ARTheque - STEF - ENS Cachan | Professionnalité, formation de formateurs en alternance et organisation qualifiante

PROFESSIONNALITÉ, FORMATION DE FORMATEURS

EN ALTERNANCE ET ORGANISATION QUALIFIANTE

Jocelyne WELKER

Centre National Pédagogique des Maisons Familiales Rurales

MOTS-CLÉS: PROFESSIONNALlTÉ - COMPÉTENCES - ALTERNANCE - PROJET-PARTENARIAT - ORGANISATION QUALIFIANTE - AUTQ.FORMATION

RÉSUMÉ: Cette recherche sur la formation des formateurs des Maisons Familiales Rurales met en évidence comment une formation alternée faisant appel aux situations de travail des formateurs permet le développement de leurprofessionnalité.Leprojet de formation centré sur la production de savoir et l'accompagnement tutoral favorise les interactions entre les différents acteurs en charge de la formation. Ils construisent une organisation qualifiante qui place laprofessionnalité au carrefour du projet institutionnel et de celui des formateurs.

SUMMARY : The aim of this research on the training of M.F.R.'s trainers is to point out how an alternance training which uses the working situations of the trainers, allows them to develop their professionnality. The training project is centered on the knowledge production and on the accompanying with a part-time tutor ; it encourages the interactions between the differents actors in charge of the training. They are building up a leaming organisation which places theprofessionnality on the cross-roads of the institutionnal project and the trainers'project.

1. SE FORMER PAR L'ALTERNANCE POUR L'ALTEI{NAI\'CE

Comment un formateur chargé de l'éducation de jeunes et d'adultes dans le cadre de cycles en alternance se dote de compétences spécifiques et les développe? C'est en cherchantàrépondreàcelte questionà l'intérieur de l'institution des M.F.R. (Maisons Familiales Rurales) que nous avons mis en évidence son organisation qualifiante qui place la construction de la profession au carrefour d'enjeux individuels et collectifs.

Se former engage la personne dans un processus de changement dans lequel elle estauteur ct acteur (Fabre, 94). Ainsi est posée toute la complexité de la fonction de formateur. Confronté àla construction de son identité, le formateur doit assurer en même temps l'acquisition de connaissances et de savoir faire dans le cadre d'un enseignement alterné.

2. SITUATION DE TRAVAIL, FORMATION ET QUALIFICATION 2.1 L'alternance en formation de formateurs: une interface

Dans le cadre de notre terrain d'étude, la formation des formateurs se déroule sur deux ans en alternance et prépare au Certificat d'Aptitudeàla Pédagogie de l'Alternance (homologué au niveau III). La formation est coordonnée par le C.N.P. (Centre National Pédagogique) mais fait appelàdes acteurs locaux, régionaux et nationaux. Nous pouvons schématiser ainsi les différents acteurs autour du formateur:

Fonn.trur fomt. tru"(c.N.r.)

Tutrur

-..::. Equlp<p<dagoglqut

_ _ Liens plus informels _ _ Liens plus directs

Formation au C.N.P. Fornlalion sur Je lieu de travail

Georges Lerbet, puis André Geay ont défini l'alternance comme une interface entre le système école et le système travail. André Geay (1991) en a précisé les quatre dimensions essentielles: institutionnelle, didactique, pédagogique, personnelle. Ceci nous a permis d'analyser les propos des formateurs engagés dans un processus de fomlation en alternance. Nous avons retenu les thèmes suivants pour notre analyse de contenu à partir de questionnaires: finalités, partenariat, professionnalisation pour la dimension institutionnelle. re/atinn,\', technicité, accompafinemenr, organisation, information et résolllCiolJ de prohlèmes pour les di mens ions didactique et pédagogique, professionnalisme, production de savoirs et ouvertllTe sur le plan personnel.

2.2 Organisation qualifiante et acteurs de la formation

La formation est assurée de manière différenciée car elle doit répondre notammentàla singularité des situations professionnelies locales. Ainsi, chaque formateur entre dans un processus de professionnalisation pour pouvoir s'adapter à différents changements (publics, méthodes pédagogiques, approches éducatives, dispositifs ... ). II doit accompagner l'évolution de sa Maison Familiale, elIe-même confrontée aux attentes de ses différents partenaires que sont les familIes, les entreprises et également les commanditaires de la formation initiale et continue.

La formation pédagogique en alternance objet de notre étude, est basée sur la production de savoirà partir des situations de travail, de l'accompagnement tutoral et de l'apport théorique. C'est ainsi que des acteurs différents sont mobilisés pour la formation. Ceci nous a donc amenéàfaire l'hypothèse que les M.F.R. sont une organisation qualifiante au sens de Wittorski (95), à savoir une organisation qui laisse suffisamment d'autonomie et de possibilités de collaborer en équipe pour apprendreà partir de son poste de travail.

