Ninas,17 oreste,18 Antigone,19 gémissent de la même malédiction. Une vie passée à cultiver la vertu se termine dans le crime. Ce Dieu "toujours absent et toujours présent" qui peut tout et ne fait rien est cruel. Il n'est pas un simple spectateur, il "conduit la fureur", il "égare les sens", il conduit les pas d'Oedipe et d'Egisthe. S'il ne répond pas aux questions angois-sées de l'homme, sa cruauté se manifeste souvent. Bien avant que le problème du mal ne se pose clairement à la conscience de Voltaire dans les termes que nous a fait connaître le Poème sur le désastre de Lisbonne, la vision d'un Dieu méchant et ennemi des hommes hantait son esprit. Au niveau de l'irrationnel et de l'affectif se trouve un dieu tout-puissant certes puisqu'il a créé le monde, mais effroyable de cruauté.

l7Je vois que malgré nous tous nos pas sont marqués. S'éiriïr"airiïs, M.iv,S62.

18 . , .

Non, ce n'est pas mo~; non, ce n est po~nt Oreste; Un pouvoir effroyable a seul conduit mes coups. Exécrable instrument d'un éternel courroux,

. .

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Dieux, tyrans éternels, puissance impitoyable, Et bien, quel est l'exil que vous me destinez? Quel est le nouveau crime où vous me condamnez?

Orest~, M.v,lSS.

19 . D~eux dont e mon e 1 d ent~er . . . eprouve e courroux, 1

Maitres des vils humains, pourquoi les formiez-vous? Qu'avait fait statira? qU'avait fait Olympie?

A quoi réservez-vous ma misérable vie?

(32)

Là oil certains ont cru voir "une philosophie du 20

hasard" Voltaire ne décèle que la main de Dieu, et il semble que le rÔle des oracles serait de nous faire voir, précisément, Dieu lien coulisse" (comme on nous montrera, en se servant

d'au-tres procédés mais avec les mêmes intentions, les hommes au pouvoir - gouvernement et prêtres-) .

L'oracle ne s'adresse jamais directement à celui dont il annonce le destin: il ne fait que nous faire connattre la décision de Dieu, et nous allons la voir s'accomplir inexorablement,sans que jamais rien n'y soit modifié, malgré les vertus de celui

qui en est la victime, malgré ses appels angoissés vers Dieu.

21

Il Pascal est dans Vol taire", a dit M. carré. Certains

person-nages du théatre de Voltaire n'auraient-ils pu en effet employer son langage, quand i l disait:

20G• Lanson, Esquisse d'une histoire de la tragédie française, 1954. "Pour lui, pas de fatalité. Sa philosophie tragique, comme sa philosophie de l'histoire, est la philosophie du hasard". p.148.

Mais Voltaire lui-même réfute cette notion de hasard dans les Questions sur l'Encyclopédie, 1770, M.xvii,478:

"Ce que nous appelons hasard est et ne peut être que la cause ignorée d'un effet connu".

2lJ •R• carré, Réflexions sur l'Anti-Pascal de Voltaire,

(33)

"

••

En voyant l'aveuglement et la mis~re de l'homme, et ces contrariétés étonnantes, qui se découvrent dans sa nature; et regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mourant, j'entre en effroi, comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une 1le déserte et effroyable, et qui s'éveille-rait sans connattre o~ il est, et sans avoir aucun moyen d'en sortir; et sur cela, j'admire comment on n'en~re pas en désespoir d'un si misérable état. 2

Si Dieu est muet, il n'est peut-être pas sourd? peut-on espérer le fléchir par la prière? R@ve insensé. L'ordre du monde est éternel, et le caprice ou le besoin d'une créature ne peut le changer. Il faut se soumettre, même si l'on est césar:

Va, césar n'est qu'un homme, et je ne pense pas Que le ciel de mon sort à ce point s'inqui~te Qu'il anime pour moi la nature muette;

Et que les éléments paraissent confondus 23 Pour qu'un mortel ici respire un jour de plus. Il n'est pas pour lui de créature privilégiée. Toutes sont égales à ses yeux.

