• Aucun résultat trouvé

L'influence de Réjean Ducharme chez les écrivains de la génération x

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'influence de Réjean Ducharme chez les écrivains de la génération x"

Copied!
130
0
0

Texte intégral

(1)

par

Valérie Ménard

Département de langue et littérature françaises Université McGill

Montréal, Québec

Mémoire de maîtrise présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l'obtention du grade de

Maître ès arts en études françaises

Novembre 2004

(2)

1+1

Published Heritage Branch Direction du Patrimoine de l'édition 395 Wellington Street Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

NOTICE:

The author has granted a non-exclusive license allowing Library and Archives Canada to reproduce, publish, archive, preserve, conserve, communicate to the public by

telecommunication or on the Internet, loan, distribute and sell th es es

worldwide, for commercial or non-commercial purposes, in microform, paper, electronic and/or any other formats.

The author retains copyright ownership and moral rights in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts from it may be printed or otherwise reproduced without the author's permission.

ln compliance with the Canadian Privacy Act some supporting forms may have been removed from this thesis.

While these forms may be included in the document page count,

their removal does not represent any loss of content from the thesis.

••

Canada

AVIS:

Your file Votre référence ISBN: 0-494-12746-5 Our file Notre référence ISBN: 0-494-12746-5

L'auteur a accordé une licence non exclusive permettant

à

la Bibliothèque et Archives Canada de reproduire, publier, archiver,

sauvegarder, conserver, transmettre au public par télécommunication ou par l'Internet, prêter, distribuer et vendre des thèses partout dans le monde, à des fins commerciales ou autres, sur support microforme, papier, électronique et/ou autres formats.

L'auteur conserve la propriété du droit d'auteur et des droits moraux qui protège cette thèse. Ni la thèse ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent être imprimés ou autrement reproduits sans son autorisation.

Conformément

à

la loi canadienne sur la protection de la vie privée, quelques formulaires secondaires ont été enlevés de cette thèse. Bien que ces formulaires aient inclus dans la pagination, il n'y aura aucun contenu manquant.

(3)

Résumé... .... p. 4 A bstract ... ... p. 6 Introduction - État présent de la critique et concept de génération x... ... p. 8 A - État présent des études critiques... p.9

B - Génération lyrique et génération x... p. 15

Chapitre 1 - Le refus de se conformer aux normes dominantes... .... p. 26

A - La valorisation du monde de l'enfance et de l'adolescence... ... p.26 1) La quête d'un idéal de pureté ... ... p.27 2) La haine de l'adulte ... p. 34

B - Le refus de s'intégrer à la société... ... p.40 1) Défier l'autorité ... p. 41 2) Réinventer le monde... ... ... .... ... ... ... p. 46

Chapitre II - Le mépris envers la société de consommation... p. 55

A - La critique de la société de consommation... .... p. 57

1) La culture américaine ... p. 57

2) Le fétichisme de l'objet... ... ... ... ... ... ... ... p. 65 B - La haine de la ville... ... ... ... ... ... .. p. 72

1) La dissolution des amitiés. . . p. 73

2) La haine de l'automobile... ... ... ... p. 82

Chapitre III - La nature et les mots comme substituts au réel... p. 88 A - La nostalgie de la nature... ... ... ... ... p. 88

1) La symbolique de l'île ... p. 95 B - Les mots comme univers tampon... ... ... ... ... p. 99

1) La fuite du réel par l'écriture. . . ... p. 99

2) Lire le dictionnaire... p.107

Conclusion ... ... p.11S Bibliographie... ... ... p.122

(4)

AA L'avalée des avalés, Paris, Gallimard, 1966.

NV Le nez qui voque, Paris, Gallimard, 1967.

Oc L'océantume, Paris, Gallimard, 1968.

FCC Lafille de Christophe Colomb, Paris, Gallimard, 1969.

HF L'hiver de force, Paris, Gallimard, 1973.

En Les enfantâmes, Paris, Gallimard, 1976.

SR Le souffle de l'harmattan, Montréal, Quinze, 1986.

V Vamp, Montréal, Québec / Amérique, 1988. R La rage, Montréal, Québec / Amérique, 1989.

(5)

RÉSUMÉ

La génération x a souvent été définie comme une génération sans modèles ni repères. Or, lors de la lecture de plusieurs romans québécois écrits par des auteurs appartenant à cette génération, il est possible d'y déceler un nombre important de références intertextuelles. Au Québec, ces influences vont de Kérouac à Hemingway, en passant par Camus et Sartre. Parmi les modèles québécois de ces jeunes auteurs, un nom revient périodiquement, celui de Réjean Ducharme. Qu'elle soit implicite ou explicite, l'influence de Ducharme est perceptible dans une forte majorité des romans publiés entre 1986 et 1995. L'objet de ce mémoire consistera ainsi à démontrer la présence de l'univers ducharmien dans trois romans de la génération x, à savoir Le souffle de l'harmattan de Sylvain Trudel, Vamp de Christian Mistral et La rage de Louis Hamelin.

Notre analyse portera sur trois éléments typiques à l'œuvre de Ducharme dont nous tenterons de trouver la trace dans les trois romans des écrivains de la génération x à l'étude: le rej et des normes dominantes, le mépris envers la société de consommation et la substitution d'un univers utopique à la réalité. Ces trois grands thèmes constituent le sujet de chacun des trois chapitres de notre mémoire. Avant de nous lancer dans l'analyse de ces trois thèmes, nous effectuerons un bref état présent des études critiques qui ont abordé le rôle tutélaire de Ducharme chez les jeunes auteurs et nous définirons le concept de génération x.

Ducharme appartient à ce que François Ricard nomme la «génération lyrique », c'est-à-dire les aînés du baby-boom, alors que la génération x est formée des cadets du baby-boom. Le conflit de générations qui oppose ces deux cohortes devrait inciter les écrivains de la génération x à détester leur aîné. En conclusion, nous

(6)

tenterons donc d'expliquer les raisons qui ont poussé ces écrivains de la génération x à prendre pour modèle Réjean Ducharme, un membre de la « génération lyrique ».

(7)

ABSTRACT

Generation X has often been defined as being without role models or inspiration. Nevertheless, it is possible to detect a sizeable amount of intertextual references in several Quebecer books written by authors of that generation. In Quebec, these young writer's influences are as distinct as they are diverse, varying from Kerouac to Hemingway and from Sartre to Camus. But concerning their Quebecer role model, one name continually returns, that of Réjean Ducharme. And whether it was inplicit or explicit, his impact is discernable throughout a significant majority of novels published between the early 80's and the middle of the 90's.

The goal of this thesis is to illustrate the presence of ducharmesque uni verse in three Generation X novels, namely Le souffle de l'harmattan by Sylvain Trudel, Vamp by Christian Mistral and La rage by Louis Hamelin. Within these novels, we will attempt to find the trail of three typical elements to Ducharme' s work: the rejection of conformity, the contempt towards a consumer society, and the substitution of a utopian uni verse for reality. These three major themes will constitute the underlying topic for each of the three chapters in this thesis. However, before we begin their analysis, a brief overview of the CUITent critical studies on Ducharme's defining role towards young writers, as weIl as a definition of the concept of Generation X, will be discussed.

According to François Ricard, Ducharme belongs to what he calls the "génération lyrique", which is the eldest baby boomers, while Generation X is composed of Baby Boom' s youngest members. Interestingly enough, one should expect such a generational conflict between these two cohorts to incite Generation X writers to despite their predecessor. Hence, this thesis will conclude with a few

(8)

tentative explanations as to why Generation X authors were so driven to choose Réjean Ducharme, a member of the "génération lyrique", to be their role model.

(9)

Introduction: État présent de la critique et concept de génération x

Depuis la parution de L'avalée des avalés en 1966, Réjean Duchanne n'a cessé de bouleverser le paysage littéraire québécois. Tant son absence sur la place publique que la force de ses personnages et de son vocabulaire lui auront valu son originalité. Quoique le visage de l'écrivain demeure une énigme depuis plus de trente ans, son œuvre s'impose comme un classique, voire un incontournable. Ses romans, surtout L'avalée des avalés, figurent d'ailleurs au programme des cours dans la majorité des collèges et universités du Québec. De nombreuses études de son œuvre ont de plus été publiées et continuent de l'être chaque année.