Dans un premier temps, lors d'entretiens, les différents acteurs ressentent fortement la nécessité de renforcer les relations existantes entre les différents sous-systèmes de l'organisation. Les formateurs, quant à eux, n'évoquent que rarement cette nécessité. Peut-être est-ce parce que le système de formation pédagogique est bien rôdé ou parce qu'il n'est perçu que partiellement?,

D'après les propos recueillis avec un formateur, la première année a vocationà se rassurer et à se confronterà la pédagogie de l'alternance, la deuxième année est plus théorique et plus diversifiée et permet de faire aboutir la production pédagogique. Les travaux de Jean-Claude Gimonet (1984) montrent d'ailleurs cette entrée progressive dans le métier du formateur. Néanmoins, nous avons noté avec ce même formateur l'envie de retrouver jusque dans sa formation en centre la complicité qu'il partage avec son tuteur en situation professionnelle"parfois, on ne sait plus qui forme /' autre", des projets nouveaux sont élaborés ensemble en co-responsabilité et il aimerait que la formation accompagne cette dynamique. Le temps de préparationà l'emploi semble se réduire au profit d'une efficacité quasi immédiate et d'une plus grande polyvalence.

Au regard de ces constats, nous avons repris les propos des formateurs sur le partenariat mis en place et sur leur projet d'activité. Ces deux développements nous conduisentàleur profession.

2.3 Partenariat et finalités

Les acteurs qui réalisent les différentes opérations du système de formation des formateurs ne perçoivent pas toujours l'évolution du dispositif et n'en maîtrisent pas toutes les finalités. Des tuteurs, disent n'être pas suffisamment solIicités. Ils aimeraient que leur mission soit réactualisée et réaffirmée. Ils ajoutent que, pour eux, c'est aussi un moyen de se perfectionner, de s'ouvrirà d'autres problématiques. Leur modèle est proche d'une entreprise tutrice. Ils souhaitent mobiliser et développer leurs compétences tout en les transmettant dans le travail. Le directeur interviewé quantà lui, voudrait avoir plus d'influence sur la formation dispensée pour qu'elle s'adapte plus vite aux changements de sa structure. Le délégué pédagogique pense pouvoir améliorer l'évaluer du formateur, et aimerait avec l'aide des autres acteurs être médiateur plus efficient dans les situations plus difficiles. Le formateur de formateurs du eN.p. a conscience que les situations professionnelles

ne facilitent pas toujours les apprentissages et que la fonction de formateur se complexifie. En fait, le partenariat entre les différents acteurs est exigeant, car il requiert une confrontation de logiques différentes et un "partage du pouvoir de former" (Gaston Pineau, 1994).

Parfois, c'est un trop fort consensus qui ne permet pas toujours de prendre en compte les nouvelles demandes et de les inscrire dans les finalités. Fabienne Berton (1992) nous rappelle que les formations en situation de travail s'inscrivent en majorité dans un cadre panenarial qui fait appelà des logiques différentes d'acteurs. Ce cadre partenarial devant permettre de créer des instances collectives de formation qui définissent les manières de faire en fonction d'objectifs reconnus par une majorité de personnes.

Pour les formateurs, il est important qu'à la fois l'institution et les formateurs s'ouvrent et se confrontent à l'extérieur. En voulant également se mesurer avec l'extérieur, ils souhaitent se rendre compte de la valeur de leur qualification. Myriam Campinos Dubernet (1994) montre d'ailleurs les relations entre qualification et mobilité professionnelle, tant interne qu'externe.

Les formateurs insistent sur leur souhait d'être reconnus, responsabilisés dans leur travail et de pouvoir s'approprierà leur rythme les différentes fonctions de leur poste. Les apprentissages en situation de travail peuvent s'amplifier selon. Christian Davorgne et Didier Noyé (1993) en fonction de facteurs facilitateurs, comme le sens donné au travail, les objectifs de performance ambitieux, l'activation des processus cognitifs, l'apport des uns aux autres et la prise de responsabilité. Les formateurs soulignent l'importance de bien connaître le projet institutionnel, sa cohérence, son application et son évolution sur le terrain. Ils souhaitent rencontrer des personnes qui vivent ce projet sans dogmatisme, qui savent fixer des objectifs où chacun peut se positionner.Le projet institutionnel peut alors s'enrichirà la fois des projets des formateurs, des objectifs et des pratiques réactualisées des autres acteurs.