22pascal. Pensées. Texte établi par Louis Lafuma, (Paris: Seuil, 1962), 198, p.114. (Brunschwig, 693).

(34)

Hélas, grands et petits, et sujets et monarque, Distingués un moment par de frivoles marques, Egaux par la nature, égaux par le malheur, Tout mortel est chargé de sa propre douleur. 24 Omniprésent, muet, cruel, inaccessible à ses créatures, tel nous apparatt en effet le Dieu du théatre de Voltaire.

Sous son regard indifférent, l'homme est condamné à vivre, sans rien connattre de ses intentions, sans aucun signe de sa part, sans aucune garantie de salut, pré-déterminé dès sa naissance. IITous nos pas sont marqués", dit Ninas à Azéma. Faut-il alors s'abandonner au désespoir, ou à ses instincts?

. d l ' h . , dé 1 h . 25

L'histo~re e uman~te montre que ,omme est perfect~ble,

qu'il a considérablement amélioré les conditions de son séjour sur terre, qu'il a développé patiemment les arts, les sciences, et fait de la brute grossière des origines de l'humanité un homme raffiné et poli, ayant élargi son entendement et sa compréhension du monde. La voie est donc toute tracée: pour donner un sens à sa vie, il faut contribuer au progrès. Ce qui est bon pour la société s'appellera bien, vertu, ce qui lui nuit s'appellera mal. En l'absence de critèresmqœaux d'o-rigine divine, c'est celui-là qu'il faut choisir.

24L 'orphelin de la Chine. M.v,3IG.

25 11Le monde avec lenteur marche vers la sagessell •

(35)

27.

Egaux devant Dieu parce que tous livrés à la vie, abandonnés

à leurs souffrances, à leur destinée, les hommes ne sont pour-tant pas égaux dans la société. Que rencontre llhomme du

XVIIIe siàcle quand il regarde autour de lui? Un édifice

social pyramidal dont la composition ne repose ni sur la

justice, ni sur la valeur, mais sur les préjugés, sur llimpos-ture et sur la superstition. Au sommet, un roi, qui, pour ses

sujets, lIest un dieu qu10n révàrell

, mais pour llhomme qui le

cOtoie, lIest un homme ordinaire".26 Au-dessous de lui, et

maintenus à ce rang par le préjugé de la naissance, les grands.

27

Alcméon brosse un tableau de cette société:

préjugé malheureux (celui de la naissance)

éclatante chimère, Que llorgueil inventa, que le faible révère, Par qui je vois languir le mérite abattu

Aux pieds d1un prince indigne ou d1un grand sans vertu. L1économie des termes et la concision de la langue sont telles que la virulence de la critique en est presque masquée. ilLe mérite abattu" représente au XVIIIe siècle une couche de la

population qui prend de plus en plus conscience d1elle-même et

de sa valeur: bourgeois, commerçants, industriels. Gens édu-qués, membres d1une société éclairée qui slinterroge sur le

26,27

(36)

. bien-fondé de cette hiérarchie et qui, en fait, s'achemine vers son renversement. Voltaire, qui en est en quelque sorte le porte-parole, ne cessera de clamer l légalité des hommes entre eux et la primauté de la valeur personnelle sur la naissance:

Les mortels sont égaux; ce nlest pas la naissa2§e Clest la seule vertu qui fait leur différence.