Par son originalité, son ironie, ses thèmes, ses personnages troublants et par sa fascination pour la langue, cet écrivain a su imposer un style et une esthétique formelle. Il est devenu l'un des maîtres de la génération qui lui a succédé. Les représentants de cette génération, à qui l'écrivain canadien-anglais Douglas Couplandl

J COUPLAND, Douglas. Generation X: tales for an accelerated culture, New York, St-Martin's Press,

(10)

a attribué le terme de génération x, n'ont jamais nié l'influence qu'a exercée Réjean Ducharme dans leur écriture. Louis Hamelin et Christian Mistral ont la même passion que Ducharme pour les mots, et les romans de Gaétan Soucy et Sylvain Trudel sont narrés par des personnages enfants. Qu'elle soit explicite ou implicite, l'influence de Réjean Ducharme est présente dans les romans de plusieurs écrivains de la génération x. Ce mémoire se proposera ainsi d'étudier l'influence de Ducharme dans trois romans publiés par des écrivains de la génération x, à savoir Vamp de Christian Mistral2, La

rage de Louis Hamelin3 et Le souffie de ['harmattan de Sylvain Trudel4.

A) État présent des études critiques

Avant d'influencer la génération qui lui a succédé, Réjean Ducharme s'est lui-même inspiré de modèles littéraires, dont Rimbaud, Nelligan et Lautréamont. Les études critiques se sont d'ailleurs longuement attardées à la présence de ces écrivains dans l'œuvre ducharmienne5• Au milieu des années 1980 apparut une génération

d'écrivains qui allait susciter un vif intérêt chez la critique savante. Ces écrivains avaient un point commun: ils appartenaient tous à la génération x. Louis Hamelin, Christian Mistral et Sylvain Trudel sont parmi les romanciers de cette génération à s'être démarqués. Depuis la parution de leur premier roman, des études et des mémoires de maîtrise ne cessent d'être publiés chaque année. Des caractéristiques que relèvent ces études, l'une revient constamment: l'influence de Réjean Ducharme chez ces écrivains. Cette partie de notre mémoire consistera donc à dresser un bilan de quelques études qui ont abordé ce sujet.

2 MISTRAL, Christian. Vamp, Montréal, Québec! Amérique, 1988,345 p.

3 HAMELIN, Louis. La rage, Montréal, Québec! Amérique, 1989,405 p.

4 TRUDEL, Sylvain. Le souffle de l'harmattan, Montréal, Quinze, 1986, 140 p.

5 Voir à ce sujet le texte de Gilles Marcotte « Réjean Ducharme lecteur de Lautréamont », Études

(11)

Le premier roman de Christian Mistral, Vamp, a eu l'effet d'une bombe dans le paysage littéraire. Dès sa publication, les articles sur ce roman se mirent à pulluler. En 1989, Jean-Roch Boivin écrivait dans Le Devoir: «Ne nous trompons pas, il n'a de ducharmien que son goût de rebaptiser les mots et continue de se faire le sujet central de son inspiration. Il ramène même les personnages de son premier roman à l'occasion par pure commodité.6» Réjean Ducharme a écrit plusieurs chansons pour Robert Charlebois et Pauline Julien. Quant à Christian Mistral, il a été parolier pour Dan Bigras et Isabelle Boulay. Une étude de Sylvain Lambert porte sùr la comparaison des chansons de Ducharme et de Mistral :

Si on compare Christian Mistral à Réjean Ducharme, on est obligé d'avouer que le second a une longueur d'avance. D'abord, Ducharme n'a pas eu besoin de vendre une image pour faire reconnaître son talent. Ensuite, en plus de ses romans acclamés par la critique journalistique et universitaire, Ducharme a écrit des chansons évocatrices dont les mots sont, en soi, une véritable «musique ». On ne peut en dire autant de Christian Mistral. Bien sûr, le répertoire de Ducharme comporte aussi des textes moins forts, et comme il en a composé davantage, il est normal que l'on puisse retrouver plus de bons textes. Seul le temps nous dira si le Mistral parolier est de la trempe d'un Réjean Ducharme.7 Les deux articles que nous venons d'évoquer ont centré leur analyse sur l'aspect linguistique. La langue a effectivement souvent constitué un point de comparaison entre Réjean Ducharme et Christian Mistral.

Les comparaisons entre Louis Hamelin et Réjean Ducharme abordent également l'aspect de la langue, mais s'étendent aussi dans d'autres sphères. En 1990, Jacques Pelletier écrivait dans un article qui allait devenir la préface de l'édition de poche de La rage en 1992 :

Ce clin d'œil [à Ducharme] ne relève pas du hasard. L'univers de Malarmé - double de Hamelin qui projette en effet sur son héros des

6 BOIVIN, Jean-Roch. «La recherche du Graal littéraire », Le Devoir, 10 juin 1989, p. D-3.

7 LAMBERT, Sylvain. «Réjean Duchanne (De L 'hiver de force à La samba des canards) et Mistral

(12)

fragments de sa biographie, ce qui n'est somme toute que normal dans un premier roman - a plus d'un point en commun avec celui de Ducharme: même valorisation du monde de l'enfance, même refus, même haine du monde adulte et de ses compromissions, même condamnation d'un univers social qui n'offre aucune perspective, aucun avenir digne d'intérêt à une jeunesse qui n'a le choix que d'adopter les normes dominantes, de se conformer ou de se retirer du monde, d'assumer la marginalité à laquelle elle est promise et

d , 8

con amnee.

Dans un numéro de la revue Lettres québécoises consacré à Réjean Ducharme, Louis Hamelin lui dédie un article dans lequel il effectue une rétrospective de son œuvre et des caractéristiques qui la composent: «Est-ce vraiment un hasard alors si, revenu sur mon bout de rang avec, dans ma mire, un coucher de soleil et les images immuables de l'hiver québécois, je me replonge dans les livres de Réjean Ducharme et les interroge de la même manière que j'aurais interrogé cet attardé tantôt.9 »

Finalement, Élisabeth Nardout-Lafarge, dans son plus récent ouvrage sur l'œuvre de Réjean Ducharme, démontre l'existence de l'univers ducharmien dans l' œuvre de quelques écrivains de la génération x, dont celle de Louis Hamelin:

De l'existence d'une catégorie littéraire ducharmienne, d'un label

Ducharme, il existe de nombreuses preuves, à commencer par le rôle tutélaire que plusieurs romanciers québécois des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix font jouer à cette œuvre en la citant implicitement ou non, en la désignant comme l'une de leurs inspirations tant sur le plan de la construction des personnages que sur celui du langage utilisé; qu'on pense, entre autres exemples, à La rage de Louis Hamelin ou à La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy. S'il s'agit chaque fois d'un Ducharme un peu différent, dont l'incorporation sert des fins esthétiques distinctes, si, comme c'est le cas dans le roman de Hamelin, les citations de Ducharme voisinent avec celles d'Aquin, une ma~iè:e Poarticulière d'être dans l'écriture est aussi reconnue, désirée et projetee.

8 PELLETIER, Jacques. «Le cri de rage d'une génération », Lettres québécoises, n° 58, été 1990, p. 15. 9 HAMELIN, Louis. «Réjean Ducharme: prix Athanase-David 1994 », Lettres québécoises, nO 77, printemps 1995, p. 7.

10 NARDOUT-LAFARGE, Élisabeth. Réjean Ducharme: une poétique du débris, Saint-Laurent, Fides,

(13)

Depuis le milieu des années 1990, quelques mémoires portent sur les romans et les écrivains de la génération x, mais aucune thèse de doctorat n'a encore été publiée. Louis Soulard, qui a consacré sa recherche à la présence de la génération x dans le roman québécois, affirme que l'influence de Ducharme chez Louis Hamelin est flagrante: «L'influence de Réjean Ducharme, l'aîné baby-boomer de Louis Hamelin, est à cet égard [la langue] manifeste. Le langage comme substitut au réel est aussi présent, de même que le rapport simultané d'attirance et de méfiance envers les mots. 1 1 » En 2002, Maude Laparé de l'université de Montréal a déposé un mémoire de maîtrise intitulé L'inscription du littéraire dans Vamp de Christian Mistral et La rage de Louis HamelinI2. Une partie de ce mémoire est consacrée à l'influence de

Ducharme chez ces deux écrivains: «Au-delà des nombreuses références qui ont été analysées, il Y a une œuvre qui transcende les mentions épisodiques et qui se profile derrière les romans de ces deux auteurs dans leur totalité, c'est celle de Réjean Ducharme. I3 » L'auteur a notamment décelé dans les romans de Christian Mistral et de Louis Hamelin un rapprochement linguistique et thématique avec l' œuvre de Ducharme. Plusieurs thèmes typiquement ducharmiens sont effectivement présents dans ces deux romans: la figure du marginal, la réclusion dans la nature et l'image de l'écrivain qui rejette les conventions littéraires.