2.4 Projet d'activité et de formation dans son environnement

Les formateurs expriment dans leur ensemble l'intérêt de se rencontrer pour confronter leurs expériences. Ceci estàrapprocher des propos de Claire Héber Suffrin (1993) qui, dans le cadre des réseaux d'échanges de savoirs, montre l'importance du sentiment d'utilité que provoque le fait de transmettre son propre savoir. La conception des M.F.R. repose sur l'idée que la personne est unique, singulière, qu'elle se construit en relation avec elle-même et avec les autres, qu'elle se définit également dans ses prises de position, son engagement et son affrontement avec les autres. Mounier (1949) le traduit ainsi "La personne s'expose, elle s'exprime: elle fait face"

Toutefois, quand ils évoquent leur rapport pédagogique, certains formateurs écrivent le rapport, d'autres mon rapport et seulement quelques-uns parlent de leur projet. Il est vrai que dans les périodes d'incertitude, l'obligationàêtre en projet peu en cacher l'intérêt.Le projet, selon Jean-Pierre Boutinet (1993) peut se définir par quatre éléments. Il concerne l'individu qui cherche ce qu'il veut veut faire (1), il lui donne un rôle d'acteur individuel ou collectif (2), il obligeàune anticipation de l'action (3) et il engage l'innovation (4). Quand le projet prend en compte les intérêts de la personne, nous sommes proches de la formation expérientielle et de l'auto-formation. André Moisan (1992) clarifie ainsi"l' autoformarion ne se décrète ni ne s'organise dans un dispositif: ce dernier peUl, tout

au plus créer les situalions qui permellronl à des individus d'y développer des processus d'auroformalion". L'auto-follllation met en valeur toutes les manières d'apprendre par soi-même, qu'il s'agisse d'apprendre par l'expérience (par et dans l'organisation), mais aussi qu'il s'agisse de contrôler son apprentissage, d'apprendre à apprendre et de produire soi-même son éducation. Elle met en oeuvre des pratiques spécifiques en fonction des finalités poursuivies et elle oblige chacun des acteurà bien comprendre où il se situe et quels sont les objectifs de fOllllation.

La fonnation pédagogique au sein des M.F.R. s'adresse essentiellement à des personnes récemment recrutées. La dichotomie théorie-pratique s'estompe au fil du temps lorsque, notamment, les fOllllateurs constatent qu'il n'existe pas de recettes pédagogiques préfabriquées et que les théories leur servent à forger leur analyse. Néanmoins, ils signalent dans une majorité qu'ils ne trouvent pas toujours de réponses aux problèmes quotidiens qu'ils rencontrent. Bien que la connaissance se développe en lien étroit avec l'expérience que chaque personne acquien dans la vie sociale et dans la vie professionnelle, il est difficile de travailler sur les situations de travail car cela nécessite une constante remiseà plat du métier et de ses propres compétences. Celles-ci sont très difficiles à décrire; elles mobilisent des savoirs et des aptitudes intégrés souvent de manière implicite. Il faut alors, comme le précise Argyris et Schon (1974), que les professionnels explicitent leurs connaissances expérientielles.

De plus, Bernard Rey(1996)suggère de prendre en compte la motivation, l'intentionà acquérir des compétences. L'engagement personnel est une condition à la fonnation mais cela ne suffit pas. Ce qui est important, c'est de montrer comment età quelles conditions les situations professionnelles peuvent permettre des apprentissages. Philippe Zariffian (1992)définit ainsi les principes d'une organisation qualifiante:"le lraitemenl événemenliel de l'aclivité, la réélaboration des objectifs de leur activilé professionnelle, la projection dans l' avenir". Les formateurs l'expriment en évoquant la nécessité de savoir où ils vont pour participer au développement de l'association qui les emploie.

3. PROFESSIONNALITÉ EN CONSTRUCTION

Les propos des acteurs impliqués dans la mise en œuvre et l'organisation de la formation ainsi que ceux des formateurs convergent vers la nécessité de construire une qualification où différentes attentes se confrontent. L'organisation qualifiante se construit grâce aux partenariats internes et externes induits, grâce aussià l'intérêt dont font preuve les acteurs impliqués dans les projets individuels et collectifs. La professionnalité du formateur au sens de François Aballéa(1992),une expertise et une déontologie, est au cœur du projet institutionnel et des projets individuels. Pour répondre à de nouvelles situations, le développement de la professionnalité, permet au formateur de se situer en interaction avec son équipe de travail. Pour nous, de manière plus large, la professionnalité se situeà l'interface des enjeux que sont le développement personnel et professionnel des formateurs et l'évolution de leur organisation.

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