A l 1 époque de Voltaire, la notion d'égalité est véritablement

un concept philosophique, car les écarts entre les membres des diverses classes sociales sont tels qulon a peine à admettre que certains êtres aient atteint le statut d'homme, tant ils paraissent plus près de la bête par leur genre de vie et leur niveau mental. La misère les déforme, ils sont maigres, déchar-nés. Les enfants sont nourris trop tôt de mauvais pain noir, faute de lait, "aussi une fille de quatre ans a le ventre gros comme une femme enceintell

•29 Représentons-nous le paysan d'alors,

"clos et parqué de père en fils dans son hameau, sans chemins vicinaux, sans nouvelles, ••• toujours tourmenté ••• l'esprit raccorni par la misère ••• Sa condition est presque celle de son

28Eriphyle, M.ii,471, et Mahomet, M.iv,114.

29H.Taine, Les Origines de la Franceconternporaine, (Paris, 1891), p.448.

(37)

29

,boeuf ou de son ane, et il a les idées de sa condition". 30

L'appartenance à une classe sociale est inscrite sur les phy-3ionomies, et ceci est très évident dans les pièces de Voltaire oa les gens se reconnaissent à leurs traits. Quand Statira rencontre Olympie, alors esclave, elle n'est pas abusée par les signes de son état:

Un tel destin m'étonne •••

Les dieux sur votre front, dans vos yeux, dans vos traits, Ont placé la n~ïlesse ainsi que les attraits.

Vous, esclave~

Les gens simples le constatent également avec une certaine admi-ration:

•••••••••••• Les gens d'un certain nom, J'ai remarqué cela, chère Colette,

En savent plus, ont l'ame autrement faite, Ont de l'esprit, de~2sentiments plus grands, Meilleurs que nous.

Dans l'Enfant Prodigue, Euphémon, jeune bourgeois, nous montre le peuple des serviteurs, sous les traits de son valet:

Il m'accompagne, et son ame grossière, Sensible et tendre en sa rusticité, N'a point pour moi perdu l'humanité. Né mon égal, (puisqu'enfin il est homme) Il me soutient sous le poids qui m'a~~omrne. Il suit gaiement mon sort infortuné;

3 OH. Taine, ·ot>. c'i't., P .449 •

31 01" ymp~e, 32 L'e Droit M.vi,119. dU Seigneur, M.vi,2l.

(38)

9n voit ainsi ce brave valet suivre son mattre quand la mauvaise fortune le frappe, le réconfortant par sa gaieté et sa bonne humeur, trouvant léger le poids de la misère, car

clest une compagne connue, un peu fripon, pas trop scrupuleux, découvrant mille subterfuges pour procurer à son mattre une subsistance raisonnable. Le IIpuisqulenfin il est hommell nous

en dit long sur llopinion qui prévalait à cette époque. Grossier et sans instruction, le peuple est facile à duper.

Le peuple aveugle et faible est né pour les grands hommes, Pour admirer, pour croire, et pour nous obéir: 34

Cela le met tout naturellement à la merci des imposteurs qui interprètent à leur profit des faits naturels, et sien servent pour fonder leur pouvoir. Seul le faible peut être ainsi trompé:

Pour qui ne les craint point,il nlest point de prodiges Ils sont llappat grossier des peuples ignorants,

Llinvention du fourbe, et le mépris des grands. Pensez en roi, Madame, et ~ais~ez.au ~lgaire, Des suparstitions le joug 1mag1na1re.

Voltaire ne fait pas que constater la crédule ignorance du peu-pIe. Il semble la croire nécessaire à lléquilibre de la société:

Oui,je connais ton peuple,il a besoin dlerreur: Ou véritable ou faux, mon culte est nécessaire dit Mahomet.36

34Mahomet, M.iv,115.

35Eriphyle, M.ii,477 et Sémiramis, M.iv,530.

36

(39)

31.

Une autre scàne, tirée de la comédie Le Droit du Seigneur, nous donne un aperçu des relations d'autorité entre deux classes sociales différentes, un Seigneur de village et ses fermiers.

Nous voyons comment, dans la pyramide sociale, l'autorité

cas-cade du sommet vers le bas, comment chaque couche hiérarchique

l'augmente en l'exerçant envers ses inférieurs, qui finissent par n'être, au bas de l'édifice, que des objets privés de toute liberté.