Jusqu'à ce jour, aucune étude portant sur Le souffle de l'harmattan de Sylvain

Trudel n'a évoqué l'influence de Réjean Ducharme dans cette œuvre. Il n'en demeure pas moins que la présence de Ducharme reste explicite, surtout au niveau du narrateur, un jeune adolescent qui valorise la pureté de l'enfance et qui déteste l'adulte autant

Il SOULARD, Louis. La «génération x» dans le roman québécois actuel, Mémoire de maîtrise,

Université McGill, 1995, p. 142.

12 LAPARÉ, Maude. L'inscription du littéraire dans Vamp de Christian Mistral et La rage de Louis

Hamelin, Mémoire de maîtrise, Université de Montréal, 2002, 122 f.

(14)

que les personnages de Duchanne. L'introduction de cette œuvre dans notre corpus s'avère donc intéressante, puisque nous n'avons aucun repère sur lequel nous appuyer.

Ce bref résumé des diverses critiques qui ont abordé la question du rôle tutélaire de Réjean Duchanne dans les romans de la génération x nous a pennis de constater l'importance qu'a eue Duchanne chez ces écrivains. Même si plusieurs études ont mentionné cet élément, aucune n'a encore été entièrement consacrée à ce sujet. Notre mémoire sera donc construit en fonction des éléments et des thèmes qui sont le plus souvent ressortis dans ces études, à savoir le rejet des nonnes dominantes, la haine de la société de consommation et le devoir de dénaturer la réalité.

Pour démontrer l'influence de Réjean Duchanne chez les écrivains de la génération x, seuls les six premiers romans de Réjean Duchanne seront retenus, c'est-à-dire L'avalée des avalés14, Le nez qui voque15, L'océantume16, Lafille de Christophe

C o om 1 b17 , L 'h . lver e oree et d

fi

18 Le s en jan tomes. ,1: A 19 Le s trOIS emlers romans pu les a . d . bl" , partir de 1990, les pièces de théâtre, les chansons et les scénarios de films de Duchanne furent exclus pour trois raisons. En premier lieu, nous devions circonscrire notre corpus primaire, compte tenu des dimensions réduites d'un mémoire de maîtrise. D'autre part, nous désirions limiter notre comparaison à un seul genre littéraire, le roman. Puisque les œuvres des écrivains de la générations x sélectionnés sont des romans, nous avons décidé de ne retenir que les romans de Duchanne. Enfin, les romans des écrivains de la génération x de notre corpus ont été publiés entre 1986 et

14 DUCHARME, Réjean. L'avalée des avalés, Paris, Gallimard, 1966,281 p.

15 DUCHARME, Réjean. Le nez qui voque, Paris, Gallimard, 1967,274 p.

16 DUCHARME, Réjean. L'océantume, Paris, Gallimard, 1968, 189 p.

17 DUCHARME, Réjean. La fille de Christophe Colomb, Paris, Gallimard, 1969,232 p. 18 DUCHARME, Réjean. L'hiver de force, Paris, Gallimard, 1973, 282 p.

(15)

1989, donc avant la parution de Dévadio, Va savoi/1 et Gros moti2• Il est ainsi exclu

que ces trois romans de Duchanne aient eu une influence chez nos écrivains de la génération x. Dans un autre ordre d'idées, les parties de nos chapitres ne feront pas appel à tous les romans simultanément. Seuls les romans dans lesquels la caractéristique ou le thème est le plus évident seront utilisés. Par exemple, les trois premiers romans de Duchanne seront davantage étudiés dans le premier chapitre, alors que le deuxième chapitre mettra surtout Le nez qui vaque et L'hiver de force à l'avant-plan. Cette comparaison s'effectuera à partir de trois romans appartenant à des écrivains de la génération x, à savoir Le souffle de ['harmattan de Sylvain Trudel, Vamp de Christian Mistral et La rage de Louis Hamelin. Le choix de ces trois

romanciers s'est fait en tenant compte de leurs dates de naissance. En effet, les individus de la génération x sont nés entre 1958 et 1969. Nous devions donc nous assurer que ces écrivains appartenaient réellement à cette génération. Louis Hamelin (1959), Christian Mistral (1964) et Sylvain Trudel (1963) se situent donc à l'intérieur des balises de la génération x. Les auteurs sélectionnés, et surtout leurs romans, ont de plus tous été comparés à Réjean Duchanne par la critique savante, qui souligne plusieurs aspects duchanniens présents dans ces œuvres: narration effectuée par des enfants, invention verbale, refus de devenir adulte, refus du pouvoir, quête d'un paradis absolu. L'un des aspects intéressants dans le choix de ces trois romans réside aussi dans leurs dates de parution. En effet, les trois romans ont été publiés à quelques années d'intervalle, à savoir 1986 (Le souffle de l'harmattan), 1988 (Vamp) et 1989 (La rage). Mais avant d'entreprendre notre analyse, il nous apparaît nécessaire de

20 DUCHARME. Réjean. Dévadé, Paris, Gallimard / Lacombe, 1990,257 p.

21 DUCHARME. Réjean. Va savoir, Paris, Gallimard, 1994,266 p.

(16)

définir le concept de génération x, une génération que nous analyserons en fonction de la génération précédente, la génération lyrique23 à laquelle appartient Réjean Ducharme.

B) Génération lyrique et génération x

Selon David K. Fooe4, la génération du baby-boom se divise en deux

sous-groupes, à savoir les baby-boomers du début, aussi nommée la génération lyrique, et la génération x. François Ricard soutient que la génération lyrique ne correspond pas à l'ensemble du baby-boom, mais aux premières cohortes de ce mouvement, soit aux individus nés pendant la Deuxième Guerre mondiale et l'immédiat après-guerre. Les balises de cette cohorte s'étendent ainsi du début des années 1940 jusqu'en 1945-1946. Les balises de la génération x sont cependant plus difficiles à circonscrire, vu les innombrables divergences d'opinion entre les théoriciens. Tous sont en accord pour situer le début de la génération x vers 1958-1959, mais sa fin reste indéterminée. Louis Soulard25 soutient que les derniers-nés de cette génération auraient vu le jour en 1974, tandis que François Ricard et David K. Foot situent les dernières naissances vers le milieu des années 1960. Cette incertitude concernant les balises de la génération x est peu surprenante, puisque David K. Foot mentionne que même les journalistes et les chercheurs de Statistiques Canada confondent la génération x avec le «baby-bu st », dont les membres sont nés à partir de la fin des années 1960 jusqu'à 1980 : « Certains auteurs sont tellement à côté de leurs pompes qu'ils semblent croire que la génération X correspond aux enfants des baby-boomers. C'est faux. La plupart

23 Terme employé par François Ricard dans La génération lyrique: essai sur la vie et l'œuvre des

premiers-nés du baby-boom, Montréal, Boréal, 1992,282 p.

24 FOOT, David K. Boom, Bust & Echo 2000, Toronto, Footwork Consulting inc. , 1998,245 p. [aussi

en traduction française: Entre le Boom et l'Écho 2000, Montréal, Boréal, 1999,387 p.

(17)

des baby-boomers n'étaient pas encore assez vieux pour avoir des enfants quand est apparue la génération X?6» Ainsi, pour clarifier ces doutes, nous étudierons les caractéristiques de chaque sous-groupe qui compose le baby-boom.