Le Seigneur arrive dans son village au moment o~ on se prépare

..

à célébrer deux mariages. Mathurin, le "coq du village", (riche fermier) a choisi Acanthe, qui aime en secret le Seigneur, car

il ressemble aux personnages des légendes qu'on lui a racontées,

tandis que Colette, qui aime Mathurin, doit en épouser un autre. Par un~ lettre qu'on lui remet en derniàre minute, le Seigneur

apprend- qu'Acanthe est en réalité la fille naturelle d'une per-sonne de condition. Elle est jolie, il la prend pour lui, et

dit à Colette: "Prend3Mathurin, j'ete' Te' donne" • Il lui semble aussi naturel de disposer de son fermier que de son bétail. Il est tràs évident, tout au long de la piàce, que nous avons

affaire à un bon Seigneur, soucieux du bien-être dp- ses vassaux, conscient de ses droits mais décidé à ne pas en abuser, le proto-type de ce que Voltaire s'efforcera dUêtre à Ferney.

(40)

Mais quand Mathurin slinsurge contre le droit de vasselage, dont i l craint dlêtre la victime, en représentant qulil s'agit d'un abus de pouvoir, qui pourrait être corrigé

si tous les Mathurins slunissaient pour faire entendre leur

voix, le baillif lui rappelle qulil n'a pas le droit de parler

ainsi, et que si ses valets osaient s'élever contre ses

pré-rogatives de mattre,

Un nerf de boeuf appliqué sur le dos37 Réfuterait puissamment leurs propos.

L'ordre et la bonne marche de la société exigent qu'il y ait des Mathurins ayant des droits sur leurs valets et des

Sei-, t 1 t h ' 38

gneurs regnan sur es Ma ur~ns.

Faut-il conclure de cela que l'homme est condamné à

demeurer à la place o~ i l est né accidentellement? Il faut avouer que lion ne voit nulle trace, dans l'oeuvre théatrale de Voltaire, d'un désir de modifier radicalement les structures sociales. La marche en avant de l'humanité exige des hommes exceptionnels, pas des révolutions.

37 Le Droit du Seigneux', M. vi, Il •

38cf • Dictionnaire Philcis·ophique, article Fraude: "Ouang: nos lettrés sont de la même pate que nos tailleurs, nos tisserands et nos laboureurs ••• pourquoi ne pas daigner instruire nos ouvriers comme nous instruisons nos lettrés?

-Ba.inba.ref: Vous feriez une grande sottise; clest comme si vous vouliez qu'ils eussent la même politesse, qu'ils fussent juris-consultes: cela n'est ni possible, ni convenable. Il faut du pain blanc pour les mattres et du pain bis pour les domestiques."

(41)

1

Il ne siest presque jamais rien fait de grand dans le monde que par le génie et la fermeté d'un seul homme qui lutte contre les préjugés de la multitude, ~u, (ajoute-t-il plus tard) qui lui en donne. 9

Ce sont eux qui font qulun si~cle est grand, en laissant leur marque sur leur époque. Ils sont les forces

3.3

motrices de l'histoire, quand ils réunissent en eux la vertu, le courage, l'intelligence.

C1est la seule vertu qui fait leur différence: C1est elle qui met l'homme au rang des demi-dieux; Et qui sert son pays nia pas besoin d ' aieux.40

Le titre de chef est da à celui qui se distingue par sa valeur, non par sa naissance. La monarchie et les titres héréditaires sont donc une absurdité, une injustice qui fait tort non seule-ment aux individus brimés par l'ordre social, mais encore à

l'humanité tout enti~re, en retardant la marche du progr~s. Agathocle, le dernier des rois mis en sc~ne par Voltaire, était

IIné dans la bassessell

, et avait échangé sa condition de potier

pour celle de monarque grace à son seul courage:

L'argile .par mes mains autrefois façonnée 41 A produit sur mon front l'or qui m'a couronné.

39Essai sur les Moeurs, (éd. Garnier, 1963), vol. II,

p. 60.

40

Kriphyle, M.ii,47l. 41

(42)

On trouve également, dans les notes qui accompagnent le Triumvirat ces remarques de voltaire, destinées à justifier sa thèse selon laquelle la valeur d'un homme ne dépend pas nécessairement de son origine sociale:

Il Y a mille exemples de grandes fortunes qui ont eu une basse origine, ou que l'orgueil appelle basse: i l n'y a rien de bas aux yeux du philosophe, et quiconque s'est élevé doit avoir cette ~~pèce de mérite qui contribue à

l'élévation.

Le personnage important, dans le théatre de Voltaire, est précisément cet hamme-pilote, celui qui, par son action, pèse sur son époque ou entratne d'autres hommes à l'imiter:43 Brutus, qui supprime le tyran menaçant les libertés romaines, Teucer, qui va contre un préjugé et des lois séculaires pour établir des lois plus humaines, Alvarez, qui par son exemple de vrai chrétien, fait plus d'émules que tous les prosélytes en armes de son entourage, césar, qui sauve Rome au prix de la mort d'un ami, Socrate, dont la force morale fut un exemple pour

t~utes les générations qui l'ont suivi. Le cas de Mahomet, que

42M.vi ,2ll.

43

"Car pour sauver l'Etat, il suffit d'un grand homme",. Rome Sauv"é"e, M. v, 225.

(43)

35

Voltaire présente dans son théatre comme digne de mépris, est un peu particulier, carailleurs,44 il en a parlé avec une certaine admiration. Il a toutefois mis dans sa bouche des paroles qui montrent bien le rOle qu'il conçoit pour l'homme supérieur. A la question de Zopire:

Quel droit as-tu reçu d'enseigner, de prédire, De porter l'encensoir, et d'affecter l'empire? Mahomet répond:

Le droit qu'un esprit vaste, et ferme en ses desseins, A sur l'esprit grossier des vulgaires humains.45

L'homme exceptionnel est sa propre justification. Il fonde son empire sur ses mérites personnels, qui l'élèvent naturellement au-dessus des autres et des préjugés attachés à la naissance:

Je n'ai plus rien du sang qui m'a donné la vie:

Je vois ce que je suis, et non ce que je fus, 46 Et crois valoir au moins les rois que j'ai vaincus. Puis, plus loin, et éclairant le sens du dernier vers:

47 Ils n'ont que des aieux, vous avez des vertus.

L'homme qui s'est élevé seul, par ses qualités, est supérieur à

celui qui nia pour lui que son nom.

44Le diner du Comte de Boulainvillier's, Mélanges 1 pléiade, p.124l. Il • • • Du moins Mahomet a écrit et combattu ••.

Mahomet avait le courage d'Alexandre avec l'esprit de Numa •.• 11

45Mahomet, M.iv,125. 46E'riphyle, M.ii,47l. 47E'riphYl'e, M.ii,483.

(44)

Dans sa préface à l'édition Garnier de l'Essai sur les Moeurs, R. Pomeau signale que "le mot 'çivilisation' n'existe pas dans le langage de Voltaire, mais sous-tend la philosophie

l . . Il 48

vo ta~r~enne • On pourrait ajouter qu'il en est de même du mot 'self-made man', l'homme qui s'est fait lui-même, qui n'ap-partient plus ni à sa classe sociale, ni à sa famille, qui est au-dessus des groupes humains. Il est sans doute légitime de penser que Voltaire se flattait d'être l'un d'eux, un de ces hommes qu'on ne peut expliquer par leur origine sociale. Et dans le public, plus d'un pouvait se croire un de ces esprits favorisés des dieux "qui sont tout par eux-mêmes et rien par

. ,49 leurs a~eux'.