Quoiqu'elles fassent partie du baby-boom, ces deux générations sont opposées à plusieurs égards. En effet, arrivée la première, la génération lyrique a bénéficié d'un traitement privilégié. La nouvelle jeunesse doit normalement s'adapter à la société et tenter d'y trouver sa place. Or, de par son nombre imposant, c'est plutôt la société qui a dû s'adapter à cette génération. La majorité des infrastructures mises en place par l'État pendant la Révolution tranquille étaient organisées en fonction de la génération lyrique, tant au niveau politique, économique que culturel. L'aspect quantitatif de la génération lyrique est l'une des raisons qui explique cette prise de commande de la société. Un second facteur définit cette cohorte, à savoir la rupture qu'elle a accomplie avec la tradition et les valeurs passées. Les aînés du baby-boom rejetteront l'héritage culturel et idéologique de leurs parents par refus de s'identifier à eux. En rejetant ainsi le passé, la génération lyrique se retrouve devant un avenir où tout est possible. Cette rupture est liée au contexte de la Révolution tranquille et à l'idée de recommencement véhiculée par celle-ci :« Dans la conscience sociale, sinon dans la réalité, c'est comme si l'histoire du Québec, tout à coup, se cassait en deux et que, sur un monde ancien, épuisé d'avoir si longtemps survécu, s'en élevait subitement un autre, éclatant de fraîcheur et d'énergie, neuf, moderne, miraculeux.27» Les jeunes de la génération lyrique seront donc les principaux acteurs dans la construction de cette nouvelle conception du monde moderne. Cette prise de commande de la société par les membres de la génération lyrique n'est pas sans effets. François Ricard affirme que

26 D. K. FOOT. op. cil., p. 38-39.

(18)

«l'effet baby-boom » aura entraîné un «bouleversement général de l'équilibre social, des mentalités, des modes de vie et des conditions mêmes de l'existence que vont favoriser le rajeunissement subit de la population et l'arrivée massive de la nouvelle génération sur la scène politique.28»

La participation active de la génération lyrique influence toutes les sphères de la société. Cependant, ceux qui vont le plus souffrir de cette emprise sont sans aucun doute la génération précédente, leurs parents, et la génération qui va leur succéder, c'est-à-dire la génération x. Ayant traversé la crise économique des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, les parents des membres de la génération lyrique avaient l'habitude de ne rien attendre de la vie. Ayant vécu dans la pauvreté et le désordre des champs de bataille, ils ne voulaient rien d'autre pour leur enfants qu'un avenir prospère. Ils désiraient donner le meilleur des mondes à leurs enfants, un monde nouveau et optimiste. Ils est donc peu surprenant qu'ils n'aient jamais désiré transmettre leur passé à leurs enfants. François Ricard affirme que la rupture avec le passé était planifiée par les gens de la Crise, mais jamais ils n'auraient cru que la corde allait être cassée aussi radicalement:

Pour eux, l'époque qui commençait ne devait rien avoir de commun avec la crise et la guerre ni avec le passé plus ancien. Et je veux croire que c'est le besoin de faire advenir ce monde nouveau, c'est-à-dire la volonté d'un changement et non celle de perpétuer quoi que ce soit, qui les a ~~ussés à faire naître des enfants en si grand nombre et sans tarder.

Quant aux membres de la génération x, ils n'ont pu bénéficier des même avantages que leurs aînés. Beaucoup moins nombreux, les seconds violons du baby-boom ont dû se contenter des restes que leur ont laissés leurs aînés. À la fin des années 1970 et au

28 F. RICARD. op. cil., p. 49.

(19)

début des années 1980, lorsqu'ils ont atteint l'âge adulte, les jeunes appartenant à la génération x se sont alors butés à un marché de l'emploi saturé, à une société bloquée et à des conditions de vie qui frôlent la pauvreté. En effet, la génération lyrique, dont les membres étaient alors âgés de trente et quarante ans, avait précédemment imposé ses normes sur les plans économique, politique et social. En somme, même s'ils forment la vaste cohorte du baby-boom, ces deux sous-groupes n'ont pratiquement rien en commun. Pour définir la génération x, nous devrons inévitablement l'analyser en fonction de la génération lyrique, puisque les problèmes de la génération x sont en quelque sorte causés par leurs aînés. Pour ce faire, notre analyse s'effectuera à partir de trois thèmes, à savoir la politique, l'économie et l'insertion sociale3o.

Le premier élément comparatif entre la génération lyrique et leurs cadets, la génération x, concerne la question politique. Les premiers-nés du baby-boom ont bénéficié d'un climat politique bouillonnant. Désireux de rompre avec la tradition, leurs élans politiques auront pour visée les élites traditionnelles, comme l'Église, la famille et le gouvernement, qui aura été, jusqu'en 1959, mené par un Duplessis avide de conservatisme et de traditionalisme. La Révolution tranquille, qui débute au moment de la mort de Duplessis en 1959, marque donc une coupure avec le passé et les valeurs traditionnelles. Le climat idéologique de la Révolution tranquille, orienté vers l'idée de nouveau départ, annonçait donc un avenir prometteur. Sur le plan politique, les aînés du baby-boom allaient être les acteurs principaux de plusieurs événements marquants de l 'histoire du Québec. Les grèves, les manifestations et les conflits avec les autorités se succédaient. De façon générale, ces manifestations se déroulaient dans le calme, mais elles pouvaient parfois tourner au drame. L'exemple

30 Pour définir la génération lyrique et la génération x, nous nous référerons au mémoire de maîtrise de

(20)

le plus significatif est sans aucun doute la Crise d'octobre de 1970, pendant laquelle un ministre fut assassiné. Pierre Elliott Trudeau, Premier ministre du Canada, dut faire appel à la Loi des mesures de guerre. La ville de Montréal fut envahie par l'armée et de nombreuses arrestations, parfois injustifiées, furent effectuées. Le climat politique de cette période était surtout orienté vers le nationalisme. En 1980, le mouvement nationaliste s'effrite avec l'échec du référendum. Jumelée à la crise économique du début des années 1980, la chute du nationalisme entraîne la désillusion politique chez les membres de la génération lyrique. Une certaine morosité s'est installée, et l'esprit de groupe qui caractérisait la génération lyrique fit place à l'individualisme.

Lors du référendum de 1980, les premiers-nés de la génération x étaient âgés de vingt et un ans. Ils ont certes eu le droit de vote, mais n'ont pas participé aussi activement que leurs aînés à la vague nationaliste qui a précédé le référendum. La désillusion provoquée par la chute du nationalisme s'est donc moins fait ressentir chez les membres de la génération x que chez leurs aînés. Le climat politique qui entoure la génération x relève surtout des deux crises économiques qui toucheront le Québec pendant les années 1980. Cette situation économique laisse entrevoir un avenir difficile pour la relève. La désillusion nationaliste et la crise économique seront à l'origine d'un nouveau conflit de générations entre les aînés et les cadets du baby-boom. La génération x reprochera notamment à ses prédécesseurs de lui avoir légué un État instable et endetté.

Suite à la désillusion politique des années 1980, la solidarité nationaliste sera remplacée par un individualisme accru chez les membres de la génération x. Ce repli sur soi sera causé non moins par les échecs du mouvement nationaliste et de l'État providence que par la dette que ces structures ont laissée derrière elles. Les programmes sociaux sont en effet mal structurés et gérés. La génération x voit les

(21)

dépenses dans les secteurs de l'éducation et de la santé diminuer, tandis que les résidences pour personnes retraitées se multiplient. Même avec l'arrivée d'une nouvelle génération jeune et pleine de possibilités, la société continue de se construire autour de la génération lyrique. Cette situation prouve aux membres de la génération x qu'ils ne peuvent compter sur l'appui de leur gouvernement. Tant que la génération lyrique n'aura pas complètement disparu, la génération x (ainsi que les générations ultérieures) sera laissée à elle-même. Pour survivre dans un système politique construit en fonction de leurs aînés, les individus appartenant à la génération x ne peuvent se fier qu'à eux-mêmes. En somme, la génération lyrique et la génération x sont méfiantes envers le système politique actuel. Ce qui les distingue, c'est que l'une est la cause de cette désillusion tandis que l'autre en subit les effets.

L'économie représente le second aspect conflictuel entre les deux sous-groupes du baby-boom, surtout en ce qui concerne l'emploi et les conditions de vie. Les membres de la génération x sont arrivés sur le marché du travail à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ils ont malheureusement dû faire face à un marché de l'emploi saturé et précaire, puisque leurs aînés s'étaient accaparés les meilleurs emplois quelques années auparavant. En effet, la génération lyrique a bénéficié d'un marché du travail prospère. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les emplois de haut niveau se sont multipliés. Arrivée la première, la génération lyrique a pu profiter de cette prospérité économique. Les emplois de haut niveau se multipliaient et le syndicalisme fit son apparition, ce qui permit aux membres de cette génération d'obtenir plusieurs avantages, dont la sécurité d'emploi et les conventions collectives. Ils pouvaient aussi quitter leur emploi en tout temps, puisqu'ils savaient qu'ils pouvaient en trouver un autre sans difficulté.