Ce sont ces formules lapidaires, semées ça et là et souvent répétées, qui pavent le chemin vers la fin des privilàges et une plus grande justice sociale. Quand, en plus de démontrer l'absurdité du pouvoir héréditaire s'opposant à la valeur per-sonnelle et la bafouant, on offre le spectacle d'institutions ne reposant que sur ce principe indéfendable, on comprendra que les contemporains de Voltaire aient senti le besoin de réformes.

48Essaisur le's Mo'eu'r's, p.XLVIII. 49Mahomet, M.iv,114.

(45)

Le pouvoir temporel est aux mains d'hommes qui l'ont reçu sans le mériter, et le gardent sans effort, au mépris de toute morale:

Ce sont là les héros qui gouvernent la terre; Ils font, en se jouant, et la paix et la guerre; Du sein des voluptés ils nous donnent des fers. A quels maïtres, grands dieux, livrez-vous

l'univers~50

On dit 'la terre', 'l'univers', et pas seulement 'Rome'.

37

C'est une vérité universelle, donc applicable partout, et en particulier dans la France de cette époque.

Comment des hommes aussi méprisables, aussi dépourvus de

scrupules peuvent-ils abuser leurs sujets, si bien et si long-temps? Nous avons vu que le peuple est faible, crédule, facile à tromper. Là encore, Voltaire lève le voile de mensonges:

Voilà donc les ressorts du destin de l'empire! Ces grands secrets d'état, que l'ignorance admire! Ils étonnent de loin les vulgaires esprits, 51 Ils inspirent de près l'horreur et le mépris. Ils disposent des seuls biens véritables de l'homme: sa vie et sa liberté. Ils s'en amusent comme d'un jouet6

irrespon-sables, indignes. Voltaire a démythifié le pouvoir, tous les

SOLe Triumvirat, M.vi,184. 5lL'e Triumvirat, M.vi,185.

(46)

pouvoirs, celui du gouvernement, autorité temporelle, comme

celui de l'Eglise, autorité spirituelle. Ils sont tous basés sur la naissance et l'argent, d'une part, l'ignorance et la crédulité,d'autre part.

Nous verrons dans les chapitres suivants comment Voltaire compte sur les idées philosophiques pour promouvoir la cause du progrès, ou pour employer le langage de son siècle, comment le flambeau de la Raison peut être employé pour chasser les obscures superstitions, et faire régner la justice sur

terre, afin qu'elle devienne un meilleur lieu de séjour pour

(47)

chapî"t"re I I

(48)

"Dieu a mis les hommes et les animaux sur la terre, c'est à eux de s'y conduire de leur mieux."l

En l'absence d'un code moral dicté par Dieu et reconnaissable comme l'expression de sa volonté, quels sont les moyens donnés

à l'homme pour régler sa conduite?

Comme Dieu n'a pas daigné ••• se mêler ••• de notre conduitel il faut nous en tenir aux

présents qu'il nous a faits. Ces présents sont la raisonl l'amour-propre, la

bien-veillance pour notre espèce, les besoins, les passions, tous moyens par

2lesquels nous avons établi la société.

Mais la société n'est pas quelque chose de statique, définis-sable une fois pour toutes. Etant l'oeuvre de l'homme, elle suit le rythme de son évolution. Les sociétés primitives étaient barbares, (les Scythes, par exemple), l'ame des hommes, "inhumaine"; l'homme sauvage, laissé à lui-même,

••• est simple, il est bon, s'i~ n'est point offensé; Sa vengeance est sans borne •••

lTraité de Métaphysique, Mélanges, p.200 2Ibîd •

(49)

4.0

Mais

Le monde, avec lenteur, marche vers la sagesse4 Le monde, comme la Gr~ce des Pélopides,

••• enfin s'éclaire, et commence à sortir De la férocité qui, dans nos premiers ages

Fit des coeurs sans justice et des héros sauvages. S En dépit de son état d'abandon sur la terre et des instincts féroces qui l'habitent, l'homme a réussi à sortir de l'état de barbarie des premiers ages, en se servant de sa raison.

Quelquefois la sagesse a maîtrisé le sort

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Nous fesons nos destins, quoi que vous puissiez dire; L'homme par sa raison, a sur l'homme quelque empire.6 Voltaire dans son théatre s'attache à démontrer ce quail a si

souvent dit dans le reste de son oeuvre, que la raison, clef de tout progrès, est universelle et que les besoins et les aspi-rations des hommes sont partout les mêmes. Nous les verrons donc partout obéir aux mêmes mobiles, et là encore les besoins de la thèse passeront avant le souci de la vraisemblance.

Toutes les hérolnes de Voltaire, comme le fait remarquer M. Deschanel, "connaissent leur Racine par coeur", et se

res-semblent comme des soeurs, qu'elles s'appellent Idamé, Alzire,

4Les Lois de Minos, M.vii,2l3. SLes pélopides, M.vii,l18.

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Zulime, ou Adélaide du Guesclin. En Chine, en Amérique, en Afrique, ou en Europe, nous entendrons la voix de la nature et celle de la raison employer le même langage, nous verrons la bienveillance à l'oeuvre, les passions dominées par la raison, la haine vaincue par l'amour et la charité, le pardon et le repentir purifier les coeurs.

Ces présents que Dieu nous a faits ne doivent pas sommeiller au fond de notre coeur. Le juste est celui qui agit selon les préceptes de la morale. Ce qui ne sert pas à la société est inutile. Les actes valent mieux que les paroles. L'exemple vaut mieux qu'un sermon. C'est par l'exemple de la charité chrétienne en action qu'Alvarez cherche à gagner des adeptes

à sa religion,7 c'est en se jetant entre les

fr~res

ennemis que Polémon arrête leur combat,8entratnant' à sa suite le peuple jusque-là passif et indifférent; c'est par leur refus de trahir qU'Idamé et zamti forcent Gengis Khan à les traiter en égaux. Leur vertu inébranlable, qu'aucune menace n'a pu fléchir, émeut

finalement le barbare courroucé, et i l gracie ses victimes

.. .. 9

etonnees.

7Alzire.

8Atrée et Thyeste.

9uQui peut vous inspirer ce dessein?" demande Idamé. "VOs vertus", répond Gengis.

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Le noble Ramire, esclave de Bénassar, que des circonstances amènent à se battre contre son mattre, qu'il aime et respecte, ne dit rien, mais son attitude montre mieux que des paroles quélle vertu est en lui:

Vous l'avez vu même, dit Mohadir à Bénassar, en ce combat horrible,

Dans ces moments cruels o~ l'homme est inflexible, O~ les yeux, les esprits, les sens sont égarés, Détourner loin de vous ses coups désespérés,

Respecter votre sang, vous sauver, vous défendre, Et d'un bras assuré, d'un cri terrible et tendre, Arrêter, désarmer ses amis emportés, 10

Qui levaient contre vous leurs bras ensanglantés.

La justification que voltaire a donnée le plus fréquemment à son besoin d'écrire pour le théatre était précisément que

La véritable tragédie est l'école de la vertu; et la seule différence qui soit entre le

théatre épuré et les livres de morale, c'est que l'instruction se trouve dans la tragédie toute en action. ll

On ne saurait, sans beaucoup de mauvaise foi, douter de son souci d'édification, ce qui l'a peut-être conduit à créer des personnages plus grands que nature, et par là même, peu vrai-semblables. En examinant la ligne de conduite de certains d'entre eux, nous pourrons apercevoir les impératifs moraux qui sont illustrés.

10 Zu' l ' J.me, M.~ ' 5 7 v,

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