(22)

La situation économique pour les membres de la génération x fut totalement différente. Seconds violons du baby-boom, les cadets de cette vaste cohorte ont hérité d'un marché de l'emploi presque saturé et de conditions de vie difficiles, puisque leurs aînés avaient saisi tous les emplois de haut niveau disponibles. Même s'ils possèdent une solide formation académique, les membres de la génération x ne sont pas assurés de trouver un emploi relié à leur domaine d'études. En effet, dans les années 1980, alors qu'ils terminent leurs études, les nouveaux diplômés sont confrontés à un critère d'embauche supplémentaire, l'expérience. Les membres de la génération lyrique sont donc favorisés puisqu'ils possèdent, en plus de leur formation universitaire, une expérience de travail que leurs cadets n'ont pas pu acquérir. Le marché de l'emploi favorise ainsi les travailleurs plus âgés, même s'ils sont moins scolarisés que les jeunes diplômés. Cette situation crée un sentiment de frustration chez les membres de la génération x, car même s'ils possèdent les aptitudes nécessaires pour l'obtention d'un emploi de haut niveau, ils sont conscients qu'ils seront contraints à occuper des emplois moins bien rémunérés: « [ ... ] les enfants de la fin du baby-boom gagnent 1

°

% de moins que leur père au même âge, alors que les enfants nés au début gagnent 30

% de p1US.31 » Ces emplois sont exempts d'avantages syndicaux, souvent à contrat ou à temps partiel. Quant à leurs aînés, ils occupent des postes protégés par la sécurité d'emploi, ce qui leur assure souvent un emploi à vie. Les membres de la génération x n'ont pas cette chance. Rares sont les jeunes qui garderont un emploi toute leur vie. Certains passent d'un emploi à l'autre, alors que d'autres sont forcés de recourir aux services sociaux dont l'assurance-chômage ou le bien-être social.

La situation économique des membres de la génération x les incite à privilégier le moment présent. Leur situation financière difficile reflète leur mode de vie et leurs

(23)

aspirations. Pour certains, leur faible revenu ne leur pennet de satisfaire que les besoins essentiels (nourriture, logement, vêtement, transport ). D'autres délaissent au contraire les obligations au profit des loisirs. Leur salaire leur sert ainsi à se payer une soirée dans une discothèque ou de la drogue. Peu importe l'usage qu'ils font de leur argent, les membres de la génération x n'ont qu'une aspiration en tête: survivre. Leurs aînés pouvaient croire en un avenir riche et prospère, puisque la Révolution tranquille leur a pennis d'avoir de grandes aspirations. Le slogan de la génération lyrique est d'ailleurs Sky is the limit (tout est possible ). En abolissant le passé, les valeurs et les traditions anciennes, les aînés du baby-boom pouvaient désonnais croire en un avenir sans limites. Rares sont les membres de cette génération qui ne possèdent pas leur bungalow en banlieue, leur voiture de l'année et leurs deux enfants. La génération lyrique pouvait croire à la famille et au travail, car aucune barrière ne venait bloquer leurs projets de vie. La vision de l'avenir de leurs cadets est cependant totalement opposée. Ils ne croient pas en l'avenir, et c'est pour cette raison que leurs projets de vie en sont affectés. Ils tardent à quitter le noyau familial, à se marier, à fonder une famille, à acheter leur première maison. Ils aimeraient accéder à ces valeurs de la société, mais leur situation financière ne le leur pennet pas.

La relation générationnelle entre la génération lyrique et la génération x n'est guère plus prometteuse sur le plan social. De par leur nombre, les aînés du baby-boom ont su se faire entendre et faire respecter leur présence. La société était désonnais contrôlée par cette vaste cohorte et se pliait à ses attentes. Plusieurs programmes sociaux et gouvernementaux furent instaurés pour satisfaire aux besoins de ces jeunes qui allaient tenir les rênes de la société. Ils ont pu profiter des réfonnes de l'éducation et de la santé, de l'État Providence, d'un syndicalisme militant et de l'essor des moyens de communications. La plupart des nouveaux services gouvernementaux et

(24)

culturels devaient répondre aux exigences de la génération lyrique. Cette génération était de plus solidaire. Leurs aînés ont souvent critiqué leur narcissisme, mais il s'agissait d'un narcissisme collectif: « Le repli sur soi, la contemplation et la jouissance de sa propre image sont ici le fait non de l'individu mais du groupe, non de chaque sujet en particulier mais de l'ensemble qu'ils forment, homogène, innombrable, se sentant à la fois distinct de tous les autres et seul dans le monde.32»

La génération lyrique, contrairement à celle de leurs cadets, n'a eu aucune difficulté à s'intégrer à la société, puisque cette dernière était construite en fonction de ses besoins.

Les jeunes de la génération x ne s'intègrent toutefois pas à la société avec autant de facilité. Certains y parviendront, mais la plupart des membres de cette génération se révolteront contre le système social. Sur le rapport entre générations, Tony Anatrella soutient:

Une société qui transmet mal le savoir, le savoir-faire, les codes et rites sociaux, le sens des fêtes et une spiritualité est en danger de mort. TI est à craindre que la société ne présente un message court et superficiel sur la vie, quand ce n'est pas une incapacité à transmettre quoi que ce soit. L'attitude incertaine de nombreux adultes sans références précises, sans stabilité personnelle et sans maturité affective leur a donné l'idée de se reposer sur les jeunes ou leur a laissé croire que ceux-ci pouvaient se débrouiller seuls ou encore mieux sans les adultes sous couvert d'autonomie.33

La société dans laquelle doivent évoluer les membres de la génération x est sans assises. Ayant rompu avec les valeurs traditionnelles, les aînés du baby-boom n'ont plus aucun repère patriotique et ne peuvent donc pas transmettre leur culture aux générations suivantes. La génération x doit donc se débrouiller seule et trouver ses

32 F. RICARD. op.cit., p. 150.

33 ANATRELLA, Tony. Interminables adolescences. Les 20130ans, Paris, Éditions du Cerf et Éditions

(25)

propres repères. L'insertion sociale de la génération x se fait donc souvent par le biais de la drogue, de l'alcool, de la délinquance et de la spiritualité. Les cadets du baby-boom sont aussi considérés comme étant narcissiques. La génération x doit sans cesse se battre pour pouvoir accéder à la société et cette bataille s'effectue de façon solitaire et compétitive. Cette génération est aussi reconnue pour son refus des responsabilités. Les cadets du baby-boom préfèrent fuir les événements qui requièrent des responsabilités plutôt que de les affronter. Il s'agit d'un mode de survie pour les personnes plus fragiles et qui ont de la difficulté à surmonter un événement menaçant.

À cause de leur plus petit nombre, les cadets du baby-boom ont été écrasés par leurs aînés qui étaient de loin plus nombreux. Au lieu de s'insérer dans la société forgée en fonction de ces derniers, plusieurs membres de la génération x préfèrent se replier sur eux-mêmes et agissent comme s'ils étaient seuls sur terre.

Les membres de la génération x s'inscrivent difficilement dans l'univers social construit par leurs aînés. Jacques Lazure34 caractérise l'insertion sociale de ces jeunes selon six modes de vie. Le premier, l'intégration à la société adulte, témoigne de la volonté des jeunes d'accepter la société et ses valeurs et de tenter de se tailler une place dans cet univers social géré par le monde adulte. Le second mode de vie implique une lutte sociale constante. Le jeune conteste le fonctionnement de la société et fonde ses propres valeurs. Vient ensuite l'étape de la marginalisation « autonomisante ». Ce mode de vie implique aussi un refus des valeurs, des normes et des structures adultes, mais cette lutte se fait surtout sur le plan personnel. L'individu tente de changer son style de vie et cherche à «s'autonomiser» par des pratiques marginales et alternatives. Le quatrième mode de vie, la délinquance, implique une

34 LAZURE, Jacques. « Les modes de vie des jeunes» dans Dumont, Fernand. Une société des jeunes?

(26)

contestation des valeurs et des normes de la société par l'emploi de divers moyens d'action qui vont à l'encontre des lois prescrites. La recherche du plaisir représente le cinquième mode de vie. Les jeunes dépensent leurs énergies pour les loisirs et les sensations fortes, sans se soucier de la préparation à la vie adulte. Enfin, la « victimisation » sociale caractérise les jeunes qui sont exclus du courant normal de la société, qui ne parviennent pas à s'intégrer à la société. Ces jeunes se perçoivent alors comme des victimes de la société. Ces six modes de vie se regroupent en trois grandes catégories: l'acceptation de la société (l'intégration à la société adulte), son refus (la lutte sociale, la marginalisation «autonomisante » et la délinquance) et l'indifférence (la recherche du plaisir et la « victimisation » sociale).

La description du conflit générationnel entre la génération lyrique et la génération x nous permet de constater les divergences de valeurs entre ces deux générations. Les cadets ne seront donc pas portés à s'appuyer sur leurs aînés. Ils iront plutôt chercher leurs influences chez leurs pairs et la génération de la Crise, représentée par leurs grands-parents. La problématique de ce mémoire consiste ainsi à comprendre les raisons qui ont poussé les écrivains de la génération x à prendre pour modèle un membre de la génération lyrique (Réjean Ducharme). Né en 1941, Ducharme fait effectivement partie des aînés du baby-boom, puisque, comme nous l'avons mentionné précédemment, cette génération se compose des individus nés pendant la guerre et l'immédiat après-guerre. Étant associé aux aînés du baby-boom, Ducharme devrait par conséquent être détesté par les membres de la génération x. Ce mémoire nous amènera à constater que même s'il appartient à la génération lyrique, Ducharme a effectivement influencé certains romanciers de la génération x.

(27)

Chapitre 1 : Le refus de se conformer aux normes dominantes

La contestation des institutions figure l'un des thèmes dominants dans l'œuvre romanesque de Ducharme et dans les trois romans des écrivains de la génération x de notre corpus. En effet, la totalité des personnages des romans à l'étude refusent de s'intégrer à la société et d'adhérer aux valeurs qu'elle véhicule. Chez Ducharme, ce refus se caractérise par la valorisation du monde de l'enfance et de l'adolescence et par le rejet de la société.

A) La valorisation du monde de l'enfance et de l'adolescence

L'enfance constitue un thème récurrent dans la littérature québécoise. Une

saison dans la vie d'Emmanuel de Marie-Claire Blais35 , Les chroniques du Plateau

Mont-Royal de Michel Tremblal6, Rue Deschambault de Gabrielle Rol7 et Le

35 BLAIS, Marie-Claire. Une saison dans la vie d'Emmanuel, Montréal, Éditions du jour, 1965, 128 p. 36 TREMBLAY, Michel. Chroniques du Plateau Mont-Royal, Montréal, Leméac, 2000, 1171 p. 37 ROY, Gabrielle. Rue Deschambault, Montréal, Librairie Beauchemin, 1955,260 p.

(28)

torrent de Anne Hébert38 ne sont que quelques exemples qui pennettent de démontrer l'ampleur de la figure de l'enfance dans notre littérature. Même s'il fut abondamment exploité, ce thème reste toutefois « attaché à l'univers de Duchanne plus qu'à celui de Ferron ou de Blais, au point de faire partie de la signature duchannienne39.» De Bérénice Einberg à Vincent Falardeau, les personnages de Ducharme fuient le monde des adultes. C'est pourquoi les narrateurs sont personnifiés par des adolescents qui prétendent n'avoir que huit ans ou par de jeunes adultes qui refusent de vieillir et de se responsabiliser. Ce thème est aussi présent dans les romans des écrivains de la génération x à l'étude. Hugues et Habéké, personnages du Souffle de l'harmattan, vivent dans un monde fabriqué à l'image de l'enfant dans lequel s'enchevêtrent jeux et langage imaginaires. Dans La rage et Vamp, les héros sont âgés entre vingt et vingt-cmq ans, maIS agissent comme des adolescents attardés qui repoussent catégoriquement leur entrée dans le monde adulte. La valorisation de l'enfance et de l'adolescence dans les romans de notre corpus se manifeste de deux façons : la quête d'un idéal de pureté et la haine de l'adulte.

1) La quête d'un idéal de pureté

La majorité des romans de Ducharme présente une dichotomie entre la pureté de l'enfance et la saleté de l'adulte. L'enfant représente la chasteté, la naïveté, la perfection, la simplicité et l'imaginaire. Quant au monde adulte, il est associé au sexe, à la société de consommation et au vice. Mille Milles fournit une définition qui résume la vision des mondes de l'enfance et de l'adulte que partagent plusieurs personnages duchanniens: <<L'enfant et l'innocence me sont beaux jusqu'aux lannes;

38 HÉBERT, Anne. Le torrent, Paris, Éditions du Seuil, 1963,206 p.

39 ' .

(29)

la maturité, l'achat, la vente, la clientèle et les sexes me sont laids jusqu'au dégoût, jusqu'au désespoir.» (NV, p. 197) Les trois premiers romans de Réjean Ducharme, à savoir L'avalée des avalés, Le nez qui voque et L'océantume forment une «tripartite40» centrée sur le cheminement de l'être humain: l'enfance (la formation d'un idéal), la jeunesse (la tentative de le réaliser) et l'âge adulte (son échec). Bérénice, Mille Milles et Iode caressent tous les trois l'idéal de ne jamais se laisser souiller par le monde extérieur, et ainsi atteindre un état de pureté inconditionnel.

Les trois premiers romans de Ducharme débutent au moment où les jeunes protagonistes tentent de réaliser leur idéal. Comme dans un conté!, les narrateurs devront affronter de puissants ennemis et s'allier à quelques adjuvants qui les aideront à atteindre leur quête de pureté absolue. L'ennemi à abattre, chez Ducharme, est incarné par le temps, puisqu'il «définit l'adulte42.>> À l'aube de leur entrée dans le monde adulte, ces trois héros se réfugient donc dans le monde de l'enfance pour éviter d'être rattrapés par le temps: «Le temps serrait mon visage avec ses mains, serrait mes mains avec les siennes. L'air était dur comme de l'eau. J'écoutais mon être s'enfoncer dedans et le fendre.» (Oc, p. 20) Chez Ducharme, c'est la découverte de la sexualité, un comportement typique de l'adulte, qui marque la coupure décisive entre l'enfance et l'âge adulte. L'adolescence est une période particulièrement difficile pour ces personnages. C'est lors de son exil à New York que Bérénice prendra réellement connaissance de sa sexualité et sentira le besoin de «monter la garde devant [son] enfance. » (AA, p. 165) Pendant ce voyage, Bérénice voit son corps changer:

40 MARCATO-FALZONI, Franca. Du mythe au roman,' une trilogie ducharmienne, Montréal, VLB

éditeur, p. 12.

41 Selon Gilles Marcotte dans «Réjean Ducharme contre Blasey B1asey », dans Le roman à ['impaifait,

p. 61, L'océantume s'apparente à un« roman de la quête, [un] roman de chevalerie. »D'où le parallèle que nous effectuons avec le schéma actantiel de Greimas.

(30)

J'apprends, lors d'une conférence présidée à l'école par un psychiatre éminent, qu'une vierge c'est quelqu'un comme moi. J'apprends également que j'ai une sorte de petit sexe masculin appelé clitoris, que si je le manipule systématiquement je me masturbe, que si l'opération est couronnée de succès j'éprouve une sorte de ténesme appelé orgasme. (AA, p. 171)

Tout comme Mille Milles, Bérénice affectionne aussi les romans dits pornographiques. Ces romans sont toutefois moins méprisés par Bérénice que par Mille Milles. Bérénice apprécie ce type de littérature pour son « statut marginal, [son] exclusion du canon littéraire43.» Désormais adolescente, la lecture de romans pornographiques lui permet aussi de comprendre le mécanisme biologique de l'être humain: «Ce qui veut dire, je pense, que Chamomor est prête à recoucher avec Einberg pour remettre la main sur sa sainte famille. Je n'aurais jamais compris ça si je n'avais jamais lu de livres pornographiques. » (AA, p. 170) Le narrateur du Nez qui vaque perçoit cependant le sexe comme la fin de l'enfance plus que tout autre

personnage de Ducharme. Après la lecture d'un «livre sexuel» (NV, p. 13), Mille Milles affirme qu'il se sent sale. Cette impression de saleté s'accentuera lorsqu'il commencera à ressentir du désir envers son amie Chateaugué :

Je n'aime plus cela, lire. Par le premier livre que j'ai lu, j'ai été bouleversé. À l'intérieur de ce livre, une femme déboutonnait sa blouse. La blouse déboutonnée, Chateaugué lit. Chateaugué est en train de lire la blouse déboutonnée. Sa blouse déboutonnée me rappelle la blouse déboutonnée qu'il y avait dans le premier livre que j'ai lu. (NV, p.56)

Le sexuel, qu'il soit accepté ou méprisé, contrevient au projet de pureté des personnages, car il les rend infects et précipite leur entrée dans le monde adulte.

Pour échapper à leur imminente entrée dans le monde adulte, les protagonistes se jumellent à des personnages qui incarnent la pureté et qui ont pour mission de

C • .

(31)

veiller sur leur enfance. Ainsi, Constance Chlore, Chateaugué et Asie Azothe représentent les alliées respectives de Bérénice, Mille Milles et Iode. Dans L'avalée des avalés, Constance Chlore est chargée de faire le guet sur l'enfance de Bérénice:

«Il faut qu'elle [Constance Chlore] reste pour veiller sur cette nuit comme je veille cette nuit sur elle, pour monter la garde devant notre enfance.» (AA, p. 164) Chateaugué exerce aussi un rôle protecteur: «Il faut qu'il y ait quelqu'un avec moi l'enfant, quelqu'un qui le garde; qui le protège du tragique du monde, qui est ridicule et qui rend ridicule.» (NV, p. 9) Les noms des alliées sont aussi associés à la blancheur et à la pureté. Comme le mentionne Gilles Marcotte, l'azote «est un gaz incolore, inodore et chimiquement inactif », tandis que le chlore possède des «propriétés décolorantes et antiseptiques connues44». Quant à Chateaugué, son nom est lié au passé historique du Québec et représente donc «le passé des origines, "l'aventure" de reconstruction fabuleuse d'un avenir imaginaire45». Le nom de Chateaugué renvoie ainsi à la pureté par son rapprochement aux origines.

Dans La rage et Le souffle de l'harmattan, l'idéal de pureté que visent les

personnages est aussi en rapport avec le retour aux origines. Dans La rage, Malarmé

tente effectivement un retour aux origines en imitant le comportement primitif du renard. Refusant d'entrer dans le monde adulte et d'assumer ses responsabilités, Malarmé choisit de régresser et de retourner aux racines premières de l'humain, c'est-à-dire à son état animal. Le désir de ressembler au renard apparaît dès son enfance, alors que son totem chez les scouts est représenté par cet animal : «Le renard, c'est mon totem. Quand j'étais plus jeune, chez les scouts, c'est cet animal que j'avais choisi entre toutes les bêtes. Et comme, à l'instar de bien d'autres enfants, je rêvais de

44 G. MARCOTTE. op. cit., p. 66.

(32)

devenir pilote, j'ai voulu me faire appeler Renard-des-Airs. » (R, p. 18) L'admiration de Malarmé pour le renard est comparable à un culte religieux: «Moi, c'est le renard qui est ma religion. C'est le renard qui est mon christ à crucifier. Et je renaude au lieu de prier. » (R, p. 251) Malarmé ressent une telle proximité avec le renard qu'il prétend posséder un odorat et un instinct aussi développés que ceux de cet animal: «Ton nez est un signe qui changera la face de la terre. Il a un destin, il fend l'air comme la proue d'un navire de guerre. » (R, p. 35) Mais contrairement aux personnages de Ducharme qui échouent dans leur quête utopique, Malarmé atteindra son idéal de pureté lorsqu'il sera mordu par un renard qui a vraisemblablement la rage46, une maladie «aussi

ancienne que l'histoire de l'humanité» (R, p. 137). Après avoir tué le renard qui l'a mordu, Malarmé ressent les mêmes émotions qu'un nouveau-né qui naît dans toute sa pureté et qui n'a pas encore été souillé par le monde: «Je ne pensais plus à rien, je ne respirais plus, comme en ce jour lointain de ma naissance, mon premier séjour dans l'apnée du blues dont toute cette mélancolie cannabique ne constitue qu'un succédané. » (R, p. 280)

Hugues et Habéké sont aussi obsédés par la quête de leurs origines. Leur idéal de pureté consistera donc à préserver leurs racines et à résister à la dénaturalisation. Né en Afrique, mais adopté par un couple québécois, Habéké ne s'est pas laissé assimiler. Selon Hugues, Habéké est « le plus intelligent de tous» (SH, p. 9), car il est resté fidèle à ses origines: «Mais Habéké a résisté à tout parce que, malgré les déformations, il sera toujours un Africain dans l'âme comme une roche est dure. »

46 Selon les explications de Baderne, l'animal enragé « est comme un kamikaze, un commando-suicide, un fedayin pathologique. » (Rage, p. 142) Cette comparaison expliquerait le comportement suicidaire de Mal armé au moment où il prendra le contrôle de la tour de l'aéroport de Mirabel.

(33)

(SH, p. Il) Hugues a aussi été adopté et, ne connaissant pas ses parents biologiques, il

souhaite retrouver ses racines:

Je me souviens qu'un soir j'étais bleu de rage parce qu'à la télé ils parlaient des vieux orphelins qui redescendent leur arbre généalogique en quête de racines. Ça me concernait vachement, mais Claude, trop dépourvu et incapable de faire face à sa médiocrité, a décidé de changer le canal. (SH, p. 19)

Pour atteindre leur idéal de pureté, Hugues et Habéké entreprennent la recherche de leurs origines dans un endroit nommé l'ExiI47, car «l'intérieur des hommes sans

racines est tapissé d'Exil. » (SH, p. 19) L'Exil correspond à un lieu imaginaire sans repères où vivent plusieurs figures emblématiques du déracinement, dont l'explorateur Roald Amundsen, l' écri vain Alexandre Soljenitsyne et le grand-père de Habéké. Lorsqu'ils décident d'entreprendre leur « voyage dans le temps» (SH, p. 60), les deux héros prennent même l'initiative d'envoyer une lettre à Soljenitsyne pour qu'il leur fournisse des informations sur l'Exil: « Je demande à Soténijsyne de nous aiguiller sur la bonne voie ferrée et de nous faire des suggestions de locomotives. Je demande aussi qu'il nous raconte la vie en Exil, pour nous donner un avant-goût, et puis Habéké termine la lettre en demandant le nom des serpents qui pourraient nous mordre [ ... ] » (SH, p. 74) Bien que Hugues et Habéké aient décidé de demeurer purs et fidèles à leurs origines, il n'en est pas de même pour leur amie Odile. À peine âgée de quatorze ans, Odile a déjà entamé sa vie d'adulte. Hugues et Habéké comprendront que leur amie ne fait plus partie de leur monde lorsqu'ils découvriront qu'elle est enceinte: «Elle n'était pas vierge, et ça, ça a été son malheur. » (SH, p. 135) Ils croient toutefois pouvoir sauver Odile à temps, avant que le monde adulte l'ait définitivement avalée:« Secrètement, j'avais des plans pour sauver Odile, mais

(34)

j'attendais le moment, l'instant parfait où je pourrais la prendre avec moi comme on prend la fuite vers une île. » (SH, p. 125) Hugues et Habéké kidnapperont Odile pour l'emmener sur leur île promise, mais lors de leur voyage, leur sous-marin fera naufrage et Odile et Habéké mourront. Comme pour Chateaugué et Asie Azothe, la mort représente pour Odile et Habéké l'unique solution pour contrer le temps et la souillure.

L'idéal de pureté, dans Vamp, est beaucoup plus subtil que dans les romans de Hamelin ou de Trudel. Chez Christian Mistral, la pureté se manifeste à travers la figure de Nelligan, qui représente un modèle de pureté, et dont la voix, les thèmes et les accents imprègnent l'œuvre de Ducharme:« Chez Ducharme, la mémoire incontournable de Nelligan investit d'abord de manière manifeste les personnages épris d'idéal et de pureté, attachés à leur passé, telles Constance Chlore, Faire Faire ou Chateaugué48.» Nelligan constitue aussi une influence évidente chez Christian Mistral. Le poète sera notamment cité à quelques reprises dans Vamp. Comme Mille Milles qui «noue une cravate à la NeIIigan » (NV, p. 66), c'est davantage la figure de NeIIigan que son œuvre qui intéresse Mistral: «Le château Ramezay, où NeIIigan fit son triomphe en 1899 en déclamant sa Romance du vin; ses amis le portèrent sur leurs épaules de là jusque chez lui, et on l'interna peu après. »(V, p. 19) Christian Mistral a d'ailleurs avoué dans son dernier essai intitulé Origines que NeIIigan représentait l'un des écrivains les plus influents dans son œuvre :

Quand la lecture ne suffit plus à m'évader et à trouver refuge, je me mis à écrire. Des poèmes, par exemple, à la façon de Nelligan. Sa famille me semblait préfigurer la mienne, sa folie aussi, et son destin le mien.

À ce jour, Le vaisseau d'or demeure le seul texte que j'ai jamais appris

48 BOURBONNAIS, Nicole. «Duchanne et NeIIigan : l'intertexte et l'archétype », dans Paysages de Ducharme, Montréal, Fides, 1994, p. 172.

(35)

et retenu par cœur, même si la figure d'Émile adolescent m'apparaît désormais bien dérisoire et pathétique, et la mienne pire encore.49

Le poème Le vaisseau d'or constitue une influence commune entre Ducharme et Mistral. Dans L'avalée des avalés, la partie du roman consacrée au passage de Bérénice vers le monde adulte se termine sur le premier vers du Vaisseau d'or: «Ce fut un grand vaisseau taillé dans l'or massif.» (AA, p. 170) Ainsi, même si les personnages de Vamp ne cherchent pas à atteindre l'idéal de pureté que caressent les héros ducharmiens, l'influence de Ducharme demeure toutefois perceptible par le biais de l'image de Nelligan, qui représente une influence manifeste chez les deux auteurs.

2) La haine de l'adulte

L'adulte n'a jamais eu bonne réputation dans les romans de Réjean Ducharme. La haine de l'adulte est beaucoup moins présente à partir de La fille de Christophe Colomb, mais constitue une idéologie dominante dans L'avalée des avalés, Le nez qui voque et L'océantume. Les héros de Sylvain Trudel et de Louis Hamelin détestent

aussi l'adulte et rejettent les valeurs et les idéaux qu'il véhicule. Le roman de Christian Mistral présente toutefois l'adulte comme un allié et une béquille sur laquelle les personnages s'appuient lorsqu'ils ont besoin d'un soutien moral ou financier.

La haine de l'adulte constitue l'une des caractéristiques les plus représentatives des trois premiers romans de Ducharme. Les personnages ducharmiens haïssent l'adulte, car il agit contre leur idéal de pureté. Sale, mou, et corrompu, l'adulte

49 MISTRAL, Christian. Origines, Paroisse Notre-Dame-des-Neiges, Éditions Trois-Pistoles, coll.

(36)

véhicule des valeurs opposées à celles de l'enfant, à savoir la pureté et la dureté. Dans

L'avalée des avalés, Bérénice soutient qu'il faut impérativement éviter l'adulte:

L'adulte est mou. L'enfant est dur. Il faut éviter l'adulte comme on évite le sable mouvant [ ... ] L'enfant n'est pas mou, visqueux et fertile, il est dur, sec et stérile comme un bloc de granit. Les cuisses de l'adulte sont flasques. La peau de l'adulte pend à ses os comme des masses de blanc d'œuf [ ... ] Ce qui est visqueux et mou salit. Ce qui est laid enlaidit. Il ne faut pas toucher à ce qui est laid. (AA, p. 249)

Bérénice déteste tellement l'adulte qu'elle s'invente une langue, le bérénicien, qu'elle seule pourra comprendre. Cette nouvelle langue est composée «d'emprunts aux langues toutes faites» (AA, p. 250). Ainsi, dans le monde de Bérénice, «Nahanni » signifie « un appel à un appel» (AA, p. 250) et les mots «mounonstre béxéroorisiduel » et « spétermatorinx étanglobe » sont synonymes (AA, p. 250).

Dans la première partie du Nez qui vaque, Mille Milles déteste l'adulte pour son impureté, mais aussi pour les valeurs reliées à la société de consommation qu'il transmet: «Tous les adultes devaient être trouvés laids et hideux, non parce qu'ils étaient laids et hideux, mais parce qu'ils étaient acheteurs, vendeurs, et ruisselants de péchés d'impureté. » (NV, p. 197) Sa haine envers l'adulte atteindra toutefois son apogée lorsque Chateaugué sera renversée par une voiture. À la suite de cet accident, Mille Milles transportera Chateaugué dans leur chambre pour soigner ses blessures. Or, cette chambre qu'ils avaient élue pour passer les derniers moments de leur vie d'enfant recevra la visite de médecins et de policiers qui appartiennent au monde adulte, ce qui enrage Mille Milles: « J'ai bondi, j'ai foncé sur eux, je me suis jeté sur eux. J'ai hurlé en tremblant de tous mes membres: je leur ai enjoint de nous laisser tranquilles, de la laisser tranquille. Je leur ai hurlé que nous ne voulions rien d'eux, qu'elle ne voulait rien. »(NV, p. 74-75)

(37)

Cependant, la haine que voue Mille Milles à l'adulte s'atténuera lorsqu'il fera la rencontre de Questa. Fatigué de jouer la comédie, Mille Milles s'abandonnera à cette «mère nourricière» (NV, p. 157) qui l'aidera à accepter sa nouvelle vie d'adulte: «Je me sens bien moins seul, bien moins coupable, bien moins écœurant avec Questa qu'avec [Chateaugué]. Je sens qu'avec Questa je pourrais être moi-même sans choc et sans honte [ ... ] Avec Questa,je suis libre, à l'aise, soulagé, invité.» (NV, p. 177) Grâce à Questa, Mille Milles ne se révoltera plus contre la société, mais tentera plutôt de se rendre utile à elle: «Nous sommes contents, pour le moment du moins, de servir modestement la société, et ce sentiment de contentement que nous éprouvons remplace avantageusement tout cet amour que la société nous donnerait si elle n'était pas si snob. » (NV, p. 185) Mille Milles finira par accepter son passage à la vie adulte, mais Chateaugué résistera jusqu'à la dernière page du roman: «- Es-tu un adulte Mille Milles? - Oui, Chateaugué, dis-je, sans rougir. Je suis un homme. - Et moi? - Tu n'es pas un homme, mon petit ghibou. Tu n'es qu'une petite fille; parce que tu ne veux rien comprendre! » (NV, p. 208) Ainsi, la haine que ressent Mille Milles envers l'adulte se transformera graduellement en acceptation. Or, Chateaugué restera fidèle à son idéal de pureté jusqu'aux derniers instants de sa vie: «Chateaugué est morte. Elle s'est tuée, la pauvre idiote, la pauvre folle! »(NV, p. 274)

Dans L' océantume, Iode prétend que le monde est divisé en deux: les enfants

et les adultes, que la narratrice regroupe sous le nom de la «Milliarde » : «D'une part, il Y a nous sur notre terre; d'autre part, il y a tous les autres sur leur terre. Ils sont des milliards et chacun d'eux ne veut pas plus de nous qu'un serpent d'un serpentaire. Appelons-les la Milliarde.» (Oc, p. 50) Comme Bérénice, Iode et Asie s'inventent un langage que les adultes ne peuvent comprendre. Après l'épisode des gaurs de York, les deux fillettes inventent le mot « Nabuchodonosor 466 » pour désigner le « nom au

Références

Documents relatifs

pour le meilleur prédicteur respectif des cent bassins versants (bleu foncé) et des valeurs de ce test pour les cent bassins versants lorsque le mode leur est imposé (bleu

« Par ailleurs, des bénéfices connexes ont été recensés : une réduction du nombre d'abcès, de surdoses et de décès ; une augmentation des orientations vers des

On peut donc conclure que les critères du développement durable incluent des valeurs qui contribuent à la réalisation d’un projet dans une perspective éthique, mais à eux seuls,

Pensando en todo esto el IICA- Nicaragua ha venido incursionando en la búsqueda de información nueva, útil y práctica, para facilitar los procesos productivos, comerciales y trámites

This study deals with the dissolution of a NAPL trapped in a water saturated heterogeneous porous medium (stratified medium with flow normal to the strata). The

As a preliminary conclusion, we can say that bubbles are sensitive to the three major contributions of the Turbulent Taylor Vortex Flow: the primary azimuthal flow induce an

Enfin, les écrits sur l’organisation des systèmes de santé publique suggèrent que la notion de santé publique implique la notion d’action collective pour l’amélioration de

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des